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index




introduction2

Isocrate

Les Dix Mille, Agésilas II

Epaminondas

Philippe II, les débuts d'Alexandre

Keratos : Musique


  

Le temps perdu

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte III : Sophocle

Acte IV : Alexandre

Le temps gagné

Acte V : Le christianisme

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Introduction

  

Epaminondas


L’historien désireux de raconter la première moitié du IVème siècle av. J.-C. est confronté au même dilemme que l’économiste confronté à un graphique : ou bien considérer le graphique dans son ensemble, voir le point de départ et le point d’arrivée et conclure la tendance générale à partir de ces deux seuls points, ou bien considérer le détail et constater que des fluctuations existent entre le point de départ et le point d’arrivée, impliquant que le point d’arrivée n’est pas supérieur au point de départ mais rattrape une courbe descendue très bas, ou n’est pas inférieur au point de départ mais rééquilibre une courbe montée très haut. Dans le cas d’Athènes notamment, nous constatons que le point d’arrivée en -336 au moment où Alexandre accède au pouvoir en Macédoine est très nettement au-dessus du point de départ de -403 au moment de l’abolition du régime des Trente et du rétablissement du régime démocratique. Nous avons vu dans notre précédent alinéa que Conon obtient une victoire significative en reprenant le contrôle d’une partie des îles de la côte anatolienne pour le compte d’Athènes, qui permet à cette dernière de reconstruire une partie de sa puissance déchue. Mais est-ce suffisant pour dire qu’Athènes redevient la grande puissance qu’elle était au Vème siècle av. J.-C. ? est-ce suffisant pour dire que le gouffre au fond duquel Athènes est tombée avec la dictature des Trente est comblé avec les victoires de Conon, d’Iphicrate, de Chabrias et de quelques autres compatriotes au cours de cette première moitié du IVème siècle av. J.-C. ? De toute évidence, non. Nous ne perdrons donc pas de temps ici à ratiociner sur les victoires ponctuelles d’Athènes. Des hellénistes en l’an 2000 continuent de voir le décret d’alliance de -377 entre Athènes et diverses cités grecques, rapporté sous la référence 43 dans le volume II/2 des Inscriptions grecques, comme une résurrection de la Ligue athénienne du temps de Périclès, mais non : ce décret n’est qu’une tentative de contrecarrer le partage du monde concédé par Artaxerxès II à Sparte lors de la signature de la paix d’Antalcidas en -386 (la ligne 13 très corrompue de ce décret semble contenir l’expression "paix commune" ou "koinè eirénè/koin¾ eir»nh" constituant le socle de la paix d’Antalcidas de -386), autrement dit cette alliance athénienne de -377 est une manœuvre d’Artaxerxès II utilisant les Athéniens comme des marionnettes pour essayer d’abaisser la toute-puissance des Spartiates auxquels il a dû concéder la paix d’Antalcidas en -386. La vérité est que cette alliance athénienne de -377 ne vaut pas davantage que le gouvernement de Versailles toléré et même encouragé par Bismarck en 1871, ou que le régime de Vichy toléré et même encouragé par Hitler en 1940, elle est une entité fantoche servant les intérêts d’un dominant contre un autre dominant. Après son effondrement général à la fin du Vème av. J.-C., Athènes n’occupe plus qu’un rôle secondaire dans l’Histoire du monde, même ses mines d’argent du Laurion se tarissent ("Pourquoi des nouvelles mines ne s’ouvrent plus comme jadis ? Parce qu’aujourd’hui les métallurgistes sont trop pauvres. Ils engagent des frais pour ré-exploiter une mine abandonnée ou pour en exploiter une nouvelle à grand risque, et pour un seul qui s’enrichit sur un bon filon, tous les autres ne trouvent rien et perdent leurs avances. Voilà pourquoi plus personne aujourd’hui ne veut courir cette aventure", Xénophon, Sur les revenus IV.28-29), les ouvriers qui espèrent encore y trouver fortune se ruinent la santé à un niveau proverbial ("Le travail des mineurs turdétans [de la cité phénicienne de Tartessos en Ibérie, aujourd’hui Cadix en Espagne] est mieux récompensé que, selon le célèbre proverbe, celui des mineurs de l’Attique “n’obtenant pas ce qu’ils espèrent et perdant ce qu’ils ont”", Strabon, Géographie, III, 2.9), la fortune d’Athènes dépend désormais du bon-vouloir des tiers qui l’entourent avec lesquels elle n’a rien à négocier hormis son prestigieux passé.


