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© Christian Carat Autoédition
Nocturnes (pièces pour piano)
Dans Et maintenant l’hiver, je voulais écrire une œuvre qui fût l’essence du genre romanesque. J’utilise le mot "roman" non pas dans son sens étymologique de "récit écrit en langue romane" mais, comme je l’ai expliqué dans les Essais sur la bande dessinée, dans le sens exégétique de "récit contraire à l’épopée". L’épopée est un objet collectif, où le "nous" domine. A l’inverse le roman est un objet singulier, où le "je" veut vainement accéder à un "elle/lui" en singeant un "lui/elle" servant à la fois de modèle et d’obstacle. Une épopée se termine toujours par une victoire, un roman se termine toujours par un échec. Mais en même temps le roman renseigne l’individu, auteur ou lecteur, sur son rapport au monde et sur lui-même, alors que l’épopée entretient les illusions de l’individu sur lui-même et sur son rapport au monde : à travers le personnage romanesque Don Quichotte, qui sombre peu à peu dans la folie pour avoir lu trop d’épopées chevaleresques, l’auteur Cervantès et les lecteurs prennent conscience de la vanité des combats d’Amadis de Gaule, qui s’apparentent à des combats contre des chimères ou, pour renvoyer à une scène célèbre de cette œuvre, contre des moulins à vent. Le genre romanesque est un pur produit de l’Occident, un pur produit du complexe œdipien. Le sujet désirant y joue le rôle d’Œdipe, l’objet désiré y joue le rôle de Jocaste, le tiers modèle et obstacle y joue le rôle de Laïos. L’auteur et le lecteur occidental attendent du personnage romanesque qu’il échoue comme Œdipe, et qu’il souffre avant d’échouer, parce qu’ils veulent préserver l’ordre et sauvegarder la morale du moment, en même temps qu’ils ont de la sympathie pour lui parce qu’il est ce qu’eux sont intimement. On n’aime pas ceux qui ne tentent rien, qui ne vivent que pour manger, qui végètent à ras du sol. On aime ceux qui courent vers les moulins à vent sublimés en geôliers menaçants, vers les communes et rustiques Dulcinées sublimées en belles princesses à délivrer, qui "tentent sans force et sans armure d’atteindre l’inaccessible étoile" - pour citer Jacques Brel -, parce qu’on aspire toujours secrètement à la nouveauté, à bousculer les statues ternies par le temps et les épreuves et à les remplacer par d’autres plus brillantes et plus adaptées. L’auteur et le lecteur occidentaux éprouvent une fascination-répulsion à l’égard du personnage de roman, parce que celui-ci qui souffre physiquement à conquérir vainement un idéal élevé, est un négatif de l’auteur et du lecteur qui souffrent intellectuellement à demeurer aussi vainement dans leur routine quotidienne à ras du sol. Le personnage romanesque se consume volontairement dans sa dévotion à son idéal, et cette consomption renvoie l’auteur et le lecteur occidentaux à leur végétation vide de sens et de but.

