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© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Acte III : Sophocle

Parodos

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte I : Origines

En Anatolie

En Egypte

En mer Egée

  

Des nouveaux peuples

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En mer Egée


Les hellénistes depuis la Renaissance ont découpé la mythologie grecque en tranches. Cette méthode visait un but idéologique. Pris isolément, et à ras du texte, l’épisode de la lutte entre Laïos et son fils Œdipe, l’épisode des noces de Pélops et Hippodamie, l’épisode de Persée sauvant Andromède, leur permettaient d’échafauder toutes sortes de délires intellectuels confortant leur foi en une Grèce antique entièrement tournée vers les hautes sphères de l’esprit, et en une mythologie totalement fabriquée par les pédagogues grecs antiques afin de servir ces hautes occupations spirituelles. Notre méthode est contraire à la leur. Nous refusons de découper la mythologie grecque en tranches, nous voulons l’appréhender de manière globale, en nous appuyant non pas sur les envolées lyriques des professeurs du XXème siècle et de leurs aînés jusqu’à la Renaissance, mais sur les sources antiques mêmes, sur les textes et l’iconographie parvenus jusqu’à nous. Car dès que nous rapprochons ces sources entre elles, nous découvrons vite que Persée a un lien secondaire avec Pélops puisque c’est justement lors de la collecte des dons pour le mariage de Pélops que Persée s’accroche avec un compatriote l’accusant de radinerie et entreprend le voyage qui le mènera vers Andromède, nous découvrons que Pélops a un lien secondaire avec Laïos puisque c’est à la Cour de Pélops que Laïos se réfugie après avoir été chassé de La Cadmée par le putsch de Zéthos et Amphion (et Laïos sera chassé de cette Cour d’asile après avoir séduit et kidnappé par amour Chrysippe fils de Pélops), nous découvrons aussi qu’un lien secondaire existe entre Pélops et Amphion puisque l’épouse d’Amphion est Niobé la sœur de Pélops. La cohérence chronologique et généalogique de ces multiples liens secondaires, qui n’ont aucune justification intellectuelle, philosophique, idéologique, religieuse, sous-entend qu’ils ne sont pas des inventions, qu’ils trouvent leur origine dans l’Histoire. Et s’ils sont historiques, cela signifie que les personnages qu’ils concernent sont également historiques. Autrement dit, même si la mémoire collective a embelli leur souvenir jusqu’à les transformer en héros universels d’aventures extraordinaires et en modèles pour les jeunes générations, Persée, Pélops, Laïos ont d’abord été des individus de chair et d’os, soumis à des nécessités très humaines, dans des contextes historiques et géographiques bien définis. Avant d’être le Père psychanalytique que chaque fils doit tuer, Laïos est d’abord un prince bisexuel en exil qui a trahi la confiance de son hôte Pélops. Avant d’être l’échanson apportant l’ambroisie aux dieux sur leurs nuages, descendant sur la terre avec son char volant, obtenant un trône au terme d’une compétition sportive, Pélops est d’abord un adolescent anatolien voué à être égorgé dans un sacrifice de prémices mais épargné par son père Tantale, un fugitif qui utilise un bateau à voile pour gagner le continent européen où il conquiert une reconnaissance publique par le sang de son beau-père. Avant d’être le bodybuildé acteur hollywoodien sur son cheval ailé en carton-pâte ou virtuel, prêchant la paix et la justice à tous les peuples pauvres qu’il croise en prodiguant les prouesses athlétiques, Persée est d’abord un manœuvre participant à la construction d’une digue destinée à contenir les inondations régulières autour de la cité de Jaffa au Levant, qu’on croyait empêcher jusque-là par des sacrifices de prémices, comme celui de la jeune Andromède vouée à être noyée au dieu responsable de ces inondations. Nous pouvons étendre ce constat à tous les autres personnages de la mythologie grecque : si A bataille contre B, alors C est contemporain de B puisque C rencontre A dans sa jeunesse, par ailleurs D est âgé d’au moins trente ans quand il est assassiné par A puisque E le fils de D est déjà papa de F au moment de cet assassinat (on suppose que D a au moins quinze ans quand il devient le père de E, et que E a au moins quinze ans quand il devient à son tour le père de F), F est donc postérieur à B et C, ce qui raccorde avec le fait que F accueille G le fils de B quand ce dernier est persécuté par H dont la sœur est mariée à F, et ainsi de suite. Ce travail de confrontation des épisodes mythologiques entre eux est apparemment ingrat, mais il est en réalité très réjouissant, car il révèle une grande logique, et permet de conclure avec certitude que la mythologie grecque n’est pas un assemblage de fables comme le prétendent les hellénistes prémentionnés depuis la Renaissance, elle est l’Histoire grecque la plus reculée, la mine la plus riche des faits authentiques mycéniens.


Dans notre premier alinéa, nous avons vu que l’émergence des Hittites en Anatolie et les événements associés en Mésopotamie (le raid de Mursili Ier sur Babylone et le renversement de la dynastie sémitique amorrite par les Kassites) sont bien datés dans la première moitié du XVIème siècle av. J.-C. Dans notre deuxième alinéa, nous avons vu que l’expulsion des Sémites hyksos d’Egypte par Ahmosis et l’instauration de la XVIIIème Dynastie sont également bien datés dans la première moitié du XVIème siècle av. J.-C. Notre patient travail de confrontation des épisodes mythologiques grecs entre eux, dans le présent alinéa, ne raccorde pas avec cette datation. Les liens généalogiques et événementiels impliquent que les héros mythologiques grecs ont majoritairement brûlé leur vie dans un ambitus temporel très réduit - selon l’idéal mycénien repris par Achille : "Plutôt vivre un an comme un lion, que cent ans comme un mouton !" -, d’environ deux siècles, avant la guerre de Troie vers -1200. Même si on recule d’un siècle supplémentaire l’époque des fondateurs Danaos, Cécrops et Deucalion, c’est-à-dire vers -1500, en admettant qu’ils ont vécu plus paisiblement donc plus longtemps que leurs descendants, cela ne suffit pas pour faire de ces fondateurs des contemporains d’Ahmosis et de Mursili Ier. Pour notre part, nous pensons qu’après l’éruption de Santorin, les régions alentours (dont la future Grèce continentale) sont dans un état si désastreux qu’à la fois leurs survivants sont partagés entre demeurer et partir, et les opportunistes à l’autre bout du monde jugent le moment idéal pour venir s’y installer en captant l’héritage des morts. Cela s’observe à chaque grande catastrophe. Récemment, lors du tsunami de 2004 dans l’océan Indien ou lors de l’ouragan Katrina en 2005 aux Etats-Unis, qui n’étaient rien en comparaison de l’antique éruption de Santorin, nous avons vu pareillement des habitants désemparés, tiraillés entre l’envie de tout abandonner et l’envie de tout rebâtir, et des charognards venus de partout piller les maisons des morts et jouer avec les sentiments des survivants pour racheter à bas prix leurs propriétés dévastées afin d’y reconstruire des résidences somptueuses ou des hôtels de grand luxe, nous avons constaté pareillement que les chefs locaux noyés dans la catastrophe ou affaiblis politiquement pour leur manque de réactivité ont été remplacés par d’autres chefs autochtones ou étrangers. Ces comportements humains sont amplifiés dans la première moitié du XVIème siècle av. J.-C. par les pressions de la XVIIIème Dynastie au sud et des Hittites au nord exercées au Levant sur les Sémites : coincés entre ces deux peuples envahissants, l’espace des Sémites se réduit au point que les plus courageux d’entre eux n’hésitent plus à saisir la première opportunité pour s’aventurer vers la mer Egée dévastée dans l’espoir de la reconstruire et d’y trouver une vie meilleure (le Levant est un territoire trop étroit pour accueillir tous les réfugiés sémites qui affluent d’Anatolie et d’Egypte : souvenons-nous par exemple qu’au sud Levant, selon le chapitre 13 de la Genèse, les bergers d’Abraham et de Loth se querellent parce que les pâtures sont trop exiguës pour accueillir tous leurs troupeaux, au point qu’Abraham doit partir se sédentariser du côté d’Hébron, et Loth, du côté de Soar en bordure de la mer Morte). Cette opportunité, selon Platon, est une inondation, la troisième après la destruction de l’empire atlante ("Une seule nuit de pluie exceptionnelle a liquéfié la terre tout autour [de l’Acropole à Athènes], au cours de laquelle se produisirent simultanément des tremblements de terre et un extraordinaire débordement des eaux, qui fut le troisième avant le déluge destructeur de Deucalion", Platon, Critias 111e-112a). Nous avons dit dans notre paragraphe précédent que le cataclysme fossoyeur de cet empire atlante raconté par Platon équivaut à l’éruption de Santorin vers -1600 fossoyeur de la domination crétoise en mer Egée et de l’ère minoenne : on peut admettre que l’inondation en question, provoquée peut-être par une réplique sismique de l’éruption de Santorin, date de la seconde moitié du XVIème siècle av. J.-C. (l’effondrement du volcan de Santorin vers -1600 a créé des failles et des déséquilibres géologiques dont les résolutions se sont étalées dans le temps : l’inondation évoquée par Platon pourrait avoir été provoquée par l’une de ces failles ou par l’un de ces déséquilibres, hypothèse d’autant plus vraisemblable que le même Platon dans le même extrait du Critias révèle qu’elle est "la troisième inondation" après le cataclysme atlante/minoen, autrement dit ce cataclysme atlante/minoen vers -1600 a été suivi par plusieurs répliques calamiteuses au cours des décennies suivantes). Au nord, les pressions sont aussi grandes : les Indoeuropéens, affamés par les mauvaises récoltes continues dues au changement climatique causé par les rejets du Santorin dans l’atmosphère, sont tentés de quitter leurs grandes plaines entre la mer Noire et la chaîne de l’Oural pour s’aventurer au loin, notamment vers le sud, vers les larges vallées de la future Grèce centrale. Nous sommes ainsi amenés à décomposer le repeuplement de la Méditerranée orientale en deux temps. Dans un premier temps, juste après l’éruption de Santorin, dans la première moitié du XVIème siècle av. J.-C., les Sémites sont expulsés d’Egypte et d’Anatolie vers le Levant, tandis qu’en mer Egée les survivants pansent leurs plaies. Dans un second temps, dans la seconde moitié du même XVIème siècle av. J.-C., une partie des Sémites trop serrés au Levant et des Indoeuropéens affamés s’exilent vers la mer Egée, profitant de l’affaiblissement des habitants. Dardanos est l’un de ces habitants survivants, qui choisit de tout abandonner. Et Danaos est l’un des charognards levantins qui s’installe sur la côte égéenne meurtrie.


Terre continentale la plus proche de Santorin, le futur Péloponnèse est noyé par cette nouvelle inondation : comme lors de l’éruption de -1600, l’eau remonte les fleuves, engloutit les bateaux et les quais auxquels ils sont amarrés, inonde les entrepôts et les marchandises qu’ils renferment, se dépose sur les champs alentours, qu’elle stérilise à cause du sel qu’elle contient, empêchant durablement toute récolte abondante et tout élevage intensif. Après avoir rappelé que cette terre est habitée alors par les compagnons d’"Atlas", personnification des migrants sémitiques/minoens venus directement du Levant ou indirectement par l’Afrique du nord, hellénisation de l’étymon sémitique "trʃ" désignant simplement la mer (qu’on retrouve aussi dans "thalassa/q£lassa" en grec, nous renvoyons sur tous ces points à notre paragraphe introductif), Denys d’Halicarnasse nous informe que deux bâtards de cette communauté atlante (littéralement fils d’une Atlante et de "Zeus" : le rattachement d’un homme remarquable à un dieu ou à une déesse est systématiquement utilisé dans l’Antiquité pour tenter de faire oublier que celui-ci est en réalité un fils de rien, ou le fruit d’une aventure passagère ; cette pratique linguistique perdure aujourd’hui quand nous appelons "enfant de l’Amour" un garçon ou une fille sans père), Dardanos et Iasos, montent une expédition pour découvrir d’autres terres vers le nord. Ce Dardanos confie la direction du reste de la communauté à son premier fils, Deimas, puis, laissant derrière lui le mont "Kaukonion/Kaukènion" non localisé par l’archéologie (la chaîne du Parnon, qui longe le golfe Argolique et sert de frontière naturelle à l’Argolide, contre la Laconie au sud et contre l’Arcadie à l’ouest ? ou la chaîne du Taygète servant de frontière naturelle à la Laconie, contre la Messénie à l’ouest et contre l’Arcadie au nord, comme le suggèrent le vers 366 livre III de l’Odyssée et le paragraphe 147 livre I de l’Histoire d’Hérodote qui rapprochent ce mont de la cité messénienne de Pylos ?), prend le large avec son frère Iasos et avec son second fils Idaeos (probable hellénisation du dieu sémitique de l’Orage "Addu", dont nous avons vu dans notre paragraphe introductif qu’il sert de nom à beaucoup de protagonistes des lettres de Mari, que beaucoup de lieux lui semblent associés, comme l’"Ida-Maras" correspondant à la vallée de l’actuelle rivière Khabur, ou le mont "Ida" au centre de la Crète, et que le dieu grec Poséidon est certainement l’un de ses avatars : "Atlas était le premier roi du pays aujourd’hui nommé “Arcadie”, et il vécut près de la montagne appelée “Kaukonion”. Il eut sept filles, les Pléiades, désignant aujourd’hui les constellations. L’une d’elle, Electre, eut de Zeus deux fils, Iasos et Dardanos. Iasos resta célibataire, tandis que Dardanos épousa Chrysè fille de Pallas, de qui il eut deux fils, Idaeos et Deimas. Succédant à Atlas dans le royaume, ils régnèrent pendant un certain temps en Arcadie. Mais un grand déluge se produisit dans toute l’Arcadie, les plaines furent inondées et ne purent être labourées pendant longtemps. Les survivants, habitant sur les hauteurs, conclurent que le peu de terres qui leur restaient ne serait pas suffisant pour pouvoir tous subsister, ils se scindèrent donc en deux groupes : l’un demeura en Arcadie avec pour roi Deimas fils de Dardanos, alors que l’autre quitta le Péloponnèse à bord d’une grande flotte", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.1-2). La flotte suit les côtes occidentales de la mer Egée, la future Thessalie, la future Macédoine, elle atteint les côtes septentrionales, la future Thrace (dont le nom dérive également de l’étymon sémitique "trʃ" ; nous ignorons si la présence de sémitiques levantins, bien attestée à l’ère classique autour d’Abdère et de l’île de Thassos, remonte à l’ère mycénienne, ou même à l’ère minoenne). Elle gagne l’île de Samothrace, sur laquelle tous les doutes sont permis. Cette île semble alors peuplée par des Asianiques, qui y vouent un culte à leur déesse-mère Kubaba que les Grecs helléniseront en "Cybèle/Kubšlh". Y trouve-t-on aussi des Sémites ? C’est possible, car son nom "Samothrace" paraît lié autant à la Thrace voisine qu’à un étymon "ʃm" de nature sémitique (qu’on retrouve dans le nom "Cham" fils de Noé, dans le nom "Simon" très répandu dans les milieux juifs aux ères hellénistique et impériale, et peut-être dans le nom de l’île de "Samos" où certains historiens antiques placent l’origine des anciens habitants de Samothrace), et ses traditions sont liées au monde sémitique, en particulier aux Sémites/Minoens installés en Arcadie (via une nymphe du mont Cyllène : "Naviguant le long des côtes de l’Europe, [Dardanos et Iasos] arrivèrent à un golfe nommé “Mélas” et par hasard débarquèrent sur une île de Thrace dont j’ignore si elle était habitée auparavant, appelée “Samothrace” du nom d’un homme et de l’endroit : voisine de la Thrace, son premier colon fut en effet Samon fils de Hermès et de la nymphe Rhéné originaire de Cyllène", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.3 ; Diodore de Sicile demeure dans la même incertitude ["Certains disent que cette île s’appelait autrefois “Samos”, mais qu’on l’a appelée ensuite “Samothrace” pour la distinguer de l’île sur laquelle la cité de Samos a été bâtie. Les habitants de Samothrace sont des indigènes, c’est pour cela que nous n’avons aucune certitude sur l’Histoire ancienne de ce pays. D’autres disent qu’elle tire son nom des colons de Samos et de Thrace qui vinrent s’y établir en même temps. Elle conserve encore dans les cérémonies sacrées plusieurs termes de sa langue originelle", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.47] ; rappelons que, selon le livre I paragraphe 13 alinéa 1 des Antiquités romaines de Denys d’Halicarnasse, le mont Cyllène en Arcadie doit son nom à une naïade appelée "Kyllenè" qui a été l’épouse du très tyrannique roi arcadien Lycaon, juste avant l’éruption de Santorin). Un scholiaste anonyme, pour expliquer les vers 915-918 du livre I des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes évoquant le débarquement des Argonautes sur l’île de Samothrace à la fin de l’ère mycénienne ("[Les Argonautes] abordèrent à l’île de l’Atlante Electre [mère de Dardanos et d’Iasos] pour connaître, par d’étonnantes initiations, les rites secrets qui leur permettraient de naviguer avec sûreté sur la mer qui glace d’effroi"), dit qu’un culte à mystères y est alors pratiqué, dédié à une mystérieuse "Axieros/Ax…eroj" et à ses deux assesseurs "Axiokersa/AxiÒkersa" et "Axiokersos/AxiÒkersoj". Pour notre part, nous sommes tentés de voir dans cette "Axieros/Ax…eroj" une simple corruption de la déesse sémitique de l’amour "Ishtar/Astarté", conservée à l’époque classique par le calembour homophonique neutre qu’elle permet avec le qualificatif grec "ƒer£/la sainte", en d’autres termes le culte local asianique à la déesse-mère Kubaba/Cybèle se serait superposé au culte à Ishtar/Astarté des récents immigrés sémites. "Axiokersa/AxiÒkersa" et "Axiokersos/AxiÒkersoj" quant à eux pourraient n’être que des surnoms de la déesse sémitique Déméter et du dieu Hadès lié à Déméter (nous reviendrons plus loin sur cette déesse). Les relations entre les compagnons de Dardanos et les habitants de l’île en tous cas sont difficiles, ceux-ci n’étant pas disposés à céder leurs bonnes terres à ceux-là ("Ils restèrent peu de temps [sur l’île], car la vie y fut pénible face au sol ingrat et à la mer sauvage", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.4). Un conflit éclate, au cours duquel Iasos trouve la mort ("Iasos [mourut] dans l’île, frappé d’un coup de foudre pour avoir désiré avoir des rapports avec Déméter", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.4 ; "De Zeus et d’Electre fille d’Atlas, naquirent Iasos et Dardanos. Iasos tomba amoureux de Déméter, il tenta de la violer, mais fut foudroyé", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 12.1 ; on doit comprendre qu’Iasos a essayé de légitimer une captation de terres par un mariage forcé ou par une corruption des prêtresses de Déméter…). Dardanos continue donc seul à la tête de l’expédition, il atteint le futur Hellespont, et débarque sur le continent asiatique, où il est accueilli par un mystérieux Teucros. Nous avons vu, toujours dans notre paragraphe introductif, que cette région hellespontique vers -1600 est probablement déjà habitée par des Sémites en provenance du Levant (en raison de sa situation stratégique : elle est située juste en face du continent européen, et elle contrôle les passages de tous les navires entre mer Egée et mer Noire), et qu’elle est en concurrence avec celle au sud qui borde le golfe de l’actuelle Edremit dans la province de Balikesir en Turquie habitée par des Sémites en provenance des karums assyriens désormais revendiqués par les Hittites (cette région de l’actuel golfe d’Edremit est appelée "Wilussa" dans les textes hittites, que nous pouvons décomposer en un radical sémitique "El/Dieu" suivi du suffixe géographique supposé sémitique "-ʃ" [qu’on retrouve par exemple dans "Hatussa", ou "Kanesh", ou "Qadesh", et dans tous les noms de lieux grecs se terminant par "-ssos"], "Wilussa" des textes hittites sera hellénisé par les Achéens en "Ilos" ou "Ilion" ["Wilussa/Ilion" renvoie peut-être étymologiquement au "site d’el-Anu", c’est-à-dire le "dieu/el" sémitique du ciel "Anu", mais la forme grecque "Ilion" a peut-être aussi été conservée par homophonie avec le suffixe "-ion/-ion" soulignant la sainteté d’un endroit ou d’une chose, par exemple un "nikaion/nika‹on" désigne un objet ou un temple "dédié à la victoire/n…kh", un "Héraion/Hraion" désigne un objet ou un temple "dédié à la déesse Héra/Hra" : étymologiquement "Ilion" sonne aux oreilles des Grecs comme le "lieu saint dédié au Dieu/El", peu importe lequel]) : on suppose que Teucros (dont le nom dérive encore de l’étymon sémitique "trʃ"), Sémite levantin marin isolé dans cette région entre descendants de Sémites assyriens terriens, Hittites, autochtones asianiques et la mer, est ravi de voir débarquer Dardanos, un Sémite levantin marin comme lui, qui pourra lui servir d’allié dans ses combats. Telle est la version de plusieurs auteurs antiques rapportés par Denys d’Halicarnasse : Teucros serait un Sémite/Minoen ayant fui l’Attique, comme Dardanos est un Sémite/Minoen qui a fui le Péloponnèse dévasté par l’inondation ("Beaucoup d’auteurs, dont notamment Phanodèmos qui a écrit sur le passé de l’Attique, disent que ce Teucros d’Asie était originellement le chef du dème de Xypetè en Attique [situé sur la côte au sud-ouest d’Athènes, en bordure du golfe Saronique], et ils fournissent beaucoup de preuves à l’appui de cette version. Ils ajoutent que, ayant accaparé un grand territoire fertile mais faiblement peuplé par des autochtones, il fut heureux de voir arriver Dardanos et ses compagnons, parce qu’il espérait leur aide dans ses combats contre les barbares et qu’il désirait que ce territoire ne restât pas inoccupé", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.5). Sa première femme (mère de Deimas demeuré en Arcadie, et d’Idaeos participant à l’expédition) étant morte, Dardanos épouse la fille de ce Teucros ("Après la mort de Chrysè fille de Pallas, avec laquelle il conçut ses premiers fils, Dardanos épousa Bateia fille de Teucros, et avec elle engendra Erichthonios", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.4), et s’installe avec ses compagnons autour d’une hauteur auquel il donne le nom de son fils Idaeos : le mont "Ida" ("Laissant quelques-uns sur l’île [de Samothrace], la majorité rembarquèrent vers l’Asie avec leur chef Dardanos […]. Ils débarquèrent en bordure du détroit appelé aujourd’hui “Hellespont”, dans la région appelée aujourd’hui “Phrygie”. Idaeos le fils de Dardanos s’installa avec une partie de ses compagnons près de la hauteur qui porte aujourd’hui son nom, le mont “Ida”, il y construisit un temple dédié à la mère des dieux et instaura les mystères et les cérémonies qu’on observe encore aujourd’hui dans toute la Phrygie. Dardanos construisit une cité à son nom dans l’actuelle Troade, cette terre de Teucride lui ayant été donnée par le roi Teucros", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 61.4 ; "Dardanos, attristé par la mort de son frère, quitta Samothrace et gagna la terre d’en face. Elle était gouvernée par Teucros, fils du fleuve Scamandre et de la nymphe Idaia. Les habitants de la région étaient appelés d’après son nom, les “Teucriens”. Dardanos fut accueilli par le roi Teucros, épousa sa fille Bateia, et reçut une partie du territoire, où il fonda une cité à son nom, “Dardanos”. Quand Teucros mourut, la région fut appelée “Dardanie”", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 12.1). Une autre hauteur non localisée par l’archéologie reçoit sans doute le nom du mont Kaukonion que Dardanos et ses compagnons ont quitté dans le Péloponnèse, puisque durant la guerre de Troie, à la fin de l’ère mycénienne, une communauté d’alliés des Troyens sera désignée par ce nom, les "Kaukones/KaÚkwnej" (mentionnés en Iliade X.429 et XX.329). Le détroit par où Dardanos est arrivé portera aussi son nom, le détroit des "Dardanelles", qu’il conservera jusqu’à aujourd’hui. Selon Homère, les habitations des "Dardaniens" resteront longtemps éparses - justement pour occuper le maximum d’espace, et légitimer la possession des terres par les héritiers de Dardanos -, et la "Dardanie" ou "cité de Dardanos" ressemblera longtemps à une fédération de grands propriétaires de zones marécageuses, davantage qu’à une ville constituée de rues et de maisons serrées les unes contre les autres en quartiers ("Zeus l’assembleur des nuées engendra d’abord Dardanos, qui fonda la Dardanie. A cette époque la sainte Ilion ne s’élevait pas dans la plaine comme une cité pleine d’habitants : les hommes vivaient sur les pentes de l’Ida aux mille sources. Dardanos à son tour eut pour fils le roi Erichthonios, qui fut certainement le plus riche des hommes, possédant trois milles juments qui paissaient dans le marais, fières de leurs tendres pouliches", Iliade XX.215-222). Dardanos avec sa nouvelle épouse engendre Erichthonios et, selon Denys d’Halicarnasse, Zakynthos (qui bizarrement contient le suffixe "-thos" supposé asianique, et non pas son équivalent sémitique "-ssos"). Devenu adulte, toujours selon Denys d’Halicarnasse, ce Zakynthos retournera vers le Péloponnèse paternel, qu’il contournera, pour aller s’installer dans l’île qui portera son nom (c’est cette parenté entre les habitants de la future cité de Troie et les habitants de l’île de Zakynthos qui explique qu’après la chute de Troie, à la fin de l’ère mycénienne, le Troyen Enée y trouvera momentanément refuge : "Les Zakynthiens reçurent [Enée et ses compagnons] amicalement en raison de leur parenté. On raconte effectivement que Dardanos, fils de Zeus et d’Electre fille d’Atlas, engendra deux fils avec Bateia : Erichthonios qui était l’ancêtre d’Enée, et Zakynthos le premier colon de l’île", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 50.3). Erichthonios succède à son père Dardanos, et, avec une femme dont l’identité n’est pas clairement définie, engendre à son tour un fils qu’il appelle "Tros" (encore un dérivé de l’étymon sémitique "trʃ"). C’est de ce "Tros" que, après la mort d’Erichthonios, la région tire le nom qui lui restera, la "Troade" ("D’Erichthonios et de Callirrhoè, fille du Scamandre [un des fleuves de Troade, aujourd’hui le fleuve Küçükmenderes], naquit Tros, qui donna son nom au pays", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 62.2 ; "Le trône revint à Erichthonios, qui épousa Astyoché, fille du Simoïs [rivière non localisée du mont Ida], et engendra Tros. Quand Tros succéda à son père sur le trône, le pays fut appelé “Troade”", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 12.2). C’est aussi ce "Tros" qui donnera son nom à la plus importante concentration urbaine de cette région, "Troie", correspondant à la couche dite "Troie VI" du site archéologique d’Hissarlik en Turquie, exploitant les fondations des occupations antérieures. Ce site de Troie/Hissarlik est idéalement positionné, dans une géographie très différente de celle que nous voyons aujourd’hui, en l’an 2000 : à l’ère mycénienne, Troie est une cité maritime, en bordure de la large et longue baie dans laquelle se jette le fleuve Scamandre (cette grande baie sera précisément comblée par les alluvions du fleuve Scamandre au fil des siècles, ce qui explique pourquoi Troie/Hissarlik se trouve en plein milieu des terres en l’an 2000, l’étude de ce site par photo-satellite est très éclairante sur ce point), elle met donc les navires à l’abri des tempêtes maritimes mieux qu’à n’importe quel autre endroit de la côte asiatique des Dardanelles, en même temps qu’elle est un point de péage obligatoire pour tous les navires marchands qui se rendent de mer Noire en mer Egée ou vice versa, apportant par conséquent davantage de bénéfices financiers que les comptoirs concurrents dans l’actuelle baie d’Edremit (le fait que dans les textes hittites les plus anciens l’appellation "Wilussa/Ilion" désigne spécifiquement cette région d’Edremit, puis, dans les textes hittites plus récents, la future province de Phrygie hellespontique tout entière avec pour capitale Troie rebaptisée "Ilion", découle certainement de cette situation militaire et commerciale idéale de Troie, qui attire à elle toutes les populations locales et étrangères en vidant progressivement la région d’Edremit ; le fait que des négociations et des alliances, rapportées également par les textes hittites, seront imposées de façon de plus en plus pressante par les Hittites aux rois troyens jusqu’au XIIIème siècle av. J.-C., sous-entend que ceux-ci seront parfaitement conscients de l’enjeu stratégique que constitue la possession de Troie ; le fait que les couches de Troie VI et Troie VII contiennent la plus grande quantité de céramiques mycéniennes retrouvée par les archéologues en-dehors de la Grèce continentale européenne, implique que les contacts entre les descendants de Dardanos enrichis à Troie et les descendants des Minoens demeurés en Grèce à la merci des Indoeuropéens achéens de plus en plus envahissants, n’ont jamais cessé entre le XVIème siècle av. J.-C. et le XIIIème siècle av. J.-C., alimentant peu à peu l’opulence de ceux-ci et la convoitise de ceux-là, jusqu’à la confrontation finale entre le Sémite civilisé troyen Hector et l’Indoeuropéen barbare achéen Achille vers -1200). Pour l’anecdote, notons que Tros engendre plusieurs fils, dont Ilos qui pour certains auteurs antiques et modernes justifie la redénomination de la cité de "Troie" en "Ilion" (dans l’Iliade, on apprend incidemment que le tombeau de cet Ilos fils de Tros est "au milieu de la plaine" [Iliade XI.167], en bordure du Scamandre [Iliade XXIV.349-351]). Un autre fils de Tros est le célèbre Ganymède qui, selon la tradition, est "enlevé" par Zeus enamouré ("Erichthonios fut père de Tros le seigneur des Troyens. De Tros naquirent trois fils irréprochables : Ilos, Assarakos, et Ganymède pareil aux dieux, le plus beau des mortels, que les dieux justement à cause de sa beauté enlevèrent à la terre afin qu’il servît d’échanson à Zeus et vécût avec les immortels", Iliade XX.230-235 ; "[Tros] épousa Callirrhoè, fille du Scamandre, avec laquelle il conçut une fille, Cléopâtra, et trois garçons, Ilos, Assarakos et Ganymède. Ce dernier, qui était très beau, fut enlevé par Zeus transformé en aigle, qui l’emmena au ciel et en fit l’échanson des dieux", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 12.2), contre l’offrande aux Troyens de chevaux "divins" ("[Les chevaux troyens] sont de race divine, issus des poulains que Zeus à la grande voix donna jadis à Tros en contrepartie de Ganymède, c’étaient les meilleurs coursiers qui fussent sous le soleil d’orient", Iliade V.265-267). Les exégètes modernes, à la suite de Platon, voient dans cette tradition une fable inventée pour légitimer l’homosexualité dans le monde sémitique/minoen d’abord, dans le monde grec ensuite ("Tout le monde accuse les Crétois d’avoir inventé l’histoire de Ganymède : persuadés que leurs lois venaient de Zeus, ils auraient imaginé cette fable sur son compte afin de pouvoir eux aussi goûter ce plaisir en se justifiant par son divin exemple", Platon, Lois 636c-d). Si une réalité historique se cache derrière cette tradition, elle est peut-être plus cruelle : la consécration de Ganymède aux dieux en l’échange de biens matériels (des chevaux), est peut-être une version édulcorée d’un énième sacrifice de prémices tel qu’on en voit partout dans le monde sémitique d’alors, le meurtre rituel de Ganymède par son père Tros, désireux d’attirer ainsi la bienveillance et la protection des dieux, et leur aide dans l’enrichissement de son royaume. Notons par ailleurs que le prix élevé des chevaux obtenus par ce sacrifice (la vie d’un prince !) sous-entend que la région à l’époque de Tros est encore en friche et faiblement peuplée : on ne fait pas courir des chevaux sur des champs cultivés, ni pour relier des villages proches les uns des autres, et on ne s’enorgueillit pas d’acquérir trois ou quatre chevaux quand on possède des centaines de silos gorgés de blé ou quand on règne sur des milliers de sujets… Pour l’anecdote encore, l’aventure de Dardanos s’intègre dans la très longue histoire du Palladion (ou "Palladium" en latin), une statue soi-disant fabriquée par la déesse Athéna en personne, représentant la nymphe Pallas (accidentellement et mortellement blessée par sa copine Athéna, du temps où les deux jeunes filles s’adonnaient à des jeux virils sur les bords du lac Tritonide/Chott el-Jérid dans l’actuelle Tunisie : sur ce sujet nous renvoyons à notre paragraphe introductif), censée assurer force et protection divine à ses possesseurs. Dardanos, gendre de Pallas par sa première épouse - Chrysè, qui est effectivement une fille de Pallas -, a hérité de ce Palladion, qu’il a emporté en Asie avec lui, d’où le succès de son entreprise ("On peut écouter et écrire sur le sujet ce que dit Callistratos auteur d’une Histoire de Samothrace, Satyros qui a compilé les légendes anciennes, et beaucoup d’autres, parmi lesquels le plus ancien poète que nous connaissons, Arctinos. Ce qui suit reprend leurs dires. Chrysè fille de Pallas, lors de son mariage avec Dardanos, apporta comme dot des offrandes d’Athéna, soit le Palladion et les symboles sacrés des grandes divinités, dont elle connaissait les mystères. Quand les Arcadiens, fuyant le déluge, quittèrent le Péloponnèse et débarquèrent dans l’île thrace, Dardanos y construisit un temple à ces divinités, gardant secrets leurs noms particuliers mais pratiquant en leur honneur les mystères qui sont observés jusqu’à aujourd’hui par les habitants de Samothrace. Puis, rembarquant avec la majorité de ses compagnons vers l’Asie, il laissa les rites sacrés et les mystères divins à ceux qui restaient dans l’île, mais il rangea et emporta avec lui le Palladion et les images des dieux. Il consulta l’oracle sur l’endroit où il devrait s’installer, il en reçut entre autres choses cette réponse concernant la garde des objets sacrés : “Vénère toujours les divinités de tes ancêtres dans la cité que tu fonderas, garde-les, offre-leur des sacrifices, adore-les avec des chœurs. Tant que ces œuvres saintes seront sur ce territoire, cadeaux de la fille de Zeus accordés à ton épouse, ta cité vivra en sécurité”", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 68.2-4). Quand les successeurs de Dardanos feront de Troie leur capitale, en la rebaptisant "Ilion", ils bâtiront un temple pour y conserver ce Palladion, d’où la prospérité de la cité ("Plus tard, quand Ilion fut fondée, ces objets sacrés furent emportés par les descendants [de Dardanos], les habitants d’Ilion ayant construit un sanctuaire pour les conserver et les préserver avec soin sur la citadelle, considérant qu’ils étaient envoyés du ciel et qu’ils garantissaient la sûreté de la cité", Denys d’Halicarnasse, Antiquités romaines, I, 69.1), jusqu’à la conquête de Troie par les Achéens vers -1200, et à la captation du Palladion par Ulysse et Diomède (selon les Grecs) ou à son transport salutaire par Enée vers l’Italie (selon les Romains).


On ignore comment s’appelle le site de Mycènes vers -1500. On doute même que des gens y vivent, puisqu’aucun habitat intact de cette époque n’y a été découvert. On sait seulement, depuis les premières fouilles de Heinrich Schliemann en 1876, que des dignitaires y sont enterrés dans deux grands caveaux, le "cercle B" datant du XVIIème av. J.-C., donc contemporain de l’éruption de Santorin vers -1600, et le "cercle A" datant du XVIème siècle av. J.-C., le second contenant un mobilier beaucoup plus riche et conséquent que le premier, un mobilier dont la nature pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses. La forme et la structure de ces caveaux semblent en effet se rattacher à l’hypothèse kurgane de l’archéologue lituanienne Marija Gimbutas, qui y voit un signe d’appartenance indoeuropéenne (nous avons expliqué cette hypothèse kurgane à la fin de notre paragraphe introductif). La décoration de certains objets exhumés, représentant par exemple des griffons ou des chevaux qui galopent, peut être rapprochée de celle de l’art scythe ultérieur, et conforter a posteriori cette hypothèse nordique indoeuropéenne. Mais d’autres objets, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Grèce continentale, incitent plutôt à regarder vers le sud. Ainsi on peut rapprocher des dagues incrustées d’or et de nielle, de celles de la XVIIIème Dynastie qui reprend possession du delta du Nil justement au XVIème siècle av. J.-C., ces dagues mycéniennes figurent des chasses au lion, ou des chats courant derrière des oies parmi des lotus, évoquant immanquablement l’Egypte. Les pratiques funéraires même observées dans ces caveaux paraissent inspirées de l’Egypte : les masques recouvrant les morts, comme celui très célèbre que Heinrich Schliemann a malencontreusement surnommé "masque d’Agamemnon" (ce masque ne peut pas être celui d’Agamemnon, puisque ce dernier vivra à la fin de l’ère mycénienne, au temps de la guerre de Troie vers -1200, soit trois siècles minimum après l’époque qui nous occupe !), peuvent être rapprochés de ceux recouvrant les morts égyptiens, des pharaons comme Toutankhamon ou des Egyptiens ordinaires comme ceux du Fayoum à l’ère impériale. On remarque par ailleurs que ces masques montrent des personnages barbus, comme les Sémites levantins dans la fresque de l’Egyptien Khnoumhotep II, cela les distingue autant des Sémites/Minoens de Crète que des Achéens indoeuropéens, qui dans les fresques ou les statuettes antérieures et postérieures à l’éruption de Santorin sont toujours figurés imberbes. Ces dignitaires enterrés dans le cercle A sont-ils donc des Achéens indoeuropéens ayant été en contact avec des Egyptiens, ces trésors du cercle A étant des butins ou des récompenses pour services rendus ? ou sont-ils au contraire des Sémites hyksos venu s’installer là après avoir fui l’Egypte (les griffons pré-mentionnés pourraient être des développements de sphinx, et les chevaux qu’on voit sur les dagues sont des animaux bien connus par les hyksos qui les utilisent pour tirer leurs chars de guerre) ? Le nom pluriel "Mycènes/MukÁnai", littéralement "les mycènes", comme le nom "Athènes" ("Aq»nai", ou littéralement "les athènes") ou "Delphes" ("Delfo…", ou littéralement "les delphes"), suggère que la cité a été créée par synœcisme, ce qui rend possible cette dernière hypothèse. La mythologie grecque dit la même chose. Selon elle, l’Histoire de la cité de Mycènes, fondée au milieu de l’ère mycénienne par Persée sur lequel nous nous attarderons bientôt, est inséparable de l’Histoire de la cité d’Argos plus ancienne. Pour bien comprendre les faits, un petit retour en arrière est nécessaire. Nous avons vu dans notre paragraphe introductif que, selon le livre II paragraphe 1 alinéa 1 de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore, Argos doit son nom à un bâtard de Niobé fille de Phoronée, devenu roi avec l’aide deux activistes d’origine sémitique nommés "Thelxionos" et "Telchinos" (encore des dérivés de l’étymon sémitique "trʃ"), à l’ère minoenne. Cet Argos, toujours selon pseudo-Apollodore, a un arrière-petit-fils homonyme qualifié de "Panoptès/PanÒpthj", littéralement "qui voit tout", que la tradition pour cette raison représente avec des yeux sur tout le corps ("Argos monta sur le trône et donna son nom au Péloponnèse tout entier. Il épousa Evadné fille du Strymon et de Néaira, qui lui donna quatre fils : Ekbasos, Peiranta, Epidauros, et Kriasos qui lui succéda. Ekbasos eut un fils, Agénor, qui engendra à son tour Argos Panoptès, ainsi nommé parce que son corps était couvert d’yeux", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.2) : derrière cette image d’un roi d’Argos aux multiples yeux "qui voient tout", on doit évidemment comprendre que ce roi est très puissant, qu’il possède des espions qui le renseignent partout sur les agissements de ses sujets et lui permettent de prendre ses décisions en conséquence. C’est à l’époque de cet Argos Panoptès que l’on doit dater l’épisode de la jeune Io prêtresse d’Héra que nous avons raconté dans notre alinéa précédent, séduite par un marin levantin de passage, enceinte, obligée de fuir jusqu’en Egypte pour éviter le scandale, y accouchant d’un fils, Epaphos, qui devient pharaon. Epaphos a engendré une fille, Libye, qui à son tour a engendré deux fils, Agénor et Bélos. Et Bélos a donné naissance à deux fils, Egyptos et Danaos. Nous avons vu que ce chapitre de la mythologie grecque renvoie probablement à l’Histoire des Sémites hyksos en Egypte qui, d’abord tout-puissants, finissent par se déchirer entre eux au bénéfice de la XVIIème Dynastie. Egyptos et Danaos sont incapables de s’entendre, Egyptos finit par prendre le pouvoir mais, désireux de marier de force ses propres fils aux filles de Danaos, il pousse ce dernier à s’exiler avec ses filles, ce qui provoquera indirectement la mort de ses fils, la mort de sa descendance, la fin de l’hégémonie sémitique en Egypte au tout début de l’ère mycénienne. On ignore l’itinéraire emprunté par Danaos. On devine qu’il trouve refuge d’abord chez son oncle Agénor, au Levant. Une partie de sa famille semble y rester définitivement puisqu’on retrouvera plus tard, à la fin de l’ère mycénienne, la communauté des "tnyw" parmi les peuples dit "de la mer" revendiquant des droits sur l’Egypte, puis, au début de l’ère des Ages obscurs, la tribu de "Dan" installée dans l’actuelle région de Jaffa, aujourd’hui dans la partie sud de Tel-Aviv capitale d’Israël (Josué 19.40-46 ; le chapitre 19 verset 47 du livre de Josué ajoute que par la suite la tribu de Dan s’installera sur les hauteurs de l’arrière-pays de Tyr au Liban, près des sources du Jourdain, à Léchem, aujourd’hui le site archéologique de Tel-Dan en Israël) : l’étymologie suggère fortement que cette tribu de "Dan" de l’ère des Ages obscurs et cette communauté des "tnyw" de la fin de l’ère mycénienne, descendent du Sémite hyksos "Danaos" chassé d’Egypte au début de l’ère mycénienne. Danaos laisse peut-être une autre partie de sa famille en Cilicie, qui y fonde la cité d’"Adana" dans la banlieue est de Tarse, bien attestée à l’époque mycénienne dans les tablettes hittites (sous la forme "Adaniya") : l’homophonie entre "Danaos" et "Adana" laisse penser que les futurs habitants de celle-là sont encore des descendants de celui-ci. Pseudo-Apollodore dit que Danaos séjourne un temps sur l’île de Rhodes ("[Danaos] passa par Rhodes, où il éleva une statue à Athéna Lindia ["Lind…a", littéralement " dédiée à la cité de Lindos", sur la côte est de l’île de Rhodes, face au Levant ; rappelons au passage que la déesse Athéna est apparentée selon Hérodote et Platon à la déesse égyptienne primordiale Neith dont le sanctuaire principal se trouve à Saïs, dans l’ouest du delta du Nil, comme Neith elle semble liée à la Lybie dont Danaos est justement l’ancien administrateur, ceci explique pourquoi Danaos se place sous la protection de cette déesse]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.4 ; "En ce temps-là, Danaos fuyait l’Egypte avec ses filles. Il aborda à Lindos sur l’île de Rhodes. Bien accueilli par les habitants, il éleva un temple à la déesse Athéna et lui consacra une statue. Parmi les filles de Danaos, trois moururent pendant leur séjour à Lindos, les autres débarquèrent avec leur père à Argos", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.58 ; "Le premier site remarquable quand on quitte Rhodes pour naviguer en suivant la côte sur sa droite, est la cité de Lindos, bâtie sur un promontoire et tournée vers le sud face à Alexandrie. On y voit un temple célèbre dédié à Athéna Lindia par la piété des Danaïdes. Rappelons qu’originellement les gens de Lindos vivaient séparés de ceux de Camiros et d’Ialysos, ce n’est que plus tard que ces trois communautés se réunirent et allèrent se fondre dans Rhodes en une seule cité", Strabon, Géographie, XIV, 2.11). Son périple s’achève quand il débarque en Argolide, terre de son aïeule Io. Ce territoire est alors en proie à une grande calamité que les traducteurs modernes qualifie de "sécheresse", mais que nous devons plutôt traduire littéralement d’après les textes grecs par "pénurie d’eau" ("¢nudr…a", de "Ûdwr/eau", précédé du préfixe privatif "a-"), ce que pour notre part nous lisons comme une conséquence de l’inondation platonicienne : cette catastrophe engendrée par une réplique du cataclysmique effondrement du Santorin quelques décennies plus tôt, a répandu l’eau de mer à l’intérieur des terres, une eau salée durablement impropre à la consommation autant qu’à l’irrigation des cultures ("Puis [Danaos] gagna Argos, où le roi Gélanor lui céda le trône. Le territoire était alors privé d’eau par la faute de Poséidon, manifestant ainsi sa colère contre Inachos qui avait consacré tout ce territoire à Héra", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.4). A ce moment commence l’histoire racontée par la tétralogie d’Eschyle Les suppliantes-Les Egyptiens-Les Danaïdes-Amymoné (dont seule la première tragédie, Les suppliantes, a traversé les siècles). Un mystérieux "Gélanor fils de Sthénélas" (selon pseudo-Apollodore et Pausanias) ou "Pélasgos fils de Palaichton" (selon les vers 250-251 des Suppliantes d’Eschyle) prétend à l’hégémonie sur la région : en fait, "Gélanor" et "Pélasgos" semblent moins des noms propres que des qualificatifs signifiant simplement "le brillant/gel£nwr" et "le Peslage" (sur la nature ambiguë des Pélasges, nous renvoyons à la fin de notre paragraphe introductif), sous-entendant que celui-ci n’a pas davantage de légitimité que Danaos à régner sur l’Argolide. Une compétition est organisée entre Gélanor/Pélasgos et Danaos, dont Danaos sort vainqueur et nouveau roi d’Argos ("L’ancien temple et la statue en bois ont été offert par Danaos. Je crois qu’à cette époque toutes les statues étaient en bois, surtout celles en provenance d’Egypte. Danaos érigea ce temple à Apollon Lycien à l’occasion suivante. Etant arrivé à Argos, il disputa la couronne à Gélanor fils de Sthénélas. Ils plaidèrent leur cause devant le peuple, chacun d’eux avançant beaucoup de raisons en sa faveur. On raconte que, Gélanor étant aussi persuasif que Danaos, le peuple remit son jugement au lendemain. A l’aube, un loup se jeta sur un troupeau de bœufs qui paissait devant les murs de la ville, et attaqua le taureau qui était à leur tête. Les Argiens eurent alors l’idée d’assimiler Gélanor au taureau, et Danaos au loup, cet animal demeurant à distance des hommes, comme Danaos qui avait vécu longtemps loin d’eux. Le loup ayant tué le taureau, ils donnèrent la couronne à Danaos qui, convaincu que la venue de ce loup parmi le troupeau de bœufs relevait de l’intervention d’Apollon, dédia un temple à ce dernier sous le nom d’Apollon “Lycien” ["LÚkaioj", "le Loup" en grec]", Pausanias, Description de la Grèce, II, 19.3-4) : en raison de cette victoire de Danaos au début de l’ère mycénienne, les habitants de la cité d’Argos jusqu’à l’ère classique seront indifféremment appelés "Argiens" ou "Danaens" (par exemple dans l’Iliade et l’Odyssée), c’est-à-dire "descendants de Danaos". L’intronisation de Danaos est suivie par le débarquement des fils d’Egyptos, qui l’ont suivi depuis l’Egypte. Danaos feint de les accepter en Argolide, et organise même les mariages tant réclamés par Egyptos entre eux et ses propres filles. Mais c’est un piège, car après avoir secrètement armé ses filles, il leur demande d’assassiner les fils d’Egyptos. Toutes obéissent, sauf une, Hypermnestre, qui épargne son époux Lyncée ("Les fils d’Egyptos arrivèrent à leur tour à Argos. Ils demandèrent à Danaos de renoncer à leur vieille hostilité, et de leur donner ses filles en mariage. Mais Danaos se méfiait de leurs offres et éprouvait encore intérieurement de la rancœur à cause de l’exil subi. Il accepta néanmoins de donner ses filles, une à chacun d’eux. […] [pseudo-Apollodore donne ici la longue liste des filles de Danaos et des fils d’Egyptos] Après que les couples furent ainsi décidés, au cours du banquet de noces, Danaos donna un poignard à chacune de ses filles. Quand elles allèrent dormir avec leurs maris, elles les tuèrent tous. Seule Hypermnestre épargna Lyncée, qui avait préservé sa virginité. Pour cette raison, Danaos la fit enchaîner et enfermer. Ses autres filles enterrèrent les têtes coupées de leurs maris à Lerne, et les corps reçurent les honneurs funèbres devant la cité. Athéna et Hermès, sur ordre de Zeus, purifièrent ensuite les jeunes filles. Plus tard, Danaos permit qu’Hypermnestre et Lyncée demeurassent ensemble", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1, 5), auquel elle donnera un fils, Abas. Les jeunes meurtrières se remarient ensuite avec divers hommes sur lesquels nous ne nous attarderons pas. Mentionnons seulement Amymoné, qui engendre un bâtard (né de Poséidon !), Nauplios, resté dans la mémoire collective comme un naufrageur sévissant sur le site de la future cité portant son nom, Nauplie ("Je crois que les Naupliens sont apparentés aux Egyptiens venus par mer en Argolide avec Danaos, via son petit-fils Nauplios fils d’Amymoné qui s’établit à Nauplie", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 35.2 ; "Les autres filles [de Danaos] épousèrent les vainqueurs d’un concours athlétique. Amymoné eut de Poséidon un fils, Nauplios, qui vécut longtemps et fut un grand navigateur, mais, parce qu’il trompait les marins de passage avec des faux feux de signalisation pour provoquer leur mort, fut finalement lui-même victime de la même mort", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1, 5). Ce sont peut-être ces Danaens - pour revenir à notre point de départ -, descendants immédiats de Danaos, qui sont enterrés dans le cercle A de Mycènes (autrement dit, le célèbre masque que Heinrich Schliemann a attribué anachroniquement au tardif Agamemnon, a davantage de probabilité d’être celui du Sémite hyksos Danaos !), daté par les archéologues au XVIème siècle av. J.-C., or c’est justement au même siècle, l’année -1511/-1510, que le Marbre de Paros (document de l’ère hellénistique que nous avons déjà cité dans notre paragraphe introductif, contenant une longue chronique rédigée sous l’archontat athénien de Diognète en -264/-263) date le débarquement de Danaos en Argolide ("Depuis que [le premier bateau construit par Danaos] navigua d’Egypte vers la Grèce, une pentécontère ["penthkÒntoroj", navire à cinquante rames], que les filles de Danaos [texte manque], que Heliké et Archediké désignées par le sort restèrent pour [fonder le sanctuaire d’Athéna Lindia] et consacrer des offrandes sur le promontoire [texte manque] à Lindos à Rhodes, mille deux cent quarante-sept ans se sont écoulés, [texte manque] était roi [d’Athènes]", Marbre de Paros A9).


