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© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Acte III : Sophocle

Parodos

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte I : Origines

En Anatolie

En Egypte

En mer Egée

  

Des nouveaux peuples

En Egypte


Dans notre paragraphe introductif, nous avons vu que le nom du roi hyksos "Khyan" (ou "hy3n" en égyptien, alias "Iannas/Iann£j" en grec dans le paragraphe 81 livre I du Contre Apion précité de Flavius Josèphe) est peut-être une corruption du sémitique "Hayani", repris à l’un des premiers rois d’Assur évoqués au début de la Chronique royale assyrienne. L’historicité de ce roi sémitique hyksos Khyan est bien attestée par plusieurs artefacts : son nom apparaît sur un fragment d’architecture à Gebelein (site archéologique à une quarantaine de kilomètres au sud de Ta-Opet/Thèbes en Egypte), sur une statue de personnage assis retrouvée à Boubastis ("BoÚbastij" en grec, traduction de "Per-Bast/Maison-de-Bastet" en égyptien, aujourd’hui le site archéologique de tell Basta près de Zagazig en Egypte ; conservée aujourd’hui au Musée égyptien du Caire sous la référence CG 389), sur une statue de lion en granit retrouvée à Bagdad (conservée aujourd’hui au British Museum de Londres en Grande-Bretagne sous la référence BM EA987), sur un couvercle de vase d’albâtre retrouvé à Cnossos sur l’île de Crète (portant la mention hiéroglyphique "ntr nfr swsrnrç, ms rç, hy3n/dieu bon Suserenrê [littéralement "Ra-l’a-fortifié", un des surnoms de Khyan], fils de Ra, Khyan", conservé aujourd’hui au Musée archéologique d’Héraklion sous la référence L 263), sur un fragment de vase en diorite retrouvé à Hattusa/Bogasköy (portant la même mention hiéroglyphique que sur le couvercle de vase de Cnossos, conservé aujourd’hui au Musée archéologique d’Ankara en Turquie sous la référence 19.513), et sur plusieurs sceaux-scarabées retrouvés au Levant (dont celui photographié par Flinders Petrie sur la planche XXI de son monumental Scarabs and cylinders with names de 1917, et celui conservé au Metropolitan Museum of Art de New York aux Etats-Unis sous la référence 30.8.457). Mais quelles conclusions tirer de ces objets ? Leur éparpillement géographique est-il postérieur au règne de Khyan, ou contemporain ? Dans le second cas, doit-on supposer que Khyan est si puissant que les commerçants sont fiers d’emporter des babioles portant son nom jusqu’en mer Egée et en Mésopotamie, ou au contraire si faible qu’il est contraint d’offrir des statues d’apparât aux lointains Babyloniens et des vases précieux aux lointains Crétois pour tenter de s’en faire des alliés contre les Egyptiens de la XVIIème Dynastie de plus en plus menaçants ? La date même de son règne alimente toujours les disputes entre égyptologues. Les uns, s’appuyant sur la chronologie reconstituée de l’Egyptiaca de Manéthon, qui place Khyan avant Apopi, pensent que Khyan est le dernier roi hyksos à avoir régné jusqu’à sa mort à Avaris, capitale de la XVème Dynastie dans le delta du Nil (aujourd’hui le site archéologique de tell el-Daba, à mi-chemin entre les villes modernes du Caire et de Port-Saïd en Egypte), avant que son successeur Apopi soit chassé d’Egypte par Ahmosis : les objets retrouvés en mer Egée et en Mésopotamie seraient ainsi les dernières preuves de la grandeur royale hyksos avant sa chute. Les autres, s’appuyant sur les paragraphes 80-81 livre I du Contre Apion précité de Flavius Josèphe, qui placent Khyan/Iann£j après Apopi/Apwfij, pensent au contraire que Khyan est le premier roi hyksos à régner au Levant, après la prise d’Avaris par Ahmosis et l’éjection des hyksos d’Egypte sous le règne d’Apopi précédent : les objets retrouvés en mer Egée et en Mésopotamie seraient ainsi les premières preuves d’une intense activité diplomatique du roi Khyan dépouillé de ses terres égyptiennes, vivant en exil au sud-Levant, visant à attirer leurs destinataires dans une reconquête du delta du Nil. Pour notre part, nous inclinons fortement vers la version de Manéthon. Nous avons vu dans notre paragraphe introductif que des fouilles récentes à Edfou (nom arabe moderne de l’antique "Behdet" en égyptien, à une centaine de kilomètres en amont de Ta-Opet/Thèbes) ont révélé une salle scellée par les empreintes conjointes du pharaon Sobekhotep IV de la XIIIème Dynastie et du pharaon Khyan de la XVème Dynastie, trahissant une alliance entre les deux Dynasties ou une tentative de récupération de l’influence de l’une par l’autre, or une telle tentative ou une telle alliance est impossible après l’expulsion des hyksos d’Egypte sous le règne d’Apopi par Ahmosis, qui consacre la mainmise définitive de la XVIIIème Dynastie sur toute l’Egypte, donc indirectement la fin de la XIIIème Dynastie.


