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Guerre12
Guerre12

-460 à -446 : La premième guerre du Péloponnèse

© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

Sous Cimon

Sous Périclès

La première guerre du Péloponnèse est une suite de combats épars, opposant directement ou indirectement Athènes et Sparte entre -460 et -446, entrecoupée par une trêve de cinq ans entre -454 et -449 durant laquelle Cimon tente vainement de relancer l’ancienne dynamique panhellénique contre la Perse. Nous consacrons notre premier alinéa aux années -460 à -449. Nous consacrerons notre second alinéa aux années -449 à -446.


La rupture des relations diplomatiques entre Athènes et Sparte est matérialisée par la démission de l’ambassadeur d’Athènes à Sparte, Alcibiade l’Ancien, grand-père du tristement célèbre Alcibiade homonyme qui plombera la démocratie athénienne à la fin du Vème siècle av. J.-C. On apprend en effet par une incidence de Thucydide qu’Alcibiade l’Ancien "s’est démis" de son poste de proxène d’Athènes à Sparte ("Pour mener à bien leurs négociations avec Athènes [en -422, qui aboutissent à la signature de la paix de Nicias en -421], les Spartiates avaient recouru aux services de Nicias et de Lachès en dédaignant le jeune Alcibiade, et sans lui témoigner la considération qu’il attendait d’eux en raison de l’ancienne fonction de proxène de Sparte exercée autrefois par sa famille, même si son grand-père s’était finalement démis de cette fonction", Thucydide, Guerre du Péloponnèse V.43). Or aucune source épigraphique ou littéraire ne témoigne qu’Alcibiade l’Ancien est encore vivant après la signature de la paix de Trente Ans en -446. Par ailleurs, les relations entre Athènes et Sparte étant rompues entre -460 et -446, Alcibiade l’Ancien n’a pas pu être proxène d’Athènes à Sparte durant cette période. La proxénie d’Alcibiade l’Ancien est donc antérieure à -460, à une époque où les deux cités entretenaient encore des liens d’amitié. Sa démission doit être datée à un moment indéterminé entre -468 et -460 où la mésentente entre Athènes et Sparte devient irréversible, et où les sympathies pour Sparte sont vite soupçonnées de trahison dans l’opinion publique athénienne (Thucydide ne dit pas qu’Alcibiade l’Ancien "a été démis" mais bien qu’il "a démissionné", ou mot-à-mot il "a renoncé/¢peipontoj de lui-même/aÙtÕj", du verbe "¢pe‹pon/dénoncer, interdire, refuser", composé du verbe "œpw/parler, exprimer" précédé du préfixe privatif "¢-" : l’acte volontaire d’Alcibiade l’Ancien trahit la situation inconfortable des Athéniens nostalgiques de la lutte commune avec Sparte contre les Perses). Une récente conjecture mérite d’être rapportée ici. L’orateur Lysias, qui appartient à la génération d’Alcibiade le jeune, rapporte qu’Alcibiade l’Ancien a été ostracisé, mais sans préciser la date ("Songez encore que son grand-père Alcibiade [l’Ancien] et le père de sa mère Mégaclès [IV] ont été tous deux ostracisés", Lysias, Contre Alcibiade 39 ; pseudo-Andocide dit la même chose : "Le père de sa mère Mégaclès [IV] et son grand-père Alcibiade [l’Ancien] ont été bannis tous deux par ostracisme", pseudo-Andocide, Contre Alcibiade 34). Des hellénistes supposent que la raison de cet ostracisme d’Alcibiade l’Ancien est la même que celle de l’ostracisme de Cimon en -461 que nous avons expliquée dans notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse : sa trop grande proximité avec Sparte. Autrement dit, la démission d’Alcibiade l’Ancien comme ambassadeur athénien à Sparte et son bannissement par ostracisme précèdent de peu la condamnation de Cimon à son retour piteux de Sparte et son ostracisme en -461. L’helléniste Peter James Bicknell rapproche cette déduction d’une stèle retrouvée au Pirée datant du début du IVème siècle av. J.-C., comportant une inscription référencée 7394 dans le volume II/2 des Inscriptions grecques. Cette stèle représente un homme à droite, une femme assise à gauche tendant la main vers l’homme, et un jeune garçon au milieu. L’inscription révèle que l’homme se nomme "Aspasios fils d’Eschine de Skambonidès", que la femme est son épouse et se nomme "Eukleia", que le jeune homme est leur fils et se nomme "Eschine" comme son grand-père, et que le couple a deux filles non représentées nommées respectivement "Sostratè" et "Aspasie". La seule autre occurrence connue d’une "Aspasie" est la célèbre homonyme de la seconde moitié du Vème siècle av. J.-C., originaire de Milet, maîtresse de Périclès et confidente d’Hipponicos II et du jeune Lysias. Le nom "Aspasios" quant à lui est un hapax, suggérant une origine non-athénienne. On sait que Le Pirée est le premier lieu d’installation des immigrés désirant s’intégrer à la société athénienne, le plus célèbre d’entre eux étant Hippodamos qui réaménage Le Pirée probablement à l’époque de la paix de Trente Ans (nous reviendrons sur ce personnage dans notre paragraphe sur la paix de Trente Ans), également originaire de Milet. Selon l’usage paponymique antique consistant à donner à un enfant le nom de son aïeul d’une génération sur l’autre, Peter James Bicknell admet que cette "Aspasie fille d’Aspasios fils d’Eschine de Milet" du début du IVème siècle av. J.-C. est apparentée à la célèbre homonyme Aspasie de Milet de la seconde moitié du Vème siècle av. J.-C. Nous savons par ailleurs que le dème de Skambonidès auquel est rattaché l’"Eschine père d’Aspasios" de cette inscription, est aussi le dème d’Alcibiade l’Ancien : dans l’inscription 421 du volume I/3 des Inscriptions grecques listant les biens confisqués à Alcibiade le jeune suite à l’affaire des Mystères et à l’affaire des Hermocopides en -415 (nous parlerons de ces deux affaires dans notre paragraphe sur la paix de Nicias), ce dernier est désigné en effet aux lignes 12-13 comme "Alcibiade fils de Clinias de Skambonidès". Or Alcibiade l’Ancien a deux fils : l’aîné Clinias, qui a participé à la bataille de l’Artémision en -480 (nous renvoyons ici à notre premier paragraphe sur la guerre contre la Perse), et le cadet Axiochos (cette généalogie est donnée indirectement par Platon qui, dans son dialogue Euthydème 275a-b, mentionne son contemporain Clinias junior comme "fils d’Axiochos, petit-fils d’Alcibiade l’Ancien et cousin de l’Alcibiade d’aujourd’hui"). Cet Axiochos dans la seconde moitié du Vème siècle av. J.-C. sera l’un des compagnons de débauche de son neveu Alcibiade le jeune, il sera impliqué avec lui dans les affaires des Mystères et des Hermocopides en -415, et son nom apparaîtra dans la liste des Athéniens condamnés dont les biens seront confisqués, à la ligne 108 de l’inscription 426 du volume I/3 des Inscriptions grecques, comme "Axiochos fils d’Alcibiade [l’Ancien] de Skambonidès". Peter James Bicknell émet l’hypothèse que l’"Eschine de Milet, père d’Aspasios" de la stèle du Pirée, est simplement le fils d’Axiochos, autrement dit Aspasie la maîtresse de Périclès serait apparentée à Alcibiade l’Ancien. La trame historique pourrait être la suivante. Peu avant l’ostracisme de Cimon en -461 et le début de la première guerre du Péloponnèse, Alcibiade l’Ancien est ostracisé en raison de sa trop grande proximité avec Sparte. Il s’exile à Milet, où il rencontre une Milésienne, avec laquelle il conçoit Axiochos. Dix ans plus tard, à la fin de son ostracisme, vers -451, il revient avec sa petite famille à Athènes, dans son dème de Skambonidès : son épouse milésienne, son fils Axiochos, et Aspasie (la sœur cadette de son épouse milésienne ?). Cela expliquerait pourquoi Aspasie, qui est une étrangère, une non-Athénienne, une Milésienne, s’intègre aussi vite dans les cercles d’influence athéniens : si Périclès la courtise vers -451, c’est peut-être parce qu’elle est jeune et belle, mais c’est surtout parce que son parent Alcibiade l’Ancien est un outil relationnel avec Sparte et un contrepoids à Cimon qui a négocié brillamment la trêve de -454 et qui s’apprête à revenir dans les affaires athéniennes en lançant une nouvelle expédition vers Chypre et l’Egypte, comme nous le verrons plus loin. La double union vers -451 entre d’un côté Périclès et Aspasie, et de l’autre côté l’ex-épouse anonyme de Périclès et Clinias fils aîné d’Alcibiade l’Ancien, semble une fusion des deux familles des Alcméonides et des Alcibiades en une seule, pour peser sur toutes les décisions politiques dans l’Athènes hégémonique du moment. On note que, selon cette hypothèse, Alcibiade l’Ancien est vieux quand il conçoit son fils cadet Axiochos à Milet : Clinias participe à la bataille de l’Artémision en -480 comme pilote de trière, il a donc au moins vingt ans à cette date pour pouvoir occuper ce poste, donc son père Alcibiade l’Ancien a au moins quarante ans en -480, et au moins soixante ans quand il débarque à Milet vers -460. L’installation d’Aspasios fils d’Eschine au Pirée quant à elle pourrait s’expliquer par la condamnation d’Axiochos en -415 : tous les biens de la famille des Alcibiades à Skambonidès ayant été confisqués par l’Etat athénien, Axiochos a été renvoyé à sa bâtardise milésienne, et son fils Eschine père d’Aspasios aurait été contraint de se replier au Pirée, refuge de tous les métèques.


On ignore quand meurt Callias II, beau-frère de Cimon et homme le plus riche d’Athènes. En tous cas son fils Hipponicos II hérite de son immense fortune, notamment des très lucratives mines d’argent du Laurion où il embauchera jusqu’à six cents esclaves selon Xénophon, en parallèle avec Nicias le futur négociateur de la paix de -421 et stratège malheureux de la désastreuse expédition vers la Sicile en -415 ("Nicias fils de Nicératos loua un millier d’hommes au Thrace Sosias dans ses mines, qui lui rapportèrent une obole par jour tous frais payés, et de façon pérenne. Hipponicos II embaucha pareillement six cents esclaves, qui lui rapportèrent une mine d’argent par jour tous frais payés", Xénophon, Sur les revenus IV.14-15). Selon le philosophe Eschine de Sphettos cité par Athénée de Naucratis, Hipponicos II est un "koalemos/ko£lemoj", mot d’origine inconnue synonyme de "stupide, lourd, benêt, nigaud". Le fait qu’il l’évoque dans un dialogue aujourd’hui perdu intitulé Aspasie, suggère qu’Hipponicos II se laisse séduire par Aspasie la maîtresse de Périclès après -451. Dans un autre dialogue également perdu intitulé Callias, Eschine de Sphettos sous-entend qu’Hipponicos II a été un élève du grand philosophe Anaxagore et du peu fréquentable sophiste Prodicos de Keos, et que l’un et l’autre ne lui ont servi à rien puisqu’il n’a pas été capable d’en tirer des leçons pour éduquer correctement son fils Callias III et l’empêcher de devenir un velléitaire ("Dans son Aspasie, [Eschine] raille aussi continument ce rhétoricien [Télaugès, fils du philosophe Pythagore], et qualifie Hipponicos II fils de Callias II de “koalemos” en ajoutant que toutes les Ioniennes sont débauchées et vénales. Dans son Callias, il rapporte le différend entre Callias III et son père, et se moque des sophistes Prodicos et Anaxagore […]. Eschine souligne l’infamie des élèves pour mieux mettre en évidence la corruption des maîtres", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes V.62). A une date inconnue, probablement avant la première guerre du Péloponnèse en -460, Hipponicos II a épousé une femme dont la postérité n’a pas conservé le nom, qui lui donne un fils : Callias III, et une fille : Hipparetè. Il divorce on-ne-sait-quand, et cette femme se remarie en devenant la première épouse de Périclès, forcément avant -451 puisque cette année-là Périclès la répudiera à son tour et s’accouplera avec Aspasie.