Le personnage de Deucalion est obscur. Le récit complet le plus ancien conservé le concernant, se trouve dans le livre I des Métamorphoses d’Ovide. Derrière son habillage romain, il nous évoque immanquablement le récit sumérien de Ziusudra, qui lui-même a inspiré celui sémitique akkadien d’Atrahasis/Uta-napishti, et celui sémitique hébraïque de Noé : comme Ziusudra jadis et comme Atrahasis/Uta-napishti et Noé naguère, Deucalion est le seul survivant d’une inondation divine, l’humanité noyée étant ainsi punie pour ses mauvais comportements. La description de l’inondation égéenne elle-même semble un copié-collé du déluge mésopotamien ("[Jupiter] [alias Zeus chez les Grecs] enferme dans l’antre d’Eole l’Aquilon [le vent du nord] et tous les vents qui rassemblent et chassent les nuages, puis lâche le Notus [le vent du sud]. Alors le Notus aux ailes humides s’envole, son visage effrayant est couvert de poix noire, sa barbe est lourde de pluies, l’eau coule de ses cheveux blancs, sur son front siègent des brumes, ses ailes et son sein ruissellent. Dès que sa large main a pressé les nuages suspendus, un fracas se produit, et de l’éther fondent d’épais brouillards. Messagère de Junon [alias Héra chez les Grecs], revêtue d’un éventail coloré, Iris rassemble les eaux et apporte aux nuages leur nourriture. Les moissons sont couchées sur le sol, le paysan déplore ses vœux anéantis, le travail vain d’une longue année est perdu. La colère de Jupiter [Zeus] ne se contente pas de son empire céleste, son frère bleu comme la mer [c’est-à-dire Neptune, alias Poséidon chez les Grecs] l’aide de ses flots et convoque les fleuves. Lorsque ces derniers pénètrent dans la maison de leur maître, il leur dit : “Nul besoin d’un long discours : déployez vos forces, vous devez ouvrir vos demeures, écarter vos digues, lâcher la bride à tous vos courants !”. Tel est son ordre. Les fleuves retournent donc à leurs sources dont ils dégagent les bouches, puis, en une course effrénée, ils se laissent rouler vers les mers. Le dieu frappe avec son trident la terre qui se met à trembler, et cette secousse ouvre des voies aux eaux. Les fleuves sortis de leur lit se répandent dans la rase campagne, ils emportent les moissons, les arbustes et les troupeaux, les hommes et les maisons avec leurs  autels et les objets sacrés. Si une maison reste debout et résiste au cataclysme sans crouler, elle finit submergée par une vague plus haute que son toit, et ses tourelles écrasées disparaissent dans un tourbillon. Plus rien ne distingue la mer de la terre : tout est mer, une mer sans rivages. Celui-ci se hâte d’occuper une colline, celui-là dans une barque recourbée manie des rames où auparavant il labourait. Celui-ci navigue sur ses moissons ou sur sa villa aux toits inondés, celui-là prend un poisson au sommet d’un ormeau. Une ancre se fiche, quand le hasard l’y porte, dans une verte prairie, des carènes creuses foulent les vignes en passant au-dessus d’elles. Et là où naguère des gracieuses chevrettes broutaient l’herbe, des phoques posent maintenant leurs corps informes. Les Néréides s’étonnent d’apercevoir sous l’eau des bois, des cités et des maisons, les dauphins occupent les forêts, se heurtent aux hautes branches, bousculent et agitent les chênes. Le loup nage parmi les brebis, l’onde charrie des lions au pelage fauve et emporte des tigres, le sanglier ne tire rien de sa force foudroyante, le cerf emporté ne trouve aucun secours dans ses pattes agiles. Après avoir longtemps cherché une terre où se poser, l’oiseau égaré tombe dans la mer, les ailes épuisées. L’immense débordement océanique recouvre les hauteurs, et des flots inconnus viennent frapper les sommets des montagnes. L’eau emporte la plupart des vivants, réservant à ceux qu’elle épargne une mort par un long jeûne, faute de vivres", Ovide, Métamorphoses I.262-312). Tandis que Ziusudra, Atrahasis/Uta-napishti et Noé ont trouvé refuge sur divers monts du Moyen-Orient, Deucalion trouve refuge sur le mont Parnasse, où il loue les dieux, ce qui apaise leur colère ("La Phocide sépare l’Aonie [autre nom de la Béotie] des campagnes de l’Oeta, terre fertile tant qu’elle était une terre, mais désormais elle fait partie de la mer, large plaine d’eaux soudain apparues. Là une montagne élève ses deux sommets vers les astres : son nom est Parnasse, et ses cimes surpassent les nuages. Deucalion échoue en ce lieu, la mer ayant tout recouvert, transporté avec sa compagne [Pyrrha] sur une barque fragile. Ils invoquent les nymphes korykiennes [apparentées à la nymphe locale "Korykos/Kèrukoj", qui a peut-être donné son nom au port de "Crissa/Kr‹sa", au pied du mont Parnasse], les divinités de la montagne, et Thémis la prophétesse qui y rend des oracles. Jamais on n’a vu homme meilleur que lui, ni plus épris de justice, jamais femme n’a été plus qu’elle respectueuse des dieux. Quand Jupiter [Zeus] voit qu’une vaste étendue d’eau submerge le monde, que parmi les milliers d’hommes il n’en subsiste qu’un seul, que parmi les milliers de femmes il n’en subsiste qu’une seule, tous deux innocents, tous deux adorateurs de la puissance divine, il disperse les nuages et, une fois les brouillards écartés par l’Aquilon, il montre au ciel les terres, et aux terres le ciel", Ovide, Métamorphoses I.313-329). Les bribes conservées de la version originale grecque, dont Ovide s’est inspiré, conforte la filiation entre Deucalion et ses pairs mésopotamiens. Pseudo-Apollodore apporte plusieurs précisions. Il dit d’abord que Deucalion est un fils du Titan Prométhée, donc Deucalion se rattache bien à la généalogie des Sémites levantins (les Titans sont les fils du dieu Ouranos, probable corruption grecque d’"el-Anu", le dieu sémitique du ciel, et "Titan" est une probable corruption du dieu sémitique de l’Orage "Addu", comme nous l’avons vu encore dans notre paragraphe introductif). Cela est confirmé par le qualificatif "hommes de bronze" pour désigner le peuple que les dieux veulent anéantir, peuple auquel appartient Deucalion : nous avons précédemment montré que les Sémites levantins ont effectivement importé le travail du bronze en mer Egée, et que cette caractéristique les distingue aux yeux des autochtones asianiques autant que des Indoeuropéens achéens. Pseudo-Apollodore dit ensuite que Prométhée joue le même rôle qu’Enki dans la version de Ziusudra, ou Ea dans la version d’Atrahasis/Uta-napishti, ou Yahvé dans la version de Noé : Prométhée prévient son protégé de l’imminence du fléau, et lui demande de fabriquer un bateau pour échapper à la noyade ("Prométhée eut pour fils Deucalion, qui régna sur la Phthiotide et épousa Pyrrha, fille d’Epiméthéos et de Pandore, la première femme créée par les dieux. Zeus voulait détruire la race des hommes de bronze. Par le conseil de Prométhée, Deucalion se fabriqua une arche ["l£rnaka", littéralement un "coffre"] en bois dans lequel il mit tous les biens vitaux nécessaires, et s’y enferma avec Pyrrha. Zeus fit tomber beaucoup de pluie du ciel, une grande partie de la Grèce fut inondée, tous les hommes périrent à l’exception de quelques-uns qui se réfugièrent sur les hauteurs. Ce fut à cette occasion que les monts de Thessalie se séparèrent du reste de la Grèce, du Péloponnèse et de l’isthme [de Corinthe], qui furent inondés. Deucalion fut ballotté sur la mer pendant neuf jours et neuf nuits. Il échoua finalement sur le Parnasse. La pluie ayant cessé, il sortit de son arche, et offrit un sacrifice à Zeus Phyxios ["FÚxioj", "Protecteur des fugitifs"]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 7.2). On remarque cependant que, contrairement aux récits mésopotamiens, le même extrait dit que Deucalion n’est pas le seul survivant de cette crue générale : d’autres hommes "réfugiés sur les hauteurs" échappent comme lui à la mort. Deucalion, fils de rien réfugié sur le mont Parnasse, deviendra célèbre parce que sa descendance sera glorieuse, mais cela ne doit pas nous aveugler sur le fait que d’autres Sémites/Minoens de second rang, des péquenots montagnards qui doivent justement leur salut à leur statut de péquenots montagnards, relégués dans des zones rocailleuses difficiles d’accès et infertiles, survivent eux aussi et remplacent les Sémites/Minoens de premier rang, anciens possesseurs des plaines cultivables, qui ont tous péri engloutis avec leurs champs. Reste le mystère de la date. Selon le livre III paragraphe 14 alinéa 5 de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore, l’inondation est contemporaine du règne de Cranaos le deuxième roi d’Athènes, successeur de Cécrops, qui doit probablement aussi sa survie à la hauteur de l’Acropole. Or, si la vie d’Amphictyon, un des fils de Deucalion, raccorde bien à la vie de Cranaos - Amphictyon épousera une fille de Cranaos, puis renversera Cranaos pour devenir le troisième roi d’Athènes -, la vie d’Hellen en revanche, autre fils de Deucalion, semble contemporaine de Pandion Ier ou d’Erichthonios au plus tôt, respectivement cinquième et quatrième rois d’Athènes, comme nous le verrons plus loin. La même étrangeté se retrouve dans le Marbre de Paros : selon ce document, Deucalion s’installe près du mont Parnasse précisément en -1573/-1572 ("Depuis que Deucalion devint roi sur le Lykorée du Parnasse ["LukwreÚj", un des sommets du mont Parnasse], Cécrops était roi à Athènes, mille trois cent dix ans se sont écoulés", Marbre de Paros A2), et y survit au déluge en -1528/-1527, quarante-cinq ans plus tard ("Depuis que le déluge se produisit sous Deucalion, que Deucalion avant les pluies s’enfuit depuis le Lykorée jusqu’à Athènes auprès de Cranaos, où il fonda le sanctuaire de Zeus Olympien et instaura les sacrifices du salut, mille deux cent soixante-cinq ans se sont écoulés, Cranaos était roi à Athènes", Marbre de Paros A4). Un écart chronologique aussi important suppose que les règnes des rois athéniens intermédiaires ont été très courts, ou que la vie de Deucalion a duré très longtemps, peut-être trop longtemps (au moins un demi-siècle, si nous datons l’inondation dans la seconde moitié du XVIème siècle av. J.-C., et l’émergence d’Hellen dans la première moitié du XVème siècle av. J.-C.) pour une période aussi troublée politiquement, socialement, économiquement. Doit-on conclure selon cette dernière hypothèse d’une vie très longue ? ou le Deucalion de la tradition est formé de plusieurs individus historiques qu’on a regroupés en un seul ? ou au contraire Deucalion est bien un individu historique unique, mais dont la courte vie a été artificiellement étirée en Thessalie pour en faire un nouveau Ziusudra immortel au Dilmun ?


Au XVème siècle av. J.-C.


Cranaos a survécu à l’inondation, sans doute grâce à la position élevée de l’Acropole d’Athènes où il habite, mais il sort affaibli de l’épreuve, comme tous les chefs de tous les temps et de tous les pays dans la même situation : l’engloutissement et la stérilisation des terres ont raréfié et appauvri les récoltes, ce qui a causé des famines, qui elles-mêmes ont engendré des troubles sociaux puis politiques. Cela explique certainement pourquoi Cranaos n’est pas en mesure de contenir les ambitions de son gendre, Amphictyon fils de Deucalion, qui finit par le renverser et devenir le troisième roi d’Athènes ("Cranaos le roi d’Athènes fut détrôné par son gendre Amphictyon. On dit qu’il s’enfuit avec ses hommes à Lamptrée [dème au sud-est d’Athènes, sur les hauteurs de l’Hymette], où il mourut et fut enterré. Les habitants de Lamptrée montrent aujourd’hui encore le tombeau de Cranaos", Pausanias, Description de la Grèce, I, 31.3). La mémoire collective n’a conservé qu’un fait remarquable sous le règne d’Amphictyon : la fondation du conseil dit "amphictyonique", réunion de représentants de plusieurs communautés du centre de la future Grèce chargés de maintenir la sainteté du mont Parnasse - d’où est originaire Deucalion le père d’Amphictyon -, puis, plus tard, du temple de Delphes dédié à Apollon qui y sera dressé. Le Marbre de Paros place cet événement en -1522/-1521 ("Depuis qu’Amphictyon, fils de Deucalion roi des Thermopyles, réunit autour du temple les prêtres qu’on appelle “amphictyons”, qui y effectuent leurs offrandes aujourd’hui encore, mille deux cent cinquante-huit ans se sont écoulés, Amphictyon était roi à Athènes", Marbre de Paros A9). Selon pseudo-Apollodore, Amphictyon ne demeure pas longtemps au pouvoir puisqu’il est chassé seulement douze ans après son putsch, par un nommé Erichthonios ("Amphictyon chassa Cranaos et occupa le trône. Les uns disent qu’il était le fils de Deucalion, les autres, qu’il était né de Gaïa ["Ga‹a", littéralement "la Terre", autrement dit Amphictyon serait un autochtone bâtard]. Après douze années de règne, il fut chassé par Erichthonios", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14, 6 ; "Amphictyon se révolta contre Cranaos dont il avait épousé la fille, il le détrôna, mais il fut renversé à son tour par Erichthonios et ses partisans", Pausanias, Description de la Grèce, I, 2.6), que les auteurs anciens rattachent à Héphaïstos ("On dit qu’Erichthonios n’avait pas de père mortel, qu’il était le fils d’Héphaïstos et de Gaïa", Pausanias, Description de la Grèce, I, 2.6). Or, dans notre paragraphe introductif nous avons vu qu’Héphaïstos, futur forgeron des dieux de l’Olympe dans la mythologie grecque, n’est originellement qu’une personnification des métallurgistes sémitiques - nous avons supposé que la cité de "Phaistos" en Crète lui doit son nom, comme colonie de métallurgistes sémitiques en provenance d’Egypte -, dont il reprend les malformations physiques dues à l’emploi du plomb, de l’arsenic, du mercure lors de leur travail du bronze, nous avons vu aussi que ce personnage sémitique (qui survivra dans les "pataikos" ornant la proue des navires phéniciens à l’époque d’Hérodote au Vème siècle av. J.-C.) n’est lui-même qu’un avatar du dieu primordial égyptien "Ptah" dont il reprend la fonction créatrice et la base consonantique [ptc]. Nous avons dit par ailleurs que l’Attique vers -1600 est certainement déjà habité par des Sémites en provenance de l’actuelle Tunisie, qui ont apporté avec eux leur déesse Athéna. Une lutte d’influence dont nous ignorons la profondeur, la violence, les péripéties, perdure entre ces immigrés sémites de Tunisie sous la bannière d’Athéna et leurs cousins du Levant sous la bannière d’Addu/Poséidon, qui, après l’éruption de Santorin, sont accompagnés par les Sémites hyksos chassés d’Egypte. Notre lecture au premier degré de la mythologie grecque, qui voit dans Erichthonios le fruit du viol d’Athéna par Héphaïstos égaré par son récent divorce d’avec Aphrodite, enfant dans un premier temps renié par sa mère, puis dans un second temps accepté, protégé et choyé par elle ("Certains disent qu’Erichthonios était le fils de Poséidon et d’Atthis la fille de Cranaos, mais les autres disent qu’il était le fils d’Héphaïstos et d’Athéna, en racontant l’histoire suivante. Athéna se rendit un jour chez Héphaïstos pour qu’il lui forge des armes. Le dieu, alors abandonné par Aphrodite, désira Athéna. Elle s’enfuit, il la poursuivit. Après beaucoup d’efforts (car il était boiteux), il réussit à la rejoindre, il tenta de la posséder, mais la chaste et vierge Athéna se libéra de son étreinte, et Héphaïstos éjacula sur la cuisse de la déesse. Dégoûtée, Athéna essuya le sperme avec un morceau de laine, qu’elle jeta par terre [tentative d’explication étymologique du nom d’"Erichthonios/EricqÒnioj", de "œrion/laine" et "cqèn/sol"], et elle partit. Mais quand Erichthonios naquit de la semence tombée à terre, Athéna l’éleva en cachette des autres dieux, avec l’intention de le rendre immortel. Elle le plaça dans une corbeille et le confia à Pandrosos la fille de Cécrops, en lui interdisant d’ouvrir la corbeille. Poussées par la curiosité, les sœurs de Pandrosos l’ouvrirent, et virent un serpent enroulé autour du nouveau-né. Certains disent que les jeunes filles furent tuées par ce serpent, les autres, qu’Athéna en colère les rendit folles au point qu’elles se jetèrent du haut de l’Acropole. Erichthonios fut élevé ensuite dans l’enceinte sacrée d’Athéna", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14.6), nous incite à penser qu’Erichthonios n’est que le bâtard d’un Sémite hyksos récemment chassé d’Egypte qui, ne croyant plus en l’avenir ni en Egypte ni au Levant (au côté de la Levantine Ishtar/Astarté, ou de la Levantine Uranie précisément apparentée à Aphrodite selon le livre I paragraphe 105 de l’Histoire d’Hérodote et selon le livre I paragraphe 14 alinéa 7 de la Description de la Grèce de Pausanias, dont le sanctuaire principal se trouve à Ascalon), est venu tenter une nouvelle vie en Attique en s’adaptant ou en s’imposant aux Sémites de Tunisie déjà présents. Au fond, le père anonyme d’Erichthonios reproduit en Attique le scénario de Danaos en Argolide, celui d’un hyksos chassé d’Egypte qui préfère tout recommencer dans le lointain Far West qu’est alors la future Grèce plutôt que subsister médiocrement au Levant, comme plus tard beaucoup de protestants chassés de pays catholiques préféreront tout recommencer dans la lointaine Amérique plutôt que subsister médiocrement aux Pays-Bas ou en Angleterre. Cette bâtardise d’Erichthonios, Egyptien hyksos par son père, Tunisien par sa mère, Athénien par son lieu de naissance, lui permet de fédérer tous ceux qui rêvent d’une unité citoyenne qu’Amphictyon n’a pas réussi ou n’a pas cherché à réaliser. En instaurant la fête des "Panathénées/Panaq»naia" après son accession au pouvoir, c’est-à-dire la fête "de tous les Athéniens", plus précisément la fête de "tous ceux qui adorent Athéna, peu importe leur origine (sémitique, asianique, indoeuropéenne)", il déconnecte Athéna de son passé africain sémitique pour en faire une déesse totalement originale, œcuménique, liée au sol attique ("Ensuite [Erichthonios] chassa Amphictyon et devint roi d’Athènes. Ce fut lui qui érigea sur l’Acropole la statue de bois d’Athéna, et instaura la fête des Panathénées. Il épousa la naïade Praxithea, qui lui donna un fils, Pandion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14.6). Le Marbre de Paros, qui précise qu’Erichthonios a introduit le char en Attique, une technique héritée de ses aïeux paternels hyksos, date les premières Panathénées en -1506/-1505 ("Depuis qu’Erichthonios, à l’occasion des premières Panathénées, monta sur le char dont il avait créé l’attelage, a donné [leur nom] aux Athéniens, et [glorifié] la déesse-mère Cybèle […] [texte manque], mille deux cent quarante-deux ans se sont écoulés, Erichthonios qui a attelé des chevaux à un char était roi à Athènes", Marbre de Paros A10). Nous ne connaissons pas la durée du règne d’Erichthonios, auquel succède son fils, Pandion Ier. Avant de poursuivre, signalons qu’Erichthonios n’est sans doute pas le seul bâtard à vouloir s’imposer dans l’ancienne aire minoenne, puisque c’est sous son règne que le même paragraphe du Marbre de Paros situe le musicien anatolien Hyagnis ("[Depuis] que le Phrygien Hyagnis inventa le premier aulos à K[elai]nai et le mode appelé “phrygien”, […] mille deux cent quarante-deux ans se sont écoulés [cest-à-dire -1506/-1505], Erichthonios qui a attelé des chevaux à un char était roi à Athènes", Marbre de Paros A10), qu’Hygin considère comme le fils de l’aulète Marsyas ("Hyagnis" est latinisé en "Oeager" par Hygin : "On dit que Minerve [alias Athéna chez les Grecs] fut la première à fabriquer une double flûte avec un os de cerf. Elle vint en jouer au banquet des dieux. Junon [alias Héra chez les Grecs] et Vénus [alias Aphrodite chez les Grecs] se moquèrent de Minerve aux yeux pers car ses joues étaient gonflées. Ainsi enlaidie et moquée lors de sa prestation, elle se rendit près d’une fontaine dans la forêt de l’Ida, se regarda jouer dans l’eau, et vit à quel point elle était effectivement laide. Elle jeta donc là sa double flûte et condamna quiconque s’en servirait à un affreux supplice. Le satyre Marsyas, fils du berger Oeager, la trouva, et en s’entraînant il réussit à obtenir un son de plus en plus agréable", Hygin, Fables 165.1-3), personnage problématique (Asianique pour les uns, Sémite pour les autres) resté dans la mémoire collective comme l’adversaire malheureux du tout autant problématique Apollon (Sémite pour les uns, Indoeuropéen pour les autres). La tradition raconte qu’Athéna, la déesse du lac Tritonide en Afrique, invente un nouvel instrument de musique, l’aulos, qu’elle jette bientôt car son utilisation déforme les joues. Le mystérieux Marsyas ramasse l’aulos, et apprend à en jouer en autodidacte. Devenu virtuose, il défie Apollon que les mythologues grecs voient comme un bâtard de la Titanide levantine Léto, les deux adversaires conviennent que le vaincu se soumettra aux désirs du vainqueur. Apollon remporte l’épreuve par un moyen qui diffère selon les versions, et il tue Marsyas pour dissuader quiconque de le défier à nouveau ("Marsyas retrouva l’aulos qu’Athéna avait jeté sous prétexte qu’en jouer déformait le visage. Le jeune homme entra en compétition musicale contre Apollon, convenant que le vainqueur disposerait à sa guise du vaincu. Le jour du concours, Apollon joua de la lyre à l’envers et mit au défi Marsyas d’en faire autant avec son instrument. Cela était impossible, Apollon fut vainqueur, il suspendit alors Marsyas à un grand pin et le tua en l’écorchant vif", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 4.2). Selon Diodore de Sicile, ce duel a lieu à Nysa ("On dit qu’Hermès est l’inventeur de la cithare, mais qu’Apollon est le premier à s’en être servi avec méthode. Marsyas étant entré en lutte contre Apollon en musique, ils choisirent les Nysiens pour juges. Apollon joua le premier sur la cithare, sans chanter. Marsyas avec son aulos étonna davantage les auditeurs, par la nouveauté du son et par son jeu mélodique il parut l’emporter sur son rival. Ils convinrent d’une revanche pour donner aux juges une nouvelle preuve de leur habileté. Succédant à son antagoniste, Apollon mêla le chant au jeu de la cithare, et surpassa le jeu primitif de l’aulos. Marsyas indigné signifia aux auditeurs qu’ils devaient juger seulement l’exécution instrumentale, l’harmonie et la mélodie sonore de la cithare ou de l’aulos, et non la voix, et qu’Apollon était injuste d’employer deux arts contre un. Selon les mythologues, ce dernier répondit qu’il n’avait pas triché puisqu’il avait utilisé son souffle comme Marsyas avait utilisé le sien dans l’aulos, et proposa même, pour rendre la lutte plus égale, qu’aucun antagoniste n’utilisât la bouche dans l’exercice de son art et se contentât de n’utiliser que ses doigts. Les auditeurs approuvèrent la justesse du raisonnement d’Apollon, et relancèrent l’épreuve. C’est ainsi que Marsyas fut vaincu. Apollon, que cette joute avait aigri, l’écorcha vif. Apollon s’en repentit cependant peu de temps après : attristé par son acte, il brisa les cordes de sa cithare, et fit disparaître les harmonies qu’il avait inventées. Les Muses plus tard retrouvèrent la “mèse” ["mšsh", littéralement la "note du milieu", désigne la corde principale de l’instrument à corde, équivalente au la dans notre musique moderne], Linos, la “lichanos” ["l…canoj", littéralement l’"index", ainsi désigné parce qu’il est le "doigt qu’on lèche/le…cw" : la "lichanos" ou "corde qu’on touche avec l’index" est située sous la corde mèse, équivalente au sol moderne], Orphée et Thamyris, l’“hypate” ["Øp£th", littéralement la "note la plus haute", équivalente au mi moderne] et la “parypate” ["parup£th", littéralement la "note avant l’hypate", équivalente au fa moderne]. Apollon déposa dans la grotte de Dionysos sa cithare et l’aulos de Marsyas", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.59) : s’agit-il de l’africaine Nysa près du lac Tritonide, aujourd’hui Nefta près du Chott el-Jérid en Tunisie, pays natal d’Athéna et de Dionysos fils du roi atlante Ammon ? ou de son homonyme asiatique Nysa en Anatolie, aujourd’hui Nevsehir en Turquie, où grandira Dionysos petit-fils du roi béotien Cadmos ? La logique voudrait que la scène se passe en Afrique, lieu de confrontation ancien entre les Levantins issus d’Atlas dominant en Tunisie et les Levantins hyksos dominant dans le delta du Nil. Mais Clément d’Alexandrie insiste fortement sur la nature anatolienne des instruments à vent et de Marsyas ("Les Tyrrhéniens ont inventé la salpix ["s£lpigx", étymologie inconnue, trompette], et les Phrygiens, l’aulos. Olympos et Marsyas étaient Phrygiens. […] Dans le domaine musical, Olympos a inventé le mode lydien; et les peuples appelés “troglodytes” [référence aux habitants des grottes autour de Nysa/Nevsehir en Anatolie ?] ont inventé la sambuque ["sambÚkh", étymologie inconnue, harpe triangulaire]. On dit que le Phrygien Satyros a inventé la flûte oblique [littéralement la "syrinx/sàrigx" dont les tuyaux sont "transversaux, en biais/pl£gioj" : le mot "syrinx", d’étymologie inconnue, utilisé généralement comme un synonyme de "roseau/k£lamoj", est peut-être à l’origine une simple onomatopée reproduisant le sifflement du serpent, qu’on imite effectivement en soufflant dans des roseaux], le Phrygien Hyagnis, le tricorde et le mode diatonique, le Phrygien Olympos, l’art de toucher les instruments à cordes, et Marsyas, natif du même pays que les précédents, les modes phrygien, mixophrygien et mixolydien", Clément d’Alexandrie, Stromates I.16). Hérodote, Athénée de Naucratis, Xénophon et Hygin sont encore plus précis en disant que le duel a eu lieu à Kelainai près de la source du fleuve Méandre ("Kelaina…", étymologie inconnue, aujourd’hui Dinar en Turquie : "L’armée [perse de Xerxès Ier en -480] franchit le fleuve Halys, entra en Phrygie et traversa le pays pour atteindre Kelainai, où le Méandre prend sa source […]. C’est là qu’on voit l’outre faite avec la peau du Silène Marsyas, accrochée là, selon la légende phrygienne, par Apollon après qu’il eut écorché vif son ennemi", Hérodote, Histoire VII.26 ; "Ce sont les Tyrrhéniens qui ont inventé les cornets ["kšrata"] et les salpix. Mètrodoros de Chio dit que ce fut Marsyas qui inventa la syrinx et l’aulos à Kelainai, où précédemment on n’entendait que le souffle des roseaux", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes IV.82 ; "Il y a [dans la cité de Kelainai en Phrygie en -403] un palais entouré d’un grand parc plein de bêtes sauvages, où [le prince Cyrus] chassait à cheval quand il voulait s’exercer. A travers ce parc coule le Méandre, dont les sources se trouvent dans le palais même, il serpente ensuite à travers la cité de Kelainai. Il existe aussi à Kelainai une autre bâtisse fortifié du Grand Roi, édifiée sur les sources mêmes du Marsyas, qui traverse aussi la cité dans un lit de vingt-cinq pieds de largeur avant de se jeter dans le Méandre. C’est là, dit-on, qu’Apollon, vainqueur de Marsyas qui était entré en concurrence de talent avec lui, l’écorcha vif et suspendit sa peau dans l’antre d’où sortent les sources. Voilà pourquoi le fleuve s’appelle Marsyas. On raconte que c’est Xerxès Ier, à son retour de Grèce, après sa défaite et sa fuite du combat, qui fit bâtir ce palais et cette citadelle de Kelainai", Xénophon, Anabase de Cyrus, I, 2.7-9 ; "[Marsyas] provoqua le citharède Apollon en un concours musical. Quand Apollon fut arrivé, ils prirent les Muses pour juges. Marsyas fut déclaré vainqueur. Mais Apollon retourna sa cithare et rejoua. Marsyas ne put retourner pareillement sa double flûte pour en jouer. Alors Apollon, vainqueur de Marsyas, le donna à un Scythe qui l’écorcha à un arbre, membre par membre. Les restes du corps furent confiés à son élève Olympos afin qu’il l’enterrât, et le fleuve ayant reçu son sang prit le nom de “Marsyas”", Hygin, Fables 165.3-5), carrefour entre l’orient et l’occident convoité par tous les conquérants (dont Cyrus II au VIème siècle av. J.-C., Xerxès Ier et le prince Cyrus au Vème siècle av. J.-C., Alexandre le Grand au IVème siècle av. J.-C., Antiochos III au tournant des IIIème et IIème siècles av. J.-C., Rome après la bataille d’Apamée en hiver -190/-189…).


C’est sous le cinquième roi athénien Pandion Ier fils d’Erichthonios que pseudo-Apollodore place la venue en Attique d’un nouveau personnage sémitique : la déesse de l’agriculture Déméter, qui joue le même rôle que la déesse Isis en Egypte ("Quand Erichthonios mourut, il fut enseveli dans l’enceinte sacrée d’Athéna, et Pandion devint roi. Sous le règne de ce dernier Déméter vint en Attique […]. Déméter fut accueillie par Keleos à Eleusis", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14.7). L’histoire de cet événement est longuement racontée dans l’Hymne à Déméter attribué à Homère. Sa fille Perséphone - également appelée "Koré", "la Jeune fille" en grec - ayant été kidnappée par Hadès, Déméter part à sa recherche. Alors qu’elle quitte la Crète, elle est capturée à son tour par des pirates, qui accostent à Thorikos, un dème de l’Attique dérivé de l’étymon sémitique "trʃ" (qui a conservé son nom jusqu’à aujourd’hui), entre les monts du Laurion et une baie naturelle protégée par l’îlot de Makronèsos voisin, juste en face de l’île de Kéos distante d’à peine dix kilomètres dont nous avons rappelé dans notre paragraphe introductif qu’elle renferme un important comptoir sémitique crétois/minoen. Déméter échappe nuitamment à ses ravisseurs et, sous une fausse identité et déguisée en vieille femme, marche au hasard vers l’ouest. Elle arrive dans la région d’Eleusis, où elle est accueillie par le seigneur local, un nommé Keleos ("Après avoir changé de forme, [Déméter] parcourut les cités et les champs fertiles des mortels. Aucun homme, aucune femme à la large robe ne la reconnut en la voyant, jusqu’à son arrivée dans la maison du vaillant Keleos qui régnait alors dans la cité parfumée d’Eleusis. Le cœur plein de tristesse, elle s’assit au bord du chemin, près de la fontaine Parthénion ["la Vierge sainte", site non localisé : cette fontaine est-elle dédiée à Athéna, dont l’homonyme "Parthénon" sur l’Acropole d’Athènes lui sera dédié à l’ère classique ?] où les citoyens venaient se désaltérer, se tenant à l’ombre d’un olivier touffu, sous l’apparence figée d’une femme privée des faveurs d’Aphrodite, telles les nourrices des princes voués à rendre la loi ou les intendantes des palais aux voûtes sonores. Les filles de Keleos vinrent puiser l’eau jaillissante afin de la porter dans les vases de bronze au palais de leur père. Elles l’aperçurent assise. Elles étaient quatre, belles comme des déesses et éblouissantes de jeunesse : Kallidikè, Kleisidikè, l’aimable Démo et Kallithoè l’aînée de toutes. Elles ne reconnurent pas Déméter, car les mortels reconnaissent difficilement les dieux. Elles l’abordèrent et lui dirent : “Vieille femme, quels peuples as-tu quittés ? Pourquoi rester loin de la ville et ne pas venir dans nos demeures ? Dans nos palais ombragés, des femmes de ton âge et d’autres plus jeunes t’accueilleront avec bienveillance en paroles et en actes”. Elles dirent. L’auguste déesse répondit : “Mes enfants, qui que vous soyez parmi les femmes, soyez heureuses. Je veux vous répondre, car on doit renseigner sincèrement ceux qui s’interrogent. Mon nom est Déo, je l’ai reçu de ma vénérable mère. J’arrive malgré moi de Crète, portée sur le vaste dos de la mer. Des pirates m’ont enlevée avec brutalité, puis leur navire a abordé à Thorikos, où plusieurs captives sont descendues sur la plage tandis que les marins préparaient le repas du soir près du bateau amarré. Renonçant à leur douce nourriture, je me suis échappée furtivement le long du rivage, j’ai fui ces maîtres violents qui voulaient me vendre à un grand prix après m’avoir obtenue sans rançon. Mes errances m’ont amenée jusqu’ici. J’ignore quel est ce pays, qui sont ses habitants. Quant à vous, que les dieux qui règnent sur l’Olympe vous accordent bientôt des jeunes époux et des enfants selon vos désirs ! En attendant, prenez-moi en pitié, jeunes filles, soyez attentionnées pour moi, enfants chéris, jusqu’au jour où je trouverai la demeure d’un homme ou d’une femme que je servirai en fonction de mon âge, à porter dans mes bras les nouveau-nés, à les élever, à garder la maison, à préparer la chambre et le lit des maîtres, à enseigner leurs tâches aux femmes”", Hymne homérique à Déméter 94-144). En échange de cette hospitalité, elle enseigne les techniques agricoles à Triptolème, fils de ce Keleos. Encore une fois, les hellénistes qui veulent à tout prix considérer la mythologie grecque comme un ensemble de fables à vocation philosophique, regardent l’histoire de Déméter et de sa fille Perséphone comme une pure fiction expliquant l’éternel retour des saisons (ils s’appuient surtout sur la suite de l’histoire, qui montre les retrouvailles entre la mère et sa fille favorisées par la conciliation de Zeus : ce dernier impose à Perséphone de demeurer aux Enfers avec Hadès durant la saison froide, et l’autorise à passer la saison chaude dans le monde des vivants avec sa mère Déméter). Et encore une fois, nous prétendons que si la réécriture de ce mythe au cours des siècles lui a certes donné une facture abstraite, rien n’autorise à en déduire que son fondement n’est pas historique : pourquoi refuser absolument qu’une Sémite levantine de chair et d’os ait pu courir après sa fille kidnappée ou captive consentante de marins de passage, telle Io ou Europe ? pourquoi refuser absolument que cette mère ait pu être enlevée elle aussi et débarquée dans un port bien attesté de l’Attique ? pourquoi refuser absolument que cette femme se soit déguisée pour s’enfuir, et ait finalement trouvé refuge chez des bouseux asianico-achéens (le nom de "Keleos/KeleÒj" est peut-être formé sur "laos/laÒj", "peuple indistinct, masse, foule incohérente" en grec), aux confins de l’Attique oriental et de l’isthme de Corinthe, auxquels elle a apporté ses connaissances de civilisée levantine, et plus particulièrement sa science de l’agriculture apprise sur les bords fertiles du Nil ? Diodore de Sicile pour sa part accepte cette lecture au premier degré : selon lui, derrière cette fable d’une déesse exerçant la même fonction agricole que l’Egyptienne Isis et s’installant en Attique, on doit simplement comprendre qu’une notable hyksos installée du côté d’Eleusis par les hasards d’une banale aventure de fille séduite ou violée par un matelot comme l’ère mycénienne en compte tant, ayant exercé une autorité naturelle sur les bouseux du coin auxquels elle a enseigné l’art de planter et d’arroser des graines afin qu’elles deviennent une nourriture abondante, a finalement été adoptée, sanctifiée, divinisée par ses cousins installés à Athènes, en particulier par Erechthée le fils et successeur de Pandion Ier, que la tradition considère justement comme l’instaurateur des Mystères d’Eleusis dédiés à Déméter et Perséphone ("Les Egyptiens disent aussi qu’Erechthée l’ancien roi d’Athènes avait des origines égyptiennes, ils avancent la preuve suivante. Selon la tradition commune, une grande sécheresse ["aÙcmÒj"] désolait toutes les terres à l’exception de l’Egypte, préservée par ses dispositions naturelles, elle faisait périr les hommes et les fruits. Se souvenant de sa double origine, Erechthée fit transporter du blé de l’Egypte à Athènes, dont il fut nommé roi par reconnaissance publique. Ayant accepté la royauté, il institua à Eleusis les initiations et les Mystères dédiés à Déméter, d’après les rites égyptiens. La tradition place effectivement à la même époque la venue de Déméter en Attique et l’importation des céréales dans Athènes, de là vient la croyance en Déméter comme initiatrice de l’agriculture. Les Athéniens affirment que cette venue de Déméter et ce don du blé datent du règne d’Erechthée, quand tous les fruits périssaient par manque de pluie. Les initiations et les Mystères établis par les Athéniens à Eleusis en l’honneur de cette déesse, sont calqués sur ceux d’Egypte : les Eumolpides [prêtres dédiés au culte de Déméter à Eleusis, ainsi nommés en mémoire de l’aventurier Eumolpos dont nous parlerons plus loin] dérivent des prêtres égyptiens, et les Kèrykes ["K»rukej", famille de hérauts athéniens], des Pastophores ["PastofÒroj", auxiliaires égyptiens chargés de "porter/foršw" les objets sacrés dans la "chambre nuptiale/pastÒj" des dieux]. On note enfin que les Athéniens sont les seuls Grecs qui jurent par Isis et qui, par leurs opinions et leurs mœurs, ressemblent le plus aux Egyptiens", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.29). Le Marbre de Paros ne nous est d’aucun secours sur Pandion Ier puisque le paragraphe consacré à son règne est mutilé ("Depuis que Minos [texte manque], et que du fer fut découvert sur l’Ida par les Dactyles idéens Kelmios et [Damnameneus], [texte manque] ans se sont écoulés, Pandion [Ier] était roi à Athènes", Marbre de Paros A11 ; notons que le Minos évoqué dans ce passage n’a aucun rapport avec le mythologique roi de Cnossos dont on parlera plus loin), mais un indice peut nous éclairer : Platon en Critias 110a évoque les "héros athéniens antérieurs à Thésée", il mentionne notamment Cécrops, Erichthonios et Erechthée, mais il ne parle pas de Pandion Ier (pourtant fils d’Erichthonios et père d’Erechthée), comme pour signifier que Pandion Ier est un mauvais Athénien, un politicien qui ne mérite pas la reconnaissance posthume ni le titre de héros. Derrière la fable d’Hadès ou des pirates capturant Perséphone et sa mère Déméter, de Déméter en fuite trouvant refuge à Eleusis, et de Zeus négociant la libération de Perséphone à chaque saison chaude pour lui permettre de revoir sa mère Déméter, doit-on voir simplement une notable sémitique capturée avec sa fille par Pandion Ier, doit-on comprendre que cette notable s’est enfuie vers Eleusis en laissant sa fille prisonnière de Pandion Ier à Athènes, doit-on imaginer qu’un compromis a été finalement signé entre Pandion Ier d’Athènes et Keleos d’Eleusis du genre : "La mère Déméter et la fille Perséphone resteront les sujettes respectives d’Eleusis et d’Athènes, à condition que chaque année pendant la saison chaude Athènes prête Perséphone à Eleusis pour l’accomplissement des tâches agricoles, et qu’en retour Eleusis rende Perséphone et offre une partie de ses récoltes à Athènes au début de la saison froide" ? Ceci expliquerait pourquoi à la génération suivante, après la mort de Déméter, les relations diplomatiques entre Athènes gouvernée par Erechthée fils de Pandion Ier et Eleusis dominée par Triptolème fils de Keleos et par l’aventurier Eumolpos se tendent, et dégénèrent en guerre ("Depuis que Déméter venue d’Athènes [texte manque] les semences, et que la première fête de la terre fut célébrée sous la direction de Triptolème fils de Keleos et Neaira, mille cent quarante-six ans se sont écoulés [c’est-à-dire -1410/-1409], Erechthée était roi à Athènes. Depuis que Triptolème récolta les céréales semées dans la plaine de Rharos d’Eleusis, mille cent quarante-cinq ans se sont écoulés [c’est-à-dire -1409/-1408], Erechthée était roi à Athènes. Depuis que [texte manque] dans sa poésie comment Koré fut capturée et Déméter la chercha, et comment [texte manque] une multitude de céréales, mille cent trente-cinq ans se sont écoulés [c’est-à-dire -1399/-1398], Erechthée était roi à Athènes. Depuis qu’Eumolpos [texte manque] instaura les Mystères d’Eleusis et popularisa l’œuvre de [texte manque] des Muses, [texte manque] ans se sont écoulés, Erechthée fils de Pandion [Ier] était roi à Athènes ", Marbre de Paros A12-15) : la fille Perséphone n’ayant plus de raison chaque printemps d’aller à Eleusis pour voir sa mère Déméter désormais décédée, les Eleusiens n’ont plus de raison chaque automne de ravitailler Athènes en céréales…


Pendant ce temps, Hellen le frère d’Amphictyon, resté sur les terres paternelles, leur donne son nom, l’"Hellade/Ell£j". Originellement, comme on le constate dans les formules idiomatiques reprises par Homère à l’ère archaïque ("Puis viennent ceux de l’Argos Pélasgique, d’Alos, d’Alopé, de Trachine, de Phthie et de l’Hellade aux belles femmes, qu’on appelle “Myrmidons”, et “Hellènes”, et “Achéens”", Iliade II.681-684), ce nom "Hellade" désigne spécifiquement le sud de la Thessalie, et le mot "Hellènes" désigne aussi spécifiquement les descendants d’Hellen habitant cette région. C’est seulement plus tard, quand ces descendants d’Hellen se seront répandus partout dans l’ancienne aire minoenne du sud-ouest de la mer Egée, et y auront conquis définitivement tous les pouvoirs à la fin de l’ère mycénienne ou au début de l’ère des Ages obscurs, qu’"Hellade" désignera la Grèce tout entière, et "Hellènes", l’ensemble des Grecs. Selon pseudo-Apollodore, Hellen est l’aîné de Deucalion, Amphictyon est le cadet, et Hellen est lui-même père de trois fils nommé Doros, Xouthos et Eole, engendrés avec une fille d’on-ne-sait-où - une Asianique du coin ? une Achéenne indoeuropéenne ? - nommée Orséis ("Deucalion eut de Pyrrha plusieurs enfants. Hellen fut le premier, certains disent qu’il est fils de Zeus. Le second fut Amphictyon, qui régna sur l’Attique après Cranaos […]. D’Hellen et de la nymphe Orséis naquirent Doros, Xouthos et Eole", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 7.2-3). Le Marbre de Paros prétend qu’Hellen succède à son père Deucalion en -1520/-1519, tandis que son frère Amphictyon est roi à Athènes ("Depuis qu’Hellen fils de Deucalion devint roi en Phocide, et appela “Hellènes” ceux qu’on appelait précédemment “Grecs” [texte manque] mille deux cent cinquante-sept ans se sont écoulés, Amphictyon était roi à Athènes", Marbre de Paros A6), mais, nous l’avons déjà dit, cette datation pose problème. Nous verrons juste après que Xouthos se marie avec Créuse la fille d’Erechthée le sixième roi d’Athènes, fils et successeur de Pandion Ier le cinquième roi d’Athènes, lui-même fils et successeur d’Erichthonios le quatrième roi d’Athènes dont nous venons de parler : même en supposant une grande différence d’âge entre un Xouthos très vieux et une Créuse très jeune, l’affirmation du Marbre de Paros impliquerait que les règnes d’Erichthonios et de Pandion Ier ont été excessivement courts, ou que la vie d’Hellen a été excessivement longue.


Nous devons dater à la même époque, au XVème siècle av. J.-C., en Argolide, les règnes de Lyncée gendre et successeur de Danaos, puis Abas fils et successeur de Lyncée, qui ne semblent pas avoir causé ni enduré des grands périls.


Nous plaçons dans la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C. la maturité des trois fils d’Hellen : Eole, Doros et Xouthos. Nous ne nous attarderons pas sur "Eole/A„Òloj", dont le nom a fini par devenir synonyme de "mouvement, agitation perpétuelle" et désigner le vent en latin puis en français. Le mot "Eole" s’est-il lexicalisé parce que ce fils d’Hellen se caractérisait par des déplacements si constants et imprévisibles dans le nord de la mer Egée qu’ils sont devenus proverbiaux ? ou au contraire préexistait-il à ce fils d’Hellen, et lui a-t-il été donné justement parce qu’il le qualifiait parfaitement ? Notons seulement qu’il épouse une "Enarétè fille de Deimachos", l’une et l’autre inconnus par ailleurs, avec laquelle il engendre sept fils (nouveau témoignage de l’obsession sémitique pour le chiffre 7, héritée de la semblable obsession sumérienne, que nous avons commentée dans notre paragraphe introductif, à rapprocher des sept fils et sept filles d’Ouranos mentionnés par Eusèbe de Césarée au livre I paragraphe 10 précité de sa Préparation évangélique, ou des sept filles d’Atlas mentionnées par Diodore de Sicile au livre IV paragraphe 17 précité de sa Bibliothèque historique et par Denys d’Halicarnasse au livre I paragraphe 61 alinéa 1 précité de ses Antiquités romaines ?) dont certains deviendront célèbres : Sisyphe le futur roi de Corinthe, Athamas le futur mari d’Ino fille de Cadmos, Créthée le futur fondateur de la cité d’Iolcos, et Salmonée (dérivé de l’étymon sémitique "slm", que nous avons aussi commenté dans notre paragraphe introductif) dont la fille Tyro (dérivé de l’étymon sémitique "trʃ" relatif à la mer) deviendra l’épouse consanguine de Créthée ("[Hellen] divisa le pays entre ses enfants. […] Eole régna sur la Thessalie et les pays alentours, et appela "Eoliens" les gens qui les habitaient. Il épousa Enarétè fille de Deimachos, qui lui donna sept fils : Créthée, Sisyphe, Athamas, Salmonée, Deion, Magnès et Périérès", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 7.3). Nous ne nous attarderons pas davantage sur Doros, qui s’installe dans une région aux contours mal définis en bordure de l’actuel golfe de Corinthe, entre la Béotie et le mont Parnasse, une région à laquelle il donne son nom, la "Doride" ("Doros s’empara du pays en face du Péloponnèse, et appela “Doriens” les gens qui l’habitait", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 7.3 ; "Hellen, fils de Deucalion, qui régnait dans la Phthie sur les peuples entre le Pénée [fleuve du centre de la Thessalie, qui se jette dans le golfe Thermaïque] et l’Asopos [fleuve du sud de la Thessalie, qui se jette dans le golfe Maliaque], transmit son royaume à l’aîné de ses fils [Eole, selon le géographe Strabon, alors que pseudo-Apollodore dit qu’Eole est le cadet] et ordonna aux autres [Doros et Xouthos] d’émigrer, les laissant libres d’aller s’établir selon leur désir. Doros réunit les montagnards du Parnasse en un seul corps, et les appela “Doriens” d’après son nom", Strabon, Géographie, VIII, 7.1). Plus intéressant est Xouthos, dont pseudo-Apollodore dit simplement qu’il s’installe dans le Péloponnèse et qu’il a deux fils, Achaios et Ion ("Xouthos prit le Péloponnèse. Avec Créuse fille d’Erechthée il eut deux fils, Achaios et Ion, qui donnèrent aux habitants du pays les noms d’“Achéens” et “Ioniens”", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 7.3). En fait, selon le géographe Pausanias, Xouthos a émigré vers le Péloponnèse à contrecœur, ayant d’abord été chassé des terres paternelles pour malversations, puis chassé de l’Attique - rappelons qu’il y épouse la princesse Créuse fille d’Erechthée le sixième roi d’Athènes - pour avoir soutenu son beau-frère minoritaire Cécrops le jeune contre ses autres beaux-frères majoritaires ("Hellen étant mort, son fils Xouthos fut chassé de Thessalie par ses frères, qui l’accusèrent d’avoir détourné une partie des richesses paternelles pour son propre compte. Xouthos se réfugia à Athènes, eut l’honneur d’épouser une fille d’Erechthée, et en eut deux fils, Achaios et Ion. Quand Erechthée mourut, ses fils demandèrent à Xouthos de juger lequel pouvait prétendre au trône. Il se prononça en faveur de l’aîné, Cécrops. Cela incita les autres à le chasser du pays. Xouthos alla s’établir en Egialée, où il termina ses jours", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 1.2-3). La même incertitude règne sur ses fils Achaios et Ion, que la postérité semble parer de tous les honneurs en raison de leur illustre descendance, des honneurs très éloignés de la réalité historique. Selon Pausanias, Achaios rassemble des troupes en Attique et en Egiale, où lui-même est réfugié avec son frère Ion et son père Xouthos, et lance une campagne victorieuse pour reprendre possession de la Thessalie ("Achaios, l’un des fils [de Xouthos], ayant rassemblé des troupes en Egialée et en Attique, entra en la Thessalie et recouvra les terres de son père", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 1.3). Mais selon Strabon, un tel scénario est impossible, car Achaios est interdit de séjour en Attique à la suite d’un meurtre qu’il a commis, et il termine ses jours immigré dans le Péloponnèse et non pas roi en Thessalie ("Achaios, l’un des fils [de Xouthos], commit un meurtre involontaire, et dut s’enfuir vers la Laconie. Il donna son nom aux gens qui le recueillirent", Strabon, Géographie, VIII, 7.1). On note que l’attribution habituelle du nom "Achaïe/Aca‹a" par Achaios à la province où il trouve refuge, est probablement fallacieuse : nous avons vu à l’extrême fin de notre paragraphe introductif que cette province, appelée à l’origine "Egialée/Aigi£leia" - c’est ainsi qu’Homère la nomme encore à l’ère archaïque, au livre II vers 575 de l’Iliade -, doit certainement son nom à un étymon "ak" d’on-ne-sait-quelle nature désignant le nord, or le nom "Achaios/AcaiÒj" dérive du même étymon "ak", les descendants d’Achaios ont donc pu jouer sur cette ambivalence homophonique pour revendiquer la propriété séculaire de cette province, autrement dit peu importe que cette province soit appelée "Egialée" ou "Achaïe", sa signification étymologique reste la même (la "province du nord" dans un cas, la "province de l’homme du nord" dans le second cas). Ion quant à lui, selon Strabon, participe efficacement à la guerre d’Erechthée contre les Eleusiens, et achève sa vie comme roi d’Athènes. Le même Strabon ajoute que, la population athénienne s’accroissant, il envoie une partie s’installer sur les terres de son frère en Egialée/Achaïe ("L’autre fils de Xouthos, Ion, se couvrit de gloire en remportant une victoire célèbre sur les Thraces d’Eumolpos et fut investi par le vœu des Athéniens de l’autorité suprême. Il commença par diviser la population attique en quatre tribus, puis il distingua quatre classes de citoyens d’après leurs professions respectives : les laboureurs, les artisans, les prêtres et les gardes ["fÚlax"], il compléta cette double mesure par d’autres dispositions analogues, et finit par laisser son nom au pays tout entier. La population de l’Attique devenant trop nombreuse, une première colonie d’Ioniens quitta Athènes pour aller vers l’Egialée dans le Péloponnèse, qui fut appelée dès lors l’“Ionie”. Les habitants se répartirent en douze cités, et perdirent le nom d’“Egialéens” pour celui d’“Ioniens”", Strabon, Géographie, VIII, 7.1). Mais Pausanias contredit à nouveau Strabon en affirmant que, si Ion a certes participé à la guerre d’Erechthée contre les Eleusiens et a fini sa vie en Attique, il n’y a jamais été roi ("Ion préparait une armée pour aller attaquer les Egialéens, quand leur roi Sélinos députa pour lui proposer à la fois d’épouser sa fille Hélikè et de devenir son successeur apr. adoption. Ces propositions convinrent à Ion : il les accepta et devint roi des Egialéens après la mort de Sélinos. Il fonda en Egialée une cité à laquelle il donna le nom de sa femme [aujourd’hui le site archéologique d’Helikè dans la banlieue sud-est d’Aigio en Achaïe], et ses sujets furent appelés “Ioniens” tout en conservant leur ancien nom, on les qualifia ainsi d’“Egialéens Ioniens”. Les habitants conservèrent leur premier nom plus longtemps puisque Homère, dans le catalogue des navires qui suivirent Agamemnon, l’emploie pour les désigner, en disant : “ceux de tout l’Egialée et des alentours de la vaste Hélikè” [Iliade II.575]. Les Athéniens, en guerre contre les Eleusiens, firent venir le roi Ion pour lui confier le commandement de leurs troupes. Il termina ses jours en Attique. Son tombeau est dans le dème de Potamos [à la pointe sud-est de l’Attique, près du dème de Thorikos]", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 1.3-5). Pausanias est soutenu par les autres auteurs antiques et la tradition, qui mentionnent Cécrops le jeune fils d’Erechthée comme septième roi d’Athènes, puis Pandion II fils de Cécrops le jeune comme huitième roi d’Athènes, mais ne disent jamais qu’Ion a exercé cette fonction.