Lors de mes études de deuxième cycle en Lettres à la Sorbonne, j’ai pu constater le souvenir durable d’un personnage romanesque de chair et d’os qui l’avait fréquentée quelques années avant moi. Ce personnage était une fille nommée Katia Ould-Lamara, plus connue sous son pseudonyme Vanessa Duriès. Masochiste assumée, Vanessa Duriès a écrit un livre, Le lien, dans lequel elle détaille son existence soumise à son maître (poussée jusqu’à la plus extrême limite : elle révèle qu’elle venait en cours à la Sorbonne avec un anneau vaginal signifiant sa totale dépendance volontaire à ce maître, et la raison de ce livre était de rendre public ce choix ["J’aime [mon maître] et je sais qu’il m’aime au point d’être certaine que cet amour ne nous égarera jamais sur les chemins dangereux d’où l’on ne revient pas. C’est cette expérience que j’ai voulu raconter dans ce livre avec, bien sûr, l’autorisation et les encouragements de mon maître. Il voit en cette confession une nouvelle épreuve que je dois surmonter pour mériter le titre et le rang que j’occupe auprès de lui", Le lien 1]), en même temps qu’elle établit un parallèle entre le lien maître/esclave dans une relation sadomasochiste - d’où le titre du livre - et le lien auteur-lecteur/personnage dans une relation littéraire ("Le maître n’est jamais celui que l’on croit. Le maître est en état de dépendance totale par rapport à son esclave. Le maître n’existe et ne trouve sa place ou sa justification que par rapport à l’esclave. Il est en réalité l’esclave de l’esclave, de son acceptation à subir les sévices qui l’excitent. Lorsqu’on a compris cette réalité paradoxale, il n’y a plus de honte à être esclave. Au contraire, par le jeu subtil des rapports de force, l’esclave peut être celui qui exerce le véritable pouvoir dans la relation sadomasochiste", Le lien 2). Qu’attendons-nous effectivement de Don Quichotte, sinon qu’il se ridiculise en s’agenouillant devant une rustaude Dulcinée aux joues trop rouges et aux mains calleuses ? Qu’attendons-nous de Des Grieux, sinon qu’il pleure à la fenêtre d’une fille qui l’ignore ? Qu’attendons-nous de Candide, sinon qu’il saccage un peu plus son pucelage à chacun de ses voyages ? Qu’attendons-nous de Julien Sorel, sinon qu’il soit guillotiné ? Qu’attendons-nous de Lucien de Rubempré, sinon qu’il perde toutes ses illusions de jeunesse ? Qu’attendons- nous d’Emma Bovary, sinon qu’elle s’ennuie jusqu’à s’éteindre en fantasmes ? Qu’attendons-nous de Charles Swann, sinon qu’il coure de bordel en bordel, tel Muffat derrière Nana, à la recherche d’une femme qui n’est pas son genre ? Les auteurs qui les ont inventés, autant que les lecteurs qui les découvrent, ne veulent qu’une chose : voir ces personnages souffrir dans des situations extraordinaires, pour se dire à eux-mêmes : "Comme j’aimerais vivre leurs aventures à leur place ! Mais en même temps, comme je suis rassuré d’avoir une vie ordinaire, pour ne pas souffrir autant qu’eux !". Le personnage romanesque n’a d’intérêt que par le spectacle de sa souffrance qu’il offre à son auteur et à son lecteur. On n’attend pas de lui qu’il ait la même existence banale que son auteur ou son lecteur : l’expérience a été tenté après la deuxième Guerre Mondiale dans le Nouveau roman, elle s’est soldée par l’internement des auteurs dans d’étroits cénacles nobélisés et universitaires, et par un fiasco total auprès du grand public. La raison d’être du personnage romanesque, comme le Petit chaperon rouge, est d’être séduit et finalement dévoré par le loup. Sur ce point, je me souviens de la réaction très révélatrice d’un ami à qui j’ai diffusé un jour un court métrage du cinéaste allemand Philipp Kadelbach, Platonische liebe. On y voit une jolie étudiante, seule dans une grande maison, le soir, occupée à se préparer un bain. Elle y vit avec son chien, un berger allemand qui dort sur le canapé du salon, qu’elle appelle "Platon", et qu’elle incite à bouger en lui promettant un dessert avec de la crème chantilly. La caméra alterne plans d’intérieur et plans d’extérieur, où l’on voit des ombres inquiétantes se faufiler parmi la végétation. Les contre-jours, les silhouettes mystérieuses pénétrant silencieusement dans la maison par la véranda laissée imprudemment entrouverte, le monologue coupé de points de suspension de la jolie étudiante, le silence du chien face aux intrus, tout cela amène à penser que cette jolie étudiante sera bientôt agressée, violentée ou assassinée. Je me souviens encore de l’œil brillant et de l’intérêt manifesté à ce moment par l’ami avec lequel je regardais ce court