Nous avons vu qu’Athènes élève les Longs Murs entre Phalère et Le Pirée après la double victoire de Myronidès à Mégare vers -465. Cela manifeste une volonté orientée vers la guerre. C’est probablement aussi dans la perspective de combats imminents que Périclès invite à Athènes des gens qui seront utiles à la défense de la cité, notamment le marchand d’armes Képhalos de Syracuse. Pseudo-Plutarque dit que Lysias, le plus illustre des fils de Képhalos, est né à Athènes sous l’archontat de Philoclès en -459/-458 (cette année de naissance est confirmée par Denys d’Halicarnasse, Sur les anciens orateurs, Lysias 1, qui dit que Lysias, après avoir séjourné à Thourioi, revient vivre à Athènes "à l’âge de quarante-sept ans sous l’archontat de Callias" en -412/-411). Képhalos est donc installé à Athènes avant cette année. Des anonymes mentionnés par pseudo-Plutarque prétendent que Képhalos a fui Syracuse quand Gélon y a pris le pouvoir vers -485. Mais cette date semble beaucoup trop haute, elle provoque trop de bizarreries insurmontables dans les événements ultérieurs pour être crédible. Pour notre part, nous préférons suivre la tradition, qui voit l’installation de Képhalos à Athènes comme la réponse à l’invitation lancée par Périclès à la veille de la première guerre du Péloponnèse ("Lysias eut pour père Képhalos, fils de Lysanias et petit-fils de Képhalos. Le père de Lysias, originaire de Syracuse, vint s’établir à Athènes parce qu’il en avait lui-même envie ou parce qu’il y fut incité par Périclès fils de Xantippos, son hôte et son ami, qui lui prédit une grande fortune. Certains disent que Képhalos fut banni de Syracuse quand Gélon y installa sa tyrannie. Lysias naquit à Athènes la deuxième année de la quatre-vingtième olympiade, sous l’archontat de Philoclès [en -459/-458], successeur de Phrasiclès [en -460/-459]. Il fut élevé avec les enfants des notables athéniens", pseudo-Plutarque, Vie de Lysias 1). Lysias lui-même renforce cette tradition en précisant que son père Képhalos est resté "pendant trente ans" à Athènes ("Mon père Képhalos est venu s’installer à Athènes, suivant le conseil de Périclès : pendant les trente années qu’il y est demeuré, ni lui ni moi n’avons jamais intenté de procès contre quiconque, et quiconque ne nous en a jamais intenté", Lysias, Contre Eratosthène 4) : comme Képhalos est encore vivant vers -430 (il apparaît dans La République de Platon, accueillant Socrate après la première cérémonie en l’honneur de la déesse Bendis en -430 ; nous rejetons le propos de pseudo-Plutarque sur ce sujet, qui dit que Képhalos serait mort quand Lysias avait quinze ans sous l’archontat de Praxitèle en -444/-443 ["Son père [Képhalos] étant mort, [Lysias] alla à Syracuse pour recueillir sa succession. Il avait alors quinze ans, Praxitèle était archonte", pseudo-Plutarque, Vie de Lysias 2], qui engendre d’autres bizarreries chronologiques insolubles), on déduit qu’il est arrivé à Athènes vers -460, peu avant la naissance de son fils Lysias. Nous savons que Képhalos aura au moins quatre fils : l’aîné Polémarchos, né avant la première guerre du Péloponnèse, qui sera exécuté sous la dictature des Trente en -404, Lysias le futur orateur né sous l’archontat de Philoclès en -459/-458 ("Lysias fils de Képhalos était issu d’une famille syracusaine. Il naquit à Athènes, où son père habitait, et fut élevé avec les Athéniens les plus réputés", Denys d’Halicarnasse, Sur les anciens orateurs, Lysias 1), Euthydèmos présenté comme "frère de Lysias" en -430 dans La République 328b de Platon, et Brachyllos ("Quand les Athéniens envoyèrent une colonie vers Sybaris [pendant la paix de Trente Ans à partir de -446], qu’ils nommèrent “Thourioi” par la suite, Lysias alla en Sicile avec son frère aîné Polémarchos et ses deux autres frères Euthydèmos et Brachyllos", pseudo-Plutarque, Vie de Lysias 2) qui aura une fille mentionnée incidemment par Démosthène ("Lysias leur interdit d’entrer dans sa maison par égard pour la femme qui s’y trouvait, qui était sa nièce, fille de Brachyllos", Démosthène, Contre Neaira 22). Nous n’avons pas d’autres détails sur la biographie de ce personnage qui, via ses fils Polémarchos et Lysias avides de sophistique et de reconnaissance sociale athénienne, semble avoir fréquenté régulièrement Socrate et la famille de Platon, puisque non seulement ce dernier montrera Képhalos dialoguant avec Platon au début de sa République, mais encore Glaucon (frère aîné de Platon) écrira un dialogue sur Képhalos, qui n’a malheureusement pas traversé les siècles ("Glaucon d’Athènes a laissé neuf dialogues, réunis en un livre unique : Pheidylos, Euripide, Amyntichos, Euthias, Lysitheidès, Aristophane, Képhalos, Anaxiphèmos, Ménexène", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.14). Notre seule certitude est que la fortune de Képhalos dans le commerce d’armes, sans s’élever au niveau de celle des Calliatides, est néanmoins très appréciable. Képhalos s’enorgueillit vers -430 de laisser à ses fils un héritage supérieur à celui qu’il a reçu de son propre père ("Mon grand-père, dont je porte le nom [c’est Képhalos qui parle vers -430], a hérité d’une fortune à peu près égale à celle que je possède actuellement, et il la multiplia plusieurs fois. Mon père Lysanias la ramena à un niveau inférieur. Je me réjouis de léguer à mes enfants ici présents une fortune non pas moindre, mais légèrement plus importante que celle que j’ai reçue en héritage", Platon, La République 330b), et Lysias, dans sa plaidoirie contre Erathosthène, exécuteur de son frère Polémarchos sous la dictature des Trente en -404, avouera que sa richesse familiale incluait des biens matériels exorbitants dans le contexte déliquescent de l’Athènes de -404, et un service de cent vingt esclaves ("[Les Trente] s’emparèrent d’une grande quantité de nos effets, soixante-dix boucliers, beaucoup d’or, d’argent et de bronze, d’ornements de toutes espèces, de meubles, de vêtements féminins en plus grand nombre qu’ils n’espéraient, de nos cent vingt esclaves dont ils gardèrent ceux qui avaient de la valeur et vendirent les autres au profit du trésor", Lysias, Contre Erasthostène 19). La fortune du marchand d’armes Képhalos de Syracuse et l’ascension sociale de ses fils donnent a posteriori une idée de la fortune réalisée par l’artisan Sophillos de Colone, probable forgeron spécialisé dans le travail du bronze, à l’époque où la démocratie athénienne naissante avait besoin de forgerons et d’armes pour batailler contre le parti noble conduit par Isagoras et contre les Spartiates conduits par Cléomène Ier à la fin du VIème siècle avant J.-C. (nous renvoyons ici à notre paragraphe introductif), et l’ascension sociale de son fils Sophocle, objet principal de notre étude. On doit néanmoins remarquer que Sophillos était un citoyen athénien (peut-être naturalisé lors de l’instauration des dèmes et de la Constitution démocratique en -508) et que la pleine appartenance de son fils Sophocle à l’Ekklesia athénienne ne sera jamais remise en cause, alors que Képhalos, même protégé par Périclès, ne sera jamais citoyen athénien, il sera toujours regardé comme un Sicilien, comme un métèque, comme un non-Athénien parasite, de même que ses fils, qui devront fuir Athènes en -404 justement parce que leur place dans la société athénienne sera contestée et niée par les Trente ("Théognis et Peison, deux des Trente, firent observer à leurs collègues que parmi les métèques établis à Athènes [dont Polémarchos et Lysias : le premier sera arrêté et exécuté, le second réussira à s’enfuir à Thèbes] plusieurs étaient opposés au gouvernement en place, et que le prétexte de punir des coupables serait un excellent moyen d’enrichir le trésor", Lysias, Contre Eratosthène 6).


L’origine immédiate de la première guerre du Péloponnèse, comme toujours dans les grands conflits, est très périphérique. Un litige d’on-ne-sait-quelle nature oppose les gens de Phocide et les gens de Doride. Diodore de Sicile parle de ce fait divers au paragraphe 79 livre I de sa Bibliothèque historique, consacré à l’archontat de Bion en -458/-457, mais dans notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse nous avons expliqué sa très contestable méthode. Diodore de Sicile évoque sous le nom de chaque archonte un événement mémorable dont les causes peuvent remonter à plusieurs années auparavant. L’événement mémorable sous cette année -458/-457 est l’intervention spartiate victorieuse en Doride conduite par l’Agiade Nicomédès, les péripéties qui ont provoqué cette intervention peuvent remonter à plusieurs années auparavant. De plus, le passage qui nous intéresse est corrompu : le début manque, ce qui rend encore plus difficile une datation précise ("Bion fut nommé archonte d’Athènes quand Publius Servilius Structus et Lucius Aebutius Albas furent consuls à Rome. En ce temps-là/™pi de toÚtwn, […] [texte manque] les gens de Phocide déclarèrent la guerre aux gens de Doride, cousins des Spartiates, qui habitent les trois cités de Kytinion, Boion et Erineon au pied du mont Parnasse. Les Phocidiens soumirent les Doridiens par la force et s’emparèrent de leurs cités", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.79 ; Thucydide dit la même chose : "Les Phocidiens envahirent la Doride, berceau des Spartiates, ils attaquèrent Boion, Kytinion et Erinion et s’emparèrent d’une de ces places", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107). Un seul point semble sûr : Diodore de Sicile parle de ce différend entre Phocidiens et Doridiens après avoir parlé de la double victoire de Myronidès à Mégare, que nous avons située vers -465 (Thucydide suit la même chronologie : il parle de la double victoire de Myronidès à Mégare aux paragraphes 105-106 livre I de sa Guerre du Péloponnèse, puis du différend entre Phocidiens et Doridiens au paragraphe 107 suivant), donc ce conflit entre Phocide et Doride se déroule à une date inconnue entre -465 et -458. Les Spartiates se souviennent que leurs ancêtres du début de l’ère des Ages obscurs venaient de Doride. Ils décident d’intervenir pour aider leurs lointains cousins. Un contingent est formé, placé sous les ordres de Nicomédès, que Diodore de Sicile désigne comme "fils de Cléomène Ier", mais que Thucydide désigne comme "fils de Cléombrote" (frère de Cléomène Ier). Peu importe : dans les deux cas, Nicomédès est le petit-fils du roi agiade Anaxandride II et le neveu de Léonidas Ier mort aux Thermopyles en -480 (Léonidas Ier était le frère cadet de Cléomène Ier mort fou vers -485, et le frère aîné de Cléombrote décédé de mort naturelle juste avant la bataille de Platées en -479). Dans la seconde moitié de -458 ou dans la première moitié de -457, si on suit la logique de Diodore de Sicile, le contingent spartiate passe par l’isthme de Corinthe, repousse facilement les Phocidiens et libère la Doride ("Les Spartiates, sous le commandement de Nicomédès fils de Cléombrote, tuteur de Pleistoanax fils de Pausanias trop jeune pour exercer la royauté, se portèrent au secours des Doridiens avec mille cinq cents de leurs hoplites et dix mille alliés. Ils obligèrent les Phocidiens à capituler et à rendre la place, puis ils se retirèrent", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107 ; "Les Spartiates envoyèrent Nicomédès fils de Cléomène Ier au secours des Doridiens, en vertu de leur parenté. Nicomédès, qui assurait le tutorat du roi Pleistoanax encore enfant [Pleistoanax est le fils de Pausanias, lui-même fils de Cléombrote ; on se souvient que Pausanias, vainqueur des Perses à la bataille de Platées en -479, a été le tuteur de Pleistarchos fils de Léonidas Ier : quand Pleistarchos est mort sans héritier on-ne-sait-quand, en tous cas avant l’archontat de Bion qui nous occupe en -458/-457, le jeune Pleistoanax fils de Pausanias est devenu naturellement l’héritier de la couronne agiade], avait sous ses ordres mille cinq cents Spartiates et dix mille autres Péloponnésiens. Il remporta une victoire sur les Phocidiens, reprit les cités doriennes et rétablit la paix entre les deux peuples", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.79). Et ils restent sur place. Ils ne retournent pas à Sparte. Thucydide, qui ne semble pas intéressé par le sujet, dit négligemment que Nicomédès craint d’être bloqué par les Athéniens contrôlant le golfe de Crissa/Corinthe par mer et l’isthme de Corinthe par terre ("En tentant la voie maritime à travers le golfe de Crissa, ils risquaient d’être interceptés par les Athéniens. La voie terrestre par Geraneia n’était pas plus sûre : les Athéniens occupaient Mégare et Pegai, les chemins vers Geraneia étaient difficilement praticables et une garnison athénienne y montait la garde, les Spartiates étaient conscients qu’ils seraient arrêtés aussi de ce côté-là. Ils décidèrent donc de rester en Béotie et d’attendre une occasion favorable pour rentrer chez eux", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107). La thèse du blocage de la voie maritime ne tient pas puisqu’en -458/-457 les trières athéniennes n’ont pas encore pénétré dans le golfe de Crissa/Corinthe, elles l’investiront seulement en -456/-455 sous le commandement de Tolmidès. La thèse du blocage de la voie terrestre en revanche est très possible car Diodore de Sicile, certes peu fiable dans sa chronologie mais très fiable dans son exposé des faits, et plus intéressé par le sujet que Thucydide, dit que les Athéniens forment à la hâte un régiment pour aller occuper le mont Geraneia, qui sert de poste-frontière en plein milieu de l’isthme de Corinthe, entre la Mégaride au nord et la Corinthie au sud ("Les Athéniens, apprenant l’issue de cette guerre contre les Phocidiens, résolurent d’attaquer les Spartiates pendant leur retour. Unis aux Argiens et aux Thessaliens, suivis de cinquante navires, ils envoyèrent quatorze mille hommes occuper les passes de Geraneia", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.80). Thucydide avance une deuxième hypothèse : les Spartiates pensent que le parti aristocratique athénien est prêt à les accueillir en Attique pour investir Athènes et renverser le régime démocratique ("Des Athéniens entrés secrètement en rapport avec [les Spartiates], jouèrent également un rôle dans cette décision [de rester en Béotie] : ces hommes espéraient renverser le régime démocratique et empêcher la construction des Longs Murs", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107). C’est très possible. Diodore de Sicile avance une troisième hypothèse : les Spartiates restent en Doride pour aider les Thébains (qui ont perdu leur antique prestige depuis leurs compromissions avec l’envahisseur perse en -480) à recouvrer leur hégémonie sur la Béotie, dans l’espoir que ce renforcement de Thèbes fera contrepoids à l’hégémonie d’Athènes ("Les Thébains, avilis par leurs arrangements avec Xerxès Ier, voulaient relever leur honneur et leur ancienne hégémonie. Méprisés par les Béotiens, qui refusaient de leur obéir, les Thébains prièrent les Spartiates de les aider à recouvrer l’empire de la Béotie. En retour, ils s’engagèrent à batailler seuls contre les Athéniens, pour dispenser les Spartiates de sortir à nouveau leurs troupes hors du Péloponnèse. Les Spartiates jugèrent cette proposition conforme à leurs intérêts, persuadés que la puissance retrouvée de Thèbes contrebalancerait la puissance d’Athènes. Leur grande armée stationnait alors à Tanagra, prête à entrer en campagne : ils l’employèrent à étendre la domination de Thèbes, en soumettant les cités de Béotie et en les confiant aux Thébains", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.81). C’est très possible aussi.