Au XIVème siècle av. J.-C.


Cette guerre entre Athéniens et Eleusiens, au tournant des XVème et XIVème siècles av. J.-C., est une tragédie personnelle pour Erechthée. Pour comprendre cela, une mise au point est nécessaire sur le texte de pseudo-Apollodore qui la rapporte. Pseudo-Apollodore, au livre III paragraphe 14 de sa Bibliothèque, semble effectivement confondre Pandion Ier et Pandion II, car il mentionne une alliance entre un Pandion et Labdacos le petit-fils de Cadmos roi de Béotie : ce Pandion allié de Labdacos est plus probablement Pandion II au plus tôt au milieu du XIVème siècle av. J.-C., arrière-petit-fils de Pandion Ier que nous avons situé au XVème siècle av. J.-C. Pseudo-Apollodore dit ensuite qu’Erechthée, devenu roi à la mort de son père Pandion Ier, engendre à son tour trois fils : Cécrops le jeune, Pandoros et Métion ("Pandion [Ier] épousa Zeuxippe, la sœur de sa mère, et eut d’elle deux filles, Procné et Philomèle, et deux jumeaux, Erechthée et Boutès […]. A la mort de Pandion [Ier], ses enfants se partagèrent l’héritage paternel : Erechthée monta sur le trône, et Boutès devint prêtre d’Athéna et de Poséidon Erechthéen. Erechthée épousa Praxithée, la fille de Phrasimos et de Diogénie fille du Céphise, et engendra trois garçons : Cécrops, Pandoros et Métion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14.8-15.1). On ignore les motifs du conflit entre Athènes et Eleusis, même si on soupçonne fortement qu’ils sont liés à des prétentions territoriales contradictoires dans lesquelles Déméter et sa fille Perséphone servent de prétexte, comme on l’a expliqué plus haut. On sait en revanche, toujours grâce à pseudo-Apollodore, que les Eleusiens sont alors dirigés efficacement par un aventurier thrace aux origines obscures nommé Eumolpos (bâtard puisque désigné comme le fils d’un dieu selon la coutume expliquée à plusieurs reprises, en l’occurrence fils de Poséidon, ayant peut-être du sang indoeuropéen achéen dans les veines puisque le nom de sa mère "Chionè/CiÒnh" dérive de "neige/cièn" en grec, et Plutarque au paragraphe 5 de son anthologie mythologique Sur les fleuves révèle incidemment que cette Chionè a été l’épouse de Borée le vent du nord). Pour ne pas être vaincu, Erechthée appelle à l’aide Ion, comme le racontent différemment Strabon et Pausanias, et organise un sacrifice de prémices à la manière de ceux que nous avons longuement énumérés dans notre paragraphe précédent, ce qui le rattache indiscutablement à l’aire sémitique : il tue rituellement une de ses filles à on-ne-sait-quel dieu. Malheureusement pour lui, ses autres filles se suicident aussitôt après, liées à leur sœur par un serment secret. Erechthée remporte la victoire finale contre les gens d’Eleusis et contre Eumolpos ("La guerre éclata entre les Eleusiens et les Athéniens. Les Eleusiens appelèrent Eumolpos à la rescousse, qui combattit à leurs côtés avec une puissante armée thrace. Erechthée interrogea l’oracle pour savoir si les Athéniens vaincraient : le dieu répondit que la victoire était possible à condition d’immoler une de ses filles. Erechthée sacrifia la plus jeune. Alors ses sœurs s’égorgèrent aussi parce que, dit-on, elles avaient prêté serment mutuel de mourir ensemble. Dans la bataille qui suivit, Erechthée tua Eumolpos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.4), mais c’est une victoire au goût de défaite, car il n’a plus de filles, et ses fils s’entre-déchirent sur l’héritage. Selon le livre VII paragraphe 1 alinéa 2 précité de la Description de la Grèce de Pausanias, le vieux Xouthos est désigné par les Athéniens pour servir d’arbitre. Xouthos déclare publiquement que l’aîné Cécrops le jeune lui semble plus légitime comme roi que le cadet Métion. Cécrops le jeune devient donc le septième roi d’Athènes. Dépités par cette nomination, Métion et ses partisans machinent contre Xouthos, qui doit quitter Athènes comme nous l’avons dit précédemment. On ne sait rien de plus sur Cécrops le jeune, sinon qu’il engendre Pandion II, et que son règne paraît plus apaisé que celui de son père, malgré la sourde rumination de son frère Métion et de ses partisans ("Poséidon anéantit Erechthée et toute sa maison. Son fils aîné Cécrops devint roi. Il épousa Mètiadousa fille d’Eupalamos, qui lui donna Pandion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.5).


Tectamos fils de Doros, qui vit pauvrement dans l’étroit territoire de Doride coincé entre le mont Parnasse et la Béotie, part s’installer avec ses proches en Crète. Ce projet est réalisé au plus tôt dans la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C., au plus tard dans la première moitié du XIVème siècle av. J.-C. ("Selon les gens de Praisos [des Asianiques crétois, vivant près du mont Dikté dans l’est de l’île], la Crète dépeuplée reçut d’autres habitants, majoritairement des Hellènes [c’est-à-dire des "héritiers d’Hellen" le grand-père de Tectamos]", Hérodote, Histoire VII.171 ; "Nous avons déjà dit que les premiers habitants de l’île, des autochtones, s’appelaient “Etéocrètes”. Quelques siècles plus tard, les Pélasges, réduits à une vie errante à cause des guerres et des révolutions qu’ils subissaient, débarquèrent sur l’île de Crète et en occupèrent une partie. Le troisième peuple qui vint s’établir dans l’île furent les Doriens, sous la conduite de Tectamos fils de Doros", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.80). Diodore de Sicile dit que Tectamos est marié à une fille de son cousin Créthée (nous venons de voir que Créthée, fondateur de la cité d’Iolcos, est l’un des fils d’Eole oncle de Tectamos), et que cette épouse anonyme lui donne un fils, "Astérion/Aster…wn", qui semble un dérivé d’"Ishtar/Astarté" la déesse sémitique de l’amour ("Tectamos, fils de Doros, petit-fils d’Hellen, arrière-petit-fils de Deucalion, débarqua sur l’île de Crète avec des Eoliens et des Pélasges, et en devint roi. Marié à une fille de Créthée, il en eut un fils, Astérion", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.60). Nous sommes sûrs que le Sémite Tectamos ne débarque pas seulement avec sa famille et des pairs sémites, il débarque aussi avec des Indoeuropéens achéens : cela est prouvé indirectement par les pratiques funéraires indoeuropéennes qui se répandent en Crète à partir de cette époque, étudiées par Marija Gimbutas et ses disciples, et surtout par l’apparition du linéaire B, c’est-à-dire du grec, langue indoeuropéenne (la plus ancienne tablette en linéaire B, datée de la première moitié du XIVème siècle av. J.-C., a été retrouvée par l’archéologue Arthur Evans dans une couche d’incendie à Cnossos). Quel a été le gouvernement de Tectamos et de ses alliés indoeuropéens achéens ? L’archéologie peut nous aider. La salle dite "du trône" du palais de Cnossos, datée du Minoen récent II selon la chronologie relative d’Arthur Evans, soit la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C., trahit une nouvelle forme de pouvoir en Crète, plus autoritaire, plus centralisée. Dans les tombes de Zapher Papoura (nécropole de Cnossos), de Sellopoulo (dans la banlieue nord de Cnossos), d’Aghios Ioannis (nécropole de Phaistos), datées aussi du Minoen récent II, ont été retrouvées un grand nombre d’armes (dagues, lances, épées), ce qui suppose l’émergence d’une classe militaire. Les couches d’incendie observées dans toute l’île de Crète datées de la fin du Minoen Récent I à Amnisos (port de Cnossos), à Nirou Khani (à l’est d’Amnisos), à Sklavokampo (à l’ouest de Tylissos), à Mochlos (à l’est de Gournia), et à Pseira (îlot au large de Mochlos) qui cessent d’être occupés, ainsi qu’à Phaistos (site archéologique dans la plaine de la Messara, au sud de l’île), à Mallia (sur la côte nord-est de l’île) et à Zakros (port de l’extrême est de l’île) dont les palais perdent leur fonction administrative même si les habitations accolées sont toujours occupées, et encore à Tylissos (à l’ouest de Cnossos), à Gournia (dans l’est de l’île, à mi-chemin entre Mallia et Zakros), à Aghia Triada (site archéologique près de Phaistos), à Palaikastro (au nord de Zakros, à l’extrême est de l’île), à Kydonia (aujourd’hui La Canée, capitale de l’île), à Pyrgos (site archéologique dans la banlieue est de Myrtos, sur la côte sud de l’île), interdisent l’hypothèse d’une catastrophe naturelle type séisme, car ces traces d’incendie s’observent seulement sur les bâtiments cossus et leurs dépendances immédiates - anciennes résidences du seigneur local et de ses fonctionnaires ? - tandis que les autres maisons sont épargnées : ces destructions sont dues à des actes humains, peut-être décrétés par la volonté du roi de Cnossos, les seigneurs régionaux sont soit tués soit contraints de s’installer à Cnossos pour y flatter le nouveau pouvoir afin qu’il leur laisse leurs privilèges (plus tard la même politique sera appliquée par Darius Ier à Persépolis vis-à-vis des satrapes impériaux, et plus tard encore par Louis XIV à Versailles vis-à-vis de la vieille noblesse française). On remarque également l’absence quasi absolue de céramiques de l’Helladique Récent en Crète, en parallèle à la diffusion quasi industrielle partout en mer Egée de la céramique dite "du palais" issue des ateliers de Cnossos du Minoen Récent II, ce qui sous-entend une hégémonie progressive de la Crète sur la mer Egée (qui aboutira à la thalassocratie de Minos II vers -1300, dont nous parlerons plus loin). Signalons pour l’anecdote que le lien entre l’Egypte et la Crète, où les Sémites minoens sont désormais remplacés par des bâtards mélangeant sang achéen, sang asianique (les "Etéocrètes", comme ceux de Praisos) et sang sémitique (via Tectamos arrière-petit-fils du Sémite Deucalion), perdure, même s’il n’est plus aussi exclusif qu’auparavant. Sur le mur ouest de la salle transversale de la tombe de Rekhmarê, dans la nécropole de Gournah (francisation du nom arabe moderne "Scheik Abd el-Qurna", sur la rive gauche du Nil, entre Médinet-Habou au sud et la Vallée des Rois au nord, dans la banlieue ouest de Ta-Opet/Thèbes en Egypte), ministre de Thoutmosis III au milieu du XVème siècle av J.-C., on voit des ambassadeurs "de Chypre/Kaphor (alias "kftjw") et des îles au milieu de la mer". On observe que les pagnes de ces ambassadeurs ont été retouchés : certains historiens des Arts suggèrent que ces retouches sont dues aux artistes égyptiens qui, ayant dans un premier temps copié les représentations antérieures des habitants minoens de Chypre et de Crète (par exemple celle de la fresque hyksos d’Avaris/tell el-Daba du XVIIIème/XVIIème siècles av. J.-C., conservée aujourd’hui au Musée archéologique d’Héraklion en Crète, montrant des individus à la peau rouge et aux longs cheveux bouclés), se sont aperçus dans un second temps que ces habitants avaient changés, qu’ils n’étaient plus majoritairement des Sémites à la peau basanée et aux vêtements sommaires mais des Indoeuropéens à la peau claire et aux vêtements plus riches, et ont essayé de corriger en conséquence. Parmi les objets représentés, on remarque des vases en style "du palais" typique du Minoen récent II, assurant le lien entre le règne de Thoutmosis III et le changement de population en Crète, et des plaques de bronze en forme de peau d’animal tendue similaires à celles que les archéologues découvriront dans l’épave mycénienne d’Uluburun. La relation entre la Crète devenue dorienne et l’Egypte est confirmée en 1963 par l’exhumation d’une amphore portant le cartouche de Thoutmosis III dans une tombe du site archéologique de Katsamba, sur la côte dans la banlieue nord de Cnossos, parmi des poteries du Minoen récent II. Dans l’Aménophium, temple funéraire du pharaon Amenhotep III à Kom el-Hettan (sur la rive gauche du Nil, face à Louxor en Egypte) dans la première moitié du XIVème siècle av. J.-C., sur le socle de la statue découverte par l’égyptologue allemand Hebert Ricke que nous avons déjà mentionné dans notre paragraphe introductif, les noms de "Chypre/Kaphtor" (alias "kftjw") et de sites crétois (la cité de "Phaistos" alias "bjstj" face à l’Egypte, la cité de "Cnossos" alias "knws", le port d’"Amnisos" voisin alias "imnjs", la cité de "Kydonia" alias "ktwnj" face au continent européen) sont traités de la même façon que ceux de l’île de "Cythère" alias "ktjr", de la province de "Messénie" alias "mznj", du port argien de "Nauplie" alias "nwpjrjy", du territoire des "Danaens" alias "tnyw" (c’est-à-dire les habitants d’Argos, descendants du hyksos Danaos), de la nécropole de "Mycènes" alias "mwkjnw", et peut-être aussi de la province anatolienne d’"Iliade" alias "wjrjy" (à comparer à "Wilussa" dans les textes hittites, autour de l’actuel golfe d’Edremit en Turquie, contrôlée par la cité maritime de Troie au nord). La découverte de deux scarabées portant le nom d’Amenhotep III respectivement dans une tombe d’Ialysos sur l’île de Rhodes et sur le site archéologique de Sellopoulo dans la banlieue nord de Cnossos en Crète, d’un autre scarabée portant le nom de Tiyi l’épouse d’Amenhotep III à Aghia Triada en Crète, d’un vase portant le cartouche d’Amenhotep III dans la tombe 49 à Mycènes, que nous devons analyser parallèlement aux céramiques mycéniennes retrouvées dans l’Aménophium lors des fouilles de Flinders Petrie à la fin du XIXème siècle, confirme l’accroissement des échanges dans cette première moitié du XIVème siècle av. J.-C. entre le monde égyptien de la XVIIIème Dynastie et le monde égéen de moins en moins sémitique.


A Argos, dans la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C. ou dans la première moitié du XIVème siècle av. J.-C. selon notre chronologie relative, le roi Abas meurt. Son fils aîné Acrisios lui succède, tandis que son fils cadet Proétos, amer, incapable de s’entendre avec Acrisios, s’installe à l’écart pour fonder la cité de Tirynthe ("Lyncée succéda à Danaos sur le trône d’Argos. Hypermnestre lui donna un fils : Abas. Celui-ci épousa Aglaé fille de Mantineus, qui lui donna des jumeaux : Acrisios et Proétos. Les deux bébés commencèrent à se quereller quand ils étaient encore dans le ventre de leur mère. Devenus adultes, ils se combattirent pour le pouvoir. Acrisios vainquit, et chassa Proétos d’Argos. Ce dernier alla en Lycie auprès du roi Iobatès, ou d’Amphianax selon certains, dont il épousa la fille nommée “Anteia” chez Homère ou “Sthénéboia” chez les auteurs tragiques. Son royal beau-père lui ayant donné une troupe de Lyciens, Proétos put revenir pour occuper Tirynthe, que les Cyclopes fortifièrent. C’est ainsi que l’Argolide fut divisée entre les deux frères, Acrisios régnant à Argos, et Proétos régnant à Tirynthe", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 2.1 ; "Abas fils de Lyncée eut deux fils qui se partagèrent le royaume : Acrisios régna sur Argos, et Proétos régna sur Héraion, Midéa, Tirynthe et toute la côte maritime de l’Argolide. On voit encore aujourd’hui des vestiges de la demeure de Proétos à Tirynthe", Pausanias, Description de la Grèce, II, 16.2 ; le suffixe supposé asianique "-nthos" de "Tirynthe/T…runqoj" suggère une occupation autochtone antérieure à Protéos, le préfixe quant à lui rappelle l’étymon maritime supposé sémitique "trʃ" associé aux Levantins/Minoens/Atlantes dont Proétos est issu par son ancêtre Danaos, le nom "Tirynthe" trahit peut-être une alliance intéressée entre le Sémite Proétos et les Asianiques locaux contre l’hégémonie d’Acrisios). La mythologie dit que les murs de Tirynthe sont élevés par des "Cyclopes/KÚklwy", terme à l’étymologie incertaine désignant traditionnellement des hommes dotés d’un seul œil : doit-on voir dans ces personnages des simples serviteurs aux gros bras et au petit cerveau, qui ne vivent que pour obéir à leur maître - d’où leur œil unique : ils ne regardent que ce que leur maître leur ordonne de regarder -, par opposition aux rois argiens antérieurs qui, depuis Argos "Panoptès" que nous avons évoqué plus haut, avaient des yeux et des informateurs partout ("PanÒpthj", littéralement "qui voit tout") ? ou représentent-ils la division et l’affaiblissement de l’Argolide, les partisans d’Acrisios et les partisans de Proétos étant assimilés à deux yeux qui louchent au lieu de regarder dans la même direction ? Mystère ("En allant d’Argos à Epidaure, on trouve à droite un édifice ressemblant à une pyramide, portant des boucliers de type argien : on raconte que c’est là que Proétos et Acrisios se battirent pour la couronne. La victoire resta indécise, aucun des deux princes ne parvenant à s’imposer à l’autre, ils firent donc la paix. Eux et leurs troupes portaient des boucliers, pour la première fois. Comme les morts des deux côtés étaient originaires du même pays et unis par le sang, on leur érigea un tombeau commun sur le champ de bataille. Un peu plus loin, en tournant à droite, on trouve les ruines de Tirynthe. […] Il ne reste de Tirynthe que les murs élevés par les Cyclopes, constitués de pierres si grosses que même deux mulets attelés ne pourraient pas les bouger, les interstices sont comblés avec des pierres plus petites. En descendant vers la mer, on voit les chambres des filles de Proétos", Pausanias, Description de la Grèce, II, 25.7-9). Acrisios épouse Eurydice fille de Lacédémon et de Sparta, qui lui donne une fille, Danaé ("De son épouse Eurydice fille de Lacédémon, Acrisios eut une fille : Danaé", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 2.2 ; ce fait est rappelé incidemment par le même auteur dans la même œuvre, au livre III paragraphe 10 alinéa 3, que nous avons cité dans notre paragraphe introductif).


Nous avons dit plus haut que Danaos est un Sémite hyksos chassé d’Egypte qui a préféré tenter une nouvelle vie en mer Egée vers -1550/-1500 plutôt que rester sur les terres levantines de son oncle Agénor. La mythologie grecque a gardé le souvenir d’un autre Agénor plus tardif, roi de la cité de Tyr (aujourd’hui Sour au Liban), père d’une fille célèbre, Europe, et de trois fils également promis à une longue postérité : Phénix, Cilix et Cadmos, vers -1400 (ces deux Agénor appartiennent peut-être à la même famille, l’un étant l’ancêtre de l’autre, selon l’habitude patronymique antique : les numismates ont autant de difficultés à distinguer nettement deux "Abdastart" en sémitique ou "Straton" en grec à l’ère classique, celui-ci roi de Sidon mentionné par Athénée de Naucratis [Deipnosophistes XII.41] et par le document II/2 n°141 des Inscriptions grecques allié d’Athènes dans la première moitié du IVème siècle av. J.-C., celui-là roi d’Arados mentionné par Arrien [Anabase d’Alexandre le Grand, II, 13.7] et par Quinte-Curce [Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 1.5] qui se soumet à Alexandre le Grand dans la seconde moitié du même IVème siècle av. J.-C., les spécialistes de l’Arabie nabatéenne de la fin de l’ère hellénistique et du début de l’ère impériale peinent pareillement à distinguer les rois de cette région, qui portent souvent le nom d’"Arétas" en vertu de la même loi patronymique ; cette homonymie provoque souvent des confusions, comme chez pseudo-Apollodore qui mélange les deux Agénor : "Libye eut de Poséidon deux fils, Bélos et Agénor. Bélos régna sur l’Egypte et eut les fils que nous avons nommés précédemment. Agénor quant à lui se rendit en Phénicie. Il épousa Téléphassa, qui lui donna une fille, Europe, et trois garçons : Cadmos, Phénix, et Cilix. Certains disent qu’Europe n’était pas la fille d’Agénor, mais celle de Phénix [allusion à Iliade XIV.321-322, qui présente Europe comme la "fille/kÒrh" et non pas la "sœur/¢delf»" de Phénix]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 1.1). Comme son aïeul Danaos, Agénor voit dans la mer Egée la possibilité d’une nouvelle fortune : en regardant la carte, on comprend à quel point quiconque contrôle les côtes nord-est de la Méditerranée s’assure en effet le monopole du commerce entre le Moyen-Orient et le continent nord-occidental - qui n’a pas encore de nom à cette époque. Reste à trouver le prétexte pour une telle appropriation. L’histoire que la mémoire collective attache à Agénor roi de Tyr reproduit celle que nous avons détaillée à plusieurs reprises ici et là en Méditerranée orientale ancienne : un navire accoste, des marins en descendent, des liens de diverses natures se créent entre eux et les femmes de l’endroit, et quelques mois plus tard on retrouve l’une de ces femmes à l’autre bout de la Méditerranée, précisément d’où est originaire le navire en question, mère d’un fils ou d’une fille que la mythologie assure être un(e) enfant de Poséidon ou de Zeus, mais que le bon sens et l’absence de foi nous incitent plutôt à attribuer à l’un des marins de ce navire, tandis que d’un côté la famille de la femme crie à la famille de ce marin : "Vous avez kidnappé notre fille, notre mère, notre princesse ! Vous avez attenté à son honneur, et au nôtre par la même occasion ! Nous avons donc le droit de vous attaquer !", et de l’autre côté la famille du marin crie à la famille de cette femme : "Pas du tout ! Votre princesse, votre mère, votre fille, nous ne l’avons pas kidnappée : elle est venue chez nous de son plein gré, parce qu’elle a estimé qu’elle serait plus heureuse chez nous que chez vous ! Nous n’avons donc pas attenté à votre honneur, ni au sien, nous avons donc le droit ne nous défendre !". C’est le scénario d’Io en Argolide, de Perséphone en Attique, d’Hélène de Sparte plus tard. Un bateau en provenance de Crète, qui est alors dominée par Astérion - le fils de Tectamos, ce dernier étant probablement mort à cette date -, accoste à Tyr. Des marins en descendent, qui se lient avec des filles de l’endroit, l’un d’eux en particulier s’acoquine avec Europe la fille d’Agénor. Peu de temps après, on retrouve Europe en Crète, enceinte du futur Minos, que la mythologie assure être un enfant de Zeus (on note que, dans cette affaire, les mythologues précisent que Zeus s’est transformé en taureau, animal emblématique du dieu sémitique de l’Orage Addu, ce qui suggère qu’originellement ce ne sont pas des adorateurs de Zeus qui ont emmené Europe, mais des adorateurs sémitiques d’Addu, que les mythologues grecs ont hellénisés a posteriori ; on note par ailleurs que cette métamorphose de Zeus en taureau rappelle la métamorphose d’Io en vache naguère, trahissant peut-être une tentative de légitimer l’enlèvement d’Europe en la consacrant au dieu Addu incarné par l’image du taureau, comme naguère les marins hyksos ont tenté de légitimer l’enlèvement d’Io en la consacrant à la déesse Isis incarnée par l’image de la vache ; "Zeus tomba amoureux [d’Europe]. Il se transforma en un doux taureau, fit monter la jeune fille sur sa croupe, et la mena par mer jusqu’en Crète, où ils s’unirent", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 1.1). Agénor saute sur l’occasion pour crier aux Crétois : "Vous avez kidnappé ma royale fille, vous avez attenté à son honneur et au mien, j’ai donc le droit d’envoyer mes fils vous attaquer !". C’est-à-dire qu’au fond, la disparition de sa fille emportée par des Crétois est une aubaine : elle lui sert d’argument pour concrétiser le projet de colonisation qu’il fomentait de longue date. Ne nous laissons pas tromper par le discours de façade : si les fils débarquent séparément dans des endroits éloignés, ce n’est pas "parce que leur père Agénor leur a interdit de revenir au Levant sans Europe" et "parce qu’ils n’ont pas retrouvé sa trace" comme le dit ingénument la mythologie, mais parce qu’Agénor leur a ordonné délibérément de débarquer séparément et à distance en laissant Europe en Crète, et en espérant que l’enfant qu’elle attend saura se souvenir de sa parenté avec ses aïeux levantins quand il sera adulte. Au terme de cette opération, on constate sur la carte que les Tyriens contrôlent stratégiquement tous les points de la route commerciale maritime nord. Phénix reste au Levant pour assurer la succession de son père : la région qu’il contrôle prendra son nom, la "Phénicie" (notons que ce Phénix fils d’Agénor vers -1400 ne doit pas être confondu avec son homonyme Phénix compagnon d’Achille lors de la guerre de Troie vers -1200, mentionné en Iliade XVI.196). Cilix prend possession du rivage continental face à l’île de Chypre, qui prendra aussi son nom, la "Cilicie", peut-être dérivé de l’étymon sémitique "trʃ" comme la cité de "Tarse" qui y est fondée (nous renvoyons sur ce sujet à notre paragraphe introductif, et au livre VII paragraphe 91 de l’Histoire d’Hérodote et au livre III paragraphe 1 alinéa 6 de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore qui nous ont servi de références). Cadmos quant à lui continue à naviguer vers l’ouest, il fait escale sur l’île de Rhodes où son aïeul Danaos a vécu temporairement jadis ("Cadmos fils d’Agénor, à la recherche d’Europe sur ordre de son père le roi, débarqua à Rhodes. Assailli par une violente tempête, il avait fait vœu d’élever un temple à Poséidon. Il construisit donc ce temple dans l’île de Rhodes, en laissant quelques Phéniciens dédiés. Ces derniers se mêlèrent aux gens d’Ialysos, partagèrent leur citoyenneté, et choisirent parmi eux leurs successeurs au sacerdoce. Cadmos honora aussi Athéna Lindia par des offrandes, dont une magnifique baignoire en bronze travaillée à la manière ancienne, portant une inscription en caractères phéniciens qu’on dit avoir été apportés en Grèce", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.58), puis traverse la mer Egée pour débarquer en Béotie, près d’une cité appelée "Mycalessos" non localisée par l’archéologie ("On dit que [Mycalessos] doit son nom à la vache qui beugla ["muk£smai", "mugir, rugir"] sur place, orientant ainsi Cadmos et son armée vers Thèbes", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 19.4). Puis il construit sur une hauteur un bâtiment fortifié à mégaron auquel il donne son nom, "Cadméia/Kadme…a", francisé en "La Cadmée", future acropole de Thèbes ("Le roi phénicien Agénor, en envoyé son fils Cadmos à la recherche de la princesse Europe, lui défendit de revenir en Phénicie sans elle. Après avoir parcouru de nombreux pays sans la trouver, Cadmos contraint de renoncer à sa patrie débarqua en Béotie, et y bâtit la cité de Thèbes selon le conseil d’un oracle", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.2 ; selon Clément d’Alexandrie, Cadmos a débarqué aussi en Thrace, près du mont Pangée ["Ce fut le Phénicien Cadmos qui découvrit les premières mines d’or du mont Pangée", Clément d’Alexandrie, Stromates I.16], on ignore si c’est avant ou après son installation en Béotie). Il entre en conflit avec des autochtones, les "Semés/Sparto…", avant d’en faire des alliés, parmi lesquels son futur gendre Echion. Sur ces "Semés", la tradition rapporte des histoires fantastiques mêlant des dieux et un dragon, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas, qui ravissent encore les pulsions philosophico-masturbatoires des hellénistes intégristes ("[Cadmos] se rendit à Delphes pour interroger le dieu [Apollon] sur la disparition de sa sœur Europe. Le dieu lui répondit de ne plus se soucier d’Europe, de prendre une vache pour guide, et de fonder une cité où cette vache fatiguée se coucherait. Ayant reçu cette réponse, Cadmos parcourut la Phocide, il rencontra une vache dans les pâturages de Pélagon, il la suivit. L’animal traversa la Béotie, et se coucha dans l’endroit où aujourd’hui s’élève la cité de Thèbes. Cadmos voulut sacrifier la vache à Athéna, il envoya quelques-uns de ses compagnons puiser de l’eau à la source d’Arès. Mais cette source était gardée par un dragon, ou par le fils d’Arès selon certains, qui tua presque tous les hommes de Cadmos. Furieux, Cadmos tua le dragon, puis, sur le conseil d’Athéna, il sema les dents de la bête. De celles-ci plantées dans la terre surgirent des hommes armés, qu’on appela “les Semés”. Ces hommes commencèrent aussitôt à s’entre-tuer, volontairement ou non. Phérécyde dit que Cadmos, en voyant surgir de terre ces hommes armés, jeta une pierre sur l’un d’eux, qui pensa que son compagnon l’avait lancée, et c’est ainsi que la bagarre commença. Seuls cinq se sauvèrent : Echion, Oudaios, Chthonios, Hypérénor et Péloros", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4.1 ; "Sous le règne [de Cadmos], les Semés eurent beaucoup de pouvoir : Chthonios, Hypérénor, Péloros, Oudaios, et Echion le plus réputé d’entre eux, qui eut l’honneur de devenir le gendre de Cadmos. N’ayant rien découvert sur l’origine de ces Semés, je m’en tiens à la tradition, qui dit qu’on les nomma “Semés” en raison de la manière dont ils sont nés", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.3). Le Marbre de Paros remonte cet événement à l’époque d’Amphictyon fils de Deucalion et frère d’Hellen, précisément en -1519/-1518 ("Depuis que Cadmos fils d’Agénor vint en Thébaïde [texte manque] et construisit La Cadmée, mille deux cent cinquante-cinq ans se sont écoulés, Amphictyon était roi à Athènes", Marbre de Paros A7) : cette datation à la fin du XVIème siècle av. J.-C. est beaucoup trop haute si l’on veut respecter les cohérences internes de la mythologie grecque. Clément d’Alexandrie dit que Cadmos est un contemporain de Lyncée, gendre et successeur de Danaos sur le trône d’Argos au XVème siècle av. J.-C. ("Cadmos, le père de Sémélé, s’installa à Thèbes du temps de Lyncée, et fut l’inventeur des lettres grecques", Clément d’Alexandrie, Stromates I.21) : cette datation est aussi incohérente avec les données de la mythologie grecque. Pour notre part, nous situons la fondation de La Cadmée au plus tôt à la fin du XVème siècle av. J.-C., au plus tard au début du siècle suivant.


Le personnage de Minos, tel qu’il est raconté par la tradition, est irrecevable d’un point de vue chronologique (même si les textes et l’archéologie nous permettent de le situer assurément à l’ère mycénienne : rappelons au passage que le qualificatif "minoenne" pour désigner l’ère précédant cette ère mycénienne, est dû à l’archéologue Arthur John Evans au début du XXème siècle, qui a recouru commodément mais maladroitement à ce qualificatif pour souligner la différence entre les découvertes de nature achéenne effectuées par son pair Heinrich Schliemann à la fin du XIXème siècle, et ses propres découvertes de nature alors inconnue effectuées en Crète, autrement dit Minos n’a pas vécu à l’ère dite "minoenne", mais à l’ère mycénienne suivante…). Les principales étapes de sa biographie traditionnelle sont les suivantes. Fruit des amours entre la princesse levantine Europe fille d’Agénor et le dieu Zeus - ou plus certainement un marin crétois de passage à Tyr, selon la lecture au premier degré que nous avons expliquée plus haut -, Minos naît et grandit en Crète. Astérion le roi de Crète, n’ayant pas d’enfant, l’adopte. Minos devient ainsi roi de Crète à la mort d’Astérion. Le temps passe. Minos engendre un fils nommé Androgée. Devenu adulte, cet Androgée participe à une compétition sportive à Athènes, dont il remporte toutes les épreuves. Ses adversaires malheureux, minés par la jalousie, le tuent. Minos demande réparation aux Athéniens pour le meurtre de son fils : ceux-ci devront lui livrer annuellement sept jeunes garçons et sept jeunes filles, qu’il sacrifiera au Minotaure, un monstre mi-homme mi-taureau enfermé dans le Labyrinthe, un bâtiment spécialement aménagé par l’architecte de Minos, un Athénien en exil nommé Dédale. Les Athéniens n’ont pas les moyens de s’opposer à la puissance militaire crétoise, ils acceptent donc de livrer quatorze de leurs enfants chaque année à Minos. Le temps passe encore, dans la monotonie de ce rituel sanglant. Mais une année, parmi les sept jeunes garçons livrés à la Crète, se trouve un certain Thésée, qui n’accepte pas de se laisser immoler, et qui réussit à toucher le cœur d’Ariane l’une des filles de Minos. Le jour du sacrifice, Ariane donne secrètement une bobine de fil à Thésée. Jeté dans le Labyrinthe, Thésée déroule le fil au fur et à mesure qu’il avance. Il tue le Minotaure on-ne-sait-comment. Il s’échappe ensuite du bâtiment en suivant le fil vers où il est entré. Il regagne Athènes qui, ainsi délivrée du Minotaure et de l’obligation de livrer ses enfants à la Crète, l’élit roi. Minos est furieux. Comme il ne peut pas exercer sa colère contre sa fille Ariane enfuie avec Thésée - qui la délaissera bien vite : l’amour de celle-ci pour celui-là n’était pas réciproque… -, il se retourne contre Dédale, qu’il accuse d’avoir aidé Thésée à sortir du Labyrinthe. Craignant pour sa vie, Dédale s’enfuit à son tour avec son fils Icare par la voie des airs. Icare tombe dans la mer et se noie à cause d’une imprudence. Dédale quant à lui parvient en Sicile, où il est accueilli amicalement par Kokalos le roi de la cité de Kamikos. Minos rassemble tous ses navires et tous les soldats à sa disposition, qu’il dirige personnellement vers la Sicile, à la poursuite de Dédale. La flotte arrive à Kamikos. Kokalos invite Minos dans sa demeure, mais, fidèle à Dédale, fomente son assassinat. Ainsi s’achève la vie mythologique de Minos. Une vie impossible. Car l’histoire d’amour entre Europe et Zeus, nous venons de le voir, se situe à l’époque d’Agénor roi de Tyr, au milieu de l’ère mycénienne, au tournant des XVème et XIVème siècles av. J.-C. La vie de Thésée quant à elle date d’une génération avant la guerre de Troie, à l’extrême fin de l’ère mycénienne, au XIIIème siècle av. J.-C. Autrement dit, Minos serait né au plus tard vers -1400, et il aurait imposé un tribut de jeunes Athéniens et subi la révolte de Thésée au plus tôt vers -1300 ! Le seul moyen de sortir de cette absurdité narrative, est d’admettre que plusieurs "Minos" ont existé en Crète, comme beaucoup plus tard plusieurs "Louis" règneront en France ou plusieurs "Henri" règneront en Angleterre. Cette hypothèse est d’autant plus crédible qu’aux ères hellénistique et impériale, les historiens, qui sont pourtant beaucoup plus rigoureux que les mythologues les ayant précédés, ont encore beaucoup de mal à distinguer nettement Ptolémée Ier, Ptolémée II, Ptolémée III, Ptolémée IV, etc., ou Séleucos Ier, Séleucos II, Séleucos III, Séleucos IV, etc., ou Antiochos Ier, Antiochos II, Antiochos III, Antiochos IV, etc. : on peut supposer, même si nous n’en avons aucune preuve matérielle, que l’Histoire de la Crète à l’ère mycénienne a compté pareillement plusieurs Minos - comme l’Athènes de l’ère mycénienne a compté plusieurs Pandion, et plusieurs Cécrops. Telle est en tous cas la version avancée par Diodore de Sicile qui, souvent très critiquable dans sa chronologie, est en revanche crédible dans l’exposé des faits : le fils bâtard d’Europe, adopté par Astérion fils de Tectamos, devient roi sous le nom de "Minos Ier" après la mort d’Astérion qui l’a adopté, dans la première moitié du XIVème siècle av. J.-C., il a un fils appelé "Lycaste" qui lui succède au milieu du même siècle, et ce Lycaste engendre à son tour un fils reprenant le nom de son grand-père, "Minos II", et c’est à ce Minos II qui devient roi de Crète au tournant des XIVème et XIIIème siècles av. J.-C. que l’on doit rattacher les récits sur l’hégémonie crétoise en mer Egée, sur le conflit contre Athènes, sur le Minotaure et le Labyrinthe, sur la rébellion de Thésée et Ariane, sur la fuite de Dédale et sur l’expédition en Sicile, rapportés par la tradition ("On raconte que du temps où [Astérion fils de Tectamos] était roi de Crète, Zeus enleva la Phénicienne Europe, l’amena dans l’île de Crète, et en eut trois enfants : Minos, Rhadamanthe et Sarpédon. Ensuite le roi crétois Astérion épousa Europe, et comme lui-même n’avait pas d’enfant il adopta les fils de Zeus et leur laissa son royaume. Rhadamanthe fut le législateur des Crétois. Minos devint roi, il épousa Itone fille de Lyctios, et en eut Lycaste, qui lui succéda. Lycaste épousa Ida fille de Corybas, et en eut le second Minos, que certains disent fils de Zeus. Celui-ci créa une puissante flotte, et domina le premier sur la mer. Il épousa Pasiphaé fille d’Hélios et de Crètè, qui lui donna Deucalion, Catrée, Androgée, Ariane, et plusieurs autres enfants", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.60).