La mythologie égyptienne garde peut-être la mémoire de la fin des hyksos, notamment à travers l’histoire d’Osiris. Ce personnage divin est très ancien, très antérieur à l’époque des hyksos puisqu’on le trouve dans les textes et les artefacts des premières Dynasties. Ceux-ci racontent qu’Osiris, dieu de l’agriculture et roi d’Egypte, doit se défendre contre les intrigues de son frère Typhon. Un jour, Typhon tue Osiris avec la complicité d’Ethiopiens, et prend le pouvoir. Mais Isis, en même temps sœur et épouse d’Osiris - donc sœur aussi de Typhon -, récupère le royal corps de son défunt mari enfermé dans un coffre et le divinise, réduisant ainsi à rien le pouvoir de Typhon, qui est finalement chassé. Comme Plutarque, nous acceptons volontiers de voir dans ce récit ancien une fable traduisant poétiquement le cycle agricole naturel dans la vallée du Nil. Contre l’agriculteur Osiris, Typhon incarne le khamsin, vent saharien violent et brûlant qui tourmente l’Egypte chaque printemps et stérilise les récoltes. La complicité "éthiopienne" renvoie au limon rouge d’Ethiopie charrié par le Nil, qui colle tout quand il est humide, et qui durcit tout quand il est sec, en résumé qui rend pénible le travail de la terre. La divinisation d’Osiris par sa sœur-épouse Isis équivaut à une renaissance, une promesse de nouvelles bonnes récoltes après les épreuves du khamsin saharien et du limon rouge éthiopien ("Les embûches dressées par Typhon et sa tyrannie ne représentent rien d’autre chose que l’intensité de la sécheresse qui neutralise et absorbe l’eau à la source du Nil, empêchant sa crue. La reine éthiopienne qui vient en aide à Typhon est une allégorie des vents du sud, en provenance d’Ethiopie : quand ces vents sont plus forts que ceux de l’été, qui les repoussent vers l’Ethiopie, quand ils empêchent les déluges de pluies assurant le grossissement du Nil, alors Typhon est le maître, il brûle tout, il domine totalement le Nil qui coule faiblement et se resserre en un filet d’eau caché au fond de la terre, un ruisseau que Typhon pousse vers la mer. Le corps d’Osiris enfermé dans le coffre est à l’image de l’abaissement des eaux du Nil et de leur disparition. Et si on dit qu’Osiris disparut au mois d’athyr [mois du calendrier égyptien correspondant à septembre-octobre dans le calendrier chrétien, dérivé de la déesse égyptienne de l’amour et de la fertilité "Hathor"], parce qu’à cette saison les vents étésiens ne soufflent plus, le Nil se retire et laisse les terres à découvert", Plutarque, Sur Isis et Osiris 39). Mais sur ce substrat originel on peut penser que des éléments nouveaux sont venus se greffer à l’ère mycénienne. Rappelons-en les grandes lignes, d’après les auteurs des ères hellénistique et impériale. Selon Diodore de Sicile, Osiris se rattache au monde sémitique par ses parents, qui ne seraient pas la déesse égyptienne du ciel Nout et le dieu égyptien de la terre Geb, mais Kronos et sa sœur-épouse Rhéa, fils et fille de leurs équivalents inversés sémitiques Ouranos (hellénisation du Mésopotamien "Ili-Anu/Elion" selon notre hypothèse plusieurs fois exposée) et Gaïa. Le même auteur rappelle également l’équivalence entre l’Egyptienne Isis et la Sémitique Déméter, pareillement liées à la fertilité et à l’agriculture. Il associe Osiris et Isis à la pratique sémitique du sacrifice des prémices : au moment de la moisson, la première gerbe de blé est offerte solennellement au couple royal, pour le remercier d’avoir favorisé une bonne production et attirer les mêmes faveurs pour la production suivante. Il précise enfin que le royaume d’Osiris est très étendu : il ne se limite pas à la seule vallée du Nil, il déborde aussi sur les actuelles côtes de Libye et sur le Levant, ce qui contraint Osiris à des déplacements fréquents et distendus. Ces nombreux voyages, ajoutés à sa nature agricole, contribuent à confondre Osiris avec le Sémitique Dionysos fils de l’Atlante Ammon qui régnait anciennement en Tunisie et en Libye, ou avec le Sémitique Dionysos fils de Sémélé beaucoup plus tardif (Diodore de Sicile, nous l’avons longuement cité dans notre paragraphe introductif, insiste bien sur la nécessité de distinguer nettement ces deux Dionysos et Osiris, surnommé "Dionysos" par comparaison populaire avec ces deux personnages : "Kronos épousa sa sœur Rhéa. Selon certains mythologues ils eurent Osiris et Isis, mais la majorité dit qu’ils eurent Zeus et Héra, qui par leurs vertus étendirent leur empire au monde entier. De ceux-ci naquirent cinq dieux qui coïncident avec les cinq jours intercalaires du calendrier égyptien : Osiris, Isis, Typhon, Apollon et Aphrodite. Osiris correspond à Dionysos, et Isis à Déméter. Osiris épousa Isis, puis succéda à son père en comblant le monde de ses bienfaits. […] Isis découvrit le froment et l’orge, qui croissaient jusqu’alors inconnus au milieu des autres plantes. Osiris inventa la culture de ces céréales. Cette pratique bénéfique, en apportant aux hommes une nourriture nouvelle et agréable, les amena à abandonner leurs mœurs sauvages. Pour consacrer le souvenir de cette découverte, on instaura une pratique toujours usitée aujourd’hui : au moment de la moisson, les premiers épis sont donnés en offrande tandis que ceux qui battent le blé invoquent Isis […]. Osiris amoureux de l’agriculture avait été élevé à Nysa, cité de l’Arabie heureuse voisine de l’Egypte où cet art était honnoré. C’est du nom de cette cité, associé à celui de son père Zeus, que les Grecs l’ont surnommé “Dionysos”. Le poète [Homère] mentionne Nysa dans un de ses hymnes : “Nysa assise sur une colline verdoyante, loin de la Phénicie et près des fleuves de l’Egypte [citation extraite d’un hymne non conservé]”. On dit qu’il découvrit la vigne sur le territoire de Nysa, et qu’après en avoir travaillé le fruit il fut le premier à boire du vin, il apprit aux hommes la culture de la vigne, l’usage du vin, sa préparation et sa conservation", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.13-15 ; "Les Egyptiens prétendent que le dieu qui porte chez eux le nom d’Osiris, est le Dionysos des Grecs. Selon leur mythologie, ce dieu a parcouru toute la terre et enseigné aux hommes à cultiver la vigne. En reconnaissance de ce bienfait, il a reçu finalement l’immortalité", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.1). Plutarque, dans son petit essai Sur Isis et Osiris, dit la même chose ("En montant sur le trône, Osiris sortit les Egyptiens de leur existence de privations et de bêtes sauvages : il leur montra comment se procurer les fruits, il leur donna des lois, et leur apprit à honorer des dieux. Plus tard il parcourut le monde entier, y portant les bienfaits de la civilisation. Il recourut très rarement aux armes, car il persuadait souvent les hommes par la persuasion ou par la raison, en y joignant l’attrait des chants et de toutes sortes d’harmonies. C’est pour cela que les Grecs le confondent avec Dionysos", Plutarque, Sur Isis et Osiris 13), puis il développe. Selon Plutarque, Typhon aidé de ses complices éthiopiens capture son frère Osiris et l’enferme dans un coffre hermétique, qui est ensuite jeté dans la branche tanitique du Nil, c’est-à-dire la deuxième branche à partir de l’est, voisine de celle dite "pélusiaque" ou "boubastide" sur laquelle s’est développée Avaris la capitale des Sémites hyksos ("Typhon ne parvint pas à agir durant l’absence d’Osiris, car Isis exerça une surveillance active et maintint vigoureusement les choses en état. Mais au retour d’Osiris, il tendit à celui-ci un piège aidé par soixante-douze complices et une reine d’Ethiopie nommée Aso, qui se rendit en Egypte. Ayant pris secrètement les mesures du corps d’Osiris, Typhon fit construire un coffre très beau et orné très richement de dimensions équivalentes. Le meuble, apporté dans la salle du festin, provoqua joie et admiration. Typhon promit en plaisantant qu’il l’offrirait à celui qui le remplirait totalement en s’y couchant. Tous essayèrent le coffre les uns après les autres, personne ne fut à sa taille. Osiris y entra à son tour, et s’y étendit. Aussitôt tous les comploteurs présents s’élancèrent et fermèrent précipitamment le couvercle, les uns en le clouant à l’extérieur, les autres en le scellant avec du plomb fondu. On le porta ensuite au fleuve, et on le fit descendre vers la mer par la branche tanitique, qui depuis est exécrée par les Egyptiens et surnommée “la Maudite”. On dit que ces événements se passèrent le dix-sept du mois d’athyr, qui est celui où le Soleil passe par le signe du Scorpion, dans la vingt-huitième année du règne d’Osiris, mais certains pensent que ce nombre d’années renvoie à la durée de sa vie plutôt qu’à la durée de son règne", Plutarque, Sur Isis et Osiris 13). Le coffre dérive vers la mer, puis il est porté par le courant marin du sud, il suit le long de la côte levantine, et échoue près de Byblos. Il demeure là longtemps, peu à peu enveloppé par la végétation. On ignore si Osiris a été tué avant d’être enfermé, ou s’il est mort par asphyxie ou par inanition après avoir été enfermé, ou s’il meurt plus tard à Byblos en exil après avoir été libéré et soigné par les habitants. Dans ce dernier cas le coffre entouré par la végétation pourrait n’être qu’une image poétique d’Osiris miraculeusement échappé de l’épreuve, entouré par les gens de Byblos venus l’aider : souvenons-nous que dans l’Antiquité le Levant n’est pas une terre nue et aride mais une gigantesque forêt similaire à celle du Canada de l’an 2000. Nous n’avons aucune raison de douter que ce coffre où est enfermé Osiris, était dans le récit originel un simple cercueil, ou, pour reprendre l’explication mythologique ancienne (rapportée par Plutarque dans le paragraphe 39 précité de son Sur Isis et Osiris), la traduction iconographique de l’abaissement saisonnier des eaux du Nil. Mais sur cette iconographie ancienne ont été greffés des éléments indiscutablement sémitiques. Le coffre voyageur évoqué par Plutarque ressemble davantage à une arche qu’à un cercueil, il rappelle les récits sémitiques de Gilgamesh, de Sargon d’Akkad, de Noé, de Deucalion, de Persée : la grande différence est que ces personnages après avoir erré sur les flots réussissent tous à se sauver, alors qu’Osiris est dépouillé de tout, de sa couronne, de sa terre égyptienne, et finalement de la vie. La mention de la cité de Byblos, et l’allusion à la végétation dense du Levant à cette époque, rappellent quant à elles les anciennes relations entre les pharaons des premières Dynasties et le Levant, qui se sont muées progressivement en une domination des Levantins - les "hyksos/hk3-h3swt" - sur l’Egypte. Plutarque continue en disant qu’Isis, après un nombre indéterminé d’années, apprend l’existence de ce lieu levantin où le coffre de son frère-époux a échoué. Elle se rend à Byblos, pour le retrouver ("La déesse [Isis] apprit le sort du coffre. Emporté par les flots de la mer vers le territoire de Byblos, une vague avait déposé doucement celui-ci au milieu d’une bruyère. En peu de temps, des belles et grandes branches avaient poussé, enveloppant le coffre de tous côtés, le dérobant aux regards. Intrigué par le développement prodigieux de cette végétation, le roi du pays avait ordonné de couper le tronc dont les ramures cachaient le coffre, afin de s’en faire une colonne soutenant le toit de son palais. Informée de ce fait par le vent divin de la renommée, Isis se rendit à Byblos. Elle s’assit près d’une fontaine dans l’attitude la plus humble, les yeux baignés de larmes, n’adressant la parole à personne, sauf aux suivantes de la reine quand elles passèrent : elle les salua, leur parla affectueusement, tressa leur chevelure en nattes, répandant sur elles une odeur parfumée exhalant de son propre corps. Quand la reine revit ses suivantes, elle voulut savoir qui était cette étrangère ayant répandue un tel parfum sur leurs cheveux et leurs corps. Elle l’envoya chercher, et la considéra aussitôt comme son amie la plus intime, en lui demandant de devenir la nourrice de son petit enfant. On dit que le roi s’appelait “Malkandros”. Selon les uns, la reine s’appelait “Astarté”, selon les autres, “Saosis”, selon d’autres encore, “Nemanoun”, qu’on peut traduire en grec par “Nourrice”", Plutarque, Sur Isis et Osiris 15). Après diverses péripéties, elle met enfin la main sur ledit coffre, et recouvre la dépouille d’Osiris, qu’elle rapporte en Egypte. Les mythologues sont partagés sur la fin du récit. Les uns disent que l’usurpateur Typhon, pour empêcher que la dépouille de son frère Osiris devienne un enjeu de pèlerinage contestant sa légitimité à la tête de l’Egypte, décide de le découper en plusieurs morceaux, qu’il éparpille aux quatre coins du pays, mais Isis récupère ces morceaux et reconstitue le corps d’Osiris, qui est élevé au rang des dieux. Les autres disent au contraire que c’est Isis qui, pour empêcher Typhon d’effacer la mémoire d’Osiris en incinérant sa dépouille, décide de découper ce dernier en plusieurs morceaux, qu’elle confie à des prêtres aux quatre coins du pays pour qu’ils les conservent, les sanctifient, les vénèrent comme des reliques divines, contre la tyrannie de Typhon (pour l’anecdote, les Egyptiens rattachent à cette épisode la naissance du culte à Priape, le dieu de la fertilité : "Afin de se rendre à Bouto où était élevé son fils Horus, Isis avait déposé le coffre hors de toute vue. Typhon le découvrit au cours d’une chasse nocturne, sous la lune, et reconnut rapidement le corps. Il le coupa en quatorze morceaux, qu’il dispersa de tous les côtés. Isis, ayant appris cela, entreprit de retrouver ces morceaux. Elle monta dans une barque en écorce de papyrus et commença à parcourir les marais. […] Certains narrateurs contestent cette version : celui eux, Isis fit reproduire des images d’Osiris en entier et les donna à toutes les cités, afin qu’il y fût honoré partout et que Typhon, en cas de victoire sur Horus, fût désespéré par la confusion entre le vrai tombeau et les récits développés partout. La seule partie du corps d’Osiris qu’Isis ne retrouva pas, fut le membre viril, qui avait été jeté en premier dans le fleuve et probablement dévoré par les lépidotes, les pagres et les oxyrynques, de là vient l’horreur particulière qu’inspirent ces poissons. Pour remplacer le membre, Isis en fabriqua une imitation, consacrant ainsi le phallus, encore fêté aujourd’hui par les Egyptiens", Plutarque, Sur Isis et Osiris 18 ; "On raconte qu’Osiris, qui régnait avec justice sur l’Egypte, fut tué par son frère Typhon, violent et impie, et que celui-ci partagea le corps de la victime en vingt-six parties, qu’il distribua à ses complices pour les envelopper dans une haine commune et s’assurer de leur soutien durant son règne. Mais Isis, sœur-épouse d’Osiris, avec l’aide de son fils Horus, vengea ce meurtre en tuant Typhon et ses complices, et en devenant reine d’Egypte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.21 ; "Certains mythologues disent que dans l’antiquité le nom “Priape” désignait les parties génitales masculines, qu’on aurait divinisées comme principe des générations et de la conservation perpétuelle du genre humain. A propos de Priape, les mythologues égyptiens racontent que les Titans attrapèrent Osiris et le massacrèrent, qu’après avoir divisé son corps en plusieurs parties égales ils les emportèrent secrètement hors du palais, mais que les parties génitales furent jetées dans le fleuve parce que personne n’en voulait, qu’Isis fit périr les Titans meurtriers de son mari, rassembla les parties du corps d’Osiris pour lui redonner apparence humaine, demanda aux prêtres d’enterrer Osiris et de le vénérer comme un dieu, et que, n’ayant pas retrouvé les parties génitales, elle en déposa l’image dans un temple et leur consacra des honneurs divins séparés. Voilà ce que les anciens Egyptiens racontent à propos de Priape et des honneurs qu’on lui rend", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.6). Diodore de Sicile voit encore dans cette ultime péripétie un matériau symbolique ancien : le découpage d’Osiris par Typhon puis sa renaissance divine par Isis ne seraient qu’une version iconographique de la coupe des arbres nécessaire pour obtenir des bons fruits, plus précisément de la coupe des raisins sur la vigne, qui renaissent sous la forme du vin. Mais en même temps il apporte des détails qui n’ont assurément aucun rapport avec l’Egypte ancienne : il dit en effet que la Cour de Typhon est composée de Titans, c’est-à-dire de fils et/ou de filles du couple sémitique levantin Ouranos-Gaïa ("Certains mythologues attribuent [au Dionysos égyptien] une troisième naissance : ils racontent que Dionysos fils de Zeus et Déméter fut déchiré, mis en pièces et bouilli par les enfants de Gaia [les Titans], mais que Déméter ramassa ses membres et lui rendit la vie. On donne une interprétation rationnelle à ce mythe en disant que Dionysos incarne la vigne qui croît et qui engendre le fruit à l’origine du vin grâce à la terre et à la pluie. Son déchirement dans sa jeunesse par les enfants de Gaia, rappelle la vendange, Déméter étant assimilée à la terre. Les membres bouillis rappellent l’usage courant de cuire le vin pour lui donner un fumet plus doux. Leur rassemblement par Déméter rappelle qu’après avoir dépouillé de ses fruits et après avoir été taillée, la vigne germe à nouveau la saison suivante grâce à la terre" Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.62), et qu’Osiris a pour signe distinctif le bucrane, qu’on retrouve partout dans le monde sémitique depuis les fresques de Mari jusqu’à celles de Cnossos ("Selon certains mythologues, un autre Dionysos a existé, beaucoup plus ancien que [celui de Thèbes]. Il serait né de Zeus et de Perséphone [fille de Déméter]. Quelques-uns le surnomment “Sabazios” ["Sab£zioj", signification inconnue]. On célèbre sa naissance, mais les sacrifices et les honneurs divins qui lui sont adressés ont lieu la nuit et clandestinement à cause de la honte qui s’y rattache. On dit qu’il était très inventif : il fut le premier à atteler des bœufs à la charrue pour le labourage, d’où sa représentation avec des cornes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.4 ; "Selon ces mêmes mythologues, le second Dionysos est né de Zeus et de Perséphone ou de Déméter. Ce fut lui qui le premier attela des bœufs à la charrue, auparavant les hommes travaillaient la terre avec leurs mains. Il inventa plusieurs autres choses utiles à l’agriculture, qui soulagèrent beaucoup les paysans de leurs fatigues. En reconnaissance de ces bienfaits, les hommes lui décernèrent des honneurs divins et lui offrirent des sacrifices. Les peintres et les sculpteurs représentent ce Dionysos avec des cornes pour le distinguer de l’autre [le Dionysos de Thèbes, fils de Zeus et de Sémélé] autant que rappeler l’usage du bœuf pour le labourage", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.64). Ce dernier détail est hautement intéressant. Car on ne peut pas s’empêcher de le relier au culte égyptien du taureau Apis, lui-même lié au mythe de l’Argienne Io. Retournons en arrière. La mythologie gréco-latine rapporte qu’à l’époque du roi argien Argos Panoptès, à l’ère minoenne, c’est-à-dire avant l’éruption de Santorin vers -1600, vit une femme à la généalogie floue nommée Io, prêtresse de la déesse Héra. Cette Io a une aventure avec Zeus, ce qui provoque la jalousie d’Héra ("On dit qu’Argos et Ismène fille d’Asopos engendrèrent Iasos, qui engendra Io. Mais Castor, auteur des Chroniques, ainsi que beaucoup d’auteurs tragiques, disent que le père d’Io était Inachos. De leur côté Hésiode et Acousilaos [logographe du VIème siècle av. J.-C.] disent qu’elle était la fille de Peirènos. Zeus la séduisit, alors qu’elle était prêtresse d’Héra", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.3 ; "Caché au fond d’une grotte, Inachos grossit de ses larmes le volume de ses eaux [Ovide voit en Io une autochtone, fille du fleuve Inachos qui coule en Argolide] et pleure désespérément sa fille Io disparue. Est-elle en vie ? Est-elle chez les Mânes [génies des ancêtres, chez les Romains] ? Il l’ignore. Il l’a cherchée partout, il ne l’a trouvée nulle part, son cœur craint le pire. Jupiter [alias Zeus chez les Grecs] l’a vue revenant de chez son père le fleuve, et lui a dit : “O vierge digne de Jupiter, au lieu de combler bientôt je-ne-sait-qui dans ton lit, dirige tes pas vers ces hauts bois sombres”, et il lui a montré des bois sombres, “profite que le soleil est brûlant et haut, au milieu de sa course, ne sois pas effrayée d’entrer seule dans le repaire des bêtes sauvages, avance jusqu’au fond des bois sous la sûre direction d’un dieu qui n’est pas un dieu ordinaire, qui dans sa main puissante tient le sceptre céleste et la foudre sinueuse. Ne me fuis pas”. Car elle fuyait. Elle a laissé derrière elle les pâtures de Lerne [au sud d’Argos] et les champs plantés d’arbres du Lyrkeion [mont au nord-ouest d’Argos], le dieu a alors caché les terres en les recouvrant d’obscurité. Ainsi il a arrêté Io dans sa fuite, et lui a ravi son honneur", Ovide, Métamorphoses I.583-600) : une lecture au premier degré de cet épisode sous-entend que, promise à une virginité perpétuelle par son sacerdoce à Héra, Io rompt cette virginité avec un homme de passage (que la postérité assimilera à Zeus selon l’habitude antique : on préfère toujours dire que les personnages mémorables sont nés ou guidés par des dieux, plutôt qu’ils sont des accidents d’un soir ou des esclaves de leurs pulsions sentimentales ou sexuelles…), et que cela provoque un scandale chez les dévots d’Héra, telle est en tous cas l’interprétation très terre-à-terre d’Hérodote qui suppose que, derrière l’image de Zeus, se cache historiquement un matelot levantin amarré un temps à Argos, pour les beaux yeux duquel Io aurait succombé ("[Les Phéniciens] sont venus de la mer Erythrée jusqu’à la nôtre. Installés sur le territoire qu’ils habitent encore aujourd’hui, ils se sont lancés dans des navigations lointaines, transportant des marchandises d’Egypte et d’Assyrie vers Argos notamment. En ce temps-là, Argos occupait dans tous les domaines le premier rang sur le territoire qu’on appelle à présent la Grèce. Des Phéniciens vinrent pour écouler leurs marchandises. Cinq ou six jours après leur arrivée, alors qu’ils avaient vendu presque toute leur cargaison, un groupe nombreux de femmes descendit vers le rivage, parmi lesquelles la fille du roi que les Perses comme les Grecs appellent Io, fille d’Inachos. Ces femmes se tenaient debout près de la poupe du bateau, négociant ce qui leur plaisait, quand les Phéniciens, après s’être excités l’un l’autre, se jetèrent sur elles. Beaucoup réussirent à s’enfuir, mais Io et quelques autres furent prises par les Phéniciens, qui les jetèrent dans leur bateau et les emmenèrent vers l’Egypte. […]. Mais à propos d’Io les Phéniciens avancent une autre version. Selon eux, ils ne la kidnappèrent pas pour l’emmener en Egypte : elle a eu dans Argos une relation avec le capitaine du bateau, et, ayant constaté qu’elle était enceinte et craignant la honte et la colère de ses parents, elle suivit les Phéniciens de son plein gré, pour qu’on ignorât sa faute", Hérodote, Histoire I.1-5). La mythologie raconte ensuite que Zeus transforme Io en vache, en affirmant à Héra ne pas avoir attenté à sa vertu. Héra, pleine de doutes, confie Io à la garde d’Argos Panoptès. Zeus demande alors à Hermès de délivrer Io. Hermès tue donc Argos Panoptès, et délivre Io ("Héra découvrit [la relation entre Io et Zeus]. Zeus toucha alors la jeune fille pour la transformer en une superbe vache, en jurant à son épouse Héra qu’il n’en était pas l’amant. […] Mais Héra demanda à Zeus de lui laisser cette vache, qu’elle confia au gardien Argos Panoptès, fils d’Arestor selon Phérécyde, ou fils d’Inachos selon Asclépiade, ou fils d’Argos et d’Ismène fille d’Inachos selon Kerkops, ou fils de Gaïa ["Ga‹a", littéralement "la Terre", autrement dit Argos Panoptès serait un autochtone bâtard] selon Acousilaos. Celui-ci attacha la vache à un olivier, dans le bois près de Mycènes. Mais Zeus ordonna à Hermès de l’enlever. Le faucon surveilla, et, profitant d’un moment pour s’emparer nuitamment de la  vache, tua Argos avec une pierre, ce qui lui valut le surnom d’“Argeiphontès” ["ArgeifÒnthj", qualificatif d’origine et de signification inconnues, que les auteurs antiques grecs expliquent par calembour en "tueur/pefne‹n d’Argos"]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.3 ; "[Héra] cherche son époux [Zeus] autour d’elle, connaissant son infidélité, pour l’avoir constatée tant de fois. Ne le trouvant pas dans le ciel, elle dit : “Ou je me trompe, ou je suis trompée !”. Elle se laisse glisser depuis le sommet de l’éther, pose le pied sur la terre et ordonne aux nuages de se retirer. Jupiter, qui avait prévu la venue de son épouse, a transformé la fille d’Inachos en une vache blanche. Même en vache, elle est belle. La fille de Saturne [alias Kronos chez les Grecs] admire malgré elle la belle vache, et, ignorant la vérité, demande à qui elle appartient, d’où elle vient et de quel troupeau. Jupiter [Zeus] dit qu’elle est née de la terre, il ment sur son propriétaire pour couper court à l’interrogatoire. La fille de Saturne l’exige en cadeau. Que faire ? Lui céder l’objet de son amour est douloureux, mais ne pas lui offrir serait suspect. Sa honte lui conseille de céder, mais son amour l’en dissuade : l’amour pourrait triompher de la honte, mais refuser ce cadeau à celle qui partage sa couche, sa sœur, signifierait que la vache n’est pas une simple vache. En recevant sa rivale en cadeau, la déesse n’est pas guérie de son doute, elle craint que Jupiter l’enlève. Elle confie la garde d’Io à Argos fils d’Arestor. Argos possède cent yeux autour de la tête, dont la moitié se repose tandis que l’autre moitié reste en faction. Quelle que soit sa position, il regardait vers Io. Même le dos tourné, il garde Io sous les yeux. […] Le maître des dieux ne supporte pas que la Phoronéide [c’est-à-dire Io, apparentée à Phoronée le premier seigneur d’Argos] souffre plus longtemps de si grands maux : il convoque le fils [Hermès] que lui a donné une lumineuse Pléiade, et lui ordonne de tuer Argos. Aussitôt le dieu fixe des ailes à ses pieds, saisit dans sa main puissante la baguette qui endort, et pose sur ses cheveux son chapeau. Aussitôt le fils de Jupiter ainsi équipé quitte la citadelle céleste et descend sur terre. Là, il ôte son chapeau, dépose ses ailes, ne gardant que sa baguette. Avec celle-ci, tel un berger, il pousse les chèvres à travers champs et assemble des roseaux sur lesquels il joue un air. Cette musique et cet art inconnus charment le gardien de Junon [alias Héra chez les Grecs] : “Qui que tu sois, assoie-toi avec moi sur ce rocher”, dit Argos,car nulle part un troupeau ne trouve une herbe plus riche, et tu vois que l’ombre y est propice aux bergers”. L’Atlante s’assied, et occupe la journée à parler en tirant des airs de ses roseaux assemblés, dans le but de triompher des yeux toujours en éveil. […] Le dieu du Cyllène [mont d’Arcadie où est né Hermès] constate que les yeux d’Argos s’abaissent et que son regard est voilé par le sommeil. Il arrête aussitôt de parler et, effleurant de sa baguette magique les yeux alanguis du monstre, il en accentue la torpeur. Puis brusquement, tandis qu’Argos incline la tête, il le frappe à la jointure du cou avec son épée à croc, et précipite du rocher la tête sanglante, qui tache de son sang la paroi abrupte", Ovide, Métamorphoses I.601-719). Une nouvelle interprétation terre-à-terre de cet épisode sous-entend que, derrière cette soi-disant transformation d’Io en vache par Zeus, les Levantins de passage à Argos tentent de convaincre leurs hôtes de l’équivalence entre le culte à Héra pratiqué à Argos et le culte à la déesse égyptienne de la fertilité Isis, dont Hathor est peut-être un avatar : c’est encore cette version platement humaine que choisit Hérodote, qui constate que les représentations traditionnelles de l’Argienne Io et de l’Egyptienne Isis ont une forme de vache ("Les statues d’Isis la représentent sous la forme d’une femme avec des cornes de vache, comme Io chez les Grecs, et toute l’Egypte vénère les vaches davantage que tout autre animal", Hérodote, Histoire II.41). La connaissance et la pratique du culte égyptien à Isis par ces Levantins de la fin de l’ère minoenne ou du début de l’ère mycénienne, peut s’expliquer simplement par le fait qu’à cette époque la basse Egypte est dominée par les Levantins hyksos, qui la confondent probablement avec la déesse Hathor possédant le même bucrane et la même fonction, et avec leur propre déesse sémitique de l’amour Ishtar/Astarté. La mythologie gréco-latine dit ensuite qu’Io parcourt les terres et les mers, poursuivie par la jalouse Héra, franchissant même le détroit qui gardera son souvenir jusqu’à aujourd’hui, le "Bosphore/BÒsporoj", littéralement "le passage/pÒroj de la vache/boàj", avant d’atteindre l’Egypte, où elle s’installe avec Epaphos, le fils qu’elle a eu de Zeus ("La déesse Héra envoya un taon pour tourmenter la vache, qui s’enfuit d’abord vers le golfe appelé “Ionien” après son passage, puis à travers l’Illyrie. Ayant franchi le mont Hémos, elle franchit le détroit dit “Thracique” en son temps, qui fut rebaptisé “Bosphore” en souvenir. Ensuite elle partit vers la Scythie et les Cimmériens, elle erra sur beaucoup de terres et de mers d’Europe et d’Asie. Finalement elle atteignit l’Egypte, où elle retrouva son premier aspect. Elle accoucha d’un fils, Epaphos, sur les bords du Nil. La déesse Héra ordonna aux Courètes de le faire kidnapper. Ils exécutèrent son ordre. Zeus les découvrit et les tua. Io se mit en quête de son fils, elle erra à nouveau en Syrie où on disait qu’il était élevé par l’épouse du roi de Byblos. Finalement elle retrouva Epaphos et revint en Egypte, où elle épousa Télégonos le roi des Egyptiens. Elle éleva une statue à Déméter, que les Egyptiens appellent “Isis”, ce nom “Isis” sert également à désigner Io", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.3 ; "Aussitôt [Héra] s’enflamme et cherche une prompte vengeance, elle invoque les horribles Erinyes devant les yeux et dans le cœur de sa rivale argienne, enfouissant dans sa poitrine des aiguillons secrets qui la chassent et la tourmentent partout. Ultime étape de ses épreuves infinies, le Nil est atteint. Io s’agenouille sur sa rive, elle se couche, le dos en arrière, levant seulement son visage vers les astres, gémissant avec des larmes et un mugissement lugubre, elle se plaint à Jupiter [Zeus] et implore la fin de ses malheurs. Celui-ci, étreignant avec ses bras le cou de son épouse, lui demande de mettre un terme au châtiment, en lui disant : “Ne crains plus l’avenir, plus jamais Io ne sera pour toi une cause de souffrance”, et il oblige les marais du Styx à l’entendre. Dès que la déesse s’est apaisée, Io reprend sa forme ancienne et redevient ce qu’elle a été : les poils disparaissent de son corps, ses cornes décroissent, le globe de ses yeux rapetisse, son museau se contracte, ses épaules et ses mains reparaissent, ses sabots se dissolvent et se transforment chacun en cinq ongles. De la vache, ne lui reste que la blancheur éclatante et belle. Heureuse de retrouver l’usage de ses deux pieds, la nymphe se redresse, mais hésite à parler, de peur de mugir comme une vache. Finalement elle tente timidement de prononcer les mots perdus. A présent la foule habillée de lin honore la déesse. A présent Epaphos né du grand Jupiter occupe les temples dans les cités à côté de sa mère", Ovide, Métamorphoses II.724-749). Une lecture au premier degré de ce long voyage, raccorde encore une fois avec ce que nous savons sur les Sémites aux XVIIème/XVIème siècles av. J.-C., grands navigateurs sillonnant la Méditerranée orientale depuis le Levant jusqu’aux côtes de l’actuelle Tunisie, depuis l’Egypte jusqu’à la Thrace : imaginer Io accompagnant ces navigateurs pour échapper au châtiment de ses compatriotes argiens que son amourette pour un matelot a déçus, est une supposition absolument plausible (la même ambiguïté plane sur le long voyage forcé ou consenti de Perséphone/Koré en compagnie du messager Hermès vers Thorikos en Attique, qui indispose sa mère Déméter au point que celle-ci part à sa recherche jusqu’à Eleusis selon l’Hymne homérique à Déméter que nous étudierons plus loin, ou sur le long voyage forcé ou consenti d’Hélène vers Troie à la fin de l’ère mycénienne, qui décevra pareillement ses compatriotes par son amourette avec le prince Pâris de passage à Sparte). La suite est plus complexe, car elle s’imbrique dans la mythologie égyptienne ancienne : Io est recueillie et devient l’épouse d’un pharaon non identifié (un "Télégonos roi des Egyptiens" inconnu par ailleurs, selon pseudo-Apollodore) assimilé à Osiris, tandis qu’elle-même se confond la déesse Isis ("Les Grecs transfèrent à Argos la naissance d’Isis, dans leur mythe d’Io métamorphosée en vache", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.24 ; "[Io] accoucha d’un fils, Epaphos, sur les bords du Nil. La déesse Héra ordonna aux Courètes de le faire kidnapper. Ils exécutèrent son ordre. Zeus les découvrit et les tua. Io se mit en quête de son fils, elle erra à nouveau en Syrie où on disait qu’il était élevé par l’épouse du roi de Byblos. Finalement elle retrouva Epaphos et revint en Egypte, où elle épousa Télégonos le roi des Egyptiens. Elle éleva une statue à Déméter, que les Egyptiens appellent “Isis”, ce nom “Isis” sert également à désigner Io", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.3). C’est ainsi qu’à la mort de ce pharaon anonyme, le bâtard sémite Epaphos devient à son tour pharaon. Les précisions de pseudo-Apollodore nous permettent de raccorder cet Epaphos et sa dynastie aux hyksos : le centre du pouvoir d’Epaphos est le delta du Nil, autour de Memphis, comme les hyksos, son hégémonie s’étend à l’ouest jusqu’à la Libye et à l’est jusqu’à la future Phénicie comme celle des hyksos, sa fille a une aventure avec le dieu Poséidon alias le dieu sémitique de l’Orage Addu selon notre hypothèse plusieurs fois expliquée, son petit-fils porte le nom "Bélos/B»loj" qui n’est qu’une hellénisation de l’adjectif sémitique "baal/maître, propriétaire", son autre petit-fils est Agénor le futur roi de Phénicie ("Epaphos reçut le royaume d’Egypte. Il épousa Memphis la fille du Nil, et fonda la cité de Memphis en son honneur. Il eut d’elle une fille, Libye, qui donna son nom au territoire libyen [cette généalogie est farfelue, Memphis existe depuis au moins Pépi Ier vers le XXIIIème siècle av. J.-C. : on doit simplement comprendre que le fils d’immigrée Epaphos se moule très bien dans son rôle de souverain égyptien au point de communier avec Memphis la capitale séculaire des anciens pharaons, avec le Nil, et avec le territoire libyen convoité depuis toujours par les Egyptiens]. Cette fille s’unit à Poséidon et enfanta deux jumeaux, Agénor et Bélos. Agénor s’installa en Phénicie, dont il devint le roi et l’ancêtre d’une famille célèbre sur laquelle nous reviendrons plus loin. Bélos quant à lui demeura en Egypte, où il prit le pouvoir. Il épousa Anchinoé la fille du Nil, qui lui donna deux jumeaux, Egyptos et Danaos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.4). Or, selon Hérodote, "Epaphos/Epafoj" n’est que la traduction grecque du taureau "Apis" ("Le nom “Apis” se dit “Epaphos” dans notre langue", Hérodote, Histoire II.153). Et nous connaissons bien les règles et le déroulement du culte d’Apis, qui ne semble pas antérieur à la XVIIIème Dynastie, ou du moins qui acquiert une grande importance à partir de la XVIIIème Dynastie. Ce culte est négatif. Il découle de la même logique que plus tard celui du bouc émissaire chez les Israélites, dont il est le modèle : on prend un animal, sur lequel on dépose symboliquement tous les péchés, puis on zigouille l’animal, c’est-à-dire qu’on l’égorge dans le cas du taureau Apis, ou on le laisser crever de soif au désert dans le cas du bouc émissaire, et ainsi on est débarrassé des péchés dont on l’a chargé. C’est pour cette raison que ce culte deviendra peu à peu un culte positif : regardé d’abord comme le porteur de tous les péchés du monde, l’Apis - ou le bouc émissaire - sera ensuite regardé comme le libérateur de tous les péchés du monde. Dans un passage de son Histoire, Hérodote dit qu’un Apis est un taureau au poil noir ("Un Apis-Epaphos est un taureau né d’une vache qui ne peut plus ensuite avoir un autre veau. Les Egyptiens disent qu’un éclair descend du ciel sur la bête qui, ainsi fécondée, met au monde un Apis. Le taureau appelé “Apis” présente les signes suivants : il est noir, avec un triangle sur le front, une marque en forme d’aigle sur le dos, les poils de la queue doubles, et une marque en forme de scarabée sous la langue", Hérodote, Histoire III.28). Mais dans un autre passage, il dit au contraire qu’un taureau Apis ne doit pas avoir un seul poil noir, sous peine d’invalider le rituel ("Les taureaux dédiés à Epaphos sont soumis à l’examen suivant. Si l’animal a un seul point noir, il est considéré impur. Un prêtre dédié inspecte la bête debout et couchée, il tire sa langue pour s’assurer de l’absence de signes déterminés dont je parlerai ailleurs, enfin il regarde si les poils de la queue sont plantés normalement. La bête jugée pure sur tous ces points reçoit une marque : le prêtre enroule autour de ses cornes une bandelette qu’il scelle d’un peu de terre glaise où il appose son sceau. On emmène alors la bête. Sacrifier un taureau qui ne porte pas cette marque est puni de mort. C’est ainsi qu’on examine l’animal. Voici maintenant le déroulement du sacrifice. La bête marquée par le vérificateur est conduite à l’autel du sacrifice. On allume le feu, on verse sur la victime une libation de vin, près de l’autel, on invoque le dieu, puis on égorge la bête, ensuite on coupe sa tête. On dépouille le corps, mais on charge la tête de malédictions et on l’emporte. Si un marché se trouve dans la région et si des commerçants grecs y sont établis, on va la leur vendre. S’il n’y a aucun marchand grec, on la jette dans le fleuve. On maudit la tête de la victime en ces termes : “Si un malheur menace ceux qui offre ce sacrifice ou l’Egypte tout entière, qu’il soit détourné sur cette tête !”", Hérodote, Histoire II.38-39). On suppose que le premier passage est dû à une inattention d’Hérodote ou à une erreur d’un de ses copistes, car Plutarque de son côté décrit un culte négatif exactement similaire à celui d’Apis, dans lequel le taureau sacrifié doit être "roux/purrÒj" sans aucun poil noir, dédié à… Typhon le frère meurtrier d’Osiris. Plutarque ajoute qu’avant d’être assimilé à l’image du taureau, Typhon était assimilé à l’image de l’âne ("Parce qu’ils croient que Typhon était rouge, les Egyptiens immolent les taureaux de couleur rousse, et ils sont si attachés à cette condition que si l’animal a un seul poil noir ou blanc ils estiment qu’il ne peut être immolé. Selon eux, les dieux veulent qu’on sacrifie non pas ceux qui les aiment, mais, au contraire, des animaux qui ont reçu par métamorphose les âmes d’hommes injustes ou impies. C’est pour cela qu’on prononce des imprécations sur la tête des victimes avant de la leur trancher, et qu’autrefois on la jetait dans le Nil, et qu’aujourd’hui on l’abandonne aux étrangers. Le taureau qui doit être immolé est marqué du sceau des prêtres dit “sphragistes” ["sfrag‹doj", dérivé de "sfarag…j/cachet, sceau, empreinte"], or ce sceau, selon l’historien Castor, représente un homme à genoux, les mains derrière le dos, un couteau sous la gorge. De même, comme je l’ai dit, l’âne subit toutes les peines à cause de sa stupidité, de son insolence, de la couleur de son poil, similaires à celles de Typhon", Plutarque, Sur Isis et Osiris 31). On se souvient par ailleurs que dans l’iconographie mythologique grecque, le nom "Typhon" se rapporte à une hydre combattue par un Zeus reprenant l’attitude et les attributs de Poséidon alias le dieu sémitique de l’Orage Addu… et que ce combat est une traduction grecque du combat entre le serpent "Apophis" et le dieu "Seth", dont nous avons vu dans notre paragraphe introductif qu’ils ne sont eux-mêmes que des traductions égyptiennes des sémitiques "Epaphos" et "Addu" (alias "Shadday" chez les hébreux). Si nous synthétisons toutes ces données, nous pouvons conclure que l’immémoriale histoire mythologique égyptienne d’Osiris a été enrichie à l’ère mycénienne par des épisodes reflétant d’obscures rivalités bien historiques dans l’aire sémitique hyksos. Typhon pourrait être un Sémite "fnhw", c’est-à-dire originaire du Pount, d’où la couleur rouge qui lui est associée (nous renvoyons ici encore à notre paragraphe introductif). Ce Typhon, fort d’une petite troupe de Sémites levantins marginaux (les "Titans" anonymes mentionnés par Diodore de Sicile) peut-être équipés de chars de guerre tirés par des ânes (nous reviendrons sur ce point à la fin du présent paragraphe), se crée une zone d’influence dans le désert au sud-est du delta du Nil, où il entre en contact avec la légitime XIIIème Dynastie égyptienne retirée dans la moyenne vallée du même fleuve. Obtenant la complicité passive de ces Egyptiens retranchés au sud (que la propagande ultérieure métamorphosera en "Ethiopiens", parce que les vrais et purs Egyptiens ne peuvent pas se compromettre avec des étrangers sémitiques !), il organise un putsch contre le roi sémite de la XVème Dynastie régnant à Avaris, qui se considère naturellement comme une incarnation du dieu égyptien de l’agriculture Osiris puisqu’il supervise la production agricole en basse Egypte, et en même temps qui demeure fidèle à ses gènes sémitiques en perpétuant le culte du dieu de l’Orage Addu (corrompu en "Shadday" et en "Seth" au fil des décennies) consistant à sacrifier un taureau au poil indéterminé (noir ? ou blanc comme celui qui saillira Pasiphaé ? ou tacheté comme ceux des taurokathapsias sur la fresque d’Avaris/tell el-Daba conservée aujourd’hui au Musée archéologique d’Héraklion en Crète ?). Le combat bien réel entre ce roi de la XVème Dynastie et le comploteur Typhon, trouve logiquement un écho dans le combat mythologique entre le positif dieu de l’agriculture Osiris et le khamsin dévastateur assimilé au serpent (qui siffle et empoisonne ses victimes, comme le khamsin), qu’on retrouvera dans la mythologie grecque sous la forme de Zeus déguisé en Poséidon/Addu combattant l’hydre Typhon. L’altercation s’achève par la victoire de Typhon, qui s’installe à Avaris : assume-t-il cette image du serpent ? C’est possible, car chez les Sémites le serpent n’est pas un animal négatif comme chez les Egyptiens, il est au contraire un symbole de fécondité, associé à la déesse de l’amour Ishtar/Astarté comme on l’a constaté à plusieurs reprises - notamment dans les statuettes levantines d’Ishtar/Astarté portant des serpents. C’est possible aussi que le putschiste, pour essayer de se légitimer, se revendique héritier d’"Epaphos" fils d’Io, fondateur de la dynastie hyksos, traduit en "Apophis/3pp" en égyptien, d’où l’association entre ce nom "Apophis" et l’image du serpent combattu par Seth/Addu. Peut-on aller plus loin ? Il est tentant de comparer cette lutte sémito-sémitique entre Typhon et l’anonyme roi qui s’achève historiquement par l’échec de Typhon à empêcher la XVIIème Dynastie de reprendre le contrôle de la basse Egypte, à la lutte entre les deux frères de la mythologie grecque Egyptos et Danaos qui s’achève pareillement par l’échec d’Egyptos à imposer sa propre dynastie (puisque tous ses fils sont assassinés par les filles de Danaos). Comme l’anonyme roi de la XVème Dynastie alias Osiris qui erre jusqu’au Levant du côté de Byblos et meurt en exil, Danaos erre jusqu’au Levant du côté de Dan, puis en Cilicie, puis à Rhodes, puis à Argos et meurt en exil. Et comme Typhon, alias l’usurpateur "Epaphos", alias le très réel "Apopi" dans les textes de Manéthon, Flavius Josèphe et les hiéroglyphes (qui prétend maintenir les pratiques cultuelles de son prédécesseur en honorant "Seth seigneur d’Avaris" sur les deux statues prémentionnées découvertes à Tanis par Flinders Petrie), finalement renversé par la XVIIème Dynastie conduite par Kamosis (qui fera de lui l’objet d’un culte négatif inspiré par le culte sacrificiel sémitique au dieu Addu : en sacrifiant solennellement le taureau roux "Apis/Epaphos" chargé de toutes les fautes, les Egyptiens consacreront indirectement la victoire symbolique d’Addu intégré dans le panthéon égyptien sous le nom de "Seth" avec un statut ambivalent, et la victoire posthume et la renaissance du dieu Osiris incarné hier par le roi hyksos déchu et aujourd’hui par Kamosis), Egyptos cède finalement son trône aux "Mélampodiens/Melampod…dai" ou littéralement les "hommes aux pieds/poÚj noirs/mšlaj", c’est-à-dire les authentiques Egyptiens à la peau basanée retranchés dans les provinces du sud ("Bélos installa Danaos en Libye, et Egyptos, en Arabie [terme désignant non pas l’actuelle péninsule arabique mais, selon le lexique égyptien antique, les déserts à l’est du Nil]. Egyptos plus tard soumit le territoire des Mélampodiens, qu’il rebaptisa “Egypte” d’après son nom. De ses nombreuses épouses il eut cinquante garçons, tandis que Danaos eut cinquante filles. Peu après les deux frères se disputèrent le trône. Craignant les fils d’Egyptos, il suivit le conseil d’Athéna en construisant un bateau […] pour y embarquer ses filles et s’enfuir", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.4).