A la fin de notre précédent alinéa, nous avons laissé Agésilas II au printemps -394 au moment où il abandonnait quelques garnisons à son subalterne Euxénos pour sécuriser les cités grecques anatoliennes ("Agésilas II laissa en Asie l'harmoste Euxénos à la tête d'une forte garnison d'au moins quatre mille hommes, afin qu'il puisse garder les cités", Xénophon, Helléniques, IV, 2.4), et quittait lui-même le continent asiatique avec le gros du contingent spartiate pour abaisser les prétentions de Thèbes, Athènes, Argos et Corinthe financées par la Perse d'Artaxerxès II, inquiet de la puissance politique et militaire à laquelle Sparte est parvenue et des ambitions conquérantes d'Agésilas II ("[Agésilas II] traversa l'Hellespont. […] Après la distribution des récompenses, [Agésilas II] à la tête de son armée emprunta la même route qu'avait prise le Grand Roi à l'époque de son invasion de la Grèce [c'est-à-dire Xerxès Ier lors de son invasion de la Grèce en -480 ; Xénophon prend plaisir à évoquer l'ancien dominant perse en parlant du nouveau dominant grec pour suggérer que celui-ci agonise au profit du second, et que le second est supérieur car Agésilas II, qui incarne cette nouvelle domination grecque, ne connaîtra jamais une défaite humiliante à Salamine comme Xerxès Ier jadis…]", Xénophon, Helléniques, IV, 2.8). La coalition anti-spartiate n'obtient pas les résultats attendus. Tandis qu'Agésilas II est encore en chemin entre la Thrace et la Macédoine, son ancien tuteur le stratège spartiate Aristodémos écrase militairement les coalisés à Corinthe (cette bataille est racontée par Xénophon au livre IV paragraphe 2 de ses Helléniques). Quand il apprend cette nouvelle, selon le témoignage de Xénophon qui l'accompagne, Agésilas II ne tire aucune fierté du succès spartiate, au contraire il se lamente en pensant aux victoires qu'il aurait pu remporter sur le continent asiatique contre les Perses si les coalisés s'étaient rangés sous ses ordres dans une alliance panhellénique au lieu de se dresser contre leurs compatriotes grecs de Sparte au bénéfice des Perses ("Quand il apprit que, dans une bataille près de Corinthe, huit Spartiates et presque dix mille ennemis avaient péri, [Agésilas II] ne se réjouit pas, au contraire il s'écria : “O Grèce, quel malheur que la perte de ces hommes qui auraient apporté la victoire contre les barbares !”", Xénophon, Agésilas II VII.5 ; "Dans cette seule bataille où commanda Agésilas II [Cornélius Népos confond par erreur la bataille de Corinthe commandée par Aristodémos avec la bataille de Coronée commandée par Agésilas II peu de temps après], les ennemis perdirent dix mille hommes, et leurs forces furent ruinées. Mais, loin de tirer vanité de son triomphe, il déplora que la Grèce perdit tant d'enfants à cause de ses adversaires, et que les Grecs, en étant plus sages, eussent pu utiliser ces soldats pour infliger une vengeance éclatante aux Perses", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVII.4). Agésilas II traverse la Thessalie et arrive en Béotie. Il engage une nouvelle bataille contre les coalisés à Coronée en été -394, qu'il gagne (cette bataille est racontée par Xénophon, Helléniques, IV, 3.15-20 et Agésilas II II.9-16). Pour l'anecdote, Xénophon participe à cette bataille aux côtés d'Agésilas II (Xénophon, Helléniques, IV, 3.15, indique en effet la présence des "mercenaires sous les ordres d'Hérippidas", or nous avons vu que ces mercenaires d'Hérippidas sont les vétérans des Dix Mille, les "vétérans du prince Cyrus" selon Xénophon, Helléniques, III, 4.20 précité). On ignore la vie de Xénophon ensuite. On sait seulement qu'il deviendra propriétaire d'un domaine à Scillonte en Elide. Selon Diogène Laërce, Xénophon achètera ce domaine avec le reste de son butin amassé en Asie ("[Xénophon] quitta Agésilas II pour se retirer à Scillonte près d'Elis. Selon Démétrios de Magnésie il eut une femme nommée “Philèsia”, et, selon Dinarque dans son discours Pour un affranchi de Xénophon contre son maître, ses deux fils s'appelaient “Gryllos” et “Diodoros” et furent surnommés “les Dioscures”. Mégabyse étant venu dans le pays à l'occasion d'une fête publique, Xénophon recouvra l'argent qu'il lui avait confié [Mégabyse est un prêtre d'Artémis d'Ephèse, auquel Xénophon a confié une partie de ses biens lors de son passage dans cette cité, selon Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.51 précité], avec lequel il acheta un domaine traversé par un cours d'eau [le fleuve Alphée] appelé “Sélinos” comme celui d'Ephèse [la rivière Sélinos est un affluent du fleuve Caystre/Küçük Menderes]. A partir de ce moment il passa tout son temps à chasser, à recevoir ses amis et à écrire ses œuvres historiques. Dinarque prétend que sa maison et ce domaine attenant lui furent donnés par les Spartiates. On dit aussi que le Spartiate Pélopidas lui envoya des prisonniers dardaniens afin qu'il en disposât à son gré", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.52-53 ; "Fils de Gryllos, Athénien, philosophe socratique, il fut le premier à écrire des vies de philosophes et des commentaires. De Philèsia, il eut Gryllos et Diodoros qui furent surnommés “les Dioscures”", Suidas, Lexicographie, Xénophon X47), selon Pausanias ce sont les Spartiates qui lui offriront ce domaine en récompense de son engagement à leurs côtés ("Plus tard les Spartiates privèrent les Eléens de Scillonte, qu'ils confièrent à Xénophon fils de Gryllos. Celui-ci était banni d'Athènes pour avoir servi le prince Cyrus, le plus grand ennemi des Athéniens, dans son expédition contre le Grand Roi de Perse [Artaxerxès II] qui leur était favorable. Depuis sa résidence de Sardes effectivement, le prince Cyrus avait fourni de l'argent pour entretenir la flotte spartiate de Lysandre fils d'Aristocritos. Tel fut le motif de l'exil de Xénophon. Celui-ci s'établit à Scillonte, où il consacra un domaine à Artémis d'Ephèse. La région de Scillonte est propice à la chasse, elle est riche en sangliers et en cerfs, le fleuve Sélinos la traverse", Pausanias, Description de la Grèce, V, 6.5-6). Peu importe. Xénophon y passera l'essentiel de ses dernières années à écrire son œuvre. L'historien Istros, élève de Callimaque le directeur du Musée d'Alexandrie au milieu du IIIème siècle av. J.-C., dit que le bannissement de Xénophon sera levé à une date inconnue ("Istros dit qu'Euboulos [personnage inconnu, peut-être apparenté à son homonyme Eubule, homme politique athénien adversaire de Démosthène, deux générations après celle de Xénophon] décréta son exil [à Xénophon], et plus tard son rappel", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.59). Mais Xénophon ne reviendra jamais à Athènes. Il mourra on-ne-sait-où sous l'archontat de Kallimèdos en -360/-359 ("Selon la liste des Archontes et vainqueurs olympiques de Stésikleidès d'Athènes, [Xénophon] mourut la première année de la cent cinquième olympiade [de -360 à -357], sous l'archontat de Kallimèdos [en -360/-359], la même année où Philippe II fils d'Amyntas III s'imposa aux Macédoniens. Démétrios de Magnésie dit qu'il mourut très âgé à Corinthe", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.59 ; "Les exégètes d'Elis racontent que les Eléens recouvrèrent Scillonte, que Xénophon fut convoqué devant le tribunal d'Olympie pour avoir accepté de la recevoir en don des Spartiates, mais que les Eléens lui pardonnèrent et qu'il continua sa vie paisiblement à Scillonte. Près du sanctuaire [à Artémis, sur le domaine de Xénophon], on voit un tombeau orné d'une statue en marbre pentélique, les autochtones disent que c'est le tombeau de Xénophon", Pausanias, Description de la Grèce, V, 6.6). En mer pendant ce temps, au large de Cnide, Conon avec Pharnabaze remporte une victoire significative contre la flotte spartiate conduite par Peisandros le frère d'Agésilas II. Peisandros trouve la mort durant l'affrontement. Agésilas II reçoit la nouvelle juste avant la bataille de Coronée, alors qu'il se trouve encore en Thessalie ("On reçut alors la nouvelle de la défaite des Spartiates dans un combat naval, et de la mort du navarque Peisandros. Voici comment ce combat s'était déroulé. La rencontre avait eu lieu près de Cnide. Pharnabaze, qui occupait la fonction de navarque, commandait les trières phéniciennes, en avant desquelles Conon avec la flotte grecque avait disposé ses navires. Peisandros avait formé sa ligne en face. Mais en voyant l'infériorité numérique de ses navires par rapport à ceux de Conon, les alliés de l'aile gauche avaient pris rapidement la fuite. Peisandros, réduit à ses propres forces, avait engagé le combat. Sa trière percée de coups d'éperons avait été refoulée vers la côte, tous ceux qui avaient été pareillement repoussés vers la terre avaient abandonné leurs navires et s'étaient enfuis comme ils avaient pu vers Cnide. Peisandros avait trouvé la mort en combattant sur son bâtiment", Xénophon, Helléniques, IV, 3.10-12 ; "Le navarque spartiate Peisandros quitta Cnide avec quatre-vingt-cinq trières et vint aborder à Physcos [site non localisé] en Chersonèse. De là, il repartit au large pour attaquer la flotte du Grand Roi. Il eut l'avantage dans le premier engagement. Mais des trières vinrent renforcer les Perses. Alors tous les alliés s'enfuirent vers la côte. Peisandros sur son navire continua à faire front, estimant la fuite indigne d'un Spartiate. Après avoir prodigué sa valeur et tué un grand nombre d'ennemis, il mourut les armes à la main, honorant sa patrie. Conon poursuivit les Spartiates jusqu'à la côte, il s'empara d'une cinquantaine de trières, la plupart des équipages plongèrent dans la mer et gagnèrent la côte à la nage, cinq cents hommes parmi eux furent capturés, le reste de la flotte se sauva dans le port de Cnide", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.83 ; "Peisandros, à qui Agésilas II avant son départ avait confié une flotte puissante, tenta le sort des armes. Avant d'engager le combat, Conon rangea son armée avec le plus grand soin. Des deux côtés, les généraux, les soldats rivalisaient de zèle et d'ardeur. Conon combattait moins pour les Perses que pour sa patrie : il avait provoqué un coup fatal à la puissance expirante des Athéniens naguère [à Aigos Potamos en -405], il brûlait de la relever, de reconquérir par sa victoire ce qu'il avait ruiné par sa défaite, son projet était d'autant plus beau qu'il l'exécutait non pas avec les forces d'Athènes mais avec celles d'étrangers, que tous les dangers en étaient pour la Perse tandis que tous les fruits en étaient pour sa patrie, et que la gloire qu'il en tirerait ouvrirait une voie inconnue des généraux des siècles passés puisque ceux-ci avaient sauvé la république en vainquant les Perses [allusion à la victoire de Salamine en -480, qui a sauvé la démocratie athénienne] tandis que lui-même allait la relever en assurant leur victoire. Peisandros quant à lui, parent et émule d'Agésilas II, brûlait d'égaler ses exploits et sa renommée, il craignait de détruire en un instant, par sa faute, une puissance qui avait coûté tant de siècles et de combats, chaque soldat, chaque rameur semblait partager ses craintes, tous tremblaient de voir leur patrie dépouillée de sa puissance, et plus encore de voir cette puissance repasser aux mains des Athéniens. Plus la victoire fut disputée, plus elle fut glorieuse pour Conon. Les Spartiates, vaincus, prirent la fuite", Justin, Histoire VI.3 ; "Agésilas II passa les Thermopyles et traversa la Phocide amie, il entra en Béotie et établit son camp près de Chéronée. A son arrivée, le soleil s'éclipsa et se réduisit à la forme d'un croissant [les astronomes modernes ont daté cette éclipse de Soleil le 29 août -394]. Il apprit en même temps la mort de Peisandros, vaincu dans une bataille navale par Pharnabaze et Conon au large de Cnide. Il fut affligé par ce désastre, pour l'homme et pour la cité, mais pour ne pas décourager et effrayer ses soldats qui marchaient au combat il ordonna aux messagers venus de la mer d'annoncer le contraire, lui-même sortit couronné de fleurs de victoire, offrit un sacrifice et envoya à ses amis des portions des victimes", Plutarque, Vie d'Agésilas II 17 ; "Agésilas II bataillait du côté de Coronée. Un homme vint annonceer que Peisandros, navarque de la flotte spartiate, était mort au combat contre Phranabaze. De peur que cette nouvelle amollît le courage des troupes, Agésilas II ordonna au messager de publier le contraire dans le camp, de dire que les Spartiates avaient remporté la victoire sur mer, lui-même se montra en public avec une couronne sur la tête, fit un sacrifice pour l'heureuse nouvelle et envoya à ses amis des portions des victimes. En entendant et en voyant cela, les troupes retrouvèrent courage et confiance, et relancèrent la guerre avec plus d'ardeur", Polyen, Stratagèmes, II, 1.3). Après sa victoire, Conon débarrasse la plupart des îles et des cités ioniennes de l'influence spartiate ("Pharnabaze et Conon, après avoir battu les Spartiates dans le combat naval [de Cnide], firent le tour des îles et des places maritimes pour en chasser les harmostes spartiates et rassurer les cités en leur promettant qu'on n'occuperait pas leurs citadelles et qu'on leur laisserait l'indépendance. Ces cités exprimèrent hautement la joie causée par cette déclaration en envoyant en retour des dons d'hospitalité à Pharnabaze. C'était Conon qui avait signifié à Pharnabaze qu'en traitant ainsi les cités il se les rendrait toutes amies, tandis qu'en se les asservissant chacune d'elles lui susciteraient beaucoup d'embarras, et qu'en laissant entrevoir son dessein on risquerait de provoquer une coalition des Grecs. Cette réflexion avait convaincu Pharnabaze", Xénophon, Helléniques, IV, 8.1-3 ; "Après la bataille navale de Cnide, Pharnabaze et Conon se dirigèrent avec tous leurs navires contre les alliés des Spartiates. Ils commencèrent d'abord par détacher les gens de Kos de l'alliance de Sparte, puis ceux de Nisyros et de Tèios. Les gens de Chio chassèrent la garnison spartiate et passèrent également dans le parti de Conon. Les gens de Mitylène, d'Ephèse et d'Erythrée agirent de même. Toutes les cités participèrent avec empressement à ce soulèvement général, les unes en expulant les troupes spartiates et en établissant un gouvernement libre, les autres en se livrant à l'autorité de Conon. A ce moment les Spartiates perdirent l'empire de la mer. Conon résolut de s'avancer avec sa flotte vers les côtes de l'Attique", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.84), cela lui permet de revenir en héros dans sa patrie Athènes, après une décennie d'exil ("[Les Spartiates] rassemblèrent une grande flotte et partirent sous le commandement de Peisandros. Conon les attaqua près de Cnide, les mit en fuite après un rude combat, leur prit plusieurs navires, en coula beaucoup d'autres. Par cette victoire, non seulement Athènes mais encore toute la Grèce, qui avait été sous la domination maritime des Spartiates, fut délivrée. Conon revint dans sa patrie avec une partie des navires, il releva les fortifications du Pirée et d'Athènes ruinées par Lysandre, et donna à ses concitoyens cinquante talents qu'il avait reçus de Pharnabaze", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines IX.4 ; "Après quelques ravages sur les terres de l'ennemi, Conon se dirigea vers Athènes, où il fut reçu avec des transports de joie. L'aspect de sa patrie détruite et incendiée par les Spartiates lui causa une douleur supérieure au plaisir qu'il ressentit en y rentrant après tant d'années d'exil. Il répara donc, avec les mains des Perses et avec les richesses enlevées dans cette guerre, les ravages du fer et du feu. Ainsi, par une étrange fatalité, Athènes vit les Perses relever les maisons que les Perses avaient brûlées, et les dépouilles de Sparte employées à rétablir les murs renversés par les Spartiates. Par un caprice de la fortune, elle trouva des alliés dans ses anciens ennemis, et des ennemis dans ceux qui avaient été jadis ses plus fidèles alliés", Justin, Histoire VI.5). Mais quand il repart au combat, Conon avec son protecteur Pharnabaze se heurte à la ténacité de Derkylidas, qui se trouve alors à Abydos après s'être bien défendu lors de la bataille de Cnide ("Débarqué à Ephèse, [Pharnabaze] donna à Conon quarante trières en lui demandant d'aller l'attendre à Sestos pendant que lui-même avancerait par voie de terre à travers sa province [de Phrygie hellespontique, dont Pharnabaze est le satrape]. En effet Derkylidas, qui depuis longtemps était son ennemi, se trouvait à Abydos : lors de la bataille navale [de Cnide], au lieu de s'enfuir comme les autres harmostes, il s'y était maintenu et l'avait conservée aux Spartiates", Xénophon, Helléniques, IV, 8.3), et qui l'empêche de reprendre le contrôle de l'Hellespont, en particulier de Sestos et d'Abydos où il s'est retranché ("[Derkylidas] rassembla dans la cité [d'Abydos] un nombre considérable d'hommes capables. Puis il passa à Sestos, en face d'Abydos, à une distance d'à peine huit stades, où il rassembla tous ceux auxquels les Spartiates avaient donné des terres en Chersonèse et tous les harmostes qui, chassés de leurs cités, avaient trouvé refuge en Europe, en leur disant qu'ils ne devaient pas désespérer mais se rappeler qu'en Asie même, dans l'Empire du Grand Roi, des petites cités comme Temnos, Aigai [en Eolide] et d'autres demeuraient indépendantes du pouvoir royal : “Pourquoi donc s'inquiéter de la position de Sestos qui est plus forte et plus imprenable qu'aucune autre, ajouta-t-il, et pour le siège de laquelle des navires et des troupes de terre seraient nécessaires ?”