Les Athéniens ne peuvent pas accepter la présence durable de cette armée spartiate juste à leur frontière, qui magouille on-ne-sait-quoi avec les Thébains, et peut-être avec une cinquième colonne à l’intérieur même d’Athènes. Ils décident d’intervenir. C’est un bouleversement dans l’Histoire de la Grèce, car c’est la première fois depuis la fin du VIème siècle av. J.-C. qu’Athènes décide de batailler directement, physiquement, et non plus par des cités tierces, contre son ancien alliée de guerre contre la Perse. Une levée en masse est réalisée, ouverte à toutes les classes citoyennes. C’est probablement pour favoriser cet engagement patriotique massif que Périclès pousse pour la première fois à l’élection d’un zeugite nommé "Mnésitheidès" à l’archontat éponyme en juillet -457 ("Mais cinq ans après la mort d’Ephialtès [sous l’archontat de Conon en -462/-461] une loi permit aux zeugites ["zeug…thj", classe moyenne capable d’acheter un "zeàgoj/attelage de deux animaux"] d’accéder par tirage au sort, après une élection préalable, à la charge d’archonte. Le premier zeugite qui fut archonte fut Mnésitheidès. Jusqu’alors tous les archontes étaient choisis parmi les pentacosiomédimnes ["pentakosiomšdimnoj", classe des hyper-riches possédant des revenus équivalents au moins à "cinq cents médimnes" de céréales] et les hippeus ["ƒppeÚj", classe des riches capables d’acheter un "cheval/†ppoj", équivalent à trois cents médimnes de céréales], les zeugites ne remplissaient que les charges inférieures", Aristote, Constitution d’Athènes 26). L’armée athénienne est confié à Myronidès, qui marche vers la Béotie au premier semestre -457 ("Les Athéniens se portèrent en masse contre [les Spartiates], avec mille Argiens et d’autres contingents alliés, soit un total de quatorze mille hommes. Ils pensaient avec raison que l’ennemi aurait des difficultés à retourner dans son pays, et ils soupçonnaient aussi l’existence de projets hostiles à la démocratie", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107 ; "Pour s’opposer aux progrès des Spartiates, les Athéniens décidèrent la mobilisation générale, sous l’autorité de Myronidès fils de Callias. Celui-ci sélectionna les citoyens en état de porter les armes et fixa le jour où il quitterait la cité. Quand ce jour fut arrivé, il rassembla les hommes présents et équipés et se mit en marche vers la Béotie. Plusieurs chefs et amis lui conseillèrent d’attendre les retardataires, mais Myronidès prudent et décidé répondit que “ce n’est pas à un stratège d’attendre ses soldats”, et que “les retardataires sont des lâches qui refusent de s’exposer pour le salut de la patrie, contrairement aux hommes présents qui témoignent de leur ferveur et de leur courage”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.81 ; "Chargé de porter la guerre en Béotie, Myronidès demanda aux Athéniens de se préparer à partir. Le jour du départ, les chefs lui signalèrent que tous les hommes n’étaient pas encore présents. Il répliqua : “Ceux qui veulent combattre le sont”. Et en effet avec ces hommes bien disposés à combattre il livra la bataille, et la gagna", Plutarque, Apophtegmes des rois et des stratèges). Athéniens et Spartiates se retrouvent face-à-face dans la plaine de Tanagra. La bataille s’engage, très sanglante. Selon Thucydide, les Spartiates s’imposent et se faufilent par la Mégaride vers le Péloponnèse ("La bataille eut lieu à Tanagra en Béotie. Les Spartiates et leurs alliés furent vainqueurs. Les pertes furent lourdes des deux côtés. Les Spartiates allèrent en Mégaride, y abattirent des arbres fruitiers, puis rentrèrent chez eux par Geraneia et l’isthme", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108). Mais selon Diodore de Sicile, l’affrontement s’achève sans vainqueur, les deux belligérants se retirent par épuisement ("Informés de l’arrivée des Athéniens, les Spartiates marchèrent vers Tanagra en Béotie. Les Athéniens les rejoignirent en Béotie et livrèrent une bataille sanglante […]. Les pertes furent importantes des deux côtés. La nuit sépara les combattants", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.80). Toujours selon Diodore de Sicile, les Thessaliens se sont déclarés d’abord alliés des Athéniens, mais dans le feu de l’action ils trahissent et passent du côté de Sparte (cela est rapidement confirmé par Thucydide : "Des cavaliers thessaliens se joignirent aussi aux Athéniens selon le traité d’alliance, mais au cours de l’action ils passèrent du côté des Spartiates", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.107), une nouvelle bataille s’engage, dans laquelle les Thessaliens combattent aux cotés des Spartiates, toujours sans résultat ("Au milieu du combat, les Thessaliens passèrent du côté des Spartiates. […] Peu après, les Thessaliens apprirent qu’un grand convoi de vivres arrivait de l’Attique pour les Athéniens. Ils réfléchirent au moment le plus favorable pour attaquer ce convoi. Après le dîner, ils profitèrent de la nuit pour aller à sa rencontre. Les conducteurs du convoi prirent d’abord les Thessaliens pour des amis, mais rapidement le combat s’engagea autour des vivres. Profitant de l’erreur de leurs adversaires, les Thessaliens tuèrent les premiers qu’ils croisèrent, puis ils attaquèrent en rangs les hommes épouvantés et les massacrèrent en grand nombre. Informés, les Athéniens quittèrent leur camp en toute hâte, ils chassèrent les Thessaliens et en tuèrent beaucoup. Les Spartiates vinrent à leur tour au secours des Thessaliens. Une bataille rangée s’engagea, beaucoup de combattants tombèrent des deux côtés à cause de leur opiniâtreté", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.80), les deux adversaires concluent une trêve de quatre mois ("Finalement, la victoire étant incertaine pour les Athéniens comme pour les Spartiates et la nuit approchant, ils s’envoyèrent mutuellement des délégués et conclurent une trêve de quatre mois", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.8), et c’est seulement grâce à cette trêve que Nicomédès peut retourner vers le Péloponnèse. Cimon, qui purge toujours sa peine d’ostracisme, s’est présenté aux Athéniens afin de leur proposer son aide contre les Spartiates, pour prouver son patriotisme. Mais les Athéniens l’ont repoussé, craignant qu’il favorise les Spartiates au cours du combat. Cimon s’est donc résolu à rester en retrait, néanmoins il a demandé à ses compagnons fidèles de servir à sa place avec courage. Tous ces compagnons sont tombés valeureusement sur le champ de bataille ("Revenant de Delphes qu’ils avaient délivrée du joug des Phocidiens, les Spartiates campèrent dans la plaine de Tanagra. Les Athéniens allèrent au-devant d’eux pour leur livrer bataille. Cimon se présenta en armes à sa tribu oenéide et témoigna de sa volonté de combattre avec ses compatriotes contre les Spartiates. Mais la Boulè, influencée par les ennemis de Cimon qui clamèrent que celui-ci voulait perturber la bataille et introduire les Spartiates dans Athènes, interdit aux chefs de l’intégrer à l’un de leurs régiments. Alors il se retira, en demandant à Euthippos d’Anaphlystios et plusieurs autres compagnons considérés comme des fervents partisans des Spartiates de combattre de toutes leurs forces, afin que leur conduite effaçât aux yeux de leurs concitoyens le soupçon formé contre eux. Cette centaine de combattants se regroupèrent autour de l’armure complète de Cimon, et ils se firent tous tuer en rangs serrés après avoir accompli des prouesses de valeur, laissant aux Athéniens le regret et le repentir de l’injuste accusation dont ils les avaient noircis", Plutarque, Vie de Cimon 25).