L’émergence de la XVIIème Dynastie se perd dans les sordides intrigues de Cour de la XIIIème Dynastie, dont elle est à la fois l’héritière et la concurrente. Le long papyrus conservé par le Musée égyptologique de Turin en Italie, appelé commodément Canon royal de Turin par les égyptologues, consacre ses colonnes 6 et 7 à cette XIIIème Dynastie. Cette partie très endommagée comportait une soixantaine de noms, beaucoup sont aujourd’hui illisibles. Une quinzaine de noms sont identifiables grâce au papyrus Abbott, document administratif conservé par le British Museum de Londres en Grande-Bretagne sous la référence BM EA10221, réalisé par le gouverneur de Ta-Opet/Thèbes sous le règne de Ramsès IX dans la seconde moitié du XIIème siècle av. J.-C., mentionnant l’état des tombes de la Vallée des Rois à cette époque (pour l’anecdote, ce papyrus Abbott témoigne que sous le règne de Ramsès IX les tombes des rois de la XVIIème Dynastie sont majoritairement intactes). Parmi cette quinzaine de noms, neuf se retrouvent dans la liste des vénérateurs d’Amon gravée par Thoutmosis III dans la salle des Ancêtres de l’Akh-menou du temple d’Amon d’Opet-Isout/Karnak déjà mentionnée, qui par ailleurs ignore les rois des XIVème, XVème et XVIème Dynasties : cela signifie que Thoutmosis III, pharaon de la XVIIIème Dynastie au XVème siècle av. J.-C., héritier du fondateur Ahmosis, reconnaît ces anciens dignitaires de la XIIIème Dynastie comme ses ancêtres. Les archéologues ont retrouvé les tombes de dix souverains parmi les quinze précités, toutes situées dans la nécropole de l’actuelle colline de Dra Abou el-Naga sur la rive gauche du Nil, face à Opet-Isout/Karnak. L’étude de ces tombes révèle indirectement l’état de délabrement politique et économique où sont tombés les pharaons de la XIIIème Dynastie : les sépultures ont toujours une forme pyramidale, mais leurs dimensions sont très réduites parce qu’on n’a plus la main d’œuvre pour faire des monuments gigantesques comme à l’époque de Gizeh, elles sont en briques parce qu’on n’a plus les moyens financiers d’acheter des pierres, les sarcophages sont en sycomore local parce que les relations avec le Liban traditionnellement pourvoyeur de cèdre sont rompues, et leur contenu est pauvre parce qu’on n’a plus la logistique pour aller chercher des matériaux précieux au loin, comme l’or de Nubie, ou l’ébène et l’ivoire du Soudan. La présence de ces tombes de la XIIIème Dynastie à Dra Abou el-Naga sur la rive gauche du Nil, juste en face de Ta-Opet/Thèbes sur la rive droite où règne la XVIIème Dynastie, peut laisser croire que celle-ci se revendique fille de celle-là. Mais ce n’est certainement pas aussi simple. Tous les souverains de la XIIIème Dynastie sont-ils enterrés à Dra Abou el-Naga ? On en doute. Pourquoi certains noms du Canon royal de Turin ne se retrouvent-ils pas dans la liste des Ancêtres de l’Akh-menou ? Est-ce par oubli involontaire… ou par volonté de les oublier, parce que les Egyptiens ultérieurs (dont Thoutmosis III de la XVIIIème Dynastie) les considèrent illégitimes ? Nous ne savons ni quand, ni où, ni par qui, ni dans quelles circonstances naît la XVIIème Dynastie. Pour notre part, quand nous confrontons le mythe d’Osiris tel que nous venons de l’expliquer, avec les sceaux de l’Egyptien Sobekhotep IV et de l’hyksos Khyan sur la salle d’Edfou prémentionnée, nous sommes tentés de penser que la XVIIème Dynastie n’est qu’une branche dissidente de la XIIIème Dynastie : à une date inconnue, deux partis se sont affrontés à la Cour de la XIIIème Dynastie, les uns partisans d’arrangements intéressés avec les étrangers hyksos (incarnés par Typhon dans le mythe d’Osiris), contrairement aux autres, la rupture a été consommée quand ceux-ci ont quitté la Cour pour fonder une nouvelle Dynastie à Ta-Opet/Thèbes (la XVIIème) vouée à recouvrer militairement le territoire national égyptien contre les hyksos, tandis que ceux-là (dont Sobekhotep IV) ont opté pour une collaboration active avec ces mêmes hyksos.


La succession des pharaons de la XVIIème Dynastie est incertaine. Nous nous contenterons ici de résumer à grands traits les maigres connaissances des égyptologues sur le sujet (la colonne 11 du Canon royal de Turin, dernière colonne conservée de ce document, consacrée à la XVIIème Dynastie, est en très mauvais état, et les quelques signes encore lisibles ne nous aident pas : seule subsiste la première partie uniforme des noms des premiers pharaons, "Sekhemrê", littéralement "Puissant-est-Ra"), sans nous perdre dans des détails qui importent peu dans notre étude :


- Le premier pharaon de la XVIIème Dynastie semble être un nommé "Sekhemrê Wadjkhaw Rêhotep", apocopé commodément en "Rêhotep", littéralement "Ra-est-satisfait". Son nom est attaché au texte appelé commodément Khonsouemheb et le fantôme par les spécialistes, reconstitué d’après quatre fragments conservés respectivement au Musée égyptologique de Turin en Italie (référence S6619), au Kunsthistorisches Museum de Vienne en Autriche (référence 3722a), au Musée du Louvre à Paris en France (référence 667+700) et au Musée archéologique national de Florence en Italie (référence 2616+2617), qui raconte l’histoire de Khonsouemheb, prêtre d’Amon sous la XXème Dynastie, en quête d’un endroit adéquat pour y installer sa propre sépulture. Ce Khonsouemheb arrive à la nécropole de l’actuelle colline de Dra Abou el-Naga. Soudain un fantôme lui apparaît, qui dit : "De mon vivant, j’étais trésorier du pharaon de haute Egypte Rêhotep [texte manque], et capitaine de son infanterie. Puis devant les hommes et à la suite des dieux je me suis reposé [c’est-à-dire "je suis décédé"] la quatorzième année du règne du pharaon de haute Egypte M-[texte manque]". Les égyptologues sont partagés sur la restitution du nom corrompu "M-" à la fin de ce texte. Les uns proposent "Minhotep", littéralement "Min-est-satisfait", en référence au dieu ithyphallique Min protecteur de la cité de Khent-min à une centaine de kilomètres en aval de Ta-Opet/Thèbes (aujourd’hui Akhmim en Egypte, sur la rive droite du Nil, face à Sohag sur la rive gauche ; le dieu égyptien Min est assimilé par les mythologues grecs au dieu Pan, qui rebaptisent en conséquence Khent-Min en "Panopolis/PanÒpolij", littéralement "la cité/pÒlij de Pan/P£n"), en considérant que "Minhotep" est un qualificatif de Rêhotep trahissant sa domination sur cette cité, ou même son premier nom permettant de situer son origine dans cette cité. Les autres proposent "Montouhotep", littéralement "Montou-est-satisfait", en référence au dieu faucon Montou, avatar d’Horus, protecteur de la cité de "Per-Montou/Maison-de-Montou", alias "Hermonthis/Ermênqij" en grec, au sud de Ta-Opet/Thèbes (aujourd’hui Armant près d’Ad Dabiyyah dans la banlieue sud de Louxor en Egypte), en considérant que "Montouhotep" est un qualificatif ou le nom originel d’un des successeurs de Rêhotep : les durées de règne de ceux-ci étant courtes, on peut supposer que le fantomatique trésorier croisé par Khonsouemheb a commencé sa carrière au service de Rêhotep et l’a continuée au service d’un ou de plusieurs pharaons ultérieurs - de la même façon qu’Ahmosis fils d’Abana, dont nous allons parler juste après, commencera sa carrière de soldat sous Ahmosis et la continuera sous Amenhotep Ier.


- Les autres pharaons ne suscitent que des conjectures. Les égyptologues sont très divisés sur trois homonymes, abrégés commodément en "Antef V", "Antef VI" et "Antef VII", aux règnes très proches et très courts. L’un d’eux porte le nom complet de "Sekhemrê Oupmaat Antef", un autre est appelé "Sekhemrê Herouhermaat Antef". Leurs tombes étaient encore intactes sous la XXème Dynastie, comme le prouve l’inventaire du papyrus Abbott, mais elles ont été pillées par la suite, leurs localisations dans la nécropole de Dra Abou el-Naga sont incertaines. Un pyramidion de calcaire conservé au British Museum de Londres en Grande-Bretagne (référence BM EA478), un canope et deux sarcophages en bois doré conservés au Musée du Louvre à Paris en France (références XXX salle 13 et E3019-E3020) sont les seuls artefacts qui leur sont associés, sauvés de ces pillages, mais qu’on ne peut pas attribuer précisément à celui-ci ou à celui-là. Le sarcophage E3019 du Musée du Louvre, celui de "Sekhemrê Oupmaat Antef", comporte l’inscription suivante : "don de son frère Antef aimé d’Osiris éternellement". On en déduit que deux des trois hommes étaient frères. Mais lequel règne avant l’autre ? d’autres souverains doivent-ils être placés avant eux ? entre eux ? après eux ? Un décret daté de l’an 3 du règne d’Antef VII (ou plus exactement "Nebkheperrê Antef", dont la tombe également pillée à Dra Abou el-Naga a été retrouvée en 2001 par l’Institut archéologique allemand) retrouvé sur une porte conservée actuellement par le Musée égyptien du Caire, issue du temple dédié à Min dans la cité de Coptos, site archéologique à une vingtaine de kilomètres en aval de Ta-Opet/Thèbes, adresse des reproches à un "Teti fils de Minhotep" qui s’est mal comporté avec le dieu Min : cette affirmation de l’autorité d’Antef VII dans les affaires de la cité de Coptos témoigne de la volonté de la XVIIème Dynastie d’étendre son influence vers le nord, et de recouvrer l’hégémonie sur la moyenne vallée du Nil au détriment de la XIIIème Dynastie. Antef VII a pour épouse une nommée "Sobekemsaf". L’étymologie de ce nom asexué, porté aussi par deux pharaons du début de cette XVIIème Dynastie ("Sekhemrê Wadjkhaw Sobekemsaf" et "Sekhemrê Shedtawy Sobekemsaf"), littéralement "Sobek-la/le-protège" est intéressante, car elle renvoie au dieu-crocodile Sobek emblématique de la région marécageuse du Mer-our/Fayoum en basse Egypte où domine alors la XIVème Dynastie, juste en amont du delta du Nil occupé par les hyksos, elle témoigne aussi de l’affirmation hégémonique de la XVIIème Dynastie sur cette région du Mer-our/Fayoum, contre la XIVème Dynastie.


Dans un fragment de texte d’une stèle retrouvée à Abydos, constituant le document 27 du livre IV du monumental Urkunden des aegyptischen altertums, compilation de textes égyptiens en huit livres publiés à Leipzig entre 1932 et 1961, abrégé en "Urk." dans le petit monde des égyptologues, Ahmosis le fondateur de la XVIIIème Dynastie qualifie une nommée "Teti-Sheri" de "mère de ma mère, mère de mon père, grande épouse royale, mère royale". Dans le texte d’une autre stèle retrouvée à Opet-Isout/Karnak, constituant le document 21 du livre IV du même Urkunden des aegyptischen altertums, Ahhotep la mère d’Ahmosis est qualifiée d’"épouse royale, sœur royale, fille royale, vénérable mère royale". On en déduit que Teti-Sheri - apparentée au "Teti fils de Minhotep" condamné par Antef VII dans le décret précité ? - est l’épouse d’un des derniers pharaons de la XVIIème Dynastie, qu’elle lui a donné au moins deux enfants, plus précisément une fille Ahhotep et un fils dont on ignore le nom, ce fils anonyme est devenu pharaon à la suite de son père et a épousé sa sœur Ahhotep, et de ce mariage consanguin est né Ahmosis. Ces déductions doivent être rapprochées des trois derniers noms de pharaons de la XVIIème Dynastie donnés par Manéthon : Senakhtenrê, Seqenenrê et Kamosis. Sur la statue référencée E15682 conservée au Musée du Louvre à Paris en France, représentant le jeune Ahmosis assis, on peut lire le nom originel de ce dernier : "j3hms/Ahmès", le nom de sa mère : "j3hhtp/Ahhotep", et le nom de son père : "sknnr3/Seqenenrê". Des fouilles franco-égyptiennes réalisées en 2012 dans l’antique temple de Ptah à Opet-Isout/Karnak ont mis à jour une porte portant le nom de "snhtnr3 j3hms/Senakhtenrê Ahmès". A partir de ces nouveaux indices, on peut supposer que Senakhtenrê-Ahmès et Teti-Sheri sont les parents de Seqenenrê et Ahhotep, qui eux-mêmes se sont unis pour engendrer un fils consanguin qu’ils ont appelé "Ahmès/Ahmosis" en hommage à leur père. Dans cette généalogie plausible, Kamosis demeure une énigme : est-il un fils de Senakhtenrê et Teti-Sheri (donc le frère de Seqenenrê et l’oncle d’Ahmosis) ? est-il plutôt un fils de Seqenenrê et Ahhotep (donc le frère d’Ahmosis) ? est-il même un étranger adopté par la famille royale ? Le papyrus "Sallier I" conservé par le British Museum de Londres en Grande-Bretagne sous la référence BM EA10185 établit une équivalence chronologique entre le règne de Seqenenrê à Ta-Opet/Thèbes et le règne du hyksos Apopi à Avaris. Ce papyrus très corrompu datant de la XIXème Dynastie raconte comment Apopi, vénérateur du dieu "swth/Soutekh", traduction égyptienne du dieu sémitique de l’Orage "Seth/Addu" selon notre hypothèse récurrente (alias "Shadday" chez les hébreux ; nous avons signalé dans notre paragraphe introductif la découverte à Tanis par Flinders Petrie de deux statues dédiées effectivement à "Seth seigneur d’Avaris" par Apopi surnommé "Akenemrê"), demande à Seqenenrê d’"éloigner les hippopotames des marais à l’est de la cité" de Ta-Opet/Thèbes, qui "l’empêchent de dormir". On ignore comment s’est terminée la confrontation, car la fin du texte est perdue ("En ce temps-là l’Egypte était dans le malheur, n’ayant plus de seigneur doté de vie, de force et de prospérité, ni de roi [on doit comprendre ici "roi unique" d’Egypte, depuis la frontière éthiopienne jusqu’à la mer Méditerranée]. Le roi Seqenenrê gouvernait la cité du sud [Ta-Opet/Thèbes]. La misère dominait dans Avaris la cité des Asiatiques, que gouvernait le roi Apopi. Le pays entier lui offrait ses produits, dont le nord plein des bonnes choses du delta. Le roi Apopi avait Soutekh pour maître, il ne servait aucun des dieux du pays excepté Soutekh, pour lequel il construisit un temple bien travaillé, éternel, à côté de son palais royal. Chaque jour il se levait en gloire pour donner à Soutekh des offrandes. Les notables y apportaient des guirlandes de fleurs comme on le fait dans le temple de Ra-Horakhty. Le roi Apopi voulut envoyer un message provoquant à Seqenenrê le roi de la cité du sud. Après de nombreux jours, le roi Apopi convoqua les [dignitaires] de son [palais pour les informer de] l’envoi [au roi de la cité du sud] d’un message [relatif au] fleuve [texte manque]. Scribes, savants et fonctionnaires [lui dirent :] “Seigneur, [demande-lui d’éloigner] les hippopotames des marais [à l’est de la cité] car ils gênent [ton sommeil de jour] et de nuit [en emplissant tes oreilles”. Le roi Apopi leur répondit :] “Le roi de [la cité du sud a Amon-Ra] pour maître, il ne sert aucun des dieux du pays excepté Amon-Ra, le roi des dieux”. Après de nombreux jours, le roi Apopi envoya au roi de la cité du sud un messager porter les paroles que lui avaient dites scribes, savants et fonctionnaires. Le messager du roi Apopi arriva auprès du roi. Celui-ci le fit introduire, et lui demanda : “Pourquoi as-tu été envoyé jusqu’à la cité du sud ? Pourquoi as-tu voyagé jusqu’à moi ?”. Le messager lui répondit : “Le roi Apopi m’a envoyé auprès de toi pour te dire ceci : « Eloigne les hippopotames des marais à l’est de la cité car ils gênent mon sommeil de jour et de nuit en emplissant mes oreilles »”. Le roi de la cité du sud fut très surpris pendant un moment, ne sachant pas quelle réponse donner au message du roi Apopi. Finalement, il lui dit : “Ton maître a-t-il vraiment entendu [les hippopotames des marais] à l’est de la cité ?”. [Le messager lui dit : “Réfléchis bien] à la demande pour laquelle il m’a envoyé”. [Le roi] prit soin du [messager en lui donnant] des bonnes viandes, des gâteaux [texte manque] [puis il lui dit : “Retourne vers la maison de ton maître] pour lui dire ce que je fais. Dis-lui que [texte manque]”. Le messager du roi Apopi retourna alors vers la maison de son maître. Le roi de la cité du sud convoqua ses courtisans et les chefs de sa suite pour leur répéter le message adressé par le roi Apopi : ils gardèrent le silence tous ensemble pendant un long moment, ne sachant pas quelle réponse bonne ou mauvaise lui apporter. Le roi Apopi envoya [texte manque]"). Les égyptologues intégristes des XIXème et XXème siècles, aussi peu rationnels que leurs pairs hellénistes fanatiques dont nous avons maintes fois dénoncés les délires, prétendent que ce récit n’est qu’une fable traduisant on-ne-sait-quelle réflexion métaphysique. Notre lecture est beaucoup plus terre-à-terre. Selon nous, derrière l’image des hippopotames qui empêchent Apopi de dormir, on doit voir des alliés de la XVIIème Dynastie qui menacent la domination des hyksos sur l’Egypte. Sont-ce des vrais hippopotames sur lesquels les dynastes de la XVIIème Dynastie déposent symboliquement tous les maux causés par les hyksos avant de les mettre à mort, selon la même logique que la cérémonie sacrificielle de l’Apis décrite par Hérodote et Plutarque dans les passages précités, et que la cérémonie du bouc émissaire chez les hébreux plus tard ? C’est possible, car à partir de la XVIIIème Dynastie le dieu Seth sera parfois représenté sous la forme d’un hippopotame, le rite du harponnage des hippopotames à Ta-Opet/Thèbes censé protéger la monarchie égyptienne pourrait découler d’un rituel remontant à la XVIIème Dynastie dans lequel les animaux sacrifiés incarnant les hyksos annoncent la chute de ceux-ci au profit de celle-là (et comme dans le cas du taureau Apis et du bouc émissaire, l’image originellement négative de l’hippopotame muera peu à peu en une image positive car l’animal d’abord porteur de tous les maux apparaîtra ensuite comme le libérateur de tous les maux : ceci pourrait expliquer l’émergence de l’ambivalente déesse-hippopotame Taouret protectrice des accouchements qui aura un temple dédié à Opet-Isout/Karnak, associée à Seth provocateur d’avortements). Sont-ce plutôt des hommes ayant l’hippopotame comme emblème, des Sémites adversaires politiques d’Apopi, ayant naturellement trouvé asile à la Cour de la XVIIème Dynastie, qui les a installés à l’est de Ta-Opet/Thèbes (c’est-à-dire dans le désert qui regarde vers la péninsule arabique, sur la rive droite du Nil, correspondant justement au territoire dominé par Typhon dans le mythe d’Osiris, et par Egyptos fils de Bélos dans la mythologie grecque) ? Dans ce cas, le rite thébain ultérieur du harponnage des hippopotames ne vise pas à rappeler symboliquement la chute des hyksos, mais la nécessité pour les monarques égyptiens de brider les peuples étrangers afin de contenir leurs ambitions dominatrices, comme jadis la XVIIème Dynastie a bridé les adversaires politiques d’Apopi à Ta-Opet/Thèbes pour mieux les retourner contre Apopi. Dans les deux cas, que les hippopotames du papyrus Sallier I soit des vrais animaux incarnant l’entourage d’Apopi sacrifiés par la XVIIème Dynastie, ou des emblèmes des rebelles à l’autorité d’Apopi protégés par la XVIIème Dynastie, on comprend pourquoi ils empêchent Apopi de dormir, et pourquoi Apopi somme Seqenenrê de les réduire au silence… Le bon traitement que Seqenenrê réserve au messager d’Apopi quant à lui, doit être compris de la même façon que le bon traitement réservé beaucoup plus tard par Xerxès Ier aux espions grecs avant son invasion de l’Europe (dans le livre VII paragraphes 146 et 147 de l’Histoire d’Hérodote) : Seqenenrê veut que ce messager mesure par lui-même l’opulence de la XVIIème Dynastie et rende compte à Apopi de ce qu’il aura vu, sûr qu’Apopi en entendant ce compte-rendu renoncera à ses prétentions hégémoniques sur Ta-Opet/Thèbes.