. C'est ainsi que par ses discours il les empêcha d'avoir peur. Pharnabaze, trouvant Abydos et Sestos dans ces dispositions, leur déclara qu'il leur ferait la guerre si elles ne chassaient pas les Spartiates. Comme elles refusèrent d'obéir, il ordonna à Conon de les empêcher de tenir la mer, et il dévasta lui-même le territoire des Abydiens. Mais, ne réussissant pas à les soumettre, il s'en retourna chez lui après avoir donné à Conon l'ordre de se concerter avec les cités sur l'Hellespont pour réunir au printemps [-393] le plus de navires possibles", Xénophon, Helléniques, IV, 8.5-6). En Grèce, Agésilas II effectue diverses opérations autour de Corinthe, sur lesquelles nous ne nous attarderons pas ici pour ne pas déborder du cadre de notre étude (racontées par Xénophon de façon détaillée au paragraphe 5 livre IV de ses Helléniques, et de façon succinte au paragraphe 17 livre II de son Agésilas II). Disons simplement que, selon Cornélius Népos, Agésilas II témoigne de la même obsession panhellénique qu'après la victoire spartiate d'Aristodémos quelques mois plus tôt : pressé par son entourage de prendre d'assaut la cité de Corinthe, il refuse, estimant que nuire aux Corinthiens aujourd'hui signifie se priver d'alliés contre les Perses demain ("Quand [Agésilas II] eut contraint les ennemis [Argiens et Corinthiens] à se replier derrière leurs murailles, on le pressa d'assiéger Corinthe. Il répondit que ce projet contrariait son caractère, qu'il s'évertuait à rappeler leurs devoirs à ceux qui les négligeaient, et non pas à prendre d'assaut les cités réputées de la Grèce. Il ajouta : “Si nous anéantissons ceux qui nous ont aidés contre les barbares [allusion à l'aide des Corinthiens aux Athéniens et aux Spartiates lors de l'invasion de la Grèce par Xerxès Ier en -480], nous nous anéantirons nous-mêmes, sans que les Perses interviennent, ensuite ceux-ci nous asservirons sans peine dès qu'ils le voudront”", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVII.5). Pour l'anecdote, mentionnons aussi une opération commando dirigée et gagnée par l'Athénien Iphicrate assisté du décadent Callias III contre un régiment spartiate égaré du côté du Lechaion, le port occidental de Corinthe, sur le golfe de Crissa/Corinthe : Callias III, héritier de la plus grosse fortune athénienne du Vème siècle av. J.-C., y achève son naufrage moral en se comportant comme un couard, laissant Iphicrate gérer seul la planification, la préparation, le déclenchement et le déroulement de cette opération victorieuse pour Athènes (selon Xénophon, Helléniques, IV, 5.11-17 ; les alinéas 43 et 45 paragraphe 9 livre III des Stratagèmes de Polyen se rapportent certainement à cette opération d'Iphicrate du côté de Corinthe contre les Spartiates vers -394). Au printemps -393, Conon accompagné de Pharnabaze poursuit la reconquête des îles égéennes, il débarque à Milo et à Cythère, puis il cingle vers Corinthe pour soutenir les habitants malmenés par Agésilas II ("Dès le commencement du printemps [-393], Pharnabaze, ayant équipé un grand nombre de navires et levé une armée de mercenaires, mit à la voile avec Conon, et se rendit à Milo à travers les îles. Puis ils prirent la direction de la Laconie. Il commença par aborder à Pharas [en Messénie] et en ravagea le pays, puis il débarqua sur plusieurs points de la côte et y causa les plus grands maux. Bientôt, redoutant l'absence de ports dans cette région, l'arrivée des ennemis et le manque de vivres, il alla débarquer à Phoinikounta dans l'île de Cythère. Les troupes de cette île qui occupaient la cité, craignant une prise d'assaut, abandonnèrent la place. Pharnabaze les laissa se retirer librement vers la Laconie sous la foi d'une convention, puis il répara les fortifications de la cité, y établit une garnison, et laissa l'Athénien Nicophèmos en qualité d'harmoste des Cythériens. Cela fait, il cingla vers l'isthme de Corinthe, exhorta les coalisés à soutenir bravement la guerre et à se montrer fidèles au Grand Roi, leur laissa tout l'argent qu'il avait, avant de retourner chez lui", Xénophon, Helléniques, IV, 8.7-8 ; "Conon fit voile vers les Cyclades. Il débarqua sur l'île de Cythère et en prit aussitôt le contrôle, il renvoya les Cythériens vers la Laconie sur la foi d'une convention. Après avoir laissé à Cythère une garnison suffisante, il se porta sur Corinthe. Débarqué dans cette cité, il conféra avec les membres de l'assemblée générale. Il conclut avec eux un traité d'alliance et leur donna de l'argent. Puis il repartit vers l'Asie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.84 ; Diodore de Sicile commet une légère erreur chronologique car il date ce débarquement de Conon à Cythère à la fin de l'archontat de Diophantos en -395/-394, or Xénophon, qui est un contemporain des faits, dit bien qu'il a lieu après la bataille de Coronée en été -394 et après les opérations d'Agésilas II autour de Corinthe, donc au plus tôt durant l'hiver suivant, sous l'archontat d'Euboulidès en -394/-393). Ensuite les choses se tassent. Au cours de nouvelles péripéties que nous n'aborderons pas ici, les Spartiates maintiennent leur hégémonie militaire sur terre, tandis que Conon s'avère incapable de transformer ses victoires navales en une renaissance de la puissance athénienne, car il est bridé dans son ambition par les Perses qui ne veulent surtout pas favoriser cette renaissance. Pharnabaze retourne vers sa satrapie de Phrygie hellespontique après avoir donné des fonds pour la reconstruction des Longs Murs entre l'astu d'Athènes et le Pirée. Tandis que les Spartiates passent leur temps à éteindre tous les foyers de rébellion contre leur hégémonie continentale, et à encourager leurs alliés à l'étendre, Conon reste à Athènes pour participer à la reconstrution de ces Longs Murs, que Lysandre avait détruit en -404 après sa victoire contre Athènes ("Conon pria [Pharnabaze] de lui confier la flotte en lui disant qu'il l'entretiendrait aux frais des îles et qu'il s'en servirait pour retourner dans Athènes sa patrie, afin d'y reconstruire les Longs Murs et la muraille d'enceinte du Pirée, assurant que cela serait très pénible pour les Spartiates : “Ainsi, conclut-il, tu t'assureras l'amitié des Athéniens et tu te vengeras des Spartiates, car tu réduiras à néant tous leurs efforts”. Pharnabaze se laissa persuader, il l'envoya vers Athènes en lui donnant l'argent nécessaire pour le rétablissement des Longs Murs. Arrivé à Athènes, Conon releva une grande partie des fortifications, fournit des équipages, paya le salaire des architectes et des maçons, et fit toutes les autres dépenses nécessaires", Xénophon, Helléniques, IV, 8.9-10). On note que, selon Diodore de Sicile, des Thébains viennent à Athènes pour participer à cette reconstruction ("L'année où Euboulidès fut archonte d'Athènes [en -394/-393], à Rome les six tribuns militaires Lucius Sergius, Aulus Posthumius, Publius Cornélius, Sextus Censius, Quintus Manlius et Anitius Camillus furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, Conon le navarque du Grand Roi entra au Pirée avec quatre-vingts trières, et promit à ses concitoyens de reconstruire l'enceinte d'Athènes. Je rappelle que cette enceinte, ainsi que les Longs Murs qui reliaient Le Pirée à la ville, avaient été démolis, conformément au traité conclu avec les Spartiates après la défaite des Athéniens au terme de la guerre du Péloponnèse. Conon rassembla une multitude d'ouvriers qu'il paya, auxquels il joignit ses marins, afin de relever promptement la plupart de ces fortifications. Les Thébains fournirent cinq cents artisans et tailleurs de pierre, plusieurs autres cités envoyèrent aussi des aides", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.85). Cette décision provoque un retournement diplomatique chez les Perses, au profit de Sparte. Artaxerxès II comprend que les Athéniens rêvent de relever leur ancienne grandeur grâce à l'argent perse. Les Spartiates de leur côté saisissent l'opportunité : ils envoient Antalcidas comme négociateur vers l'Anatolie, prendre contact avec Tiribaze, ancien satrape de Petite Arménie à l'époque des Dix Mille, devenu satrape de Lydie et d'Ionie (l'ancien satrape Tithraustès est-il décédé ? a-t-il été démis de ses fonctions ? Tiribaze a-t-il été promu à ce poste par Artaxerxès II en dédommagement de l'humiliation que celui-ci lui a infligée en abusant de son droit de cuissage, comme nous raconté plus haut ?). On ne sait rien sur cet Antalcidas, excepté qu'il aime le luxe et qu'il est l'antétype d'Agésilas II selon une célèbre anecdote rapportée par Plutarque ("Conon et Pharnabaze avaient la maîtrise de la mer grâce à flotte du Grand Roi, ils ravageaient les côtes de Laconie, tandis que la cité d'Athènes relevait ses murs aux frais de Pharnabaze. Les Spartiates recherchèrent la paix avec le Grand Roi. A cette fin ils envoyèrent Antalcidas auprès de Tiribaze, avec ordre de livrer au Grand Roi, par la plus honteuse des trahisons, les Grecs d'Asie pour qui Agésilas II avait combattu. Ce dernier n'eut aucune part à l'infamie de cette manœuvre, Antalcidas était son ennemi et travaillait pour la paix à n'importe quel prix parce qu'il pensait que la guerre augmentait la gloire d'Agésilas II et faisait de lui le plus illustre et le plus grand des Spartiates. Quand on lui dit : “Les Spartiates se persisent !”, Agésilas II rétorqua : “Dis plutôt que les Perses laconisent…”", Plutarque, Vie d'Agésilas II 23 ; "Antalcidas était dans son élément au milieu des délices des Perses […]. Un jour, il avait dansé en public en singeant Léonidas Ier [héros spartiate vaincu à la bataille des Thermopyles en -480 contre les Perses] et Callicratidas [héros spartiate vaincu à la bataille des Arginuses en -406 contre les Athéniens], quelqu'un à cette occasion avait dit à Agésilas II : “Quel malheur pour la Grèce, de voir ainsi les Spartiates persiser !”, Agésilas II avait rétorqué : “Dis plutôt que les Perses laconisent…”. La finesse de cette répartie n'avait pas mit fin au comportement honteux d'Antalcidas. Mais peu de temps après, leur défaite à Leuctres [contre Epaminondas en -371, dont nous parlerons juste après] acheva leur longue hégémonie sur la Grèce, dont la paix [d'Antalcidas] avait terni la gloire", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 22). Nous avons vu que Tiribaze quant à lui entretient une relation tendue à la fois avec les Grecs (il a gardé un mauvais souvenir de la victoire des Dix Mille à la bataille de Kounaxa en -401, et il a beaucoup souffert des manœuvres de Xénophon en Petite Arménie en hiver -401/-400) et avec son Grand Roi Artaxerxès II (qui ne l'a pas récompensé à sa juste valeur pour son engagement à ses côtés lors de la bataille de Kounaxa, et qui l'a humilié en déflorant deux de ses filles qu'il lui promettait en mariage). Quand les deux hommes sont face-à-face, Antalcidas avec des trémolos dans la voix rappelle l'alliance de naguère entre Sparte et Darius II qui a contribué à la ruine d'Athènes, Tiribaze de son côté calcule qu'il pourrait élargir son influence en Anatolie en restreignant celle de Pharnabaze, le principal soutien politique et financier de Conon ("Les Spartiates apprirent que Conon relevait les fortifications d'Athènes avec l'argent du Grand Roi, qu'il utilisait aussi pour entretenir sa flotte et gagner à Athènes les îles et les cités du continent voisines du littoral. Ils pensèrent alors qu'en informant de cela Tiribaze, général du Grand Roi, ils pourraient l'attacher à leur parti, ou du moins ôter à Conon les moyens d'entretenir la flotte. Dans ce dessein, ils envoyèrent Antalcidas auprès de Tiribaze, avec mission de l'informer, et de renégocier la paix entre Sparte et le Grand Roi", Xénophon, Helléniques, IV, 8.12). Les deux hommes s'accordent pour défendre de concert devant Artaxerxès II le renforcement de l'alliance entre Persépolis et Sparte au détriment d'Athènes. Tiribaze commence par arrêter et emprisonner Conon ("Tiribaze pensa qu'il était dangereux pour lui de s'allier aux Spartiates sans l'assentiment du Grand Roi. Il donna néanmoins de l'argent en secret à Antalcidas pour que les Spartiates pussent équiper une flotte et amener ainsi les Athéniens et leurs alliés à désirer plus vivement la paix. Puis, convaincu par les rapports des Spartiates qui lui disaient que Conon avait trahi le Grand Roi, il l'emprisonna. Cela fait, il se rendit auprès du Grand Roi pour lui rapporter les propositions des Spartiates", Xénophon, Helléniques, IV, 8.16 ; "Tiribaze, qui commandait en Asie l'armée de terre, devint jaloux de la fortune de Conon. Il l'accusa d'employer les forces du Grand Roi pour soumettre les cités de la Grèce aux Athéniens, l'arrêta, le conduisit à Sardes et le jeta aux fers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.86), puis il part avec Antalcidas vers Artaxerxès II pour exposer leur point de vue. Ce dernier les reçoit favorablement ("Artaxerxès II, qui jusque-là détestait les Spartiates qu'il regardait comme “les plus impudents des hommes” selon Dinon [de Colophon, historien du IVème siècle av. J.