Les Spartiates partis, Athènes peut s’imposer en Béotie contre tous ceux qui contestent son hégémonie. Thucydide, qui n’est pas intéressé encore par le sujet, dit succinctement que Myronidès remporte une bataille à Oinophytes ("Soixante-deux jours après ce combat, les Athéniens, sous le commandement de Myronidès, marchèrent contre les Béotiens. Ils les défirent en bataille à Oinophytes, s’emparèrent de la Béotie et de la Phocide. Ils rasèrent les murailles de Tanagra", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108), Diodore de Sicile, plus précis, dit que cette bataille à Oinophytes est l’événement principal de l’archontat de Mnésithéidès en -457/-456. Il explique que les Athéniens y combattent contre les Thébains amers d’avoir été abandonnés par Sparte, et que l’épreuve s’achève par un nouveau triomphe personnel pour Myronidès, et par la fierté des Athéniens obtenant à l’occasion leur première victoire en solitaire depuis la bataille de Marathon en -490 (contrairement aux batailles de Salamine en -480 et de Platées et Mycale en -479 qui ont été des victoires communes avec Sparte et avec d’autres cités grecques : "L’année étant révolue, Mnésithéidès fut nommé archonte d’Athènes [-457/-456], Lucius Lucratius et Titus Veturius Cicurinus consuls à Rome. En ce temps-là/™pi de toÚtwn, […] [en Béotie] Myronidès avec une poignée de braves attaqua des ennemis nombreux et remporta une célèbre victoire qui dépassa toutes celles gagnées antérieurement par les Athéniens. Celle de Marathon [en -490], celle de Platées [en -479] ou les autres en effet ont été remportées sur des barbares avec l’aide d’alliées, alors que la victoire de Myronidès fut gagnée par les Athéniens seuls contre les Béotiens, qui sont les plus vaillants des Grecs, les plus courageux et persévérants. Plus tard à Leuctres [en -371] et à Mantinée [en -362] les Thébains ont ainsi combattu seuls contre les Spartiates et tous leurs alliés, prouvé leur bravoure et imposé leur hégémonie sur toute la Grèce. Néanmoins aucun historien n’a laissé un récit de cette brillante victoire sur les Béotiens, qui éleva Myronidès au niveau de Thémistocle, de Miltiade et de Cimon. Myronidès assiégea et prit d’assaut Tanagra, dont il rasa les murs. Il ravagea toute la Béotie et distribua à ses soldats un riche butin. Irrités de la dévastation de leurs champs, les Béotiens mobilisèrent en masse et formèrent une grande armée. Un combat acharné se livra à Oinophytes en Béotie, qui dura une journée entière. Les Athéniens peinèrent beaucoup avant de chasser les Béotiens. C’est ainsi que Myronidès se rendit maître de toutes les cités béotiennes à l’exception de Thèbes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.81-82 ; nous ne connaissons pas le déroulement de cette bataille d’Oinophytes, excepté deux péripéties rapportées Polyen : "Au moment où Athéniens et Thébains marchèrent au combat les uns contre les autres, Myronidès demanda aux Athéniens de pousser par l’aile gauche dès qu’il en donnerait l’ordre. Dès qu’il donna le signal, l’aile gauche avança contre les Thébains. Alors il poussa l’aile droite en criant : “Courage, notre aile gauche enfonce l’ennemi !”. Motivés par cette certitude de victoire, les Athéniens chargèrent sur les ennemis tandis que les Thébains, ébranlés par la rumeur de leur recul, rompirent leurs rangs et prirent la fuite", Polyen, Stratagèmes, I, 35.1 ; "Myronidès conduisait les Athéniens contre Thèbes. Il s’arrêta dans une plaine, et ordonna à ses troupes de baisser les armes et de regarder tout autour : “Voyez le relief et l’étendue de cette plaine et le nombre de cavaliers ennemis, dit-il. Si nous fuyons, nous serons forcément anéantis par ces cavaliers. Notre seul salut est la fermeté”. C’est ainsi qu’il dissuada ses troupes de prendre la fuite et qu’il remporta la victoire, avant de passer en Phocide et en Locride", Polyen, Stratagèmes, I, 35.2). Toujours peu intéressé par le sujet, Thucydide dit très brièvement que Myronidès file sa victoire en Béotie en prenant le contrôle du territoire des Locriens opontiens voisins (c’est-à-dire la Locride orientale autour de la cité d’Oponte, face à la Locride occidentale ou "ozole"), et ajoute que c’est à la même époque, donc vers -457 sous archontat de Mnésithéidès, que les deux Longs Murs sont terminés ("[Les Athéniens] prirent comme otages cent des plus riches Locriens d’Oponte. A Athènes la construction des Longs Murs fut terminée", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108). Diodore de Sicile, à nouveau plus précis, dit que Myronidès occupe le reste de l’archontat de Mnésithéidès à conquérir effectivement le territoire des Locriens opontiens, puis il veut punir les Thessaliens, il se dirige vers Pharsale, qu’il assiège en hiver -457/-456, en vain, il revient donc à Athènes au printemps -456 ("[Myronidès] quitta ensuite la Béotie et marcha contre les Locriens opontiens. Après les avoir soumis et pris des otages, il se dirigea vers le mont Parnasse. Il soumit les Phocidiens de la même façon que les Locriens, il en prit des otages, puis il pénétra en Thessalie. Il reprocha aux Thessaliens leur trahison et leur ordonna de rappeler les exilés. Comme les gens de Pharsale résistèrent, il assiégea leur cité. Mais il ne réussit pas à s’en emparer, les Pharsaliens repoussant ses assauts. Il renonça à poursuivre son expédition en Thessalie et revint à Athènes. Par ces si grands exploits accomplis en si peu de temps, Myronidès s’acquit une gloire immortelle auprès de ses concitoyens. Tels sont les événements survenus dans le cours de cette année [de l’archontat de Mnésithéidès en -457/-456]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.83). C’est sans doute le même siège de Pharsale par Myronidès que Thucydide évoque encore très brièvement au paragraphe 111 livre I de sa Guerre du Péloponnèse, qui semble s’enchaîner directement avec le paragraphe 108, après les paragraphes 109-110 relatifs à la campagne athénienne en Egypte entre -471 et -465 insérés dans la narration comme des cheveux dans la soupe ("Le roi thessalien Orestès fils d’Echécratidès, banni de son pays, avait demandé aux Athéniens de le rétablir sur son trône. Avec leurs alliés de Béotie et de Phocide, les Athéniens dirigèrent une expédition contre Pharsale en Thessalie. Repoussés par les cavaliers thessaliens, ils occupèrent seulement le territoire proche de leur camp et ne parvinrent pas à prendre la cité. Aucun de leurs buts militaires n’étant atteint, ils se retirèrent avec Orestès sans rien avoir obtenu", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.111 ; dans notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse, nous avons dit pourquoi nous pensons que ces deux paragraphes 109-110 ont été insérés maladroitement à cet endroit par Thucydide peu intéressé par les événements précédant la deuxième guerre du Péloponnèse et/ou ayant oublié de se relire, ou par un de ses copistes ayant commis une erreur de classement dans les fragments de papyrus ou de manuscrits à sa disposition).


L’ardeur et le sacrifice des compagnons de Cimon lors de la bataille de Tanagra, poussent les Athéniens à réhabiliter rapidement ce dernier. Un décret est voté pour réduire de moitié la peine d’ostracisme de Cimon, c’est-à-dire à l’interrompre en -456. Selon Plutarque, Périclès lui-même soutient la proposition, ce qui sous-entend que la popularité de Cimon est à nouveau élevée et que Périclès ne peut pas faire autrement que suivre le mouvement ("[Les compagnons de Cimon] se firent tous tuer en rangs serrés [pendant la bataille de Tanagra contre les Spartiates] après avoir accompli des prouesses de valeur, laissant aux Athéniens le regret et le repentir de l’injuste accusation dont ils les avaient noircis. Ainsi le ressentiment contre Cimon ne dura pas longtemps, il céda au souvenir de ses grands services ou à la situation délicate du moment. Battus lors de cette bataille de Tanagra et redoutant une invasion des Péloponnésiens au printemps suivant, ils rappelèrent Cimon de son exil, Périclès lui-même en proposa le décret", Plutarque, Vie de Cimon 25). Cela est confirmé par Cornélius Népos, qui ajoute que Cimon ne revient pas en Attique, mais part s’installer en Laconie pour œuvrer à la réconciliation entre Athènes et Sparte ("[Cimon] fut condamné à un exil de dix ans, par la peine appelé “ostracisme”. Mais les Athéniens en eurent plus de regret que lui-même. Les Spartiates leur ayant déclaré la guerre, ils se souvinrent de la valeur de Cimon qui avait supporté courageusement leur envie et leur ingratitude, et le rappelèrent de son exil après cinq ans. Cimon, hôte de Sparte, jugeant que les deux peuples avaient plus à gagner à s’entendre qu’à se combattre, partit de lui-même vers Lacédémone [antique nom de la Laconie] pour y négocier la paix entre ces deux puissantes cités", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines V.3). On note qu’il est accompagné par Andocide l’Ancien, grand-père de son homonyme Andocide le futur affairiste compromis dans l’affaire des Hermocopides en -415. Selon le témoignage personnel du jeune Andocide, deux générations seulement après les faits, Andocide l’Ancien et Cimon avec quelques proches discutent non seulement d’une trêve avec Sparte, mais encore des bases de la paix de Trente Ans qui sera signée en -446 ("Les hostilités recommencèrent contre Egine [peu avant le début de la première guerre du Péloponnèse en -460]. Après avoir tour à tour éprouvé et infligé bien des maux, nous désirâmes de nouveau la paix. Dix citoyens choisis entre tous furent envoyés à Sparte avec pleins pouvoirs pour traiter de la paix, parmi eux était mon grand-père Andocide. Ceux-ci nous ménagèrent une paix de trente ans avec les Spartiates", Andocide, Sur la paix avec les Spartiates). C’est peut-être à cette époque que Périclès épouse l’ex-femme d’Hipponicos II, fils du riche Callias II (qui, rappelons-le, est le mari d’Elpinice, donc le beau-frère de Cimon ; on ignore la raison du divorce entre Hipponicos II et cette femme anonyme), afin de se lier à famille de Cimon par calcul politique : Plutarque affirme en effet que ce mariage n’est pas une union d’amour, que Périclès n’aimera jamais cette femme même si elle lui donne deux fils : Xanthippos et Paralos, et qu’il la délaissera sans remords pour convoler avec Aspasie vers -451 ("Bien que sa femme [à Périclès], qui lui était apparentée, et qui avait épousé en premières noces le riche Hipponicos II dont elle avait eu Callias III, eût donné à Périclès deux fils : Xanthippos et Paralos, ils s’inspirèrent réciproquement un tel dégoût qu’il la maria de gré à un autre et lui-même épousa Aspasie", Plutarque, Vie de Périclès 24).


Selon Thucydide, le siège d’Egine, commencé à une date indéterminée entre -468/-467 et -465 (nous renvoyons ici à notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse), s’achève enfin en -456 : Thucydide évoque cette reddition entre l’expédition de Myronidès en Béotie, chez les Locriens opontiens et à Pharsale en -457/-456, et l’expédition de Tolmidès autour du Péloponnèse en -456/-455 sur laquelle nous allons nous attarder juste après ("Après ces événements, les Athéniens reçurent la capitulation des Eginètes, qui durent raser leurs murailles, livrer leurs navires vaisseaux et s’engager pour l’avenir à contribuer au phoros", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108). Valère Maxime et Elien disent que les Athéniens, pour être sûrs que les Eginètes ne se dresseront plus contre eux à l’avenir, décrètent la mutilation systématique de leur pouce droit, les empêchant ainsi de manœuvrer à nouveau des rames de trières et de tenir une lance ("Une jalousie semblable motiva la démocratie athénienne quand, par un décret qui ternit sa gloire, elle fit couper le pouce à tous les jeunes d’Egine pour empêcher que ce peuple pût lui contester l’empire de la mer avec une flotte puissante", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables IX.2, Exemples étrangers 8 ; "Il est étonnant que le régime démocratique athénien ait pu adopter des décrets si cruels. L’un d’eux ordonna de couper aux habitants d’Egine le pouce de la main droite pour les empêcher de manier la lance et la rame", Elien, Histoires diverses II.9).