Nous avons évoqué la possibilité que Kamosis n’appartienne pas à la famille royale. Le nom même de "Kamosis/k3ms", littéralement l’"enfant du taureau" en égyptien, trahit peut-être sa nature : nous avons vu précédemment que le taureau est un animal fortement lié au monde sémitique, en particulier au dieu de l’Orage Addu, ce qui pourrait sous-entendre que Kamosis a du sang sémitique dans les veines. Est-ce lui, plutôt qu’Apopi, qu’on doit voir dans le Typhon du mythe d’Osiris (Kamosis comme Typhon conquiert la basse Egypte à partir du sud, et il refoule les hyksos vers leur Levant originel comme Typhon refoule Osiris vers Byblos) et dans l’Egyptos fils de Bélos/baal de la mythologie grecque (Kamosis comme Egyptos gouverne d’abord sur le pays des "Mélampodiens/hommes noirs" en haute Egypte ; aucun artefact ne garantit par ailleurs qu’Ahmosis est bien le fils de Kamosis, autrement dit Kamosis n’a peut-être aucune descendance, comme Egyptos dont tous les fils sont assassinés par ses nièces les Danaides, à l’exception de Lyncée qui reste dans la lointaine Argos) ? En 1908, dans la nécropole de Dra Abou el-Naga, l’égyptologue britannique George Herbert comte de Carnavon exhume une tablette comportant des éléments biographiques relatifs à Kamosis. Avant la deuxième Guerre Mondiale, l’architecte explorateur français Henri Chévrier découvre que le texte de Carnavon n’est qu’une copie partielle d’une hagiographie de Kamosis consignée sur deux stèles d’Opet-Isout/Karnak, dont la première est rendue publique dès 1935, et la seconde, en 1954. Ce long texte a été réalisé par un nommé "Neshi", trésorier de Kamosis, sur l’ordre de Kamosis lui-même, comme indiqué en conclusion de la seconde stèle ("Le roi a ordonné au noble préposé aux affaires secrètes du palais royal, ministre du pays entier, trésorier royal de basse Egypte, conducteurs des deux pays, premier des courtisans et chef des trésoriers, le brave Neshi : “Consigne les vaillants actes de Ma Majesté sur une stèle qui sera placée à Opet-Isout, dans Thèbes, éternellement”. Celui-ci répondit au roi : “J’agirai conformément à tout ce qui m’en ordonné”, et reçut les louanges du roi"). Il révèle qu’au moment de l’intronisation de Kamosis, le pouvoir d’Apopi s’étend jusqu’à Cusae en moyenne Egypte, aujourd’hui el-Qusiya à une cinquantaine de kilomètres en aval d’Asyut, que ce dernier est allié au roi de Koush (territoire indistinct au sud de la mer Rouge, correspondant ici à l’actuel Soudan), et que la Cour de la XVIIème Dynastie contient des pleutres partisans d’un statu quo avec le roi de Koush et avec Apopi ("Le roi dans son palais dit aux grands de son Conseil : “Ma force se révélera. Un roi est dans Avaris, un autre est à Koush : je siège entre un Asiatique et un nègre, chacun possédant une partie de l’Egypte et partageant le pays avec moi [texte manque]. Voyez : à Khemenou [alias "Hermopolis" dans les textes grecs, aujourd’hui le site archéologique d’al-Ashmunin à une trentaine de kilomètres en amont de Minya en Egypte], les hommes n’ont plus de repos, ils sont dépouillés, réduits en servitude par les Asiatiques. Mais moi je bataillerai contre lui [c’est-à-dire "contre Apopi"], je briserai son corps, car je veux délivrer l’Egypte et frapper les Asiatiques”. Les grands du Conseil dirent ensuite : “Vois : les Asiatiques se sont certes avancés jusqu’à Cusae, ils ont [texte manque], mais nous qui avons en charge l’Egypte nous sommes au frais [c’est-à-dire "nous sommes en paix, nous n’avons aucun souci administratif, économique, politique, social" ; la notion de paix en Egypte est naturellement suggérée par l’idée de fraicheur, l’excès de chaleur signifiant des mauvaises récoltes, et par extension le chaos], Eléphantine est puissante, le cœur du pays jusqu’à Cusae est à nous, les champs les plus fertiles sont labourés pour nous, notre bétail paît dans les marais de papyrus, l’épeautre est jetée à nos porcs, nos troupeaux son bien gardés [texte manque]. Il règne certes sur les Asiatiques, mais nous régnons sur l’Egypte. N’agissons donc contre lui que s’il nous aborde et agit contre nous”. Ces propos déplurent au cœur du roi : “Vos conseils [texte manque] [Je bataillerai] contre les Asiatiques, et la prospérité reviendra [texte manque], le pays entier [m’acclamera], moi le roi victorieux de Thèbes, Kamosis, protecteur de l’Egypte”"). Méprisant les appels à la prudence de ces courtisans pleutres, on suppose que Kamosis lance une première offensive préventive vers le sud, contre le roi de Koush. Dans un appel au secours envoyé par Apopi au roi de Koush rapporté par la double stèle de Neshi, postérieur au saccage d’Avaris que nous allons raconter juste après, Apopi évoque effectivement cette offensive initiale de Kamosis au pays de Koush, qui est confirmée archéologiquement par deux grafittis portant le nom de Kamosis découverts sur des rochers à Toshka en aval de la deuxième cataracte (site aujourd’hui partiellement inondé par le lac formé par le barrage d’Assouan). Kamosis se tourne ensuite vers le nord, dans une expédition fluviale qui s’achève par la prise de Neferousy, cité non localisée exactement dans les environs de l’actuelle Minya en Egypte ("Je descendis puissamment le fleuve pour détruire les Asiatiques, conformément à l’ordre d’Amon le dieu aux justes conseils, mon armée devant moi telle une flamme brûlante et ardente, les archers medjaiou [guerriers nubiens] en haut des [texte manque] afin de tirer des flèches sur les Asiatiques et les chasser de leurs résidences, l’orient et l’occident m’apportant en tous lieux l’huile adj et la nourriture aux troupes. Je m’arrêtai un moment, envoyant les puissants archers medjaiou repousser Teti fils de Pepi [apparenté à "Teti fils de Minhotep" puni naguère par Antef VII ?] dans la cité, ne permettant pas qu’il s’échappe. Je repoussai aussi les Asiatiques envoyés vers l’Egypte [ces "Asiatiques envoyés vers l’Egypte" sont-ils le contingent d’occupation assurant l’ordre hyksos dans la cité du collaborateur "Teti fils de Pepi" ? ou sont-ils un contingent de renfort envoyé en urgence par Apopi pour essayer de contenir les assauts de Kamosis ?]. Je passai la nuit sur mon bateau, le cœur heureux. Lorsque la terre blanchit [au lever du jour], je fondis sur lui tel un faucon, et à l’heure du déjeuner je le renversai : je détruisis sa muraille et je massacrai ses hommes. Son épouse descendit jusqu’aux rives du fleuve. Mes troupes, tels des lions chargés de leurs proies, emmenèrent les serviteurs, le bétail, le lait, les huiles adj et le miel, ils se partagèrent les biens, le cœur heureux. C’est ainsi que le district de Neferousy se rendit"). Fort de cette première victoire, il continue d’avancer vers le nord, toujours par voie fluviale. Il dépasse Memphis, et arrive en vue d’Avaris. Dans une séquence très cinématographique, le texte évoque les habitantes paniquées pointant leur nez par les créneaux de la cité afin de scruter les soldats de Kamosis qui naviguent vers elles. Une incidence révèle que le pouvoir d’Apopi (comme celui de Typhon qui s’étend jusqu’à Byblos dans le mythe d’Osiris, et comme celui d’Egyptos fils de Bélos/baal qui s’étend jusqu’en "Arabie" dans la mythologie grecque) s’étend vers le nord-est jusqu’au "Retenou/rtnw", terme égyptien désignant le Levant ("J’ai abordé à Per-Djed-ken [lieu inconnu] le cœur heureux, car j’avais infligé un moment misérable à Apopi [rappel de la bataille de Neferousy], lui le roi du Retenou aux bras débiles, qui rêvait des actes de vaillance qu’il était incapable d’accomplir. J’arrivai à Inyt-net-khent [lieu inconnu]. Je naviguai jusqu’à la cité pour interroger les habitants. Je rassemblai ensuite les bateaux en file, la proue de l’un touchant la poupe de l’autre. Mes braves soldats sur le fleuve semblaient voler comme le faucon. Mon bateau d’or était devant eux. Je les précédai comme le faucon. Mon bateau fort et protecteur avança jusqu’à la limite du désert. Les bateaux pleins derrière moi ressemblaient aux vautours qui labourent les marais d’Avaris. Je vis des femmes au sommet du palais, scrutant les rives par les meurtrières. Leurs corps étaient immobiles, elles paraissaient regarder avec leurs nez, qui seuls dépassaient des hautes fortifications. Elles dirent : “C’est une attaque !”"). Le texte rapporte ensuite le saccage d’Avaris par Kamosis, qui accapare un formidable butin : l’énumération des trésors est-elle historique, ce qui renseignerait a posteriori sur l’immense richesse accumulée par les hyksos depuis leur installation dans le delta du Nil au siècle précédent ? ou n’est-elle qu’une exagération servant la propagande de Kamosis ? Une nouvelle incidence mérite notre attention, sur laquelle nous reviendrons dans notre prochain alinéa : venu par voie fluviale, Kamosis repart vers Ta-Opet/Thèbes par voie terrestre, encombré notamment par les chars qu’il subtilise dans les arsenaux hyksos ("Vois : je suis venu avec une bonne fortune, et le reste du pays est avec moi. Mon action sera durable. Au nom du vaillant et prospère Amon, je ne te permettrai plus de rester ici, de fouler aux pieds nos champs. Ton cœur faiblit, vil Asiatique ! Vois : je bois le vin des vignobles qu’ont pressé les Asiatiques capturés. Je détruis ton palais, je coupe tes arbres, je saisis tes femmes et les transporte vers mes bateaux, et je m’empare de tes chars. Je ne laisse même pas une planche de tes centaines de navires en cèdre vert chargés d’or, de lapis-lazuli, d’argent, de turquoises, d’innombrables haches en bronze, d’huiles, d’encens, de graines, de miel, de bois précieux, et de tous les autres bons produits du Retenou : j’emmène tout, je vide toutes les places. O Asiatique vaincu, ton cœur faiblit, vil Asiatique qui disait : “Je suis un roi, personne parmi les tributaires d’Avaris ne m’égale jusqu’à Hermopolis, jusqu’à Per-Hathor [littéralement la "Maison-de-Hathor", site inconnu car plusieurs cités égyptiennes comportent des temples dédiés à la déesse Hathor et peuvent revendiquer ce nom "Per-Hathor"], entre les deux fleuves [les deux branches orientales du Nil, au milieu desquelles la cité d’Avaris s’est développée] !”"). Apopi, qui a sauvé sa vie en se retirant sur ses terres du Retenou/Levant, envoie un appel au secours à son allié le roi de Koush, espérant que celui-ci, qui a déjà bataillé contre Kamosis à l’occasion du raid préventif dont nous venons de parler, enverra un contingent pour prendre les troupes thébaines à revers, ces dernières ayant perdu leur mobilité foudroyante depuis qu’elles sont alourdies par l’énorme butin qu’elles ont fait à Avaris - elles sont toujours dans le delta du Nil, où elles pourraient aisément être anéanties, refoulées dans les zones marécageuses des branches occidentales. Malheureusement pour Apopi, le messager portant cet appel au roi de Koush est intercepté par Kamosis ("Je capturai sa lettre au sud de l’oasis, sur la route vers Koush. Je découvris ces paroles écrites du roi d’Avaris : “Apopi Aaouserrê ["Grande-force-de-Ra", un des surnoms d’Apopi] fils de Ra, salue son fils le roi de Koush [l’interpellation de père à fils ne signifie pas que les deux hommes appartiennent à la même famille, il s’agit d’une interpellation conventionnelle entre un souverain reconnaissant son interlocuteur plus jeune que lui comme un pair, qui dure encore aujourd’hui dans la correspondance entre rois]. Comment as-tu pu t’élever à la royauté sans m’en informer ? Sais-tu ce que l’Egypte m’a fait ? Son roi Kamosis, le puissant doué de vie, a agressé violemment mon territoire alors que je ne l’ai pas attaqué, exactement comme il a fait contre toi. Il veut détruire les deux pays [c’est-à-dire la haute et la basse Egypte : dans cette formulation, Apopi veut sous-entendre que Kamosis implanté à Ta-Opet/Thèbes, juste au milieu de ces deux territoires, n’est qu’un intrus, un gêneur sans légitimité, un point qui fait tache, un obstacle insignifiant à l’unification harmonieuse de l’Egypte], le mien et le tien, et il les ravage. Viens donc à mon secours, navigue donc vers le nord, et sois sans crainte : actuellement il est chez moi, personne ne s’attend à te voir en Egypte, et je l’empêcherai de s’éloigner tant que tu ne seras pas arrivé. Ensuite nous nous partagerons les cités d’Egypte et le pays de Khent-en-nefer [région au sud de la deuxième cataracte] sera heureux”"). Les troupes égyptiennes stoppent alors leur retraite. Elles prennent position dans le nome du Chacal, autour de la cité de Saka (aujourd’hui al-Qays, à une quarantaine de kilomètres en aval de Minya en Egypte). Après avoir sécurisé la région jusqu’à la cité fluviale d’Atfih au nord (qui a conservé son nom jusqu’à aujourd’hui) et à l’oasis de Bahariya à l’ouest (qui a aussi conservé son nom jusqu’à aujourd’hui), il libère le messager hyksos et le renvoie vers Avaris pour signifier à Apopi qu’aucune aide désormais ne peut plus lui venir du roi de Koush. Kamosis reprend ensuite sa lente marche de retour vers Ta-Opet/Thèbes ("Le visage de l’homme du nord ne se détourna pas [c’est-à-dire "Apopi est resté courageux", Kamosis dit ainsi que son adversaire, même vaincu à Neferousy, même dans sa retraite vers le Retenou/Levant lors de la prise d’Avaris, n’a jamais cédé au désespoir : cela correspond-il à la vérité historique ? ou est-ce encore un élément de propagande qui veut grandir la figure d’Apopi pour accroître en même temps la gloire de Kamosis ?], mais il me craignait au moment où je descendais le fleuve, avant les combats, avant que je l’atteigne : en voyant mon souffle enflammé, il avait envoyé un messager vers le pays de Koush pour en obtenir de l’aide. Mais je m’en emparai en cours de route, et il n’arriva jamais. Je le renvoyai après l’avoir déposé à l’est près d’Atfih. Ma puissance lui pénétra le cœur et le fit trembler quand son messager lui rapporta mes actes dans le nome du Chacal qui lui appartenait encore. Puis j’envoyai un fort détachement ravager l’oasis lointain de Bahariya, pendant que moi-même je stationnai à Saka pour prévenir toute attaque ennemie sur mes arrières. Ensuite je remontai le fleuve, le cœur fort et heureux, massacrant chaque rebelle croisant mon chemin"). La fin du texte, qui montre le retour triomphal des troupes égyptiennes à Ta-Opet/Thèbes, chargées de leur butin, au milieu de la population thébaine en liesse ("Quelle heureuse navigation vers le sud pour le roi précédé de ses troupes ! Ils n’avaient subi aucune perte, aucun homme ne pleurait son compagnon, les cœurs ne furent pas affligés. Ils naviguèrent lentement vers la cité, à la saison des crues. Chaque visage était lumineux. Le pays était dans l’abondance. Les rives du fleuve dansaient, et Thèbes était en fête. Les hommes et les femmes s’avancèrent pour me voir, les épouses embrassaient leurs époux, aucun visage n’était chargé de larmes. Je brûlai l’encens pour Amon dans le Saint des Saints, où on dit habituellement : “Reçois ces belles et bonnes choses”, car son bras avait donné l’épée de puissance à son fils, le roi éternel Ouadjkheperrê fils de Ra, Kamosis, le puissant doué de vie, de stabilité et de force, dont le cœur jouit du ka de Ra éternellement"), divise les égyptologues : si la campagne vers Avaris a certes été un succès, elle a aussi radicalisé la position de la XVIIème Dynastie contre les hyksos et leurs alliés, dont on suppose qu’ils ne resteront pas inactifs, le sentiment des Thébains est donc certainement plus partagé que ce texte de propagande ne le dit, on devine que s’ils ont la joie immédiate de revoir leurs pères, leurs frères et leurs fils en vie couverts de richesse les Thébains sont aussi inquiets sur l’avenir, angoissés par la conviction de devoir vaincre ou subir le reflux annoncé des hyksos assoiffés de vengeance.


On ignore la durée de règne de Kamosis. Sa tombe n’est pas encore localisée, même si, grâce au papyrus Abbott, nous savons qu’elle se trouve quelque part dans la nécropole de Dra Abou el-Naga, et que son contenu a été déplacé sous la XXème Dynastie pour être préservé des pillards. Le sarcophage contenant la dépouille de Kamosis a été retrouvé en bordure de cette nécropole en 1857 : conservé aujourd’hui au Musée égyptien du Caire sous la référence CG28501, il n’est pas doré, ce qui sous-entend que la mort a été si soudaine que ses artisans n’ont pas eu le temps de la dorer, et/ou que les pharaons ultérieurs ont estimé que le mérite de Kamosis n’était pas suffisant pour être orné d’or après sa mort, la dépouille de Kamosis quant à elle est rapidement tombée en poussière après sa découverte, empêchant toute analyse nous éclairant sur la nature et les circonstances de la mort. La vie de son successeur, Ahmosis fils de Seqenenrê, nous est connue principalement par une tombe explorée à Nekheb, aujourd’hui el-Kab à une quinzaine de kilomètres en aval d’Edfou en Egypte, dont les murs portent le panégyrique funèbre de l’homme qu’elle renferme, un capitaine égyptien contemporain nommé "Ahmosis fils d’Abana". Ce panégyrique est écrit à la première personne du singulier. Il constitue le document 1 du livre I de l’Urkunden des aegyptischen altertums. On s’étonne d’emblée que, dans sa présentation, cet Ahmosis fils d’Abana rappelle que son père Baba (Abana est le nom de sa mère) "était commandant du roi Seqenenrê" et que lui-même est devenu très jeune commandant de son homonyme Ahmosis fils de Seqenenrê, en passant complètement sous silence Kamosis qui a régné entre Seqenenrê et Ahmosis. On en déduit que ni lui ni son père Baba n’a suivi Kamosis dans son expédition vers Avaris. Peut-on aller plus loin en disant que cela confirme la non-appartenance de Kamosis à la famille royale, et que cette expédition de Kamosis vers Avaris a été une aventure hasardeuse mais réussie d’une petite troupe de pieds-nickelés conduite par un ambitieux incontrôlable, davantage qu’une épopée planifiée et flamboyante impliquant tous les Thébains mâles en état de batailler conduite par un digne représentant de la XVIIème Dynastie ? Ahmosis fils d’Abana dit que le pharaon Ahmosis lance une nouvelle expédition vers Avaris par voie de terre, en dirigeant ses troupes depuis un char ("Le chef des marins Ahmosis fils d’Abana à la juste voix, dit : “Je m’adresse à tous les hommes, pour leur apprendre les honneurs que j’ai reçus. J’ai été récompensé d’or sept fois, en présence du pays tout entier, avec serviteurs et servantes. J’ai obtenu aussi de nombreuses terres. Ma renommée s’est établie sur mes actes, et ne périra jamais dans ce pays”. Il dit encore : “J’ai grandi dans la cité de Nekheb. Mon père était commandant du roi de haute et de basse Egypte Seqenenrê à la juste voix, il s’appelait Baba fils de Ra-inet. Je suis devenu commandant à sa place sur le bateau Taureau vaillant à l’époque de Neb-pehty-rê ["Puissant-seigneur-Ra", un des surnoms d’Ahmosis] à la juste voix, roi des deux pays, quand j’étais encore jeune : je n’avais alors pas d’épouse, et je dormais toujours avec le vêtement de l’enfance. Après avoir fondé un foyer, j’ai été enrôlé dans la flotte du nord grâce à mon courage. J’ai accompagné le roi sur la terre, en suivant les évolutions de son char. Nous avons assiégé la cité d’Avaris”", Urkunden des aegyptischen altertums I.1) : ce char est certainement l’un de ceux que Kamosis a dérobés aux hyksos lors du saccage d’Avaris, ce qui sous-entend qu’Ahmosis reprend à son compte le projet initié par Kamosis de reconquête de l’Egypte au détriment des hyksos. La cité d’Avaris est alors toujours gouvernée par Apopi. Le papyrus dit "Rhind" (du nom de son découvreur l’égyptologue écossais Alexander Henry Rhind), conservé par le British Museum de Londres en Grande-Bretagne sous la référence BM EA10058, contenant des exercices mathématiques d’un scribe égyptien en "l’an 33 d’Apopi Aaouserrê", confirme incidemment que le règne d’Apopi a été très long, au moins trente-trois ans. Ce même papyrus Rhind est annoté au verso sur trois colonnes : dans la première colonne on lit : "an 11, deuxième mois de la saison sèche, prise de jwnw", dans la deuxième colonne on lit : "premier mois de la saison des crues, vingt-troisième jour, attaque de t3rw par le sud", dans la troisième colonne on lit : "an 11, premier mois de la saison des crues, troisième jour, naissance de Seth qui donne de sa voix majestueuse, naissance d’Isis qui fait pleuvoir le ciel". Le nom "jwnw/Iounou" renvoie à la cité que les Grecs traduiront en "Héliopolis", aujourd’hui le site archéologique d’Aîn-ech-Chams dans la banlieue nord-est du Caire en Egypte. Le nom "t3rw/Tjarou" de son côté renvoie à la cité que les Grecs traduiront en "Silé", aujourd’hui le site archéologique de Tell el-Heboua dans la banlieue est de Qantarah, à une vingtaine de kilomètres au sud de Port-Saïd en Egypte. Les opérations militaires mentionnées dans ces trois colonnes se rapportent assurément à la campagne d’Ahmosis, et non pas à celle de son prédécesseur Kamosis, car primo le papyrus indique bien "l’an 11" or la durée de règne de Kamosis semble très inférieure à onze ans, et secundo les assauts contre les cités de Iounou/Héliopolis et Tjarou/Silé impliquent un mouvement d’encerclement stratégique ample et raisonné par voie de terre et une importante logistique or l’expédition de Kamosis s’est limitée à un unique objectif tactique, le brusque saccage d’Avaris, via la voie fluviale. On peut dire encore que le mouvement général des troupes égyptiennes depuis Héliopolis conquise au printemps ("saison sèche") jusqu’à Silé conquise en automne ("saison des crues") prouve qu’Ahmosis a tiré les leçons de l’expédition de son prédécesseur : en concentrant toutes ses troupes vers la seule Avaris, Kamosis naguère a permis à Apopi de fuir vers le Retenou/Levant et d’y reconstituer des forces, Ahmosis en prenant Silé verrouille au contraire la route du Retenou/Levant, interdit à Apopi de fuir à nouveau vers le nord-est, l’enferme dans le delta du Nil, l’oblige à se barricader dans Avaris, pour l’assiéger plus aisément. Le panégyrique d’Ahmosis fils d’Abana raconte ensuite le siège d’Avaris, les longs combats sur terre et dans le fleuve autour de la cité (qui suggèrent que la résistance des hyksos est plus efficace aujourd’hui contre Ahmosis qu’hier contre Kamosis : cela renvoie-t-il à la vérité historique, ou n’est-ce encore qu’une propagande destinée à vanter l’héroïsme d’Ahmosis fils d’Abana ?), enfin la prise de cette cité ("Nous avons assiégé la cité d’Avaris. J’ai prouvé ma vaillance sur la terre, en présence du roi. Ensuite j’ai été promu sur le bateau Eclat de Memphis. Nous avons bataillé sur l’eau, dans le canal Pad-jed-kou d’Avaris. J’ai ramené une main comme butin [coupée à un ennemi mort : le nombre de mains coupées matérialise la vaillance du soldat, et lui garantit des récompenses royales en proportion], ce fait a été rapporté par le héraut royal, et m’a permis d’obtenir l’or de la vaillance. Quand nous avons repris les combats en ce lieu, j’ai ramené encore une main comme butin, qui m’a permis à nouveau d’obtenir l’or de la vaillance. Nous avons ensuite bataillé au sud de cette cité, en Egypte. Là, j’ai ramené un prisonnier. Je suis descendu dans l’eau pour le transporter aussi facilement qu’on capture un homme en cheminant [épreuve consistant à porter un prisonnier sur son dos dans une rivière, pour signifier force et courage que rien ne peut arrêter, ni le courant de la rivière, ni le poids de l’homme qu’on porte aussi facilement que si on se promenait sur un chemin] : j’ai traversé l’eau en le portant, ce fait a été rapporté au héraut royal, et m’a permis une fois encore d’être récompensé par de l’or. Puis nous avons pris Avaris. J’y ai capturé un homme et trois femmes, soit quatre têtes, que le roi m’a donnés comme serviteurs", Urkunden des aegyptischen altertums I.1). Ahmosis fils d’Abana continue son autobiographie funéraire en évoquant le siège de Sharouhen, où sont retranchés les hyksos ayant échappé à la chute d’Avaris. Ce nouveau siège s’achève après trois ans par le saccage de la cité ("Ensuite nous avons assiégé Sharouhen pendant trois ans. Le roi s’en est finalement emparée. Là je ramenai encore deux femmes et une main comme butin, qui m’ont à nouveau apporté l’or de la vaillance, j’ai obtenu que les captives deviennent mes servantes", Urkunden des aegyptischen altertums I.1), qui ne s’en relèvera jamais. Dans notre paragraphe introductif, nous avons vu que cette cité de Sharouhen correspond probablement au site archéologique de tell el-Ajjul, dans la banlieue sud-ouest de la moderne Gaza, qui cesse d’être occupé à l’ère mycénienne. Certains historiens, en rappelant que la cité de "qdwd" apparaît pour la première fois dans les Annales de Thoutmosis III arrière-arrière-petit-fils d’Ahmosis, alias la "Hazatu" dans les lettres d’El-Amarna EA 289 et EA 296 au XIVème siècle av. J.-C., alias la "Qédar" de la littérature assyrienne de la fin du VIIIème siècle av. J.-C. (personnifiée comme fils d’Ismaël au chapitre 25 verset 15 de la Genèse), hellénisée au Vème siècle av. J.-C. en "Cadytis/K£dutij" par Hérodote (au livre II paragraphe 159 et au livre III paragraphe 5 de son Histoire) puis à l’ère hellénistique en "Gaza/G£za" qui est resté jusqu’à aujourd’hui, avancent l’hypothèse pertinente que la population de cette "qdwd/Gaza" nouvelle n’est constituée originellement que des Sémites hyksos survivants du siège de Sharouhen, réduits à l’état d’esclaves par Ahmosis et ses successeurs, autrement dit la cité de Gaza n’est originellement qu’un camp de concentration créé par les premiers pharaons de la XVIIIème Dynastie pour contrôler et en même temps maintenir à distance de l’Egypte les descendants de l’ancienne XVème Dynastie sémitique hyksos d’Avaris. Le nom de "qdwd/Gaza" dérive peut-être d’un étymon signifiant "trésor", ou plus vulgairement "butin", qui prouverait indirectement que les gens contenus dans ses murs sont bien une masse de prisonniers de guerre - pouvant éventuellement servir de main d’œuvre à bon marché - tolérés à la frontière du royaume d’Egypte réunifié par la XVIIIème Dynastie, et non pas des familles libres ayant choisi d’elles-mêmes de s’installer dans cet endroit. Le document 35 du livre IV de l’Urkunden des aegyptischen altertums rapporte la vie d’"Ahmosis-pen-Nakhbet", un autre capitaine au service du pharaon Ahmosis, frère d’armes d’Ahmosis fils d’Abana (veillons à ne pas confondre ces trois personnages homonymes !) : un passage confirme que l’armée égyptienne manœuvre dans le "d3hy/Djahy", terme désignant le sud du Retenou/Levant, correspondant aux territoires actuels de Gaza et d’Israël ("J’ai suivi Neb-pehty-rê [surnom du pharaon Ahmosis] le roi de haute et basse Egypte. Au pays de Djahy, j’ai ramené pour lui un captif et une main", Urkunden des aegyptischen altertums IV.35). Ahmosis fils d’Abana dit qu’Ahmosis remonte ensuite vers Ta-Opet/Thèbes, et lance ses troupes désormais bien aguerries vers la Nubie, avec succès ("Après que le roi a massacré les bédouins asiatiques, il a remonté le fleuve vers Khent-en-nefer [région au sud de la deuxième cataracte] pour détruire les Nubiens. Il en a massacrés beaucoup. Là, j’ai ramené deux captifs et trois mains comme butins, qui m’ont une nouvelle fois permis d’être récompensé par de l’or, et deux femmes m’ont été données. Le roi a redescendu le fleuve vers le nord, le cœur heureux, puissant et fort, ayant conquis les pays du sud et du nord", Urkunden des aegyptischen altertums I.1). Le récit du règne d’Ahmosis se termine par l’évocation de rébellions ponctuelles vite anéanties, celle d’un mystérieux "Aata" (un hyksos ?) en provenance du nord, puis celle d’un "Teti-an" (littéralement "Teti-le-beau" en égyptien : est-ce un parent de "Teti fils de Minhotep" puni jadis par Antef VII, et de "Teti fils de Pepi" vaincu naguère par Kamosis à la bataille de Neferoussy ? "Alors Aata s’est dirigé vers le sud, hâtant ainsi son destin. Les dieux de haute Egypte l’ont empoigné, le roi l’a rencontré à Tent-taa-mou [lieu inconnu] et l’a emmené captif, avec tous ses hommes comme butin. J’en ai rapporté deux prisonniers, soldats sur le bateau d’Aata. J’ai reçu cinq têtes [c’est-à-dire cinq prisonniers, réduits à l’état d’esclaves] et cinq aroures de terre dans ma cité, comme tous les autres marins. Un vil ennemi nommé Teti-an est venu, après avoir rassemblé autour de lui des hommes au cœur mauvais. Le roi l’a tué, et ses troupes ont été effacées comme si elles n’avaient jamais existé. J’ai reçu trois têtes et cinq aroures de terre dans ma cité", Urkunden des aegyptischen altertums I.1).