En Béotie, Cadmos a épousé Harmonie, d’origine inconnue (fille d’Arès !), qui lui a donné quatre filles et un fils, soit dans l’ordre, selon pseudo Apollodore et selon le poète Nonnos de Panopolis du Vème siècle : Autonoé, Ino, Agavé, Sémélé, puis leur frère Polydoros ("Zeus donna comme épouse [à Cadmos] Harmonie fille d’Arès et d’Aphrodite. Tous les dieux quittèrent le ciel et descendirent dans La Cadmée pour festoyer et honorer par des hymnes le mariage de Cadmos et d’Harmonie. […] Cadmos eut quatre filles : Autonoé, Ino, Sémélé et Agavé, et un fils : Polydoros. Ino épousa Athamas, Autonoé épousa Aristée, et Agavé épousa Echion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4.2 ; "Bientôt soumise au joug des amours conjugaux et à leur charme régulier, Harmonie engendra en peu de temps une nombreuse famille, quatre cycles lunaires de neuf mois lui ayant suffi pour mettre au monde quatre filles. Autonoé, échappée après neuf mois des flancs maternels, lui provoqua la première les douleurs de l’enfantement. Ino vint ensuite, Ino à la belle taille, épouse d’Athamas, destinée à enfanter deux jumeaux [Léarchos et Mélicerte]. La troisième fut Agavé, épouse d’un des géants nés des dents du dragon [Echion], mère d’un fils semblable à son père [Penthée]. Sémélé fut la quatrième, Sémélé image des Charites [déesses de la séduction, de la beauté, de la fécondité] au charmant visage, réservée à Zeus en dépit de sa jeunesse, à qui la nature avait accordé le privilège de la plus parfaite beauté. A cette génération féminine vint s’ajouter un fils qu’Harmonie présenta tardivement à son heureux époux : Polydoros, astre lumineux de la terre d’Aonie ["Aon…a", autre nom de la Béotie], né après sa sœur Sémélé belle comme la rose, dont Penthée usurpa la légitime royauté en l’éloigna du sceptre de Thèbes", Nonnos de Panopolis, Dionysiaques V.190-210). Laissons de côté l’aînée, Autonoé, qui ne présente pas d’intérêt dans notre étude. Intéressons-nous plutôt à Ino, qui, devenue adulte, nous l’avons dit brièvement plus haut, épouse Athamas l’un des fils d’Eole. Hérodote nous apprend incidemment que cet Athamas dans sa jeunesse a été promis à un sacrifice de prémices, et a été sauvé par l’intervention d’un "Kytissoros fils de Phrixos" originaire de la cité d’Aia en Colchide ("Les guides [du Grand Roi perse Xerxès Ier, lors de l’invasion de la Grèce par les armées perses en -480] expliquèrent que [par le passé, à l’ère mycénienne] les personnes destinées à être immolées avaient souvent peur et s’enfuyaient à l’étranger, et que si elles revenaient après un temps et étaient prises avant d’entrer dans le prytanée elles étaient sacrifiées, ils racontèrent aussi comment la victime était sacrifiée, entourée de bandelettes, conduite à l’autel en grande pompe. Ainsi Kytissoros fils de Phrixos avait attiré le mauvais sort sur ses descendants : au moment où les gens d’Achaïe [c’est-à-dire la Thessalie, où cohabitent les Achéens indoeuropéens et les Hellènes sémitiques à l’ère mycénienne, à ne pas confondre avec la région homonyme d’Achaïe dans le Péloponnèse : ces explications apportées par les guides perses datent du moment où Xerxès Ier parvient à l’actuel golfe Maliaque, juste avant la célèbre bataille des Thermopyles], sur l’ordre d’un oracle, s’apprêtaient à sacrifier Athamas fils d’Eole pour purifier le pays, ce Kytissoros était arrivé d’Aia en Colchide et l’avait sauvé de leurs mains, provoquant la colère du ciel sur sa progéniture", Hérodote, Histoire VII.197). Pseudo-Apollodore de son côté nous apprend qu’Athamas a été ensuite marié à une "Néphélé" d’origine inconnue ("Nefšlh", peut-être un dérivé de "nšfoj/nuage"), qui lui a donné une fille nommée "Hellé", probablement en hommage à son grand-père "Hellen", et un fils nommé "Phrixos", probablement en hommage au père de ce Colchidien Kytissoros "fils de Phrixos". Athamas épouse Ino en secondes noces, qui lui donne deux fils nommés Léarchos et Mélicerte ("Athamas fils d’Eole régna sur la Béotie. De Néphélé il eut un fils, Phrixos, et une fille, Hellé. Puis il épousa Ino, qui lui donna Léarchos et Mélicerte", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.1). Ino, désireuse d’assurer à ses seuls fils l’héritage d’Athamas, machine la perte d’Hellé et Phrixos : elle provoque une famine, et corrompt les oracles pour qu’ils persuadent la population d’offrir un nouveau sacrifice de prémices en immolant Hellé et Phrixos, afin de satisfaire les dieux et de mettre ainsi fin à cette famine. Pressé par la population, par les oracles, par Ino, Athamas consent à ce sacrifice rituel. Mais Hellé et Phrixos, aidé par leur mère Néphélé, parviennent à s’enfuir au moyen d’un "bélier à la toison d’or". Quelle réalité historique se cache derrière l’image de ce bélier ? Mystère. Les deux enfants parviennent en Chersonèse (aujourd’hui la presqu’île de Gallipoli). Lors de la traversée du détroit des Dardanelles (ainsi désigné depuis le passage de Dardanos, comme nous l’avons raconté plus haut), pour se rendre sur le continent asiatique, Hellé se noie : ce détroit portera désormais aussi son nom, l’"Hellespont" ("Ell»spontoj", littéralement la "mer/pÒntoj d’Hellé"). Phrixos continue le voyage seul. Il atteint Aia en Colchide, où l’accueille le roi Eétès. La toison d’or du mystérieux bélier y est conservée comme une relique sacrée ("Mais Ino voulait se débarrasser des enfants de Néphélé. Elle demanda aux femmes d’assécher les graines destinées aux semailles. Celles-ci dérobèrent alors en secret les graines conservées par leurs maris, et les firent sécher. Quand ces graines furent ensuite semées, elles ne produisirent naturellement qu’une maigre récolte. Athamas députa à Delphes pour demander au dieu ce qu’il devait faire pour éviter la famine. Ino convainquit ces députés de rapporter une réponse trompeuse, assurant que la terre redeviendrait fertile si Phrixos était sacrifié à Zeus. Après avoir entendu cette réponse, et sous la pression des habitants, Athamas mena Phrixos à l’autel du dieu. Mais Néphélé l’enleva, et sa fille avec, et elle leur donna un bélier à la toison d’or, cadeau d’Hermès. Les deux enfants montèrent dessus, et le bélier les emmena à travers le ciel, survolant les terres et les mers. Quand ils arrivèrent au détroit entre Sigée et la Chersonèse, Hellé tomba dans l’Océan et mourut : ce détroit reçut le nom d’“Hellespont” en hommage. Phrixos atteignit la Colchide, où régnait Eétès, fils d’Hélios et de Perséis, frère de Circé et de Pasiphaé l’épouse de Minos. Eétès l’accueillit, et lui donna pour femme l’une de ses deux filles, Chalciopé. Phrixos sacrifia à Zeus Phyxios ["FÚxioj/Protecteur des fugitifs"] le bélier à la toison d’or, et offrit sa peau à Eétès, qui la cloua sur un chêne dans le bois consacré à Arès", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.1 ; "Ino fille de Cadmos et d’Harmonie, ayant décidé de tuer Phrixos et Hellé les enfants de Nébula ["Nuage" en latin, alias "Néphélé" ches les Grecs], conspira avec toutes les femmes du peuple, elle leur demanda de griller les grains à semer afin qu’ils ne germassent pas, provoquant ainsi une disette et la mort dans la cité, soit par la famine, soit par la maladie. Athamas envoya à Delphes un serviteur, à qui Ino ordonna de rapporter un faux oracle incitant à sacrifier Phrixos à Jupiter [Zeus chez les Grecs] pour mettre fin au fléau", Hygin, Fables 2.1-2 ; "Phrixos et Hellé erraient dans la forêt. On dit que leur mère Nebula s’y rendit et leur amena un bélier doré, fils de Neptune [Poséidon chez les Grecs] et de Théophané, elle ordonna à ses enfants de grimper sur son dos, d’aller en Colchide après du roi Eétès fils du Soleil, et d’y sacrifier le bélier à Mars [Arès chez les Grecs]. On raconte qu’ils montèrent sur le bélier, qui les conduisit jusqu’à la mer, dans laquelle Hellé tomba : de là vient le nom de cette mer, l’“Hellespont”. Phrixos parvint en Colchide. Selon l’ordre de sa mère, il y sacrifia le bélier, et plaça sa toison d’or dans le temple de Mars", Hygin, Fables 2.1-2 ; "On compte une vingtaine de stades depuis Coronée jusqu’au sanctuaire de Zeus du mont Laphystion. La statue de Zeus est en marbre. On dit qu’Athamas se disposant à sacrifier en cet endroit ses enfants Phrixos et Hellé, Zeus leur envoya un bélier à la toison d’or, ils montèrent sur ce bélier et prirent la fuite", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 34.5). On ne peut pas dire grand-chose sur Agavé, la troisième fille, sinon que son père Cadmos la donne pour épouse à Echion, l’un des "Semés" autochtones dont nous avons parlé précédemment, avec lequel elle a un fils, Penthée (peut-être attesté en linéaire B sous la forme "pe-te-u" dans la tablette KN As 603). On ne dispose pas davantage d’informations sur l’unique héritier mâle, Polydoros, né tardivement, on sait seulement qu’il est vite écarté du trône par son neveu Penthée (selon le vers 210 précité du livre V des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis) qui a peut-être le même âge. Concentrons-nous donc sur la cadette, Sémélé, dont l’aventure d’un jour aura des conséquences ravageuses sur toute la famille. La tradition raconte que Sémélé, devenue jeune fille, est remarquée par Zeus, qui l’engrosse ("Sémélé fille de Cadmos, fécondée par les étreintes de Zeus, bien que mortelle, engendra un dieu, le renommé Dionysos qui propage l’allégresse", Hésiode, Théogonie 940-942). Héra, l’épouse de Zeus, apprend cette union, devient jalouse. Sémélé est également jalouse : elle demande à Zeus de choisir entre elle et Héra. Zeus affiche publiquement son choix pour Sémélé en apparaissant à ses côtés en plein jour. Cette révélation publique s’avère insupportable pour Sémélé, qui avorte et meurt en couches. Mais Zeus sauve l’avorton, qui reçoit le nom de "Bacchos" d’étymologie inconnue ("B£kcoj", qui deviendra "Bacchus" en latin ; les plus anciennes occurrences conservées de ce nom apparaissent dans les chœurs de Sophocle au Vème siècle av. J.-C., au vers 510 des Trachiniennes, au vers 154 d’Antigone et au vers 211 d’Œdipe roi), en le gardant dans sa cuisse en guise de couveuse (de là vient l’expression "sortir de la cuisse de Zeus" en grec, ou "sortir de la cuisse de Jupiter" en latin, qui signifie "sortir de nulle part" : appliquer cette expression à un être ou à une chose souligne son absence de légitimité, comme jadis le bâtard Bacchos/Bacchus), puis en confiant son éducation à des nourrices d’un lieu appelé "Nysa" en Méditerranée orientale, probablement l’actuel site troglodyte de Nevsehir en Turquie (Diodore de Sicile s’appuie sur un passage d’un hymne non retrouvé attribué à Homère, qu’il cite au livre I paragraphe 15 de sa Bibliothèque historique ["Nysa assise sur une colline verdoyante, loin de la Phénicie et près des fleuves de l’Egypte"], pour situer cette Nysa orientale au sud Levant, "en Arabie", ou "entre la Phénicie et l’Egypte", mais les archéologues qui ont bien fouillé cette région, de même que les historiens qui ont bien décortiqué les textes des géographes anciens, n’y ont retrouvé aucune cité pouvant correspondre à celle de Dionysos fils de Zeus et Sémélé ; dans tous les cas, cette Nysa orientale ne doit pas être confondue avec son homonyme occidentale "Nysa/Nefta" près du Chott el-Jérid en Tunisie, où a grandi Athéna, ainsi que Dionysos fils d’Ammon et Amalthée). C’est dans ce lieu de Nysa où il grandit que Bacchos reçoit le qualificatif de "Dionysos", littéralement l’"enfant de Zeus à Nysa" ("[Cadmos] épousa Harmonia fille d’Aphrodite, il en eut Sémélé, Ino, Autonoé, Agavé et Polydore. Sémélé, qui était très belle, fut aimée de Zeus. Mais comme Zeus ne la voyait qu’en secret, elle crut qu’il la méprisait, et lui demanda instamment de venir vers elle au grand jour de la même façon qu’il allait vers Héra. Zeus vint donc vers elle comme le tonnerre, armé de son foudre, dans un éclat que Sémélé, enceinte, ne supporta pas : elle avorta et elle brûla. Zeus prit aussitôt l’enfant, et le confia à Hermès avec ordre de l’emmener dans une grotte de Nysa entre la Phénicie et le Nil, afin qu’il y soit nourri et bien soigné par les nymphes. C’est ainsi que Bacchos fut surnommé “Dionysos” ["DiÒnusoj"], d’après les noms de “Zeus” ["D‹oj"] et de “Nysa” ["Nàsa"]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.2 ; Diodore de Sicile insiste bien sur l’absence du moindre lien entre ce Dionysos petit-fils de Cadmos au milieu de l’ère mycénienne, le Dionysos fils du roi atlante Ammon à l’ère minoenne dont nous avons parlé dans notre paragraphe introductif, et le Dionysos assimilé au dieu de l’agriculture Osiris de la mythologie égyptienne : "La tradition dit que le troisième Dionysos naquit à Thèbes en Béotie, de Zeus et de Sémélé fille de Cadmos. Epris de Sémélé qui était très belle, Zeus eut avec elle une relation assidue. Héra en devint jalouse. Pour se venger de sa rivale, elle prit la figure d’une des confidentes de Sémélé et lui dressa un piège. Sous ce déguisement, elle la convainquit que Zeus devait se présenter à elle “avec la même pompe que quand il se présentait à Héra”. S’étant ainsi laissée séduire, Sémélé exigea de Zeus la même pompe tonitruante qu’il accordait à Héra, armé de son foudre. Sémélé ne put soutenir l’éclat de cette apparition : elle avorta, et mourut. Zeus cacha aussitôt le fœtus dans sa cuisse, et quand ce fœtus eut achevé sa croissance pour devenir un enfant il le porta à Nysa en Arabie. Cet enfant fut élevé là par les nymphes, et appelé “Dionysos” en référence à son père et au lieu qui le nourrissait. Très beau, il passa sa jeunesse parmi des femmes, en festins, en danses et en toutes sortes de réjouissances. Composant ensuite une armée avec ces femmes, auxquelles il donna des thyrses pour armes, il parcourut toute la terre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.64). Cette histoire, derrière son habillage mythologique, ressemble à beaucoup d’autres que nous avons expliquées précédemment, en particulier celle d’Io : on peut supposer que la jeune princesse Sémélé a été consacrée à un sanctuaire d’Héra, un jour elle s’est laissée séduire par un homme de passage (un Indoeuropéen achéen ?), qui l’a engrossée, la perte de sa virginité a causé un scandale chez les dévots d’Héra, elle a cru apaiser ce scandale en faisant passer cet anonyme de passage pour Zeus, mais finalement la pression médiatique a vaincu sa résistance, elle a accouché prématurément et en est morte, et le jeune père a sauvé le nouveau-né en l’emmenant loin de La Cadmée. Telle est la version que suggèrent ses sœurs dans la tragédie Les bacchantes d’Euripide - qui a justement pour sujet le mystère de la naissance de Dionysos et ses conséquences -, une version que reprennent pseudo-Apollodore chez les Grecs et Ovide chez les Romains ("Zeus tomba amoureux de Sémélé, il s’unit avec elle, en cachette d’Héra. Zeus accorda à la jeune fille de lui demander tout ce qu’elle voulait : Sémélé, suivant un conseil trompeur d’Héra, lui demanda de venir à elle de la même manière amoureuse qu’il se montrait à Héra. Zeus ne put pas refuser. Il revint vers la couche de Sémélé sur son char, en lançant tonnerres et éclairs avec son foudre. Effrayée, Sémélé mourut dans les feux. Zeus prit le bébé de sept mois que la jeune femme portait dans son ventre, prématuré, et il le cousit dans sa cuisse. Les autres filles de Cadmos répandirent la rumeur que la mort de leur sœur était due à son union avec un homme quelconque qu’elle avait assimilé à Zeus, et que c’est pour la punir que Zeus l’avait foudroyée. Le fœtus étant parvenu à terme, Zeus défit les coutures de sa cuisse, et mit au monde Dionysos. […] Pour soustraire Dionysos à la colère d’Héra, Zeus le métamorphosa en chevreau, et Hermès le confia aux nymphes qui habitent à Nysa en Asie", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4.3 ; "“[Sémélé] attend un enfant, son ventre rebondi est la preuve de son crime. J’ai à peine connu ce bonheur [c’est Héra qui parle], tandis qu’elle doit sa première maternité au grand Jupiter [Zeus chez les Grecs], par sa seule beauté ! Je veux la décevoir. Que je ne sois plus la fille de Saturne [Kronos chez les Grecs], si elle n’entre dans les eaux du Styx, engloutie par son Jupiter !”. Elle se lève de son siège et, cachée dans un nuage insaisissable, se rend à la porte de Sémélé. Avant de dissiper le nuage, elle prend les traits d’une personne âgée, elle couvre ses tempes de cheveux blancs, trace des rides sur sa peau, déforme ses membres, adopte un pas tremblant et prend une voix de vieille femme, pour ressembler à Béroé la nourrice épidaurienne de Sémélé. Après une conversation longue et enjouée, elles citent le nom de Jupiter. La déesse soupire, et dit : “Ne crains-tu pas que ce soit un autre que Jupiter ? Tant d’hommes entrent dans le lit des vierges en prétendant être des dieux ! Il se prétend Jupiter ? Qu’il te donne un gage d’amour ! S’il est vraiment Jupiter, demande-lui de te montrer la grandeur et les qualités qu’il témoigne à la noble Junon [Héra chez les Grecs], de revêtir ses insignes avant de t’étreindre !”. Les propos de Junon travaillent l’esprit naïf de la fille de Cadmos. Elle demande à Jupiter un gage, sans autre précision. Le dieu lui dit : “Choisis, tu ne subiras aucun refus, et pour mieux te convaincre je prends à témoin le Styx brûlant et sa puissance divine que redoutent même les dieux”. Heureuse de son futur malheur, trop puissante, Sémélé perdue par la complaisance de son amant répond : “Donne-toi à moi avec la parure que tu portes pour étreindre la Saturnienne, quand vous engagez les ébats de Vénus [Aphrodite chez les Grecs]”. Le dieu veut l’interrompre en fermant sa bouche, mais les mots ont déjà été prononcés. Il gémit, car elle a souhaité ceci, et lui a juré cela. Plein de tristesse, il regagne les hauteurs éthérées, d’un signe de tête il attire les nuages, les orages, les éclairs, leur mêle les vents, le tonnerre et son foudre imparable. […] Il pénètre dans la maison d’Agénor. Le corps de la mortelle ne supporte pas le fracas de l’éther : il se consume, brûlé par le gage de l’amant. Le fœtus encore imparfait est arraché au ventre maternel, le frêle embryon est cousu dans la cuisse de son père - si du moins on peut croire cela - pour y achever sa gestation. L’enfant est élevé en secret par sa tante maternelle Ino, qui le confie ensuite aux nymphes de Nysa afin qu’elles le cachent dans leurs grottes et le nourrissent de leur lait", Ovide, Métamorphoses III.268-35). Notons que le nouveau-né, avant même de savoir parler et marcher, cause déjà la déchéance de sa tante Ino, auquel Zeus le confie temporairement avant de l’installer à Nysa : la tradition rapporte qu’Héra toujours jalouse provoque la mort de Léarchos, tué accidentellement par son père Athamas lors d’une chasse, elle retire aussi la raison à Ino, qui dans un moment de folie assassine son fils Mélicerte en le jetant dans l’eau bouillante avant de se tuer à son tour en se noyant volontairement dans la mer ("Zeus défit les coutures de sa cuisse, et mit au monde Dionysos. Il le confia à Hermès. Celui-ci le mena à Ino et Athamas, en leur demandant de l’élever comme une fille. Mais la déesse Héra, indignée, les frappa de folie. Athamas tua son fils aîné Léarchos lors d’une chasse, le prenant pour un cerf. Ino quant à elle jeta Mélicerte dans un chaudron d’eau bouillante puis, en tenant le cadavre de son enfant, elle se précipita dans les profondeurs de la mer. Elle fut dès lors surnommée “Leucothéa” ["Leukoqša", littéralement la "Blanche déesse", probable allusion à l’écume marine], et son enfant, “Palaimon” ["Pala…mwn", signification inconnue], c’est par ces noms que les marins invoquent du secours lors des tempêtes. En l’honneur de Mélicerte, Sisyphe institua les Jeux isthmiques. Pour soustraire Dionysos à la colère d’Héra, Zeus le métamorphosa en chevreau, et Hermès le confia aux nymphes qui habitent à Nysa en Asie", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4.3 ; "A cause de la colère de la déesse Héra, Athamas fut privé également des enfants qu’il avait eus avec Ino. Dans un moment d’égarement, il tua Léarchos, et Ino se jeta dans la mer avec Mélicerte. Banni de Béotie, Athamas demanda à l’oracle d’Apollon sur quelle terre il pouvait s’établir : le dieu lui répondit de s’arrêter là où les bêtes sauvages l’inviteraient à déjeuner. Athamas erra à travers de nombreuses régions, jusqu’au jour où il rencontra des loups qui mangeaient les restes d’une brebis. En le voyant, les loups s’enfuirent, abandonnant leur repas. Alors Athamas s’établit dans cette région, qu’il appela “Athamantie”", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.2). Veuf et sans enfants, Athamas se retirera auprès de son neveu Thersandre, l’un des fils de Sisyphe. Il ne trouvera le réconfort qu’une génération plus tard, quand Phrixos parvenu à l’âge mature, ou le fils de Phrixos selon les versions, reviendra de Colchide pour s’installer en Béotie ("Athamas, convaincu de ne plus avoir d’enfants mâles, puisqu’il avait lui-même provoqué la mort de Léarchos et de Mélicerte […], et qu’il ignorait si Phrixos vivait encore et s’il avait des enfants, adopta Haliartos et Coronos les fils de Thersandre, lui-même fils de Sisyphe frère d’Athamas. Phrixos selon les uns, ou Presbon fils de Phrixos et d’une fille d’Eétès selon les autres, revint plus tard de Colchide. Les fils de Thersandre convinrent que les biens d’Athamas appartenait de droit à ce dernier et à ses descendants, ils se retirèrent par conséquent dans la région qu’Athamas leur céda, où ils fondèrent Haliarte et Coronée", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 34.7-8). L’enfant Dionysos grandit donc à l’écart du monde à Nysa, au milieu de ses nourrices : cela explique certainement pourquoi l’imagerie antique le représente toujours dans un cadre naturel, et entouré de femmes dévouées appelées "ménades/main£dej" (dérivé du verbe "ma…nw/rendre fou, furieux, violent, audacieux, ivre, exalté") ou "bacchantes/b£kcai" (littéralement les "femmes de Bacchos"). Jusqu’au VIème siècle av. J.-C., à côté de ces régiments de femmes, on constate que les hommes qui suivent Dionysos, les "satyres/s£turoj" (étymologie inconnue), et leur chef "Pan/P£n" (étymologie encore inconnue, peut-être apparenté à "pa…w/battre, frapper", qui a donné le "péan/pai£n", chant militaire entonné avant toute bataille pour se donner du courage, et après toute victoire en remerciement au dieu guerrier Apollon, lui-même surnommé "Pai£n" ou "Pai»wn" dans les textes épiques, tragiques et comiques parvenus jusqu’à nous), ont des attributs de cheval (queue en crins et sabots à un doigt ; à partir du VIème siècle av. J.-C., le succès de la "tragédie/tragwd…a" ou littéralement "ode/òd» dédiée au bouc/tr£goj" associée à Dionysos changera l’image des satyres, qui perdront ces attributs chevalins pour prendre les cornes et les sabots à deux doigts du bouc) : doit-on déduire que ces satyres, personnages mi-hommes mi-chevaux, comme les centaures plus tard, ne sont historiquement que des cavaliers que la postérité a fantasmés en les fusionnant avec leurs montures ? Une telle hypothèse n’est pas incompatible avec le fait qu’en Méditerranée orientale à l’ère mycénienne, depuis l’Anatolie hittite jusqu’à l’Egypte des hyksos puis des pharaons de la XVIIIème Dynastie, la cavalerie militaire se généralise, avec le fait que le classique "cortège de Dionysos" constitué de ces satyres et de ces ménades/bacchantes a toutes les caractéristiques d’une armée en campagne avec ses charrettes de filles et de vinasses (d’où la qualification de Dionysos comme dieu de la vigne, de l’ivresse, de l’excès ; rappelons aussi que Dionysos a pour sceptre un grand bâton garni de feuilles de lierre ou de vigne, le "thyrse/qÚrsoj", mot également d’origine inconnue [dérivé de l’étymon sémitique "trʃ", qui en l’occurrence renverrait non pas la mer mais la nature sémitique levantine de la famille maternelle de Dionysos ?], qui lui sert au besoin de lance offensive ["Certains méprisaient [Dionysos] par orgueil ou par impiété, affirmant que la présence des bacchantes autour de lui ne servait que son incontinence, et qu’il n’avait inventé les mystères et les initiations que pour corrompre les femmes d’autrui. Mais Dionysos s’en vengeait aussitôt, en se servant de son pouvoir surnaturel pour rendre ces impies insensés ou pour que les femmes qui le suivaient les déchirent avec leurs mains. Parfois il usait d’un stratagème pour vaincre ses ennemis : au lieu des thyrses, il donnait à ses bacchantes des lances dont la pointe acérée était cachée sous les feuilles de lierre, ainsi les rois qui méprisaient ces troupes féminines, non protégés car ignorants de ce stratagème, étaient blessés contre leur attente", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.65]), et avec le fait que Dionysos devenu adulte voyage loin et guerroie beaucoup avec ses compagnons satyres. La mythologie raconte effectivement que Dionysos, à la tête de ce cortège, se rend "en Inde" et y soumet facilement les habitants qui sont toujours dans la préhistoire, depuis l’ère hellénistique elle précise même que le mont "Meru" sacré dans les religions hindoue et bouddhiste, aujourd’hui le mont Kailash au sud-ouest de la chaîne de l’Himalaya, à la frontière entre la Chine tibétaine, le Népal et l’Inde, où le fleuve Indus a sa source, est à l’origine de l’épisode de Dionysos couvé dans la cuisse de Zeus puisque "Meru" est homonyme de "mèros/mhrÒj" ("cuisse" en grec), soit parce que les autochtones ont établi un rapport entre ce mont et Dionysos qui y a vécu à proximité pendant un certain temps ("On dit que la cité [de Nysa, cité non localisée entre la rivière Kaboul et le fleuve Indus] a été fondée par le dieu Liber [un des surnoms latins de Dionysos], en rappelant qu’elle s’est développée au pied du mont Mèros qui dans l’imaginaire des Grecs a engendré la fable selon laquelle Dionysos a grandi dans la cuisse de Zeus", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, VIII, 10.11-12), soit parce que Dionysos lui-même a donné le nom "Meru" à ce mont justement en souvenir de sa petite enfance couvée dans le flanc de son père Zeus à La Cadmée et dans le giron de ses nourrices à Nysa ("Nous devons évoquer ici rapidement les récits des plus célèbres mythologues indiens. Ceux-ci racontent qu’à une époque très reculée, quand les hommes vivaient encore épars dans des villages, Dionysos quitta les terres occidentales et vint chez eux avec une puissante armée. Il parcourut toute l’Inde, qui ne comptait alors aucune cité cité assez puissante pour lui résister. Des chaleurs excessives engendrèrent une épidémie qui ravagea les troupes. En chef avisé, Dionysos leva le camp, il quitta les plaines pour aller s’établir sur la montagne. Les vents frais qui y soufflaient, et les eaux pures puisées dans les sources, éloignèrent la maladie. Ce lieu où Dionysos sauva ainsi son armée s’appelle “Mèros” : de là vient la tradition grecque qui dit que Dionysos a été nourri dans une “cuisse” ["mhrÒj"]. Par la suite, il cultiva des fruits, il enseigna aux Indiens l’art de faire du vin, et d’autres pratiques vitales. Il fonda aussi plusieurs cités importantes, il déplaça des villages dans des endroits mieux situés, y institua des cultes, établit des lois et des tribunaux. Auteurs de tous ces bienfaits, il fut finalement considéré comme un dieu et reçut les honneurs réservés aux immortels. On diat encore qu’il avait emmené avec son armée un grand nombre de femmes, et que dans les batailles il se servait de tambours ["tÚmpanon"] et de cymbales ["kÚmbalon"], la trompette ["s£lpigx"] n’étant pas encore inventée. Il mourut de vieillesse, après avoir régné sur l’Inde pendant cinquante-deux ans", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique II.38). Cette explication étymologique en forme de calembour et ce rapprochement entre Dionysos et les religions hindoue et bouddhiste, n’a jamais convaincu les historiens dès l’ère hellénistique, tel le géographe Strabon qui y voit une propagande grossière servant trop idéalement la politique œcuménique d’Alexandre le Grand et de ses successeurs au Ghandara ("Quand Mégasthène [ambassadeur du roi grec Séleucos Ier auprès du roi indien Chandragupta au tournant des IVème et IIIème siècles av. J.-C.] prétend que les philosophes [indiens] de la montagne sont des adeptes de Dionysos, qui veulent prouver l’origine indienne de ce culte en invoquant la présence chez eux de la vigne sauvage soi-disant inconnue partout ailleurs, la présence aussi du lierre, du laurier, du myrte, du buis et d’autres arbustes au feuillage persistant soi-disant inexistants au delà de l’Euphrate sauf dans des rares parcs d’agrément où ils reçoivent beaucoup de soins, quand il définit comme pratiques dionysiaques le port du sindon ["sindèn", vêtement léger en lin] et de la mitre ["m…tra"], l’usage de se parfumer tout le corps et d’en teindre certaines parties avec des essences de fleurs, la marche des tambours et des trompettes en tête des cortèges royaux […], il tombe encore dans la pure fiction et s’expose à des objections faciles, en particulier sur la vigne et le vin, car au-delà de l’Euphrate effectivement, dans une grande partie de l’Arménie, dans toute la Mésopotamie et au-delà, en Médie, jusqu’aux confins de la Perse et de la Carmanie, tout le monde sait qu’on trouve des territoires couverts de vignes, qui produisent les meilleurs vins", Strabon, Géographie, XV, 1.58 ; "Entre le Cophès et l’Indus se trouve la cité de Nysa, dont on prétend qu’elle a été fondée par Dionysos vainqueur de l’Inde. Qui est ce Dionysos ayant porté la guerre en Inde ? S’agit-il de celui de Thèbes ou de celui de Tmolos en Lydie ? Comment a-t-il pu traverser les nations les plus belliqueuses alors inconnues aux Grecs pour aller soumettre seulement les Indiens ? Ne cherchons pas d’explications à ces fables attachées aux dieux : les récits les plus incroyables cessent toujours de l’être dès lors qu’ils se rapportent à un dieu quelconque", Arrien, Anabase d’Alexandre V.1). On est tenté de conclure dans le même sens qu’eux, en considérant comme des pures fictions les stratagèmes de Dionysos et de son général Pan pour conquérir l’Inde, longuement racontés par Polyen ("Dans son expédition en Inde, Dionysos marchait en maintenant ses armes cachées afin d’être reçu plus aisément dans les cités. Ses troupes étaient vêtues de robes légères et de peaux de cerfs. Les javelots étaient dissimulés par le lierre, la pointe des thyrses était garnie. Les cymbales et les tambours étaient utilisés à la place des trompettes, pour inciter à danser les ennemis domptés par le vin. En résumé, tous les mystères qu’on appelle “orgies” ne sont que les ruses employées par Dionysos pour assujettir les Indiens et les autres peuples de l’Asie. Dans la même expédition en Inde, Dionysos, voyant que son armée ne supportait pas le climat brûlant, conquit une montagne à trois sommets, le premier s’appelant “Korasibiè” ["Korasib…h"] et le deuxième “Kondaskè” ["Kond£skh"], il nomma le troisième “Méros” en souvenir de sa naissance. Ce lieu était agréable par la quantité et l’abondance de ses sources, la fraîcheur de ses neiges, la multitude des bêtes fauves qu’on pouvait chasser, et toutes sortes de fruits délicieux. Son armée, après s’être reposée dans ce lieu agréable, pouvait se retourner brusquement contre les barbares et les mettre en fuite en lançant avantageusement ses traits depuis sa position avantageusement dominante. Après avoir subjugué les Indiens, Dionysos en fit des troupes auxiliaires, qu’il joignit aux Amazones, pour conquérir la Bactriane. La frontière de ce pays est délimitée par la rivière Sarangés ["Sar£gghj", affluent non identifié du fleuve Indus]. Les Bactriens s’étaient postés sur les hauteurs près de ses bords, d’où ils espéraient fondre sur Dionysos dès qu’ils le verraient tenter de passer. Dionysos installa son camp sur la rive opposée, il ordonna aux Amazones et aux bacchantes de passer la rivière pour attirer les Bactriens, pour les inciter à quitter leurs hauteurs et à courir vers une facile victoire. Les femmes commencèrent à traverser la rivière. Les barbares descendirent pour les attaquer. Elles firent alors rapidement demi-tour, regagnant leur rive de départ, où les Bactriens les poursuivirent. Quand il vit les barbares dans la rivière, Dionysos accourut avec ses hommes au secours des Amazones et des bacchantes. Il tua les Bactriens, et passa ensuite la rivière sans danger. Pan était le stratège de l’armée de Dionysos. Il fut le premier à recourir à la formation qu’on appela ensuite “phalange”, comportant un flanc avancé à droite et un flanc avancé à gauche : de là vient la représentation de Pan avec des cornes. Pan fut aussi le premier à terroriser ses adversaires par des artifices. Le camp de Dionysos se trouvait dans un lieu reculé et sombre, et ses sentinelles l’avaient informé de la présence de l’ennemi à proximité avec des forces supérieures aux siennes. Dionysos fut effrayé. Mais Pan ne se laissa pas impressionner. Il ordonna aux hommes de Dionysos de crier pendant la nuit. Les troupes obéirent, et leur vacarme résonna sur les hauteurs et dans les gorges voisines, faisant ainsi croire à l’ennemi qu’elles étaient beaucoup plus nombreuses qu’il ne s’était imaginé. Les ennemis eurent peur et s’enfuirent. Cette ruse de Pan est à l’origine de la fable de ses amours avec la nymphe Echo, et du mot “panique” ["panikÒj"] désignant les terreurs nocturnes et sans objet lors des campagnes militaires", Polyen, Stratagèmes I.1 et 2). Pourtant, dans Les bacchantes d’Euripide, une tragédie qui date d’un siècle avant Alexandre le Grand, Dionysos est déjà considéré comme un conquérant asiatique ("J’ai quitté les gués aurifères de Lydie et de Phrygie, j’ai parcouru les plaines ensoleillées de Perse, les remparts de Bactriane et les froides terres des Mèdes, l’Arabie heureuse, toute l’Asie au bord de la mer salée, où les Grecs se mêlent aux barbares dans des cités populeuses aux belles tours, et voici la cité grecque d’où je viens. Si là-bas j’ai déjà créé des chœurs, institué des rites pour manifester ma divinité aux mortels, la terre grecque de Thèbes est la première à s’être levée quand j’ai hurlé", Euripide, Les bacchantes 13-22). Le bâtard cadméen Dionysos fils de Sémélé a-t-il donc réellement pérégriné jusqu’en Inde ? ou a-t-il été confondu avec un autre personnage (à l’instar du bâtard argien Héraclès fils d’Alcmène confondu avec le dieu phénicien Melkart) ? ou l’appellation "Inde" à l’ère mycénienne était-elle utilisée comme un synonyme de "bout du monde" pouvant désigner autant l’Inde réelle, que le plateau iranien voisin ou la Mésopotamie qui, par rapport à La Cadmée en Béotie, semblent effectivement au "bout du monde" (les erreurs d’appellation sont fréquentes dans l’Histoire, et certaines finissent par s’imposer dans le lexique : à l’époque récente, la plus spectaculaire reste celle de Christophe Colomb qui appelle "Indiens" les habitants d’Amérique du Nord parce qu’il croit avoir bouclé le tour de la Terre et être parvenu en Inde : le terme "Indiens" pour désigner les peaux rouges précolombiens, qui n’ont aucun rapport avec les habitants de l’Inde séparés d’eux par deux océans et des milliers de kilomètres, est resté dans le langage courant ; Diodore de Sicile au livre III chapitre 65 de sa Bibliothèque historique dit incidemment que Dionysos a vaincu "Myrrhanos roi des Indiens", or ce nom rappelle son homophone féminin "Myrrha" fille de Cinyras le roi de la cité de Paphos sur l’île de Chypre à la fin de l’ère mycénienne : si la parenté entre ce Myrrhanos et Myrrha existe, cela signifierait que l’"Inde" de la légende dionysiaque est en réalité non pas l’Inde, non pas le plateau iranien, non pas même la Mésopotamie ni la Syrie ni le Levant, mais l’île de Chypre…) ? En l’absence de documentation plus fournie sur le sujet, vouloir absolument répondre à ces questions revient à s’égarer dans les discours farfelus des anthropologues illuminés et des hellénistes intégristes dont nous avons déjà parlé par ailleurs, qui voient dans la cuisse de Zeus et le Meru indien la preuve que Dionysos est non pas un individu historique de chair et d’os mais une divinité indoeuropéenne incarnant la Lumière, ou la Liberté, ou la Force Vitale, ou l’Imagination Créatrice, ou on-ne-sait-quel autre concept à majuscule. Pour notre part, nous choisissons l’humilité : le lien entre Dionysos et l’Inde nous apparaît comme une énigme, et nous avouons honnêtement notre incapacité à la résoudre. Nous préférons nous attarder sur un passage peu commenté de Diodore de Sicile, qui apporte peut-être un début d’explication à ce lien entre Dionysos et l’Asie, autant qu’aux mystérieuses "ménades/folles furieuses, violentes, audacieuses, exaltées" et aux mystérieux Satyres chevalins qui l’entourent. Dans le livre III de sa Bibliothèque historique, Diodore de Sicile évoque en effet une matriarche guerrière originaire de la côte nord-ouest africaine (dans notre paragraphe introductif, nous avons vu que toutes les tribus de cette côte nord africaine à l’ouest de l’Egypte sont dominées par les femmes, Athéna dans la région du lac Tritonide/Chott el-Jérid en est un emblème), qui malmène un temps les Sémites/Atlantes installés sur le territoire de l’actuelle Tunisie. Cette matriarche se nomme Myrina, elle règne sur une tribu de femmes-soldats montées sur des chevaux nommées les "Amazones" ("Amazèn", étymologie inconnue : "On dit que Myrina la reine des Amazones assembla une armée de trente mille femmes fantassins et vingt mille cavalières très habiles dans l’utilisation militaire du cheval, portant des peaux de serpents en provenance de Libye comme boucliers, et des épées, des lances et des arcs comme armes offensives pour l’attaque autant que pour repousser leurs poursuivants en cas de repli. Après avoir envahi le territoire des Atlantes, elles vainquirent en bataille les habitants de Kernè ["Kšrnh", ancien nom de la cité phénicienne de Mogador des ères hellénistique et impériale, sur la côte atlantique, aujourd’hui Essaouira au Maroc], et chassèrent les survivants jusque dans leurs murs. C’est ainsi qu’elles s’emparèrent de la cité. Elles maltraitèrent les captifs afin de répandre la terreur chez les peuples voisins : elles passèrent au fil de l’épée tous les hommes pubères, réduisirent en esclavage les femmes et les enfants, et démolirent la ville. Le bruit du désastre des Kernéens se répandit, tous les Atlantes en furent si épouvantés qu’ils offrirent spontanément leurs villes en promettant d’obéir à n’importe quel ordre. La reine Myrina les traita avec douceur, leur accorda son amitié, et à l’emplacement de la ville détruite elle en fonda une autre à laquelle elle donna son nom, qu’elle peupla avec les prisonniers et tous les indigènes qui le souhaitaient. Les Atlantes lui donnèrent des présents magnifiques et lui décernèrent publiquement des grands honneurs, elle accueillit ces marques de leur affection en leur promettant de les protéger", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.54). Ces Amazones entrent en rivalité avec une autre tribu de femmes-soldats, nommées les "Gorgones" ("Gorgèn", étymologie également inconnue :"Les Atlantes étaient souvent attaqués par les Gorgones, établies dans le voisinage. A la demande des Atlantes, et aussi parce qu’elle était leur ennemie depuis toujours, la reine Myrina alla les combattre dans leur pays. Les Gorgones se rangèrent en bataille. L’affrontement fut acharné. Finalement les Amazones l’emportèrent, elles tuèrent un grand nombre de leurs adversaires et en capturèrent trois mille, laissant le reste s’échapper dans les bois. Désireuse de détruire entièrement ce peuple, Myrina les incendia, mais sans succès, elle se replia donc du pays. Enflées de ce succès, les Amazones négligèrent leurs gardes. Les Gorgones prisonnières en profitèrent la nuit pour prendre leurs armes et en égorger beaucoup. Les Amazones les entourèrent vite, les accablèrent par le nombre, et les tuèrent toutes après une résistance acharnée. Myrina fit brûler sur trois bûchers les corps de ses compagnes tuées, et elle fit élever trois grands tombeaux de terre qu’on désigne encore aujourd’hui comme le “Tombeau des Amazones”. Les Gorgones se multiplièrent ensuite. Elles furent attaquées par Persée fils de Zeus, Méduse était alors leur reine", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.54-55). Pour on-ne-sait-quelle raison, Myrina et ses viriles compagnes quittent ensuite la région pour s’aventurer à l’est puis au nord : elles traversent l’Egypte, le Levant, la Cilicie ("Myrina/MÚrina" a-t-elle un rapport avec "Myrrhanos/MÚrranoj" auquel est confronté Dionysos selon le paragraphe 65 livre III précité de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile, et avec "Myrrha/MÚrra" fille de Cinyras le roi de la cité chypriote de Paphos à la fin de l’ère mycénienne, trois noms graphiquement proches en grec dont les différences pourraient être dues à une erreur de copiste, fondés sur le même étymon consonantique qui pourrait signifier l’appartenance à une même famille, ce qui sous-entendrait que Myrina et ses compagnes sont passées aussi par l’île de Chypre ?), la chaîne montagneuse du Taurus, et s’installent en Anatolie, plus particulièrement sur les côtes de la mer Egée, jusque sur l’île de Lesbos ("Après avoir parcouru avec son armée une grande partie de la Libye, Myrina entra en Egypte où elle se lia d’amitié avec Horus fils d’Isis, qui était alors roi du pays. De là, elle alla guerroyer contre les Arabes, qu’elle extermina en grand nombre. Ensuite, elle soumit toute la Syrie. Les Ciliciens allèrent à sa rencontre en lui offrant des présents et se rangeant à ses ordres […]. Après avoir bataillé contre les montagnards du Taurus, remarquables par leur force, elle entra dans la grande Phrygie maritime. Ayant visité plusieurs baies, elle termina son périple au bord du fleuve Caïque. Sur le territoire conquis, elle choisit des lieux adéquats pour fonder des cités. Elle donna son nom à l’une d’elles [aujourd’hui le site archéologique de Myrina, dans la banlieue nord dAliaga en Turquie]. Les autres reçurent les noms des Amazones qui commandaient les troupes : Kymé, Pitane, Priène, situées en bordure de mer. Certaines furent fondées dans l’intérieur des terres. Elle soumit aussi quelques îles, dont celle de Lesbos, où elle fonda la cité de Mitylène en hommage à sa sœur qui l’avait suivie dans son périple", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.55 ; sur la côte ouest de l’île de Lemnos se trouve la cité de Myrina, autre fondation de l’antique Amazone selon l’article "Myrina" des Ethniques du géographe Stéphane de Byzance). L’invasion de l’Anatolie par les Amazones (qui y resteront longtemps puisque Héraclès, Thésée, Priam et Achille les y combattront encore au XIIIème siècle av. J.-C.) raccorde-t-elle avec la nature sémitique des habitants de la Colchide la plus ancienne, voisine de la Cappadoce, correspondant à l’actuelle Arménie ("Les Colchidiens sont d’origine égyptienne, je l’ai soupçonné avant d’en avoir confirmation : quand je me suis penché sur ce sujet, j’ai interrogé les gens des deux pays, or les Colchidiens avaient sur l’Egypte des souvenirs plus précis que les Egyptiens eux-mêmes. […] J’avais conjecturé cela d’après leur peau brune et leurs cheveux crépus, mais ces particularités ne constituent pas une preuve car d’autres peuples les ont. Une preuve plus sûre est que les Egyptiens et les Ethiopiens sont les seuls peuples qui pratiquent depuis toujours la circoncision […]. Je signale un autre trait de ressemblance entre les Colchidiens et les Egyptiens : ces deux peuples travaillent le lin de la même manière. De plus, leurs façon de vivre et leurs langues présentent des similitudes frappantes", Hérodote, Histoire II.104-105 ; "Les Colchidiens du Pont et les juifs habitant entre l’Arabie et la Syrie descendent de colons égyptiens, ceci explique pourquoi ils circoncisent leurs enfants, une pratique originaire d’Egypte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.28), ceux-ci étant des anciens hyksos ou des Levantins chassés par celles-là ? Les Satyres chevalins qu’on a vus en Tunisie aux côtés de Dionysos fils d’Ammon à l’ère minoenne, qu’on devine dans l’entourage de Méduse au même endroit à l’époque de Persée comme on va le voir juste après, sont-ils apparentés au Satyre Marsyas qu’on a croisé à Kelainai au début du XIVème siècle av. J.-C. proche de la Tunisienne Athéna - dont il reprend l’aulos -, et des Satyres chevalins qui entourent Dionysos à Nysa/Nevsehir (qui continueront de l’entourer dans l’iconographie jusqu’au VIème siècle av. J.-C.) ? Ces Satyres ne sont-ils que les auxiliaires masculins des cavalières matriarcales nord-africaines, leurs écuyers… et aussi, pour pasticher une expression militaire moderne, leurs "hommes de réconfort" ? Par ailleurs, cette installation des farouches Amazones dans le golfe de Lesbos au milieu de l’ère mycénienne, correspondant à l’ancien "Wilussa/Ilion" des textes hittites du début de l’ère mycénienne, explique-t-elle en partie le repli des populations qui y vivaient jusqu’alors vers la cité nouvelle de Troie plus au nord ? Les mœurs homosexuelles des futures habitantes de l’île de Lesbos, dont la célèbre poétesse Sappho à l’ère archaique, s’expliquent-elles par celles de leurs viriles ancêtres amenées par Myrina ? Toutes ces questions restent ouvertes. Diodore de Sicile dit ensuite que Myrina est tuée lors d’une bataille contre un Scythe nommé Sipylos et un Thrace nommé Mopsos (différent de ses homonymes ultérieurs Mopsos l’Argonaute et Mopsos le fondateur de la cité cilicienne de Mallos après la guerre de Troie) qui "a été banni de sa patrie par Lycurgue" ("A cette époque, la Thrace Mopsos, banni de sa patrie par le roi Lycurgue, envahit le pays des Amazones avec une armée. Le Scythe Sipylos, banni pareillement de sa patrie frontalière de la Thrace, se joignit à l’expédition de Mopsos. Une bataille s’engagea. Les troupes de Mopsos et de Sipylus remportèrent la victoire. Myrina, la reine des Amazones, et la majorité de ses compagnes furent massacrées", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.55 ; Myrina est enterrée devant les murs de Troie, on suppose donc que c’est devant les murs de cette cité qu’elle a livrée son ultime bataille, après avoir peut-être tenté de la conquérir : "Devant la ville [de Troie] se trouve une haute butte, à l’écart, dans la plaine, accessible sur tout son pourtour. Les hommes l’appellent “Batieia”. Pour les immortels, elle est la tombe de la bondissante Myrina", Iliade II.812-814). Cette précision est très intéressante car, s’ils divergent sur l’itinéraire de Dionysos en Asie, les mythologues anciens sont en revanche d’accord pour affirmer qu’il revient finalement sur le continent européen via la Thrace, pour affronter un "Lycurgue fils de Dryas" sur lequel nous ne savons pas grand-chose sinon qu’il règne sur la tribu des Edones près du fleuve Strymon. Le Lycurgue du récit de Dionysos et le Lycurgue du récit de Myrina, sont-ils un seul et même individu ? Cela sous-entendrait fortement que les mystérieuses nourrices anatoliennes reccueillant Dionysos enfant, et les aussi mystérieuses ménades guerrières entourant Dionysos adultes, sont bien les Amazones amenées par Myrina. Ce Lycurgue thrace chasse Dionysos qui s’enfuit par la mer, et capture les ménades avec leurs compagnons satyres. Mais Zeus vient au secours de Dionysos, selon Homère, il rend aveugle Lycurgue, qui meurt peu après ("Lycurgue, le puissant fils de Dryas, ne vécut pas longtemps après avoir provoqué les dieux célestes. Il poursuivit un jour les nourrices de Dionysos Mainoménos ["MainÒmenoj", "le Délirant"] sur le Nyséion sacré. Toutes alors jetèrent leurs thyrses à terre, sous l’aiguillon de Lycurgue qui les poignait, tandis que Dionysos éperdu plongea dans la mer où Thétis le reçut, épouvanté, dans ses bras. Tant la peur l’envahit face aux grondements de l’homme ! Mais les dieux qui vivent dans la joie s’indignèrent contre ce dernier. Le fils de Kronos [c’est-à-dire Zeus] le rendit aveugle. Et dans cet état il ne vécut pas longtemps, étant devenu un objet d’horreur pour tous les Immortels", Iliade VI.130-141). Pseudo-Apollodore est plus précis : après avoir chassé Dionysos, Lycurgue travaille un jour sur des vignes et tue son fils (accidentellement, parce qu’il est soûl ou parce qu’il commet un geste maladroit ? ou intentionnellement, parce que son fils s’oppose à lui ? chacune de ces deux hypothèses, le meurtre par le flottement momentané du jugement ou par un hybris, explique-t-elle l’image homérique de Lycurgue aveugle ?), il est condamné pour cet acte par son peuple, qui y voit la cause des mauvaises récoltes, Lycurgue est attaché sur le mont Pangée, où il meurt piétiné par des chevaux ("Après que Dionysos eut découvert la vigne, Héra le frappa de folie, c’est ainsi qu’il erra à travers l’Egypte et la Syrie. Proteus le roi d’Egypte ["PrwteÚj", littéralement "le Premier", qui doit peut-être se lire ici comme un synonyme de "pharaon", sans qu’on puisse dire lequel] l’accueillit d’abord. Il gagna ensuite le mont Cybèle en Phrygie, où Rhéa le purifia, lui enseigna les rites d’initiation et lui donna son vêtement. Il traversa ensuite la Thrace et se dirigea vers l’Inde. Lycurgue fils de Dryas, le roi des Edones qui vivent en bordure du fleuve Strymon, fut le premier à outrager Dionysos et à le chasser de son pays. Dionysos se réfugia dans la mer, auprès de Thétis la fille de Nérée, ses bacchantes furent emprisonnées, ainsi que les nombreux satyres de son cortège. Mais les bacchantes furent rapidement libérées, et Dionysos frappa Lycurgue de démence : persuadé de couper un sarment de vigne, celui-ci atteignit de sa hache son fils Dryas, et le tua. Ce n’est qu’après avoir tranché ses membres, que Lycurgue recouvra la raison. Le pays étant frappé de stérilité, le dieu prophétisa que la terre donnerait à nouveau des fruits si Lycurgue était mis à mort. Les Edones, après avoir entendu cet oracle, le conduisirent ligoté sur le mont Pangée. Ensuite, par la volonté de Dionysos, il fut mis en pièces par ses chevaux", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.1 ; l’épisode de Lycurgue arrêté et emprisonné par son peuple sera évoqué brièvement par un chœur dans la tragédie Antigone de Sophocle : "Plié sous le joug également, le fils de Dyras aux colères trop vives, roi des Edoniens : pour punir ses furieux sarcasmes, Dionysos l’enferma au fond d’un cachot. Là, il sentit tomber l’élan féroce qui prodiguait précédemment sa frénésie, il comprit trop tard sa folie de vouloir blesser le dieu avec des insultes, d’interrompre les femmes inspirées par le dieu, d’éteindre les torches de l’évohé, d’agresser les Muses amies des aulètes", Sophocle, Antigone 955-965). Selon le Romain Hygin, Lycurgue meurt fou après avoir tué ses proches ("Lycurgue fils de Dryas chassa Liber [un des surnoms latins de Dionysos] de son royaume, niant qu’il fût un dieu après avoir bu du vin et failli violer sa mère dans son ivresse. Il voulut couper la vigne, la jugeant comme “un poison qui trouble les esprits”. Liber l’ayant frappé de folie, il tua sa femme et son fils. Liber le livra aux panthères sur les monts thraces des Rhodopes [chaîne montagneuse dans le sud-est des Balkans], qui étaient sous son autorité. On raconte qu’il s’y coupa un pied, croyant que c’était une vigne", Hygin, Fables 132.1-2). Diodore de Sicile apporte une autre version, dans laquelle Lycurgue n’est pas tué par son peuple, mais par Dionysos qui lance une contre-offensive (débarqué sur le continent européen avec un petit groupe de bacchantes, il est attaqué traitreusement par Lycurgue, il plonge alors précipitemment dans l’Hellespont pour rejoindre le gros de ses troupes restées sur le continent asiatique, et il revient avec elles pour battre Lycurgue : de là vient peut-être l’épisode de Dionysos éperdu trouvant refuge "dans les bras réconfortants de Thétis" raconté par Homère) guidé par un autochtone nommé Charops. En remerciement, après la victoire, Dionysos confie le territoire de feu Lycurgue à ce Charops, grand-père du futur poète Orphée ("La tradition rapporte que Dionysos, désireux de conduire son armée d’Asie en Europe, s’allia à Lycurgue, roi de la Thrace sur l’Hellespont. L’avant-garde des bacchantes étant passé dans ce pays allié, Lycurgue ordonna à ses soldats d’attaquer pendant la nuit et de tuer Dionysos et toutes les ménades. Averti de cette trahison par un Thrace appelé Charops, Dionysos fut terrifié, car son armée était encore sur l’autre rive, et qu’il n’avait passé la mer qu’avec très peu de compagnons. Il repassa donc la mer en catimini pour rejoindre ses troupes. Lycurgue attaqua les ménades au lieu-dit Nysion ["Nus…on", un endroit "dédié à la cité de Nysa", où Dionysos à grandit] et les tua toutes. Mais Dionysos, après avoir franchi l’Hellespont avec son armée, défit les Thraces en bataille rangée, et captura Lycurgue, auquel il creva les yeux. Après lui avoir infligé toutes sortes de tourments, il le crucifia. Ensuite, pour témoigner à Charops sa reconnaissance, il lui donna le royaume des Thraces, et lui enseigna les mystères orgiaques. Oeagre fils de Charops succéda à son père, et apprit de lui les mystères, auxquels il initia plus tard son fils Orphée", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.65). Les mythologues s’accordent pareillement pour montrer Dionysos, après avoir ainsi dégagé la route de la Thrace et de la future Macédoine, se présentant devant les murs de sa cité natale La Cadmée. Cette dernière est alors toujours gouvernée officiellement par le vieux Cadmos, mais en réalité Penthée y exerce le pouvoir, après avoir écarté le jeune prince Polydoros frère de Sémélé comme nous l’avons dit plus haut. Dionysos réclame des honneurs divins, Penthée le traite de charlatan. Le duel s’achève quand Agavé, mère de Penthée et sœur de Sémélé, séduite et enivré par une orgie organisée à dessein par son neveu Dionysos, tue inconsciemment son fils Penthée. Telle est la trame de la tragédie Les bacchantes d’Euripide parvenue intégralement jusqu’à nous, que nous ne commenterons pas ici (ce scénario se retrouve chez pseudo-Apollodore : "Après avoir traversé la Thrace et l’Inde tout entière où il érigea ses colonnes, Dionysos arriva à Thèbes. Il contraignit les femmes à abandonner leurs maisons et à célébrer les rites bachiques sur le mont Cithéron. Penthée, le fils d’Agavé et d’Echion, à qui Cadmos avait laissé le trône, tenta de l’en empêcher. Il grimpa sur le Cithéron et épia les bacchantes. Mais sa mère, en proie au délire, le prenant pour une bête, le mit en pièces", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.2). Les auteurs anciens montrent ensuite le vieux patriarche Cadmos s’exiler en Illyrie avec son épouse Harmonie, où ils finissent leurs jours, tandis que Polydoros désormais sans rival recouvre son rang sur le trône de La Cadmée, avec la bienveillance de son neveu Dionysos (rappelons que Polydoros étant né tardivement, la différence d’âge est probablement minime entre lui et ses neveux Penthée et Dionysos : "Cadmos alla s’établir en Illyrie chez les Enchéléens. Son fils Polydoros monta sur le trône. Penthée fils d’Echion eut beaucoup de pouvoir sous son règne, grâce son illustre généalogie et à l’amitié du roi, mais son insolence impie envers Dionysos le condamna à être puni par ce dieu", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.3-4). Avant de continuer à dérouler notre chronologie, nous devons constater que le travail de la vigne et la fabrication du vin, source d’une ivresse que les consommateurs de l’ère mycénienne ont pu associer à une impression de toute-puissance, de libération, de communion avec les forces cosmiques, et en même temps au risque d’instabilité sociale, de désordre, de remise en cause de toutes les valeurs et de toutes les autorités, se sont propagés partout dans le monde égéen, en restant très sévèrement contrôlés par les pouvoirs locaux, comme en témoignent les innombrables tablettes comptables en linéaire B retrouvées par les archéologues sur le continent européen et dans les îles. Ces pouvoirs locaux ont reproduit au fil du temps l’attirance-répulsion de Penthée pour les orgies dionysiaques : s’enivrer c’est acquérir la sensation de devenir soi-même un dieu, et contrôler la production et la consommation de vin du peuple c’est contrôler en même temps la domination sur le peuple. Et assurément la vigne et le vin ont été associés partout, bien au-delà de la Béotie cadméenne, à la personnalité de Dionysos : celui-ci apparaît nominalement sous la forme "di-wo-nu-so-jo" sur les tablettes PY Ea 102 et PY Xa 1419 datées de la fin de l’ère mycénienne, et peut-être sous le qualificatif "Eleuthère" ("EleuqereÚj/Emancipateur, Libérateur", sous la forme "e-re-u-te-re" dans les tablettes PY Cn 3, PY Na 252 et PY Wa 917, ou "e-re-u-te-ri" dans la tablette PY An 18), et sous son premier nom "Bacchos" (sous la forme "pa-ko" dans la tablette PY An 427, ou "pa-ko-we" dans la tablette PY Fr 1216). L’image du bouc compagnon de Dionysos, quant à elle, est probablement aussi ancienne, pour une raison très simple selon le poète romain Virgile : les troupeaux, dont les boucs, mangent les vignes ("Ni les frimas avec leurs gelées blanches qui durcissent le sol, ni l’été lourd, pesant sur les rocs desséchés, ne sont aussi nuisibles [aux vignes] que les troupeaux, et le venin de leur dent dure, et la cicatrice que leur morsure imprime sur une souche. Ce n’est pas pour une autre faute qu’on immole un bouc à Dionysos sur tous ses autels", Géorgiques II.376-380). En immolant les boucs à Dionysos, on préserve par conséquent la vigne, et le précieux vin dionysiaque qu’elle contient.