Dans notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse, nous avons mentionné plusieurs événements immédiatement antérieurs à la première guerre du Péloponnèse. Nous avons vu que la guerre entre Athènes et Corinthe s’est terminée en déroute pour Corinthe face à Myronidès vers -465. Nous venons de voir qu’Athènes conquiert Egine en -456. A partir de cette année -456, les Athéniens contrôlent donc tout le golfe Saronique, ils bloquent l’accès à la mer vers l’est aux Corinthiens. Sans doute veulent-ils achever le travail en bloquant pareillement l’accès à la mer vers l’ouest via le golfe de Crissa/Corinthe. Tel est en tous cas le projet avancé par Tolmidès, dont Diodore de Sicile dit qu’il jalouse la gloire militaire de Myronidès. Dans le détail, il ambitionne un grand raid autour du Péloponnèse : il veut saccager les côtes mêmes de la Laconie, puis remonter vers l’île de Céphalonie pour y embarquer les Messéniens exilés depuis -463 suite à leur expulsion de l’Ithome, puis, avec eux, poursuivre la mainmise athénienne sur le golfe de Crissa/Corinthe (entamée l’année précédente avec la conquête de la Locride orientale autour de la cité d’Oponte par Myronidès) en établissant une tête-de-pont en Locride occidentale habitée par les "Ozoles" ("OzÒlai/les Puants", dérivé du verbe "Ôzw/exhaler une mauvaise odeur, puer") autour de la cité de Naupacte. On remarque que cette expédition coloniale vers Naupacte, comme plus tard les expéditions vers l’embouchure du fleuve Strymon en Thrace ou vers Thourioi en Italie, est une aubaine pour les politiciens comme Périclès qui veulent rester tout-puissants dans Athènes. D’abord parce qu’elle éloigne des rivaux ambitieux qui ne risquent plus de nuire à leurs jeux de pouvoir. Ensuite parce qu’elle permet d’éjecter de la cité tous les étrangers - les Messéniens dans le cas présent - qui seraient tentés de s’y installer, tout en paraissant œuvrer à leur avenir, sur le mode : "Vous voulez bénéficier des avantages de la citoyenneté athénienne ? Prouvez au préalable que vous êtes prêts à sacrifier votre vie pour mériter cette citoyenneté, prouvez votre plus-value, prouvez que vous pouvez nous apporter quoi-que-ce-soit qui nous manque. Voici une terre. Nous y avons des intérêts. Occupez-vous en, après nous jugerons si vous méritez notre respect et une place dans notre communauté athénienne". In fine, soit les nouveaux colons meurent et c’est tant mieux pour Athènes qui en est débarrassée, soit ils réussissent à faire fructifier la terre qu’Athènes leur a confiée et c’est encore tant mieux pour Athènes qui en tire tous les intérêts. Rome agira de même avec tous les peuples de son Empire, l’Angleterre agira de même avec ses protestants vivement incités à s’installer en Amérique, les Etats-Unis agiront de même avec les immigrés latinos, asiatiques ou africains enrôlés dans les usines de Détroit et d’ailleurs. Diodore de Sicile date cette expédition mémorable de Tolmidès en -455 sous l’archontat de Callias ("Callias étant archonte d’Athènes [de juillet -456 à juin -455], on célébra en Elide les quatre-vingt-unièmes Jeux olympiques [à l’été -456] où Polymnastos de Cyrène remporta le prix de la course du stade, Servius Sulpicius et Publius Volumnius Amintinus étaient consuls à Rome. A cette époque/™pi de toÚtwn, Tolmidès qui commandait les forces navales, jaloux de la gloire de Myronidès, cherchait l’occasion de se distinguer. Comme jusqu’alors la Laconie n’avait jamais été ravagée, il proposa au peuple de dévaster le territoire des Spartiates. Il promit qu’avec mille hoplites embarqués sur des trières, il ravagerait la Laconie et humilierait l’arrogance spartiate. Les Athéniens approuvèrent son projet. Afin d’emmener un plus grand nombre de soldats, Tolmidès élabora secrètement le stratagème suivant. Pour cette expédition, les citoyens l’avaient autorisé à choisir les jeunes gens les plus robustes dans la force de l’âge. Tolmidès, qui voulait plus de mille recrues, s’adressa en personne à ces jeunes gens en leur disant qu’il avait le pouvoir de les recruter mais que leur engagement volontaire serait plus glorieux pour eux que la contrainte du recrutement. Par ce moyen, il se procura plus de trois mille volontaires. Ensuite il choisit les mille hommes qui lui avaient été accordés parmi les non-volontaires. Les préparatifs étant terminés, il prit la mer avec cinquante trières montées par ses quatre mille hoplites", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.84 ; "Les Athéniens avaient décrété une levée de mille hommes, et décidé de les confier à Tolmidès. Celui-ci alla vers les jeunes gens pour leur dire qu’il avait le droit de les inscrire sur sa liste mais qu’ils seraient plus glorieux de l’accompagner à la guerre de leur plein gré plutôt que sous la contrainte. Il réussit de cette façon à attirer trois mille volontaires. Parmi les autres, Tolmidès recruta les mille autorisés par le décret. C’est ainsi qu’il put remplir cinquante navires avec quatre mille hommes au lieu de mille", Polyen, Stratagèmes III.3). Tolmidès atteint la Laconie. Il ravage le port de Gythion, arsenal de Sparte, puis il poursuit sa route vers l’île de Céphalonie où, comme prévu, il embarque les Messéniens exilés, qu’il installe à Naupacte en refoulant les Ozoles autochtones ("Sous la conduite de Tolmidès fils de Tolmaios, les Athéniens envoyèrent une flotte autour du Péloponnèse. Ils incendièrent l’arsenal des Spartiates à Gythion, ils s’emparèrent de la cité corinthienne de Chalcis [aujourd’hui le site archéologique de Paliochori près du village de Kato Basilikè, à une dizaine de kilomètre à l’est d’Antirion, à l’entrée du golfe de Corinthe ; à ne pas confondre avec son homonyme Chalcis en Eubée]", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108 ; "Les Messéniens se retirèrent donc avec femmes et enfants [vers -463, après leur reddition négociée avec leurs vainqueurs spartiates sur le mont Ithome]. Les Athéniens, pour manifester leur hostilité à Sparte, les accueillirent et les installèrent à Naupacte [en -455], qu’ils venaient de prendre aux Locriens ozoles", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.103 ; "Abordant à Méthone en Laconie, [Tolmidès] s’en empara. Les Spartiates vinrent secourir cette place, alors il reprit la mer et fit voile pour Gythion, port de Sparte. Il prit la cité, brûla les navires des Spartiates et ravagea la campagne. De là, il débarqua en Céphalonie près de Zakynthos, il soumit l’île en prenant toutes les cités céphaloniennes. Puis il alla sur la côte en face et vint mouiller à Naupacte. Il prit également cette cité d’assaut, et y établit des notables messéniens que les Spartiates avaient relâchés suite à un traité. Effectivement vers la même époque/tÕn aÙtÕn crÒnon, comme je l’ai dit, les Spartiates avaient durement bataillé contre les Messéniens et les hilotes [pendant dix ans, approximativement entre -473 et -463] avant de les soumettre, ils avaient accordé aux Messéniens la permission de quitter le mont Ithome, et ils avaient puni les hilotes en châtiant les meneurs et en renvoyant les autres à l’esclavage [nouveau flash-back de Diodore de Sicile, source de confusion chez beaucoup d’hellénistes…]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.84 ; "Maîtres de Naupacte qu’ils prirent aux Locriens ozoles près de l’Etolie, [les Athéniens] la confièrent [en -455] aux Messéniens qui, assiégés sur le mont Ithome, avaient obtenu la permission de le quitter [vers -463]", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 24.7).


Le succès de l’expédition de Tolmidès en -455, le succès de Myronidès en Béotie et en Locride orientale en -457, et la gloire passée de Cimon qui s’apprête à revenir à Athènes puisque son ostracisme a été réduit de moitié, poussent Périclès à s’engager à son tour sur le terrain, pour opposer un minimum de gloire militaire personnelle à ces trois personnages et maintenir son aura politique. En -454, sous l’archontat de Sosistratès, il monte un nouveau contingent et débarque sur la côte péloponnésienne du golfe Saronique. Il ravage le territoire en refoulant les troupes de Sicyone jusqu’à Némée ("Sosistratès étant archonte d’Athènes [en -455/-454], les Romains élurent consuls Publius Valerius Publicola et Caius Claudius Rhégillus. A cette époque/™pi de toÚtwn, tandis que Tolmidès séjournait en Béotie, les Athéniens nommèrent stratège Périclès fils de Xanthippos qui, à la tête d’une troupe d’élite, une cinquantaine de trières et un millier d’hoplites, ravagea une grande partie du Péloponnèse", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.85 ; "Parti du port de Pegai en Mégaride, [Périclès] ne se contenta pas de ravager les cités côtières comme Tolmidès avant lui, il débarqua ses troupes et s’enfonça dans les terres, forçant les habitants effrayés par sa présence à se retrancher derrière leurs murailles. A Némée, il défit en bataille les Sicyoniens qui osèrent l’affronter, et dressa un trophée pour cette victoire", Plutarque, Vie de Périclès 19 ; Thucydide, toujours aussi désintéressé par le sujet, attribue ces heurts contre les Sicyoniens à Tolmidès ["[Tolmidès] débarqua et défit à terre les troupes de Sicyone", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.108], mais on ne voit pas ce que Tolmidès posté à Naupacte sur la côte nord-ouest du golfe de Crissa/Corinthe pourrait faire du côté de Sicyone ou de Némée situées sur la côte sud-est en territoire péloponnésien, d’autant plus que trois paragraphes plus loin [après les deux paragraphes incongrus sur la campagne d’Egypte de -471 à -465] il évoque à nouveau les Sicyoniens en disant qu’ils sont bien battus par Périclès et non pas par Tolmidès ["Mille Athéniens débarquèrent dans le port de Pegai qui était sous leur contrôle, et ils gagnèrent Sicyone sous la conduite de Périclès fils de Xanthippos. Arrivés sur place, ils défirent les ennemis qui les affrontèrent", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.111], manifestement Thucydide ou ses copistes ont oublié une nouvelle fois de se relire, nous ne les suivrons donc pas sur ce point). Puis Périclès progresse en suivant la côte sud du golfe de Crissa/Corinthe, d’est en ouest, il prend le contrôle de l’Achaïe, puis il franchit le détroit entre Rion et Antirion et débarque en Acarnanie, où il échoue à soumettre la population ("Ils enrôlèrent rapidement des Achéens, passèrent sur la rive opposée et marchèrent contre Oeniades en Acarnanie. Ils échouèrent à prendre cette cité et rentrèrent chez eux", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.111 ; "[Périclès] pénétra en Acarnanie dont il soumit toutes les cités sauf Oeniades. C’est à cette époque que les Athéniens eurent en leur pouvoir le plus grand nombre de cités et s’acquirent une grande gloire par leur valeur et leur habileté militaire", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.85 ; "[Périclès] enrôla des Achéens alliés d’Athènes, débarqua sur la rive opposée, longea le fleuve Achéloos, ravagea l’Acarnanie, assiégea Oeniades, ruina tout le pays et rentra glorieusement à Athènes après s’être montré aussi redoutable aux ennemis que prudent et entreprenant pour la sûreté de ses concitoyens. Dans toute cette expédition, ses troupes n’éprouvèrent ni revers ni accident", Plutarque, Vie de Périclès 19). Il revient alors vers Athènes. Pour l’anecdote, selon Justin, le tragédien Sophocle accompagne Périclès dans cette expédition vers l’Achaïe ("Déjà occupés contre les Messéniens [traqués et assiégés par les Spartiates sur le mont Ithome jusque vers -463], les Spartiates désireux de ne pas laisser Athènes en repos promirent d’aider les Thébains à recouvrer la Béotie qu’ils avaient perdue lors de la guerre contre la Perse, à condition qu’ils déclarassent la guerre contre Athènes. L’acharnement de Sparte était tel que, en plus de ces deux fronts, elle assuma un troisième front pour menacer sa rivale [en intervenant directement en Doride puis en Béotie en -458/-457]. Face à un si violent orage, les Athéniens nommèrent deux généraux, Périclès déjà connu par ses talents et le poète tragique Sophocle, qui, divisant l’armée en deux corps, ravagèrent les terres de Sparte [ou du moins les terres du nord-est du Péloponnèse, de Sicyone, de Némée, dominées par Sparte] et prirent plusieurs cités en Achaïe", Justin, Histoire III.6).