La domination sémitique en Egypte n’est plus. Seule l’importance politique de cet événement justifie le changement numérique de Dynastie avancé par Manéthon : Ahmosis appartient à la XVIIème Dynastie, il accède au pouvoir en toute légalité à la suite de son père Seqenenrê, et sa réunification de la haute et de la basse Egypte fonde de facto la XVIIIème Dynastie, qui ne correspond donc pas à un changement familial mais à un renversement systémique. On ignore comment Apopi a fini dans ce désastre. Un fragment de céramique portant le nom d’"Herit", une supposée fille d’Apopi, découvert sur dans la tombe d`Amenhotep Ier par l’égyptologue britannique Howard Carter au début du XXème siècle, aujourd’hui conservé par le Metropolitan Museum of Art de New York aux Etats-Unis sous la référence 21.7.7, incite certains spécialistes à penser qu’un mariage plus ou moins forcé a été conclu entre un haut membre de la Cour d’Ahmosis et cette Herit capturée et négociée comme butin de guerre pour tenter de légitimer la reconquête du Delta du Nil et formaliser la transition entre la XVIIème Dynastie victorieuse et la XVème Dynastie vaincue. Cette hypothèse restera très conjecturale tant que nous n’aurons pas d’autres informations sur l’identité de cette mystérieuse Herit. Néanmoins, un long hymne en l’honneur d’Ahmosis sur une grande stèle de date incertaine, enterrée par Amenhotep IV/Akhenaton sous le dallage à proximité du huitième pylône du sanctuaire d’Amon-Ra d’Opet-Isout/Karnak, découverte en 1913 par l’égyptologue français Georges Legrain, nous incite à conclure que les relations se normalisent vite entre l’Egypte d’Ahmosis et le Retenou/Levant refuge des hyksos : cet hymne qui ne donne aucun détail biographique sur Ahmosis, révèle qu’après sa victoire celui-ci commande une grande quantité de bois levantin pour réaliser une barque d’apparat, restaurant ainsi les échanges commerciaux naturels qui existaient sous la XIIème Dynastie et qui perdureront jusqu’à l’ère hellénistique sous le règne des Lagides (céréales égyptiennes contre bois levantin, nous renvoyons sur ce point a notre paragraphe introductif : "Le roi a ordonné la construction d’une grande barque pour aller sur le fleuve, dont le nom sera Puissante proue d’Amon, elle sera œuvrée dans le meilleur bois de cèdre frais du Liban, afin d’accomplir son heureuse navigation du premier de l’an [texte manque], les mats dressés seront en cèdre, la cabine et le plancher de même", Urkunden des aegyptischen altertums IV.14-24). Le même hymne matérialise aussi le début du culte phénoménal au dieu Amon qui, parce qu’il est censé avoir favorisé la victoire de la XVIIème Dynastie contre les occupants hyksos, cesse d’être un dieu du vent local vénéré seulement par les pêcheurs fluviaux de la région de Ta-Opet/Thèbes, pour devenir un égal des autres dieux du panthéon égyptien canonique, notamment un égal de Ra le dieu Soleil célébré antérieurement à Memphis sous ses avatars Atoum et Aton : les ribambelles de lourdes louanges qu’il contient trahissent l’élévation du statut des prêtres d’Amon, qui finiront au fil des générations par devenir un Etat dans l’Etat, un pouvoir quasi indépendant qu’Amenhotep IV/Akhenaton tentera vainement de contrer au XIVème siècle av. J.-C. ("Le roi a ordonné la réalisation de monuments pour son père Amon-Ra : des grands colliers d’or, des chaînes en véritable lapis-lazuli, des sceaux en or, des grandes aiguières en or, des jarres et des vases en argent, des autels en or, des tables d’offrandes en or et argent, des colliers menat où or et argent se mêlent au lapis-lazuli et à la turquoise, un vase en or pour le ka avec un support d’argent, un vase d’argent mêlé d’or pour le ka avec un support est en argent, un plat d’argent, des jarres de granit emplies d’onguent, des grands plats d’argent et d’or aux poignées d’argent, une harpe d’ébène œuvrée en or et en argent, des sphinx d’argent, un socle d’or", Urkunden des aegyptischen altertums IV.14-24). Memphis, l’ancienne capitale des pharaons avant l’hégémonie hyksos, garde son importance stratégique, elle redevient un arsenal maritime, un centre de commandement militaire fortifié (qui lui vaudra son surnom de "Forteresse blanche/LeukÒn Te‹coj" aux ères archaïque et classique), un foyer industriel (le document IV.24-25 de l’Urkunden des aegyptischen altertums, daté de l’an 22 du règne d’Ahmosis, célèbre la réouverture des carrières de pierres de Maasara sur la rive droite du Nil, quartier au sud-est actuel du Caire en Egypte, en présence d’Ahmosis, de son épouse Nefertari, et du trésorier royal appelé "Neferperet"), un pôle commercial où transitent les marchandises étrangères, mais la vraie capitale spirituelle et politique est désormais Ta-Opet/Thèbes. Pour l’anecdote, les femmes entourant Ahmosis jouiront également de grands honneurs posthumes. La stèle conservée par le Musée égyptien du Caire sous la référence CG34002 montre Ahmosis debout apportant des offrandes a sa grand-mère Teti-Sheri assise : ces offrandes sont-elles une partie du butin pris aux hyksos, ce qui impliquerait que Teti-Sheri était toujours vivante à l’époque ou Ahmosis a reçu de son père Seqenenrê le commandement des troupes égyptiennes et les a conduites à la victoire ? Le texte de la stèle d’Abydos précitée, constituant le document 26-29 livre IV de l’Urkunden des aegyptischen altertums, contenant une conversation entre Ahmosis et son épouse Nefertari promettant la réalisation d’un sanctuaire en l’honneur de Teti-Sheri "mère de ma mère, mère de mon père, grande épouse royale, mère royale", prouve l’attachement de celui-ci à celle-là. Nous sommes plus sceptiques sur la relation entre Ahmosis et sa mère Ahhotep (probable fille de Teti-Sheri, autrement dit sœur et épouse consanguine de Seqenenrê, comme on l’a vu juste avant), car les égyptologues n’ont retrouvé aucun artefact remarquable sur cette dernière, à l’exception du texte de la stèle dite "d’Iouf" exhumée à Edfou, qui rapporte comment Iouf un prêtre du temple d’Horus a reçu d’Ahhotep l’ordre de restaurer la tombe d’une ancienne reine et a été honoré en récompense à l’égal d’Ahmès l’épouse de Thoutmosis Ier (ce texte constitue le document 29-31 livre IV de l’Urkunden des aegyptischen altertums) : cet effacement apparent d’Ahhotep par rapport à Teti-Sheri s’explique-t-il par la malchance des archéologues, qui n’ont pas encore fouillé aux bons endroits ? ou Ahhotep, qui a peut-être assuré la régence à Ta-Opet/Thèbes pendant que son fils Ahmosis combattait contre les hyksos, a-t-elle ensuite été réellement mise à l’écart par Ahmosis qu’elle gênait ? Nefertari quant à elle (peut-être un nom de mariage, plutôt qu’un nom de baptême : "Nefertari/Nfr-trj" en égyptien se traduit littéralement par "Belle-compagne" en français) sera l’objet d’un culte officiel et populaire longtemps après sa mort : plus d’une centaine de stèles portant son nom ont été découvertes partout en Egypte, elle est représentée par des statues et des statuettes jusqu’à la XXIème Dynastie. Son identification à l`une des momies de la cache TT/DB320 de Deir el-Bahari sauvées précipitamment du pillage par l’égyptologue allemand Emile Brugsch en 1881, reste sujette à caution : si elle est fondée, elle signifie que Nefertari est une femme à la peau claire, d’environ un mètre soixante, partiellement chauve (des tresses de faux cheveux ont été accrochées sur son crâne), décédée vers soixante-dix ans. Elle a donné à Ahmosis plusieurs enfants, parmi lesquels Amenhotep (que les Grecs helléniseront en "Aménophis/Amšnwfij"), successeur d’Ahmosis sur le trône d’Egypte, dont le nom trahit bien l’influence invasive du clergé d’Amon dans les affaires pharaoniques ("jmn-htp" en égyptien, "Amon-est-satisfait" en français).


Abraham III : de l’Egypte au Levant


Dans notre paragraphe introductif, nous avons dit que l’Abraham mésopotamien de la Genèse est peut-être un personnage historique, un habiru/hébreu parmi tant d’autres qui s’est exilé dans un premier temps de la basse Mésopotamie vers la haute Mésopotamie pour échapper à l’hégémonie babylonienne instaurée par Hammurabi, et dans un deuxième temps de la haute Mésopotamie vers le Levant pour on-ne-sait-quelle raison. La suite de la biographie d’Abraham pose question. Car elle reproduit à l’échelle d’un homme le mouvement général des Sémites aux XVIIème et XVIème siècles av. J.-C. : comme les "seigneurs étrangers/hyksos" des textes égyptiens, Abraham s’installe en Egypte, où il s’enrichit considérablement, avant d’en être chassé par le pharaon, il vit ensuite au Levant, contraint de se défendre contre les assauts récurrents des Egyptiens au sud et des Hittites et Hurrites au nord (Flavius Josèphe, citant l’Egyptiaca de Manéthon, dit que l’installation des hyksos dans le sud-Levant, autour de Jérusalem, est un phénomène de masse, dû aux opérations militaires victorieuses de la XVIIème Dynastie qui les chassent d’Egypte ou les réduisent à l’état de "captifs" : "Sous le roi appelé “Misphragmouthosis” ["MisfragmoÚqwsij", surnom de Kamosis à la signification inconnue, peut-être une périphrase fondée sur "m‹soj/haine, aversion" et "fr£gma/clôture, mur, barrière", d’où littéralement "Celui-qui-déteste-les-barrières" ou "qui-renverse-les-frontières" ?], les pasteurs [c’est-à-dire les hyksos] furent vaincus, chassés de tout le reste de l’Egypte et refoulés au lieu-dit Avaris, dans un périmètre de dix mille aroures ["¥roura", unité de mesure égyptienne valant cent "coudées égyptiennes" selon le paragraphe 168 livre II de l’Histoire d’Hérodote ; l’équivalent métrique de cette "coudée égyptienne" est toujours objet de débats entre égyptologues]. Selon Manéthon, les pasteurs s’entourèrent complètement d’une muraille haute et forte pour garder en lieu sûr tous leurs biens et leur butin. Le fils de Misphragmouthosis, Thoummosis ["QoÚmmwsij", surnom ou déformation d’"Ahmosis"], tenta de les soumettre par un siège avec quatre cent quatre-vingt mille hommes. Finalement, renonçant au siège, il conclut un traité les obligeant à quitter l’Egypte, pour aller sains et saufs où ils voudraient. Suivant cette convention, les pasteurs quittèrent l’Egypte avec toutes leurs familles et leurs biens, Ils étaient au moins deux cent quarante mille. Ils traversèrent le désert, et firent route vers la Syrie. Redoutant la puissance des Assyriens qui à cette époque étaient maîtres de l’Asie [en réalité les Hurrites, qui dominent alors l’Assyrie], ils bâtirent dans le pays appelé aujourd’hui “Judée” une cité capable de contenir des milliers d’hommes, qu’ils nommèrent “Jérusalem”. Dans un autre livre de son Egyptiaca, Manéthon rapporte que ces pasteurs étaient qualifiés de “captifs” dans les livres sacrés", Flavius Josèphe, Contre Apion I.86-91). Or, sauf si on a la foi - ce qui n’est pas notre cas ! -, on n’arrive pas à imaginer qu’un homme a pu exister deux cents ans entre l’époque de Hammurabi dans la première moitié du XVIIIème siècle av. J.-C., et l’époque d’Apopi et Ahmosis dans la première moitié du XVIème siècle av. J.-C. (comme l’affirme la Genèse 25.7-8 : "Abraham avait cent soixante-quinze ans quand il mourut"). Nous supposons pour notre part que l’Abraham de la Genèse renvoie à plusieurs personnages, peut-être appartenant à la même famille, peut-être portant le même nom, rassemblés en un seul (la patronymie, pratiquée partout dans l’Antiquité, consistant à donner au fils le nom du père ou au petit-fils le nom du grand-père, permet aux mythologues d’opérer de telles fusions, en même temps qu’elle complique le travail des historiens). Autrement dit, l’Abraham de la Genèse est à la fois non historique parce qu’il est un personnage composite, et historique parce que chaque épisode de la vie de ce personnage renvoie à des individus qui ont bien existé, et parce que la trame générale de cette vie résume idéalement la trame générale de l’Histoire des Sémites entre le XVIIIème et le XVIème siècle av. J.-C. (on peut expliquer pareillement l’anonymat du pharaon qui chasse finalement Abraham : ce pharaon est certainement un personnage historique, mais le narrateur refuse de le nommer pour lui donner une valeur collective, pour en faire l’emblème des pharaons des XIIIème, XIVème et XVIème Dynasties manipulées par les seigneurs hyksos de la XVème Dynastie).


Nous n’avons notamment aucune raison de remettre en cause le fondement historique de l’épisode d’Abraham en Egypte, justement parce que son amoralité indispose fortement les adorateurs d’Abraham, qu’ils soient juifs, chrétiens ou musulmans, jusqu’à aujourd’hui. Abraham se comporte en effet comme un vulgaire maquereau : sa femme Sarah n’arrivant pas à enfanter ("Sarah, l’épouse d’Abraham, ne parvenait pas à lui donner un enfant", Genèse 16.1), il la relègue à l’état de prostituée ("Avant d’entrer [en Egypte], il dit à sa femme Sarah : “Ecoute. Je sais que tu es belle. Quand les Egyptiens te verront, ils te considéreront comme ma femme, ils me tueront et te garderont en vie. Dis-leur donc que tu es ma sœur, afin qu’on me traite bien grâce à toi, j’aurai la vie sauve grâce à toi”. Quand Abraham arriva en Egypte, les Egyptiens remarquèrent que sa femme était belle. Des officiers du pharaon l’ayant vu, firent son éloge à leur maître. On amena la femme au palais du pharaon. Grâce à elle, celui-ci fut bienveillant envers Abraham : il lui donna des moutons, des chèvres, des bœufs, des servants et des servantes, des ânes, des ânesses et des chameaux", Genèse 12.11-16). Certains exégètes suggèrent que la décision d’Abraham relève d’abord d’une nécessité financière : le texte dit qu’Abraham s’installe en Egypte non pas par envie mais parce que la famine se répand au Levant (Genèse 12.10), on peut dès lors supposer que la prostitution de sa femme Sarah ne vise qu’à apporter le minimum vital pour elle et pour lui, en attendant des jours meilleurs (le Code de Hammurabi favorise cette pratique, les femmes et les enfants n’étant pas protégés à cette époque comme en l’an 2000 : "Pour honorer une dette, un homme peut vendre ou assujettir son épouse, son fils ou sa fille, qui travailleront pendant trois ans dans la maison de leur acheteur ou de leur assujettissant, et seront libérés la quatrième année", Code de Hammurabi 117). Mais même en admettant cette hypothèse, on doit constater qu’Abraham se satisfait très bien de cette situation : il entre en Egypte le ventre vide, il la quitte les poches pleines. Et il la quitte non pas de gré, mais de force, chassé par le pharaon scandalisé ("Le pharaon convoqua Abraham et lui demanda : “Qu’as-tu fait ? Pourquoi ne m’as-tu pas dit qu’elle est ta femme ? Pourquoi as-tu dit qu’elle est ta sœur, de sorte que je l’ai prise pour femme ? Maintenant voilà ta femme : prends-la et dégage !”. Puis le pharaon ordonna à ses serviteurs de reconduire Abraham à la frontière avec sa femme et tous ses biens", Genèse 12.18-20), autrement dit si le pharaon ne l’avait pas chassé Abraham serait resté en Egypte pour continuer son petit business et devenir millionnaire. On remarque que la narration reprend l’expression : "Qu’as-tu fait ?" (Genèse 12.18) dans le sens de : "Tu as mal agi !" pour condamner ce commerce amoral d’Abraham, qu’on a entendue jadis dans la bouche de Yahvé pour condamner Adam (en Genèse 3.13) et Caïn (en Genèse 4.10). Face à cette condamnation très claire, les théologiens embarrassés bricolent des explications positives plus saugrenues les unes que les autres. Les uns lisent cet épisode comme la preuve qu’Abraham est très astucieux et que le pharaon est un imbécile, la preuve que Yahvé l’inspirateur d’Abraham est supérieur aux Egyptiens et à leurs faux dieux : cette lecture est totalement fallacieuse puisque dans le texte, répétons-le, ce n’est pas l’Egypte mais Abraham qui est présenté négativement, et par ailleurs aucun croyant honnête ne peut glorifier un dieu qui favorise la prostitution mafieuse, ni jetter l’anathème sur un pharaon aussi indulgent avec un de ses immigrés qui le trompe, un pharaon qui se contente de bannir Abraham sans le punir, et même qui le laisse partir avec tous ses biens acquis de manière frauduleuse (on peut même conclure que cette lecture est un contresens absolu puisque, insistons lourdement sur ce point, c’est le pharaon qui dans le texte joue le rôle de Yahvé, en prononçant la formule divine : "Qu’as-tu fait ?"). Les autres respectent certes la présentation négative d’Abraham lors de son séjour égyptien, mais pour mieux le louer lors de son retour au Levant, via un raisonnement féministe parfaitement anachronique : selon eux, Abraham a été banni d’Egypte par la volonté de Yahvé via le pharaon, qui aurait voulu ainsi le punir d’avoir réduit sa femme Sarah à l’état d’esclave sexuel, la grossesse de Sarah après ce bannissement d’Egypte serait un cadeau de Yahvé à Abraham en récompense de la considération qu’il témoigne à nouveau pour sa femme Sarah, en résumé : Yahvé stérilise les putes et leurs maquereaux, et il rend féconds les époux et les épouses qui s’aiment. D’autres affirment qu’essayer de retrouver le substrat historique de ce passage est inutile, en expliquant que ledit passage a été profondément retravaillé par les juifs exilés à Babylone au VIème siècle av. J.-C. pour l’accorder au dessein nationaliste d’Ezékiel sur le mode : "Si hier Yahvé a condamné Abraham à travers le pharaon, c’est parce qu’Abraham demeurait en terre étrangère égyptienne en oubliant la terre levantine de Canaan que lui avait donnée Yahvé ! Si aujourd’hui Yahvé nous condamne à nouveau, c’est parce que nous demeurons pareillement en terre étrangère babylonienne en oubliant la Terre promise qu’il a donnée naguère à notre ancêtre Moïse ! Retournons donc vite chez nous à Jérusalem avant que Cyrus II nous chasse comme jadis le pharaon a chassé Abraham !" : ce discours ne tient pas, car Abraham n’est pas un prisonnier de guerre exilé de force en Egypte comme le seront plus tard les juifs à Babylone, et sa condamnation - insistons encore une fois sur ce point - relève seulement de son bas comportement de maquereau et non pas d’un haut dessein religieux ou politique. D’autres encore, plus subtils, voient dans l’image d’Abraham chassé d’Egypte la faute originelle des habirus/hébreux, une nouvelle version de l’image d’Adam chassé de l’Eden : selon eux, l’Egypte est un paradis perdu à cause d’Abraham, qui a voulu tirer profit de sa femme comme Adam jadis a voulu tirer profit du serpent - d’où la référence à la formule divine de jadis : "Qu’as-tu fait ?". Pour notre part, nous restons fidèles au principe exposé dans notre paragraphe introductif : la Genèse doit être lue en regard du ministère de Moïse, comme le Nouveau testament doit être lu en regard de l’Ancien testament. Le scénario d’Abraham en Egypte vers -1600 est l’exact opposé de celui de Moïse vers -1200. Moïse est né en Egypte, il grandit dans l’aristocratie pharaonique, il bataille pour les plus humbles, et quand il quitte l’Egypte il est pauvre. Abraham au contraire est un immigré pauvre, souffrant de famine, il magouille pour son propre compte, et quand il quitte l’Egypte il est riche. Le pharaon de l’époque de Moïse est un tyran qui veut retenir les Israélites en Egypte parce que ceux-ci constituent une main-d’œuvre à bon marché. Le pharaon de l’époque d’Abraham au contraire est un seigneur débonnaire qui se fait plumer par des Sémites mafieux comme Abraham imposant leurs lois en Egypte et détournant les richesses égyptiennes dans leurs poches, c’est pour cela qu’il veut chasser Abraham d’Egypte. Dans l’Exode, Moïse et les Israélites sont dominés par le pharaon. Dans la Genèse au contraire, c’est le pharaon qui est dominé par Abraham, ce pharaon est emblématique des XIIIème, XIVème et XVIème Dynasties dominées par les Sémites hyksos d’Avaris (dont la richesse est peut-être due à des moyens aussi peu moraux que celui d’Abraham : dans notre paragraphe introductif, nous avons souligné la position stratégique de la cité d’Avaris, qui permet à ses habitants d’extorquer aisément une partie de toutes les marchandises transitant entre Libye et Sinaï, entre mer Méditerranée et mer Rouge, cette accumulation de richesses mal acquises notamment par le hyksos Apopi est condamnée au début du papyrus dit "Sallier I" précité). L’étude du verset 20 chapitre 22 de l’Exode, qui rapporte un des commandements de Yahvé transmis à Moïse, est hautement intéressante. La Bible/Septante traduit ce verset en grec par : "Tu ne dois pas maltraiter ni exploiter les prosélytes installés chez toi, rappelez-vous que vous-mêmes avez été des prosélytes en Egypte", mais cette version grecque est tendancieuse car le terme hébreu traduit par "prosélyte/pros»lutoj" est "guer", désignant simplement un individu "installé pour une longue durée", intégré à une société d’accueil (équivalent à "métèque/mštoikoj" en grec, par opposition à l’hébreu "nokri" désignant un individu "installé pour une courte durée, de passage"), or ce terme "guer" vient du verset 10 chapitre 12 de la Genèse désignant Abraham installé en Egypte ("La famine devint si grave dans le pays, qu’Abraham partit pour l’Egypte afin d’y guer/séjourner un temps"). Le commandement de Moïse en Exode 22.20 sous-entend ainsi : "Jadis les Egyptiens ont permis à l’étranger Abraham de bien s’intégrer en Egypte, soyons donc à la hauteur de ces Egyptiens de jadis en intégrant aussi bien les étrangers dans notre Terre promise", il confirme indirectement qu’Abraham n’a pas du tout été opprimé durant son séjour en Egypte. Plus généralement, la lecture entrecroisée des récits égyptiens d’Abraham et de Moïse semble dire : "Voilà ce que les Egyptiens étaient, voici ce qu’ils sont devenus ! Hier ils étaient excessivement bons avec notre ancêtre Abraham, alors qu’aujourd’hui les Ramessides sont excessivement mauvais avec nous ! Hier ils pardonnaient tout, le pharaon était même davantage soumis à Yahvé qu’Abraham puisque c’est par sa bouche que Yahvé condamnait Abraham en lui demandant : “Qu’as-tu fait ?”, alors qu’aujourd’hui il nous maltraite et nous exploite comme des esclaves ! Hier le pharaon comprenait les signes de Yahvé, après avoir subi quelques malheurs personnels provoqués par Yahvé pour punir sa complicité inconsciente dans la prostitution de Sarah ("Mais Yahvé frappa le pharaon et sa famille de grands malheurs à cause de Sarah la femme d’Abraham", Genèse 12.17) il a incité Abraham à partir, alors qu’aujourd’hui le pharaon est pleinement conscient de ses actes tyranniques et il ne comprend plus rien aux signes de Yahvé, il nous incite à rester alors que Yahvé lui envoie toutes sortes de plaies sur son pays !". Cet épisode posera tellement de problèmes théologiques que les juifs de Qumran en particulier tenteront de le réécrire, dans le manuscrit 1QapGen ou Apocryphe de la Genèse : colonnes 20 et 21 de ce document, Sarah n’est plus prostituée par son mari Abraham, elle est seulement convoitée par le pharaon qui la kidnappe ("Dès que [le pharaon] la vit, il fut ébloui par sa beauté. Il la captura pour en faire sa femme et voulut me tuer [c’est Abraham qui parle]. Mais Sarah dit au pharaon : “C’est mon frère !”. Cette générosité envers moi, Abraham, me sauva : grâce à elle, je ne fus pas tué. Je pleurai abondamment, moi Abraham, avec mon neveu Loth, cette nuit où Sarah me fut ravie par la force"), mais qui ne parvient pas à avoir de relations sexuelles avec elle parce que Yahvé le frappe d’impuissance ("Cette nuit-là le Tout-puissant frappa [le pharaon] d’un mal affligeant, et aussi tous les hommes de sa Cour, un mal qui perdura contre lui et tous les hommes de sa Cour. A cause de cela, il ne réussit pas à s’unir charnellement à [Sarah], il ne coucha pas avec elle bien qu’elle restât à ses côtés pendant deux années complètes" ; ainsi Sarah reste pure), et Abraham devient riche non pas parce qu’il se comporte comme un maquereau mais parce ce que le pharaon lui donne pleins de cadeaux pour le remercier d’avoir finalement guéri son impuissance en intercédant auprès de Yahvé ("Les maux dont [le pharaon] et tous les hommes de sa Cour étaient affligés, s’amplifièrent. Alors il envoya des messagers pour convoquer tous les Egyptiens magiciens et guérisseurs, croyant qu’ils pourraient le guérir du fléau dont lui-même et tous les hommes de sa Cour étaient atteints. Mais aucun magicien ou guérisseur ne put abolir ce mal, au contraire il s’attacha aussi à eux, les contraignant à fuir. Alors Hyrcan [conseiller du pharaon] vint à moi [c’est toujours Abraham qui parle] afin de me demander de prier, d’apposer les mains sur le pharaon et de le guérir, car il m’avait vu en rêve. Mais Loth répondit : “Mon oncle Abraham ne peut pas prier pour le pharaon tant que sa femme Sarah sera retenue auprès de lui. Va donc dire au pharaon de rendre la femme à son époux, alors seulement il pourra prier et sera guéri”. Après avoir entendu les propos de Loth, Hyrcan repartit et les rapporta au roi : “La cause du mal dont mon seigneur est frappé, est Sarah la femme d’Abraham : laisse Sarah repartir vers son époux Abraham, et ton mal te lâchera, le mauvais esprit à l’origine des écoulements de pus”. Il me convoqua et me dit : “Qu’as-tu fait avec ta femme Sarah ? Pourquoi as-tu dit qu’elle est ta sœur, de sorte que je l’ai prise pour femme ? Maintenant voilà ta femme : prends-la et quitte le pays d’Egypte ! Mais auparavant, prie pour moi et pour ma Cour afin de chasser le mauvais esprit qui nous habite !”. Alors je priai pour lui, ce blasphémateur, et j’apposai mes mains sur lui. Le mal le quitta aussitôt, le mauvais esprit fut chassé et il guérit. Le pharaon se leva et m’informa [texte manque] et le pharaon me jura sous serment qu’elle [était restée pure] et m’amena Sarah. Il lui offrit beaucoup d’argent et d’or, de linges et de vêtements de pourpre [texte manque] devant elle et devant Hagar. Il me la rendit, et demanda à ses hommes de m’escorter. C’est ainsi que moi, Abraham, je partis avec beaucoup de troupeaux, d’argent et d’or")…


Tel Apopi qui trouve refuge au Retenou/Levant après avoir été momentanément chassé de sa cité d’Avaris par l’Egyptien Kamosis, Abraham trouve refuge au Neguev puis à Béthel ("D’Egypte, Abraham retourna au Néguev avec sa famille et tous ses biens. Loth l’accompagnait. Abraham était très riche. Il possédait beaucoup de troupeaux, d’argent et d’or. Il alla par étapes du Néguev vers Béthel, où il avait déjà campé, entre Béthel et Aï, à l’endroit où il avait élevé un autel [allusion à Genèse 12.8]", Genèse 13.1-4). Son neveu Loth s’émancipe en partant avec ses propres tentes s’installer du côté de Sodome (cité non localisée en bordure de la mer Morte : "Loth vit que la région du Jourdain était bien arrosée : jusqu’à Soar, avant que le seigneur détruise Sodome et Gomorrhe, elle était comme un un paradis, comme la vallée du Nil. Loth opta pour la région du Jourdain. Il déplaça son camp vers l’est. C’est ainsi qu’ils se séparèrent. Tandis qu’Abraham demeura en Canaan, Loth alla camper près des cités de la région du Jourdain, il installa ses tentes à proximité de Sodome", Genèse 13.10-12). Abraham quant à lui fixe ses tentes près de la cité d’Hébron - qui doit peut-être son origine et son nom à ses habitants majoritairement "habirus/hébreux", comme nous l’avons vu dans notre paragraphe introductif - sur les terres d’un nommé "Mamré" ("Abraham déplaça son camp pour s’installer près des chênes de Mamré, à proximité d’Hébron. Il y construisit un autel au seigneur", Genèse 13.18) clairement qualifié d’"Amorrite" au verset 13 chapitre 14 de la Genèse ("Un fuyard vint informer l’hébreu Abraham qui campait près des chênes de l’Amorrite Mamré"). Cela raccorde avec notre thèse qui veut que l’Abraham de la Genèse est un personnage composite résumant l’Histoire des Sémites amorrites entre le XVIIIème et le XVIème siècles av. J.-C., et avec la nature mi-bédouine mi-citadine de ces Amorrites que nous avons analysée dans notre paragraphe introductif, à travers les lettres de Mari : Abraham est un sédentaire à Ur, puis un nomade qui monte vers la haute Mésopotamie, il redevient sédentaire à Harran, puis il redevient un nomade qui descend vers le sud Levant, il se sédentarise à nouveau à Béthel, avant de nomadiser à nouveau vers l’Egypte, où il se sédentarise encore, puis il nomadise entre Néguev et Béthel jusqu’à temps de se sédentariser du côté d’Hébron. Rappelons que la Genèse raccorde avec notre chronologie, puisqu’elle date l’installation d’Abraham à Hébron et son alliance avec Yahvé quatre siècles avant Moïse ("Tes descendants séjourneront en pays étranger, ils y seront esclaves, et y seront opprimés pendant quatre cents ans", Genèse 15.13 ; cette prédiction est rappelée dans l’Exode : "Le peuple d’Israël avait séjourné quatre cent trente ans en Egypte. Après quatre cent trente ans, en ce jour mémorable, le peuple du seigneur sortit d’Egypte en bon ordre", Exode 12.40-41) : comme nous situons Moïse vers -1200, une simple soustraction nous permet de conclure que ces événements liés à Abraham ont lieu vers -1600.