La division de l’Argolide après la mort d’Abas, partagée entre Acrisios à Argos et Proétos à Tirynthe, augurait mal de l’avenir. Selon la mythologie, un oracle annonce à Acrisios que sa fille Danaé engendrera un garçon qui lui succédera après l’avoir tué. Pour conjurer cet oracle, Acrisios emprisonne sa fille ("Acrisios ayant interrogé l’oracle pour savoir comment avoir des enfants mâles, le dieu lui répondit que sa fille engendrerait un fils, mais que celui-ci le tuerait. Craignant l’accomplissement de cet oracle, Acrisios enferma Danaé dans une salle toute en bronze sous la terre", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.1). Mais le dieu Zeus se faufile dans la prison sous forme de pluie d’or, et engrosse Danaé. Neuf mois plus tard, Danaé accouche de Persée. Furieux, Acrisios enferme Danaé et Persée dans un coffre, qu’il jette à la mer. Si les hellénistes férus d’épanchements intellectuels se délectent encore de ce scénario digne d’un dessin animé commercial pour enfants de dix ans, nous choisissons pour notre part d’adopter la version plus crédible rapportée brièvement par pseudo-Apollodore, qui dit que la grossesse de Danaé ne relève pas d’une énième intervention fantastique de Zeus mais plus prosaïquement des ébats sexuels de Danaé avec Proétos, le frère détesté et rival politique d’Acrisios : selon cette version, qui est également rapportée par un scholiaste anonyme en marge du vers 319 livre XIV de l’Iliade ("Danaé aux fines chevilles fille d’Acrisios et mère du glorieux héros Persée" ; pour l’anecdote, ce scholiaste anonyme prétend se référer à une œuvre non conservée de Pindare, ce qui est bizarre car toutes les œuvres conservées de Pindare le montrent peu enclin aux explications rationnelles, comme les vers 17 et 18 de sa Douzième pythique qui s’attardent justement sur la fable de la pluie d’or), Acrisios ne rejette pas sa fille Danaé parce qu’il a entendu un oracle, mais parce qu’il craint que devenu adulte le jeune Persée évince légitimement les autres enfants mâles qu’il espère avoir d’Eurydice, et in fine lui succède sur le trône d’Argos en réhabilitant Proétos ("Selon certains, la jeune fille fut séduite par Proétos, cela expliquerait la discorde entre Proétos et Acrisios. Mais selon l’autre version, c’est Zeus qui se changea en pluie d’or et se laissa couler par le toit dans le ventre de Danaé, et quand Acrisios apprit que Danaé avait mis au monde le petit Persée il refusa de croire que le père était Zeus : il enferma Danaé et son petit-fils dans un coffre, qu’il jeta à la mer", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.1). Le coffre est récupéré par un pêcheur dont le nom semble un qualificatif, "Dictys/D…ktuj", littéralement "le Filet", originaire de la petite île de Sériphos. Pseudo-Apollodore dit que Dictys est un petit-fils d’Eole, et qu’il est venu s’installer sur l’île de Sériphos avec son frère Polydecte ("Magnès épousa une nymphe de la mer, et en eut Polydecte et Dictys, qui s’installèrent à Sériphos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.6 ; on ne sait rien sur ce Magnès fils d’Eole, sinon que pseudo-Apollodore le mentionne après Sisyphe et avant Salmonée). Dictys recueille chez lui Danaé et le petit Persée, qu’il élève comme son fils ("Poussé par le courant, le coffre arriva à Sériphos, où Dictys recueillit l’enfant et l’éleva", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.1 ; "Sériphos est connue grâce à Dictys, qui a recueilli dans ses filets le coffre contenant Danaé et son fils Persée, abandonnés à la fureur des flots par l’ordre d’Acrisios père de Danaé. La tradition dit que Persée passa toute sa jeunesse à Sériphos", Strabon, Géographie, X, 5.10). Les années passent. Nous arrivons à une date indéterminée au milieu du XIVème siècle av. J.-C., selon notre chronologie relative. Persée est désormais un jeune homme. Il accepte difficilement de voir sa mère Danaé courtisée par Polydecte le frère de Dictys. Un jour, alors que Polydecte organise une collecte pour acheter le cadeau de noces de Pélops et Hippodamie, dont on parlera juste après, Persée s’emporte en disant : "Je préfère t’apporter toutes mes économies, et la tête de la Gorgone, plutôt que te voir épouser ma mère !". Polydecte lui répond : "Chiche. Apporte-moi donc la tête de la Gorgone" ("Polydecte le roi de Sériphos [le qualificatif de "roi/basileÚj" doit être remis en perspective : Sériphos est une toute petite île, Polydecte par conséquent ne "règne" pas sur grand-chose…], frère de Dictys, s’éprit de Danaé, mais Persée devenu un jeune homme l’empêchait d’approcher. Il demanda collectivement à ses amis et à Persée d’apporter un cadeau pour le mariage d’Hippodamie fille d’Oenomaos. Persée déclara à cette occasion qu’il “ne rechignerait pas à apporter la tête de la Gorgone”. Alors Polydectès demanda à tous d’apporter un cheval, et à Persée, d’apporter la tête de la Gorgone", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.2). Ainsi piégé par sa propre fougue juvénile, Persée est contraint de partir à l’aventure, bien décidé à revenir à Sériphos avec la tête de la Gorgone pour ne pas se laisser humilier par Polydecte. S’ensuit un enchaînement de péripéties sur lesquelles nous ne nous attarderons pas, car cela nous éloignerait de notre sujet. Limitons-nous à dire que les exploits accomplis par Persée après cet épisode à Sériphos se situent dans l’ancienne aire sémitique des côtes africaine et levantine, notamment la lutte contre Méduse la matriarche des Gorgones dont nous venons de voir qu’elles sont des rivales des Amazones sur le territoire atlante de l’actuelle Tunisie. La plus ancienne occurrence conservée de "Gorgone" se trouve incidemment au vers 741 livre V de l’Iliade, pour désigner un monstre sculpté sur le bouclier d’Athéna, déesse originaire - rappelons-le à nouveau - du lac Tritonide/Chott el-Jérid en actuelle Tunisie. On le trouve aussi chez Hésiode, pour désigner trois sœurs monstrueuses appelés respectivement Sthéno, Euryalè et Méduse, fruits de l’union consanguine de Phorcys et Céto, respectivement fils et fille de Gaia et Pontos selon le livre I paragraphe 2 alinéa 6 de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore, or on se souvient que Gaia est l’épouse du dieu du ciel sémitique Ouranos/El-Anu, et "Pontos/PÒntoj" ou littéralement "le Flot" semble un synonyme de "thalassa/q£lassa" ("mer" en grec) que nous avons rapproché précédemment de l’étymon sémitique maritime "trʃ". Hésiode précise que ces trois sœurs vivent au pays des Hespérides, qui correspond à l’actuel golfe de Gabès en Tunisie, une côte sur laquelle Hérodote au Vème siècle av. J.-C. constate que les femmes dominent sur les hommes (nous renvoyons encore à notre paragraphe introductif sur ces points). Hésiode dit aussi que Méduse, la seule Gorgone à laquelle pense Persée lors de son altercation avec Polydecte, est devenue mortelle après s’être unie à un mystérieux "Kyanochaitès/Kuanoca…thj", littéralement "qui a des cheveux noirs" ou "qui a une crinière noire" ("Céto aux belles joues donna à Phorcys […] les Gorgones qui habitent au-delà de l’illustre Océan, vers l’empire de la Nuit, dans le lointain pays des Hespérides à la voix sonore, Sthéno, Euryalè, et la douloureuse Méduse qui, contrairement à ses sœurs ignorant la vieillesse, devint mortelle après s’être unie à Kyanochaitès aux noirs cheveux dans une molle prairie, sur une couche de fleurs printanières", Hésiode, Théogonie 270-279). Nous devons rapprocher ce nom du fait que Méduse finalement tuée par Persée engendre un cheval, le célèbre Pégase qui galope tellement vite que l’imagerie populaire lui donnera des ailes, et au fait qu’elle-même est représentée sous forme de centaure dans ses iconographies les plus archaïques (notamment sur la jarre référencée CA 795 datant du VIIème siècle av. J.-C. actuellement conservée au musée du Louvre à Paris en France ; on note que sur cette jarre le jeune Persée porte un pétasos, chapeau thessalien selon la tradition, ce qui raccorde avec l’origine thessalienne de son père adoptif Dictys fils d’Eole). Derrière cette image légendaire d’une femme dominatrice monstrueuse au corps de centaure, unie à un homme "à la crinière noire" - peut-être un Satyre chevalin apparenté à ceux qui ont suivi l’Amazone Myrina -, accouchant d’un cheval au pays des Hespérides, doit-on voir simplement une cheftaine sémitique de la côte libyenne ou tunisienne, redoutée et caricaturée en raison de son statut de matriarche par les habitants de la mer Egée aux mœurs patriarcales, attirée par les chevaux (ou par leurs cavaliers !) dont nous avons dit qu’ils sont progressivement domestiqués et organisés en escadrons militaires en Méditerranée orientale à l’ère mycénienne ? Le géographe Pausanias en tous cas situe bien cet épisode de Persée contre Méduse en Afrique autour du lac Tritonide/Chott el-Jérid ("Sur l’agora d’Argos […] se trouve une éminence en terre qui renferme, dit-on, la tête de la Gorgone Méduse. On rapporte sur Méduse le discours suivant, qui s’écarte de la légende. Fille du roi Phorcys qui commandait les Libyens à la chasse ou à la guerre autour du lac Tritonide, elle lui succéda quand il mourut. Elle marcha à leur tête contre Persée, venu du Péloponnèse avec une petite troupe d’élite. Elle fut tuée par trahison durant la nuit. Persée fut tellement frappé de sa beauté, même morte, qu’il lui coupa la tête pour que les Grecs pussent l’admirer. Le Carthaginois Proclès fils d’Eucratès avance une autre version qu’il estime plus vraisemblable. Le désert libyen produit beaucoup de créatures si monstrueuses que le public hésite à y croire, notamment des hommes et des femmes sauvages. Proclès assure avoir vu un de ces hommes, qu’on avait amené à Rome. Il en déduit qu’une femme de cette espèce a pu s’égarer dans les environs du lac Tritonide et y terroriser les habitants, jusqu’à temps que Persée l’eût tuée. Comme ce pays est consacré à Athéna, on a pu affirmer partout que cette déesse a aidé Persée dans son entreprise", Pausanias, Description de la Grèce, II, 21.5-6). Le rationaliste Palaiphatos au IVème siècle av. J.-C. aussi ("Phorcys avait un ami noble et courageux que ses filles [Sthéno, Euryalè et Méduse] surnommaient “Ophthalmon” parce qu’il veillait sur leurs affaires ["OfqalmÒn", littéralement "l’Œil "]. Persée, exilé d’Argos, s’adonnait alors à la piraterie contre les villages côtiers avec ses navires et ses hommes. Apprenant que dans les parages existait un royaume tenu par trois femmes, très riche, et où les hommes étaient rares, il mit le cap dessus. Tandis qu’il mouillait dans le détroit entre Kernè [sur la côte atlantique, aujourd’hui Essaouira au Maroc] et Sarpédonia [site non localisé], il commença par capturer Ophthalmon qui naviguait d’une île à l’autre. Celui-ci déclara qu’elles ne possédaient aucun butin, exceptée la Gorgone chargée d’or. Comme Ophthalmon n’arrivait pas selon ses habitudes, les filles se réunirent dans ce lieu, et elles s’accusèrent les unes les autres, chacune niant le retenir, toutes se demandant où il était. Persée fit irruption dans leur réunion, il leur annonça retenir Ophthalmon prisonnier, ajoutant qu’il le libérerait à condition qu’elles lui révélassent où se trouvait la Gorgone, menaçant même de les tuer si elles gardaient le silence. Méduse garda le silence, mais Sthéno et Euryalé le lui apprirent. Persée tua alors Méduse, et rendit Ophthalmon aux deux autres. Il s’appropria la Gorgone, la démonta pour l’installer dans sa trière, qu’il rebaptisa “Gorgone”. Parcourant ensuite la mer avec ce navire, il rançonna les insulaires et tua ceux qui résistaient. Il finit par rançonner aussi les habitants de Sériphos. Les Sériphiens lui demandèrent quelques jours, le temps de collecter les fonds. Ils rassemblèrent des pierres hautes comme des hommes, qu’ils placèrent sur l’agora, puis ils abandonnèrent Sériphos. Quand Persée revint pour percevoir l’argent, il ne rencontra aucun homme, il vit seulement les hautes pierres sur l’agora. Alors Persée répéta aux autres insulaires qui ne voulaient pas le payer : “Ne prenez pas le risque de subir le sort des Sériphiens, qui sont devenus des pierres pour avoir osé regarder la Gorgone !”", Palaiphatos, Histoires incroyables 31). Diodore de Sicile également (il date Méduse peu de temps après l’époque de Myrina la reine des Amazones : "Les Gorgones se multiplièrent ensuite. Elles furent attaquées par Persée fils de Zeus, Méduse était alors leur reine", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique III.55). Récemment, une lecture naturaliste du mythe a cru voir dans Méduse une métamorphose du catoblépas, animal aujourd’hui disparu, mais qu’on trouvait dans le nord-est de l’Afrique à l’ère mycénienne jusqu’à l’ère impériale romaine, décrit notamment par Pline l’Ancien et Elien comme un gnou à grosse tête, portant une grosse crinière, exhalant une haleine pestilentielle ("Près de la source [du Nil] vit une bête appelée “catoblépas” de taille moyenne, dont les membres sont inertes. Sa seule occupation est de porter sa lourde tête, qui est toujours inclinée vers le sol, heureusement car ses yeux portent la mort, quiconque les voit expire aussitôt", Pline l’Ancien, Histoire naturelle VIII.32 ; "La Libye, qui produit beaucoup d’animaux de formes diverses, est notamment le pays de celui appelé “catoblepas”. Cette bête ressemble à un taureau, mais son regard est plus sauvage et plus terrible, ses sourcils épaix assombrissent ses yeux, qui sont plus petits que ceux du taureau et gorgés de sang, et qui regardent non pas vers l’avant mais vers le sol, d’où son nom ["katoblšpaj", c’est-à-dire "qui regarde/blšpw en bas/k£tw"]. Une crinière semblable à celle du cheval avance jusque sur son front, couvrant une partie de sa face, lui donnant un aspect encore plus redoutable. Il se nourrit d’herbes vénéneuses. Quand il aperçoit un objet nouveau, son poil se hérisse, sa crinière se dresse, ses lèvres s’ouvrent, et de son gosier sort un souffle pestilentiel avec un son rauque. L’air empoisonné par cette haleine devient funeste aux animaux qui le respirent : ils perdent l’usage de la voix, et tombent rapidement dans des convulsions mortelles", Elien, Sur la nature des animaux VII.5) : pour notre part, nous ne retenons pas cette hypothèse, même si nous constatons qu’elle enracine encore Méduse en Afrique. La suite des aventures de Persée, relative à Andromède, semble également située dans l’antique aire sémitique. Andromède est la fille de Céphée, que le tragédien Euripide au Vème siècle av. J.-C., dans une œuvre perdue citée par pseudo-Apollodore, désigne comme un fils de Bélos : Céphée serait donc le frère d’Egyptos et de Danaos, et le neveu d’Agénor ("[Bélos] épousa Anchinoé la fille du Nil, qui lui donna deux jumeaux, Egyptos et Danaos. Selon Euripide, Bélos eut deux autres fils : Céphée et Phinée", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 1.4). Nous rejetons cette affirmation tardive du tragédien car elle est incompatible autant avec notre propre chronologie qu’avec la chronologie interne de la mythologie grecque (sauf si on admet que Céphée a vécu plus de cent ans, entre l’époque d’Egyptos et Danaos vers -1500 et l’époque de Persée arrière-arrière-arrière-petit-fils de Danaos vers -1400 !). Nous écoutons favorablement en revanche les linguistes modernes qui voient dans le nom de "Céphée/KhfeÚj" une hellénisation de la cité sémitique levantine de "Jaffa", qui constitue aujourd’hui le quartier sud de Tel-Aviv capitale d’Israël, bien attestée par le papyrus Harris 500 conservé au British Museum de Londres en Grande-Bretagne relatant la conquête du Levant par le général Djehuti sous les ordres du pharaon Thoutmosis III dans la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C. (cela harmonise poétiquement le propos d’Euripide, puisque Jaffa se trouve à mi-chemin entre l’Egypte et la cité de Tyr, respectivement les royaumes d’Egyptos et d’Agenor). Ce rapprochement entre Céphée et Jaffa est d’autant plus crédible que la cité de Jaffa se trouve en plein cœur du territoire de la tribu de Dan bien connue des exégètes bibliques, dont nous avons dit plus haut qu’elle est constituée de descendants de Danaos l’ancêtre de Persée : autrement dit, Persée, indésirable à Argos, exilé volontaire de Sériphos, s’adonne à la piraterie sur les côtes nord africaines en utilisant Jaffa la cité de ses cousins danaens comme base arrière. Céphée a pour épouse la belle et arrogante Cassiopée, qui se considère plus attirante que les Néréides, des déesses marines. La prétention de Cassiopée finit par agacer Poséidon, alias le dieu sémitique de l’Orage Addu selon notre hypothèse plusieurs fois expliquée, qui en punition provoque des tempêtes via un monstre marin contre le royaume de Céphée - ce qui implique que le royaume de Céphée est bien en bordure de mer, et qu’il peut correspondre au territoire de Jaffa. Pour résoudre ce fléau, Céphée sous la pression de ses sujets applique la recette observable partout en Méditerranée orientale sémitique à cette époque : il programme un sacrifice de prémices, avec sa propre fille Andromède comme victime ("Cassiopée, l’épouse de Céphée, avait osé se vanter d’être plus belles que les Néréides lors d’un concours de beauté. Pour défendre les Néréides ainsi offensées, Poséidon en colère avait provoqué une inondation dévastatrice et envoyé un monstre marin. Ammon [le dieu infanticide dont nous avons déjà parlé dans notre paragraphe introductif] avait alors donné sa réponse : la seule façon de mettre fin à ce fléau était de livrer Andromède, la fille de Cassiopée, en pâture au monstre. Céphée, sous la pression de ses sujets éthiopiens, avait obéi : il avait enchaîné la jeune fille à un rocher", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.3). La scène mythologique de Persée délivrant Andromède de ses chaînes, doit être rapprochée de la scène du Colchidien Kytissoros délivrant le jeune Athamas que nous avons évoquée plus haut, ou de la scène du héros Héraclès délivrant la jeune Déjanire en Acarnanie ou la jeune Hésione en Troade à la fin de l’ère mycénienne. On note que dans les plus anciennes versions inocographiques conservées de cet épisode, comme celle du vase PM F1652 de l’Altes Museum de Berlin en Allemagne (où Persée porte encore son pétasos thessalien), Persée repousse le monstre marin avec des pierres : est-ce une manière poétique de sous-entendre qu’Andromède a échappé au sacrifice simplement grâce à la construction d’une digue supervisée par Persée, préservant les terres autour de Jaffa de nouvelles inondations calamiteuses ? Persée revient à Sériphos avec Andromède qui est désormais son épouse, et avec la tête de la Gorgone Méduse (c’est-à-dire non pas une statue ou une image mais une vraie tête de femme décapitée, exposée comme un trophée macabre et terrorisant, destinée à signifier à ses adversaires : "Si vous ne m’obéissez pas, je vous imposerai le même sort !", qui doit être dans un état de décomposition avancée lors de son retour à Sériphos…). Ses exploits lui confèrent un poids politique, qui lui permet de débarrasser l’île de l’ambitieux Polydecte, son père adoptif Dictys en devient alors le seul maître ("Quand Persée aperçut [Andromède], il tomba immédiatement amoureux d’elle, et il promit à Céphée de tuer le monstre et de sauver Andromède, à condition de l’avoir pour épouse. L’accord fut scellé par un serment. Persée attaqua le monstre marin d’en haut, le tua et libéra la jeune fille. […] Revenu à Sériphos, il découvrit sa mère réfugiée avec Dictys sur les autels, pour échapper aux violences de Polydectès. Aussitôt le héros se rendit auprès du roi : il entra dans le palais, où Polydectès se trouvait avec tous ses amis, il sortit la tête de la Gorgone pour la leur montrer, et dès qu’ils la virent ils se changèrent en pierre, en se figeant dans l’attitude qu’ils avaient à ce moment-là. Persée donna le trône de Sériphos à Dictys", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.3 ; "[La tradition] dit que Persée revint plus tard à Sériphos avec la tête de la Gorgone, qu’il présenta aux Sériphiens pour les pétrifier, et venger ainsi sa mère de l’injurieuse prétention de Polydecte roi de Sériphos à vouloir l’épouser contre son gré avec l’approbation de ses sujets. Comme par ailleurs l’île est très rocailleuse, les poètes comiques disent qu’elle aussi a été pétrifiée par la Gorgone", Strabon, Géographie, X, 5.10). On ignore comment Acrisios apprend que Danaé et Persée sont toujours vivants. Les auteurs antiques disent seulement que Persée souhaite le rencontrer, tandis qu’Acrisios toujours hanté par l’oracle lui annonçant sa propre mort par la main de son petit-fils, choisit de demeurer à distance ("Persée se rendit à Argos avec Danaé et Andromède pour rencontrer Acrisios. Quand celui-ci l’apprit, toujours inquiet à cause de l’ancien oracle, il quitta Argos et gagna le territoire des Pélasges", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.4 ; "Acrisios ayant appris que Persée était vivant et s’était distingué par ses actions, se retira à Larissa sur les bords du fleuve Pénée. Mais Persée voulant absolument voir le père de sa mère et acquérir son amitié, par des paroles prévenantes ou par des stratagèmes, se rendit à Larissa ", Pausanias, Description de la Grèce, II, 16.2). Une compétition sportive est organisée à Larissa en Thessalie, Persée y participe comme lanceur de disque. Lors de l’épreuve, il surclasse ses concurrents en lançant le disque plus loin qu’eux. Beaucoup plus loin. Trop loin. Le disque dépasse la piste, et retombe sur le vieux Acrisios, qui se trouvait dans le public. Le choc cause probablement une gangrène : Acrisios meurt ("Teutamidès le roi de Larissa avait organisé des épreuves athlétiques en l’honneur de son père mort, et Persée voulut participer aux jeux. Dans l’épreuve du pentathlon, son disque tomba sur le pied d’Acrisios, qui mourut rapidement. Ainsi l’oracle s’accomplit-il. Persée ensevelit Acrisios à l’extérieur de la ville", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.4 ; "Persée alors en pleine maturité s’enorgueillissait publiquement du disque qu’il avait fabriqué. Un jour qu’il s’exerçait, Acrisios se trouvait à portée fatale de ce disque, qui l’atteignit et le tua. Ainsi fut accompli l’oracle divin, toutes les inventions d’Acrisios contre sa fille et contre son petit-fils ne changèrent rien à l’ordre des destins", Pausanias, Description de la Grèce, II, 16.2-3). Persée revient en Argolide, mais, affligé par la mort accidentelle de son grand-père qu’il a causée, il renonce à lui succéder sur le trône d’Argos. Il convient donc d’un échange avec son cousin Mégapenthès, fils et successeur de Proétos - qu’on suppose mort à cette date - : Mégapenthès devient roi d’Argos, tandis que lui-même se retire à Tirynthe. La tradition ajoute qu’il bâtit des murs fortifiés autour de Mycènes voisine avec l’aide des Cyclopes, ainsi que la célèbre porte des Lions exhumée par Heinrich Schlieman au XIXème siècle, ("Honteux de retourner à Argos pour y succéder au roi mort par sa faute, [Persée] alla à Tirynthe, où régnait Mégapenthès le fils de Proétos, et il échangea le trône d’Argos contre le sien. Ainsi Mégapenthès régna sur Argos, et Persée, sur Tirynthe, et aussi sur Mycènes et Midéa qu’il fortifia", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.4 ; "De retour à Argos, Persée ne supportant pas les rumeurs sur la mort [d’Acrisios] proposa à Mégapenthès fils de Proétos d’échanger le trône d’Argos contre son territoire, sur lequel il fonda Mycènes. Certains disent que la poignée de son épée tomba sur ce lieu, et que cela lui parut un présage pour y fonder une cité. D’autres disent que, pressé par la soif, il eut l’idée d’arracher un champignon ["mykès/mÚkhj" en grec], l’eau en sortit, il s’en désaltéra, et pour cette raison appela le lieu “Mycènes” ["MukÁnai", qui selon cette version signifierait littéralement "les Champignons"]. De son côté, Homère dans l’Odyssée évoque d’une femme nommée “Mycènè” : “Tyro, Alcmène et la belle Mycènè” [Odyssée II.120]. On lit dans le grand poème intitulé par les Grecs Ehées ["Ho‹ai", aussi connu sous le titre Catalogue des femmes, œuvre d’Hésiode dont chaque strophe commence par la formule "À o†h…", "ou telle femme…"] qu’elle était la fille d’Inachos et la femme d’Arestor, et que c’est à elle que la cité doit son nom. Ceux qui avancent enfin l’hypothèse d’un “Mycèneus fils de Sparton”, et d’un “Sparton fils de Phoronée”, ne sont pas crédibles, puisque cette hypothèse est rejetée par les Spartiates eux-mêmes, qui montrent bien à Amyclées la statue de Sparta, mais qui sont très surpris quand on leur parle d’un soi-disant “Sparton” fils de Phoronée. […] On voit aujourd’hui encore des vestiges des murs [de Mycènes], et une porte sur laquelle sont des lions. On dit qu’ils sont l’œuvre des Cyclopes, les mêmes qui bâtirent les fortifications de Tirynthe pour Proétos", Pausanias, Description de la Grèce, II, 16.3-5). Cette précision est très intéressante, car nous avons vu plus haut que Mycènes jusqu’au milieu de l’ère mycénienne n’est probablement pas une cité mais une nécropole, où sont enterrés les rois argiens descendants de Danaos : en transformant cette nécropole en un lieu habitable, où lui-même s’installe, Persée rongé par le remords montre publiquement son désir de se rapprocher de ses ancêtres danaens, ou, pour dire les choses plus simplement, il s’enterre vivant, en renonçant au pouvoir, au confort, aux honneurs (notons au passage que le qualificatif "mycénienne" utilisé commodément par les spécialistes depuis la fin du XIXème siècle pour désigner l’ère qui nous occupe, doit être autant relativisé que le qualificatif "minoenne" désignant l’ère précédente : selon la mythologie et selon les conclusions des archéologues, Mycènes n’existe comme cité que tardivement, à partir de Persée, en tous cas bien après Argos ou Athènes ou La Cadmée ou Sparte, et elle ne devient puissante qu’à l’extrême fin de l’ère qui porte son nom…). La fin de Persée reste sujette à débat (tué par Mégapenthès selon une incidence d’Hygin au paragraphe 3 chapitre 244 de ses Fables). En l’absence de consensus, limitons-nous à rappeler que Persée et Andromède ont eu un fils à Jaffa, nommé "Persès", qui est resté vivre chez son grand-père Céphée et donnera son nom aux futurs Perses ("[Persée] eut des enfants d’Andromède. Avant son départ pour la Grèce était né Persès, qui resta vivre avec Céphée : on dit que c’est de lui que viennent les Perses", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.5 ; "Le père de Cyrus II était Cambyse Ier, roi des Perses [au VIème siècle av. J.-C.]. Ce Cambyse Ier était de la race des Perséides, qui tirent leur nom de Persée", Xénophon, Cyropédie, I, 2.1 ; "Xerxès Ier, avant de se lancer contre la Grèce [en -480], envoya aux Argiens un héraut qui, arrivé chez eux, leur tint ce discours : “Argiens, le Grand Roi Xerxès Ier vous dit : nous sommes des Perséides, issus de Persée fils de Danaé et d’Andromède fille de Céphée, nous sommes ainsi vos descendants. Par conséquent, nous ne saurions marcher contre nos pères, et vous ne sauriez devenir nos ennemis en secourant d’autres peuples : il est naturel au contraire que vous restiez en paix chez vous car, quand j’obtiendrai le succès que je prévois, personne à mes yeux ne comptera plus que vous”", Hérodote, Histoire VII.150 ;"Voyons d’abord, en comparant nos qualités aux leurs, si les rois de Sparte et de Perse sont inférieurs à nous. Sommes-nous d’accord pour dire que ceux-ci descendent d’Héraclès et ceux-là d’Achéménès, et qu’Héraclès et Achéménès descendent de Persée fils de Zeus ?", Platon, Alcibiade majeur 120d). Parmi leur nombreuse progéniture née en Argolide, détaillée par pseudo-Apollodore au livre II paragraphe 4 alinéa 5 de sa Bibliothèque, mentionnons trois autres fils qui joueront des rôles importants : Alcée, Sthénélos et Electryon. Au terme de cette biographie, on doit admettre que les déclarations de certains professeurs émérites des XIXème et XXème siècles rattachant Persée au monde indoeuropéen (depuis la fameuse porte des Lions de Mycènes qu’ils s’empressent de comparer à la porte des Lions de la cité hittite Hatussa en refusant de voir que la décoration de cités ou de monuments par l’image du lion est un lieu commun du monde méditerranéen oriental, jusqu’au nom "Persée" qu’ils s’empressent d’associer à des étymons indoeuropéens en refusant de voir que nous n’en connaissons que la forme hellénisée tardive "PerseÚj"), sont totalement absconses : Persée n’appartient pas au monde indoeuropéen, mais au monde sémitique, autant par son lieu de naissance (Argos, qui remonte à l’ère minoenne, et qui ne doit son développement qu’à ses colons sémitiques venus des îles égennes juste en face, dont la Crète) que par sa famille (Persée est le fils du Danaen Acrisios, et sa grand-mère Eurydice vient de Laconie, qui est une région aussi sémitisée que l’Argolide, comme nous l’avons montré dans notre paragraphe introductif), par ses aventures (chez les Atlantes de la côte hespéride, puis chez le Levantin Céphée), et par sa fin (à Mycènes, auprès des cendres de son aïeul Danaos et des autres membres de sa famille royale issue de l’Egypte hyksos).


Revenons à La Cadmée. Nous avons quitté cette cité quand Polydoros, débarrassé de son encombrant neveu Penthée, et désigné seul héritier légitime par son père le vieux Cadmos, devient enfin roi avec les pleins pouvoirs. Polydoros épouse Nyctéis, fille de Nyctée. Nous devons nous arrêter sur ce Nyctée, qui a un frère nommé Lycos. L’origine de ces deux frères est très obscure. Le seul auteur antique qui nous en parle, pseudo-Apollodore, dit au livre III paragraphe 5 alinéa 5 de sa Bibliothèque qu’ils sont les fils d’un bouseux local nommé Chthonios apparenté à Echion le mari d’Agavé. Le problème est que le même auteur, au même livre de la même œuvre, paragraphe 10 alinéa 1, dit qu’ils sont les fils d’un certain "Hyriée fils de Poséidon" et d’une nymphe. On apprend qu’ils ont commis un meurtre sur l’île d’Eubée. En fuite, ils ont erré on-ne-sait-où car le texte est corrompu, avant de trouver asile à La Cadmée grâce à la bienveillance de Penthée ("Les deux frères [Nyctée et Lycos] avaient fui l’Eubée après avoir tué Phlégyas, fils d’Arès et de la Béotienne Dotis. Ils s’étaient réfugiés à Hyria. Ensuite [texte manque]. Grâce à leur amitié avec Penthée, ils étaient reconnus citoyens de Thèbes", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). On suppose qu’ils jouissent aussi de la bienveillance de Polydoros, puisque celui-ci en épousant Nyctéis devient le gendre de Nyctée. Le couple donne naissance à un fils, Labdacos ("Polydoros devint roi de Thèbes. Il épousa Nyctéis, la fille de Nyctée lui-même fils de Chthonios, dont il eut un fils, Labdacos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). On ignore la durée du règne de Polydoros, on sait seulement qu’il meurt après avoir confié la régence à son beau-père Nyctée, Labdacos n’étant encore qu’un enfant ("Labdacos était encore un enfant quand son père Polydoros mourut. Se sentant près de sa fin, ce dernier avait confié la tutelle de son fils et le gouvernement du pays à Nyctée", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.4). On ignore ensuite la durée de cette régence, on sait seulement qu’elle est assombrie par une guerre contre les habitants de la petite cité de Sicyone dans le nord-est du Péloponnèse. Les siècles nous ont transmis deux versions de cette guerre. Pausanias, qui expose la première version, situe sa cause dans le rapt de la belle Antiope, autre fille de Nyctée, donc sœur de Nyctéis désormais veuve, par Epopeus le roi de Sicyone. Au terme d’une bataille sanglante, Epopeus est vainqueur quoique mortellement blessé, et Nyctée est vaincu et aussi mortellement blessé. Juste avant de mourir, Nyctée confie la régence à son frère Lycos, en demandant de le venger ("Les Sicyoniens qui avaient jusqu’alors joui des douceurs de la paix, virent pour la première fois une armée ennemie entrer dans leur pays à l’occasion suivante. Antiope, fille de Nyctée, était célèbre dans toute la Grèce par sa beauté. On racontait qu’elle était non pas la fille de Nyctée mais du fleuve Asope, qui sépare le pays de Thèbes de celui de Platées. Je ne sais pas si Epopeus l’avait demandée en mariage ou s’il utilisa immédiatement des moyens violents, en tous cas il la captura. Les Thébains prirent les armes et le poursuivirent. Une bataille s’engagea. Nyctée fut blessé, Epopeus le fut aussi, mais vainqueur. Nyctée fut emporté agonisant à Thèbes. Voyant sa fin approcher, il remit à son frère Lycos son frère l’autorité qu’il exerçait à Thèbes comme tuteur de Labdacos, fils de Polydoros lui-même fils de Cadmos, en le conjurant de marcher contre Egialée [autre nom de la cité de Sicyone] avec une armée plus considérable afin de le venger d’Epopeus et de punir Antiope elle-même dès qu’il la reprendrait", Pausanias, Description de la Grèce, II, 6.1-2). Heureusement, Epopeus meurt à son tour de ses blessures, et son successeur, plus sage, décide de renvoyer Antiope à La Cadmée. Une nouvelle bataille est ainsi évitée. En chemin vers La Cadmée, Antiope accouche de jumeaux, fruit de son union - consentie ou non ? - avec Epopeus : Zéthos et Amphion ("Epopeus mourut à son tour peu de temps après, des suites de sa blessure qu’il avait négligée dans un premier temps. Lycos fut ainsi dispensé de préparer une nouvelle bataille, Lamédon fils de Coronos et successeur d’Epopeus ayant décidé de rendre Antiope. Sur le chemin d’Eleuthères qui la ramenait à Thèbes, elle accoucha. Asios fils d’Amphiptolémos évoque cet épisode dans les vers suivants : “Antiope, fille de l’Asope aux gouffres profonds, ayant accordé ses faveurs à Zeus et au roi Epopeus, engendra Zéthos et le divin Amphion”", Pausanias, Description de la Grèce, II, 6.3-4). Pseudo-Apollodore, qui expose la seconde version, donne un rôle plus positif à Epopeus, puisque selon lui Antiope a couché avec un inconnu (Zeus !) qui l’a engrossée, offensant ainsi l’honneur de son père Nyctée, qui l’a maudite. La jeune femme a quitté La Cadmée, et trouvé asile chez Epopeus à Sicyone. Tiraillé entre honte et rage, Nyctée finit par se suicider. Son frère Lycos lui succède comme régent, déterminé à punir Epopeus et à ramener Antiope à La Cadmée ("Antiope était la fille de Nyctée. Zeus coucha avec elle. Quand elle fut enceinte, son père la chassa. La jeune femme se réfugia à Sicyone, auprès du roi Epopeus, qu’elle épousa. Lors d’un accès de désespoir, Nyctée se donna la mort, laissant à Lycos le soin de punir Epopeus et Antiope", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). Les troupes de Lycos conquièrent Sicyone, tuent Epopeus, et ramènent Antiope vers La Cadmée. Pseudo-Apollodore raccorde ensuite avec la première version, en montrant Antiope qui accouche de jumeaux en chemin, Zéthos et Amphion ("C’est ainsi que Lycos marcha sur Sicyone, qu’il investit. Il tua Epopeus, et captura Antiope. En chemin, près d’Eleuthères en Béotie, Antiope accoucha de deux jumeaux. Ils furent aussitôt abandonnés, mais un bouvier les trouva et les éleva, en appelant celui-ci Zéthos et celui-là Amphion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). Les années passent. Labdacos parvient enfin à l’âge adulte, il devient roi, le régent Lycos s’efface. Mais Labdacos ne dure pas longtemps, car il est vaincu dans un obscur conflit frontalier contre Pandion II le huitième roi d’Athènes allié à un bâtard thrace (fils d’Arès !) nommé Térée ("Une guerre frontalière éclata contre Labdacos. Pandion [II] appela à l’aide le Thrace Térée fils d’Arès. Grâce au secours de Térée, la guerre se termina par la victoire de Pandion [II]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 14.8 ; nous avons expliqué plus haut que ce passage de pseudo-Apollodore se rapporte bien à Pandion II, et non pas à Pandion Ier qui a vécu un siècle plus tôt). Pseudo-Apollodore dit que Labdacos meurt "parce qu’il s’est comporté de la même façon que Penthée" : doit-on déduire qu’il a refusé d’accorder des honneurs divins au Cadméen Dionysos ? Le même auteur ajoute que Labdacos laisse un très jeune fils, Laïos, que Lycos s’empresse de protéger. C’est ainsi que Lycos redevient régent de La Cadmée ("[Labdacos] mourut comme Penthée, après s’être comporté de la même façon. Labdacos laissa un fils nommé Laïos, âgé d’à peine un an. La régence fut assurée par Lycos, le frère de Nyctée", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). Cette seconde régence de Lycos dure une vingtaine d’années ("Lycos, que les Thébains avaient élu polémarque, prit le pouvoir et conserva le royaume pendant vingt ans, jusqu’au jour où il fut tué par Zéthos et Amphion", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). Elle prend fin quand Zéthos et Amphion, devenus adultes, vengent les mauvais traitements de leur mère Antiope en tuant Lycos ("Zéthos s’occupait du bétail, tandis qu’Amphion s’exerçait à la lyre donnée par Hermès. Lycos et sa femme Dircé avaient enfermé Antiope, et la maltraitaient continuellement. Un jour, les liens qui retenaient Antiope se défirent. Celle-ci s’enfuit nuitamment, elle arriva à la cabane de ses deux garçons, en leur demandant asile. Quand Zéthos et Amphion comprirent qu’elle surent qu’elle était leur mère, ils tuèrent Lycos, et ils attachèrent Dircé à un taureau puis jetèrent son cadavre dans la source qui porte son nom depuis", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). Le jeune héritier légitime Laïos est contraint de fuir vers le sud, il trouve refuge à la Cour de Pélops fils de l’Anatolien Tantale dont nous parlerons juste après ("Ayant pris le pouvoir, les deux frères fortifièrent la cité. […] Ils chassèrent Laïos, qui alla se réfugier dans le Péloponnèse, où il reçut l’hospitalité de Pélops", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5 ; "Dans ma description de Sicyone, j’ai raconté comment mourut Nyctée, et comment la tutelle de l’enfant [Labdacos] et le gouvernement de Thèbes passèrent à son frère Lycos. Ce dernier remit la couronne à Labdacos dès qu’il fut en âge de gouverner. Mais Labdacos mourut peu de temps après. Son fils Laïos fut mis à son tour sous la tutelle de Lycos. Durant cette seconde régence, Amphion et Zéthos rassemblèrent des forces et entrèrent dans le pays. Laïos fut emporté par ceux qui voulaient préserver la race de Cadmos, et Lycos fut vaincu par les fils d’Antiope", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.5-6). Mais cette bonne entente entre Pélops et le jeune Laïos ne dure pas, car ce dernier tombe amoureux d’un des fils de Pélops et le kidnappe ("[Laïos] reçut l’hospitalité de Pélops, ce qui ne l’empêcha pas d’enlever Chrysippe son fils, dont il était devenu amoureux, en lui apprenant à conduire un char", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.5). En conséquence, Pélops se rapproche de Zéthos et Amphion : il donne sa sœur Niobé en mariage à Amphion (selon Strabon, la cité de Leuctres est fondée lors de ce mariage, par des colons péloponnésiens ayant accompagné Niobé : "Pélops aurait fondé Leuctres, ainsi que Charadra et Thalama [cités non localisées] en Béotie, à l’occasion du mariage de sa sœur Niobé avec Amphion et au moyen d’un certain nombre de colons", Strabon, Géographie, VIII, 4.4). La mythologie a conservé un souvenir ambigü du co-règne des deux frères. Ils enrichissent La Cadmée, qu’ils agrandissent en favorisant la création d’un quartier populaire fortifié en contrebas, qu’ils appellent "Thèbes" ("Homère donne [à Zéthos et Amphion] une naissance plus noble, et il dit qu’ils fondèrent Thèbes, sans doute la ville basse, distincte de La Cadmée", Pausanias, Description de la Grèce, II, 6.4), d’après le nom d’une mystérieuse "parente" selon Pausanias ("suggen»j/apparenté par le sang ou par alliance", de "gšnoj/naissance, sang, race" précédé de "sÚn/avec, relié à", par opposition à "genna‹oj/apparenté par la naissance/gšnoj, par la race, par le sang" et à "khdest»j/apparenté par alliance"). On remarque que cette appellation, qui finira par désigner la cité tout entière, est au pluriel ("Thèbes/QÁbai", littéralement "les thèbes"), comme "Mycènes/MukÁnai" (littéralement "les mycènes") ou "Athènes/Aq»nai" (littéralement "les athènes") ou "Delphes/Delfo…" (littéralement "les delphes") : on en déduit que ce quartier a été réalisé par synœcisme de populations jusqu’alors éparpillées dans des hameaux proches de La Cadmée (" Quand ils furent sur le trône, [Amphion et Zéthos] fondèrent la ville qui se trouve sous La Cadmée, et lui donnèrent le nom de Thèbes en hommage à leur parente Thébé. J’en ai pour preuve les vers suivants d’Homère dans l’Odyssée : “Ils fondèrent Thèbes aux sept portes et la fortifièrent car, malgré leur vaillance, ils n’auraient pu régner sur cette vaste plaine si Thèbes n’avait pas été fortifiée” [Odyssée XI.263-265]. Ces vers ne disent rien sur les talents vocaux d’Amphion, ni sur les murs de Thèbes qu’il aurait bâtis au son de sa lyre. Amphion fut célèbre par ses talents de musicien, les Lydiens, du fait de son alliance avec Tantale, ayant apporté l’harmonie qui porte leur nom et l’ayant incité à ajouter trois cordes à la lyre qui auparavant n’en comptait que quatre. L’auteur du poème sur Europe dit qu’il fut le premier à qui Hermès ait enseigné l’usage de la lyre, et qu’il attirait en chantant les pierres et les bêtes féroces. Myro de Byzance, auteur de vers héroïques et d’élégies, dit qu’Amphion fut le premier qui érigea un autel à Hermès, et qu’en récompense il reçut de lui la lyre", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.6-8 ; selon pseudo-Apollodore, Thébé est la femme de Zéthos : "Zéthos épousa Thébé et donna son nom à la cité", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.6). On doit comparer ce regroupement de populations à Thèbes derrière des murs fortifiés - pour les protéger des agressions extérieures ? ou pour les empêcher de sortir et de s’allier avec des cités concurrentes voisines ? -, au regroupement anarchique de la population attique au début de la deuxième guerre du Péloponnèse, en -431, derrière les murs fortifiés d’Athènes, source de la fièvre thyphoïde qui décimera la cité quelques années plus tard : on suppose que les conditions très approximatives de confort et d’hygiène dans lesquelles vivent les Béotiens dans ce quartier de Thèbes sont pareillement la cause principale de l’épidémie qui décime la cité quelques années plus tard. La tradition antique quant à elle, par manque de connaissances médicales, attribue l’origine de cette contagion calamiteuse à l’épouse d’Amphion, Niobé, coupable d’avoir prétendu un jour être plus féconde que la déesse Léto : ainsi offensée, la déesse Léto se serait vengée en décimant les Thébains, dont la majorité des enfants de Niobé. Face à cette maladie mortelle qu’ils n’arrivent pas à contrôler, les Thébains survivants maugréent, ils remettent en question l’autorité de Zéthos et Amphion, qui disparaissent on-ne-sait-comment. L’héritier légitime, le Labdacide Laïos, recouvre alors son trône. Niobé, regardée comme l’étrangère coupable de tous les maux, telle l’Autrichienne Marie-Antoinette beaucoup plus tard, retourne vivre sur le territoire paternel en Anatolie, près du mont Sipyle (qui a gardé son nom jusqu’à aujourd’hui sous la forme "Spil", dans la banlieue est d’Izmir en Turquie) : la légende dit que, privée de toute sensibilité après la perte de ses enfants, elle s’y transforme en pierre ("Niobé aux beaux cheveux blancs […] dans sa maison vit périr douze enfants, six filles et six fils en pleine jeunesse. Apollon tua les fils avec son arc d’argent, irrité contre Niobé, Artémis quant à elle lança ses traits contre les filles, parce que Niobé s’était prétendue l’égale de Léto aux belles joues sous prétexte que celle-ci n’avait eu que deux enfants tandis qu’elle en avait une multitude : ces deux-là les lui tuèrent tous. Pendant neuf jours, ils girent à terre, personne n’étant là pour les ensevelir, car le fils de Cronos avait changé les gens en pierres. Le dixième jour, ce furent les dieux fils du ciel qui vinrent les ensevelir", Iliade XXIV.602-612 ; "Amphion épousa Niobé fille de Tantale, dont il eut sept fils; Sipylos, Eupynotos, Minytos, Isménos, Damasichton, Agénor, Phaedimos et Tantale, et autant de filles, Ethodaia que certains surnomment Neaira, Cléodoxa, Astioché, Phthia, Pélopie, Astycratie et Ogygie. Selon Hésiode elle eut dix fils et dix filles, selon Hérodote elle eut deux fils et trois filles, et selon Homère elle eut six fils et six filles. Fière d’une aussi nombreuse famille, Niobé se vanta d’être plus féconde que Léto. Celle-ci indignée anima ses enfants contre elle : Artémis tua à coups de flèches toutes ses filles dans leur propre maison, et Apollon tua les fils lorsqu’ils étaient à la chasse sur le mont Cithéron. De tous les garçons et de toutes les filles d’Amphion, seule survécut Chloris, aînée de toutes, que Nélée épousa. Selon Télésilla, Amycla et Mélibée furent épargnées et Amphion fut tué. Niobé abandonna Thèbes, et se retira à Sipyle auprès de Tantale son père. Zeus, à sa prière, la changea en pierre, et cette pierre verse des larmes nuit et jour", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.6 ; "La jeune fille qu’on voit auprès de la déesse [dans le temple de Léto à Argos] est Chloris, l’une des filles de Niobé. Elle s’appelait d’abord Mélibée. Quand Apollon et Artémis tuèrent les enfants d’Amphion, elle fut épargnée ainsi que sa sœur Amycla, elles durent toutes deux la vie aux prières qu’elles adressèrent à Léto. Mais la frayeur dont Mélibée fut saisie lui occasionna sur-le-champ une pâleur qu’elle conserva jusqu’à la fin de ses jours, ce qui lui fit attira le surnom de “Chloris” [de "clîrij"/"blême, pâle, terne, gris"] au lieu du nom qu’elle portait auparavant. Les Argiens attribuent à ces deux sœurs la première fondation de ce temple de Léto, mais comme Homère me paraît mériter beaucoup plus de confiance qu’on ne lui en accorde ordinairement, je ne crois pas qu’aucun des enfants de Niobé ait échappé à la colère des enfants de Léto : ce poète dit effectivement, en parlant d’Apollon et d’Artémis que bien qu’ils ne furent que deux “ils les lui tuèrent tous” [Iliade XXIV.609], affirmant donc que la famille d’Amphion avait été entièrement détruite", Pausanias, Description de la Grèce II.21 ; "On raconte qu’Amphion est puni dans les Enfers des propos qu’il a tenus sur Léto et sur ses enfants. Le poème intitulé la Minyade, qui parle d’Amphion et Thamyris de Thrace, évoque cette punition. La famille d’Amphion ayant été anéantie par la peste ["loimÒj"], et le fils de Zéthos ayant été tué par sa mère pour je-ne-sais-quelle erreur, ces deux frères succombèrent à leur chagrin. Alors les Thébains rappelèrent Laïos", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.8-10 ; "Maintenant, parmi les rochers, au milieu des monts solitaires, sur le Sypile où on dit que se retirent les nymphes divines qui s’ébattent sur les bords de l’Achéloos, Niobé transformée en pierre par la volonté des dieux rumine son chagrin", Iliade XXIV.614-617 ; "Vers le haut du théâtre [de Dionysos à Athènes], dans les roches, au-dessous de l’Acropole, est une niche dans laquelle un trépied montre Apollon et Artémis tuant les enfants de Niobé. J’ai été moi-même au mont Sipyle, et j’ai vu cette Niobé : c’est un rocher escarpé qui, vu de près, ne ressemble nullement à une femme, mais en vous éloignant un peu vous croyez voir une femme ayant la tête penchée et en pleurs", Pausanias, Description de la Grèce, I, 21.2).