La même année, en -454, Cimon quitte la Laconie et revient à Athènes avec une proposition de trêve de cinq ans qu’il a négociée avec les Spartiates (apparemment peu rancuniers du saccage de leur arsenal de Gythion par Tolmidès l’année précédente !). Cette trêve est acceptée par Athènes ("Ariston étant archonte d’Athènes [en -454/-453], les Romains nommèrent consuls Quintus Fabius Vibulanus et Lucius Cornelius Curetinus. A cette époque/™pi de toÚtwn, les Athéniens et les Péloponnésiens conclurent une trêve de cinq ans, négociée par l’Athénien Cimon", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.86 ; "Cimon, à peine de retour dans Athènes, mit fin à cette guerre en réconciliant les deux cités", Plutarque, Vie de Cimon 26). On soupçonne fortement qu’elle n’est pas gratuite, et on devine pourquoi Périclès en a adopté le principe aussi vite. On suppose que Sparte a imposé un compromis : "Nous acceptons de ne plus intervenir dans les affaires grecques, de ne plus aider les gens de Thèbes, de Doride ou d’Egine, mais en contrepartie, ô Athéniens, vous vous engagez à réorienter vos forces militaires contre les Perses, et à ne plus nuire à nos intérêts dans le Péloponnèse". Cette condition convient d’autant plus à Cimon qu’elle coïncide exactement avec son propre dessein de reprendre la guerre contre la Perse là où elle s’est interrompue avant son ostracisme, à Chypre en -471 et en Egypte en -465. Cimon peut compter sur la fièvre conquérante des Athéniens à cette époque, sur leur désir de gloire et de promotion sociale, et sur leur désir de revanche suite à leur désastre en Egypte en -465. Il peut aussi espérer que cette reprise de la guerre contre la Perse, comme Isocrate le théorisera au IVème siècle av. J.-C., ressoudera le lien entre tous les Grecs contre les barbares, comme du temps de Salamine, de Platées et de Mycale ("Quand la paix fut conclue, [Cimon] vit que les Athéniens ne se maintenaient pas tranquilles et désiraient utiliser leurs armes à augmenter leur puissance. Afin de les empêcher de troubler un des peuples grecs dans les îles ou le Péloponnèse avec leur importante flotte, ou de susciter des guerres civiles ou des sujets de plainte parmi leurs alliés, il équipa deux cents trières pour une nouvelle expédition vers l’Egypte et Chypre. Ainsi il voulut à la fois occuper les Athéniens dans des batailles contre les barbares, et les enrichir par un moyen légitime, en rapportant en Grèce les riches dépouilles de leurs ennemis naturels", Plutarque, Vie de Cimon 26). Périclès quant à lui voit d’abord dans le dessein de Cimon un moyen de l’éloigner d’Athènes. L’image de Périclès applaudissant le départ de Cimon vers Chypre vers -451 doit se lire comme l’image des membres du Directoire applaudissant le départ du général Bonaparte vers l’Egypte en -1798 (à la différence que Cimon vers -451 est un vieil homme dont les jours sont de toute façon comptés, tandis que le général Bonaparte en -1798 est encore un jeune homme plein d’avenir) : comme Tolmidès autour du Péloponnèse en -455, au mieux Cimon se fera tuer, au pire il remportera des victoires qui serviront les intérêts d’Athènes. Périclès voit aussi dans la reprise de la guerre contre les Perses à Chypre un prétexte pour accaparer le trésor de la Ligue de Délos et asseoir définitivement l’hégémonie solitaire d’Athènes sur toutes les cités "libérées" de l’oppression perse. C’est effectivement sous le même archontat d’Ariston en -454/-453 que le trésor de la Ligue est transféré depuis l’île de Délos vers l’Acropole d’Athènes. Le médiocre historien romain Justin prétend qu’Athènes réalise ce transfert du trésor pour empêcher les Spartiates de se l’approprier ("[Les Athéniens] enlevèrent de Délos, pour le transporter à Athènes, le trésor destiné par toutes les cités de la Grèce aux frais de la guerre contre l’Asie : ils craignaient que les Spartiates, en se détachant de l’alliance commune, fussent tentés de s’en emparer", Justin, Histoire III.6), mais cette affirmation n’a aucun sens puisque les Spartiates précisément à cette époque se rapprochent d’Athènes via la trêve négociée avec Cimon. Non, la vraie raison de ce transfert est que Périclès veut contrôler directement les finances de la Ligue, transformer cette Ligue panhellénique en une Ligue athénienne, les cités "libérées" de l’oppression perse qui la composent en cités soumises à Athènes, et le phoros communautaire en un impôt impérial athénien. Et pour ce faire, il utilise un argumentaire imparable : "La guerre contre les Perses est sur le point de reprendre. Un risque existe que les Perses contre-attaquent en débarquant à Délos et en subtilisant le trésor de la Ligue. Donc, pour le bien de la Ligue et pour votre propre salut, ô cités amies et alliées contre le barbare perse, nous avons décidé de mettre ce trésor en sûreté sur notre Acropole à Athènes". A cette occasion, une immense stèle de trois mètres cinquante de hauteur, un mètre dix de largeur et quarante centimètres d’épaisseur, est dressée à l’entrée de l’Acropole, où seront bientôt édifiées les Propylées, sur laquelle seront inscrits annuellement les hellénotames chargés de percevoir et gérer le phoros, ainsi que leur secrétaire et leur secrétaire adjoint. Cette stèle sera peu à peu ruinée par les siècles, avant d’être partiellement reconstituée entre 1834 et 1939, grâce à cent quatre-vingt-quatre fragments. Elle est exposée aujourd’hui au Musée épigraphique d’Athènes. La liste d’hellénotames qu’elle porte, consignée sous les références 259-272 dans le volume I/3 des Inscriptions grecques, couvre les années -454/-453 à -440/-439. Les noms des hellénotames suivants sont rapportés sur une autre stèle dont les archéologues ont retrouvé soixante-treize fragments, dans une inscription qui couvre les années -439/-438 à -432/-431, consignée sous les références 273-280 dans le volume I/3 des Inscriptions grecques. Les hellénotames des années suivantes, qui correspondent aux années de la deuxième guerre du Péloponnèse, sont mentionnées sur des stèles plus petites trahissant les difficultés grandissantes d’Athènes à percevoir le phoros (l’inscription 68 du volume I/3 des Inscriptions grecques couvre les années -428/-427 à -426/-425, l’inscription 71 du même volume rapporte le décret de Thoudippos qui réforme le phoros sous l’archontat de Stratoclès en -425/-424, sur lequel nous reviendrons dans notre paragraphe sur la deuxième guerre du Péloponnèse). L’inscription 34 du volume I/3 des Inscriptions grecques quant à elle détaille les procédures que les hellénotames doivent suivre pour l’acheminement annuel du phoros vers Athènes. Sa date est inconnue, mais comme son auteur est Clinias fils d’Alcibiade l’Ancien qui mourra à la bataille de Coronée au second semestre -447, nous pouvons déduire qu’elle est antérieure à cette année-ci ("Il a plu au peuple, la tribu Oenéide exerçant la prytanie, Spoudias étant secrétaire, [texte manque] étant prytane, Clinias a fait la proposition : que la cité, la Boulè, les archontes et les épiscopes dans les cités, veillent à la perception du phoros chaque année et à son transport vers Athènes, que l’on fabrique des marques identifiant chaque cité afin que les convoyeurs du phoros ne puissent pas commettre de malversation, que chaque cité inscrive sur une tablette le montant de sa participation et qu’elle la scelle de sa marque avant de l’envoyer à Athènes, que les convoyeurs donnent chaque tablette à lire à la Boulè au moment où ils remettront le phoros, que les prytanes en fonction après les Dionysies réunissent l’Ekklesia afin que les hellénotames disent aux Athéniens quelles cités ont payé leur contribution entièrement et quelles cités ne l’ont pas fait [texte manque], que les Athéniens désignent quatre personnes et les envoient vers les cités pour donner quittance des participations qui auront été acquittées et réclamer celles qui ne l’auront pas été, deux vers les îles et l’Ionie sur des trières rapides, les deux autres vers l’Hellespont et la Thrace", Inscriptions grecques I/3 34).


L’année suivante, en -453, Périclès commande un nouveau contingent vers la Chersonèse (aujourd’hui la péninsule de Galipolli). Plusieurs raisons peuvent expliquer ce choix. D’abord, cette expédition semble aller dans le sens de la trêve conclue avec Sparte l’année précédente : elle n’est pas dirigée contre des Grecs, comme les campagnes de Tolmidès et de Myronidès, mais contre les Thraces. Ensuite, elle ravive le souvenir glorieux du débarquement de Xanthippos, père de Périclès, qui y a crucifié le dernier gouverneur perse encore présent sur le continent européen en -479 (nous renvoyons ici à la fin de notre premier paragraphe sur la guerre contre la Perse), elle semble donc un gage adressé aux Spartiates sur la volonté athénienne de retourner ses armes contre la Perse. On devine aussi qu’elle vise à saper l’influence de Cimon. On se souvient en effet que la Chersonèse est l’ancien domaine personnel de Miltiade, père de Cimon, que celui-ci a dû abandonner en -493 après de la révolte ratée de l’Ionie en -493 (nous renvoyons ici au début de notre premier paragraphe sur la guerre contre la Perse). Par ailleurs, la Chersonèse est l’une des deux portes, avec Byzance, du Pont-Euxin/mer Noire, et au-delà du grenier à blé ukrainien : c’est un territoire beaucoup plus facile à contrôler pour Athènes, puisqu’il est situé au nord après les innombrables îles égéennes contrôlées par la flotte athénienne, que la lointaine Chypre ou la lointaine Egypte, situées à l’est près des bases perses, dont les trafics maritimes sont contrôlées par les Phéniciens alliés des Perses, autrement dit la conquête de Chersonèse est plus aisée, plus pratique, plus durable et plus lucrative que l’aventure projetée par Cimon vers Chypre et l’Egypte. Cette expédition de Périclès en Chersonèse est l’un des chefs-d’œuvre politique de Périclès, qui apparaît comme la libération d’un territoire contre la Perse mais est en réalité un énième accaparement d’Athènes pour ses propres colons ("De toutes ces expéditions, aucune ne lui acquit plus de réputation que celle de la Chersonèse, qui fut si salutaire à tous les Grecs de ce pays. Non seulement il y transporta une colonie de mille Athéniens qui firent la force de leurs cités, mais encore il ferma l’isthme par un mur de défense tiré d’une mer à l’autre, avec des forts de distance en distance. Par là il mit les Grecs à l’abri des incursions des Thraces répandus dans la Chersonèse, il les délivra d’une guerre pénible et presque continuelle qu’ils avaient à soutenir contre les barbares qui les avoisinaient, et les brigands des peuples limitrophes et autochtones", Plutarque, Vie de Périclès 19), qui apparaît primo comme un geste d’apaisement vis-à-vis de Sparte mais est en réalité un moyen d’étendre et de renforcer la puissance d’Athènes au détriment de Sparte, secundo comme une approbation du projet militaire de Cimon contre les Perses mais est en réalité un moyen de nuire à l’image de Cimon, d’opposer un succès réel et prometteur aujourd’hui dans le Pont-Euxin/mer Noire au succès mitigé et incertain demain de Cimon en Méditerranée orientale. Selon Diodore de Sicile, l’aura que Périclès tire de cette expédition en Chersonèse attire la jalousie de Tolmidès, qui abandonne Naupacte et la Locride pour réaliser une même opération de débarquement et de colonisation athénienne dans l’île d’Eubée ("Lysicratès étant archonte d’Athènes [-453/-452], Caius Nautius Rutilius et Lucius Minutius Carutianus furent consuls à Rome. A cette époque/™pi de toÚtwn, le stratège athénien Périclès qui avait débarqué dans le Péloponnèse, ravagé le territoire des Sicyoniens, livré bataille aux habitants sortis en masse, les avait vaincus, tué un grand nombre de fuyards et contraint les autres à se renfermer dans leur cité qu’il avait assiégée, puis, après d’inutiles assaut, et informé par ailleurs de la venue des Spartiates au secours des assiégés, avait quitté Sicyone et s’était porté sur l’Acarnanie, avait envahi le territoire des Oeniades, avait amassé un gros butin, avant de quitter l’Acarnanie [on remarque à nouveau que Diodore de Sicile, avant de parler des événements mémorables de l’année -453/-452, rappelle tous les événements qui les ont précédés, en l’occurrence les péripéties subies par Périclès dans le nord du Péloponnèse et en Acarnanie sous l’archontat de Sosistratès en -455/-454, d’où les datations erronées qu’on retrouve souvent dans les livres de vulgarisation actuels destinés au grand public…], se rendit en Chersonèse et en distribua les terres à mille colons. A la même époque, Tolmidès, l’autre stratège des Athéniens, débarqua en Eubée et distribua pareillement à mille citoyens [texte manque]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.88).