métrage, qui s’est redressé sur son siège en laissant échapper un : "Ah, elle va se faire trucider, cette fille !". La tension atteint son paroxysme quand un bruit parvient de la cave. La jeune fille prend peur, elle s’arme d’un couteau, elle descend lentement l’escalier qui mène à la cave, elle allume la lumière. Toute sa famille apparaît soudain pour lui crier : "Bon anniversaire !" avec un gros gâteau, on comprend alors que les silhouettes qu’on a vu précédemment se faufiler dans l’ombre étaient des membres de sa famille désireux de lui faire une surprise, on comprend aussi que si le chien n’a pas aboyé c’était simplement parce qu’il connaissait les personnes qui se sont introduites dans la maison. Mais la joie de l’assemblée familiale cesse aussitôt après le : "Bon anniversaire !", tétanisée par ce qu’elle voit : quand la caméra se retourne, on découvre que la jolie étudiante toujours armée du couteau, est entièrement nue, et que des traînées de crème chantilly recouvrent ses seins et son bas-ventre. Le spectateur comprend alors qu’elle a été interrompue en pleine préparation d’une soirée zoophile avec son chien Platon (d’où le titre ironique du court métrage, "amour platonique"). L’ami est resté silencieux, tétanisé comme la famille de la jeune étudiante, avant de se renfoncer dans son siège : "Oh non, c’est malsain, cette histoire ! C’est vraiment malsain !". Je me suis souvent interrogé sur ce malaise éprouvé par cet ami, le même que celui d’une majorité de spectateurs, le même que le mien. On préfèrerait voir cette jolie étudiante se faire éventrer par un cambrioleur, se faire kidnapper par des extraterrestres, se faire violer par un pervers de passage, la voir poignardée sous sa douche comme dans Psychose d’Hitchcock ou découpée à la tronçonneuse, la voir saccagée, baignant dans son sang, pleurant sur ses virginités perdues dans les plus extrêmes douleurs, plutôt que la voir ainsi se faire lécher complaisamment par son chien. On préfèrerait la voir, telle le Petit chaperon rouge, se faire trancher la carotide par les crocs de son canidé, plutôt que prendre du plaisir à coucher avec ledit canidé. D’où vient ce sentiment de malaise ? Dans le cas de ce court métrage comme dans le cas de Vanessa Duriès, du caractère dérisoire de l’objet sublimé : un chien là, et ici un "maître" qui avait tous les attributs du pauvre type incapable d’occuper sa vie autrement qu’en abusant les jeunes filles (processus qui ne dure qu’un temps, puisque Vanessa Duriès, juste avant l’accident automobile qui l’a tuée prématurément, semble avoir manifesté la volonté de mettre un terme à leur relation sadomasochiste, c’est-à-dire la fin de sa vénération pour lui ; dès l’époque même de rédaction du Lien, Vanessa Duriès était ambiguë sur ses motivations, révélant d’emblée que ses penchants masochistes d’adulte découlaient des mauvais traitements que son père lui infligeait enfant ["Lorsqu’il était de très méchante humeur, [mon père] m’enfermait attachée dans le noir à l’intérieur d’un placard dont l’exiguïté me terrorisait. Ses énormes mains d’homme puissant s’abattaient sur mon visage émacié qui s’empourprait aussitôt comme le signal de détresse d’un naufragé. Ces corrections injustes m’humilièrent profondément les premières fois. Mais, inexplicablement, plus elles se répétaient et plus je ressentais un sentiment étrange, qui progressivement m’inquiéta, me dégoûta et acheva de me déstabiliser vis-à-vis de mon père que je ne parvenais pas à haïr. Je crois aujourd’hui savoir que je ressentais déjà l’orgueil qu’éprouve celle qui est l’objet de sévices de la part d’un être aimé. Chaque coup reçu peut alors s’interpréter comme une marque d’intérêt, voire d’amour. Car sinon, pourquoi le père ou le maître punirait-il, fouetterait-il son enfant, son esclave ? […] N’ayant pas la nature d’une guerrière, ne sachant pas opposer la violence à la cruauté, j’ai appris à dominer ceux qui usaient de moi en rendant mystique et ambiguë l’offrande de ma soumission", Le lien, Introduction]). Mais n’est-ce pas le propre de l’amour, de la passion, que transformer les choses laides en choses belles ou les choses belles en choses laides, autrement dit donner une valeur positive ou négative à ce qui est banal, transformer les paysannes de la Mancha en reines, les meurtres en regrettables concours de circonstances ou en délits gratuits délibérés, les tableaux de Cézanne en chefs-d’œuvre ou en croûtes, les guerres idéologiques en Victoires ou en Défaites ? Dans l’ordre public, la norme équivaut à la quantité : quand un objet est désiré et sublimé par