-C., auteur de Persika aujourd'hui perdu], donna à Antalcidas, quand celui-ci fut à sa Cour, des témoignages d'une amitié particulière. Un jour, à table, il prit une couronne de fleurs, qu'il trempa dans une essence du plus grand prix, et l'offrit à ce Spartiate, ce qui surprit beaucoup tous les convives", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 22). Un nouveau traité d'alliance est conclu entre Sparte et la Perse, qui partage le monde en deux : l'Europe incluant la mer Egée à Sparte, l'Asie à la Perse. Le Grand Roi ordonne l'envoi de fonds pour que les Spartiates reconstruisent leur flotte perdue à la bataille de Cnide. Antalcidas revient en Grèce, avec pour mission d'imposer à toutes les cités grecques ce partage du monde, si besoin par la force ("Antalcidas redescendait de l'Asie avec Tiribaze, après avoir négocié l'alliance avec le Grand Roi au cas où les Athéniens et leurs alliés refuseraient la paix que ce dernier leur proposait", Xénophon, Helléniques, V, 1.25). A la tête de la nouvelle flotte spartiate, il sillonne la mer Egée et martelle les termes du traité à chaque cité. Après des nouvelles péripéties au cours des mois suivants, sur lesquels nous ne nous étendrons pas davantage, un nouvel affrontement d'importance se prépare dans le nord de la mer Egée entre Spartiates et Grecs coalisés. Mais il n'aura pas lieu. Les Spartiates ont effectivement reçu des renforts de Perse et même de Syracuse, mais malgré cela ils n'ont pas les effectifs suffisants pour contrôler longtemps tous les théâtres d'opération. Face à eux, les Corinthiens et les Argiens ne se sont toujours pas remis de leurs défaites face à Aristodémos puis Agésilas II dans la région de Corinthe, et les Athéniens surtout n'ont pas envie de revivre un désastre similaire à Aigos-Potamos en -405 et à l'occupation de leur cité par les troupes spartiates comme en -404 ("Outre les vingt navires de Syracuse venus se joindre à Antalcidas, d'autres arrivèrent de toute l'Ionie soumise à Tiribaze, ainsi que plusieurs en provenance du pays d'Ariobarzanès [de Kios en Mysie, aujourd'hui Gemlik en Turquie, qui gouverne la satrapie de Phrygie hellespontique en l'absence de Pharnabaze ; selon une conjecture des hellénistes modernes, le mystérieux fils naturel de Pharnabaze accueillant favorablement Agésilas II en hiver -395/-394 évoqué par Xénophon, Helléniques, IV, 1.39-40, et par Plutarque, Vie d'Agésilas II 13, est Ariobarzanès] qui lui était uni depuis de longues années par les liens de l'hospitalité, Pharnabaze ayant été rappelé par le Grand Roi et étant parti pour le haut pays afin d'y épouser la fille de ce dernier [Apama, selon Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 27 précité]. Antalcidas, désormais à la tête de plus de quatre-vingts navires, tenait l'empire de la mer au point qu'il empêcha les navires du Pont[-Euxin/mer Noire] de retourner à Athènes et les força à se réfugier chez leurs alliés. Les Athéniens, en voyant la force de la flotte ennemie, craignirent que cette guerre se terminât pour eux aussi mal que la précédente [c'est-à-dire la troisième guerre du Péloponnèse, qui s'est terminée par la destruction de la flotte athénienne à Aigos Potamos en -405 et l'occupation d'Athènes par les troupes spartiates l'année suivante] : constatant que le Grand Roi était redevenu l'allié des Spartiates, et obsédés par ailleurs par les brigands d'Egine, ils désirèrent vivement la paix. Les Spartiates, qui avaient une armée au Lechaion [le port occidental de Corinthe] et une autre à Orchomène [en Béotie], qui étaient obligés de garder certaines cités, les unes dont ils n'étaient pas sûrs afin de ne pas les perdre, les autres dont ils se défiaient pour les empêcher de passer à l'ennemi, et qui du côté de Corinthe s'attendaient à supporter tous les hasards de la guerre, se sentaient aussi fatigués de cette lutte. Quant aux Argiens, informés qu'une expédition était décrétée contre eux, et sachant par expérience que le prétexte des mois sacrés ne leur serait d'aucun secours [allusion au massacre des Argiens par les Spartiates commandés par Cléomène Ier vers -485, qui n'ont pas respecté la sacralité du bois où les Argiens étaient réfugiés, épisode raconté par Hérodote, Histoire VI.78-80], ils étaient également portés pour la paix", Xénophon, Helléniques, V, 1.28-29). Pour l'anecdote, dans le parti athénien favorable à la paix, on retrouve le vieux Andocide, celui qui a été compromis dans l'affaire des Hermès en -415, et qui s'est enrichi sur le dos de ses compatriotes athéniens jusqu'à la fin de la troisième guerre du Péloponnèse en transportant des vivres entre Chypre et Athènes, avant de recouvrer définitivement son titre de citoyen athénien par le décret d'amnistie générale adopté lors du rétablissement du régime démocratique en -403. Le discours qu'Andocide prononce à l'occasion devant l'Ekklesia, Sur la paix avec les Spartiates, est parvenu jusqu'à nous ("Les Spartiates ont vaincu dans trois batailles : une première fois à Corinthe contre tous les coalisés présents, montrant que les Spartiates seuls valent davantage que tous leurs adversaires réunis, une deuxième fois commandés par Agésilas II en Béotie [à Coronée], une troisième fois à Lechaion contre les Argiens, les Corinthiens, et des Béotiens et certains de nos compatriotes [athéniens] venus en renforts. Après de tels succès, ils sont disposés à la paix, à conserver simplement leur territoire, eux vainqueurs reconnaissent l'autonomie des cités et laisssent aux vaincus le libre accès de la mer. Auraient-ils obtenu les mêmes largesses de nous, s'ils avaient perdu une seule bataille ?", Andocide, Sur la paix avec les Spartiates 18-19 ; "Nous avons conclu une alliance avec les Béotiens et les Corinthiens, détachés de Sparte, nous avons renouvelé notre ancienne amitié avec les Argiens, nous avons obligé les Spartiates à combattre Corinthe. Et qui a suscité contre eux l'inimitié du Grand Roi ? Et n'est-ce pas Conon qui leur a livré la bataille [de Cnide] leur ayant ôté l'empire de la mer ? Voilà comment nous les avons traités, et pourtant eux nous traitent comme nos alliés, ils nous laissent nos murailles, nos navires, nos îles. Quelle paix voulez-vous donc que leurs ambassadeurs nous apportent ?", Andocide, Sur la paix avec les Spartiates 22-23). Les Athéniens favorables à la poursuite de la guerre sont dissuadés par Antalcidas, venu montrer les muscles dans le Bosphore et l'Hellespont contre l'Athénien Iphicrate ("Antalcidas mouillait son importante flotte au port d'Abydos. Il apprit que les trières athéniennes étaient parvenues à Ténédos et hésitaient à se hasarder jusqu'à Byzance, il apprit aussi qu'Iphicrate, qui commandait à Byzance, assiégeait Chalcédoine. Antalcidas mit à la voile vers Chalcédoine, dont les habitants étaient ses alliés, il se mit en embuscade du côté de Cyzique. Informés du départ d'Antalcidas, ceux de Ténédos se hâtèrent de rejoindre Iphicrate. Ils se retrouvèrent face aux trières ennemies avant de les avoir aperçues. Antalcidas fondit sur les Athéniens, coula quelques navires et se rendit maître du plus grand nombre", Polyen, Stratagèmes II.24 ; cet autre passage de Polyen se rapporte certainement aux opérations d'Iphicrate dans le nord de la mer Egée contre les Spartiates à la même époque : "Iphicrate bataillait contre les gens d'Abydos depuis la Chersonèse, où il se fortifia et dressa une muraille, par crainte du Spartiate Anaxibios. En voyant Iphicrate s'occuper à ces tâches, les gens d'Abydos le méprisèrent comme un homme timide, ils sortirent de leur cité et se répandirent librement dans le pays. Iphicrate remarqua leur négligence, il prit une partie de ses troupes et pénétra de nuit sur le territoire d'Abydos pour en parcourir les campagnes, où il prit beaucoup d'hommes et de biens", Polyen, Stratagèmes, III, 9.44) puis à Athènes comme navarque de la nouvelle flotte spartiate ("Un Athénien déclara au Spartiate Antalcidas : “Nous vous avons chassés plus d'une fois des bords du Céphise [fleuve de l'Attique ; le propos de l'Athénien renvoie aux multiples invasions de l'Attique par les Spartiates au cours des siècles passés, qui n'ont jamais réussi à anéantir Athènes] !”. “Et nous, répliqua le Spartiate, nous ne vous avons jamais chassés des bords de l'Eurotas [fleuve de Laconie ; le propos d'Antalcidas signifie que les Spartiates ont toujours été plus forts que les Athéniens puisqu'ils les ont toujours empêchés d'envahir leur territoire, en les vainquant hors de leurs frontières laconiennes]", Plutarque, Préceptes politiques). Les partisans de la paix emportent la majorité. Des députés athéniens se joignent aux députés des autres cités grecques et partent vers Tiribaze, qui leur lit les termes de la paix proposée par Artaxerxès II et Antalcidas ("Quand tous furent réunis, Tiribaze leur montra le cachet du Grand Roi et leur lit ce qui était écrit, dont voici la teneur : “Le Grand Roi Artaxerxès II regarde comme juste que les cités situées en Asie, ainsi que les îles de Clazomènes et de Chypre, soient sa propriété, et que toutes les autres cités grecques petites et grandes soient toutes rendues indépendantes, à l'exception de Lemnos, Imbros et Skyros qui comme par le passé seront aux Athéniens. Tous ceux qui n'accepteront pas cette paix, je leur ferai la guerre avec ceux qui l'acceptent, sur terre et sur mer, n'épargnant ni navires ni argent”. Les députés, après avoir entendu ces conditions, les firent connaître à leurs cités respectives", Xénophon, Helléniques, V, 1.30-32). Beaucoup rechignent à se soumettre, notamment les Thébains, mais cèdent finalement sous les menaces d'intervention d'Agésilas II, qui en la circonstance oublie l'intérêt de la Grèce et sert les intérêts de la Perse, en mettant entre parenthèses son aversion contre Antalcidas ("Tous jurent de respecter [les clauses de la paix d'Antalcidas]. Mais les Thébains prétendirent jurer au nom de toute la Béotie. Agésilas II refusa de recevoir leurs serments s'ils refusaient de reconnaître, ainsi que l'imposait la lettre du Grand Roi, que toutes les cités grandes et petites fussent indépendantes. Les députés thébains déclarèrent alors qu'ils n'étaient pas mandatés pour prendre une telle décision. “Eh bien, leur dit Agésilas II, allez le demander à votre cité, et annoncez-lui en même temps que si elle refuse ces conditions elle sera déclarée hors de la trêve !” Ils partirent. Agésilas II, en raison de sa haine contre les Thébains, n'attendit pas : il persuada les éphores, et offrit le sacrifice de départ. Il se rendit promptement à Tégée, d'où il envoya des cavaliers pour hâter les levées dans les environs, et il expédia des officiers dans les cités. Mais avant de partir de Tégée, il vit arriver les Thébains, qui lui dirent accepter l'indépendance des cités. Les Spartiates s'en retournèrent donc chez eux, après avoir ainsi forcé les Thébains à entrer dans le traité et à reconnaître l'indépendance des cités béotiennes. Les Corinthiens tardaient aussi à renvoyer le contingent argien. Agésilas II annonça qu'il déclarerait la guerre aux Corinthiens s'ils ne renvoyaient pas les Argiens, et à ces derniers s'ils ne sortaient pas de Corinthe. Cela provoqua une terreur dans les deux communautés. Les Argiens sortirent donc, permettant ainsi à Corinthe de retrouver son ancien gouvernement", Xénophon, Helléniques, V, 1.32-34). Ainsi la paix dite "d'Antalcidas" est signée après plusieurs années de multiples négociations très tendues, sous l'archontat de Théodotos en -387/-386, consacrant l'hégémonie spartiate sur toute la Grèce, et reconnaissant l'hégémonie perse sur toute l'Asie, à l'exception des cités côtières anatoliennes qui deviennent des glacis indépendants entre les deux hégémons ("Les cités s'engagèrent par serment à observer la paix dictée par le Grand Roi. On licencia les troupes de terre, on licencia les flottes. C'est ainsi que les Spartiates, les Athéniens et les coalisés, conclurent la première guerre postérieure à la destruction des Longs Murs d'Athènes [en -404]. Or, après avoir déjà fait pencher la balance de leur côté durant la guerre, les Spartiates obtinrent par cette paix, dite “d'Antalcidas” du nom de celui qui en fut le promoteur auprès du Grand Roi, une supériorité incontestable : non seulement ils s'assurèrent l'indépendance les cités [ioniennes : c'est une autre façon de dire que le traité garantit à Sparte que ces cités ioniennes ne retomberont pas sous la domination d'Athènes comme au Vème siècle av. J.-C.], mais encore ils se firent une alliée de Corinthe, ils affranchirent les cités béotiennes de la domination des Thébains, ce qu'ils souhaitaient depuis longtemps, et ils chassèrent les Argiens de Corinthe après les avoir menacés d'une guerre s'ils n'obéissaient pas", Xénophon, Helléniques, V, 1.35-36 ; "L'année où Théodotos fut archonte d'Athènes [en -387/-386], à Rome les six tribuns militaires Quintus Ceso, Sulpicius Aenus, Ceso Fabius, Quintus Servilius, Publius Cornélius et Marcus Claudius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Spartiates qui avaient essuyé de grandes pertes dans la guerre contre les Grecs et dans celle contre les Perses, envoyèrent le navarque Antalcidas négocier la paix avec Artaxerxès II. Le Spartiate exposa l'objet de sa mission, le Grand Roi répondit qu'il signerait la paix aux conditions suivantes : les cités grecques d'Asie seraient soumises à la domination du Grand Roi des Perses, tous les autres Grecs se gouverneraient selon leurs propres lois, et les deux parts combattraient ensemble quiconque refuseraient d'obéir à ces clauses. Ces conditions tranquillisèrent les Spartiates, qui les approuvèrent. Les Athéniens, les Thébains et plusieurs autres peuples grecs furent indignés de la clause entérinant l'abandon des cités d'Asie mais, n'étant pas assez forts pour soutenir une guerre, ils cédèrent à la nécessité et acceptèrent la paix", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XIV.110). Pour l'anecdote, Agésilas II est amer de voir que Sparte s'impose grâce aux fanfaronnades d'Antalcidas et aux manipulations d'Artaxerxès II : il boude ("Le Grand Roi lui envoya [à Agésilas II] une lettre après la conclusison de la paix pour lui confirmer leurs liens d'hospitalité et d'amitié, mais il ne voulut pas la recevoir, estimant que l'amitié entre leurs deux peuples suffisait et que, tant qu'elle subsisterait, une amitié personnelle n'était pas utile", Plutarque, Vie d'Agésilas II 23). En apparence, Sparte n'a jamais été aussi puissante. En réalité, selon l'historien Polybe, la paix d'Antalcidas de -387 montre à quel point Sparte est complètement déconnectée de son temps, et à quel point sa domination ne repose que sur des aléas historiques favorables. Certes l'armée spartiate reste la meilleure du monde, mais le modèle spartiate est inadapté aux réalités de l'époque, et ses déficiences ne pourront pas être comblées longtemps par l'armée spartiate. Sparte n'a pas évolué depuis l'ère archaïque, elle est toujours régie par la Constitution de Lycurgue du VIIIème siècle av. J.-C., et surtout par la mentalité sécuritaire héritée de ses longs combats contre les Messéniens aux VIIème et VIème siècles av. J.-C., qui lui impose un total repli sur elle-même. En conséquence, les Spartiates n'ont pas de monnaie. Cela n'était pas gênant tant qu'ils se nourrissaient des produits de Laconie. Mais depuis qu'ils prétendent remplacer les Athéniens comme hégémons sur toute la Grèce, la Laconie ne suffit plus. Leurs soldats professionnels n'ont pas le don d'ubiquité, ils ne peuvent pas être partout à la fois, les Spartiates sont donc contraints d'embaucher des mercenaires. Et pour embaucher des mercenaires ils doivent recourir aux monnaies grecques existantes, dont la plus importante, celle de l'ancien adversaire attique, ou pire : recourir à la monnaie perse, autrement dit se soumettre au bon-vouloir d'Artaxerxès II ("[Les Spartiates] conclurent avec les Perses le traité d'Antalcidas afin de se procurer les moyens financiers nécessaires pour assurer leur domination sur la Grèce. A cette époque apparut clairement ce qui était défectueux dans leurs institutions. En effet, tant qu'ils ne visèrent qu'à régner sur leurs voisins, ou sur le Péloponnèse seulement, ils purent se contenter des ressources dont ils disposaient en Laconie, où ils trouvaient tout ce dont ils avaient besoin, le chemin à parcourir n'était pas long pour rentrer chez eux et se ravitailler. Mais lorsqu'ils entreprirent de mettre des flottes à la mer et d'envoyer leurs troupes faire campagne hors du Péloponnèse, leur monnaie de fer et leur système de troc par lequel ils accédaient aux produits qui leur manquaient, qui avaient été instaurés par la Constitution de Lycurgue, ne leur suffirent plus : ils durent recourir au numéraire ayant cours partout et prendre à leur solde des mercenaires étrangers. C'est pour cela qu'ils furent réduits à mendier auprès des Perses, à imposer des tributs aux cités insulaires et à lever des contributions parmi tous les Grecs. Ils se rendirent compte que, s'ils s'en tenaient aux règlements édictés par Lycurgue, ils ne pourraient pas assurer leur hégémonie sur les Grecs ni nourrir le moindre projet expansionniste", Polybe, Histoire, VI, fragment 49.5-10). L'espoir suscité pendant un temps par l'expédition d'Agésilas II en Asie chez les intellectuels, dont Xénophon qui en a tiré son hagiographie Agésilas II, s'effondre avec la paix d'Antalcidas, car celle-ci prouve que le modèle spartiate n'est pas adapté au grand rêve de conquête hellénistique : plus encore qu'Athènes, Sparte raisonne à la manière des siècles passés, selon les cités et non pas selon la "cosmopolis/kosmÒpolij" ou selon l'"œcuménie/o„koumšnh", Sparte raisonne selon une caste aristocratique guidant sa petite communauté locale dans des calculs politiciens de courte vue et de court terme, et non pas selon un être providentiel guidant toutes les communautés dans une œuvre transcendante de long terme. Et Agésilas II, en choisissant de renoncer à son projet panhellénique vers le cœur de l'Empire perse en -394 et de retourner en Europe secourir sa cité, en finissant même par contribuer aux manœuvres d'Antalcidas pour assurer l'hégémonie des Spartiates contre tous les autres Grecs au profit des Perses, a montré qu'il reste fidèle à ce modèle politique spartiate hérité de l'ère archaïque, et qu'il n'est pas l'être providentiel espéré.