L’histoire de Pélops, frère de Niobé, est liée au monde sémitique anatolien. La mythologie rapporte que Tantale, d’origine obscure, habitant près du mont Sipyle, organise un sacrifice de prémices dont son fils Pélops est la victime. Après la cérémonie, les dieux rassemblent les membres de l’enfant, à l’exception de l’épaule gauche qui est remplacée par une prothèse en ivoire, et lui redonnent vie ("La mère haïe [Niobé, haïe par les Thébains, qui la considèrent comme la cause de l’épidémie qui les a décimés] est pleurée par un seul être : Pélops. Après avoir débarrassé son torse de ses vêtements, celui-ci montre l’ivoire de son épaule gauche. Cette épaule était originellement comme la droite, de même couleur, en chair, mais on raconte que ses membres furent découpés par les mains paternelles, que les dieux les rassemblèrent à l’exception de la partie entre la gorge et le haut du bras, et qu’ils remplacèrent ce membre perdu par un morceau d’ivoire, reconstituant ainsi Pélops en entier", Ovide, Métamorphoses VI.403-411). Parallèlement, Tantale est condamné à un double supplice par les dieux : quand il essaie de boire, l’eau fuit devant lui, et quand il essaie d’attraper des fruits, les arbres s’écartent pareillement de ses mains. Selon pseudo-Apollodore, Tantale est ainsi puni parce qu’il a "révélé les mystères divins" et "donné de l’ambroisie" aux hommes ("Je vis aussi Tantale en proie à ses tourments. Il était debout dans un lac, l’eau montait jusqu’à son menton, mais il ne pouvait pas la boire, car chaque fois qu’il se penchait en espérant y goûter, ce vieillard voyait disparaître le lac dans un gouffre, et réapparaître le sol sol de limon noir asséché par les dieux. Des arbres opulents au-dessus de sa tête, poiriers, grenadiers, pommiers, montraient leurs fruits d’or, ainsi que des gros oliviers et figuiers communs, mais à peine le veillard s’efforçait d’avancer sa main que le vent les emportaient jusqu’aux nuages", Odyssée XI.582-592 ; "Tantale purge sa peine dans l’Hadès. Il demeure immergé dans un lac, une pierre suspendue au-dessus de la tête, il voit sur les berges autour de lui des arbres lourds de fruits. L’eau monte jusqu’à son menton, mais quand il veut la boire elle se retire, et quand il veut cueillir un fruit, l’arbre et ses fruits sont poussés par le vent jusqu’aux nuages. Certains disent que Tantale a été puni pour avoir révélé aux hommes les mystères divins, et pour avoir donné de l’ambroisie à ses compagnons", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 2.1). Une fois de plus, les hellénistes intégristes se répandent en logorrhées philosophiques sur cet épisode, et une fois de plus notre lecture terre-à-terre s’oppose absolument à la leur : dans l’"ambroisie/¢mbros…a", substance à l’étymologie inconnue que ces hellénistes traduisent pudiquement par "nectar", désignant à la fois la nourriture des dieux et le liquide qui coulent dans leurs veines, nous ne voyons pour notre part que le sang des enfants qu’on sacrifiait à ces dieux durant la haute Antiquité. Quand pseudo-Apollodore dit que Tantale a été condamné pour avoir "donné de l’ambroisie" aux hommes, nous devons simplement comprendre qu’il a refusé d’offrir le sang de son fils Pélops aux dieux lors d’un sacrifice de prémices, et que cela a contrarié les dieux… ou les prêtres serviteurs de ces dieux, qui l’ont maudit en conséquence. Et quand la mythologie dit que Pélops a été amputé d’une épaule, remplacée par une prothèse en ivoire, nous devons simplement comprendre que Tantale est l’auteur de cette amputation, destinée à calmer la soif infanticide de ces dieux, ou des prêtres serviteurs de ces dieux. Pausanias nous informe incidemment que Pélops succède à son père (qui est enterré sur place : "On voit encore aujourd’hui des vestiges du palais de Tantale et de Pélops. Un lac porte le nom de Tantale, et son tombeau est remarquable. On voit aussi le trône de Pélops au sommet du mont Sipyle, au-dessus du sanctuaire de la déesse-mère Plastènè ["Plast»nh", littéralement "Celle qui façonne/pl£ssw", peut-être un surnom de la déesse-mère asianique Kubaba/Cybèle]. Après avoir traversé l’Hermos [aujourd’hui le fleuve Gediz], on voit à Temnos une statue d’Aphrodite en bois de myrte, dont la tradition dit qu’elle a été érigée par Pélops afin que la déesse l’aide à obtenir la main d’Hippodamie", Pausanias, Description de la Grèce, V, 13.7), mais doit quitter précipitamment son royaume, qui est envahi par un nommé "Ilos" peut-être apparenté à l’homonyme Ilos roi de Troie que nous avons évoqué au début du présent alinéa  ("Le tombeau de Tantale, fils de Zeus et de Pluto, se trouve au Sipyle, où je l’ai vu moi-même. Il mérite d’être vu. Tantale ne quitta jamais le Sipyle, contrairement à son fils Pélops après lui, que le Phrygien Ilos vint attaquer à la tête d’une armée", Pausanias, Description de la Grèce, II, 22.3). Pseudo-Apollodore dit que Pélops traverse la mer sur un "char volant" donné par Poséidon ("Pélops, après avoir été tué et cuisiné lors d’un festin divin, ressuscita plus beau qu’avant, et en raison de sa grande beauté il devint l’amant de Poséidon. Ce dernier lui offrit un char volant, qui pouvait aller sur la mer sans mouiller ses roues", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 2.3) : la référence à Poséidon, hellénisation du dieu sémitique de l’Orage Addu selon notre hypothèse récurrente, rattache Pélops au monde sémitique, la description de ce char volant naval rappelle par ailleurs les soi-disant ailes de Dédale et Icare, on doit certainement comprendre que Pélops traverse la mer Egée sur un bateau à voile qui, tels les bateaux à voile de Dédale et Icare, va si vite qu’il semble voler au-dessus des flots. Pélops débarque sur le continent européen. Il réussit à s’imposer à Pisa, un petit patelin en Elide, que les archéologues soupçonnent être l’ancien nom de la cité d’Olympie. Oenomaos, le seigneur de Pisa, a promis d’offrir la main de sa fille Hippodamie à quiconque le battrait à la course de chars. Pélops relève le défi, et remporte la course. Oenomaos étant victime d’un accident mortel lors de l’épreuve, Pélops devient le mari d’Hippodamie et le nouveau seigneur de Pisa. Le couple engendre une nombreuse progéniture, qui essaimera partout autour de Pisa, ce qui explique pourquoi toute la presqu’île au sud de Corinthe sera finalement appelée "Péloponnèse", littéralement "le territoire des descendants de Pélops" ("Oenomaos le roi de Pisa avait une fille, Hippodamie. Parce qu’il était amoureux d’elle selon les uns, ou parce qu’un oracle prédisait qu’il mourrait par son gendre selon les autres, elle était toujours célibataire. Elle, refusait les avances de son père, et lui, tuait tous ses prétendants. Oenomaos possédait des armes et des chevaux donnés par Arès, dont il se servait dans un défi lancé à chaque prétendant de sa fille : celui-ci devait emmener Hippodamie sur son char jusqu’à l’isthme de Corinthe, suivi par Oenomaos en armes, qui le tuait s’il le rattrapait, ou qui lui cédait la main d’Hippodamie s’il ne le rattrapait pas. De nombreux prétendants périrent dans ce défi, douze selon certains auteurs. Il coupait leurs têtes et les plantait à l’entrée de son palais. Pélops à son tour demanda la main d’Hippodamie qui, devant sa beauté, tomba amoureuse de lui, et persuada Myrtilos, fils d’Hermès et aurige d’Oenomaos, de l’aider. Myrtilos, qui l’aimait et désirait lui plaire, desserra les clous des essieux du char d’Oenomaos. Ce dernier perdit la course, les rênes s’enroulèrent, il fut traîné à terre et mourut. Mais beaucoup disent qu’il fut tué par Pélops […]. C’est ainsi que Pélops épousa Hippodamie […]. Il monta sur le trône d’Oenomaos, et conquit toute la région appelée alors “Apia” dans le territoire des Pélasges, qu’on appelle aujourd’hui “Péloponnèse” d’après son nom", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 2.4-9 ; la victoire de Pélops à la course sera vite légendaire puisqu’elle sera reproduite sur le manteau de Jason au XIIIème siècle av. J.-C. selon Apollonios de Rhodes ["Ensuite sont figurés deux chars de course, Pélops conduit le premier en secouant les rênes, sa passagère est Hippodamie", Apollonios de Rhodes, Argonautiques I.752-754]). Le mariage du jeune Pélops avec Hippodamie est contemporain de la jeunesse de Persée puisque, comme on l’a vu plus haut, c’est à l’occasion de la collecte de dons pour ce mariage que Persée lance sa promesse de ramener à Sériphos la tête de la Gorgone Méduse. Le règne de Pélops à Pisa est également contemporain du putsch de Zéthos et Amphion à La Cadmée puisque, comme nous venons de le voir, c’est à la Cour de Pélops que le jeune prince cadméen Laïos trouve refuge. Nous ignorons le détail de ce règne, excepté ce que nous avons raconté : Pélops écarte finalement Laïos et se rapproche de Zéthos et Amphion avant leur chute. Notons que Pélops hérite d’un sceptre mystérieux, façonné par Héphaïstos pour Zeus, qui l’a donné ensuite à Hermès, lequel l’a transmis à Pélops dans des circonstances inconnues, qui deviendra un symbole royal de domination sur le Péloponnèse ("[Agamemnon] tient le sceptre façonné jadis par Héphaïstos, qui l’a donné au seigneur Zeus fils de Cronos, Zeus l’a donné ensuite au Messager Argeiphontès ["ArgeifÒnthj", littéralement "Tueur d’Argos", surnom d’Hermès à la signification inconnue], le seigneur Hermès l’a donné ensuite à Pélops le dompteur de chevaux, Pélops l’a donné ensuite à Atrée le pasteur d’hommes, Atrée mourant l’a donné ensuite à Thyeste le riche berger, et Thyeste l’a déposé ensuite dans les mains d’Agamemnon désigné pour régner sur de nombreuses îles et l’Argolide tout entière", Iliade, II.100-108). Notons aussi que l’emblématique prothèse en ivoire de Pélops deviendra une relique sacrée longtemps après sa mort, chargée de grands pouvoirs ("On raconte que, la guerre de Troie traînant en longueur, les devins déclarèrent que cette cité ne serait pas conquise sans les flèches d’Héraclès et l’ivoire de Pélops. Les Grecs firent donc venir Philoctète dans leur camp, et ils envoyèrent des hommes chercher l’ivoire de Pélops à Pisa. Mais au retour, beaucoup de navires grecs sombrèrent au large de l’Eubée, dont celui qui rapportait l’ivoire de Pélops. Longtemps après la prise de Troie, un pécheur d’Erétrie nommé Damarménos, ayant jeté ses filets dans la mer, en retira l’ivoire. Etonné de sa grandeur, il le cacha dans le sable, et se rendit à Delphes pour demander au dieu [Apollon] à quel homme il appartenait, et ce qu’il devait en faire. Une épidémie ravageait à ce moment les Eléens, qui demandaient au même dieu comment l’arrêter. L’oracle divin incita alors les Eléens à recouvrer l’ivoire de Pélops, et Damarménos à donner aux Eléens ce qu’il avait trouvé. Damarménos obéit à l’oracle. Les Eléens le remercièrent, notamment en lui confiant la garde de l’ivoire de Pélops. Celui-ci n’existe plus aujourd’hui, ses longues années passées dans l’eau et le travail du temps l’ayant finalement corrompu", Pausanias, Description de la Grèce, V, 13.4-6).


Nous n’avons pas grand-chose à dire sur le règne de Pandion II à la même époque. Nous venons de voir que ce huitième roi d’Athènes est indirectement responsable de la chute du Cadméen Labdacos, qu’il vainc lors d’une bataille frontalière avec l’aide du Thrace Térée. Au IVème siècle av. J.-C., dans une œuvre perdue à l’exception d’un passage cité par Athénée de Naucratis, le poète comique Eubule évoque l’opulence du début de règne de Zéthos et Amphion à Thèbes, en l’opposant à la pauvreté d’Athènes à la même époque ("On lit aussi dans Eubule : “Il ordonne à Zéthos de demeurer dans l’opulente Thèbes où le pain abonde pour satisfaire son gros appétit, en même temps qu’il ordonne à l’illustre musicien [Amphion] d’aller vivre dans la célèbre Athènes où les Cécropides se rassasient d’air et se repaissent d’espoirs”", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes II.27). Peut-on expliquer par cette pauvreté générale le fait que Pandion II est finalement évincé du trône par ses cousins les fils de Métion ? C’est possible, car tout putsch s’appuie toujours sur une part de mécontentement populaire, et le mécontentement populaire utilisé par les fils de Métion pourrait découler d’un manque de vivres et d’un manque d’espoir. Pandion II s’exile à Mégare, gouvernée par un nommé "Pylas" que le géographe Pausanias présente comme un sujet de Pandion II ("La Mégaride frontalière d’Eleusis appartenait jadis aux Athéniens. Pour preuves, le roi Pylas se rétracta pour la laisser à Pandion [II], qui est enterré en Mégaride, et Nisos céda le trône d’Athènes à l’aîné Egée et devint roi de Mégare jusqu’à la Corinthie, avec Nisaia le port de Mégare qui lui doit son nom jusqu’à aujourd’hui", Pausanias, Description de la Grèce, I, 39.4). Ce Pylas quitte la cité à la suite de malheureuses intrigues de Cour ("Pandion [II] régna ensuite [après son père Cécrops le jeune], mais il fut chassé lors d’une rébellion des fils de Métion. Il s’exila alors à Mégare, à la Cour de Pylas, dont il épousa la fille Pylias. Plus tard, le trône de la cité lui fut confié, Pylas ayant tué Bias le frère de son père. Après avoir cédé le royaume à Pandion [II], Pylas partit vers le Péloponnèse avec une partie de ses sujets, il y fonda la cité de Pylos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15, 5). La mythologie donne plusieurs fils à Pandion II, qui posent problème. La tradition voit Egée comme l’aîné, et Nisos et Lycos comme les cadets, mais pseudo-Apollodore renvoie à des commentateurs qui considèrent Egée comme le fils d’un nommé "Skyrios/Skur…oj" ("A Mégare, Pandion [II] eut quatre fils : Egée, Pallas, Nisos et Lycos. Certains disent qu’Egée était le fils de Skyrios, et que Pandion [II] le considéra comme le sien", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15, 5), or Pausanias de son côté évoque incidemment un "Skiron/Sk…rwn" fils du Pylas et époux d’une fille de Pandion II ("Klèson fils de Lélex fut le père de Pylas, qui lui-même fut le père de Skiron, qui épousa une fille de Pandion [II]", Pausanias, Description de la Grèce, I, 39.6 ; "Skiron le polémarque des Mégariens rendit praticable aux fantassins le chemin qui porte encore son nom", Pausanias, Description de la Grèce, I, 44.6). Doit-on considérer "Skyrios" comme une corruption de "Skiron" graphiquement proche, due à un copiste maladroit ? C’est possible, car pseudo-Apollodore au livre III paragraphe 12 alinéa 6 de sa Bibliothèque et Pausanias au livre II paragraphe 29 alinéa 9 de sa Description de la Grèce mentionnent incidemment un Skiron roi de Mégare d’origine obscure et père d’Endéis la future épouse d’Eaque. L’identité de ce Skiron père d’Endéis est confirmée par Plutarque dans sa Vie de Thésée ("Skiron fut […] le beau-père d’Eaque, et le grand-père de Pélée et de Télamon les fils d’Endéis fille de Skiron et de Chariclo", Plutarque, Vie de Thésée 10). Autrement dit, Pandion II serait non pas le père, mais le grand-père d’Egée, via ce "Skyrios/Skiron" fils de l’ancien gouverneur local Pylas (selon cette hypothèse, les adversaires de Thésée cités par Plutarque au paragraphe 13 de sa Vie de Thésée ont tort de désigner Egée comme un "fils adoptif de Pandion II" qui "n’a aucun lien avec la famille des Erechthéides" : Egée ne serait pas un fils adoptif mais le petit-fils de Pandion II, considéré par Pandion II comme son héritier légitime, il serait donc rattaché à la famille des Erechthéides par sa mère). Cela impliquerait que Nisos est l’aîné de Pandion II, et Lycos le cadet. A la mort de Pandion II, un conflit dynastique éclate entre les deux beaux-frères Nisos et Skiron. Ce conflit s’achève par l’arbitrage d’Eaque, roi de l’île d’Egine voisine, qui coupe le fruit en deux en reconnaissant Nisos comme roi de Mégare, et Skiron comme général de l’armée mégarienne ("Après la mort de Pandion [II], son fils Nisos fut contesté par Skiron. Ils prirent Eaque pour juge, qui donna la couronne à Nisos et à ses descendants, et le commandement des armées à Skiron", Pausanias, Description de la Grèce, I, 39.6). Devenu un jeune homme, Egée complote avec son oncle Lycos pour recouvrer Athènes toujours dominée par les descendants de Métion. Le coup de force réussit. Egée s’empare du trône ("Après la mort de Pandion [II], ses enfants marchèrent sur Athènes, ils chassèrent les Métionides et partagèrent le royaume en quatre. Mais Egée obtint le pouvoir absolu", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.6), et il écarte Lycos, qui, après un temps d’errance dans le Péloponnèse ("Lycos fils de Pandion [II] donna beaucoup d’éclat à la célébration des mystères des grandes déesses [Déméter et Perséphone]. On appelle “bois de Lycos” l’endroit où l’on purifiait les initiés. Ce bois associé à Lycos est évoqué par Rhianos de Crète [poète et grammairien du début de l’ère hellénistique] dans ses vers : “Vers l’âpre Elis au-dessus du bois de Lycos”. Ce Lycos était bien le fils de Pandion [II], cela est prouvé par les vers placés sur le portrait de Méthapos, un Athénien qui plus tard changea un peu le rituel de ces mystères, grand connaisseur de toutes les cérémonies secrètes, instaurateur des mystères des Cabires à Thèbes : dans la maison des Lycomides [descendants de Lycos demeurés à Athènes] se trouve un portrait de ce Méthapos avec une inscription qui confirme notamment ce que je viens de dire : “J’ai purifié la maison d’Hermès, séjour de Déméter et de sa première fille [Perséphone], où Messènè institua des jeux en l’honneur des grandes déesses par le conseil de Kaukon fils de Kélainos fils de Phlyos, et j’admire Lycos fils de Pandion [II], honneur de l’Attique, qui a porté à Andania [cité en Messénie, peut-être l’actuel village de Polichni près de Meligalas] les mystères sacrés", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 1.6-8 ; "Lycos fils de Pandion [II], chassé d’Athènes par Egée, vint aussi à Arènè [cité non localisée en Elide], et initia aux mystères des grandes déesses [Déméter et Perséphone] Apharée, son épouse Arènè, et leurs enfants", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 2.6), part s’installer dans le sud de l’Anatolie, sur la côte qui portera désormais son nom, la "Lycie" (pour l’anecdote, Lycos a aussi laissé son nom à la colline du "Lycée" à Athènes, où Aristote fondera sa célèbre hérésie/secte à l’ère classique : "Le Lycée doit son nom à Lycos fils de Pandion [II]. Depuis toujours, jusqu’à aujourd’hui, il est consacré à Apollon dit “Lycien”. On dit que Lycos a aussi donné son nom aux Termiles de “Lycie”, où il s’est retiré après avoir été chassé d’Athènes par Egée", Pausanias, Description de la Grèce, I, 19.3).


En Crète, Minos II a succédé à Lycaste fils de Minos Ier. La mythologie relayée par pseudo-Apollodore, qui confond les deux Minos, dit que ce Minos unique a dû s’imposer par un subterfuge : les Crétois refusant de le reconnaître comme leur nouveau roi, Minos a prétendu être soutenu par Poséidon, et prouver cela en présentant un taureau blanc soi-disant envoyé par ce dieu ("Le roi de Crète Astérion étant mort sans enfants, on refusa à Minos le royaume auquel il prétendait. Il fit donc croire qu’il avait reçu la royauté des dieux, et pour le prouver il ajouta qu’il obtiendrait la réalisation de n’importe laquelle de ses prières. Il implora Poséidon de lui offrir un superbe animal qu’il lui sacrifierait. Alors qu’il priait, Poséidon fit surgir des profondeurs des flots un magnifique taureau blanc. C’est ainsi que Minos obtint le trône", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 1.3). Pour notre part, nous admettons que cette réticence des Crétois est historique, et qu’elle se rapporte à Minos II par rapport à Lycaste (et non pas à Minos Ier par rapport à Astérion, comme le dit pseudo-Apollodore). Dans le paragraphe 60 livre IV précité de sa Bibliothèque historique, Diodore de Sicile dit en effet que, si Lycaste présente certes Minos II comme son héritier légitime, la rumeur publique en revanche qualifie celui-ci de "fils de Zeus", c’est-à-dire de bâtard. Si cette rumeur est fondée, les raisons de Minos II à prétendre à la royauté sont contestables, et peuvent justifier le recours à un subterfuge. On ignore la signification de ce taureau blanc, qui à la génération suivante sera capturé par Héraclès, emporté sur le continent, relâché, et enfin tué par Thésée. A cet animal se rattache une autre séquence mythologique à la signification énigmatique : Minos II refuse de le sacrifier à Poséidon qui le lui réclame, Poséidon se venge en inspirant une passion zoophile à Pasiphaé l’épouse de Minos II. De l’union entre ce taureau blanc et Pasiphaé, rendue possible par la complicité de Dédale, naît un monstre appelé comme l’ancien roi de Crète, "Astérion", mais vite affublé du qualificatif qui lui restera, le "Minotaure/Minètauroj" (littéralement "le taureau/taàroj de Minos"). Minos II, qui a une part de responsabilité dans la naissance de ce monstre (il ne peut pas reprocher à sa femme d’avoir aimé le taureau blanc que lui-même a pareillement aimé, au point de le garder dans son cheptel et de refuser de le consacrer à Poséidon), demande à Dédale de construire une prison, le Labyrinthe, pour l’y enfermer, avec des couloirs en si grands nombre qu’il ne pourra jamais s’en échapper ("Mais [Minos] trouvait le taureau si beau qu’il décida de tromper le souverain des mers [Poséidon] en gardant l’animal dans son cheptel et d’en sacrifier un autre. Minos devint rapidement le maître des mers autour de l’île. Mais Poséidon, irrité que le taureau ne lui ait pas été sacrifié, le rendit sauvage, et il œuvra pour que Pasiphaé en tombât amoureuse. Eprise, cette dernière trouva un complice en Dédale, un architecte banni d’Athènes pour meurtre, qui lui construisit une vache creuse en bois, sur roues, recouverte d’une peau de vache récemment dépecée, placée dans une prairie près de Gortyne où le taureau avait coutume de paître. Pasiphaé y entra. Le taureau arriva et s’accoupla avec elle comme avec une véritable vache. Pasiphaé donna ainsi naissance à Astérion, surnommé le “Minotaure” en raison de sa tête de taureau et de son corps d’homme. Suivant les conseils de ses oracles, Minos enferma ce monstre dans une prison construite en conséquence par Dédale, le Labyrinthe, dont l’enchevêtrement de couloirs rendait l’évasion impossible pour le Minotaure", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 1.3-4 ; "Pasiphaé étant tombée amoureuse du taureau de Poséidon, Dédale lui offrit sa complicité et construisit une vache en bois", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.8). Doit-on rapprocher ce Minotaure, de Talos, autre personnage de la mythologie crétoise associe à Minos ? Selon la tradition, Talos est un automate, le premier robot de l’Histoire occidentale, fabriqué en bronze par Héphaïstos pour Minos, voué à protéger la Crète des périls extérieurs en tuant les envahisseurs tentés d’y débarquer ("Talos était un homme de la race de bronze. Certains disent qu’Héphaïstos l’avait donné à Minos. D’autres le surnomment “Tauros” ["Taàroj"]. Il avait une veine depuis le cou jusqu’au talon, où elle était fermée avec un clou de bronze. Il effectuait le tour de l’île [de Crète] trois fois par jour pour la garder", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.26 ; "[Talos] veille sur l’île de la Kronide Europe, chaque jour il tourne trois fois autour de la Crète. Son corps en bronze pur est invulnérable, à l’exception d’une veine cachée près du talon dont dépend sa vie", Apollonios de Rhodes, Argonautiques IV.1643-1648). Or, bien après l’ère mycénienne, au VIème siècle av. J.-C., à Agrigente sur l’île de Sicile, le tyran local Phalaris fabrique une statue sacrificielle dont la forme et la fonction évoquent celles de l’antique Minotaure et de l’antique Talos. Selon l’historien hellénistique Polybe, cette statue de Phalaris représente un taureau, elle est en bronze et creuse. Les victimes, condamnées par Phalaris pour avoir constesté son autorité et menacé l’ordre intérieur de la cité, sont enfermées à l’intérieur. On allume un feu dessous. Ainsi chauffé, le bronze grille progressivement les suppliciés, dont les cris sortent par la gueule de la statue, tels les beuglements d’un vrai taureau ("Parlons du taureau de bronze que Phalaris avait fabriqué à Agrigente, dans lequel il introduisait des gens, avant d’allumer un feu dessous. Le supplice qu’il infligeait à ses sujets était le suivant. Quand le métal devenait brûlant, la victime périssait grillée et carbonisée de tous côtés, elle poussait des cris à cause de la souffrance intolérable, et ce bruit parvenait aux oreilles des spectateurs tel un mugissement de cette machine. Quand la cité tomba au pouvoir des Carthaginois [fin Vème siècle av. J.-C.], ce taureau fut transporté d’Agrigente à Carthage. On voyait encore, entre les épaules, la trappe par laquelle étaient introduits les condamnés", Polybe, Histoire, VII, fragment 25-1-3). Nous pouvons ainsi formuler une première hypothèse : la réalité historique qui se cache derrière les figures du taureau blanc père du Minotaure et de Talos véhiculées par la mythologie, n’est-elle qu’une ou plusieurs statues de bronze en forme de taureau, fabriquées par les artisans crétois dont nous avons souligné maintes fois l’expertise dans le travail du bronze, dans lesquelles le Levantin Minos II enferme et sacrifie pareillement au dieu sémitique de l’Orage Addu, alias "Poséidon" en grec, des rebelles à son autorité, des pirates menaçant l’intégrité de la Crète, ou des enfants voués au cruel culte des prémices qu’on observe partout dans le monde sémitique de l’époque - et qui perdurera jusqu’à l’ère hellénistique de Polybe, dans la sémitique cité de Carthage ? Une seconde hypothèse, plus prosaïque, et compatible avec la première à condition de lire la mythologie de façon non littérale, est de supposer que le taureau blanc et Talos renvoient à un homme de chair et d’os qui, venu de nulle part (tel le taureau blanc "venu de la mer"), se serait imposé à Minos II d’abord comme un auxiliaire efficace, comme un soldat redouté au service de la Cour de Cnossos (reconnaissable à une armure de bronze, tel Talos), mais dont l’ambition, la dureté, la perversion aurait finalement embarrassé Minos II, plus précisémment qui n’aurait pas hésité à séduire Pasiphaé la femme de son roi (et même à l’engrosser et engendrer un bâtard : le Minotaure) et à afficher publiquement les pires débauches (dont l’exploitation et le sacrifice d’enfants) : cette seconde hypothèse expliquerait l’ambivalence des dieux à l’égard de ces trois personnages (le taureau blanc est regardé tantôt comme un cadeau offert par Poséidon et les Crétois doivent le lui rendre en le sacrifiant, tantôt comme un fléau envoyé par le même dieu et les Crétois ne savent plus quoi faire pour s’en débarrasser). Les auteurs tragiques athéniens, Diodore de Sicile le souligne, présentent le roi Minos II comme un conquérant brutal ("[Depuis sa mort], Minos a toujours été décrié dans les théâtres d’Athènes. Même si Hésiode le qualifie de “plus grand des rois”, même si Homère prétend qu’il conversait familièrement avec Zeus [allusion à Odyssée XIX.179], la position des poètes tragiques a prévalu : du haut du théâtre, ils jettent sur lui opprobre et infamie, ils le montrent comme un homme dur et violent, alors que l’opinion commune voit en Minos le roi et le législateur des Enfers, et en Rhadamanthe le simple exécuteur des lois de Minos", Plutarque, Vie de Thésée 16), fondateur de la première thalassocratie en mer Egée, et de plusieurs importantes colonies dans les îles égéennes et sur les côtes sud-ouest anatoliennes ("On dit que [Minos, Rhadamanthe et Sarpédon] étaient fils de Zeus et d’Europe fille d’Agénor, celle que le dieu métamorphosé en taureau emporta en Crète. Minos devint roi de l’île à un âge avancé, et y bâti  plusieurs grandes cités villes. Les trois principales furent Cnossos sur la côte qui regarde l’Asie, Phaistos sur la côte sud, et Kydonia vers l’ouest en face du Péloponnèse. Il donna à ses sujets des lois importantes qu’il prétendit détenir de son père Zeus, qui conversait avec lui dans une caverne. Il créa une puissante flotte qui lui permit de conquérir beaucoup d’îles, et de fonder la première thalassocratie en mer grecque", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.78 ; "Les Cyclades étaient encore désertes quand le roi de Crète, Minos fils de Zeus et d’Europe, assembla des gros contingents terrestres et maritimes et envoya des colons en divers endroits. Il peupla ainsi plusieurs des Cyclades et en distribua les terres entre les colons qu’il avait choisis. Puis il se rendit maître d’une grande partie des côtes de l’Asie. Cela explique pourquoi plusieurs ports insulaires et asiatiques portent des noms de Crétois, dont celui de “Minos”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.84 ; "[Les gens de Tégée] disent aussi que les autres fils de Tégéatès, Kydon, Archèdion et Gortys, allèrent volontairement s’établir dans l’île de Crète, donnant leur nom aux cités de “Kydonia”, de “Gortyne” et de “Katrea”. Mais les Crétois ne sont pas d’accord avec les gens de Tégée sur ce sujet : ils prétendent que Kydon était fils d’Hermès et d’Acacallis une fille de Minos, que Katrea était un fils de Minos, et Gortys, un fils de Rhadamanthe. Homère parle de Rhadamanthe dans le discours de Protée à Ménélas, quand celui-là annonce à celui-ci qu’il ira aux Champs-Elysées où se trouve déjà Rhadamanthe [allusion à Odyssée IV.561-565]. Cinéthon [de Sparte, auteur épique du VIIIème siècle av. J.-C.] dit dans ses vers que Rhadamanthe était le fils d’Héphaïstos, lui-même fils du Crétois Talos. Les traditions des Grecs varient entre elles sur beaucoup de choses, principalement sur les généalogies", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 53.4-5). Thucydide précise que cette thalassocratie repose sur une puissante flotte militaire et sur les liens familiaux existant entre Minos II et les gouverneurs des colonies ("Minos, selon la tradition, est le premier à avoir possédé une flotte. Il étendit son hégémonie sur une grande partie de la mer aujourd’hui dominée par les Grecs, notamment sur les Cyclades. Dans la plupart des îles, il fonda les premières colonies après en avoir chassé les Cariens, et y établit ses propres enfants comme gouverneurs. Pour s’assurer le recouvrement des impôts, il œuvra naturellement pour en chasser les pirates", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.4). Cette première puissance égéenne ne dure pas. D’abord parce qu’elle est victime de son propre succès économique : en débarrassant la mer Egée des pirates, Minos II permet le développement du commerce, donc l’enrichissement des colonies et des cités proches, l’opulence de ces dernières attirent la convoitise des rois voisins… ou des classes pauvres en leur sein, ce qui incite les gouverneurs à se protéger derrière des fortifications, ce qui accroît les inégalités sociales de chaque côté de ces fortifications, et pousse chaque gouverneur à se sentir finalement assez fort pour rompre le lien de dépendance à Minos II et à se déclarer roi en sa colonie/cité fortifiée ("Les pirates les plus actifs étaient les insulaires, notamment les Cariens et les Phéniciens installés dans une grande partie de l’archipel [des Cyclades]. Grâce à la flotte de Minos, les relations maritimes devient plus aisées, les pirates étant chassés de ces îles et remplacés par des colons. Cela permit l’accroissement des revenus des populations côtières, qui se stabilisèrent. La richesse poussa certaines à s’entourer de remparts. Contraints par la nécessité, les faibles se mirent au service des forts, dont la puissance s’accrut proportionnellement à leurs capitaux, leur permettant d’étendre leur hégémonie sur les cités plus faibles", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.8). Ensuite parce que la politique centralisatrice impériale de Minos II dégénère en mégalomanie. Dans un passage de sa Bibliothèque historique, Diodore de Sicile rapporte de façon neutre que Rhadamanthe et Sarpédon, les deux frères de Minos II, partent s’installer en Anatolie : Rhadamanthe fonde Erythrée en hommage à son fils Erythras, Sarpédon quant à lui débarque dans le sud pour prendre brutalement possession de la Carie ("Rhadamanthe s’est illustré par la souveraine équité de ses jugements et par les châtiments irrémissibles dont il punissait les impies, les brigands et les malfaiteurs. Il dominait sur des grandes îles et sur presque toutes les côtes de l’Asie qui s’étaient données volontairement à lui, informées de sa probité. On dit que Rhadamanthe confia le royaume des Erythréens à l’un de ses fils, Erythras, auquel ils doivent leur nom, et l’île de Chio, à Oinopion le fils d’Ariane fille de Minos. […] La meilleure preuve de sa justice, est que la mythologie l’a établi juge dans les Enfers, pour décider du sort éternel des bons et des méchants, lui déférant ainsi les mêmes honneurs qu’au roi Minos, grand législateur. On dit que Sarpédon, le troisième frère, passa en Asie avec des grandes forces, et y subjugua la Lycie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.79 ; Pausanias puise à la même source : "Les Erythréens se prétendent originaires de l’île de Crète, d’où ils seraient venus avec Erythras fils de Rhadamanthe, fondateur de la cité", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 3.7 ; on note que le débarquement dans le sud anatolien du Crétois Sarpédon chassé par son frère Minos II précède de peu le débarquement dans le même endroit de l’Athénien Lycos chassé par son neveu Egée, que nous venons de raconter : "En Crète jadis, Sarpédon et Minos [II] les fils d’Europe se disputèrent la royauté. Le parti de Minos [II] l’emporta. Sarpédon fut chassé avec ses partisans, ils s’exilèrent en Asie au pays des Milyens qu’ils appelaient “Solymes”, correspondant aujourd’hui à la Lycie. Sous le règne de Sarpédon, ces gens gardèrent leur nom ancien, maintenant encore leurs voisins les appellent “Termiles”. Quand Lycos fils de Pandion [II] fut pareillement chassé d’Athènes par son frère Egée, il se rendit chez Sarpédon au pays des Termiles, et le nom “Lycos” devint celui des “Lyciens”", Hérodote, Histoire I.173 ; "Les Lyciens s’appelaient autrefois les Termiles, ils étaient originaires de la Crète. Ils doivent leur nom à l’Athénien Lycos fils de Pandion [II]", Hérodote, Histoire VII.92). Mais dans un autre passage, le même Diodore de Sicile révèle que le départ des deux frères a été davantage un exil subi qu’un choix délibéré, la cause étant les relations houleuses avec leur aîné Minos II ("On dit que Minos, devenu plus puissant et ayant associé au trône son frère Rhadamanthe, jalousa finalement la réputation de bon juge de ce dernier qui éclipsait la sienne. Voulant l’éloigner pour cette raison, il chercha des prétextes pour l’envoyer aux extrémités de son empire. Rhadamanthe s’installa donc dans les îles face à l’Ionie et à la Carie. Il incita Erythras à bâtir sur la côte asiatique une cité portant son nom, et il donna le gouvernement de Chio à Oinopion le fils d’Ariane fille de Minos", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.84). Pseudo-Apollodore confirme en disant que la brouille entre les frères découle d’une querelle amoureuse autour d’un éphèbe nommé Miletos, contraint de s’exiler aussi vers le continent asiatique où il fonde une nouvelle colonie portant son nom, "Milet" ("Astérion le roi de Crète, épousa Europe et éleva ses enfants. Devenus adultes, ceux-ci se querellèrent pour l’amour d’un garçon nommé Miletos, fils d’Apollon et d’Areia fille de Kléochos. Comme l’enfant se montrait particulièrement intime avec Sarpédon, Minos leur déclara la guerre et les vainquit. Ils s’exilèrent vers la Carie. Miletos fonda la cité qui lui doit son nom, Milet. Sarpédon de son côté s’allia à Cilix, et combattit avec lui contre les Lyciens. Il régna en contrepartie sur une partie de la Lycie, où Zeus lui accorda de vivre pendant trois générations. Certains disent que le litige entre les frères eut pour origine l’amour d’Atymnios le fils de Zeus et de Cassiopée. […] Minos demeura en Crète, dicta ses lois par écrit, et épousa Pasiphaé la fille d’Hélios et de Perséis. Mais Asclépiade prétend que son épouse fut Krètè la fille d’Astérion. Il eut quatre garçons : Catrée, Deucalion, Glaucos et Androgée, et quatre filles : Acallé, Xénodicé, Ariane et Phèdre", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 1.2). Le personnage de Dédale s’accorde avec notre chronologie relative, puisque qu’il est le fils (selon Diodore de Sicile) ou le petit-fils (selon pseudo-Apollodore) de Métion, frère de Cécrops le jeune, septième roi d’Athènes. Grand sculpteur, mais dépassé par les talents de son élève Talos (à ne pas confondre avec Talos le gardien de la Crète !), il a assassiné celui-ci par jalousie, et pour éviter d’être condamné il a fui Athènes et s’est réfugié à la Cour de Minos II en Crète ("Le Minotaure était enfermé dans le Labyrinthe, dont l’enchevêtrement de couloirs rendait l’évasion impossible pour quiconque y entrait. Le concepteur en était Dédale le fils d’Eupalamos fils de Métion et d’Alcippé, spécialiste du bois ["¢rcitšktwn"], inventeur de l’art figuratif. Dédale avait été banni d’Athènes pour avoir précipité du haut de l’Acropole son élève Talos, le fils de sa sœur, craignant que les dons de celui-ci, qui venait d’inventer la scie à boie en recourant à une machoire de serpent, dépassassent un jour les siennes. Le cadavre de Talos ayant été découvert, Dédale avait été jugé sur l’Aréopage, condamné, et s’était réfugié auprès de Minos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.8 ; "Dédale était né à Athènes, il appartenait à la famille royale via Métion, ce qui contribua à médiatiser ses malheurs autant que ses voyages et son talent. Ayant tué le fils de sa sœur, et connaissant les lois de sa patrie, il s’exila volontairement, et se retira dans l’île de Crète auprès de Minos. Il y réalisa plusieurs statues, pour ce dernier et pour ses filles, comme le dit Homère dans l’Iliade [allusion à Iliade XVIII.592]", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 4.5). Selon la tradition relayée par le paragraphe 61 livre I de la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile et par le paragraphe 19 livre XXXVI de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, que nous avons cités dans notre paragraphe introductif, Dédale a voyagé en Egypte (cela s’accorde aussi avec les relations que nous avons soulignées plus haut entre la Crète et l’Egypte sous le règne de Thoutmosis III et d’Amenhotep III), où il a visité le complexe funéraire d’Amenhemat III, qui lui a inspiré le Labyrinthe. Diodore de Sicile ajoute que Dédale a importé dans le monde Egée le "style égyptien ancien" caractérisé par des statues aux "yeux ouverts, jambes écartées et bras tendus" ("Dédale a construit son Labyrinthe sur le modèle de celui d’Egypte, dû au pharaon Mendès que certains appellent aussi “Marron” ["Mšndhj", "M£rron", hellénisations corrompues d’"Amenemhat" ou de ses surnoms ?], bien longtemps avant le règne de Minos, qui subsiste encore aujourd’hui. Les statues que Dédale fit élever chez les Grecs sont en style égyptien ancien. Le plus beau des propylées du temple d’Héphaïstos à Memphis serait l’œuvre de Dédale, il en a acquis une telle gloire qu’on y a placé sa statue en bois réalisée de ses propres mains. Son habileté et ses inventions furent si renommées qu’on lui a rendu des honneurs divins, et on montre encore aujourd’hui, dans une des îles en face de Memphis, un temple à Dédale très vénéré dans le pays", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique I.97 ; "Dédale était originaire d’Athènes. Il appartenait à la famille des Erechthéides, étant fils de Métion, petit-fils de l’Athénien Eupalamos, et arrière-petit-fils d’Erechthée. Dédale surpassa tous les hommes par ses talents comme spécialiste du bois ["¢rcitšktwn"], sculpteur ["¢galmatourgÒj"] et tailleur de pierres ["liqourgÒj"]. Inventeur de plusieurs instruments utiles dans les arts, il construisit des ouvrages admirables dans beaucoup de pays. Dédale se distingua tellement dans la statuaire que les mythologues après lui prétendaient que ses statues voyaient, marchaient, se comportaient en tout comme des êtres réellement vivants. Les statues de Dédale furent les premières ayant les yeux ouverts, les jambes écartées, les bras tendus, avant lui les statues avaient les yeux fermés, les bras pendants et collés aux côtés. Pourtant, bien qu’admiré pour son art, Dédale fut banni de sa patrie à la suite d’un meurtre qu’il avait commis. La cause était la suivante. Dédale avait pour jeune élève Talos, le fils de sa sœur. Le disciple devint plus habile que le maître. Talos inventa le tour du potier. S’étant servi d’une machoire de serpent pour découper un petit morceau de bois, il eut l’idée de reproduire cette machoire en fer, inventant ainsi la scie, outil très utile en menuiserie. Grâce à l’invention du tour et de beaucoup d’autres instruments, il devint célèbre. Dédale devint jaloux du jeune homme, et craignit que que sa réputation s’élevât au-dessus de la sienne. Il l’assassina secrètement. Mais il fut surpris pendant qu’il enterrait le corps : interrogé pendant qu’il accomplissait cette tâche, il répondit qu’il “enterrait un serpent”, c’est ainsi que le même animal permit au jeune homme à la fois d’inventer la scie et de découvrir son assassin. Dédale, arrêté et condamné par les juges de l’Aréopage, s'enfuit d’abord dans un dème de l’Attique, dont les habitants furent appelés “Dédalides”. Plus tard, Dédale se réfugia dans l’île de Crète, où sa grande renommée lui acquit l’amitié du roi Minos", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.76-77), des particularités qu’on a constatées dans les personnages des fresques de Mari et d’Avaris à l’ère minoenne, que les archéologues retrouveront plus tard dans les personnages des fresques de la fin de l’ère mycénienne : ce "style égyptien ancien" n’est pas égyptien en réalité mais sémitique hyksos, il sera accaparé et pastiché de façon rigide par les sévères artistes de la XVIIIème Dynastie - pour créer le style authentiquement égyptien postérieur bien connu du grand public, remarquable par ses personnages représentés de profil, les yeux effectivement grand ouverts, les jambes écartés et les bras tendus, mais aux lignes beaucoup moins souples que leurs modèles sémitiques - après la défaite des hyksos finalement chassés d’Egypte, puis étudiées et recopiées par Dédale lors de son séjour en Egypte, et reproduites par lui pour Minos II naturellement intéressé en raison de sa parenté sémitique (souvenons-nous toujours que Minos II est un descendant du Levantin Agénor, cousin des hyksos). Selon Homère, Dédale aménage le mégaron du palais de Cnossos pour en faire un chœur en l’honneur d’Ariane la fille de Minos II, c’est-à-dire un lieu où sont organisés des jeux à but religieux ou profane ("L’illustre boiteux [Héphaïstos] figure [sur une partie du bouclier façonné pour Achille] un chœur semblable à celui que jadis dans la vaste Cnossos Dédale exécuta pour Ariane aux belles boucles. Là, des jeunes gens et des jeunes filles valant beaucoup de bœufs dansent en se tenant la main au-dessus du poignet. Elles portent de fins tissus, ils sont vêtus de chitons bien cousus, brillant d’une huile au doux éclat. Elles ont des belles couronnes, ils portent des épées d’or pendus à des baudriers d’argent. Tantôt ils tournent aisément avec leurs pieds aussi exercés que la main du potier essayant une roue pour constater son bon fonctionnement, tantôt ils courent en lignes les uns vers les autres. Une grande foule ravie entoure ce chœur charmant. Deux acrobates guident la fête en tournant au milieu de tous", Iliade XVIII.590-607). Le corps de vache que Dédale sculpte pour permettre à Pasiphaé de copuler avec le taureau blanc, selon la mythologie, pourrait quant à lui n’être historiquement qu’une statue de taureau creuse similaire à celle d’Agrigente de l’ère hellénistique, installée à Cnossos, assez grande pour accueillir des enfants lors de sacrifices de prémices durant la journée, et pour accueillir les ébats de Pasiphaé et de son amant le général Talos durant la nuit… Le meurtre d’Androgée, qui cause indirectement la chute de son père Minos II, diffère selon les auteurs. Tous paraissent d’accord pour dire qu’Androgée participe aux jeux des Panathénées sous le règne d’Egée, et remporte toutes les épreuves, provoquant la jalousie de ses concurrents, mais le moyen du meurtre demeure sujet à débat. Pour les uns, Androgée est mort sous les assauts d’un taureau furieux du côté de Marathon (que les mythologues antiques n’hésitent pas à relier au mystérieux taureau blanc de Minos II, qui aurait été capturé par Héraclès fils d’Alcmène, transporté sur le continent, puis relâché dans les plaines de Marathon, y provoquant les pires désolations : "Les jeux des Panathénées furent célébrés, au cours desquels Androgée le fils de Minos vainquit tous ses concurrents. Egée l’envoya alors capturer le taureau de Marathon, qui le tua", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.7 ; "Les Crétois racontent que Poséidon, irrité que Minos le maître des mers grecques ne lui rendait pas hommage aussi bien qu’aux autres dieux, envoya ce taureau dans leur pays [pour le ravager, autrement dit cette version de Pausanias considère le taureau blanc crétois comme un fléau envoyé par Poséidon, et non pas comme un taureau ordinaire réclamé en sacrifice par Poséidon]. Héraclès le transporta de l’île de Crète dans le Péloponnèse : ce fut l’un de ses douze travaux. Il le lâcha dans les plaines d’Argos. Le taureau s’enfuit, traversa l’isthme de Corinthe, et vint en Attique du côté de Marathon, tuant plusieurs personnes sur son passage, dont Androgée le fils de Minos", Pausanias, Description de la Grèce, I, 27.9-10). Pour les autres, Androgée trouve la mort dans un guet-apens lors d’un déplacement vers la Béotie ("Certains disent qu’Androgée se rendit à Thèbes pour prendre part aux jeux en l’honneur de Laïos [cette correspondance chronologique est possible puisque nous datons au tournant des XIVème et XIIIème siècle av. J.-C. le meurtre de Laïos par son fils Œdipe, que nous raconterons juste après], et que ses adversaires jaloux l’attendirent en embuscade et le tuèrent", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.7 ; Androgée, fils de Minos, vint à Athènes sous le règne d’Egée, au moment où l’on célébrait les fêtes des Panathénées. Il vainquit tous les athlètes, et devint le familier des fils de Pallas. Egée s’inquiéta de cette amitié. Craignant que Minos aidât les fils de Pallas à le dépouiller de son royaume, il dressa des embûches à Androgée. Quand ce dernier voulut se rendre à Thèbes, il le fit assassiner traîtreusement par des habitants d’Oenoé en Attique", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.60). Peu importe. Androgée meurt en Attique (son tombeau y sera encore visible à l’époque du géographe Pausanias, au IIème siècle : "[A Munichie] [sur la côte au sud d’Athènes], on trouve aussi l’“Héroos” d’Androgée fils de Minos ["Hrwoj", littéralement "l’Autel du héros"], dont les spécialistes du passé local savent qu’il est bien celui d’Androgée", Pausanias, Description de la Grèce, I, 1.4), et cela suffit pour attirer sur les Athéniens la suspicion et la colère de Minos II, qui en représailles lance sa flotte à l’assaut du continent. Il débarque du côté de Mégare, alors défendue par Nisos le fils de Pandion II, dont nous venons de raconter la difficile accession au pouvoir contre Skiron, et par un bâtard (fils de Poséidon !) nommé "Mégarée" originaire de Béotie, qui meurt au combat en laissant son nom à la cité ("Les Mégariens […] disent que le nom de leur cité “Mégare” date du règne de Car fils de Phoronée, et vient des temples bâtis à cette époque en l’honneur de Déméter [des temples agraires asianiques, consacrés a posteriori à Déméter à l’ère mycénienne ?], les “Mégara” ["Mšgara", peut-être une corruption de l’adjectif "grand/mšgaj"]. Mais les Béotiens disent que ce nom fut donné en hommage à Mégarée fils de Poséidon originaire d’Oncheste [cité non localisée en bordure du lac Copaïs] venu avec un contingent béotien au secours de Nisos au temps de la guerre contre Minos, mort au combat et enterré dans cette cité qui s’appelait précédemment “Nisa”", Pausanias, Description de la Grèce, I, 39.5 ; "[Les Mégariens] disent que Mégarée fils de Poséidon épousa Iphinoé fille de Nisos et monta sur le trône après lui, mais ils ne parlent ni de la guerre contre les Crétois, ni de la prise de leur cité sous le règne de Nisos", Pausanias, Description de la Grèce, I, 39.6). Nisos est vaincu par une trahison féminine qui rappelle curieusement celle du futur Danaen Samson : ses cheveux, source de sa force, sont coupés nuitamment par sa fille Scylla tombée amoureuse de Minos ("La nouvelle de la mort de son fils parvint à Minos tandis qu’il accomplissait un sacrifice en l’honneur des Charites, à Paros. Il arracha la guirlande de sa tête, imposa le silence aux aulètes, mais termina le sacrifice. C’est pour cette raison qu’encore aujourd’hui à Paros le sacrifice aux Charites est accompli sans aulos ni fleurs. Un peu plus tard, Minos maître de la mer lança sa flotte contre Athènes. Il prit la cité de Mégare, qui était alors gouvernée par Nisos le fils de Pandion II. […] Nisos périt à cause de la trahison de sa fille. Au milieu de la tête, Nisos avait un cheveu de couleur rouge. Un oracle avait déclaré que, s’il était coupé, le roi mourrait. Sa fille Scylla tomba amoureuse de Minos, elle coupa le cheveu de son père. Mais quand Minos s’empara de la cité, il attacha par les pieds la jeune fille à la proue du navire, et la noya", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.7-8 ; à comparer à l’épisode de Dalila coupant les cheveux de Samson au livre 16 des Juges). Ensuite les troupes crétoises font route vers Athènes, qu’elles assiègent. Les Athéniens, privés de tout, dépérissent. Par dépit, ils acceptent les conditions de Minos II, qui réclame la livraison annuelle de sept jeunes garçons et sept jeunes filles ("La guerre s’éternisait, Minos ne parvenait pas à prendre Athènes. Il pria Zeus de lui accorder sa vengeance sur les Athéniens. La cité fut alors ravagée par la famine et la maladie. […] [Les Athéniens] interrogèrent un oracle pour savoir comment se libérer des fléaux. Le dieu répondit qu’ils devraient payer le tribut imposé par Minos. Ils députèrent donc vers Minos pour connaître ses exigences. Le roi leur ordonna la livraison de sept jeunes garçons et sept jeunes filles non armés, en pâture au Minotaure", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 15.8 ; "Persuadé que les Athéniens n’étaient pas innocents de la mort de son fils, Minos vint à la tête d’une escadre fondre sur l’Attique, et maltraita tellement les Athéniens, qu’il furent forcés de lui accorder sept jeunes garçons et autant de jeunes filles pour le Minotaure qui demeurait dans le Labyrinthe de Cnossos", Pausanias, Description de la Grèce, I, 27.10 ; "Son fils Androgée ayant été tué traîtreusement en Attique, Minos avait déclaré la guerre aux Athéniens, et était entré sur leurs terres pour y répandre le feu et le sang. Les dieux de leur côté avaient frappé l’Attique de peste et de stérilité, et avaient asséché les rivières. Les Athéniens avaient alors consulté l’oracle d’Apollon, qui leur avaient répondu que la colère et les fléaux divins ne s’apaiseraient qu’après avoir satisfait Minos. Par suite, ils avaient envoyé des messagers vers lui pour le supplier de leur accorder la paix. Il y avait consenti, à condition de recevoir pendant neuf ans un tribut de sept jeunes garçons et d’autant de jeunes filles. Sur ce point la plupart des historiens sont d’accord", Plutarque, Vie de Thésée 15). La tradition veut que ces jeunes gens soient dévorés par le Minotaure. Mais divers auteurs cités par Plutarque prouvent que même les mythologues anciens étaient sceptiques sur l’historicité de cette tradition. Selon le chroniqueur attique du IIIème siècle av. J.-C. Philochore, les enfants athéniens n’étaient pas dévorés par un animal fabuleux dans le Labyrinthe, ils étaient en fait voués aux récréations pédérastiques de l’aristocratie minoenne à Cnossos (cette version, qui n’est pas contradictoire avec le cruel culte sacrificiel des prémices, peut être mise en relation avec les accusations de pédérastie lancées contre les anciens Crétois par la rumeur publique via le récit du rapt de Ganymède, rapportées incidemment par Platon au paragraphe 636c-d précité de ses Lois), en particulier d’un général appelé "Tauros" ("Taàroj", homonyme de Talos, le robot de bronze chargé de surveiller les plages de la Crète contre tous les agresseurs, selon l’alinéa 26 paragraphe 9 livre I précité de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore : le robot Talos n’est-il que le souvenir fantasmé de ce général Tauros, équivalent antique du maréchal Gilles de Rais ?). Aristote quant à lui, au IVème siècle av. J.-C., affirme que ces enfants sont simplement réduits en esclavage jusqu’à épuisement ("Mais sur le sort des enfants déportés en Crète, les versions divergent. La plus tragique prétend qu’ils étaient dévorés par le Minotaure dans le Labyrinthe, ou condamnés à y errer jusqu’à leur mort sans pouvoir en sortir avec le Minotaure, qui selon Euripide était “un être hybride, une bête nuisible” au “double physique de taureau de d’homme” [citation d’une pièce non conservée d’Euripide]. Mais Philochore rapporte que les Crétois contestent cette version. Ils disent que le Labyrinthe était une prison où le seul mal était la garde sévère qui empêchait toute évasion. Ils ajoutent que Minos, en l’honneur de son fils, avait institué des combats gymniques dont les vainqueurs recevaient les enfants détenus dans ce Labyrinthe. Le premier gagnant fut un des plus grands seigneurs de la Cour, un stratège de Minos nommé “Tauros”, de mœurs dures et farouches, qui traitait avec beaucoup d’insolence et de cruauté ces jeunes Athéniens. Aristote, dans sa Constitution des Bottiéens [œuvre non conservée], ne croit pas davantage que ces enfants étaient mis à mort par Minos, il dit qu’ils effectuaient des tâches manuelles en Crète et vieillissaient à l’état d’esclaves", Plutarque, Vie de Thésée 15-16). Suit l’épisode associé à Thésée, qui provoque le même scepticisme. A l’instar de pseudo-Apollodore, l’opinion commune véhicule l’image d’Ariane tombant sous le charme du fringuant et juvénile captif athénien, et l’opportunisme de ce dernier qui, peu sensible aux charmes d’Ariane, lui promet néanmoins une escapade romantique à Athènes en échange de son aide pour tuer le Minotaure et s’échapper du Labyrinthe, et parvient à ses fins ("Quand Thésée arriva en Crète, Ariane la fille de Minos tomba amoureuse de lui. Elle lui promit qu’elle l’aiderait s’il lui promettait en retour de l’emmener comme épouse à Athènes. Thésée le lui promit, Ariane obligea Dédale à lui révéler comment sortir du Labyrinthe", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 1.8). Plutarque cite encore des avis contradictoires sur ce sujet. Alors que pseudo-Apollodore insiste sur le courage du jeune Athénien, qui parvient à vaincre le Minotaure à mains nues ("Conseillée par Dédale, [Ariane] donna à Thésée un fil pour lui permettre de sortir. Thésée l’attacha à la porte, puis il entra en le déroulant derrière lui. Ayant débusqué le Minotaure dans la partie la plus reculée du Labyrinthe, il le tua à coups de poings, puis, en rembobinant le fil, il rebroussa chemin et sortit. Dans la nuit, il arriva à Naxos avec Ariane et les jeunes gens qu’il avait sauvés", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 1.9), Philochore cité par Plutarque dit notamment que le mystérieux général "Tauros" étant soupçonné d’adultère avec Pasiphaé (faut-il en conclure que ce Tauros a également un rapport avec le mythologique taureau blanc dont Pasiphaé est amoureuse, et avec lequel elle copule pour engendrer le Minotaure, grâce à la complicité de Dédale ?), et détesté par les Crétois qui ne supportent pas sa brutalité et son arrogance, Minos II utilise Thésée pour affaiblir son autorité et s’en débarrasser, et accorde en retour la liberté à Thésée et aux autres jeunes gens, en même temps qu’il décrète la fin du tribut pour Athènes (ce qui expliquerait l’image ambiguë que Minos II a laissé dans la mémoire collective, à la fois monarque impitoyable et législateur équitable : "Les historiens, d’accord sur ce point avec les poètes, disent que quand [Thésée] arriva en Crète, Ariane, qui en était amoureuse, lui donna une bobine de fil en lui conseillant de la dérouler dans les couloirs du Labyrinthe, que grâce à son aide il il tua le Minotaure, et qu’il rembarqua aussitôt en compagnie d’Ariane et des jeunes gens venus avec lui en Crète. Phérécyde [mythologue du Vème siècle av. J.-C., originaire de l’île de Léros mais résident à Athènes, dont l’œuvre n’a pas survécu] écrit que Thésée, avant de partir, perça les cales des navires crétois afin de les empêcher de le poursuivre. Dèmon [auteur non identifié] prétend que Tauros, stratège de Minos, fut tué par Thésée en combattant dans le port, au moment où les Athéniens allaient mettre à la voile. Mais Philochore de son côté raconte que, tous les Crétois étant peinés par les triomphes de Tauros lors des jeux instaurés à la mémoire du fils de Minos, par la dureté de son caractère qui rendait sa puissance odieuse, et par la relation qu’on lui soupçonnait avec la reine Pasiphaé, Minos fut ravi d’accorder à Thésée la permission de le combattre. Les Crétoises étant autorisées à assiser aux spectacles, Ariane, qui était présente à ces jeux, fut frappée par la beauté du jeune Athénien, et admira sa supériorité sur tous ses rivaux. Minos, charmé des succès de Thésée, satisfait surtout de voir Tauros vaincu et humilié publiquement, rendit à Thésée les jeunes enfants, et dispensa de tribut la cité d’Athènes", Plutarque, Vie de Thésée 19). L’historien Hellanicos de Lesbos au Vème siècle av. J.-C. dit la même chose que Philochore, en rejetant l’hagiographie athénienne de Thésée, et en disant que la mort du Minotaure relève d’un stratagème de Minos II dont le jeune Athénien Thésée n’est qu’un outil ("Quand le temps de payer le troisième tribut arriva, les pères durent imposer le tirage au sort de leurs jeunes enfants. Cela engendra des murmures et des plaintes contre Egée : “Il est seul responsable de nos malheurs, dirent les Athéniens, et il est seul à pas aprticiper à la punition ! Il cède son pouvoir aux désirs d’un bâtard étranger, en demeurant indifférent à la captation de nos enfants !”. Touché par ces plaintes, Thésée trouva juste de partager le sort des citoyens ordinaires, et se déclara volontaire d’office pour aller en Crète. Les Athéniens admirèrent sa grandeur d’âme, et se prirent d’affection pour lui. Egée au contraire le pria avec insistance de renoncer, mais en constatant son inflexibilité il continua le tirage au sort des autres enfants. Mais selon Hellanicos, les enfants n’étaient pas sélectionnés de cette façon : c’est Minos qui venait lui-même les choisir, et cette fois-ci il prit Thésée le premier de tous [c’est-à-dire "le plus noble parmi les enfants athéniens"… ou "le plus vaillant, batailleur, indiscipliné, le plus capable de nuire au général Tauros qui indispose de plus en plus Minos II" ?], en ajoutant que les Athéniens devraient fournir le navire de transport, que les enfants embarqués avec lui ne devraient porter aucune arme offensive, et que le tribut cesserait dès que le Minotaure mourrait", Plutarque, Vie de Thésée 17). L’épisode suivant, relatif à la fuite de Dédale vers la Sicile, pose encore des questions. Nous avons rappelé la tradition qui explique cette fuite par la colère de Minos II après la mort du Minotaure : Minos II accuse Dédale d’avoir aidé Thésée à vaincre le monstre et à quitter Cnossos ("Minos, considérant Dédale responsable de la fuite de Thésée et de ses compagnons, l’enferma dans le Labyrinthe avec son fils Icare, que Dédale avait eu de Naucraté, une esclave de Minos", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 1.12). Mais, nous venons de le voir, les mythologues anciens montrent plutôt que la mort du Minotaure par le jeune Athénien est une satisfaction pour Minos II, qu’il a peut-être lui-même machinée secrètement. Diodore de Sicile avance une version plus cohérente : selon celui-ci, la colère de Minos II ne serait pas due à la mort du Minotaure mais au contraire au fait que Dédale a été complice de la naissance du Minotaure, en favorisant l’union intime entre le taureau blanc (alias l’encombrant général Tauros ?) et la reine Pasiphaé ("Selon la tradition, Pasiphaé l’épouse de Minos tomba amoureuse d’un taureau, et Dédale construisit une machine ne forme de vache pour satisfaire cette passion de Pasiphaé. La mythologie raconte que Minos avait coutume de sacrifier à Poséidon le plus beau de ses taureaux, mais que, possédant alors un taureau d’une très grande beauté, il l’avait épargné pour en immoler un autre moins beau, cela avait irrité Poséidon qui, en retour, avait rendu amoureuse de ce taureau l’épouse de Minos, Pasiphaé. Grâce à l’art de Dédale, Pasiphaé put copuler secrètement avec ce taureau, et elle en eut le Minotaure, monstre biforme, possédant une tête de taureau jusqu’aux épaules et un corps d’homme. Pour servir de demeure à ce monstre, Dédale construisit le Labyrinthe, dont les couloirs tortueux égaraient tous ceux qui y entraient. Comme nous l’avons dit, on nourrissait le Minotaure avec sept garçons et sept filles en provenance d’Athènes. Informé des menaces de Minos, redoutant la colère du roi qui ne lui pardonnait pas d’avoir aidé Pasiphaé à satisfaire sa passion, Dédale s’enfuit de Crète", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.77). Le flou perdure sur les moyens et sur l’itinéraire de la fuite de Dédale et de son fils Icare. La tradition affirme que Dédale bricole des ailes pour lui-même et pour son fils, afin d’échapper à la prison où Minos II les a enfermés ("Dédale construisit des ailes, et les attacha sur son dos et sur celui de son jeune fils, en lui recommandant de ne pas voler trop haut afin que la cire qui assemblaient les plumes ne fondît pas sous les rayons du soleil, ni trop près de la mer afin que l’humidité n’alourdisse pas les ailes", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, I.12). Les deux hommes s’envolent, s’éloignent de l’île de Crète en direction du nord-est. Oubliant les conseils de prudence de son père, Icare prend de l’altitude, il approche le soleil trop près, provoquant la fonte de la cire tenant ses ailes, il tombe dans la mer, et se noie. Cette mer sera ensuite désignée par son nom, jusqu’à aujourd’hui : la mer "Icarienne", de même que l’île à proximité : "Icarie", à l’ouest de l’île de Samos, au large de la côte anatolienne ("Icare, imprudent, oublia les recommandations de son père, et vola toujours plus haut. La cire fondit alors, le garçon tomba dans la mer appelée par la suite “Icarienne”, d’après son nom, et y mourut", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 1.13). La prétendue dépouille d’Icare sera retrouvée par Héraclès sur une plage d’Icarie plus tard, qui l’y enterrera ("[Héraclès] débarqua ensuite sur l’île de Doliché, il vit le le corps d’Icare que le courant avait ramené sur la plage, il l’enterra, et il appela “Icarie” cette île appelée auparavant “Doliché”", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 6.3). C’est pourtant dans un lieu géographiquement totalement opposé, à l’ouest, en Sicile, dans la cité de Kamikos, qu’on retrouve Dédale enfin en sécurité ("Dédale en revanche se sauva, et réussit à gagner Kamicos en Sicile", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, Epitomé, 1.13). On déduit que la fuite de Dédale s’est opérée en plusieurs étapes (d’abord vers le nord-est où Icare a trouvé la mort, puis vers l’ouest ; cette route du nord-est conduit à Erythrée, la colonie fondée par Erythras le fils de Rhadamanthe, après la brouille entre Rhadamanthe et son frère Minos II : Dédale espérait-il y trouver asile ?). Pausanias assure par ailleurs que, derrière cette fable d’une évasion par la voie des airs, on doit comprendre que Dédale a eu l’idée d’équiper un bateau avec un grand drap, inventant ainsi le premier bateau à voile - jusqu’alors tous les bateaux étaient à rames - : ce grand drap étant gonflé par le vent, le bateau avance beaucoup plus vite que les bateaux à rames, et donne l’impression de voler au-dessus de l’eau, tel un oiseau déployant ses ailes ("Pour s’enfuir de l’île de Crète, [Dédale] fabriqua pour son fils Icare et pour lui-mêmes deux petits bateaux équipés de voiles, dispositif inconnu jusqu’alors. Grâce à un vent favorable, il échappa aux navires à rames de Minos et se sauva. Mais on raconte qu’Icare commit une mauvaise manœuvre et son bateau sombra. Les flots portèrent son corps vers une île encore anonyme proche de Samos. Héraclès y trouva son cadavre par hasard, le reconnut et lui donna une sépulture. On voit encore son tombeau aujourd’hui, un tertre peu élevé sur un promontoire qui baigne dans la mer Egée. L’île et la mer qui l’entourent doivent leur nom à Icare", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 11.4-5). Diodore de Sicile dit la même chose ("Dédale s’enfuit de Crète avec son fils Icare, sur un navire que Pasiphaé lui avait fourni. Parvenus à une île au large du continent, Icare voulut y débarquer, mais tomba dans la mer qui depuis fut appelée “Icarienne”, comme l’île. Dédale quitta cette île pour aller en Sicile, sur les terres du roi Kokalos, qui honora amicalement cet artiste habile et célèbre. Les mythologues quant à eux racontent que Pasiphaé cacha un temps Dédale en Crète pour le soustraire à la condamnation du roi Minos, que ce dernier, ne l’ayant pas trouvé dans tous les navires de l’île, promit une récompense à quiconque le lui amènerait, et que pour échapper à cette traque Dédale quitta l’île en attachant sur son dos et sur celui de son fils des ailes ingénieusement fabriquées et jointes avec de la cire. Ils traversèrent la mer crétoise, mais le jeune Icare vola trop haut, ses ailes fondirent par la chaleur du soleil, et il tomba dans la mer. Dédale, qui volait au contraire juste au-dessus de l’eau, qui mouillait même ses ailes, parvint miraculeusement à se sauver en Sicile. J’ai cru devoir rapporter ce récit, même si ce n’est qu’une fable", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.77). La localisation de la cité sicilienne de Kamikos reste incertaine, même si la majorité des archéologues la confondent avec l’actuelle commune de Sant’Angelo Muxaro, au sommet d’un promontoire escarpé en bordure du fleuve Platani, à une vingtaine de kilomètres au nord d’Agrigente. Le sous-sol des environs de cette commune a effectivement révélé des traces d’habitations très anciennes, et des artefacts importants de facture mycénienne (dont la célèbre coupe en or décorée de six taureaux en relief conservée au British Museum de Londres, et les aussi célèbres bagues en or représentant respectivement un loup et une vache allaitant son veau conservées au Musée archéologique Paolo Orsi de Syracuse). Plus généralement, cette relation entre le monde égéen de Minos et le monde sicilien de Kokalos (dont le nom apparaît en linéaire B sous la forme "ko-ka-ro" sur les tablettes PY Fg 374 et PY Fr 1184.1), pourtant très éloignés géographiquement l’un de l’autre, ne doit pas surprendre : on voit sur la carte de Méditerranée centrale que l’île de Sicile et le sud de la péninsule italienne sont les étapes naturelles de la route maritime reliant l’ancien territoire d’Athéna (le lac Tritonide/Chott el-Jérid où elle a grandi, la corne des Hespérides/golfe de Gabès à proximité, la chaîne montagneuse de l’Atlas) au jeune territoire attique où elle est désormais célébrée, c’est le même itinéaire qu’empruntent aujourd’hui les migrants africains désireux de se rendre en Europe occidentale, via les îles de Lampedusa et de Malte. Sur le site archéologique côtier de Thapsos, dans la banlieue nord de Syracuse, ont été mis à jour des bâtiments rectangulaires autour d’un mégaron pavé remontant au XIVème siècle av. J.-C. : même si aucune poterie de type mycénien n’y a été découverte - sont-elles encore cachées dans le sous-sol, qui n’a pas été entièrement exploré ? -, cette structure similaire à celle des palais sémitiques levantins et égéens sous-entend une parenté étroite, elle est en tous cas totalement étrangère aux huttes des autochtones sicanes. La même remarque vaut pour le site archéologique de Pantalica, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Syracuse, où, parmi les milliers de tombes troglodytes des autochtones sicanes, les archéologues ont mis à jour un ensemble appelé commodément "Anaktoron" constitué de bâtiments aux murs cyclopéens autour d’un mégaron, que le mobilier mycénien retrouvé sur place, de type Helladique Récent IIIb et IIIc (dont un trésor de bronze, trahissant la présence d’un atelier de fondeur, ou d’un lieu de stockage d’un roitelet mycénien local), permet de dater précisément de l’extrême fin de l’ère mycénienne et du début de l’ère des Ages obscurs (l’absence de vestiges postérieurs suggère que cet Anaktoron de Pantalica est ensuite abandonné). Dans l’Antiquité, plusieurs monuments siciliens étaient considérés comme des œuvres de l’Athénien Dédale ("Dédale demeura longtemps chez Kokalos, et attira l’admiration des Sicanes par ses talents. Plusieurs de ses réalisations en Sicile ont survécu jusqu’à nous. Parmi elles, mentionnons la piscine près de Mégara [sur la côte à mi-chemin entre l’antique Thapsos et l’actuelle Augusta], par où sort le fleuve Alabon avant de se jeter dans la mer. A Kamikos près d’Agrigente, il construisit sur un rocher une cité fortifiée, imprenable en raison des ruelles si étroites et si tortueuses que trois ou quatre hommes seulement suffisaient pour les garder : Kokalos y établit son palais et y déposa ses richesses. Le troisième ouvrage que Dédale a laissé en Sicile est une grotte près de Sélinonte, dans laquelle les vapeurs souterraines sont canalisées par un ingénieux dispositif : les malades qui y entrent transpirent peu à peu, et guérissent sans s’en rendre compte et sans être incommodés par la chaleur. Un pan escarpé de l’Eryx [mont de la pointe nord-ouest de l’île de Sicile, dans la banlieue nord de l’actuelle ville de Trapani] menaçait de tomber en entraînant dans sa chute l’enceinte du sanctuaire d’Aphrodite : Dédale consolida cette enceinte et élargit ce pan du mont, puis il offrit à l’Aphrodite Erykine une ruche en or, œuvre admirable imitant à la perfection une véritable ruche. Ses nombreux autres travaux en Sicile ont été détruits par le temps", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.78). Selon Diodore de Sicile, la mort de Minos II est due à un bain trop chaud servi intentionnellement par Kokalos ("Minos, le roi des Crétois, qui à cette époque était le maître de la mer, apprenant que Dédale s’était réfugié en Sicile, résolut d’y porter la guerre. Il équipa une grande flotte, et vint mouiller près d’Agrigente, en un lieu qui reçut son nom nom, “Minoa” [site inconnu]. Il débarqua ses troupes, et envoya des messagers pour que le roi Kokalos lui livrât Dédale. Kokalos invita Minos en lui promettant satisfaction, il le reçut hospitalièremeut, et lui offrit un bain dans lequel Minos demeura trop longtemps au point d’étouffer de chaleur. Kokalos rendit son corps aux Crétois en leur assurant que Minos était mort en tombant accidentellement dans un bain d’eau chaude. Les soldats enterrèrent le corps du roi avec pompe et élevèrent en son honneur un tombeau en deux parties : ils déposèrent les os dans la partie cachée, et consacrèrent la partie ouverte à Aphrodite (pendant des générations, les autochtones ont vénéré ce monument en croyant qu’il n’était consacré qu’à Aphrodite). Plus tard, lors de la fondation d’Agrigente [au VIème siècle av. J.-C.], ce tombeau de Minos fut démoli. On découvrit ses ossements, qui furent rendus aux Crétois par Théron le roi d’Agrigente [au Vème siècle av. J.-C.]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.79). Selon Pausanias, Kokalos a bénéficié de la complicité de ses filles, séduites par Dédale ("Minos ayant jugé [Dédale] coupable de crime, l’emprisonna avec son fils. Mais ce dernier réussit à s’échapper, et se réfugia à Inykos [site inconnu] en Sicile, auprès de Kokalos. Cela provoqua une grande guerre entre Siciliens et Crétois, Kokalos refusant de le livrer à Minos. Son talent lui attira l’affection des filles de Kokalos, à tel point qu’elles tramèrent la mort de Minos", Pausanias, Description de la Grèce, VII, 4.6). Quels que soient les responsabilités et les moyens employés, Minos II trouve bien la mort en Sicile, à une date indéterminée dans la première moitié du XIIIème siècle av. J.-C. laissant livrées à elles-mêmes les troupes qui l’ont accompagné depuis la Crète. Selon Diodore de Sicile, ces soldats crétois sont aussitôt assaillis par les Sicanes autochtones sous les ordres du roi Kokalos, leurs navires sont détruits, empêchant leur retour en Crète, une partie se retranche sur la côte tandis que l’autre partie se réfugie sur une hauteur non identifiée à l’intérieur de l’île ("La mort de Minos laissa sans chef les Crétois qui l’avaient suivi en Sicile. Les Sicanes, sujets du roi Kokalos, brûlèrent les bateaux des Crétois pour leur ôter l’espoir du retour. Les Crétois restèrent donc en Sicile, les uns dans la cité de Minoa fondée par leur roi, tandis que quelques autres, après un temps d’errance dans l’intérieur du pays, trouvèrent un site naturellement fortifié, où ils édifièrent une cité qu’ils appelèrent “Engyon” d’après le nom d’une rivière qui la traversait", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.79). Selon Hérodote, la nouvelle de la mort de Minos II parvient en Crète, et provoque la colère des Crétois, qui envoient une seconde flotte contre la Sicile. Cette expédition se solde comme la première par un échec. Les survivants décident de rentrer en Crète en longeant les côtes siciliennes, puis les côtes de la péninsule italienne, mais ils sont assaillis par une violente tempête qui brise leurs navires sur les côtes d’Hyria, aujourd’hui Oria dans la région italienne des Pouilles, où ils s’installent définitivement ("On dit que Minos, pour retrouver Dédale, se rendit en Sicile chez les Sicanes, où il périt de mort violente. Ensuite, sur l’ordre d’un dieu, tous les Crétois à l’exception de ceux de Polichné et Praisos [un doute subsite sur le texte, qui mentionne effectivement "Polichné et Praisos/Policnitšwn kaˆ Prais…wn", car si la cité de Praisos est bien localisée près du mont Dikté dans l’est de la Crète, la mystérieuse "Polichné" en revanche est inconnue des archéologues et des autres auteurs anciens, à l’exception de Stéphane de Byzance qui dans l’article "Polichné" de ses Ethniques se contente de dire que les habitants de cette cité sont appelés "Polichnéens" sans donner davantage de détails, or Strabon au livre X paragraphe 4 alinéa de sa Géographie évoque incidemment les anciens autochtones asianiques de Crète ou "Etéocrètes/EteÒkrhtej" installés autour de la "petite cité de Praisos/pol…cnion Pr©son où se trouve le sanctuaire du Dikté divin" : peut-être que le texte originel d’Hérodote parlait pareillement de la "petite cité de Praisos", et qu’un copiste mal inspiré a confondu graphiquement ce qualificatif "petite cité" avec un nom de ville "Polichné" qui n’existe en réalité nulle part ?] partirent vers la Sicile avec une flotte nombreuse. Ils assiégèrent pendant cinq ans la cité de Kamikos, qui appartient aujourd’hui aux gens d’Agrigente. Incapables de prendre cette cité et de continuer le siège en souffrant de famine, ils se résignèrent à partir. Ils longeaient les côtes de l’Iapygie quand une violente tempête les jeta sur le rivage. Les bateaux étant détruits, et n’ayant aucun moyen de retourner en Crète, ils restèrent sur place, et fondèrent la cité d’Hyria, ils perdirent ainsi leur nom de “Crétois” pour celui d’“Iapyges de Messapie”, et leur qualité d’insulaires pour celle de continentaux", Hérodote, Histoire VII.170). Pour l’anecdote, cette seconde expédition est conduite par un bâtard de Dédale nommé Iapyx (devenu chef des Crétois parce qu’il est révolté contre son père Dédale ? ou au contraire parce qu’il a gardé un contact avec son père et espère l’inciter à revenir en Crète ?), et c’est ce Iapyx qui donne son nom à  la région où les Crétois échouent, l’"Iapygie/Iapug…a", plus tard latinisée en "Apulia" par corruption de la consonne occlusive vélaire voisée [g] en une consonne spirante palatale voisée [j], qui est resté jusqu’en l’an 2000 sous la forme "Puglia" en italien, "Pouilles" en français ("Selon Antiochos [de Syracuse, historien du Vème siècle av. J.-C.], les Crétois [d’Hyria] descendent des compagnons de Minos qui, après le meurtre de leur roi à Kamikos chez Kokalos, ont quitté la Sicile et ont été violemment déportés par les vents vers cette côte italienne […]. Antiochos ajoute que le nom “Iapygie” désignant toute la région jusqu’à la Daunie, vient d’Iapyx le fils de Dédale et d’une Crétoise, devenu chef crétois selon la tradition, ou même prince de la Crète", Strabon, Géographie, VI, 3.2 ; au livre III paragraphe 16 alinéa 3 de son Histoire naturelle, Pline l’Ancien dit aussi incidemment qu’Iapyx est bien le fils de Dédale). Pour l’anecdote encore, la Crète ne retrouvera jamais sa princesse Ariane, car tous les auteurs anciens affirment collégialement que celle-ci s’enfuit après la mort du Minotaure. Les mêmes divergent en revanche sur sa vie ultérieure : où meurt-elle ? de quelle façon ? La tradition véhiculée par de nombreux tableaux, pièces de théâtre et opéras à travers les siècles, dit qu’elle est vite abandonnée par Thésée et trouve le réconfort sur l’île de Naxos en épousant Dionysos en personne, ou un "prêtre voué à Dionysos", autrement dit un homme inclinant à la picole. Les intégristes de la mythologie grecque, s’appuyant sur les vers 947-949 de la Théogonie d’Hésiode ("Dionysos aux cheveux d’or épousa la fille de Minos, la blonde Ariane, que le fils de Kronos affranchit de la vieillesse et de la mort"), s’empressent de voir dans ces noces de Dionysos et d’Ariane la preuve que cette dernière est une invention à vocation religieuse ou intellectuelle, une soi-disant déesse de la végétation d’on-ne-sait-où vénérée par on-ne-sait-qui, ou une personnification de la renaissance perpétuelle du printemps, à l’instar de Dionysos qui serait aussi une personnification de la perpétuelle mort et renaissance de la vigne sous forme de raisin puis sous forme de vin. Nous avons déjà dit tout le mal que nous pensons de cette manière masturbatoire de lire la mythologie grecque, nous n’éprouvons donc pas la nécessité d’expliquer une nouvelle fois pourquoi nous la rejetons. Ariane n’est pas un personnage divin ou conceptuel, mais une femme qui a réellement existé dans l’Histoire de la Crète, dont l’existence a pu a posteriori servir des intérêts religieux ou intellectuels particuliers. Pour notre part, nous la regardons comme un équivalent antique de nos actuelles "filles de" alimentant les médias pipoles, héritières de chanteurs ou acteurs célèbres ou de grands patrons qui, pour reprendre la fameuse formule de Beaumarchais dans Le mariage de Figaro, "se sont donné la peine de naître et rien de plus", et qui grandissent avec une cuillère en or dans la bouche : Ariane fille du puissant roi Minos a toutes les caractéristiques des modernes petites princesses en même temps chéries et bridées par leurs parents millionnaires qui les exposent à la foule comme des trésors, bien habillées, bien coiffées, bien maquillées, introverties et toujours vierges à vingt ans, et soudain, pour la passion d’un garçon à vingt-et-un ans, s’émancipent du domicile parental, se dévergondent, se désinhibent, deviennent totalement extraverties, bipolaires, accros au sexe, à la boisson, aux drogues de toutes natures, et décèdent prématurément et sordidement dans la rubrique des faits divers (et ces vies gâchées servent de matière première à des romanciers et à des cinéastes de seconde zone pour combler les désirs d’évasion du grand public, comme jadis la vie gâchée d’Ariane a servi de matière première aux mythologues et aux philosophes pour satisfaire les appétits spirituels de leurs contemporains grecs et romains, jusqu’aux carences des hellénistes intégristes prémentionnés : "On raconte sur Thésée et Ariane beaucoup d’autres choses incertaines. Les uns disent que cette princesse abandonnée par Thésée se pendit de désespoir, les autres disent que, conduite par des marins vers l’île de Naxos, elle y épousa un prêtre de Dionysos nommé Onaros tandis que Thésée s’adonnait à une nouvelle passion. “Il fut infidèle pour Aiglé fille de Panopé” : Héréas de Mégare dit que Pisistrate retira ce vers de l’œuvre d’Hésiode et que, pour faire plaisir aux Athéniens, il ajouta celui-ci dans la description des Enfers par Homère : “Thésée, Pirithoos, nobles enfants des dieux” [Odyssée XI.630]. Quelques auteurs affirment qu’Ariane eut de Thésée deux fils, Oinopion et Staphylos. C’est l’opinion d’Ion de Chio, qui parle de sa patrie “fondée par Oinopion le fils de Thésée” [Diodore de Sicile, au livre V paragraphes 79 et 84 précités de sa Bibliothèque historique, assure pareillement qu’"Oinopion fils d’Ariane la fille de Minos" s’installe à Chio avec le soutien de son grand-oncle Rhadamanthe]. C’est aussi l’opinion la plus répandue, que tout le monde rapporte. Mais l’historien Paion d’Amathonte avance une autre version. Il dit que, une tempête les ayant déportés vers les côtes de Chypre, Thésée y débarqua Ariane, qui était enceinte et incommodée par la houle, tandis que lui-même demeura sur le bateau pour le garder, avant d’être emporté au large par les vents. Les femmes du pays recueillirent Ariane ainsi abandonnée, et pour adoucir son chagrin elles lui donnèrent des lettres soi-disant écrites par Thésée, et l’assistèrent quand elle eut les premières contractions. Ariane mourut sans pouvoir accoucher. Elle reçut les honneurs lors de dignes obsèques. C’est alors que Thésée revint. Vivement attristé par la mort d’Ariane, il laissa aux habitants du pays de quoi lui offrir un sacrifice annuel, et érigea deux statues à sa mémoire, l’une en argent, l’autre en bronze. Ce sacrifice a lieu le deuxième jour du mois de gorpiaios [mois du calendrier macédonien équivalent au mois de metageitnion du calendrier attique, correspondant à mi-août début septembre du calendrier chrétien], à cette occasion un jeune homme couché sur un lit imite les mouvements et les cris d’une femme qui accouche. Les habitants d’Amathonte montrent encore aujourd’hui le tombeau de cette princesse, dans un bois sacré appellé “bois d’Ariane-Aphrodite”. Quelques auteurs de Naxos suivent une tradition différente. Selon eux, deux Minos et deux Ariane ont existé, l’une fut l’épouse de Dionysos dans leur île et la mère de Staphylos, l’autre plus récente fut enlevée par Thésée puis abandonnée à Naxos avec sa nourrice appelée Korkyné, dont on voit encore le tombeau. Cette seconde Ariane serait morte aussi dans l’île, mais reçoit moins d’honneurs que la première : les fêtes en mémoire de celle-ci s’accompagnent de jeux et de réjouissances, alors que les cérémonies en mémoire de celle-là mêlent deuil et tristesse", Plutarque, Vie de Thésée 20). Tous ces événements, qui en moins d’une génération retirent à la Crète son chef charismatique (Minos II à la tête de la thalassocratie), sa famille royale (Rhadamanthe et Sarpédon partis s’installer en Anatolie, Androgée tué en Attique dans un guet-apens, Ariane morte on-ne-sait-où dans la débauche, le bâtard Minotaure mort on-ne-sait-comment dans le palais de Cnossos/Labyrinthe où il était consigné), ses capitaines les plus redoutables (le général Tauros alias le taureau blanc alias Talos, Iapyx le fils de Dédale), ses artistes ingénieurs (Dédale), ses meilleurs soldats (les Crétois partis nombreux avec Minos II puis avec Iapyx), son outil militaire (la flotte détruite par les Sicanes sur la côte sicilienne proche de Kamikos, puis par la tempête sur la côte italienne proche d’Hyria : ce désastre naval laisse la Crète sans défense face à n’importe quel envahisseur), expliquent pourquoi la Crète désormais ne jouera plus qu’un rôle secondaire dans l’Histoire de la mer Egée.