mille personnes, on ne trouve rien à redire parce qu’on juge cela naturel, mais quand un objet n’est désiré et sublimé que par une unique personne on trouve cela louche, douteux, répréhensible, on souhaite rééduquer cette personne ou l’anéantir, on préfère qu’elle soit malheureuse en se forçant à vivre une existence consensuelle ou qu’elle se suicide plutôt que la voir heureuse dans cet attachement à un objet n’attirant aucun consensus, et par suite suscitant la réprobation générale (pour ma part, je considère que la seule barrière à l’expression amoureuse est le déplaisir : n’étant pas sadique je n’accepterai jamais de fouetter une Vanessa Duriès même si elle me le demande avec insistance, n’étant pas masochiste je n’accepterai pas davantage de recevoir des coups de fouets d’une maîtresse m’assurant de ses bonnes intentions, et n’étant pas zoophile même en période de lourd célibat j’ai toujours écarté d’un vigoureux coup de pied les chiennes trop envahissantes ; cette barrière étant établie, chacun demeure libre de ses propres consentements intimes avec une Vanessa Duriès ou avec l’animal de son choix, pourvu qu’elle/il soit d’accord…).

Afin de provoquer le plus grand des malaises, j’ai choisi pour personnage principal le plus romanesque et le plus œdipien qu’on puisse trouver : l’Occident lui-même, qui se raconte à la première personne du singulier. La diégèse suit une ligne inverse de celle du cheminement intellectuel de ce narrateur occidental : plus l’histoire avance dans le temps, plus la réflexion puise dans le passé. Melae incarne l’Antiquité, la séparation et la période floue qui suit évoquent le Moyen Age, Frellia incarne l’Histoire récente. J’ai situé le point de départ à la Renaissance : tel Christophe Colomb inaugurant une nouvelle route vers l’ouest, le narrateur, "dans une sorte d’euphorie, désirant rompre avec une habitude stérile et molle" (Et maintenant l’hiver I), décide de changer l’itinéraire habituel de ses promenades dans Contentès, c’est ainsi qu’il découvre un nouveau magasin aux allures de Nouveau Monde, où Frellia travaille. L’évolution de la relation avec Frellia rappelle l’évolution de l’Occident moderne avec les terres nouvellement découvertes, son attirance, sa convoitise, son désir de conquête, et finalement son quasi viol au XIXème siècle suivi d’un quasi suicide au XXème siècle. L’évolution de la relation avec Melae quant à elle rappelle l’évolution de l’Occident ancien, depuis la joie brute et innocente de l’ère classique (Melae a un visage rond enfantin, "aussi délicat et aussi pur qu’un marbre de Praxitèle" [Et maintenant l’hiver VI], elle s’amuse sur un manège et s’endort en suçant son pouce [Et maintenant l’hiver V]) jusqu’au plaisir pervers et décadent de l’ère impériale (cf. la scène d’humiliation volontaire à la fenêtre [Et maintenant l’hiver II]). La relation tendue et finalement agressive avec Frellia s’explique par l’événement vécu par le narrateur dans son enfance, de même que le caractère tourmenté de l’Histoire occidentale moderne s’explique par le cataclysme de Santorin à l’origine de l’Occident : l’attitude émancipatrice du narrateur contre l’acte ancien de son père, renvoie à l’émancipation des Achéens contre les Minoens infanticides après ce cataclysme - parmi lesquels Thésée contre Minos -, que j’explique longuement dans l’acte I du Temps perdu. Pour universaliser mon propos, j’ai situé ce récit en Marcalance, dans la ville de Contentès traversée par la Mheinne, extrapolation touristique de ma ville de Rouen traversée par la Seine. Danceny, où se trouve la maison de la tante Majenie, est une extrapolation de La Bouille en aval de Rouen, où ma mère m’emmenait souvent pour acheter les prunes que les propriétaires locaux naguère vendaient le long de la route en bordure de la Seine jusqu’à Bardouville. Les Phems, où se trouve la maison des parents du narrateur, entre Saûle et Mheinne, est une extrapolation des Damps en amont de Rouen, au confluent de l’Eure et de la Seine, où enfant je subissais parfois, dans les restaurants de l’endroit, annexés au chemin gardé par le Pourquoi pas ? qui y était amarré (que j’ai rebaptisé "Peary" dans Et maintenant l’hiver), d’interminables repas familiaux. Stylistiquement, mon modèle a été François Mauriac, d’où quelques allusions aux années 1930 (par exemple l’envahissement systématique des lieux publics par la fumée des cigarettes, peu à peu interdit dans les pays occidentaux à la fin du XXème siècle), et le prénom "François" Seganis que je me suis trouvé comme pseudonyme quand j’ai autoédité cette œuvre en 2004.