La paix d'Antalcidas est vite compromise par un incident bête, comme on pouvait s'y attendre. A la faveur de la guerre entre Sparte et les coalisés, et surtout à la faveur des troubles auliques en Macédoine que nous détaillerons dans notre alinéa suivant, la cité d'Olynthe en Chalcidique a étendu son influence, jusqu'à chasser Amyntas III le roi de Macédoine de sa propre capitale Pella. Des députés des cités voisines Acanthos et Apollonie viennent demander de l'aide à Sparte ("Les Olynthiens ont commencé par gagner quelques cités et par leur imposer leurs lois et leur constitution [c'est un député de la cité d'Acanthos qui parle devant l'Ekklesia de Sparte], puis ils se sont emparé de places plus importantes, puis ils ont essayé d'affranchir les cités macédoniennes de la domination de leur roi Amyntas III. Après avoir persuadé les plus voisines, ils se sont tournés vers les plus éloignées et les plus puissantes. Nous les avons laissés en possession d'un grand nombre de places, et en particulier de Pella qui est la plus grande des cités de Macédoine. Nous avons appris qu'Amyntas III a été forcé d'abandonner cette cité, et qu'il a même risqué être chassé de toute la Macédoine", Xénophon, Helléniques, V, 2.12-13 ; "Vaincu par les Illyriens et craignant de perdre son pouvoir, le roi Amyntas III de Macédoine avait donné aux Olynthiens une grande partie de son territoire frontalier, et ils en avaient joui tranquillement pendant sa retraite. Ayant rétabli sa puissance contre tout espoir et recouvré une grande partie de son pays, le roi redemanda aux Olynthiens le territoire qu'il leur avait donné, mais ceux-ci refusèrent de le lui rendre. Amyntas III leva aussitôt des troupes et il sollicita l'aide des Spartiates, les incitant à envoyer un stratège et un contingent contre Olynthe", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.19). Les Spartiates acceptent d'accomplir cette banale opération de police : au printemps -382 (sous l'archontat de Phanostratos entre juillet -383 et juin -382, selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.15) ils envoient vers Olynthe un nommé "Eudamidas" avec un premier régiment en avant-garde, suivi d'un second régiment sous les ordres de Phoibidas, frère de cet Eudamidas ("Les Spartiates, qui songeaient déjà à s'engager en Thrace, levèrent sur eux-mêmes et sur leur alliés plus de dix mille hommes, dont ils donnèrent le commandement à leur compatriote Phoibidas, avec ordre de servir Amyntas III contre les Olynthiens", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.19). Or, ce Phoibidas en route vers la Chalcidique stationne un temps près de Thèbes ("Eudamidas, avant de partir [vers Olynthe], pria les éphores de donner à son frère Phoibidas l'ordre de rassembler les troupes de l'arrière et de les lui amener. […] Quand les troupes qu'Eudamidas avait laissées en arrière furent réunies, Phoibidas partit à leur tête. Il arriva à Thèbes, où il campa près du gymnase à l'extérieur de la ville", Xénophon, Helléniques, V, 2.24-25), qui est alors déchirée entre le parti démocrate dirigé par Isménias ne supportant pas l'importance que Sparte a pris sur les affaires grecques (dans notre alinéa précédent nous avons déjà croisé cet Isménias, à l'origine des troubles entre Thébains et Phocidiens ayant contraint Agésilas II à renoncer à son expédition vers la Perse et à revenir en Grèce pour y rétablir l'ordre en -394), et le parti noble dirigé par Léontiadès rêvant de prendre le pouvoir avec l'aide des Spartiates. Ce Léontiadès entre en contact avec Phoibidas, et lui demande de venir occuper La Cadmée, antique citadelle de Thèbes. Phoibidas, décrit par Xénophon comme un homme peu intelligent et très prétentieux, croit trouver dans cette demande une source de gloire, il répond donc favorablement à Léontiadès ("Les polémarques thébains Isménias et Léontiadès étaient en rivalité, chacun à la tête d'un parti. Isménias, qui haïssait les Spartiates, n'eut aucun rapport avec Phoibidas, Léontiadès en revanche le courtisa et entra dans son intimité : “Dès aujourd'hui, ô Phoibidas, lui dit-il, tu peux rendre le plus grand service à ta patrie : si tu me suis avec tes hoplites, je t'introduirai dans la citadelle [La Cadmée]. Cela fait, sois sûr que Thèbes sera complètement au pouvoir des Spartiates, et de mon parti qui t'est tout dévoué. Actuellement tu peux constater qu'un décret interdit à tout Thébain de marcher avec toi contre les Olynthiens : si tu nous aides dans nos plans, nous enverrons aussitôt avec toi un grand nombre d'hoplites et de cavaliers, de sorte que tu amèneras à ton frère de nombreux renforts, et tandis que lui sera maître d'Olynthe, toi tu seras le maître de Thèbes, qui est une cité beaucoup plus grande qu'Olynthe”. Phoibidas se laissa éblouir par ce discours, car il préférait un brillant exploit à la vie même, et plus généralement il n'était pas un homme très-raisonnable ni très-sensé. Quand il eut consenti à la proposition, Léontiadès lui demanda de se porter en avant pour simuler son départ, “puis, continua Léontiadès, je viendrai à toi en temps opportun et je te servirai de guide”", Xénophon, Helléniques, V, 25-28). Phoibidas entre dans Thèbes à la tête des troupes spartiates, il occupe La Cadmée, et permet à Léontiadès de s'emparer du pouvoir et d'arrêter ses opposants dont Isménias. La panique est totale dans la cité. Les démocrates thébains s'enfuient vers Athènes ("La Boulè siégeait à ce moment-là sous le portique de l'agora, car les femmes célébraient les Thesmophories sur La Cadmée. On était en été [-382]. A l'heure de midi, alors que les rues étaient désertes, Léontiadès sauta à cheval pour ramener Phoibidas sur ses pas et le conduire droit à la citadelle. Après y avoir établi Phoibidas et ses troupes, il lui remit la clef des portes et lui recommanda de ne laisser entrer personne sans ordre, puis il se rendit aussitôt à la Boulè. Une fois arrivé, il dit : “Citoyens, les Spartiates occupent l'acropole, n'en soyez pas effrayés : ils déclarent qu'ils n'agiront pas en ennemis avec quiconque veut la paix. Mais moi, en vertu de la loi qui permet au polémarque d'arrêter tout homme dont la conduite mérite la mort, j'arrête Isménias que voici comme fauteur de guerre. Vous capitaines, et vous tous responsables, levez-vous, saisissez cet homme, et emmenez-le au lieu convenu”. Ceux qui avaient reçu des instructions obéirent et l'emmenèrent. Parmi ceux qui ne savaient rien du complot et qui étaient du parti opposé à Léontiadès, les uns s'enfuirent aussitôt de la cité dans la crainte qu'on les mît à mort, les autres se retirèrent chez eux, mais quand ils apprirent qu'Isménias était enfermé dans La Cadmée ils se réfugièrent à Athènes, environ trois cents, tous du parti d'Androclidas et d'Isménias", Xénophon, Helléniques, V, 2.29-31 ; "L'année où Euandros fut archonte d'Athènes [entre juillet -382 et juin -381], à Rome les tribuns militaires Quintus Sulpitius, Caius Fabius, Quintus Servilius et Publius Cornélius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Spartiates prirent La Cadmée, citadelle des Thébains, de la manière suivante. Ayant constaté que la Béotie comptaient beaucoup de cités peuplées d'habitants très courageux et que la capitale Thèbes conservait son antique réputation, ils craignirent que celle-ci devînt hégémonique sur toute la Grèce à la première occasion. Ils ordonnèrent donc secrètement à leurs stratèges de prendre La Cadmée dès que possible. Phoibidas, nommé pour conduire un contingent contre les Olynthiens, s'acquitta de cette mission secondaire. Il prit La Cadmée. Les Thébains irrités coururent en armes défendre leur citadelle, mais trop tard. Phoibidas les vainquit dans un combat et les dispersa aisément. Il exila trois cents notables et installa une forte garnison dans cette place", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.20). Parmi les Thébains qui tentent de résister aux troupes spartiates de Phoibidas, on remarque Gorgidas qui, vaincu, s'enfuit ("Gorgidas à la tête de la cavalerie thébaine affronta Phoibidas, qui commandait une infanterie bien défendue. Etant dans un lieu étroit impropre à la cavalerie, il s'enfuit, attirant derrière lui l'infanterie de Phoibidas dans une plaine. Sa fuite simulée ayant réussi, Gorgidas leva son casque au bout d'un javelot pour ordonner à ses hommes de faire demi-tour. Les fantassins de Phoibidas, dans l'impossibilité de répliquer à la charge des cavaliers thébains, furent dispersés et s'enfuirent à leur tour vers Thespies. C'est ainsi que Phoibidas qui chassait des fuyards, fut chassé lui-même", Polyen, Stratagèmes, II, 5.2). Pélopidas est un autre notable thébain contraint de se réfugier à Athènes ("Le Spartiate Phoibidas, qui conduisait un contingent vers Olynthe en passant par Thèbes, en prit la citadelle appelée “La Cadmée”, avec l'aide d'un très petit nombre de Thébains favorisant les intérêts des Spartiates pour obtenir leur aide contre leurs adversaires. Son acte découla d'une volonté privée, non pas d'une décision publique. Les Spartiates lui retirèrent son commandement pour cette raison, et le punirent d'une amende. Mais ils ne rendirent pas la citadelle aux Thébains, parce qu'ils étaient brouillés contre eux et estimèrent plus prudent de les maintenir assiégés plutôt que les laisser libres. Depuis la fin de la guerre du Péloponnèse et l'assujettissement d'Athènes, ils voyaient les Thébains comme hostiles, et seuls capables de leur résister en Grèce. Dans cette idée, ils donnèrent à leurs amis les plus hautes magistratures, et ils exécutèrent ou exilèrent les chefs de la faction opposée. Pélopidas, dont j'écris la vie ici, était parmi ces derniers, il fut banni de sa patrie", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.1 ; "Archias et Léontiadès ont persuadé Phoibidas de prendre La Cadmée en pleine paix, puis ont chassé une partie des citoyens et terrorisé l'autre partie en gouvernant dans l'illégalité et la violence. Tu sais que nous avons appris cela [c'est un Athénien qui parle] par Mélon et Pélopidas, que nous avons accueillis et fréquentés durant toute la durée de leur exil", Plutarque, Sur le démon de Socrate 1). Pour l'anecdote, parmi les Thébains qui s'exilent à Athènes, on trouve Phérénikos, fils de Kèphisodotos ayant accueilli l'orateur athénien Lysias pendant la dictature des Trente en -404/-403 (Lysias a écrit un discours en faveur de Phérénikos, aujourd'hui perdu à l'exception de quelques extraits conservés par Denys d'Halicarnasse : "Kèphisodotos, père de Phérénikos, fut mon hôte : quand nous nous réfugiâmes à Thèbes, je logeai dans sa maison, qui était ouverte à tous les Athéniens souhaitant y demeurer. Nous revînmes dans notre patrie après avoir reçu de lui toutes sortes de bons offices en son propre nom ou au nom de l'Etat. Quand ils éprouvèrent le même sort, ils se réfugièrent à Athènes, et je leur témoignai toute ma reconnaissance : je les reçus dans ma maison avec tant d'amitié que ceux qui y entraient, à moins qu'ils fussent prévenus, ignoraient qui de nous deux était le maître", Denys d'Halicarnasse, Sur les anciens orateurs, Isée 6). C'est dans cette Thèbes occupée militairement par les troupes spartiates qu'émerge l'homme sur lequel nous nous attardons dans le présent alinéa, d'une importance considérable sur l'Histoire de la Grèce au IVème siècle av. J.-C. : Epaminondas.