En Hellade, Eole a été suivi par son fils Créthée, qui a fondé la cité d’Iolcos (aujourd’hui le site archéologique de Dimini dans la banlieue ouest de Volos, au fond du golfe Pagasétique ; le palais mycénien de Créthée et de ses successeurs a été découvert en 2001). Pendant ce temps, Salmonée le frère de Créthée est parti s’installer dans l’ouest du Péloponnèse, où il a épousé Alcidice fille du roi arcadien Aléos ("Salmonée quitta l’Eolide avec un groupe d’Eoliens pour aller s’installer en Elide, sur les bords du fleuve Alphée. Il y fonda une cité qu’il appela “Salmonia” d’après son nom. Il épousa Alcidice fille d’Aléos, qui lui donna Tyro à la beauté remarquable", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.68). Il s’y est comporté avec arrogance, réclamant des honneurs divins, multipliant les mises en scène grandioses afin d’impressionner ses contemporains. Ce comportement a provoqué sa chute : lors d’un incendie, que la tradition assure être une punition de Zeus, mais qui pourrait être simplement la conséquence d’un accident pyrotechnique, Salmonée et la cité qu’il a fondée ont péri dans les flammes ("Salmonée habita d’abord en Thessalie, puis il alla en Elide pour y fonder une cité. Sa prétention extrême le poussa à se comparer à Zeus, qui le punit pour son impiété. Ayant ordonné qu’on consacrât à lui-même les sacrifices réservés auparavant à Zeus, traînant des cuirs secs et des vases de bronze derrière son char pour imiter le tonnerre, et lançant des torches enflammées vers le ciel pour imiter les éclairs, Zeus en effet le foudroya, en même temps que la cité qu’il avait fondée et tous ses habitants", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.7 ; "J’ai vu aussi Salmonée subir son cruel châtiment pour avoir voulu imiter les feux de Jupiter [équivalent latin de Zeus] et le fracas de l’Olympe : tiré par quatre chevaux et agitant une torche, Salmonée traversait les peuples de Grèce et sa cité au centre de l’Elide tel un triomphateur, réclamant pour lui-même des honneurs divins, prétendant follement imiter l’orage et l’inimitable foudre avec du bronze et les sabots de ses chevaux, mais le père tout-puissant lança un éclair à travers les nuages épais, qui n’étaient ni torche ni fumées, et dans un immense tourbillon le précipita dans le vide", Virgile, Enéide VI.585-594). Tyro a survécu au désastre, ainsi que sa belle-mère Sidéro, que Salmonée a épousée en secondes noces après la mort d’Alcidice, et qui n’a laissé aucun souvenir dans la mémoire collective excepté ses mauvais comportements à l’encontre de Tyro ("Alcidice étant morte, [Salmonée] se remaria avec Sidéro, qui maltraita beaucoup Tyro. Salmonée, homme violent et impie, fut ensuite haï par ses sujets, et Zeus le frappa de la foudre pour châtier son impiété", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.68). On devine que les deux femmes, ayant tout perdu, ont trouvé refuge chez Créthée à Iolcos. On ignore tout du règne de Créthée, sinon qu’il a épousé sa nièce Tyro. Celle-ci lui a donné trois fils : Eson, Phérès et Amythaon ("La royale épouse [Tyro] eut de Créthée d’autres enfants : Eson, Phérès et le vaillant cocher Amythaon", Odyssée XI.258-259 ; " Créthée, le fondateur d’Iolchos, épousa Tyro la fille de Salmonée, et en eut pour fils Eson, Amythaon et Phérès ", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.11). Les deux époux n’appartiennent pas à la même génération. On suppose même, si on admet qu’Eole règne dans la seconde moitié du XVème siècle av. J.-C., et que ses fils Créthée et Salmonée vivent dans la première moitié du XIVème av. J.-C. selon notre chronologie relative, que Tyro est une fille que Salmonée a engendrée sur le tard, après avoir passé les cinquante ans, car Tyro est la future mère de Nélée et la future grand-mère de Nestor qui participera à la guerre de Troie vers -1200, elle doit donc être en âge de procréer au plus tôt dans la seconde moitié du XIVème siècle av. J.-C., autrement dit deux générations séparent probablement les deux époux. Cette grande différence d’âge explique-t-elle les écarts amoureux de la jeune Tyro ? La mythologie rapporte effectivement que Tyro a entretenu une relation avec un homme de passage (un anonyme sorti de la rivière Enipée, ou le dieu Poséidon en personne !), qui lui a donné deux fils : Pélias et Nélée. Selon l’Odyssée, cette relation date d’avant le mariage avec Créthée, Tyro étant encore vierge ("Je vis d’abord Tyro, fille du noble et renommé Salmonée, et épouse de Créthée fils d’Eole. Eprise de la plus belle rivière coulant sur la terre, le divin Enipée, elle venait souvent sur ses berges. Enosigaios ["Enos…gaioj", "Celui qui ébranle la terre", un des surnoms de Poséidon] prit alors les traits d’Epinée pour s’étendre auprès d’elle, puis il dressa autour d’eux une vague grondante aussi haute qu’une montagne. Sur la berge avancée, cachés dans cette volute liquide tournoyante, le dieu Poséidon retira la ceinture de la vierge mortelle et l’endormit. L’œuvre d’amour finie, le dieu lui déclara en lui prenant la main : “Femme, sois heureuse : de notre amour, dans moins d’un an, naîtront des beaux enfants. Tant est fécond l’amour des dieux ! Nourris-les. Elève-les. Rentre chez toi, mais ne révèle jamais mon nom, toi seule doit savoir que je suis Poséidon Enosichthon ["Enos…cqwn", "Celui qui ébranle le sol"]”. Il dit, et il replongea dans la rivière écumante, et la nymphe enfanta Pélias et Nélée", Odyssée XI.234-254). Diodore de Sicile suit cette tradition ("Tyro, encore vierge, eut une relation secrète avec Poséidon, et mit au monde deux fils, Pélias et Nélée. Tyro épousa Créthée, qui fut le père d’Amythaon, de Phérès et d’Eson", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.68), et aussi pseudo-Apollodore qui précise que Tyro a été "élevée" à la Cour de Créthée ("tršfw", "nourrir, faire croître, élever, éduquer") et qu’elle avait l’habitude de s’isoler sur les bords de l’Enipée "pour exprimer ses plaintes" ("™pwdÚromai", de "œpw/parler, dire" et "ÑdurmÒj/plainte, lamentation") : était-elle vouée dès son plus jeune âge à ce mariage consanguin ? ses lamentations avaient-elles pour objet la mort de son vieux père Salmonée, ou les mauvais traitements infligés par sa belle-mère Sidéro… ou ce mariage plus ou moins forcé avec son vieil oncle Créthée ? Pseudo-Apollodore ajoute que les deux bâtards Pélias et Nélée ont été aussitôt abandonnés par leur mère, ils ont été recueillis et élevés par un éleveur de chevaux. Pour l’anecdote, le nouveau-né Pélias a reçu un coup de sabot accidentel au visage : le bleu que l’enfant gardera toute sa vie est peut-être à l’origine de son nom ("Tyro, fille de Salmonée et d’Alcidice, élevée chez Crethée le frère de Salmonée, devint amoureuse de la rivière Enipée, elle allait souvent se lamenter sur ses berges. Poséidon prit la forme de cette rivière, et s’unit à elle. En secret, elle accoucha de deux jumeaux, qu’elle abandonna. Des éleveurs de chevaux passèrent près de ces enfants. Un cheval frappa le visage de l’un d’eux avec son sabot, lui causant un bleu. Un des éleveurs les emporta, en donnant à celui qui avait été frappé le nom de ce bleu ["peliÒj", désigne la couleur bleue pâle, plomb, livide, d’où le nom "Pélias/Pel…aj"]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.8).


La situation vers -1300


A la génération suivante, dans la seconde moitié du XIVème av. J.-C. selon notre chronologie relative, une rivalité éclate naturellement entre tous les fils de Tyro. Pélias reçoit l’aide de son frère Nélée pour assassiner Sidéro désormais âgée, qui a infligé des mauvais traitements à leur mère Tyro. Cet assassinat se déroule sous la bannière de Poséidon (le soi-disant père de Pélias et Nélée !), dans un sanctuaire dédié à la déesse Héra, qui deviendra dès lors la protectrice de tous les opposants à Pélias ("Parvenus à l’âge adulte, [Pélias et Nélée] reconnurent leur mère, et fomentèrent le meurtre de sa belle-mère Sidéro qui avait infligé à leur mère toutes sortes de mauvais traitements. Sidéro s’enfuit, et se réfugia dans le sanctuaire d’Héra. Mais Pélias la tua aux pieds même de l’autel, sans aucun respect pour la déesse", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.8). Mais quand le vieux Créthée meurt, un conflit éclate entre Pélias et Nélée, qui semble prendre parti pour les héritiers légitimes. Pélias s’empare finalement de la couronne et devient roi d’Iolcos. Eson semble toléré à la Cour du putschiste, puisqu’on l’y retrouvera plus tard, dans la première moitié du XIIIème siècle av. J.-C., à l’époque de l’expédition des Argonautes vers la Colchide, avant que Pélias le force à s’y suicider. Tous les autres princes en revanche s’éparpillent. Selon le livre I paragraphe 9 alinéa 14 de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore, Phérès le premier frère d’Eson part fonder une nouvelle cité à l’ouest d’Iolcos à laquelle il donne son nom, qui est resté jusqu’à aujourd’hui sous la forme corrompue "Velestino" (on note que le nom de cette cité nouvelle de "Phères/Fera…" ou littéralement "les phères", comme "Thèbes/les thèbes", comme "Mycènes/les mycènes", comme "Athènes/les athènes", comme "Delphes/les delphes", est au pluriel : on subodore qu’elle est fondée de la même façon que ces autres cités, par synœcisme de populations jusqu’alors éparpillées dans des hameaux). Le bâtard Nélée frère de Pélias quitte la région pour aller s’installer dans la lointaine Messénie, à Pylos (certains auteurs disent qu’il en est le fondateur, mais d’autres comme pseudo-Apollodore au livre III paragraphe 15 alinéa 5 précité de sa Bibliothèque assurent que le fondateur de Pylos est le Mégarien Pylas ; "Dans Iolcos et sa vaste plaine vécut Pélias et ses nombreux troupeaux, tandis que Nélée s’établit dans la sablonneuse Pylos", Odyssée XI.256-257). Il est accompagné par Amythaon le second frère d’Eson. Amythaon est lui-même suivi par ses fils Bias et Mélampous, fruit de son mariage consanguin avec Idomène fille de son frère Phérès selon pseudo-Apollodore. A Pylos, Nélée épouse Chloris fille d’Amphion et Niobé, seule survivante de l’épidémie qui a ravagé la cité de Thèbes. Parmi les enfants les plus célèbres de Nélée et Chloris, mentionnons Péro future épouse de Bias, et le héros Nestor qui participera à la guerre de Troie dans son extrême vieillesse ("Après la mort de Créthée, Pélias et Nélée se disputèrent le royaume. Pélias devint roi d’Iolcos et des alentours, et Nélée partit vers le Péloponnèse avec Mélampous et Bias les fils d’Amythaon […]. Nélée pénétra avec ses compagnons en Messénie. Il y fonda la cité de Pylos avec le consentement des autochtones, dont il devint roi. Il épousa Chloris, fille du Thébain Amphion. Il en eut douze enfants, dont l’aîné fut Périclymène, et le cadet fut Nestor qui participa à l’expédition contre Troie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.68 ; "[Pélias et Nélée] se querellèrent ensuite, et Nélée fut contraint de fuir, il se retira en Messénie où il fonda la cité de Pylos, il y épousa Chloris fille d’Amphion, dont il eut une fille, Péro, et plusieurs fils : Tauros, Astérios, Pylaon, Déimachos, Eurybios, Epilaos, Phrasios, Euryménès, Evagoras, Alastor, Nestor et Périclymène", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.9). Si on admet que la guerre de Troie date d’environ -1200, Nestor est nécessairement né dans la première moitié du XIIIème siècle av. J.-C. (car on n’imagine pas qu’il ait pu vivre plus de cent ans !), ce qui implique que sa mère Chloris est en âge de procréer vers -1300 et vit sa ménopause dans la même première moitié du XIIIème siècle av. J.-C., qu’elle est née par conséquent dans la seconde moitié du XIVème siècle av. J.-C., et que le règne de son père Amphion à Thèbes a duré jusque dans ce demi-siècle, ce qui confirme indirectement que le règne de Laïos à Thèbes successeur d’Amphion est bien contemporain : Laïos recouvre son trône thébain dans cette seconde moitié du XIVème siècle av. J.-C., et il meurt assassiné par son fils Œdipe juste avant ou juste après -1300.


L’Argolide est très divisée à cette époque. Elle le sera encore davantage après l’entrée en scène de deux nouveaux personnages, Mélampous et son frère Bias, les deux fils d’Amythaon le compagnon d’exil de Nélée à Pylos. Dans sa jeunesse, Mélampous découvre sa vocation de devin, c’est-à-dire non pas la capacité de deviner les numéros gagnants du prochain loto, mais simplement l’art de prévoir le retour du printemps en observant le vol des hirondelles ("Amythaon, qui habitait à Pylos, avait épousé Idomène le fille de Phérès, qui lui avait donné deux fils, Bias et Mélampous. Ce dernier, qui vivait dans la campagne, avait devant sa maison un chêne renfermant un serpent. Ses domestiques tuèrent le serpent, Mélampous l’incinéra sur un bûcher, et il recueillit ses petits. Devenus adultes, ces serpents s’enroulèrent autour de ses épaules pendant son sommeil et purifièrent ses oreilles avec leur langue. Il s’éveilla effrayé, avant de découvrir qu’il comprenait le langage des oiseaux, et que leurs chants prédisaient l’avenir. Il s’instruisit aussi le domaine des sacrifices dininatoires. Enfin, ayant rencontré Apollon près du fleuve Alphée, il devint expert dans l’art de prédire l’avenir", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.11). Cela lui permet d’obtenir la main de Péro fille de Nélée. Mélampous offre aussitôt Péro en mariage à son frère Bias, qui en est amoureux ("Bias fils d’Amythaon voulait épouser Péro fille de Nélée. D’autres la désiraient également. Nélée la promit à celui qui lui amenerait les bœufs de Phylacos, qui étaient gardées par un chien interdisant toute approche aux hommes et même aux bêtes les plus féroces. Bias ne savait pas comment opérer pour les dérober. Il demanda à son frère de l’aider. Mélampous lui répondit favorablement, en lui annonçant qu’il serait capturé en flagrant délit, qu’il resterait un an en prison, mais qu’in fine il obtiendrait les bœufs. Cette promesse étant faite, il alla vers Phylacos, il y fut capturé comme il l’avait prédit, et emprisonné. Un peu moins d’un an passa, quand il entendit des vers qui se parlaient dans le toit de la bâtisse : l’un demandait si beaucoup de poutres restaient à manger, les autres répondaient qu’elles étaient presque toutes rongées. Mélampous demanda alors qu’on le transférât au plus vite dans une autre cellule. Peu de temps après, celle qu’il venait de quitter s’effondra. Phylacos en fut étonné, il conclut que Mélampous était un excellent devin, il le délivra, et lui demanda comment son fils Iphiclos réussirait à avoir des enfants. Mélampous jura de répondre s’il obtenait les bœufs en récompense. Phylacos les lui promit. Mélampe sacrifia alors deux taureaux, et, les ayant coupés en petits morceaux, il invita les oiseaux à les manger. Parmi eux vint un vautour, qui lui apprit que Phylacos avait naguère déposé près d’Iphiclos un couteau ensanglanté ayant servi à tailler des béliers dans ses champs, que l’enfant s’était enfui de frayeur, que Phylacos avait attrapé le couteau pour le planter dans un chêne sacré, et que, l’y ayant oublié, le chêne en croissant l’avait enveloppé de son écorce : le vautour l’informa qu’Iphiclos ne pouvait avoir des enfants qu’à condition de retrouver ce couteau, d’en racler la rouille, et de la boire pendant dix jours. Mélampous le retrouva, fit boire la rouille à Iphiclos, qui eut un fils nommé Podarkès. Mélampous put ainsi amener les bœufs à Pylos, et, obtenant par ce moyen la fille de Nélée, il la maria à son frère Bias", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.12). Les relations entre Nélée et Mélampous n’étant pas heureuses, ce dernier reprend la route avec Bias et sa jeune épouse Péro, pour tenter une nouvelle vie à Argos ("Jadis [Mélampous] habitait à Pylos, nourricière des troupeaux, dans le plus riche des palais. Mais il partit en terre étrangère, privé de ses biens par le grand Nélée : pendant un an, il demeura prisonnier de Phylacos, il supporta les chaînes pour la fille de Nélée, pour la lourde folie insinuée par la terrible Erinys. Trompant la Parque, il put amener à Pylos les bœufs mugissants de Phylacos, et punir le divin Nélée en célébrant le mariage de son frère. Mais il quitta le pays pour aller vers Argos et ses haras", Odyssée XV.226-239), où le roi Anaxagoras fils et successeur de Mégapenthès est confronté aux errances dionysiaques de ses sujettes. Mélampous gruge son interlocuteur en guérissant ces Argiennes égarées, ce qui lui permet d’obtenir en récompense une partie du pouvoir royal argien. Il épouse Iphianire la sœur d’Anaxagoras. De cette union, et de l’union entre Bias et Péro, naissent des enfants consanguins qui se succéderont sur le trône d’Argos ("Sous le règne de l’Argien Anaxagoros fils de Megapenthès, les femmes d’Argos furent atteintes d’une démence qui les poussait à abandonner leurs maisons pour aller errer à travers les champs. Cette maladie fut guérie par Mélampous fils d’Amythaon, qui exigea en retour qu’Anaxagoras partageât la royauté avec lui et avec son frère Bias", Pausanias, Description de la Grèce, II, 18.5 ; "On connaît la réputation de Mélampous dans les arts divinatoires. Il a donné son nom à une espèce d’ellébore : le “mélampodion”. Mais quelques-uns attribuent la découverte de cette plante à un berger homonyme qui, ayant remarqué que ses chèvres étaient purgées après en avoir mangé, guérit la démence des filles de Proetos en leur donnant le lait de ces chèvres", Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXV, 21.1 ; "Le devin Mélampous guérit les femmes d’Argos que la colère de Dionysos avait rendues folles. Le roi argien Anaxagoras fils de Mégapenthès lui donna en récompense les deux tiers de son royaume. Mélampous s’installa à Argos, et associa son frère Bias au pouvoir. Il épousa Iphianire, la fille de Mégapenthès, qui lui donna Antiphatès, Manto, Bias et Pronoé. Antiphatès épousa Zeuxippe fille d’Hippocoon, qui lui donna Oïclée et Amphalcée. Oïclée épousa Hypermnestre fille de Thespios, qui lui donna Iphianire, Polybéa et Amphiaraos. C’est ainsi que Mélampous, Bias et leurs descendants prirent possession du royaume d’Argos", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.68 ; "[Mélampous] demeura un temps en Messénie, mais, Dionysos ayant rendu folles les femmes d’Argos, il les guérit contre la cessation d’une partie du royaume argien, où il s’installa avec son frère Bias. De Bias et de Péro naquit Talaos. Ce dernier épousa Lysimachè fille d’Abas lui-même fils de Mélampous, qui lui donna Adraste, Parthénopée, Pronax, Mécistée, Aristomachos et Eryphile, future épouse d’Amphiaraos. De Parthénopée naquit Promachos, l’un des Epigones qui bataillèrent contre Thèbes", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, I, 9.12-13). Pendant ce temps, dans le territoire voisin, à Tirynthe-Mycènes, la situation successorale est aussi confuse. Persée et Andromède, nous l’avons vu plus haut, ont engendré plusieurs fils, dont Alcée, Electryon et Sthénélos. Alcée devient roi de Tirynthe, il épouse on-ne-sait-quelle femme, dont il a un fils : Amphitryon ("Alcée épousa Astydamie fille de Pélops, qui lui donna un fils, Amphitryon, et une fille, Anaxo. Mais certains affirment que son épouse fut Laonomé fille de Gounéos, ou Hipponomé fille de Ménécée", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.5 ; "[Les habitants de Phénée] [cité d’Arcadie] disent qu’Alcée engendra Amphitryon avec Laonomé fille de Gounéos, et non pas avec Lysidice fille de Pélops", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 14.2). Son frère Electryon devient roi de Mycènes, il épouse on-ne-sait-quelle femme, dont il a une fille : Alcmène ("Electryon épousa Anaxo fille d’Alcée, qui lui donna une fille, Alcmène", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.5 ; "Persée était fils de Zeus et de Danaé fille d’Acrisios. Il épousa Andromède fille de Céphée, dont il eut un fils, Electryon. Ce dernier épousa Eurydice fille de Pélops, qui lui donna Alcmène", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.9 ; "Alcmène avait pour mère Lysidice […] fille de Pélops et d’Hippodamie", Plutarque, Vie de Thésée 7). Sthénélos, probablement le cadet, reste dans l’ombre d’Electryon à Mycènes. Tout va bien, jusqu’au jour où la descendance d’un quatrième frère dont nous n’avons pas encore parlé, appelé Mestor, intervient. Ce Mestor fils de Persée et d’Andromède a eu une fille, qui a couché avec un homme de passage (le dieu Poséidon !), a donné naissance à son tour à un fils nommé Taphios. Ce Taphios s’est installé dans l’archipel des Echinades, au large de l’Acarnanie, en mer Ionienne, où il a mis au monde un fils, Ptérélas, qui lui-même a engendré plusieurs fils. Cette famille de Taphios, surnommée "Téléboenne" pour une raison inconnue ("[Persée] eut des enfants d’Andromède. Avant son départ pour la Grèce était né Persès, qui resta vivre avec Céphée : on dit que c’est de lui que viennent les Perses. A Mycènes naquirent Alcée, Sthénélos, Héléos, Mestor, Electryon […]. Mestor épousa Lysidice fille de Pélops, qui lui donna une fille, Hippothoé. Celle-ci fut enlevée et emmenée par Poséidon dans les îles Echinades, où elle mit au monde un fils, Taphios. Celui-ci fonda Taphos, et appela ses sujets “Téléboéens” car ils vivaient loins de sa patrie ["ThlebÒai", de "thloà/loin" et "bo£w/crier"]. De Taphios naquit Ptérélas, que Poséidon rendit immortel en plantant un cheveu d’or sur sa tête. De Ptérélas naquirent Chromios, Tyrannos, Antiochos, Chersidamas, Mestor et Evérès", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.5), réclame des terres en Argolide en rappelant sa parenté à Persée. Les altercations se multiplient entre la famille d’Electryon et la famille de Taphios, jusqu’au dénouement logique : à l’occasion d’une énième bataille fratricide, plus violente que les précédentes, les fils d’Electryon et les petits-fils de Taphios s’entretuent ("Quand Electryon régnait à Mycènes, les fils de Ptérélas, avec l’aide de Taphios, vinrent revendiquer le royaume de Mestor, leur aïeul maternel. Electryon refusa d’entendre leurs doléances. Les fils de Ptérélas emmenèrent alors ses troupeaux de vaches. Les fils d’Electryon accoururent. Une bataille s’ensuivit, au cours de laquelle ils s’entretuèrent. Seuls survécurent Licymnios fils d’Electryon, parce qu’il était encore un enfant, et Evérès fils de Ptérélas, parce qu’il était resté en retrait pour garder les bateaux. Les Taphiens en fuite réussirent néanmoins à emporter avec eux le bétail volé, qu’ils confièrent à Polyxénos le roi des Eléens", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.6). Amphitryon, qui a sans doute succédé à son père Alcée sur le trône de Tirynthe puisque le nom d’Alcée disparaît des textes à ce moment (ces événements se passent nécessairement dans la première moitié du XIIIème siècle av. J.-C. selon notre chronologie relative, car même en admettant que les petits-fils de Taphios sont très jeunes, une trentaine d’années minimum se sont écoulées entre leur naissance et la naissance de leur grand-père Taphios ; par ailleurs, même en admettant que Mestor est plus ancien que ses frères Alcée et Electryon, une autre trentaine d’années minimum se sont également écoulées entre sa naissance et la naissance de son petit-fils Taphios), tente d’apaiser les choses, mais Electryon veut exterminer les Téléboens survivants en envahissant l’archipel des Echinades. Un contingent est formé. Electryon confie le trône de Mycènes et la garde d’Alcmène à son neveu Amphitryon durant son absence. Hélas, sur le point de partir, un incident fatal se produit : une vache charge Electryon, Amphitryon veut l’aider en repoussant la vache avec une massue, qui rebondit sur l’animal, et frappe mortellement Electryon. Sthénélos, demeuré jusque là en retrait, saute sur l’occasion pour accuser aussitôt Amphitryon de régicide, l’expulser de la Cour de Mycènes et du trône de Tirynthe, et s’emparer des couronnes de ces deux cités. Amphitryon, accompagné d’Alcmène, part en exil vers Thèbes ("Amphitryon racheta ensuite [le troupeau de vaches] [emportées par les Téléboens survivants] et le rapporta à Mycènes. Mais Electryon voulait venger la mort de ses enfants. Il confia à Amphitryon son royaume, ainsi que sa fille Alcmène après avoir obtenu sa promesse de ne pas attenter à sa virginité jusqu’à son retour, et il se prépara la guerre contre les Téléboens. Mais une vache issue du cheptel volé le chargea brusquement, Amphitryon jeta la massue qu’il tenait alors à la main, la massue frappa les cornes de l’animal, rebondit, atteignit Electryon à la tête, et le tua. Sthénélos utilisa ce prétexte pour bannir Amphitryon d’Argolide, et s’emparer du pouvoir sur Mycènes et sur Tirynthe […]. Amphitryon, accompagné d’Alcmène et de Licymnios, se réfugia à Thèbes, où il fut purifié par le roi Créon", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.6). Sthénélos épouse Nicippé, une fille de Pélops et d’Hippodamie, qui lui donnera un héritier : Eurysthée.