Le Levant est alors convoité par la XVIIIème Dynastie au sud autant que par d’autres communautés en provenance du nord. Le chapitre 14 de la Genèse doit être considéré de la même façon que le personnage d’Abraham : les combats évoqués sont à la fois non historiques parce qu’ils impliquent des individus divers sur un lieu et dans un temps artificiellement compressés, et historiques parce que ces individus (en Genèse 14.1) sont emblématiques de peuples bien réels, et ils renvoient à des combats limités mais récurrents aussi réels au cours du XVIème siècle av. J.-C., même si nous n’en connaissons pas les détails. Ainsi "Amrafel roi de Shinar" désigne un chef militaire sémitique en provenance de basse Mésopotamie (nous avons vu précédemment, au chapitre 11 verset 2 de la Genèse, que "Shinar" est la corruption hébraïque de "Sumer" ; cela est confirmé par le manuscrit 1QapGen de Qumran déjà mentionné, qui qualifie Amrafel de "roi de Babylone" colonne 22 ligne 23). "Tidal de Goyim" désigne un chef hittite : "Goyim" désigne simplement les "non-juifs" en hébreu tardif, il semble désigner ici plus généralement les "non-Sémites", "Tidal" est la traduction hébraïque de "Tudhaliya", nom répandu chez les Hittites, porté par plusieurs rois ultérieurs, et par un possible lieutenant de Hattusili Ier contemporain d’Abraham (dans le fragment KBo 1.11 du document CTH 7, étudié dans notre alinéa précédent ; le manuscrit 1QapGen de Qumran qualifie Tidal de "roi de Goyim entre les deux fleuves" : ce qualificatif renvoie-t-il au fleuve Marassantiya/Kizilirmak qui entoure la capitale hittite Hatussa et à un autre fleuve du nord Levant marquant la limite méridionale de l’expansion hittite [on se souvient que dans le document CTH 19 ou Edit de Télipinu, les rois hittites Labarna et Hattusili Ier utilisent les fleuves et les rivières comme frontières naturelles de leur royaume] ? ou doit-on comprendre "fleuve" dans le sens neutre d’"eau" et traduire le manuscrit 1QapGen en : "Tidal/Tudhaliya roi des Goyim/non-Sémites entre les deux mers [Noire et Méditerranée]" ?). "Ariok d’Ellasar" est plus problématique : "Ariok" est-il la corruption hébraïque d’un nom hurrite ? ou babylonien (on trouve un Ariok au chapitre 2 du livre de Daniel, chef des gardes de Nabuchodonosor II au VIème siècle av. J.-C.) ? ou iranien (on trouve un autre Ariok "roi d’Elymaïde" au verset 6 chapitre 1 du livre de Judith, qu’on ne peut pas dater car la chronologie dans Judith est complètement farfelue) ? et "Ellasar" est-il une déformation de la cité de "Larsa" en basse Mésopotamie ? ou d’"Alashiya" sur l’île de Chypre ? ou est-ce une lexicalisation d’"al-sarri/la [cité] sainte" en akkadien ? Mystère (notons que le manuscrit 1QapGen de Qumran complique le puzzle en qualifiant Ariok de "roi de Cappadoce" colonne 22 ligne 23 !). Enfin "Kedor-Laomer d’Elam", qui commande les trois chefs précédents, se traduit aisément en "servant, protecteur/kudur de Lahamu" en akkadien (on retrouve "kudur" dans le nom de "Kudur-Mabuk" roi de Larsa au XIXème siècle av. J.-C., mentionné sur le clou de fondation conservé au musée du Louvre à Paris en France sous la référence AO6445 ; "Lahamu" est peut-être une divinité apparentée aux idoles protectrices amorrites "lamassatus" des textes de Mari au tournant des XIXème et XVIIIème siècles av. J.-C., et aux statues "lamassus" qui garderont plus tard les portes des palais assyriens et perses). Les envahisseurs sous le commandement de ce Kedor-Laomer affrontent dans une énigmatique "vallée de Siddim aujourd’hui recouverte par la mer Morte" (en Genèse 14.3) cinq rois levantins pareillement emblématiques (en Genèse 14.2) : "Béra de Sodome" qu’on peut traduire en "mal", "Birsha de Gomorrhe" qu’on peut traduire en "méchanceté", "Chinab d’Adma" qu’on peut traduire en "sommeil du père" (allusion à l’inceste de Loth avec ses deux filles raconté en Genèse 19.31-38 ?), "Chéméber de Seboïm" qu’on peut traduire en "nom détruit" (c’est-à-dire "qui n’a pas de descendance" ?), auquel on doit ajouter un anonyme "roi de Béla alias Soar" (cité près de laquelle Loth a installé ses tentes). Sur ces cinq cités levantines, seule la dernière, Soar (surnommée "Béla/ensevelissement, engloutissement") est bien identifiée avec l’actuel site archéologique de Safi au sud-est de la mer Morte en Jordanie, où une grotte habitée depuis au moins le milieu de l’ère mycénienne (d’après les poteries retrouvées sur place) sert de crypte à une église de l’ère byzantine dédiée à "saint Loth". Des exégètes voient dans les noms de "Sodome" et de la vallée de "Siddim" des dérivés de "Satan", incarnation du mal absolu et de la tentation dans les textes hébraïques tardifs : nous rappelons pour notre part que, ce point a été abordé dans notre paragraphe introductif, "Satan" n’est qu’un dérivé négatif tardif - postérieur à l’époque des Ramessides - de "Seth/Soutekh" chez les hyksos, alias "Shadday" chez les hébreux anciens, alias le dieu de l’Orage "Addu" chez les Mésopotamiens, alias "Poséidon/pÒsij Addu" dans la mythologie grecque, c’est-à-dire que si l’on accepte cette équivalence tardive négative entre "Sodome/Siddim" et "Satan" on doit conclure qu’à l’origine la cité de "Sodome" et la vallée de "Siddim" ne sont simplement que la cité et la vallée des "adorateurs positifs du dieu de l’Orage Addu/Shadday/Soutekh/Seth", ceux que les Grecs appellent les "Titans" (un lien phonétique est également possible entre ce nom "Titan" en grec et "Seth/Soutekh/Shadday/Addu" en sémitique, comme nous l’avons vu aussi dans notre paragraphe introductif). Les envahisseurs du nord sont vainqueurs, ils occupent la région pendant douze ans. Les Levantins "titans/sodomiens/siddim" se rebellent la treizième année (Genèse 14.4), une nouvelle bataille a lieu dans la vallée de Siddim, au terme de laquelle les envahisseurs sont encore vainqueurs (Genèse 14.5-10), Loth combattant dans le contingent de Soar est capturé et emmené vers le nord comme partie du butin ("Les vainqueurs s’emparèrent de tous les biens de Sodome et Gomorrhe et de toutes les réserves de nourriture, puis s’en allèrent. Loth, neveu d’Abraham, logeait à Sodome : ils l’emmenèrent aussi avec tous ses biens", Genèse 14.11-12). On lit ensuite qu’Abraham, apprenant la capture de Loth, lance une vaste opération militaire vers le nord, remporte une éclatante victoire contre les quatre rois envahisseurs du côté de Damas, et récupère l’intégralité du butin, dont Loth, qu’il ramène triomphalement au sud Levant. Cette présentation ne relève que d’une exagération épique. Car le texte avance maladroitement des détails qui réduisent beaucoup les dimensions de cette opération : l’"armée" d’Abraham se limite à seulement trois cent dix-huit hommes, et son acte se résume en fait à une brusque attaque nocturne suivie d’un retrait immédiat, autrement dit son intervention est un raid commando visant un objectif bien précis - en l’occurrence, la libération de son neveu Loth - davantage qu’une bataille d’Austerlitz de grand style et de grande ampleur ("Un fuyard vint informer l’hébreu Abraham qui campait près des chênes de l’Amorrite Mamré […]. Quand Abraham apprit que son neveu était prisonnier, il mobilisa ses partisans, les trois cent dix-huit hommes de sa tribu, et se lança à la poursuite de l’ennemi jusqu’à Dan. Abraham répartit ses serviteurs en plusieurs groupes et attaqua de nuit. Il battit les rois et les poursuivit jusqu’à Hoba au nord de Damas. Il récupéra tout le butin, ainsi que Loth son neveu, avec ses biens, les femmes et les autres prisonniers", Genèse 14.13-16). Néanmoins, cela suffit à conférer à Abraham un prestige aux yeux des sud-Levantins qui jusqu’alors, coincés entre les Egyptiens de la XVIIIème Dynastie et les envahisseurs du nord, n’ont connu que des défaites. Abraham est fêté comme un héros par les habitants survivants de Sodome (Genèse 14.17). Et surtout, il est élevé socialement en récompense par Melkisédek le seigneur de Jérusalem, dans un passage qui jusqu’à aujourd’hui pose beaucoup de difficultés religieuses aux juifs et aux musulmans, et autant de difficultés politiques aux Israéliens et aux Arabes.