Les biographies consacrées à ce personnage rédigées dans l'Antiquité, telle la Vie d'Epaminondas de Plutarque que celui-ci mentionne incidemment au paragraphe 28 de sa Vie d'Agésilas II, n'ont pas survécu, à l'exception de la courte notice rédigée par le Romain Cornélius Népos au Ier siècle av. J.-C. dans son livre Vies des grands capitaines. Nous devons donc reconstituer son parcours en compilant les allusions glanées chez tous les auteurs anciens et en les remettant dans l'ordre. Epaminondas est fils d'un nommé "Polymnos" ("Epaminondas fils de Polymnos était Thébain", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.1), qui lui a assuré une éducation poussée dans tous domaines ("[Epaminondas] était l'homme le plus courageux et le chef le plus habile non seulement dans sa patrie mais encore dans toute la Grèce, instruit en toutes sortes de disciplines, notamment dans la philosophie de Pythagore", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.39 ; "Sa famille [à Epaminondas] était honorable, mais appauvrie depuis plusieurs générations. Son éducation fut cependant supérieure à celle des autres Thébains. Il apprit à jouer de la cithare et à chanter au son des cordes par Denys, aussi célèbre parmi les musiciens que les illustres Damon et Lampros, à jouer de la flûte par Olympiodore, à danser par Calliphron. Il eut pour maître de philosophie le pythagoricien Lysis de Tarente, auquel il fut si dévoué qu'il préféra fréquenter ce vieillard triste et sévère à tous les jeunes gens de son âge, et il ne se sépara de lui qu'après avoir dépassé ses camarades dans les sciences comme dans tous les autres domaines", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.2 ; "Selon Aristoxène [de Tarente, philosophe aristotélicien de la seconde moitié du IVème siècle av. J.-C.], Epaminondas apprit à jouer de l'aulos d'Olympiodore et Orthagoras", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes IV.83 ; "Lysis, illustre pythagoricien, fut chargé de l'éducation d'Epaminondas", Elien, Histoires diverses III.17 ; "Lysis le pythagoricien alla à Thèbes en Béotie et devint le précepteur d'Epaminondas, il en fit un homme parfaitement vertueux, et celui-ci s'attacha tellement à lui qu'il le considéra comme son père adoptif. Ainsi Epaminondas, ayant appris de la philosophie pythagoricienne les principes de la persévérance, de la frugalité et de toutes les autres vertus, devint non seulement le premier des Thébains, mais encore le premier de son temps", Constantin VII Porphyrogénète, Extraits, Sur les vertus et les vices 71). Il a toutes les caractéristiques du grand homme rêvé par Xénophon dans son Agésilas II : dès son plus jeune âge, il manifeste plus d'intérêt pour la tactique que pour la force brute ("Quand Epaminondas éphèbe commença à s'adonner à la palestre, il choisit d'acquérir de l'agilité plutôt que renforcer son corps, estimant que ceci convient aux athlètes tandis que cela est utile aux guerriers. Il s'exerça surtout à la course et à la lutte, essayant de rester debout le plus longtemps, d'assaillir et d'abattre son adversaire. Il s'appliqua aussi beaucoup au maniement des armes", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.2), il sait écouter et se taire ("Il taisait ce qu'on lui confiait, estimant que le silence est souvent aussi utile que la parole. Il aimait écouter, qu'il considérait comme le moyen le plus facile de s'instruire. Quand il s'immisçait dans un cercle où l'on discutait politique ou philosophie, il se retirait toujours après la fin de la conversation", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.3), il méprise l'argent (il vit sur la charité d'autrui : "Epaminondas, dont on connaît la naissance et la vie pauvres, et le philosophe Platon, financèrent des jeux oréreux : le premier paya les aulètes à Thèbes, le second paya les chœurs d'enfants à Athènes. Mais en réalité cet argent dépensé fut donné à Platon par Dion, et à Epaminondas par Pélopidas", Plutarque Vie d'Aristide 2), dont il se sert seulement pour renforcer les liens entre Thébains proches ("Epaminondas supporta si facilement la pauvreté qu'en récompense des services qu'il rendait au peuple il se contentait de la gloire. Pour se soutenir lui-même il ne recourait pas à l'argent de ses amis. Et pour soulager les autres il employa souvent son crédit, de sorte que tout était commun entre ses amis et lui. Quand l'un de ses concitoyens était capturé par les ennemis, ou quand la fille d'un ami était trop pauvre pour se marier, il rassemblait tous ses proches, imposait à chacun de donner selon ses moyens, puis, la somme réunie, il invitait le requérant devant les contributeurs et dressait les comptes comme à lui-même afin que celui-là sût ce qu'il devait à chacun de ceux-ci", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.3). On ignore sa date de naissance, par une incidence de Plutarque on sait seulement qu'il est un contemporain de son compatriote Pélopidas, avec lequel il entretient une amitié étroite ("Pélopidas préférait les exercices du corps, Epaminondas, ceux de l'esprit. L'un employait ses loisirs au gymnase et à la chasse, l'autre, à l'étude et à la philosophie. Mais parmi tous leurs titres de grandeur et de gloire, les hommes sensés vantent surtout l'union et l'amitié qu'ils entretinrent l'un pour l'autre sans altération jusqu'à la mort, quels que furent les combats qu'ils menèrent et les magistratures qu'ils exercèrent. Considérons les gouvernements d'Aristide et de Thémistocle, de Cimon et de Périclès, de Nicias et d'Alcibiade, leurs dissensions, rivalités, jalousies réciproques, puis considérons l'affection et les égards mutuels de Pélopidas et d'Epaminondas : on voit à quel point ceux-ci se sont comportés avec mérite comme des collègues et des frères dans leurs postes civils et militaires, contrairement à ceux-là qui ont passé leur vie à se détruire mutuellement plutôt qu'à vaincre les ennemis de leur patrie. Ils furent vertueux : dans tous leurs actes ils méprisèrent la gloire et les richesses, sources de l'envie et de fatales divisions, toute leur vie ils voulurent élever et embellir leur patrie, l'un en servant les succès de l'autre et réciproquement", Plutarque, Vie de Pélopidas 4). Plutarque dit qu'Epaminondas a sauvé la vie de Pélopidas lors d'une bataille près de Mantinée contre les Arcadiens, et que l'un et l'autre ont été sauvés in extremis par l'arrivée des Spartiates conduits par le roi agiade Agésipolis Ier, car "à cette époque les Spartiates étaient encore les prétendus amis et alliés de Thèbes" ("On pense généralement que cette vive amitié [entre Epaminondas et Pélopidas] prit naissance dans le contingent envoyé vers Mantinée par Thèbes pour soutenir les Spartiates, qui étaient encore ses amis et ses alliés. Ils se trouvaient côte-à-côte dans l'infanterie opposée aux Arcadiens. L'aile des Spartiates dans laquelle ils combattaient recula, presque tous prirent la fuite, mais eux joignirent leurs boucliers et soutinrent le choc de l'ennemi. Pélopidas reçut sept blessures, toutes par devant, et tomba sur un monticule de cadavres amis et ennemis. Epaminondas le crut mort, il s'élança et demeura debout au-dessus du corps et des armes de son compagnon, luttant seul contre la masse, résolu à mourir plutôt qu'abandonner Pélopidas gisant dans la poussière. Il reçut un coup de lance dans la poitrine et un coup d'épée dans le bras, sa position devint critique, lorsqu'arriva à l'autre aile le roi spartiate Agésipolis Ier. C'est ainsi qu'ils furent sauvés tous les deux contre tout espoir. A cette époque les Spartiates étaient encore les prétendus amis et alliés de Thèbes, mais en réalité la puissance de cette cité et la valeur de ses habitants les indisposaient, ils haïssaient notamment le parti créé par Isménias et Androclidas, auquel Pélopidas s'était attaché, qui leur paraissait trop libéral et trop populaire", Plutarque, Vie de Pélopidas 4-5), or Agésipolis Ier est le fils et successeur de Pausanias Ier, et nous avons vu dans notre alinéa précédent que Pausanias Ier a été condamné et chassé du pouvoir après avoir refusé de lever les armes contre les Béotiens en -395, la participation des deux hommes à ce combat près de Mantinée aux côtés des Spartiates se situe donc après -495 et avant l'occupation de La Cadmée par les troupes spartiates de Phoibidas en -382. Cet épisode a peut-être un rapport avec la campagne d'Agésipolis Ier contre les gens de Mantinée mentionnée par Xénophon aux alinéas 1-7 paragraphe 2 livre V de ses Helléniques (même si Xénophon n'y évoque pas la présence de Thébains), racontée juste avant les discussions sur l'aide spartiate à Amyntas III contre Olynthe ? En tous cas l'implication physique d'Epaminondas et de Pélopidas dans les batailles contre Sparte après -382 sous-entend qu'ils sont encore jeunes et solides, autrement dit leur naissance remonte au plus tôt à la fin du Vème siècle av. J.-C.