Nous n’avons aucune mention d’une nouvelle expédition militaire pour l’année -452, probablement parce que cette année est occupée tout entière aux préparatifs de la grande expédition de Cimon vers Chypre et l’Egypte. C’est sans doute au retour de Chersonèse, au premier semestre -452 sous le même archontat de Lysicratès, que Périclès impose une réforme judiciaire. Nous avons vu dans notre paragraphe introductif que l’Attique jusqu’alors comptait six mille juges : selon Aristote, Périclès instaure trente juges "préposés aux dèmes/kaloÚmenoi kat¦ d»mouj" ("Sous l’archontat de Lysicratès [de juillet -453 à juin -452] furent institués les trente juges dit “préposés aux dèmes”", Aristote, Constitution d’Athènes 26), qui chapeauteront désormais ces six milles juges de dèmes. On suppose que chacun de ces trente juges représente un trittys, voué à sélectionner et accélérer le traitement des affaires en cours dans les dèmes qui lui sont confiés : d’un côté les grandes affaires touchant au devenir de l’Etat, qu’il prend à sa charge, de l’autre côté les affaires courantes suscitées par les sycophantes et les sophistes, qu’il laisse à la charge des juges de dèmes. Ils achèvent la centralisation de tous les pouvoirs dans les mains du seul Périclès, qui a déjà l’hégémonie dans le domaine militaire après ses succès dans le nord du Péloponnèse en -454 puis en Chersonèse en -453, et l’hégémonie dans le domaine législatif en contrôlant tous les débats dans la Boulè et en orientant malignement toutes les consciences dans l’Ekklesia. Ces trente super-juges serviront de modèles aux dix proboules représentant les trente trittys en -413 suite à l’échec en Sicile, rejoints par vingt autres proboules lors de l’instauration de la dictature des Quatre Cents en -411, puis aux Trente en -404 qui s’opposeront de façon impitoyable et sanglante aux sycophantes et aux sophistes ayant ruiné la démocratie, à une époque où la justice en signifiera plus rien. Parmi les autres faits remarquables de l’année -452/-451, notons encore le rapprochement, et même la fusion, entre la famille des Alcméonides et la famille des Alcibiades. Nous avons vu plus haut que cette année-là, Alcibiade l’Ancien, ostracisé peu avant Cimon en -461, achève sa peine. Il revient à Athènes, où il retrouve son fils aîné Clinias, et il installe dans son domaine de Skambonidès son fils cadet Axiochos et, selon l’hypothèse de l’helléniste Peter James Bicknell, sa jeune parente par alliance Aspasie. Plutarque dit que la relation entre Périclès et sa femme, ex-épouse d’Hipponicos II, devient conflictuelle et s’oriente vers un divorce. Il précise que cette femme anonyme est "de même famille/genos, apparentée" à Périclès, sans autre détail, et que Périclès "la remarie à un autre" tandis que lui-même convole avec Aspasie ("Bien que sa femme [à Périclès], qui lui était apparentée ["pros»kousa kat£ gšnoj"], et qui avait épousé en premières noces le riche Hipponicos II dont elle avait eu Callias III, eût donné à Périclès deux fils : Xanthippos et Paralos, ils s’inspirèrent réciproquement un tel dégoût qu’il la maria de gré à un autre et lui-même épousa Aspasie", Plutarque, Vie de Périclès 24). Les hellénistes se partagent en deux camps. Les premiers affirment que cette femme anonyme est Deinomachè, dans ce cas "l’autre" est Clinias, respectivement mère et père du futur Alcibiade le jeune. Les seconds affirment qu’elle est simplement une sœur de Deinomachè. Peu importe. Dans les deux cas, cette femme et Périclès avant être mariés étaient cousins puisqu’ils avaient Hippocratès comme grand-père commun ("[Alcibiade] était Alcméonide par sa mère Deinomachè, fille de Mégaclès IV", Plutarque, Vie d’Alcibiade 1). On voit sur l’arbre généalogique que Périclès, qui est l’oncle par alliance de Callias III (fils de la femme anonyme dont Périclès vient de divorcer et d’Hipponicos II), est aussi l’oncle par alliance d’Alcibiade le jeune (fils de Dinomachè, identifiée ou apparentée à cette femme anonyme dont Périclès vient de divorcer, et de Clinias), autrement Alcibiade le jeune et Callias III sont cousins, ce qui explique la relation bizarre, à la fois complice et rivale, qu’ils entretiendront à l’âge adulte. On note que le mariage entre Deinomachè et Clinias crée un cousinage par alliance entre Clinias et Périclès (apparenté à Deinomachè), et que la relation naissante entre Périclès et Aspasie double ce cousinage avec Clinias puisque, toujours selon l’hypothèse de l’helléniste Peter James Bicknell, Aspasie est apparentée à Axiochos le frère cadet de Clinias. En -451, Cimon réintègre pleinement le corps social athénien puisque les dix ans de sa peine d’ostracisme, réduite de moitié en -456, sont révolus. Cela indispose Périclès, qui voit en Cimon un danger potentiel contre sa propre domination sur Athènes. Périclès trouve la parade en réactualisant par un décret une vieille loi de Solon sur la citoyenneté (rapportée par Aristophane ["Voici la loi de Solon : “Le bâtard n’a aucun droit de proche parenté quand existent des enfants légitimes. Si aucun enfant légitime n’existe, c’est aux plus proches collatéraux que seront dévolus les biens”", Aristophane, Les oiseaux 1660-1665] et par Plutarque ["Selon Héraclite du Pont, la loi la plus dure [de Solon] était celle qui dispensait les enfants nés hors mariage de nourrir leur père. Solon estimait que celui qui s’attache à une femme en dehors du cadre sacré du mariage, prouve qu’il préfère la volupté à la paternité, il est donc puni en étant privé de tout droit sur ses bâtards que lui-même a privé d’une naissance digne", Plutarque, Vie de Solon 22]). Ce décret de -451 réserve la citoyenneté aux seuls hommes nés de père athénien et de mère athénienne ("Sous Antidotos [archonte de juillet -451 à juin -450], à cause du nombre croissant des citoyens et sur la proposition de Périclès, on décida de ne pas laisser jouir de droits politiques quiconque ne serait pas né de deux citoyens", Aristote, Constitution d’Athènes 26 ; "Périclès jouissait depuis longtemps de la plus grande autorité et avait des fils légitimes, il avait donc décrété que l’accession à la citoyenneté athénienne serait réservée à ceux nés de père et de mère athéniens", Plutarque, Vie de Périclès 37). Il vise directement Cimon, qui se trouve ainsi exclu de la vie citoyenne athénienne puisque sa mère Hégésipylé fille d’Oloros était Thrace et non pas Athénienne. Il vise aussi l’entourage de Cimon, notamment Thoukydidès, qui prendra la tête des opposants à Périclès après la mort de Cimon en -449. Selon l’usage paponymique antique, un lien existe entre Thoukydidès le chef politique, qui est déjà vieux en -451 puisque Aristophane dit qu’il est "tout courbé par l’âge" (Aristophane, Les Acharniens 702) lors de son procès vers -443, et son homonyme Thucydide le célèbre historien auteur de la Guerre du Péloponnèse, celui-là étant certainement le grand-père de celui-ci, or on sait que le père de Thucydide l’historien se nomme "Oloros" comme naguère le père d’Hégésipylé : toujours selon l’usage paponymique antique, on déduit que le père de Thucydide l’historien est le petit-fils du Thrace Oloros père d’Hégésipylé (nous reviendrons plus longuement sur ces liens de parenté dans notre paragraphe sur la paix de Trente Ans), autrement dit le décret sur la citoyenneté de -451 exclut du corps athénien non seulement Cimon, mais encore ses enfants, ses cousins, ses parents par alliance originaires de Thrace.


En été -450, l’immense flotte de deux cents navires commandées par Cimon quitte Le Pirée et se dirige vers l’est. Une partie débarque sur l’île de Chypre et commence le siège de Kition ("Euthydèmos [en réalité Euthynos] étant archonte d’Athènes [en -450/-449], les Romains nommèrent consuls Lucius Quintius Cincinnatus et Marcus Fabius Vibulanus. A cette époque/™pi de toÚtwn, les Athéniens ayant aidé les Egyptiens à combattre les Perses et ayant perdu tous leurs navires dans l’île de Prosopitis [en -465 ; nouveau rappel des événements des années antérieures par Diodore de Sicile, qui occasionne des confusions chronologiques chez les hellénistes modernes…], résolurent après un temps [après quinze ans en fait, entre -465 et -450…] de reprendre la guerre contre les Perses en aidant les Grecs d’Asie [plus précisément les Grecs de Chypre]. Ils équipèrent une flotte de deux cents trières et ordonnèrent au stratège Cimon fils de Miltiade de faire voile pour l’île de Chypre et d’attaquer les Perses", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.3). L’autre partie va vers l’Egypte aider Amyrtée, l’héritier de la couronne perse ayant combattu aux côtés d’Inaros entre -471 et -465 (sur ce personnage, nous renvoyons à notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse : "Trois années s’écoulèrent [après l’expédition de Périclès dans le nord du Péloponnèse et en Acarnanie en -455/-454]. Une trêve de cinq ans ayant été conclue entre Spartiates et Athéniens [en -454], Athènes débarrassée de toute guerre en Grèce envoya [en -451/-450] contre Chypre une flotte de deux cents navires athéniens et alliés sous le commandement de Cimon. Soixante de ces navires cinglèrent vers la basse Egypte sur la demande du roi Amyrtée, les autres assiégèrent Kition", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.112 ; on note que Thucydide mentionne cette expédition de -450 au chapitre 112 livre I de sa Guerre du Péloponnèse, après avoir énuméré les événements des années -456 à -450 au paragraphe 111, c’est-à-dire qu’il distingue nettement la première expédition en Egypte des années -471 à -465 évoquée aux paragraphes 109-110 et la seconde expédition de -450 dans ce paragraphe 112, contrairement à beaucoup de livres de vulgarisation actuels destinés au grand public qui continuent à tort de confondre ces deux campagnes en une seule). Sur mer, Cimon est confronté à Mégabyze le jeune, qui a dirigé la reprise en main de l’Egypte contre Inaros jusqu’en -465, qui s’est embrouillé ensuite avec Artaxerxès Ier avant de se réconcilier avec lui on-ne-sait-quand (nous renvoyons ici à notre second paragraphe sur la guerre contre la Perse). Mégabyze le jeune est assisté d’Artabaze, apparenté à Artaxerxès Ier, ex-commandant du contingent des Parthes et des Chorasmiens lors de l’invasion de la Grèce en -480, ex-escorte de Xerxès Ier en fuite vers l’Hellespont après la bataille de Salamine, qui, revenu en Béotie, a vainement tenté de dissuader Mardonios d’engager le combat à Platées en -479, puis a conduit les maigres troupes perses survivantes au pas de course à travers la Thessalie et la Thrace vers l’Asie après la victoire des Grecs, puis ex-satrape de Phrygie hellespontique en-478 durant la régence du Spartiate Pausanias, puis lieutenant de Mégabyze le jeune dans la reprise en mains de l’Egypte en -465 (nous renvoyons ici encore à nos deux paragraphes sur la guerre contre la Perse). Une bataille navale a lieu, Cimon sort vainqueur et poursuit les reste de la flotte perse jusqu’aux côtes phéniciennes, puis revient vers Chypre ("Artabaze et Mégabyze le jeune étaient à la tête des Perses. Artabaze, commandant en chef, stationnait dans les eaux de Chypre avec trois cents trières. Mégabyze le jeune s’était positionné en Cilicie, il avait sous ses ordres trois cent mille fantassins. Cimon, maître de la mer, atteignit l’île de Chypre, il assiégea Kitium et Marion et traita les vaincus avec générosité. Puis, informé de l’arrivée des trières de Cilicie et de Phénicie au secours de l’île, Cimon alla les attaquer en haute mer. Il coula à fond un grand nombre de ces bâtiments, en captura une centaine avec leur équipage, et poursuivit les autres jusqu’à la Phénicie. Les Perses échappés sur les restes de leur flotte parvinrent à se réfugier à terre au camp de Mégabyze le jeune. Mais les Athéniens s’approchèrent de la côte, débarquèrent et livrèrent un combat au cours duquel le stratège Anaxicratès périt héroïquement après s’être défendu avec éclat. Les Athéniens furent vainqueurs. Après avoir tué un grand nombre d’ennemis, ils remontèrent sur leurs navères et revinrent dans les eaux de Chypre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.3 ; "[Cimon] envoya une soixantaine de ses navires vers l’Egypte, et il se dirigea avec le reste de sa flotte vers la Pamphylie, où il battit celle du Grand Roi composée de bâtiments phéniciens et ciliciens. Puis il se rendit maître de toutes les cités de Chypre", Plutarque, Vie de Cimon 27). Cimon entame le siège de Salamine de Chypre, parallèlement au siège de Kition qui continue ("Pédieus étant archonte d’Athènes [en -449/-448], les Romains nommèrent consuls Marcus Valerius Lactuca et Spurius Virginius Tricostus. A cette époque/™pi de toÚtwn, Cimon, stratège des Athéniens et maître de la mer, soumit les cités de l’île de Chypre. Une grosse garnison perse stationnait dans les murs de Salamine, la même ville renfermait un grand nombre d’armes de toutes sortes, des provisions et des munitions. Cimon jugea pertinent de l’assiéger, convaincu que cela rendrait plus facile la conquête de toute l’île de Chypre et frapperait de terreur les Perses qui, impuissants à secourir les Salaminiens et à arracher aux Athéniens la maîtrise de la mer, seraient méprisés et abandonnés par leurs alliés, et que la soumission complète de Chypre déciderait de toute la guerre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.4).