Ce passage s’étend du verset 18 au verset 20 chapitre 14 de la Genèse. Le nom de "Melkisédek", personnage principal de ce passage, contient un suffixe "-sédek" qu’on retrouvera à la fin de l’ère mycénienne ou au début de l’ère des Ages obscurs dans le nom d’"Adonisédek", seigneur de Jérusalem qui tentera vainement de contenir les succès de Josué en envoyant cinq de ses vassaux lui barrer la route, selon les versets 1 à 3 chapitre 10 de Josué. Philon et Flavius Josèphe déclarent que "sédek" signifie "juste" ("Dieu a fait de Melkisédek à la fois le roi de “la Paix”, traduction de “Salem”, et son propre prêtre (Genèse 14.18) dont on ignore toutes les actions précédentes précisément parce que son humanité relève de sa royauté pacifique et de son sacerdoce, c’est pour cela qu’il fut appelé “Roi juste” par opposition aux tyrans, car les rois appliquent les lois alors que les tyrans sont illégaux", Philon, Interprétation allégorique III.79 ; "[Abraham] fut reçu par le roi de Salem ["Solum©"] Melkisédek, qui signifie “Roi juste ["basileÝj d…kaioj"]”, telle était effectivement sa réputation, qui lui permit de devenir prêtre de Dieu ["ƒereÚj toà Qeoà"] de Salem, qu’on appela plus tard “Jérusalem”", Flavius Josèphe, Antiquités juives I.180-181 ; "Le fondateur [de Jérusalem] fut un chef cananéen dont le nom signifie “Roi juste” dans notre langue, ce qu’il était effectivement, qui lui permit de devenir le premier prêtre de Dieu de Jérusalem, qui alors s’appelait “Salem”", Flavius Josèphe, Guerre des juifs VI.438) : peu importe, un lien patronymique existe entre cet "Adonisédek" qui règnera à Jérusalem vers le XIIème siècle av. J.-C., et ce "Melkisédek" qui règne vers -1600. Aucun doute ne subsiste par ailleurs sur le rapport entre "Salem/slm" dans le texte originel hébraïque et la future "Jérusalem" : nous avons vu dans notre paragraphe introductif que "Jérusalem" n’est que la corruption hébraïque de l’étymon sémitique "slm" désignant un mouvement de haut vers le bas, précédé du préfixe "ur/cité" en sumérien comme en sémitique, soit littéralement la "cité où le soleil se couche" ou "cité de l’ouest". La fonction de Melkisédek en revanche mérite qu’on s’y attarde. La Bible/Septante traduit le verset 18 chapitre 14 de la Genèse en grec par : "Melkisédek le roi de Salem ["basileÝj Salhm"] apporta du pain et du vin, car il était prêtre du Dieu Très-Haut ["ƒereÝj toà Qeoà toà Uy…stou"]", or chaque terme de cette traduction grecque doit être nuancé en regard du texte hébraïque originel. Primo, le titre de "roi/basileÚj" en grec renvoie au mot hébraïque "mlk", dont la signification première est beaucoup plus discutable que le mot "roi" : "mlk" est l’élément consonantique dont dérive le "molk", sacrifice humain par le feu des futurs Tyriens de l’époque d’Alexandre le Grand et des futurs Carthaginois de l’époque de Scipion, nous supposons pour notre part que "mlk" est d’abord un qualificatif de nature religieuse équivalent à "consacré, sanctifié, béni, oint, dédié" qui ensuite est devenu un titre de nature politique équivalent à "roi", autrement dit Melkisédek n’est pas "roi" de Jérusalem mais "prêtre" de Jérusalem, probablement un maître de cérémonie de sacrifices de prémices comme on en trouve partout dans le monde sémitique à l’époque d’Abraham (le radical "Melki-" du nom "Melkisédek" lui-même semble dériver de cet étymon "mlk"). Cette hypothèse est confortée par la mention du pain et du vin, qui ne sont que la première gerbe de blé et la première grappe de raisin apportées sur l’autel lors des sacrifices de prémices, qui seront transformées en allégories plus tard par les juifs et par les chrétiens. Elle est confortée aussi par les nombreuses mentions de sacrifices de prémices postérieures à Abraham dans le Tanakh, sur lesquelles juifs, chrétiens et musulmans évitent de s’attarder. Ainsi vers -1200, Moïse constate que la pratique du sacrifice des premiers-nés au dieu "Moloch", alias "Melkart" des textes phéniciens et grecs, personnification du "molk", est très répandue parmi ses frères israélites, et il peine à la leur interdire ("Vous ne devez pas offrir vos enfants en sacrifice au dieu Moloch", Lévitique 18.21 ; "Si un Israélite ou un étranger vivant en Israël offre un de ses enfants en sacrifice au dieu Moloch, il doit être mis à mort. Les habitants du pays le tueront par lapidation, car je condamnerai cet homme, je l’exclurai du peuple d’Israël pour avoir offert un de ses enfants à Moloch, rendant ainsi impur mon sanctuaire en me déshonorant, moi le vrai Dieu. Si les habitants du pays se bouchent les yeux devant son acte pour éviter de mettre à mort cet homme, j’interviendrai personnellement contre lui et contre sa famille, je les exclurai du peuple d’Israël, lui et tous ceux qui se joindront à lui dans le culte idolâtre rendu à Moloch", Lévitique 20.1-5 ; "N’imitez pas [les nations étrangères] pour adorer le Seigneur votre Dieu, car ces nations dans leurs cultes commettent des actes que le Seigneur déteste et condamne, ils vont même jusqu’à offrir leurs fils et leurs filles en sacrifices à leurs dieux", Deutéronome 12.31 ; "Qu’on ne trouve parmi vous personne qui offre son fils ou sa fille en sacrifice, ni personne qui s’adonne à la magie ou à la divination, qui observe les présages ou se livre à la sorcellerie", Deutéronome 18.10). Vers le Xème siècle av. J.-C., à l’époque de David, auteur supposé des Psaumes, le molk est toujours pratiqué par les Israélites ("Ils ont répandu le sang des innocents, le sang de leurs fils et de leurs filles, sacrifiés aux dieux des Cananéens, et ces meurtres ont souillé le pays", Psaume 106 38). A l’époque d’Elisée vers -800, le roi de Moab sacrifie son fils pour sauver sa cité assiégée par les Israélites ("[Le roi de Moab] rassembla sept cents soldats armés d’une épée pour effectuer une percée en direction du roi de Syrie, mais elle échoua. Alors il fit venir son fils aîné, qui devait lui succéder comme roi, et il l’offrit en sacrifice sur la muraille de la cité", Deuxième livre des rois 3.26-27). Les rois de Judée Achaz (au VIIIème siècle av. J.-C.) et Manassé (au VIIème siècle av. J.-C.) l’imitent en appliquant le molk sur leurs propres fils ("[Achaz] alla même jusqu’à offrir son fils en sacrifice, selon l’abominable pratique des peuples que le Seigneur avait chassés du pays afin de l’offrir au peuple d’Israël", Second livre des rois 16.3 ; "[Manassé] alla même jusqu’à offrir son fils en sacrifice, pratiquer diverses formes de magie et consulter ceux qui interrogent les esprits des morts", Second livre des rois 21.6). Leurs voisins samaritains font de même ("[Les Israélites du royaume de Samarie] offrirent leurs fils et leurs filles en sacrifices, ils recoururent à diverses formes de magie, ils s’adonnèrent aux pratiques qui déplaisent et irritent le Seigneur. Alors le Seigneur laissa éclater sa colère contre ces Israélites, il voulut les effacer de sa vue et laisser subsister seulement ceux de la tribu de Juda", Second livre des rois 17.17-18 ; Isaïe I, qui prophétise la chute du royaume assyrien vainqueur du royaume de Samarie en -722, annonce que cette chute prendra la forme d’un grand bûcher et qu’elle réjouira les Jérusalémites "comme pendant la nuit où on célèbre la fête" ["Jérusalémites, vous chanterez comme pendant la nuit où on célèbre la fête. Vous aurez la joie au cœur comme quand vous marchez au son de la flûte vers la montagne du Seigneur, auprès de Dieu, le Rocher d’Israël. […] A la voix du Seigneur, sous les coups qui pleuvront, l’Assyrie connaîtra la peur. Chaque coup que le Seigneur a décidé, lui sera infligé au son du tambourin et de la guitare. Il agitera la main et la combattra en batailles. Depuis longtemps le bûcher est prêt, pour le roi aussi : il est dans un espace rond, large et profond où le feu flambera avec du bois en quantité. Le souffle du Seigneur allumera le feu comme un torrent de soufre enflammé", Isaïe I 30.29-33] : certains commentateurs non-juifs, non-chrétiens et non-musulmans suggèrent que cette mystérieuse fête nocturne jérusalémite autour d’un bûcher n’est autre que le sacrifice du molk, autrement dit Isaïe I prophétise que les Assyriens brûleront demain dans les flammes sacrées de Yahvé comme les premiers-nés brûlent aujourd’hui à Jérusalem dans les sacrifices de prémices ; Michée, contemporain d’Isaïe I, dit aussi indirectement que le sacrifice des aînés est un usage courant chez les Israélites ["“Quelle offrande devons-nous apporter pour louer le Seigneur, le Dieu Très-Haut ? Devons-nous lui offrir des veaux d’un an en sacrifices complets ? Le Seigneur veut-il des béliers innombrables, des flots intarissables d’huile ? Devons-nous lui donner nos enfants premiers-nés pour qu’il pardonne nos révoltes et nos infidélités ?” La juste conduite vous a été enseignée, celle que le Seigneur exige des hommes : il vous demande seulement de respecter les droits des autres, d’aimer agir avec bonté, et de suivre humblement le chemin divin qu’il vous indique", Michée 6.6-8]). Dans la seconde moitié du VIIème siècle av. J.-C., le roi judéen Josias tente d’abolir le molk pratiqué par les Jérusalémites à Tophet, site non localisé dans la vallée de Hinnom au sud de Jérusalem ("Josias rendit inutilisable le brûloir de Tophet dans la vallée de Hinnom, afin que les gens cessent d’y brûler leur fils ou leur fille en sacrifice au dieu Moloch. […] Il démolit les autels que les rois de Juda avaient dressés sur le toit plat des appartements d’Achaz, et ceux dressés par Manassé dans les deux cours du Temple, il les réduisit en morceaux, qu’il jeta dans la vallée du Kidron", Second livre des rois 23.10-12 ; les archéologues ont lexicalisé ce nom de "Tophet" pour désigner divers sites phéniciens où les sacrifices d’enfants sont bien attestés, à Carthage, à Motya sur l’îlot de San Pantaleo à l’extrême ouest de l’île de Sicile occupé à partir du VIIIème av. J.-C., ainsi qu’en Sardaigne sur les sites de Nora, de Karalis/Cagliari, et de Monte Sirai près de la cité de Sulcis fondée au Vème siècle av. J.-C. sur les restes d’un ancien établissement nuraghe ; pour l’anecdote, la "vallée de Hinnom" ou "Ge Hinnom" en hébreu, où ont lieu les sacrifices, sera traduite en "Gšena" en grec, "Géhenne" en français, autre nom de l’Enfer dans le monde chrétien). En vain : les habitants de Jérusalem reprennent leurs sanglants sacrifices de prémices après la mort de Josias, le prophète Jérémie y voit précisément la cause de la colère de Yahvé qui, pour punir les Jérusalémites, envoie le Babylonien Nabuchodonosor II saccager Jérusalem en -587 ("Le Seigneur dit : “Je condamne ce qu’ont fait les gens de Juda : […] dans la vallée de Hinnom, ils ont aménagé un lieu sacré à Tophet pour y brûler en sacrifice leurs fils et leurs filles. Je n’ai pourtant rien ordonné dans ce sens, l’idée ne m’en est jamais venue”. Le Seigneur dit : “C’est pourquoi désormais on ne parlera plus de Tophet, on ne désignera plus la « vallée de Hinnom » mais la « vallée du Massacre » car on y enterrera les morts ici plutôt qu’ailleurs afin que ces cadavres servent de pâture aux vautours et aux chacals que personne ne viendra déranger. Dans les villes de Juda et les rues de Jérusalem, je ferai cesser les bruits de fête, les cris de joie, les chansons des jeunes mariés, car le pays deviendra un champ de ruines”", Jérémie 7.30-33 ; "Tu sortiras par la porte des Pots cassés vers la vallée du Hinnom, où tu proclameras le message suivant. Tu diras : “Rois de Juda et habitants de Jérusalem, écoutez ce que dit le Seigneur. Voici ce que déclare le Seigneur de l’univers, le Dieu d’Israël : « Je vais provoquer sur ce lieu un malheur qui étonnera ceux qui l’apprendront. Les gens de Juda m’ont abandonné, ils ont rendu ce lieu méconnaissable : ils y ont offert des sacrifices à des dieux étrangers avec lesquels ni eux ni leurs prédécesseurs ni les rois de Juda n’avaient rien de commun, ils ont rempli ce lieu du sang d’êtres innocents, ils ont aménagé un emplacement consacré au dieu Baal pour y brûler leurs fils en sacrifice. Je n’ai pourtant rien ordonné dans ce sens, l’idée ne m’en est jamais venue. C’est pourquoi, dit le Seigneur, on ne désignera plus désormais ce lieu par ″Tophet″ ni ″vallée de Hinnom″ mais par ″vallée du Massacre″ car j’y anéantirai la politique de Jérusalem et de Juda, j’y ferai tomber ses habitants sous les coups impitoyables de leurs ennemis, je laisserai leurs cadavres en pâture aux vautours et aux chacals. Je réduirai la cité dans un état qui provoquera la stupéfaction, les passants frissonneront et siffleront d’horreur en voyant les dégâts qu’elle aura subi »”", Jérémie 19.2-8 ; "[Les Jérusalémites] ont aménagé dans la vallée de Hinnom des lieux sacrés pour le dieu Baal afin d’y offrir en sacrifice leurs fils et leurs filles au dieu Moloch. Je n’ai pourtant rien ordonné dans ce sens, l’idée ne m’en est jamais venue. En commettant des actes aussi horribles, le peuple de Juda s’est rendu coupable", Jérémie 32.35). Au milieu du VIème siècle av. J.-C., pendant l’exil à Babylone, Ezékiel confirme indirectement que le sacrifice d’enfants a été pratiqué couramment par les Israélites ("Tu as offert [à tes idoles] les fils et les filles que tu m’avais promis [c’est Yahvé qui parle à la cité de Jérusalem personnifiée], tu les leur as donnés en pâture ! La débauche ne te suffisait pas ? Tu as égorgé mes enfants pour les livrer à tes idoles !", Ezékiel 16.20-21), il va même jusqu’à sous-entendre que cet usage découlait d’un ancien ordre de Yahvé pris sous l’emprise de la colère ("J’ai donné [aux Jérusalémites] des mauvaises lois pour leur faire du mal, pour les empêcher de vivre, pour les rendre impurs, consistant à offrir leurs premiers-nés en sacrifice : cela les a horrifié, c’est ainsi qu’ils ont reconnu que je suis le Seigneur", Ezékiel 20.25-26) mais que, Yahvé étant désormais apaisé, l’horrible usage doit être aboli… Plus généralement, on s’interroge sur l’origine des fêtes juives liées de près ou de loin à l’épopée mosaïque. Ainsi la fête de Pâque/Pessah célébrant la sauvegarde des nouveau-nés israélites lors de la dixième plaie, semble dériver d’un très ancien sacrifice de prémices pratiqué au printemps : le sang de l’agneau qu’on étale sur le linteau des portes pourrait n’être qu’un développement symbolique du sang de l’animal sacrifié rituellement pour obtenir la fécondation du troupeau… ou du sang de l’enfant aîné qu’on sacrifie rituellement pour obtenir la sauvegarde des enfants cadets (cette pratique de l’animal sacrifié rituellement est conservée chez les Samaritains, elle est remplacée par des prières dans le rabbinisme). La fête des Azymes, qui a lieu la semaine suivant Pâque/Pessah, célébrant la sortie d’Egypte par l’offrande de pain non levé, semble un autre avatar de sacrifice de prémices printanier : on offre aujourd’hui à Yahvé un pain sans levain de la même façon qu’on offrait hier au dieu Truc les premiers épis à peine sortis de terre - "non levés" -, dans l’espoir que ce dieu Truc favorise une bonne moisson. La fête de Chavouot, ou des "Semaines" en français (alias la "Pentecôte/Penthkost»" en grec parce qu’elle a lieu "cinquante/pent»konta" jours après Pâque/Pessah), ainsi nommée parce qu’elle célèbre sept semaines de sept jours symbolisant les notions d’aboutissement et de maturité, associée au don de la Torah par Yahvé à Moïse sur le mont Sinaï, semble encore issue d’un sacrifice de prémices : la première coupe d’épis mûrs qu’on y consacre aujourd’hui à Yahvé pour lui dire : "Merci de m’avoir bien nourri cette année", rappelle la première coupe d’épis mûrs qu’on consacrait hier au dieu Truc ou Bidule en mai-juin pour lui dire : "Merci de me nourrir aussi bien l’année prochaine". La fête de Soukkot, qui oblige les juifs à demeurer aujourd’hui dans leurs maisons et hier sous leurs "tentes/soukkot", célèbre le don de la Terre promise après l’errance dans le désert : elle semble une adaptation d’une fête antérieure célébrant la fin de la saison agricole, c’est-à-dire la fin des moissons, des vendanges, des cueillettes de toutes sortes, et de leurs cortèges d’enfants sacrifiés. La Torah peine d’ailleurs beaucoup à atténuer les arrangements de Moïse avec cette pratique infanticide. Ainsi on apprend en Nombres 2.12-13 que la famille israélite des Lévites est choisie par Yahvé pour être consacrée au culte de Yahvé "en remplacement des premiers-nés du peuple d’Israël" ("J’ai moi-même choisi les Lévites parmi tous les autres Israélites. Ils remplacent les premiers-nés du peuple d’Israël. En effet, le jour où j’ai fait mourir tous les premiers-nés des Egyptiens [allusion à Exode 12.29], je me suis réservé les fils aînés des Israélites et les premiers petits de leurs animaux. Ils m’appartiennent"). Ce propos renvoie à Exode 13.2 ("Consacre-moi tout premier-né en Israël, car le premier garçon d’une femme et le premier petit d’un animal m’appartiennent"), que juifs, chrétiens et musulmans s’empressent d’expliquer de manière figurée : "Quand le livre de l’Exode dit qu’“avant l’instauration du sacerdoce des Lévites les premiers-nés étaient consacrés à Yahvé”, cela signifie que ces premiers-nés étaient chargés des rituels à Yahvé, qu’ils devaient rester chastes et vouer leur vie entière à Yahvé, comme les moines et les sœurs du monde chrétien plus tard". Mais cette explication au figuré n’est crédible que pour les croyants, les non-croyants inclinent plutôt à penser qu’à l’époque de Moïse vers -1200 les Israélites immolent rituellement leurs premiers-nés comme tous les autres Sémites de Méditerranée orientale, et que Moïse veut mettre fin à cette pratique abominable en instaurant le sacerdoce des Lévites, sur le mode : "Jusqu’à maintenant Yahvé réclamait le sang de vos fils, désormais il se satisfera seulement du sang béni des Lévites chargés de sa Grande Prêtrise". Et pour atténuer cette obligation de retrait du monde pour consacrer leur vie entière à Yahvé, Moïse réserve aux Lévites le dixième, "dîme" en français, de tous les produits du peuple d’Israël, premiers-nés exclus ("Voici le salaire que j’accorde aux Lévites, pour le service qu’ils accomplissent à la tente de la rencontre : je leur donne en partage la dîme, soit le dixième de tout ce qu’Israël produit", Nombres 18.21). Or ce dixième/dîme ne sort pas de nulle part, il n’est qu’une nouvelle appellation du sacrifice de prémices bien attesté vers -1200 ("Moïse poursuivit : “Quand le Seigneur vous aura conduit en Canaan et vous l’aura donné, comme il l’a promis à vos ancêtres et à vous-mêmes, vous lui offrirez tous les premiers-nés mâles. Les premiers-nés de vos bêtes lui appartiennent, toutefois vous remplacerez les ânons [l’âne est considéré impur] par un agneau ou un chevreau, ou vous le tuerez en lui brisant la nuque. Et vous rachèterez les garçons premiers-nés de votre peuple”", Exode 13.31-13 ; "Vous devez m’apporter sans retard la part qui me revient de vos moissons et de vos vendanges. Vous devez me consacrer l’aîné de vos fils. Le premier petit d’une vache, d’une brebis ou d’une chèvre doit être laissé pendant sept jours auprès de sa mère, offrez-le moi en sacrifice le huitième jour", Exode 22.28-29 ; "Tout premier-né m’appartient, dont ceux de vos bêtes. Le premier-né d’une vache, d’une brebis ou d’une chèvre doit m’être offert. Toutefois vous remplacerez les ânons par un agneau ou un chevreau, ou vous le tuerez en lui brisant la nuque. Et vous rachèterez les garçons premiers-nés de votre peuple", Exode 34.19-20 ; "On devra consacrer au Seigneur le dixième des produits de la terre et des fruits des arbres, telle est la part qui lui est réservée […]. Parmi les bœufs, les moutons et les chèvres, une bête sur dix sera marquée pour être consacrée au Seigneur", Lévitique 27.30-32 ; "Chaque année vous mettrez de côté une partie de toutes vos récoltes. Vous irez ensuite au sanctuaire du Seigneur votre Dieu, dans le lieu qu’il aura choisi pour y manifester sa présence, et c’est là que vous consommerez cette part de votre blé, de votre vin et de votre huile, ainsi que les premiers-nés de vos troupeaux de bœufs, de moutons et de chèvres", Deutéronome 14.22-23), qui lui-même n’est qu’un héritage des pratiques de l’époque d’Abraham vers -1600 : quand il revient triomphalement de son opération militaire au nord Levant, avec Loth libéré et un gros butin, le vassal Abraham donne le dixième/dîme de ce butin à son supérieur politique et religieux Melkisédek ("[Melkisédek] bénit Abraham en disant : “Béni soit Abraham par le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre ! Merci au Dieu Très-Haut qui a livré tes ennemis en ton pouvoir !”. Alors Abraham lui donna le dixième de tout le butin", Genèse 14.19-20). Ce parallèle mosaïque entre les Grands Prêtres lévites et Melkisédek prouve que ce dernier est bien un prêtre et non pas un roi (pour l’anecdote, c’est justement parce que Moïse veut imposer les Lévites comme héritiers du grand prêtre Melkisédek, que les Ammonites et les Moabites sont condamnés, parce qu’ils refusent cette filiation : hier Abraham a été reconnu comme un égal de Melkisédek, qui lui a apporté le pain et le vin des prémices en Genèse 14.18, Moïse juge intolérable qu’aujourd’hui Ammonites et Moabites n’apportent pas les mêmes offrandes aux Lévites successeurs de Melkisédek et Abraham ["Les Ammonites et les Moabites ne seront jamais admis dans l’assemblée des fidèles, même leurs descendants de la dixième génération n’y seront pas admis. Car ces peuples ne sont pas venir vous accueillir avec du pain et de l’eau quand vous étiez en route, après la sortie d’Egypte", Deutéronome 23.4-5]). Secundo, la traduction grecque "Dieu Très-Haut" en Genèse 14.18 renvoie à l’expression hébraïque "El Elion", source d’ambiguïtés. Nous avons longuement expliqué dans notre paragraphe introductif qu’"El" en sémitique signifie banalement "dieu", peu importe lequel, et se retrouve comme préfixe ou suffixe dans d’innombrables noms de personnes et de lieux. "Elion" de son côté, traduit dans la Bible/Septante par "Très-Haut/Uyistoj", peut facilement se décomposer en "dieu/el Anu", dieu sémitique du ciel (avatar d’An le dieu sumérien du ciel), alias "Ouranos" dans la mythologie grecque. Ainsi le texte hébraïque originel dit que Melkisédek est non pas un prêtre de Yahvé, mais un prêtre du dieu sémitique du ciel Anu : ce sont les juifs (en s’appuyant sur le verset 4 du Psaume 110 et sur le manuscrit 11Q13 de Qumran ou Avènement de Melkisédek) puis les chrétiens (en s’appuyant sur la Bible/Septante, sur la Cène et sur les chapitres 5 à 7 de la Lettre aux hébreux) qui inverseront l’ordre des majuscule/minuscule pour transformer ce prêtre du "dieu/el Très-Haut/Anu" du panthéon sémitique, en un prêtre de Yahvé le "Dieu très-haut" unique. Le culte de Melkisédek au dieu du ciel Anu est fortement suggéré par l’épisode du Second livre des rois où Josias tente d’abolir tous les cultes pratiqués à Jérusalem en son temps, soit bien après l’époque de Melkisédek et d’Abraham, parmi lesquels le culte au Soleil ("[Josias] supprima les chevaux que les rois de Juda avaient consacrés au culte du Soleil, à côté de l’entrée du Temple, dans les bâtiments annexes, près de la chambre du fonctionnaire Netan-Mélek [autre dérivé de "mlk"]. Josias fit brûler les chars du Soleil. […] Il rendit inutilisables les lieux sacrés que le roi Salomon avait installés au sud du mont des Oliviers face à Jérusalem, consacrés à Astarté l’ignoble déesse des gens de Sidon, à Kemoch l’ignoble dieu des Moabites, et à Moloch l’ignoble dieu des Ammonites", Second livre des rois 23.11-13). Le prophète Jérémie révèle que les Jérusalémites au tournant des VIIème et VIème siècles av. J.-C. vénèrent toujours le Soleil, la Lune et les étoiles ("Le Seigneur dit : “On déterrera les ossements des rois de Juda, ceux des ministres, ceux des prêtres, ceux des prophètes et ceux des habitants de Jérusalem. On les laissera éparpillés devant le Soleil, la Lune et l’armée des étoiles qu’ils ont aimés, auxquels ils ont rendu un culte et se sont attachés, qu’ils ont consultés et adorés”", Jérémie 8.1-2). Dans la conception moyen-orientale antique de l’univers, le Soleil passe sous la Terre tous les soirs d’un côté et réapparaît tous les matins de l’autre côté, le Soleil voit donc sous la surface des choses, ceci explique pourquoi il est divinisé comme le juge de toutes choses, entouré de ses assistants "Mispat/le Droit" et "Sédek/la Justice" (cette conception durera au moins jusqu’à Isaïe I vers -700 : "La cité fidèle [Jérusalem] est devenue une prostituée : Mispat/le Droit y était respecté, Sédek/la Justice y était chez elle, mais aujourd’hui les meurtriers la dominent", Isaïe I 1.21 ; "Je rendrai tes juges comme ceux de naguère, et tes conseillers comme ceux de jadis. Alors on pourra te renommer “la cité de Mispat/Droit” et “Sion la Sédek/Juste”", Isaïe I 1.26) : ce sont peut être ces deux divinités secondaires que le chapitre 19 de la Genèse a transformées de façon neutre en deux "anges/¥ggeloj" en grec dans la Bible/Septante, alias deux "mlak" en hébreu dans la Torah originelle, qui annoncent à Loth la destruction imminente de Sodome et Gomorrhe. Dans le livre des Nombres, on apprend que vers -1200 la région d’Hébron est habitée par trois familles cananéennes apparentées à un ancêtre commun, un géant nommé "Anac" ("Enac" dans la Bible/Septante, "onq" dans la Torah : "[Les envoyés de Moïse] pénétrèrent dans le pays par le sud et arrivèrent près d’Hébron, où habitaient les clans d’Ahiman, de Chéchaï et de Talmaï, descendants du géant Anac", Nombres 13.22 ; ces trois familles seront rapidement chassées de leurs terres par les Israélites compagnons de Moïse ["Caleb fils de Yefounné reçut une partie du territoire de Juda, selon l’ordre du Seigneur à Josué : on lui octroya Quiriath-Arba, c’est-à-dire la “cité d’Arba” le doyen des Anaquites, qui correspond aujourd’hui à la cité d’Hébron. Caleb en chassa les trois clans anaquites : celui de Chéchaï, celui d’Ahiman et celui de Talmaï", Josué 15.13-14 ; "Ils engagèrent le combat contre les habitants d’Hébron, qui s’appelait alors “Quiriath-Arba”, et ils battirent les clans de Chéchaï, d’Ahiman et de Talmaï", Juges 1.10]), à rapprocher peut-être du nom sumérien "Enki" alias "Ea" dans les textes sémitiques, fils du dieu du ciel Anu, et peut-être aussi du qualificatif grec "anax/¥nax" ou "wa-na-ka" en linéaire B désignant tout seigneur au-dessus des seigneurs, intermédiaire entre les mortels et les dieux : les trois ancêtres de ces trois familles ont-ils un rapport avec la triade Soleil-Mispat-Sédek, et/ou avec les trois hommes anonymes auxquels Abraham prodigue bizarrement toutes sortes de cadeaux (ces trois hommes ne sont-ils que des hiérarques autochtones d’Hébron qu’Abraham corrompt pour qu’ils le laissent s’installer sur leur territoire ?) et qui le remercient en retour en lui annonçant la future grossesse de Sarah au chapitre 18 de la Genèse ? Avant de conclure sur ce sujet, mentionnons aussi l’omniprésence de la déesse guerrière Anat dans les tablettes de la cité d’Ugarit et la statuaire de la cité de Byblos à l’ère des Ages obscurs, qui semble avoir été aussi adorée par les Israélites puisque son nom est porté par la mère du Juge Samgar à la même époque (Juges 3.31 et 5.6 ; le nom hébraïque "Hannah", d’étymologie inconnue, porté notamment par la mère de Samuel dont la grossesse est évoquée aux chapitres 1 à 3 du Premier livre de Samuel, n’est peut-être qu’une déformation apocopée d’"Anat"). Cette déesse sémitique levantine trouve son origine dans l’Egypte des hyksos, puisqu’on retrouve comme préfixe d’"Anat-Har" (sur un sceau-scarabée constituant le document 180 du Catalogue of the scarabs de George Willoughby Fraser de 1900, repris dans l’illustration 4 de l’essai Egypt and Israel de Flinders Petrie en 1911), que certains archéologues voient comme un roi de la XVème Dynastie hyksos, d’autres comme un dignitaire de la XVIème Dynastie vassale de la XVème Dynastie, d’autres encore comme un seigneur levantin sujet de la même XVème Dynastie. On est tenté de voir dans ce nom "Anat" une simple déformation sémitique de la déesse primordiale égyptienne "Neith", dont nous avons vu dans notre paragraphe introductif qu’elle est liée à la Libye, et qu’elle a pour avatar - selon Hérodote et Platon - la déesse grecque Athéna : Anat, comme Athéna, est représentée systématiquement debout, en tenue militaire, portant accroché à son avant-bras un bouclier caractéristique, la seule différence est que l’une tient dans sa main gauche des armes diverses (les statues d’Anat conservées au Musée national de Beyrouth au Liban la représentent portant une hache en forme de virgule) tandis que l’autre tient les rênes de son aurige. Anat partage avec Addu le dieu de l’Orage, alias "Soutekh" chez les hyksos, alias "Seth" chez les Egyptiens, dont elle reprend le hedjet, la même fonction à la fois protectrice et menaçante. On peine à imaginer qu’entre l’époque de la XVème Dynastie et l’époque du Juge Samgar, cette déesse Anat a complètement disparu du monde sémitique au sud Levant : pour notre part, nous admettons qu’Anat était l’une des nombreuses divinités levantines auxquelles les Cananéens d’Hébron, Abraham inclus, rendaient un culte vers -1600. Cette image d’un Abraham sédentarisé à Hébron vassal du seigneur jérusalémite voisin, est farouchement rejetée par les Arabes de l’an 2000, qui y voient une justification du sionisme. Paradoxalement, elle est aussi farouchement rejetée par les juifs, qui préfèrent penser qu’Abraham a toujours été un nomade lié au désert et guidé par le seul Yahvé, et ne supportent pas l’idée qu’il a pu être un Cananéen polythéiste ordinaire s’adonnant aux sanglants rituels levantins de son temps. Juifs et Arabes modernes se rejoignent aussi dans le refus de penser qu’Abraham, tel les bourgeois affairistes du Directoire qui s’achèteront une respectabilité au XIXème siècle en offrant en mariage leurs fils et leurs filles aux héritiers et aux héritières de l’aristocratie française détrônée et désargentée, doit son prestige et sa postérité à la reconnaissance publique d’un notable cananéen douteux, idolâtre du ciel, du Soleil, des nuages et des oiseaux migrateurs, et infanticide (le Jérusalémite Melkisédek), qui l’a ainsi détaché de sa nature de plouc mésopotamien rejeté de partout et l’a absous de ses magouilles financières en Egypte. Mais nous, qui étudions Abraham d’un cœur froid, considérons que cette image reflète bien la vérité historique des Sémites hyksos chassés d’Egypte par la XVIIIème Dynastie : le Tanakh nous le dit, l’archéologie nous le dit, et les séculaires anathèmes tonitruants des juifs et des Arabes nous le disent aussi.