Et maintenant l’hiver porte la mémoire de l’Occident : les Articles de guerre portent la mémoire de mon été pourri de 1993 dont j’ai parlé par ailleurs, et de sa résolution dramatique un an plus tard. Les deux nuages atomiques qui s’élèvent vers le ciel, au-dessus d’Athènes ruinée, ne sont que la vision fantasmée de mon camarade cavaleur et de la jeune femme dont j’étais alors épris partis ensemble en vacances en cet été 1993, puis de leur mort (physique pour lui, symbolique pour elle désormais associée à un fantôme) en septembre 1994 à Dieppe, me laissant dévasté d’abord par la jalousie et l’amertume, puis par un incurable vertige existentiel. Cette double expérience a été un naufrage vécu comme une libération, une libération vécue comme un naufrage. Torturé par la nécessité urgente de me trouver un sens, j’ai assimilé cette dévastation individuelle à la dévastation collective de l’Occident au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, découvrant soudain sa capacité de mort industrielle, étatique, scientifique : c’est ainsi que je me suis progressivement fondu dans l’Histoire occidentale. Torturé par le besoin aussi immédiat de me raccrocher à des principes élémentaires, je me suis plongé dans les profondeurs passées de l’Occident : c’est ainsi que j’ai progressivement conçu Le temps perdu. La disparition de l’auteur François Seganis, dont je parle dans mes introductions à Et maintenant l’hiver et aux Articles de guerre, n’est pas aussi fictive qu’elle paraît. Le pseudonyme "François Seganis" que je me suis choisi pour ces deux œuvres renvoie à la fois à Mauriac, et à la Grèce que j’ai découverte durant les années universitaires à travers l’étudiante grecque dont j’ai parlé par ailleurs ("Seganis" rappelle par assonances et allitérations le nom du poète Georges "Seféris" et celui du compositeur Iannis "Xenakis" que j’étudiais à cette époque). Or, après ce double événement, j’ai cessé d’écrire à la manière de Mauriac, ayant acquis une soudaine aisance de plume, m’exprimant sans l’intermédiaire œdipien d’un Père littéraire. Et la Grèce a cessé de m’apparaître aussi lointaine et idyllique : elle est devenue une image de naissance et de mort, de flamboyance et de désastre, d’espoir et d’impasse. Dans la préface aux Articles de guerre que j’ai autoédités en 2003, j’évoque la biographie et les œuvres de François Seganis, calquées sur ma propre biographie et mes propres romans achevés ou non, ne méritant pas d’être diffusés à l’exception d’Et maintenant l’hiver, écrits entre ma découverte de la Littérature au lycée et l’été 1993 : après cette date, tel François Seganis, une partie de moi a effectivement disparu, puisque je n’ai plus jamais raconté l’Histoire occidentale sous forme fictionnelle à travers des personnages inventés, mais sous forme de discours à la première personne du singulier ou du pluriel.
  
Et maintenant lhiver / Articles de guerre (François Seganis)


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