Devant le scandale provoqué dans toute la Grèce par l'assaut spartiate contre La Cadmée, les éphores sont contraints de reculer, du moins en apparence. Phoibidas laisse une garnison à La Cadmée et continue sa route vers Olynthe, où il n'obtient aucun succès militaire : les éphores sautent sur ce prétexte pour qualifier Phoibidas d'incompétent, le condamner et lui retirer son commandement… mais ils maintiennent la garnison spartiate à La Cadmée, qu'ils confient à un nommé "Lysanoridas" ("[Phoibidas] exila trois cents notables [thébains] et installa une forte garnison dans [La Cadmée], puis il repartit vers sa mission première [la guerre contre Olynthe au profit d'Amyntas III]. Condamnés et déshonorés dans toute la Grèce par cette infraction des traités, les Spartiates condamnèrent Phoibidas à une amende pécuniaire, mais ils maintinrent la garnison qu'il avait installée. C'est ainsi que les Thébains furent dépouillés de leur liberté et soumis à Sparte. Les Olynthiens résistèrent efficacement contre Amyntas III roi de Macédoine, les Spartiates choisirent finalement de retirer à Phoibidas le commandement du contingent envoyé au roi, qu'ils confièrent à son frère Eudamidas, avec trois mille hommes pour poursuivre cette guerre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.20 ; "Informés de cette trahison, les Spartiates destituèrent Phoibidas de son commandement et le condamnèrent à une amende de cent mille drachmes, mais ils conservèrent La Cadmée et y maintinrent une garnison. Cela choqua beaucoup tous les Grecs, qui trouvèrent contradictoire de punir ainsi un auteur tout en approuvant son œuvre", Plutarque, Vie de Pélopidas 6 ; "Sparte a condamné Phoibidas pour sa prise de La Cadmée et lui a retiré le commandement du contingent d'Olynthe, puis a envoyé Lysanoridas à sa place avec trois magistrats et renforcé la garnison dans la citadelle", Plutarque, Sur le démon de Socrate 1), et ils laissent Léontiadès condamner Isménias à mort ("Les Spartiates décidèrent de garder la citadelle, puisqu'elle était conquise, et de juger Isménias. A cette fin, ils envoyèrent trois juges de Sparte et un de chacune des cités alliées petites et grandes. Quand ce tribunal fut rassemblé, Isménias fut accusé d'avoir entretenu des relations avec les barbares, de s'être lié d'hospitalité avec le Grand Roi de Perse pour le malheur de la Grèce, d'avoir accepté l'argent du Grand Roi, et d'avoir été avec Androclidas l'auteur de tous les troubles de la Grèce. Isménias se défendit contre toutes ces accusations, mais il ne put nier qu'il nourrissait des grands et mauvais desseins. Il fut condamné à mort et subit sa peine", Xénophon, Helléniques, V, 2.35-36). Pour l'anecdote, lors de son procès, Phoibidas reçoit le soutien d'Agésilas II, qui semble avoir complètement oublié l'intérêt général de la Grèce au profit du seul intérêt de Sparte ("Quand Phoibidas commit l'infâmie de prendre La Cadmée contre toutes les conventions en pleine paix, tous les Grecs furent indignés, les Spartiates eux-mêmes signifièrent leur mécontentement, surtout les adversaires d'Agésilas II qui demandèrent avec colère à Phoibidas sur l'ordre de qui il avait agi, soupçonnant fortement Agésilas II. De fait, ce dernier n'hésita pas à soutenir ouvertement Phoibidas, en affirmant qu'on devait examiner l'utilité de l'action, estimant que toute initiative profitable à Sparte était bonne même si elle ne relevait d'aucun ordre. […] Ainsi, non seulement il sauva Phoibidas, mais encore il décida la cité à assumer l'injustice de ce personnage, à occuper La Cadmée par ses propres moyens, à reconnaître comme nouveaux chefs de Thèbes Archias et Léontiadès qui avaient aidé Phoibidas à entrer dans la cité et à prendre la citadelle", Plutarque, Vie d'Agésilas II 23 ; "En voulant servir ses amis avec trop de zèle, Agésilas II témoigna d'une faiblesse qui l'avilit. Tel Pégase chez Euripide qui “se baisse de frayeur plus qu'on ne lui demande”, il soutint ses amis accusés avec plus de ferveur que nécessaire et apparut comme leur complice. Ainsi il prit la défense de Phoibidas, accusé d'avoir pris la citadelle de Thèbes sans en avoir reçu l'ordre, en disant que ce type d'action doit toujours être exécuté spontanément dès que l'occasion se présente", Plutarque, Préceptes politiques). Lors de la prise de La Cadmée, Phoibidas et les putschistes thébains ont persécuté les notables dont Pélopidas, mais ils ont méprisé Epaminondas, sous-estimant ses capacités et son influence. Epaminondas peut ainsi organiser la résistance contre les occupants spartiates dans la ville même de Thèbes où il continue à résider ("Archias, Léontiadès et Philippos, tous trois très riches, partisans zélés de l'oligarchie et pleins d'ambition, incitèrent le Spartiate Phoibidas, qui passait près de Thèbes avec un contingent, à prendre La Cadmée, à chasser de la ville leurs opposants et à instaurer dans Thèbes un gouvernement oligarchique favorable aux Spartiates. Phoibidas se laissa séduire : il surprit les Thébains pendant la fête des Thesmophories [qui a lieu au mois de pyanepsion, soit mi-octobre à mi-novembre dans le calendrier chrétien, cette précision confirme que la prise de La Cadmée par les Spartiates date de l'automne -382] et prit la citadelle. Capturé, Isménias fut conduit de Thèbes à Sparte, où il fut exécuté peu de temps après. Pélopidas, Phérénikos, Androclidas et plusieurs autres qui s'étaient enfuits furent condamnés à l'exil. Epaminondas demeura à Thèbes parce qu'on le méprisa, tel un philosophe indifférent aux affaires, ou tel un pauvre sans pouvoir", Plutarque, Vie de Pélopidas 5). Il encourage ses compatriotes à provoquer ces derniers sans en avoir peur, il les prépare ainsi aux batailles qu'ils mèneront plus tard à travers la Grèce ("Epaminondas travailla longtemps à enflammer le courage des jeunes Thébains. Au gymnase, il les poussait à provoquer les Spartiates à la lutte, et quand ils se glorifiaient de leur supériorité et de leurs victoires il les couvrait de honte en leur reprochant vivement leur lâcheté à accepter d'être les esclaves de ces hommes qu'ils surpassaient aussi facilement à la lutte", Plutarque, Vie de Pélopidas 7 ; "Epaminondas poussa les Thébains à provoquer à la lutte les Spartiates qui occupaient Thèbes. Les Thébains les vainquaient facilement, ils apprirent ainsi à les mépriser. S'estimant plus forts qu'eux, ils les combattirent ensuite avec plus de courage", Polyen, Stratagèmes, II, 3.6). On note que Jason de Phères, qui à cette époque étend son pouvoir sur la Thessalie entière et les régions alentours, essaie d'endetter Epaminondas en lui proposant une aide pécuniaire contre sa soumission quand Thèbes sera débarrassée de l'occupation spartiate, mais celui-ci le repousse en lui signifiant que les Thébains n'ont pas besoin de son or pour se libérer par eux-mêmes ("Quand Jason, qui règne sur la Thessalie, m'a envoyé récemment beaucoup d'or en me priant de l'accepter [c'est Epaminondas qui parle], je lui ai répondu avec audace : “Si tu étais un prétendant à la monarchie, je jugerai cela comme un procédé immoral visant à corrompre le citoyen d'une cité libre et indépendante. Venant de toi, ô étranger, cette démarche est louable au contraire, elle est belle et sage. Mais tu proposes des remèdes à des amis qui ne sont pas malades. Si, après avoir appris que nous sommes en guerre, tu nous apportes des armes et des projectiles pour nous aider, et au moment d'arriver tu nous trouves en paix et prodiguant notre amitié, tu te diras que tu ne dois pas nous donner ces armes puisque nous n'avons pas besoin. Eh bien ! Tu viens pour nous aider contre la pauvreté, tu nous crois accablés par elle, mais nous la supportons très bien, elle est chez nous comme chez elle. Nous n'avons pas besoin de ton argent, parce qu'elle ne nous afflige pas. Retourne donc dire à tes frères que, si là-bas ils tirent bon usage de leur richesse, ici leurs amis tirent bon usage de leur pauvreté”", Plutarque, Sur le démon de Socrate 14 ; "Epaminondas fils de Polymnos répondit à Jason, qui lui avait envoyé cinquante pièces d'or en cadeau : “Ton don est une insulte”. A la même époque il emprunta cinquante drachmes à un particulier pour pouvoir passer dans le Péloponnèse. Dans une autre occasion, il apprit que son porte-bouclier avait reçu de l'argent d'un de ses prisonniers : “Rends-moi mon bouclier, lui dit-il, achète-toi une taverne et passes-y tes journées, tu es devenu trop riche pour affronter les dangers de la guerre”", Elien, Histoires diverses XI.9).