Un flou aussi opaque subsiste dans le domaine religieux entre juifs et musulmans sur l’épisode du sacrifice d’Abraham. D’un côté, les juifs affirment que le fils emmené par Abraham sur le lieu du sacrifice est Isaac. Sarah, n’arrivant toujours pas à enfanter, s’est résignée à pousser son mari Abraham dans les bras de sa servante égyptienne Hagar - cette esclave Hagar est l’un des biens qu’Abraham a emporté vers le Levant quand il a été chassé d’Egypte par le pharaon ("Sarah la femme d’Abraham ne parvenait pas à lui donner un enfant. Elle avait une esclave égyptienne nommée Hagar. Sarah dit à son mari : “Vois : le Seigneur m’empêche d’avoir des enfants. Mais je pourrai peut-être avoir un fils grâce à mon esclave. Passe la nuit avec elle”. Abraham accepta la proposition de Sarah. Sarah prit alors son esclave Hagar et la donna comme femme à son mari Abraham. Abraham habitait depuis dix ans en Canaan. Abraham passa la nuit avec Hagar, qui devint enceinte", Genèse 16.1-4). Cette Hagar, enceinte, a donné naissance à Ismaël ("Hagar mit au monde un fils que son père Abraham nomma Ismaël", Genèse 16.15). La Torah reconnaît donc bien Ismaël comme l’aîné des fils d’Abraham, mais un fils bâtard, né d’une servante, dont la légitimité sur l’héritage paternel ne vaut que jusqu’à la naissance d’un autre fils issu de Sarah l’épouse officielle. Le nom "Ismaël", nous l’avons vu dans notre paragraphe introductif, est courant dans le monde sémitique d’alors (nous en avons trouvé une occurrence dans les lettres de Mari au tournant des XIXème et XVIIIème siècles av. J.-C.), formé sur le qualificatif "el/dieu" et la racine consonantique "sm/écouter, entendre", d’où littéralement "le dieu/el a entendu/sm" ("Ismaël" est l’équivalent arabe de "Yasim-El" en mariote, et de "Samuel" en hébreu). Pour on-ne-sait-quelle raison, Yahvé propose une alliance à Abraham ("Quand Abraham eut quatre-vingt dix-neuf ans, Yahvé  lui apparut et lui déclara : “Je suis le Dieu ["El" dans la Torah hébraïque] tout-puissant. Vis toujours en ma présence et sois irréprochable. Je vais établir une alliance entre toi et moi, et te donner un très grand nombre de descendants”", Genèse 17.1-2), manifestée par sa propre circoncision et celle de tous ses descendants ("Puis Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] dit à Abraham : “Toi et tes descendants, de génération en génération, vous devrez respecter mon alliance. Voici l’obligation que je vous impose et à laquelle vous vous soumettrez, toi et tes descendants. Quiconque parmi vous de sexe masculin devra être circoncis. Votre circoncision sera le signe de l’alliance établie entre vous et moi. De génération en génération, tous vos garçons seront circoncis quand ils auront huit jours. De même pour les esclaves nés chez toi ou pour les esclaves étrangers que tu auras acheté seront circoncis, afin que mon alliance soit inscrite dans votre chair comme une alliance perpétuelle”", Genèse 17.9-13). Abraham accepte : il se circoncit, dans le jargon islamique il devient ainsi un "musulman/soumis" à Yahvé, autrement dit Abraham choisit l’alliance avec le Dieu unique par cette circoncision consentie de la chair - comme les chrétiens plus tard par leur circoncision consentie du cœur -, contrairement à ses descendants israélites qui y seront automatiquement rattachés dès leur naissance par la même circoncision devenue une obligation. En récompense de cette soumission, Yahvé lui accorde un nouveau fils, par Sarah ("Je vais bénir [Sarah] et te donner par elle un fils. Je la bénirai et elle deviendra l’ancêtre de nombreux peuples", Genèse 17.16). C’est ainsi que Sarah donne naissance à un fils légitime, Isaac ("Yahvé intervint en faveur de Sarah comme il l’avait promis. Elle devint enceinte alors qu’Abraham était un vieillard, et elle mit au monde un fils à l’époque que Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] avait annoncée. Abraham nomma “Isaac” ce fils que Sarah lui donna. Il le circoncit à l’âge de huit jours, comme Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] l’avait ordonné", Genèse 21.1-4), reléguant Ismaël au second plan. Ensuite, toujours pour on-ne-sait-quelle raison, Yahvé impose une nouvelle épreuve à Abraham : il lui demande de sacrifier son "fils unique", formule ambivalente que les juifs comprennent dans le sens de "fils légitime", c’est-à-dire Isaac ("Ensuite Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] mit Abraham à l’épreuve. Il l’appela et Abraham répondit : “Je t’écoute”. Il dit : “Prends ton fils Isaac, ton fils unique que tu aimes, va dans la région de Moriah, sur la colline que je t’indiquerai, et là offre-le-moi en sacrifice”", Genèse 22.1-2). Au moment de passer à l’acte, un mystérieux "ange du Seigneur/¥ggeloj Kur…ou" dans la Bible/Septante, alias un "mlak de Yahvé" dans la Torah hébraïque, retient la main d’Abraham, épargnant ainsi la vie d’Isaac ("Quand ils arrivèrent au lieu que Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] lui avait indiqué, Abraham construisit un autel et y déposa le bois. Puis il lia son fils Isaac et le plaça sur l’autel par-dessus le bois. Il tendit la main et saisit le couteau afin d’égorger son fils. Mais du ciel un ange du Seigneur/mlak de Yahvé l’interpella : “Abraham, Abraham !”. “Oui, répondit Abraham, je t’écoute.” Il lui ordonna : “Ne porte pas la main sur l’enfant, ne lui fais aucun mal. Je sais maintenant que tu respectes l’autorité de Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] puisque tu ne lui as pas refusé ton fils unique”", Genèse 22.9-12). Yahvé, ayant ainsi constaté qu’Abraham lui est soumis au point d’accepter de lui sacrifier son fils, promet alors une longue vie à Isaac ("Parce que tu as agi ainsi, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils unique, aussi vrai que je suis Yahvé, je jure de te bénir grandement en rendant tes descendants aussi nombreux que les étoiles dans le ciel ou les grains de sable au bord de la mer. Tes descendants s’empareront des cités de leurs ennemis, à travers eux je bénirai tous les peuples de la terres, parce que tu as obéi à mon ordre", Genèse 22.16-18), et Abraham sacrifie un bélier à la place d’Isaac pour honorer Yahvé ("Abraham aperçut un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla le prendre et l’offrit en sacrifice à la place de son fils", Genèse 22.13). De l’autre côté, les musulmans affirment que le fils emmené par Abraham sur le lieu du sacrifice est non pas Isaac, mais Ismaël. Allah (autre dérivé d’"el/dieu" en sémitique) impose cette épreuve pour voir jusqu’où Abraham est prêt à lui obéir. Le fait qu’Abraham obéisse équivaut de facto à établir l’alliance entre lui et Allah ou, pour reprendre le terme du Coran, à sa "soumission/slm", sa conversion, son allégeance à Allah. Au moment où Abraham va passer à l’acte, Allah en personne intervient pour retenir son geste, épargnant ainsi la vie d’Ismaël. Abraham remercie Allah par un "sacrifice solennel" d’on-ne-sait-quelle nature, probablement un bovidé comme dans Genèse 22.13 : c’est l’origine de la fête musulmane de l’Aïd al-Adha, durant laquelle on sacrifie rituellement un animal pour perpétuer l’acte d’Abraham après sa soumission et la préservation de son fils Ismaël. Allah remercie également Abraham en lui annonçant la naissance d’un second fils, Isaac ("[Abraham] dit : “Oui, j’irai près de mon Seigneur, il me guidera. Seigneur, donne-moi un fils juste”. Je lui annonçai la bonne nouvelle d’un fils bienveillant. Quand il eut l’âge d’accompagner son père, celui-ci lui dit : “Mon fils, je me suis vu en songe en train de t’immoler. Qu’en penses-tu ?”. Il dit : “Mon père, fais ce qui t’est ordonné. Tu me trouveras patient si Allah le veut”. Ils se soumirent, Abraham mit le front de son fils contre terre, je lui criai alors : “ Abraham, tu as accompli ta vision. Je paie ceux qui agissent bien. L’épreuve a été concluante”. Je rachetai le fils par un sacrifice solennel. Je perpétuai sa mémoire : “Paix sur Abraham !”. C’est ainsi que je paie ceux qui agissent bien. Il était parmi mes serviteurs croyants : je lui annonçai la bonne nouvelle d’Isaac, prophète parmi les justes", Coran 37.99-112). Pour notre part, nous choisissons délibérément d’écarter les débats sur l’identité du fils sacrifié, pour ne retenir que l’essentiel : la scène d’Abraham levant le couteau contre son fils, peu importe que celui-ci soit le "fils unique" dans le sens de "fils légitime" alias Isaac chez les juifs ou dans le sens de "fils aîné" alias Ismaël chez les musulmans, est littéralement une scène de sacrifice de prémices, identique à toutes celles que nous avons mentionnées précédemment depuis les époques de Moïse jusqu’à celles d’Achaz, Manassé, Josias, Jérémie. Quand on a la foi, comme les juifs et les musulmans, on peut se dire : "Si le fils d’Abraham a été épargné, c’est parce que le Dieu unique (Yahvé ou Allah) est intervenu". Mais quand on n’a pas la foi - comme nous ! -, une explication très rationnelle et très simple existe pour comprendre le non accomplissement de ce sacrifice de prémices, celle d’un soubresaut de bon sens, d’un éclair de lucidité qui a traversé soudain Abraham juste avant de passer à l’acte, du genre : "Mais qu’est-ce que je m’apprête à faire ? Je suis complètement con : je veux sacrifier mon fils ! Soit le dieu auquel j’offre le sang de mon fils n’existe pas et dans ce cas je n’ai aucune raison de pratiquer ce sacrifice, soit il existe et dans ce cas c’est un dieu cruel, sanguinaire, méchant, et je n’ai aucun respect à accorder à ce dieu-là ! Plutôt crever et changer de religion, que continuer à servir un tel monstre ! Plutôt attirer sur moi la haine de tous les autres Levantins qui s’obstinent à le servir, qu’attenter à la vie de mon bien-aimé fils !". On peut admettre que c’est ce bon sens, cet éclair de lucidité, que les juifs puis les musulmans ont appelé ultérieurement "Yahvé" ou "Allah". Mais cela ne doit pas nous distraire du principal : Abraham, comme les autres Sémites de son temps, a voulu sacrifier son fils à un dieu Truc ou Machin. Au verset 2 chapitre 22 de la Genèse, le lieu du sacrifice est appelé "Moriah" : on ignore la signification de ce nom, mais on le retrouve au verset 1 chapitre 3 du Second livre des chroniques pour désigner l’une des collines de Jérusalem ("Salomon entreprit de construire le Temple du Seigneur à Jérusalem, sur le mont Moriah, où le Seigneur était apparu à son père David"), or on a vu que Jérusalem est alors dominée par Melkisédek prêtre/mlk d’Elion/dieu du ciel Anu, peut-être aussi prêtre du Soleil, de la Lune, des étoiles, et d’autres dieux, et très probable organisateur de sacrifices de prémices, dont Abraham est le vassal. On remarque par ailleurs que dans la Torah hébraïque, c’est "Elohim", littéralement "les dieux", qui demande à Abraham de sacrifier son fils (Genèse 22.1 et 9), et c’est "Yahvé" qui retient son geste via un mystérieux "ange/mlak" (un dérivé de "mlk" ?) et propose son alliance et sa protection à Abraham (Genèse 22.11 et 16), autrement dit le Dieu unique "Yahvé" remplace "les dieux/Elohim" infanticides levantins, ce qui raccorde avec notre hypothèse d’un Abraham polythéiste s’interrogeant soudain sur les rites sanglants associés à ce polythéisme. La vérité historique qui se cache derrière cette séquence embarrassante perpétuellement réécrite au cours des siècles par les juifs et les musulmans (jusqu’à aujourd’hui : les rabbins entre eux, autant que les imams entre eux, ne trouvent aucun consensus sur le sujet…), s’appréhende peut-être dans les relations affectives compliquées entre les cinq personnages. La communication entre Sarah l’épouse légitime mais inféconde et Hagar la servante mère-porteuse se détériore rapidement, dès que cette dernière est enceinte. La tension entre les deux femmes s’amplifie à tel point que Sarah demande à Abraham de chasser Hagar ("Quand [Hagar] sur qu’elle attendait un enfant, elle devint méprisante avec sa maîtresse. Sarah dit alors à Abraham : “Assume les conséquences des injures qu’on m’adresse ! Oui, c’est moi qui ai mis mon esclave dans tes bras, mais depuis qu’elle est enceinte elle me méprise ! Que Yahvé soit juge entre toi et moi !”. Abraham lui répondit : “C’est ton esclave, elle t’appartient, c’est à toi de décider quoi en faire”. Alors Sarah maltraita Hagar à tel point que celle-ci s’enfuit dans le désert", Genèse 16.4-6). Nous n’avons aucune raison de douter de l’historicité de ce conflit féminin qui donne à Hagar l’ancêtre des Arabes un rôle prépondérant, précisément parce qu’il est raconté par la Torah des juifs, rivaux séculaires des Arabes : face à un Abraham totalement passif, Sarah porte la culotte, sans parvenir à contenir l’ambition émancipatrice de sa servante Hagar. Le Code de Hammurabi au XVIIIème siècle av. J.-C. atteste la coutume consistant pour une épouse inféconde à offrir des enfants à son mari via une servante, et en même temps révèle que cette servante devenue enceinte ne peut plus être congédiée par sa maîtresse, elle accède à un statut quasi égal à sa maîtresse ("Si une épouse naditum [prêtresse] a donné à son mari une esclave qui lui a donné des enfants, et si cette esclave prétend se tenir sur un pied d’égalité avec sa maîtresse, celle-ci ne pourra pas la vendre car elle a mis au monde des enfants, elle lui rappellera son statut d’esclave et la traitera comme ses autres esclaves", Code de Hammurabi 146 ; "Si un homme a des enfants de son épouse légitime et des enfants de son esclave, et s’il dit de son vivant aux enfants de son esclave : “Vous êtes mes enfants” en les traitant à égalité avec les enfants de son épouse légitime, quand ce père mourra [littéralement "ira au destin"] les biens de la maison paternelle seront partagés à égalité entre les enfants de l’épouse légitime et les enfants de l’esclave, après que l’héritier, fils de l’épouse légitime, aura choisi ce qu’il veut prendre. Si au contraire le père ne dit pas de son vivant aux enfants de son esclave : “Vous êtes mes fils”, quand ce père mourra les biens de la maison paternelle reviendront aux enfants de l’épouse légitime et ne seront pas partagés avec les enfants de l’esclave. Cette esclave et ses enfants seront affranchis. Les enfants de l’épouse légitime ne pourront pas réclamer les enfants de l’esclave pour leur service. L’épouse légitime recouvrera sa dot et le douaire accordé par son époux par une tablette. Elle résidera dans la maison de son époux, et en jouira pour le reste de sa vie. Elle ne pourra pas la vendre. Son héritage reviendra à ses enfants seuls", Code de Hammurabi 170-171) : on comprend l’irritation de Sarah, épouse légitime torturée par son incapacité à donner un enfant à son mari, qui doit supporter en supplément les prétentions de son esclave Hagar à la remplacer, et l’impossibilité juridique de l’en empêcher. Doit-on aller plus loin en supposant que Sarah a poussé Abraham à sacrifier Ismaël (selon la version des musulmans), à la fois pour réserver l’héritage paternel à son seul fils Isaac et remettre Hagar à son ancien rang inférieur d’esclave ? La Bible/Septante, traduction grecque du Tanakh hébraïque tel qu’il existait à l’ère hellénistique, raconte qu’Hagar enfuie au désert pour échapper aux coups de Sarah est abordée par un être énigmatique qui la réconforte et l’incite à revenir vers le camp d’Abraham, un être désigné par l’expression "ange du Seigneur/¥ggeloj Kur…ou" en grec et "mlak de Yahvé" en hébreu, homonyme de l’"ange/mlak" qui retient la main d’Abraham lors du sacrifice ("[Hagar] s’enfuit dans le désert. L’ange du Seigneur/mlak de Yahvé la vit près de la source sur la route de Chour et lui demanda : “Hagar, esclave de Sarah, d’où viens-tu et où vas-tu ?”. Elle répondit : “Je me suis enfuie de chez ma maîtresse”. “Retourne auprès de ta maîtresse, reprit l’ange/mlak, et sois-lui soumise. Je te donnerai des descendants en si grand nombre qu’on ne pourra pas les compter. Tu auras un fils : tu l’appelleras « Ismaël » car « le Seigneur/Yahvé a entendu » [calembour sur le nom d’"Ismaël"] ton cri de détresse”", Genèse 16.6-11). Après cette entrevue, Hagar s’interroge sur l’identité de l’être qui lui a parlé, comme plus tard Jacob/Israël après sa rencontre avec l’ange, comme encore plus tard Marie-Madeleine après sa rencontre avec Jésus ressuscité, ou Paul après sa rencontre avec la lumière sur le chemin de Damas : la Bible/Septante rapporte ces interrogations ("Ai-je réellement vu Celui-qui-voit ?", Genèse 16.13)… qui ont disparu dans la version canonique de la Torah rabbinique actuelle, autrement dit ce passage faisant de la servante Hagar ancêtre des Arabes une intime du Dieu unique avant les Israélites (puisque Isaac père de Jacob/Israël n’est pas encore né !), qui voit même le Dieu unique alors que Moïse le fondateur du judaïsme ne l’approchera qu’à travers des fumées et des buissons ardents, un passage qui existait dans la Torah de l’ère hellénistique puisque c’est cette Torah hellénistique qui a servi de support à la Bible/Septante grecque, a posé tellement de problèmes théologiques au judaïsme rabbinique, que les rabbins l’ont purement et simplement supprimé. Doit-on aller plus loin en supposant que c’est Hagar qui a converti Abraham à la religion de l’"ange du Seigneur/mlak de Yahvé", le retenant ainsi d’égorger Ismaël (toujours selon la version des musulmans), au grand dam de Sarah ? Pire : la Torah hébraïque ne parvient pas à minimiser la profonde affection qu’Abraham porte à son bâtard Ismaël, et à Hagar : "Qu’Ismaël vive et que tu t’intéresses à lui, je ne demande rien de plus" dit-il à Yahvé en Genèse 17.18. La Torah reconnaît que Yahvé est bienveillant envers Hagar et Ismaël, grâce à l’intercession d’Abraham ("J’ai entendu ta demande en faveur d’Ismaël. Je le bénirai, je le rendrai fécond, je lui donnerai un très grand nombre de descendants, il sera le père de douze princes et l’ancêtre d’un grand peuple", Genèse 17.20). Et lors des obsèques d’Abraham, les deux demi-frères Isaac et Ismaël veillent côte-à-côte et pacifiquement ("Ses fils Isaac et Ismaël l’enterrèrent dans la grotte de Makpela, dans le champ d’Efron fils de Sohar le Hittite, près de Mamré", Genèse 25.9). Encore une fois, nous n’avons aucune raison de douter de l’historicité de ces passages, justement parce qu’ils gênent les discours dualistes des extrémistes juifs et musulmans, contraints de recourir à des sources très périphériques ou totalement inventées pour tenter de justifier que le Dieu unique "a choisi Ismaël donc les descendants d’Isaac doivent être anéantis", ou qu’il "a choisi Isaac donc les descendants d’Ismaël doivent être anéantis". Une récente exégèse athée du Coran tend à considérer l’épisode suivant, la séparation déchirante d’Abraham et d’Hagar portant son jeune fils Ismaël, l’errance d’Hagar et Ismaël dans un désert non identifié, puis la maturité d’Ismaël devenu un semi-nomade dans ce désert, fondateur d’une nouvelle famille promise à un avenir illustre, comme une fable, comme un élément de la propagande arabe. Pour notre part, nous nous interrogeons moins sur les actes de cet épisode, que sur sa localisation. La tradition arabe situe le Zemzem, source où Hagar s’abreuve après son séjour au désert, à proximité de la "maison sacrée" évoquée succinctement dans le Coran ("J’ai établi une partie de ma descendance dans une vallée sans agriculture, près de ta maison sacrée ["al-bayt al-haram" en arabe]", Coran 14.37) : l’exégèse musulmane, relayée sans discussion par l’exégèse judéo-chrétienne depuis le bas Moyen Age, dit que la périphrase "maison sacrée" désigne le sanctuaire de la Kaaba à La Mecque en actuelle Arabie saoudite, mais les sceptiques modernes pensent plutôt que cette appellation renvoie à une construction de Jérusalem - peut-être le sanctuaire où officie Melkisédek ? - qui servira de fondation au futur Temple. Nous devons rappeler ici ce que nous avons dit dans notre paragraphe introductif à propos du mystérieux peuple sémitique des "Fénékhous" mentionné dans le récit égyptien de Sinouhé remontant à la XIIème Dynastie, situé alors entre le sud Levant et les premiers sommets du nord Hedjaz. Nous avons vu que ces Fénékhous, semi-nomades comme tous les Sémites de l’ère minoenne, sont très certainement originaires de la côte arabique de la mer Rouge, et que pour des raisons non élucidées ils se sont répandus au fil du temps depuis le Yémen actuel vers le nord de la chaîne du Hedjaz, puis vers le territoire jordanien, puis vers la côte méditerranéenne à laquelle ils donneront leur nom, la "Phénicie" (via un de leurs princes éponymes, "Phénix"), sans jamais cesser de fréquenter la Jordanie, le Hedjaz et le Yémen de leurs ancêtres (nous avons évoqué le bas-relief de Deir el-Bahari qui raconte le voyage maritime vers le "Pount" alias une région côtière indéterminée de la mer Rouge, possible dérivé d’un étymon "fnq" qui a donné aussi "Fénékhou" et "Phénicien", organisé par la pharaone Hatchepsout au XVème siècle av. J.-C. : les habitants du Pount représentés sur ce bas-relief tardif ont les mêmes caractéristiques que les Sémites levantins d’autres bas-reliefs, ce sont donc des populations apparentées). Diodore de Sicile au Ier siècle av. J.-C., en décrivant en détails la côte arabique de la mer Rouge, rattache les anciens habitants de l’"Arabie heureuse", soit le Yémen actuel, aux Phéniciens de l’ère mycénienne adorateurs de Melkart (assimilé à Héraclès par les Grecs) et ancêtres des colons installés dans le Péloponnèse et en Béotie, aux tribus arabes de son temps ("Plus loin s’étend une côte pourvue de ruisseaux d’eau douce. Là se trouve le mont Chabinos [site non localisé], couvert d’une épaisse forêt. Les terres de cette montagne sont habitées par les Arabes Dèbes. Ils élèvent des chameaux qui leur servent à tous les besoins de la vie, pour la guerre comme pour le transport de leurs marchandises, ils en boivent le lait, en mangent la chair, et parcourent rapidement tout le pays montés sur leurs chameaux dromadaires. Cette région est traversée en son milieu par un fleuve charriant des paillettes d’or en si grande quantité qu’elles brillent dans le limon qui se dépose à l’embouchure. Les habitants sont totalement inexpérimentés dans le travail de l’or. Ils refusent l’hospitalité à tous les étrangers, sauf aux Béotiens et aux Péloponésiens car, selon la tradition locale, ils ont un ancien lien avec Héraclès [alias Melkart chez les Sémites]. La région suivante est habitée par les Arabes Aliléens et les Gasandes. Elle n’est pas brûlée par le soleil comme les régions voisines, car elle est préservée par d’épais nuages. La neige et les pluies bienfaisantes y tombent, qui tempèrent les chaleurs de l’été. La terre est d’excellente qualité, elle produirait des fruits de toutes sortes si les habitants la prenaient soin de la cultiver. Ils tirent beaucoup d’or du sol, sans avoir besoin d’employer la fusion car il s’y trouve à l’état naturel, d’où sa qualité d’“apyros” ["¥puroj", littéralement "qui n’est pas passé par le feu"]. Les plus petits morceaux ont la grosseur d’une amande, les plus gros, la grosseur d’une noix. Ils entremêlent ces morceaux d’or à des pierres précieuses pour confectionner des bracelets et des colliers. N’ayant ni cuivre ni fer, ils achètent ces métaux à des marchands étrangers contre un poids équivalent d’or", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.45). Contre la tradition judéo-christiano-musulmane, la Genèse dit qu’Hagar vagabonde un temps dans la vallée de Bershéba (frontière naturelle entre Canaan au nord et le désert du Néguev au sud, à mi-chemin entre le port méditerranéen de Gaza et le sud de la mer Morte), avant de s’installer dans le désert de Paran ("Tôt le lendemain matin, Abraham prit du pain et une outre pleine d’eau, les donna à Hagar, lui mit l’enfant sur son dos et la renvoya. Elle alla errer dans le désert de Bershéba. Quand l’outre fut vide, elle abandonna l’enfant sous un arbre, et elle s’éloigna à une distance d’un jet de flèche en se disant : “Je ne veux pas voir mourir mon enfant”. Elle s’assit et commença à pleurer. Yahvé ["Elohim" dans la Torah hébraïque] entendit l’enfant crier. Depuis le ciel, l’ange de Yahvé ["mlak d’Elohim" dans la Torah hébraïque] appela Hagar : “Qu’as-tu, Hagar ? N’aie pas peur. Yahvé ["Elohim"] a entendu l’enfant crier là-bas. Debout ! Prends ton fils et tiens-le d’une main ferme, car je ferai naître de lui un grand peuple”. Yahvé ["Elohim"] ouvrit les yeux d’Hagar, et elle aperçut une source. Elle alla y remplir l’outre et donna à boire à son fils. Protégé par Yahvé ["Elohim"], l’enfant grandit. Il habita dans le désert de Paran, où il devint un archer habile. Sa mère lui donna une épouse égyptienne", Genèse 21.14-21). Or le géographe Claude Ptolémée au IIème siècle parle de ce territoire de "Paran/Far£n" dans le chapitre de sa Géographie consacré à l’Arabie nabatéenne, soit précisément la région à l’est de la péninsule du Sinaï, comprise entre le sud-Levant et le nord du Hedjaz où habitaient les Fénékhous/Phéniciens du récit de Sinouhé à l’ère minoenne ("A l’ouest de ces montagnes [le plateau judéen et jordanien], face à l’Egypte, se trouve la Saracène ["Sarakhn»", nom d’origine inconnue, renvoyant peut-être à une tribu arabe locale ; ce nom dérivera au Moyen Age en "Sarrasin" en français, utilisé par les Croisés pour désigner indistinctement leurs ennemis musulmans], puis au-dessous la Munychiatide ["Mounuci£tij"], puis au-dessous encore la côte des Pharanites ["Faran‹tai"] et la montagne des Raithènes ["Ra‹qhnoi"]", Claude Ptolémée, Géographie, V, 17.3), c’est-à-dire une région sans rapport avec la future Mecque située beaucoup plus loin au sud. Toutes les autres occurrences du nom de Paran dans le Tanakh s’accordent avec l’assertion de Claude Ptolémée, elles renvoient au pays d’"Edom/Madian" au sud de la mer Morte (propriété d’un ancien "Qéni/Caïn" et d’un ancien "Séir" chassés temporairement du plateau cisjordanien par Abraham puis définitivement par Jacob/Israël petit-fils d’Abraham, comme nous l’avons vu dans notre paragraphe introductif), que ce soit à l’époque de l’envahisseur Kedor-Laomer vers -1600 (contemporain du retour d’Abraham au sud Levant, après son expulsion d’Egypte : "[Les troupes de Kedor-Laomer] battirent les Horites dans leurs montagnes, au pays de Séir, et les poursuivirent jusqu’à El-Paran près du désert", Genèse 14.6), à l’époque de Moïse vers -1200 ("Les Israélites se remirent en route, ils quittèrent le désert du Sinaï. La fumée [forme choisie par Yahvé pour guider les Israélites] alla se poser dans le désert de Paran", Nombres 10.12 ; "Ensuite [les Israélites] quittèrent Hasséroth pour aller installer leur camp dans le désert de Paran", Nombres 12.16 ; "Moïse obéit à l’ordre du Seigneur : depuis le désert de Paran, il envoya [vers la Terre promise] des éclaireurs choisis parmi les chefs israélites", Nombres 13.3 ; "[Les éclaireurs] revinrent auprès de Moïse, d’Aaron, et du peuple d’Israël à Cadès [aujourd’hui le site archéologique de Tell el-Qudeirat en Egypte, dans la banlieue sud de la ville de Kadesh Barnea servant de poste frontière entre le désert du Sinaï égyptien à l’ouest et le désert du Néguev israélien à l’est, à ne pas confondre avec la cité homonyme de "Qadesh" au nord Levant, où aura lieu la célèbre bataille entre Ramsès II et Muwattali II au XIIIème siècle av. J.-C.] dans le désert de Paran", Nombres 13.26 ; "Le Seigneur est venu du mont Sinaï. Comme le soleil, il s’est levé du pays de Séir, des monts de Paran, il a éclairé son peuple", Deutéronome 33.2), à l’époque de Salomon vers le Xème siècle av. J.-C. ("[Hadad et ses compagnons] [l’Edomite Hadad est un adversaire du roi Salomon] quittèrent la région de Madian, ils traversèrent le désert de Paran, entraînant quelques hommes avec eux, et se rendirent en Egypte auprès du roi de ce pays, le pharaon", Premier livre des rois 11.18), ou à l’époque d’Habacuc vers -600 ("Yahvé arrive de Téman [cité édomite non localisée], le vrai Dieu vient des monts de Paran", Habacuc 3.3). Nous devons mettre en parallèle cet épisode d’Hagar à Paran de la Genèse, avec un passage du Premier livre des chroniques mentionnant la présence des "Hagarites", littéralement les "descendants d’Hagar", habitant sur la rive orientale du fleuve Jourdain, en Jordanie actuelle, vaincus par les descendants de Ruben l’aîné de Jacob/Israël ("[Les descendants de Ruben étaient installés jusqu’au désert bordant l’Euphrate, le fleuve de Babylone, ils possédaient de nombreux troupeaux dans la région de Galaad [nom originel du fleuve "Jourdain" et du pays de "Jordanie"]. A l’époque de Saül, ils avaient bataillé contre les Hagarites et les avaient soumis, c’est ainsi qu’ils s’étaient installés ensuite sur toutes les terres à l’est de Galaad", Premier livre des chroniques 5.9-10 ; "[Les descendants de Ruben] guerroyèrent contre les Hagarites […]. Au cours de cette guerre, ils implorèrent l’aide de Yahvé. Touché par leur confiance, Yahvé accueillit favorablement leur prière et les secourut. C’est ainsi qu’ils soumirent les Hagarites et leurs alliés. Ils s’emparèrent de leur bétail, soit cinquante mille chameaux, deux cent cinquante mille moutons et chèvres, et deux milles ânes, ainsi que cent mille prisonniers. Ils tuèrent de nombreux ennemis. Cette guerre se conclut ainsi parce qu’elle dépendait de Yahvé. Ils s’installèrent alors sur le territoire des Hagarites et y demeurèrent jusqu’à l’exil [au VIème siècle av. J.-C.]", Premier livre des chroniques 5.19-22 ; le verset 7 du Psaume 83 attribue également le pays d’Edom aux descendants "d’Ismaël, de Moab, d’Hagar et de Guébal"), une région qui n’a encore aucun rapport avec la future Mecque. Nous devons enfin signaler que parmi les fils d’Ismaël énumérés aux versets 14 et 15 chapitre 25 de la Genèse, nous trouvons "Qédar" que la tradition hébraïque autant que la tradition arabe associent à la cité de "Gaza" (alias la "qdwd" de Thoutmosis III et la "Cadytis/K£dutij" d’Hérodote), et "Duma" que la même tradition hébraïco-arabe associe à la cité homonyme, capitale du royaume arabe de Qédar bien attesté dans les textes assyriens du VIIème siècle av. J.-C. (sur lesquels nous ne nous étendrons pas ici pour ne pas sortir du cadre de notre étude, remarquons seulement que ces textes assyriens disent que le royaume de Qédar est dominé par une tribu arabe appelée "Shumuil", qu’on est tenté de rapprocher du nom d’"Ismaël"), s’étendant depuis le port méditerranéen de Gaza jusqu’à la lointaine vallée mésopotamienne de l’Euphrate, aujourd’hui le site archéologique de Dumat al-Jandal à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Sakaka en Arabie saoudite (ce "royaume de Qédar" était probablement moins un royaume au sens commun, avec une administration centralisée obéissant à un roi unique, qu’une confédération plus ou moins élastique de bédouins arabes similaire à celle des bédouins mariotes au tournant des XIXème et XVIIIème siècles av. J.-C. ou celle des bédouins assyriens entre la cité d’Assur et les karums anatoliens au XVIIIème siècle av. J.-C., les uns sédentarisés comme agriculteurs autour des oasis, les autres nomades comme honnêtes commerçants ou comme organisateurs de razzias entre ces oasis), deux cités qui n’ont toujours aucun rapport avec la future Mecque.

  

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