A Thèbes, après l’effondrement du gouvernement de Zéthos et Amphion, miné par une épidémie ravageuse, Laïos a recouvré le pouvoir. Il a épousé Jocaste, sœur d’un nommé Créon. Jocaste et Créon sont les enfants d’un nommé Ménécée, dont un scholiaste anonyme, pour expliquer les vers 942-943 des Phéniciennes d’Euripide ("En toi nous voyons le plus pur descendants de la race des Semés ["Sparto…", autochtones de Béotie, parmi lesquels Echion le père de Penthée], par les mères comme par les mâles") nous apprend qu’il a pour père un nommé "Oclasos fils de Penthée", or on se souvient que Penthée était le neveu de Polydoros dont nous avons précédemment raconté l’histoire, autrement dit Créon arrière-petit-fils du roi cadméen Penthée et Laïos petits-fils du roi cadméen Polydoros sont cousins. Tel naguère le roi argien Acrisios, Laïos a reçu un oracle lui annonçant sa mort par la main d’un de ses descendants. La prudence l’a incité en conséquence à limiter ses relations avec son épouse Jocaste, jusqu’au jour où, dans un moment d’ivresse, il a couché avec elle et l’a engrossée. Neuf mois plus tard, juste après sa naissance, l’enfant conçu lors de ce moment d’égarement a été immédiatement abandonné dans un coin de montagne, ses chevilles ont même été mutilées pour l’empêcher de se déplacer. Et tel naguère encore le fils d’Acrisios recueilli par un pêcheur éolien de passage, le fils de Laïos a été recueilli par des bouviers corinthiens de passage, qui l’ont soigné, et lui ont donné un nom rappelant ses chevilles blessées, "Œdipe/O„d…pouj", de "o„dšw/gonfler, enfler, grossir" (qu’on retrouve en français dans "œdème" avec le même sens) et "poÚj/pied" ("Après la mort d’Amphion, le sceptre passa dans les mains de Laïos. Il épousa la fille de Ménécée, appelée “Jocaste” par les uns ou “Epicaste” par les autres. Un oracle divin avait conseillé à Laïos de ne pas avoir d’enfants, sous peine que “le fils en naissant tuât son père”. Mais le roi, ivre, s’unit malgré tout à sa femme. Il donna le nouveau-né à des bergers pour qu’ils percent ses chevilles avec une pointe et l’abandonnent. L’enfant fut déposé sur le mont Cithéron. Mais des bouviers de Polybe le roi de Corinthe le trouvèrent, et l’amenèrent à son épouse Périboia, qui l’adopta et soigna ses chevilles enflées en lui donnant un nom en conséquence", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.7 ; "[Laïos] ayant épousé Jocaste, un oracle de Delphes lui annonça que si Jocaste devenait mère, “le fils tuerait le père”, il abandonna donc Œdipe", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 5.10). Amphitryon et Alcmène arrivent à Thèbes pendant le règne de Laïos. Ils apportent avec eux les problèmes dynastiques de l’Argolide. Désireux de gagner sa revanche sur Sthélénos qui l’a chassé du pouvoir à Tirynthe-Mycènes, Amphitryon rêve d’épouser sa cousine Alcmène (souvenons-nous qu’Amphitryon fils d’Alcée et Alcmène fille d’Electryon ont le même grand-père paternel : Persée ; certaines sources antiques disent qu’ils ont aussi le même grand-père maternel : Pélops) afin d’engendrer un fils consanguin qui succédera légitimement à Sthélénos. Alcmène de son côté n’a pas digéré la mort de ses frères dans le combat contre les Téléboens, et elle veut savoir si la mort de son père Electryon lors de la préparation de la campagne militaire punitive contre ces Téléboens relève d’un geste malencontreux ou d’un geste délibéré de la part d’Amphitryon - dans le premier cas Amphitryon a causé la mort d’Electryon de façon accidentelle, dans le second cas il a agi au contraire intentionnellement afin de s’emparer du trône de Mycènes - : elle décide donc de mettre Amphitryon à l’épreuve, en acceptant de l’épouser à condition qu’il accomplisse la campagne militaire contre les Téléboens projetée par Electryon. Amphitryon répond favorablement à la demande d’Alcmène. Il rassemble des hommes, obtenant l’aide de Créon le beau-frère de Laïos, qui l’accompagne vers l’archipel des Echinades où vivent les Téléboens ("Alcmène accepta d’épouser Amphitryon, s’il vengeait la mort de ses frères. Amphitryon jura, et organisa un contingent pour aller combattre les Téléboens. Il sollicita l’aide de Créon, qui lui demanda de libérer d’abord La Cadmée du terrible renard qui la dévastait. Le destin ["eƒmarmšnh"] avait établi que personne ne pourrait arrêter ce renard. Les Thébains lui offraient chaque mois en pâture un de leurs propres garçons pour qu’il n’en dévorât pas davantage. Amphitryon se rendit alors à Athènes pour demander l’aide de Céphale fils de Déion : en échange d’une partie du butin futur pris aux Téléboens, il le persuada de lancer contre le renard le chien que Procris avait amené de Crète, un chien fabuleux offert par Minos qui attrapait tout ce qu’il poursuivait. Le chien pourchassa le renard, et Zeus les transforma tous les deux en pierres. Amphitryon put ainsi partir, avec ses alliés : Céphale de Thoricos en Attique, Panopée de Phocide, le Perséide Héléos d’Hélos en Argolide, et Créon de Thèbes", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.6-7). L’expédition s’apparente à une colonne infernale, massacrant tout et saccageant tout dans les îles, jusqu’à la cité de Taphos où sont retranchés les derniers Téléboens, dont Ptérélas fils de Taphios. S’ensuit un récit qui évoque celui du Mégarien Nisos, ou celui ultérieur du Danaen Samson : la fille de l’assiégé tombe amoureuse de l’assiégeant, et le trahit en coupant ses cheveux source de sa force, en l’occurrence la fille de Ptérélas coupe les cheveux de celui-ci, qui perd sa force, et ne peut plus résister aux assauts d’Amphitryon. La cité de Taphos tombe. Amphitryon revient vers Thèbes avec le butin ("[Amphitryon] incendia et ensanglanta les îles des Taphiens. Tant que Ptérélas demeura en vie, Amphitryon ne parvint pas à s’emparer de Taphos. Mais Komaitho fille de Ptérélas tomba amoureux de lui et, par amour, elle arracha le cheveu d’or que son père avait sur la tête. Ainsi Ptérélas mourut, et Amphitryon se rendit maître de toutes les îles. Puis il tua Komaitho, et revint à Thèbes avec son butin, après avoir donné les îles à Héléos et à Céphale qui y fondèrent des cités portant leur nom, où ils s’installèrent [pour l’anecdote, ce Céphale a donné son nom à l’île de "Céphalonie", qui est resté jusqu’à aujourd’hui]", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.7 ; "J’ai vu personnellement des lettres cadméennes à Thèbes en Béotie, dans le temple d’Apollon Isménien, gravées sur des trépieds. Elles ressemblent beaucoup aux lettres ioniennes. Sur un de ces trépieds on lit cette inscription : “Amphitryon m’a dédié à son retour de chez les Téléboens”. Cette inscription date de l’époque de Laïos, fils de Labdacos, qui lui-même avait pour père Polydoros fils de Cadmos", Hérodote, Histoire V.59). Malheureusement pour Amphitryon, sa joie de la victoire disparaît dès qu’il revoit Alcmène. Car celle-ci a le ventre rond. Pendant qu’il guerroyait dans l’archipel des Echinades, la tradition rapporte qu’elle a couché par méprise avec Zeus qui s’est déguisé en Amphitryon ("[Zeus] ne convoita pas Alcmène par amour comme toutes les autres femmes, mais seulement pour en avoir un enfant. Ne voulant pas contraindre Alcmène par la force, et désespérant de vaincre sa vertu par la persuasion, il recourut à la ruse : il prit la forme d’Amphytrion, et la trompa sous cette apparence", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique IV.9). Les hellénistes intégristes dissertent à nouveau jusqu’à la nausée sur cet épisode, que pour notre part nous résumons de la même façon que toutes les grossesses mythologiques précédentes : Amphitryon est cocu avant d’être marié, sa promise Alcmène ayant choisi d’enterrer sa vie de jeune fille dans les bras d’un amant de passage. Amphitryon, débonnaire, accepte malgré tout d’épouser Alcmène, qui accouche de jumeaux, Héraclès et Iphiclès : les contemporains, ignorant les nécessités médicales mais bien informés de l’égarement momentané d’Alcmène, voit dans Iphiclès le fils du cocu Amphitryon et dans Héraclès le fils de l’amant de passage ("Avant qu’Amphitryon revienne de Thèbes, Zeus arriva s’immisça pendant trois longues nuits, prenant l’aspect d’Amphitryon, pour coucher avec Alcmène, en lui parlant de ses victoires contre les Téléboens. Quand Amphitryon arriva, la jeune femme ne l’accueillit pas chaleureusement. Il lui en demanda la raison. Alcmène répondit qu’elle l’avait déjà accueilli le soir précédent, en couchant avec lui. Amphitryon consulta alors chez le devin Tirésias, qui lui révéla que Zeus en personne s’était uni à la jeune femme. Alcmène mit au monde deux enfants : l’aîné d’une nuit Héraclès fils de Zeus, et Iphiclès fils d’Amphitryon", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.8). Les deux enfants sont élevés ensemble par Amphitryon, qui, selon le mythologue Phérécyde, manifeste sur eux, sur sa femme, et sur lui-même, des sentiments naturellement ambigus ("Quand le bébé [Héraclès] eut huit mois, Héra envoya dans son berceau deux serpents terrifiants, parce qu’elle désirait sa mort. Alcmène poussa un cri, appela Amphitryon au secours, mais Héraclès se redressa et tua les serpents en les étranglant, un dans chaque main. Phérécyde pour sa part affirme que c’est Amphitryon qui jeta ces serpents dans le lit, pour savoir lequel des deux enfants était le sien : Iphiclès s’étant enfui, alors Héraclès les affronta, Amphitryon comprit que son fils était Iphiclès", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, II, 4.8). Les années passent. Œdipe, fils non désiré de Laïos l’hôte d’Amphitryon, d’Alcmène, d’Héraclès et d’Iphiclès, parvient à l’âge adulte. En déplacement en Phocide, Œdipe croise Laïos. La tradition assure que les deux hommes à ce moment ignorent mutuellement qui ils sont : Œdipe croit toujours que ses parents sont les Corinthiens qui l’ont recueilli, et Laïos croit toujours que son fils est mort après avoir été abandonné dans la montagne. Une dispute éclate à cause d’une banale priorité à droite. Le ton monte. Les deux conducteurs descendent de leur char, ils se tapent sur la goule, Laïos reçoit un mauvais coup, il décède. Œdipe continue son chemin, sans savoir qu’il vient de tuer son père. Le trône de Thèbes devient vacant. Créon, le beau-frère de Laïos, assure la régence en attendant la venue d’on-ne-sait-quel héritier ("Jeune homme, Œdipe était plus fort que tous les garçons de son âge. Un jour, par jalousie, ils l’insultèrent en le qualifiant de bâtard. Le garçon demanda des explications à Périboia, qui refusa de lui répondre. Il résolut alors d’aller à Delphes pour interroger le dieu sur son ascendance. Le dieu lui conseilla de “ne jamais retourner dans sa patrie sous peine de tuer son père et de coucher avec sa mère”. Ayant entendu cela, et se trompant sur ses vrais parents, il décida de ne pas revenir à Corinthe. Tandis qu’il traversait la Phocide sur son char, il croisa dans un étroit défilé le char sur lequel voyageait Laïos. Polyphontès, le héraut de Laïos, lui cria de s’écarter. Œdipe n’obéit pas, il resta où il était. Polyphontès tua un de ses chevaux. Œdipe, furieux, tua alors Polyphontès et Laïos, puis il continua vers Thèbes. Laïos fut enseveli par Damasistratos le roi de Platées. A Thèbes, Créon fils de Ménécée devint roi", pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 5.7-8).


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Au terme de notre survol de l’ère mycénienne, nous constatons que l’élément sémitique en mer Egée s’est considérablement abâtardi. Hellen est sans doute un Sémite, fils de Deucalion qui semble un colon levantin de seconde zone (installé sur les hauteurs, à l’écart des plaines fertiles et des lieux de décision, ce qui le sauve lors de l’inondation) dont la mémoire collective a associé la biographie à celle de l’Akkadien d’Atrahasis/Uta-napishti et à celle du habiru/hébreu Noé, mais Orséis l’épouse d’Hellen n’est assurément pas une Sémite : pseudo-Apollodore au livre I paragraphe 7 alinéa 3 précité de sa Bibliothèque définit Orséis comme une "nymphe", manière poétique de signifier qu’elle vient de nulle part, qu’elle est une Asianique liée à la terre thessalienne, ou une Indoeuropéenne achéenne récemment arrivée en Thessalie, en tous cas elle n’appartient pas à la prestigieuse famille des colons minoens (sinon les mythologues se seraient empressés de nous le dire !). En conséquence, les descendants d’Hellen et d’Orséis ont du sang mélangé. Et ils accroissent ce mélange par leurs propres fréquentations. Tectamos par exemple, petit-fils d’Hellen et d’Orséis, s’entoure d’Indoeuropéens achéens pour prendre possession de la Crète, même si on ignore les modalités de ce rapprochement (mariages sincères ou alliances de circonstances ?) : l’apparition de la langue grecque en linéaire B à Cnossos peu de temps après le débarquement des Doriens de Tectamos sur l’île en est la preuve. L’Attique de son côté, depuis que son roi bâtard Erichthonios a instauré les Panathénées, est l’équivalent de la France au Moyen Age, ou des Etats-Unis depuis 1783 : c’est une terre où les migrants venus de partout peuvent s’installer à condition de respecter un idéal commun, en l’occurrence l’adoration collégiale d’une déesse Athéna qui a perdu son identité nord-africaine pour devenir une déesse œcuménique, la légitimité du sol y a supplanté la légitimité du sang. La presqu’île du Péloponnèse doit son nom à la majorité de ses rois apparentés de près ou de loin au couple Pélops-Harmonie, or nous avons vu aussi que, si Pélops de rattache bien au monde sémitique ouest anatolien, Harmonie en revanche est la fille d’un nommé "Oenomaos" originaire d’on-ne-sait-où (à l’alinéa 6 paragraphe 1 livre V de sa Descrition de la Grèce, Pausanias dit rapidement qu’Oenomaos est fils d’un nommé "Alxion" inconnu par ailleurs, ou fils du dieu de la guerre Arès), probablement un notable asianique local. Au fond, les deux seules cités qui demeurent authentiquement sémitiques sur le continent européen sont Thèbes et Argos, et encore ! A Thèbes la famille du Levantin Cadmos doit composer avec les autochtones (les "Semés/Sparto…") : la rivalité entre ces deux forces politiques aboutira aux désastres du XIIIème siècle av. J.-C. opposant d’abord le tyran Laïos à son propre fils Œdipe éduqué par des bouviers ordinaires, puis la fanatique Antigone contre le raisonnable Créon issu d’un autochtone (le Semé Echion), puis les partisans respectifs de Laodamas et de Thersandre. Et en Argolide, divisée en trois territoires (celui d’Argos, celui de Tirynthe et celui de Mycènes), les descendants du Sémite hyksos Danaos doivent pareillement composer avec la famille des aventuriers Mélampous et Bias, descendants d’Eole fils d’Hellen et Orséis.


Cette conclusion étant posée, trois sujets restent à explorer.


D’abord, les pratiques funéraires. L’ère mycénienne voit une généralisation progressive des tombes à tholos. Les archéologues en ont découvertes sur l’île de Crète à Cnossos et à Archanès (à une dizaine de kilomètres au sud d’Héraklion), sur la côte anatolienne à Colophon, dans l’archipel des Cyclades sur l’île de Ténos, sur le continent européen à Thorikos en Attique, à Volos en Thessalie, à Parga en Epire, sur le même modèle que la célèbre tombe dite "d’Atrée" à Mycènes. La thèse kurgane de Marija Gimbutas rattache ces tombes à tholos en mer Egée à l’époque mycénienne, aux tombes indoeuropéennes découvertes entre la mer Noire et la chaîne de l’Oural datant des époques précédentes. Assurément un lien de parenté existe entre celles-ci et celles-là, mais leurs maîtres d’œuvres et leurs propriétaires étaient-ils tous exclusivement des Indoeuropéens achéens ? On en doute. Nous avons vu qu’à Mycènes, l’origine des cercles A et B doit probablement se chercher vers l’Egypte au sud davantage que vers l’Asie au nord, la nature et la forme des objets entreposés, les corps embaumés, les masques qui les recouvrent, rappellent beaucoup les pratiques funéraires des Egyptiens que les Mycéniens ont pu importer via le hyksos Danaos. Cette remarque sur Mycènes vaut peut-être pour toute la mer Egée : les pratiques indoeuropéennes y ont peut-être été adoptées par les colons sémitiques d’autant plus facilement qu’elles leur rappelaient les pratiques funéraires qu’ils avaient observées et pratiquées en Egypte à l’époque hyksos.


Ensuite, l’écriture. L’ère mycénienne voit une généralisation progressive du linéaire B hellénophone, au détriment du linéaire A venu d’on-ne-sait-où pour décrire on-ne-sait-quelle langue. Mais quid de l’écriture alphabétique, que la tradition affirme avoir été importée sur le continent européen par Cadmos ("Cadmos honora aussi Athéna Lindia par des offrandes, dont une magnifique baignoire en bronze travaillée à la manière ancienne, portant une inscription en caractères phéniciens qu’on dit avoir été apportés en Grèce", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique V.58 ; "C’est le Phénicien Cadmos qui, selon Ephore [célèbre historien du IVème siècle av. J.-C.], enseigna l’alphabet aux Grecs", Clément d’Alexandrie, Stromates I.16 ; "Cadmos, le père de Sémélé, s’installa à Thèbes du temps de Lyncée [aberration chronologique : Lyncée succède à son beau-père Danaos sur le trône d’Argos vers -1500, tandis que Cadmos débarque en Béotie un siècle plus tard…], et fut l’inventeur des lettres grecques", Clément d’Alexandrie, Stromates I.21) ? Une récente hypothèse, fondée les connaissances de l’an 2000 sur le sujet, mérite d’être rapportée ici. Le plus ancien artefact connu avec une écriture alphabétique remonte à l’époque hyksos. Il consiste en deux inscriptions gravées sur une roche du wadi el-Hol entre Ta-Opet/Thèbes et Abydos en Egypte. La première est verticale et se lit de haut en bas, la seconde est horizontale et se lit de droite à gauche. Les signes s’inspirent manifestement de certains hiéroglyphes égyptiens, qu’ils copient en les stylisant, en même temps qu’ils annoncent les futures lettres abstraites de l’alphabet phénicien. Si on accepte la traduction plausible avancée par les spécialistes, que nous reproduisons ci-contre, ce texte est un hymne en l’honneur de la déesse Anat. L’artefact suivant est une dague retrouvée dans la tombe 1502 à Lakish au sud-Levant (aujourd’hui le site archéologique de tell ed-Duweir, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Hébron en Israël), parmi des objets datés vers -1600, dont trois scarabées hyksos. Cette dagne comporte quatre signes, le deuxième et le troisième sont bien identifiables à deux hiéroglyphes égyptiens et à deux futures lettres alphabétiques phéniciennes, mais le doute subsistant sur les premier et quatrième signes empêche une traduction. Le troisième artefact, qui est aussi le plus ancien découvert puisque sa révélation publique par l’égyptologue britannique Alan Henderson Gardiner remonte à 1916, consiste en une statuette de sphinx exhumée sur le site de Serabit el-Khadim dans le désert du Sinaï, comportant une inscription de chaque côté. Sa datation est très incertaine, entre le début et le milieu de l’ère mycénienne. La statuette étant endommagée à l’avant, seule une partie de ces deux inscriptions est lisible : on distingue nettement quatre signes mi-hiéroglyphes mi-alphabétiques formant le mot sémitique "baalat/maîtresse". Cela suffit pour deviner que ce sphinx est une offrande votive à la déesse Hathor, vénérée sur ce site de Serabit el-Khadim. Dans les années 1980, un quatrième artefact est mis à jour à Lakish : il s’agit d’un fragment de bol daté vers -1200 comportant une inscription incompréhensible à l’encre, dont les signes ont perdu leur ressemblance avec les hiéroglyphes égyptiens, et se rapprochent des lettres alphabétiques abstraites phéniciennes. Très récemment, en 2014, toujours à Lakish, une équipe israélo-américaine a découvert un cinquième artefact : un fragment de pot datant du XIIème siècle av. J.-C. comportant encore des signes apparentés aux lettres alphabétiques phéniciennes. A partir de ces quelques documents, on suppose que l’administration de la XIIème Dynastie, celle du papyrus 35.1446 du Muséum de Brooklyn que nous avons analysé dans notre paragraphe introductif (une administration composée d’authentiques Egyptiens… ou d’un mélange de cadres égyptiens et d’employés sémitiques ?), confrontée à l’afflux de plus en plus importants de migrants sémitiques/aamus, a inventé un système plus pratique que les hiéroglyphes pour les répertorier dans les registres pharaoniques : au lieu d’inventer un nouvel idéogramme pour identifier chacun de ces migrants, elle a choisi de restituer graphiquement la sonorité du nom de ces migrants en utilisant la valeur sonore de certains hiéroglyphes déjà existants, qui ont perdu à cette occasion leur signifiant. Par exemple, si on adapte ce système en français, au lieu d’utiliser un signe hiéroglyphique représentant une chaise pour signifier la notion de repos, de calme, de sérénité, on l’emploie pour la valeur sonore initiale [ʃ] de "chaise" ; au lieu d’utiliser un signe hiéroglyphique représentant une marmite pour signifier la notion de faim, d’appétit, d’oppulence, on l’emploie pour la valeur sonore [m] de "maison" : en dessinant une chaise puis une marmite, on restitue l’étymon consonantique [ʃm] du nom sémitique "Cham" ou "Shimon", tous les migrants sémitiques/aamus portant ce nom "Cham" ou "Shimon" peuvent alors être reconnus par ce moyen graphique, débarrassé de toute notion. Quand les hyksos se sont imposés dans le delta du Nil, à la fin de l’ère minoenne, ils ont trouvé ce système très astucieux, ils l’ont donc repris pour leur propre administration, en l’adaptant à leur langue sémitique : ils ont utilisé le hiéroglyphe représentant une tête de vache pour restituter le son [a] parce que "vache" en sémitique se traduit par "aleph", ils ont utilisé le hiéroglyphe représentant une maison pour restituer le son [b] parce que "maison" en sémitique se traduit par "beth", et ainsi de suite. Cet usage a donné naissance au système alphabétique (qui doit justement son nom aux deux premiers signes qui le composent : "aleph" et "beth"). Et quand les hyksos ont été chassés d’Egypte par Ahmosis, ils ont emportés avec eux au Levant cette écriture alphabétique, d’où les artefacts de Serabit el-Khadim et de Lakish. Cadmos étant un Sémite levantin apparenté aux hyksos (fils du Tyrien Agénor), on peut admettre qu’il a emporté à son tour l’écriture alphabétique sémitique levantine vers le continent européen, quand il s’est installé en Béotie vers -1400 selon notre chronologie relative, et ces signes alphabétiques levantins se sont déformés au cours des siècles pour donner les lettres grecques (alpha, bêta, gamma, delta…). Hérodote au Vème siècle av. J.-C. semble appuyer cette hypothèse : à Thèbes, il a constaté que les inscriptions gravées sur des objets remontant à l’époque de Cadmos comportent des lettres phéniciennes très voisines des lettres grecques ("En s’installant dans ce pays [en Béotie], les Phéniciens accompagnant Cadmos […] ont introduit chez les Grecs des savoirs nouveaux, dont l’alphabet, que je crois jusqu’alors inconnu en Grèce. Ils utilisèrent d’abord l’alphabet encore usité par les Phéniciens d’aujourd’hui, puis le temps déforma la prononciation et les lettres. Les Ioniens voisins apprirent ces lettres alphabétiques phéniciennes, et les employèrent en effectuant quelques changements. Ils les appelèrent justement “lettres phéniciennes” puisqu’elles leur venaient des Phéniciens. […] J’ai vu personnellement à Thèbes en Béotie des lettres cadméennes dans le temple d’Apollon Isménien, gravées sur trois trépieds : elles ressemblent beaucoup aux lettres ioniennes", Hérodote, Histoire V.58-59). Malheureusement, l’archéologie en Grèce n’apporte aucune certitude, et pose même davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses. Car non seulement aucun artefact comportant des signes alphabétiques datant de l’ère mycénienne n’a été découvert en Grèce jusqu’à maintenant (le plus ancien document retrouvé avec une écriture alphabétique est la célèbre coupe dite "de Nestor" de Pithécusses, datant de l’ère archaïque !), mais encore les fouilles ont révélé le linéaire A, et le linéaire B qui en découle, dont les signes et la logique syllabique n’ont absolument aucun rapport avec l’écriture alphabétique phénicienne ancienne. Les archéologues ont-ils donc cherché aux mauvais endroits jusqu’à présent ? des artefacts de l’ère mycénienne avec des textes alphabétiques attendent-ils d’être exhumés dans le sous-sol de la Grèce ? dans ce cas, d’où vient le syllabaire du linéaire A, source du linéaire B hellénophone ? les deux systèmes ont-ils coexisté en Grèce mycénienne ? dans ce cas, pourquoi n’a-t-on encore trouvé aucune trace d’utilisation du système alphabétique, qui s’imposera seul à partir de l’ère archaïque, alors qu’on a trouvé d’innombrables traces du système syllabique qui disparaîtra complètement dès le début de l’ère des Ages obscurs ? Mystère. Nous pouvons seulement conclure que dans le domaine du langage comme dans le domaine des pratiques funéraires, le caractère indoeuropéen de la Grèce mycénienne doit être relativisé : le signifié est bien indoeuropéen (le grec impose son hégémonie partout), mais le signifiant reste incertain (sémitique pour le système alphabétique, probablement asianico-sémitique pour le système syllabique).


Enfin, le char de guerre. Sur ce sujet, la principale difficule réside dans le fait que, si nous connaissons le point de départ et le point d’arrivée, nous ignorons le cheminement qui a conduit de l’un à l’autre. Le point de départ, c’est ce que nous avons dit dans notre alinéa précédent sur la reconquête de l’Egypte par la XVIIème Dynastie. Nous avons vu que le raid de Kamosis contre la cité d’Avaris s’opère par voie fluviale, et que le retour vers Ta-Opet/Thèbes s’opère par voie terrestre, notamment à cause des chars que les Egyptiens ont dérobé aux hyksos, trop encombrants pour être embarqués sur les bateaux. Nous avons vu aussi que son successeur Ahmosis dirige ses troupes depuis l’un de ces chars volés aux hyksos. En quoi consistent ces chars hyksos dérobés par Kamosis et amenés à Ta-Opet, puis utilisés par Ahmosis et par les premiers pharaons de la XVIIIème Dynastie à sa suite ? s’agit-il de chars de parade, ou de chars de combat ? sont-ils à deux roues, ou à quatre roues ? ces roues sont-elles pleines, ou à rayons ? par quels animaux sont-ils tirés ? Ahmosis est-il le seul à monter sur l’un de ces chars, afin que ses soldats le distinguent parmi la masse, ou est-il à la tête d’un régiment de chars opérationnels (Ahmosis fils d’Abana ne nous éclaire pas, qui déclare simplement "suivre le char" de son pharaon : cette formulation peut signifier que ce char est isolé au milieu des fantassins, ou qu’il est noyé dans un grand nombre de chars…) ? A la fin de l’ère mycénienne, tous les chars des puissances méditerranéennes orientales semblent copiés les uns sur les autres, tant leurs caractéristiques sont interchangeables. Leur vocation première est le combat, même s’ils peuvent occasionnellement servir lors des parades. Tout est conçu pour alléger le poids de l’ensemble, pour soulager les efforts des animaux tracteurs : on compte un essieu unique flanqué de deux roues à rayons, supportant une plateforme ultra souple et ultra résistante capable d’accueillir deux hommes. Cette structure est assemblée à l’extrémité d’un ou deux brancards, auxquels sont attachés des harnais. Les animaux tracteurs sont des chevaux, dont la taille est inférieure à celle de nos chevaux modernes. Les deux hommes transportés sont un conducteur et un soldat. On peut utiliser le char comme arme d’assaut : dans ce cas le soldat embarqué est souvent un lancier ou un archer. On peut l’utiliser aussi comme arme logistique : dans ce cas le soldat embarqué est un fantassin opérationnel qu’on amène sur le lieu de la bataille, ou un fantassin fatigué ou blessé qu’on évacue vers l’arrière. Fondamentalement, on n’observe aucune différence entre le char égyptien de Ramsès II (qui lui-même ressemble aux célèbres chars funèbres retrouvés dans la tombe Toutankhamon, aujourd’hui conservés par le Musée égyptien du Caire en Egypte) et le char hittite de Muwattali II tels qu’ils sont figurés sur les bas-reliefs du temple d’Abou Simbel en Egypte, et le char grec mycénien tel qu’il est figuré par exemple dans les fresques en provenance de Tirynthe exposées aujourd’hui au Musée national archéologique d’Athènes sous les références 5878 et 5882. Le char hyksos est-il à l’origine de ce char international sophistiqué bien attesté à la fin de l’ère mycénienne ? Rien ne permet de l’affirmer. Notre seule certitude est que les bas-reliefs retrouvés à Mycènes datés vers -1600, soit du début de l’ère mycénienne, contemporains de l’expulsion des hyksos d’Egypte par Ahmosis, conservés aujourd’hui par le Musée national archéologique d’Athènes sous les références 1428 et 1429, ont déjà toutes les caractéristiques des chars de combat ultérieurs (deux roues à rayons, une étroite plateforme reliée à un brancard tiré par des chevaux de taille moyenne), et cela ne nous avance pas puisque nous avons vu dans le présent alinéa que Mycènes est alors très liée à l’Egypte (c’est peut-être dans le cercle A ou dans le cercle B que l’on doit chercher la dépouille du hyksos Danaos). Le char importé d’Egypte à Athènes vers -1500 par le roi bâtard Erichthonios, selon le paragraphe A10 précité du Marbre de Paros, est-il un char de combat, ou un char de parade, ou un char combinant ces deux vocations ? Le char de Salmonée fils d’Eole, Sémite - comme son nom l’indique : "Salmonée" est fondé sur l’étymon sémitique "slm" - que nous situons dans la première moitié du XIVème av. J.-C. selon notre chronologie relative, est assurément un char de parade : son équipement pyrotechnique, qui cause la mort accidentelle de Salmonée, vise non pas à vaincre dans des batailles mais à étonner les foules. Les chars du Thébain Laïos et de son fils Œdipe vers -1300, descendants du Sémite levantin Cadmos, sont-ils des chars de combat, des chars de parade, ou plus prosaïquement des véhicules de transport sans équipements militaires ni ornements ? Le char d’Oenomaos le seigneur de Pisa, que nous avons supposé d’origine asianique ou indoeuropéenne, est un char de course, puisqu’il est l’outil de course dont se sert justement Oenomaos pour pérenniser son pouvoir, le char du Sémite anatolien Pélops est également un char de course, qui lui permet de vaincre Oenomaos : on en déduit que ces deux chars doivent ressembler aux chars des bas-reliefs de Mycènes vers -1600, et aux chars de Ramsès II et de Muwattali II de la fin de l’ère mycénienne, dont les structures légères et solides permettent pareillement des courses rapides. Rappelons également que le cortège mythologique du bâtard Dionysos au XVème siècle av. J.-C. renvoie peut-être historiquement à une troupe de cavaliers ou de cavalières d’origine nord-africaine (les Satyres, et les Amazones amenés par la cheftaine Myrina). Et rappelons encore que les descendants d’Eole sur la côte thessalienne sont en contact avec les cavaliers indoeuropéens qui circulent dans l’intérieur des terres voisines (Pélias et Nélée enfants au XIVème siècle av. J.-C. sont recueillis par des éleveurs de chevaux selon l’alinéa 8 paragraphe 9 livre I précité de la Bibliothèque de pseudo-Apollodore : ces éleveurs de chevaux sont peut-être des Indoeuropéens), et qui finiront par se souder à leurs montures dans l’inconscient collectif pour engendrer l’image des centaures. Les chevaux africains de Dionysos, ou les chevaux indoeuropéens en Thessalie, sont-ils les mêmes animaux qui tractent les chars de leurs contemporains grecs et égyptiens ? Mystère. Voilà tout ce que nous pouvons dire sur le point d’arrivée. Le point de départ quant à lui se trouve à la fois au nord en Asie centrale et au sud dans le pays de Sumer, beaucoup plus tôt. Au nord, les fouilles menées dans les années 1980 par l’archéologue soviétique Viktor Seibert sur le site de Botaï, près d’Astana l’actuelle capitale du Kazakhstan, qui ont révélé des traces de domestication du cheval remontant au IVème millénaire av. J.-C., ont appuyé l’hypothèse de l’archéologue Marija Gimbutas qui, d’après son étude sur les kurgans entre la mer Noire et la chaîne de l’Oural, supposait une domestication du cheval par les Indoeuropéens justement vers le IVème millénaire av. J.-C., les territoires plats à perte de vue dans cette région du monde pouvant justifier son recours pour faciliter et raccourcir le temps des déplacements des hommes et des matériels (même si un doute subsiste sur les squelettes de chevaux de Botaï : ceux-ci ayant été exhumés de fosses d’où ont été extraits d’autres squelettes de porcs, de chèvres, de moutons et de bœufs, on peut estimer que ces chevaux étaient destinés autant à la consommation qu’à un usage logistique). Les plus anciens exemplaires de véhicules indoeuropéens sur roues à rayons ont été retrouvés dans les années 1990 dans des tombes de la vallée de la rivière Sintashta, qui traverse l’actuelle province de Tcheliabinsk en Russie, frontalière du Kazakhstan, datant du tournant des IIIème et IIème millénaires av. J.-C. : ce sont des chariots à quatre roues, à usage civil ou funéraire, absolument pas adaptés à la course, ni aux assauts lors des batailles. Les études physiologiques réalisées sur les derniers spécimens encore vivants de chevaux dits "Tarpan" et "de Przewalski", mesurant environ un mètre trente au garot, robuste au point de pouvoir porter un homme, dont sont issus les chevaux actuels, suggèrent par ailleurs une parenté avec ceux retrouvés dans l’aire indoeuropéenne, notamment à Botaï. La linguistique n’apporte aucun indice supplémentaire, sinon que deux étymons indoeuropéens semblent se rapporter au cheval : le cheval de labour est désigné par "kabl" ("cavall" en celte, "kaballès/kab£llhj" en grec, "caballus" en latin), le cheval de course est désigné par "ekwo" portant la notion de vitesse ("ekko" en celte, "hippos/†ppoj" en grec [corruption d’"i-qo" en linéaire B, qu’on retrouve dans le nom "Philippe/F…lippoj", littéralement "l’ami/f…loj des chevaux/†ppoj "], "equus" en latin). Au sud, le coffre découvert par l’archéologue britannique Leonard Woolley en 1927 dans la nécropole royale de la cité d’Ur, aujourd’hui conservé au British Museum de Londres en Grande-Bretagne, plus connu sous son appellation commode "Etendard d’Ur", remontant au plus tôt à la seconde moitié du IIIème millénaire av. J.-C., avant l’ère sémitique akkadienne, montre plusieurs chars massifs à quatre roues pleines et à trois panneaux carrés tirés par des équidés de petite taille, qui roulent sur des ennemis allongés sur le sol. S’agit-il d’une scène de bataille, ce qui signifierait que ces chars ont une vocation militaire ? ou s’agit-il d’une scène cérémonielle (un simulacre de bataille, au cours duquel des prisonniers sont rituellement mis à mort par écrasement sous ces chariots, de la même façon que plus tard dans certaines régions d’extrême-orient les prisonniers seront rituellement mis à mort par écrasement sous les pattes d’éléphants de combat), ce qui signifierait que ces chars ont une vocation politique, celui d’affirmer symboliquement la supériorité de ceux qui les conduisent ? Les équidés représentés s’apparentent moins à des chevaux qu’à des poneys, ou à des ânes, plus particulièrement à des hémiones/onagres, qui sont des animaux certes aptes aux ports ponctuels de charges mais certainement pas à des longues escapades, trop petits pour être montés (à moins d’avoir les jambes courtes, les Sumériens et les Sémites qui s’assoient dessus touchent forcément le sol avec leurs deux pieds !), et trop faibles pour tirer longtemps au galop des chars aussi lourds que ceux qui sont figurés. Les assyriologues signalent que la plus ancienne occurrence littéraire d’un équidé apparaît dans l’un des hymnes du Sumérien Shulgi le seigneur la cité d’Ur au XXIème siècle av. J.-C. (sur lequel nous ne nous attarderons pas car ces hymnes attendent toujours une édition de référence), qui se compare poétiquement à un "équidé/ansu-kur balançant sa queue sur la grande route", or les idéogrammes traduisant ce terme akkadien "ansu kur", littéralement "âne/ansu" de l’"étranger" ou de la "montagne" ("kur" peut signifier indifféremment l’un ou l’autre), se retrouvent dans les textes hittites pour désigner toute chose en relation avec le cheval (par exemple un combattant de char est un "ansu kur ra mes" en hittite). Cela suggère que les premiers chars hittites sont des héritiers du lourd char mésopotamien tiré par des hémiones/onagres de l’Etendard d’Ur, davantage que du chariot léger indoeuropéen tiré par des chevaux de la vallée de la Sintashta. Cette filiation est plausible, puisque la naissance de la royauté hittite, nous l’avons racontée précédemment, s’imbrique dans l’Histoire asianique anatolienne, et puise son dynamisme dans le legs des karums sémitiques assyriens. Le document CTH 1 évoque entre autres le siège de Salatiwara [cité non localisée] par Anitta seigneur de Kussar [cité également non localisée] à la tête de mille quatre cents fantassins et quarante chars : si ce récit est fondé, il raccorde bien l’utilisation du char de guerre par les rois hittites ultérieurs, qui se revendiquent héritiers d’Anitta, aux Sémites mésopotamiens puisque Anitta appartient à l’aire et à l’époque des derniers karums assyriens. Le document CTH 414 que nous avons cité dans notre paragraphe introductif dit quant à lui que Labarna le deuxième roi hittite a reçu "la royauté et le char" du dieu asianique Halmasuit : ce "char" d’Halmasuit est-il un vrai char de guerre, un de ceux qui ont servi naguère à Anitta ? s’agit-il encore d’un lourd chariot à quatre roues comme ceux de l’Etendard d’Ur, ou s’agit-il déjà d’un char léger à deux roues comme ceux de Muwattali II ? Les mêmes assyriologues, s’appuyant sur les textes de la cité de Mari, soulignent par ailleurs à quel point les équidés sont des animaux rares et peu utilisés dans le Croissant Fertile à l’ère minoenne. Ainsi dans la lettre ARM V.20, Ishi-Addu le seigneur de la cité de Qatna reproche à Isme-Dagan le roi de Mari de retarder le paiement des deux chevaux - ou deux hémiones/onagres ? - qu’il lui a envoyés ("A Isme-Dagan, message d’Ishi-Addu ton Frère. Je veux te parler d’une affaire dont je ne devrais pas te parler, mais je dois soulager mon cœur. Tu prétends te comporter en souverain. Or tu m’as réclamé deux chevaux, que je t’ai envoyés, et en échange tu m’as donné vingt mines d’étain. Si tu as des griefs, parle m’en simplement, mais ne me donne pas si peu d’étain. Si au moins tu ne m’avais rien donné ! Le dieu de mon père est témoin de cette offense. Le prix des chevaux qui sont désormais chez toi est de six cents sicles à Qatna, et toi tu me donnes vingt mines d’étain : si l’affaire est rendue publique, que dira-t-on ? Ne se moquera-t-on pas de nous [c’est-à-dire "nous, les gens de Qatna"… ou "moi qui me suis fait voler par toi, et toi qui n’a pas les moyens d’acheter deux chevaux" ?] ? Ma maison est ta maison. Tu manques de tout dans la tienne ? Ton Frère est là pour t’aider. Mais ne me donne pas si peu d’étain ! Mon cœur est offensé ! Ton acte n’est pas digne d’un souverain ! Ma maison est ta maison !", ARM V.20) : cette lettre sous-entend qu’Isme-Dagan est un radin, et/ou que ses réserves financières sont très limitées puisqu’il n’a pas les fonds nécessaires pour acheter deux chevaux, et/ou que le prix demandé par Ushi-Addu est très surévalué pour une marchandise aussi peu fonctionnelle, dans tous les cas le cheval apparaît comme un animal secondaire, objet de marchandages diplomatiques et de convoitises, davantage qu’un animal voué à des tâches pratiques significatives. Cette impression est confortée par la lettre ARM X.147 ordonnant à sa destinatrice, une nommée "Addu-duri" qu’on suppose être la mère de Zimri-Lim le dernier roi mariote, de réaliser une écurie dans le "grand palais" de Mari pour rivaliser avec l’écurie du seigneur de Qatna ("A Addu-duri, message de ton seigneur. J’entends beaucoup parler de l’excellence des chevaux blancs de Qatna. Quand tu prendras connaissance de cette tablette, fais réaliser une écurie dans la cour du bâtiment peint, à la porte des gardes, avec de l’ombre pour protéger contre la chaleur du jour, et avec des roseaux. On y installera les chevaux, on leur apportera du grain. Prends soin de mes directives. Cette écurie doit être créée devant mes appartements [texte manque]", ARM X.147 ; pour l’anecdote, les indications de cette lettre permettent de situer cette écurie au nord-ouest du mégaron, près de la salle 189 que l’archéologue André Parrot voit comme une salle des gardes [un puisard et un foyer découverts à l’intérieur de cette salle 189 prouvent sa fonction domestique, et non une fonction de stockage], face à la salle 220 que l’archéologue Béatrice Muller voit comme un appartement royal [notamment d’après les traces de peintures découvertes sur place]) : le cheval vers -1700 dans la haute vallée de l’Euphrate est une bête de zoo, une curiosité qu’on préserve dans un enclos luxueux pour impressioner les visiteurs, et non pas l’outil de conquête qu’il deviendra plus tard. Mieux encore, la lettre ARM VI.76 que nous avons déjà citée dans notre paragraphe introductif révèle que le fait de monter à cheval, tel les Satyres qui accompagneront l’Amazone Myrina à l’ère mycénienne, ou les Centaures de Thessalie, est une marque de barbarie : aux yeux du courtisan mariote Bahdi-Lim, un roi digne et respectable ne doit pas monter à cheval comme les cavaliers, il doit être porté par un "nubalum" (une chaise à porteur ? un chariot d’apparat similaire à ceux de l’Etendard d’Ur tirés par des hémiones/onagres ?), car la cavalerie n’est que l’apanage du pauvre, entrenir un cheval à monter coûte moins cher qu’entretenir un attelage ("Aujourd’hui le pays benjaminite se livre à toi, or c’est un pays akkadien. Que mon seigneur honore donc la capitale du royaume en tant que roi de bédouins et roi d’Akkadiens : mon seigneur ne doit pas monter à cheval, c’est sur un nubalum avec des mules que mon seigneur doit honorer sa capitale", ARM VI.76). Le cheval vers -1700 dans le Croissant Fertile, comme le char, est avant tout un emblème de réussite politique et sociale : posséder un cheval ou posséder un char montre qu’on n’est plus un roturier, comme plus tard après 1789 posséder un permis de chasse montrera qu’on n’est plus un sujet de l’aristocratie, l’important n’est pas ce qu’on fait avec ce cheval et avec ce char, l’important est seulement d’en avoir un, et de montrer à tout le monde qu’on en a un. Si nous synthétisons toutes ces données, nous sommes tentés de penser que le char de guerre standard de la fin de l’ère mycénienne, comme les tombes à tholos, comme l’écriture alphabétique, n’en déplaise aux fanatiques de la prétendue supériorité indoeuropéenne de la première moitié du XXème siècle, n’est pas un marqueur spécifiquement indoeuropéen. Ce char de guerre standard est le produit d’un mélange entre le char de parade sumérien puis sémitique (mésopotamien, levantin, hyksos), le cheval indoeuropéen, et la roue à rayons inventée on-ne-sait-où par on-ne-sait-qui ni on-ne-sait-quand, un mélange réalisé non pas dans un dialogue intercommunautaire aimable, mais dans le sang des batailles : "J’ai manqué être vaincu avec mes chars lourds à quatre roues contre mon ennemi qui possède des chars légers à deux roues, je dois donc me procurer des chars légers comme lui pour être vainqueur la prochaine fois", "J’ai manqué être vaincu avec mes chars lents tirés par des hémiones/onagres contre mon ennemi qui possède des chars rapides tirés par des chevaux, je dois donc me procurer des chevaux comme lui pour être vainqueur la prochaine fois", "J’ai manqué être vaincu avec mes chars en bois qui sont facilement inflammables et se disloquent à la moindre bosse contre mon ennemi qui possède des chars en osier recouverts de plaques de bronze, je dois donc me procurer des tisserants et des métallurgistes comme lui pour être vainqueur la prochaine fois". Le char en Méditerranée orientale à l’ère mycénienne a joué le même rôle que le canon jouera en Europe occidentale au Moyen Age. La fabrication d’un char nécessite un savoir-faire spécifique, de même la fabrication d’un canon nécessite des matières premières spécifiques, or ce savoir-faire ou ces matières premières ont un coût élevé que seuls les plus riches peuvent assumer. Les conséquences sont logiques et imparables : plus on est riche, plus on peut acheter des chars ou des canons, plus on peut gagner des batailles qui permettent de s’enrichir davantage, et d’acheter davatange de chars ou de canons, et ainsi de suite. Ceci explique pourquoi le petit pouvoir de Ta-Opet/Thèbes vers -1600 est devenu vers -1300 un grand Empire depuis l’actuel Soudan jusqu’à la rive sud du fleuve Oronte, pourquoi le petit pouvoir d’Hatussa vers -1600 est devenu vers -1300 un grand Empire depuis Troie jusqu’à la rive nord du fleuve Oronte, et pourquoi le petit pouvoir d’Argos vers -1500 est devenu vers -1200 une grande fédération depuis la mer ionienne jusqu’à Troie.