Mais l’entreprise tourne court. En -449, Cimon meurt de maladie, sur son navire selon Diodore de Sicile ("Cimon mourut de maladie pendant qu’il stationnait dans les eaux de Chypre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.4), sur terre devant les remparts de Kition selon Plutarque et Cornélius Népos ("[Cimon] mourut au siège de Kitium à Chypre, de maladie selon la majorité des historiens, ou selon certains d’une blessure reçue en combattant contre les barbares", Plutarque, Vie de Cimon 28 ;"[Cimon] fut envoyé contre l’île de Chypre avec deux cents navires. Il en avait déjà conquis la plus grande partie, quand il tomba malade et mourut dans la cité de Kition", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines V.3). Agonisant, il a demandé que la diffusion de la nouvelle de sa mort soit limitée, afin de donner à l’armée le temps de retourner en sécurité à Athènes ("En mourant, il ordonna à ses capitaines de ramener sur-le-champ la flotte à Athènes, et de cacher sa mort à tout le monde. Ils exécutèrent cet ordre si secrètement que ni les ennemis ni les alliés ne surent sa mort et, selon Phanodèmos, que la flotte ‟rentra en sûreté dans les ports de l’Attique après trente jours de navigation commandée par un fantôme”", Plutarque, Vie de Cimon 28). Plutarque rapporte que le contingent envoyé en Egypte va consulter l’oracle d’Ammon à Siwah, et que celui-ci répond énigmatiquement que Cimon "est près du dieu [Ammon]" et que les Athéniens doivent rebrousser chemin : s’agit-il d’une menace signifiant aux Athéniens qu’ils trouveront la mort comme Cimon s’ils demeurent en Egypte ? s’agit-il d’une flatterie leur suggérant que l’Egypte et Athènes sont alliées et que, les Egyptiens étant bien inspirés par le génie militaire de Cimon, ils peuvent repousser les Perses sans l’aide effective des Athéniens ? s’agit-il d’un message crypté de l’oracle qui, informé on-ne-sait-comment de la mort récente de Cimon à Chypre et désireux de taire la nouvelle aux Perses qui occupent Siwah, recourt à ce moyen pour inciter les Athéniens à partir au plus vite parce qu’ils n’ont plus de stratège et sont désormais seuls face aux Perses ? Mystère ("[Cimon] envoya des personnes sûres au temple d’Ammon, pour y consulter le dieu sur on-ne-sait-quoi. Le dieu ne rendit pas d’oracle : dès que les envoyés entrèrent dans le temple, il leur ordonna de repartir ‟parce que Cimon était déjà près de lui”. Les envoyés reprirent la mer, et quand ils arrivèrent au camp des Grecs sur la côte égyptienne ils apprirent la mort de Cimon. Quand ils découvrirent que le jour de sa mort coïncidait avec le jour où le dieu leur avait parlé, ils comprirent que l’oracle, en leur déclarant énigmatiquement que ‟Cimon était déjà près du dieu”, les avait simplement informés de son décès", Plutarque, Vie de Cimon 27). Les sièges de Kition et de Salamine de Chypre sont levés. Les deux flottes en provenance de Chypre et d’Egypte retournent vers Athènes ("Mais Cimon mourut. La famine survint. Les assiégeants se retirèrent de Kition. Ils avaient déjà dépassé Salamine de Chypre quand les Phéniciens, les Chypriotes et les Ciliciens les attaquèrent sur mer et sur le rivage. Victorieux dans ces deux combats, ils retournèrent chez eux, suivis par les navires qui revenaient d’Egypte", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.112). Notons que ce repli des Athéniens en -449 n’entame pas les bonnes relations entre Athènes et l’Egypte d’Amyrtée puisqu’un scholiaste anonyme, pour expliquer les vers 715-718 de la comédie Les guêpes d’Aristophane ("Mais quand ils ont peur pour eux-mêmes, ils [les gouvernants athéniens] vous offrent l’Eubée et promettent de vous fournir du blé, cinquante médimnes à chacun, eux qui ne t’ont jamais donné que cinq médimnes naguère, et encore ne les as-tu reçus qu’à grand’peine, en te justifiant de l’accusation d’être étranger, une chénice à la fois, une chénice d’orge !"), dit que sous l’archontat de Lysimachidès en -445/-444 le prétendant au trône d’Egypte, probablement Amyrtée ou son héritier, offre à Athènes quelques milliers de médimnes de blé, sans doute dans l’espoir d’inciter Athènes à relancer une nouvelle expédition vers l’Egypte.


Périclès s’empresse de proposer à Artaxerxès Ier le renouvellement de la paix que Callias II avait conclue en -470 au lendemain de la double victoire de l’Eurymédon. Artaxerxès Ier, qui vient de perdre une partie de sa flotte et d’échapper à un nouveau soulèvement de l’Egypte, répond vite à la proposition de Périclès. Diodore de Sicile place ces brèves négociations sous l’archontat de Pédieus en -449/-448, qu’il raconte au paragraphe 4 livre XII de sa Bibliothèque historique, mais il embrouille encore son lecteur en confondant cette délégation de -449 avec celle de -470 conduite par Callias II ("Informé des échecs que les Perses avaient éprouvés autour de Chypre, et ayant pris conseil auprès de ses amis, le Grand Roi Artaxerxès Ier jugea prudent de conclure la paix avec les Grecs. Il écrivit à ses commandants et à ses satrapes réunis autour de Chypre de traiter avec les Grecs aux meilleures conditions possibles. Artabaze et Mégabyze le jeune envoyèrent donc à Athènes des députés chargés de négocier la paix. Les Athéniens accueillirent les propositions qu’on leur présenta, et ils envoyèrent à leur tour une députation dirigée par Callias II fils d’Hipponicos I. La paix fut conclue entre les Athéniens, inclus leurs alliés, et les Perses, selon les conditions suivantes : “Toutes les cités grecques de l’Asie se gouverneront d’après leurs propres lois, les satrapes perses ne descendront pas avec leurs troupes à moins de trois journées de marche des côtes maritimes, et aucun de leurs navires longs ne naviguera entre Phasélis et les Cyanées”. Ces conditions ayant été acceptées par le Grand Roi et ses généraux, les Athéniens s’engagèrent de leur côté à ne pas porter les armes dans le pays soumis au Grand Roi Artaxerxès Ier", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.4). En effet, selon Andocide, qui est un contemporain des faits, donc un témoin plus crédible que Diodore de Sicile qui écrit quatre siècles plus tard, le négociateur de cette paix de -449 est un nommé "Epilycos fils de Tisandros", qu’il présente comme son oncle ("Epilycos fils de Tisandros était mon oncle, frère de ma mère. Il mourut en Sicile. N’ayant pas d’enfant mâle, il laissa deux filles, qui nous revinrent à Léagros et à moi", Andocide, Sur les Mystères 117 ; "[Nous signâmes] une trêve avec le Grand Roi, lui ayant déclaré notre amitié pour toujours par le traité que nous ménagea Epilycos, fils de Tisandros et frère de ma mère", Andocide, Sur la paix avec les Spartiates 29). Or, dans notre paragraphe introductif, nous avons vu que le nom "Tisandros" était aussi celui du père d’Isagoras archonte en -508/-507 et rival de l’Alcméonide Clisthène d’Athènes, et celui du père d’Hippoclidès rival de l’Alcméonide Mégaclès II au mariage d’Agaristé fille de Clisthène de Sicyone dans la première moitié du VIème siècle av. J.-C. Nous avons vu aussi que des liens de parenté existent très probablement entre Isagoras, Hippoclidès et la famille des Miltiatides, même si les détails de ces liens sont sujets à toutes les conjectures. On déduit, toujours selon l’usage paponymique antique, qu’Epilycos "fils de Tisandros" et son neveu Andocide sont apparentés à Cimon fils de Miltiade, peu importe à quel degré. Cela est cohérent avec l’intelligence politique de Périclès qui, désormais débarrassé de son rival Cimon, laisse le dérisoire honneur de signer le renouvellement de la paix avec la Perse à un membre des Miltiatides de moindre importance, en l’occurrence Epilycos, qui apparaît par ailleurs comme un héritier naturel de Callias II l’ancien négociateur de -470 puisque Callias II était le beau-frère de Cimon. Peut-être que cet "Epilycos fils de Tisandros" négociateur de la paix de -449 avec la Perse, est le même qu’"Epilycos" archonte polémarque (chef de l’armée athénienne à l’ère des Ages obscurs, cette fonction est tombée progressivement en désuétude et est devenue purement honorifique au Vème siècle av. J.-C., comme nous l’avons vu dans notre premier paragraphe sur la guerre contre la Perse : en -490, lors de la bataille de Marathon, le chef de l’armée athénienne était théoriquement l’archonte polémarque Callimachos, mais dans les faits Callimachos était aux ordres de Miltiade) mentionné incidemment par Aristote, qui restaure et embellit le polémarcheion à une date indéterminée et lui donne son nom ("L’[archonte] roi occupait l’édifice appelé aujourd’hui “Boukoleion” près du Prytanée […], l’archonte [éponyme] se tenait au Prytanée, et l’[archonte] polémarque se tenait à l’Epilykeion, appelé d’abord “Polémarcheion” puis “Epilykeion” depuis sa reconstruction et son aménagement par le polémarque Epilycos", Aristote, Constitution d’Athènes 3). Il est peut-être aussi le grand-père de la future épouse de Xanthippos l’aîné des fils de Périclès, que Plutarque présente comme "fille de Tisandros et petite-fille d’Epilycos" ("Xanthippos, l’aîné des fils [de Périclès], qui aimait naturellement la dépense, était marié à une jeune femme, fille de Tisandros et petite-fille d’Epilycos, laquelle avait le même goût que lui", Plutarque, Vie de Périclès 36), via un lien familial obscur puisqu’Andocide (au paragraphe 117 précité de son discours Sur les Mystères) dit bien que son oncle Epilycos fils de Tisandros mourra "sans enfant mâle", autrement le "Tisandros père de l’épouse de Xanthippos" mentionné par Plutarque n’est pas un fils d’Epilycos fils de Tisandros mais peut-être un gendre (fils par alliance) ou un neveu (fils par adoption).


La volonté de Périclès de signer la paix avec la Perse est motivée par son absence de griefs à l’encontre du lointain Artaxerxès Ier et par le décès de son rival politique Cimon à Chypre. Elle est motivée également par des dangers plus immédiats. D’abord Sparte a réussi à prolonger de trente ans la paix avec sa rivale séculaire Argos. Dans notre premier paragraphe sur la guerre contre la Perse, nous avons vu qu’Argos a perdu la majorité de sa population mâle, massacrée par le roi spartiate Cléomène Ier vers -485, au point de réclamer à Sparte une paix de trente ans pour se donner le temps d’élever une nouvelle génération de soldats ("[Les Argiens] avaient récemment perdu six mille hommes en combattant les Spartiates conduits par Cléomène Ier fils d’Anaxandride II. […] Quand les envoyés des Grecs vinrent dans Argos [à une date inconnue entre -485 et -481, pour réclamer de l’aide contre l’invasion imminente des Perses], ils furent admis à présenter leur requête devant la Boulè, qui leur répondit que les Argiens étaient prêts à leur accorder une aide à condition qu’une trêve de trente ans fût signée avec Sparte. […]. [Les Argiens] souhaitaient vivement conclure une trêve de trente ans pour donner à leurs fils le temps d’arriver à l’âge d’homme, craignant sans cette trêve de tomber pour toujours au pouvoir des Spartiates en cas de défaite des Perses", Hérodote, Histoire VII.148-149). Nous sommes certains que cette paix de trente ans entre Sparte et Argos a été signée vers -480, et qu’elle a été possible grâce au renoncement d’Argos sur le territoire de Cynurie âprement disputé par les deux cités depuis l’ère mycénienne, puisque Thucydide nous dit incidemment qu’elle est renouvelée pour encore trente ans vers -450 et que le terme de ce renouvellement "arrive à expiration" précisément en hiver -422/-421, et est l’une des principales causes de l’acceptation de la paix de Nicias en -421 par les Spartiates, qui redoutent alors une guerre sur deux fronts contre Athènes et contre Argos ("Le traité de paix conclu pour trente ans entre Argos et Sparte [vers -450] arrivait à expiration et les Argiens refusaient de le prolonger s’ils n’obtenaient pas la Cynurie, or les Spartiates [en hiver -422/-421] se jugeaient hors d’état de soutenir une guerre à la fois contre les Argiens et contre les Athéniens et ils soupçonnaient que certaines cités péloponnésiennes se préparaient à passer dans le camp d’Argos", Thucydide, Guerre du Péloponnèse V.14). En conséquence, les Spartiates en -449 ne craignent plus d’être attaqués dans le dos par Argos pendant qu’ils reprendront la guerre contre Athènes. Par ailleurs, la trêve de cinq ans avec Athènes négociée en -454 entre eux et Cimon arrive à son terme, ils ne sont donc plus tenus de maintenir la paix avec les Athéniens par un accord diplomatique, surtout depuis le décès récent de Cimon à Chypre. Comme en -461, plus aucune personnalité de la trempe de Cimon n’existe à Athènes pour empêcher Athéniens et Spartiates de reprendre les armes les uns contre les autres. Des deux côtés on mobilise à nouveau.


  

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