Durant la longue guerre de Sparte contre Olynthe, sur laquelle nous ne nous attarderons pas ici pour ne pas déborder du cadre que nous nous sommes fixé, racontée de façon détaillée par Diodore de Sicile (Bibliothèque historique XV.21-23) et de façon succinte par Xénophon (Helléniques, V, 3.18-19 et 26), les Thébains demeurés à Thèbes et leurs compatriotes réfugiés à Athènes ne tentent aucun soulèvement. Quand les Olynthiens assiégés se rendent enfin au stratège spartiate Polybidas à une date inconnue sous l'archontat de Pythéas en -380/-379 (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.23), les Spartiates semblent avoir imposé leur hégémonie totale sur la Grèce. Mais un petit groupe de Thébains rebelles va tout bouleverser. L'événement date de l'archontat de Nausinikos entre juillet -378 et juin -377 selon Diodore de Sicile (Bibliothèque historique XV.25), plus précisément de l'époque de la fête des Aphrodisia, cérémonie annuelle pratiquée à Thèbes comme dans beaucoup d'autres cités grecques au mois d'hecatombaion, soit mi-juillet à mi-août dans le calendrier chrétien, autrement dit l'été -378. Cet événement est raconté par Xénophon contemporain des faits au paragraphe 4 livre V de ses Helléniques, et par Plutarque à l'ère impériale dans sa Vie de Pélopidas et dans son long dialogue Sur le démon de Socrate. Dans Athènes où il s'est installé, Pélopidas bout d'impatience. Il veut agir. Il convainc une poignée de jeunes exilés de retourner secrètement à Thèbes au risque d'y être reconnus et arrêtés, afin d'y tuer les Thébains putschistes et de chasser les occupants spartiates à la première occasion ("Pélopidas, l'un des plus jeunes bannis, excita chacun de ses pairs, les réunit pour leur expliquer la malhonnêteté et l'injustice de regarder avec indifférence leur patrie soumise à des étrangers pendant qu'eux-mêmes se satisfaisaient d'avoir sauvé leur vie et d'exister de façon précaire grâce aux lois d'Athènes, réduits à courtiser les rhéteurs et les démagogues, il ajouta : “Ne devons-nous pas plutôt nous exposer au danger pour accomplir une tâche plus haute, imiter le courageux et vertueux Thrasybule ayant quitté Thèbes pour aller abattre les tyrans d'Athènes [allusion au stratège athénien Thrasybule, réfugié un temps à Thèbes, revenu avec quelques compagnons en Attique en -404 pour lutter contre le régime des Trente], quitter à notre tour Athènes pour aller libérer Thèbes ?”. Convaincus par ce discours, ils députèrent secrètement à Thèbes pour informer de leur résolution leurs amis qui y étaient restés, et qui les approuvèrent", Plutarque, Vie de Pélopidas 7). Parallèlement, dans Thèbes, Phyllidas le secrétaire d'un des principaux putschistes collabos nommé "Archias" veut également agir contre son maître. A l'occasion d'un déplacement officiel à Athènes, Phyllidas prend contact avec l'un des bannis thébains nommé "Mélon" qui y habite. Pélopidas, Mélon et Phyllidas se réunissent et conviennent d'une intervention commune. Eux et la poignée de jeunes gens qui leur obéissent partent vers Thèbes. Ils se glissent dans la foule pour pénétrer en ville, où ils sont hébergés par un nommé "Charon" ("Le secrétaire d'Archias et des autres polémarques, un nommé “Phyllidas”, exerçait apparemment sa fonction avec zèle. En réalité, quand il vint à Athènes pour une affaire, il s'entretint avec Mélon, l'un des plus illustres bannis thébains. Et quand Phyllidas lui parla de la tyrannie exercée par Archias et Philippos, celui-ci comprit que l'état de leur patrie était encore plus insupportable à Phyllidas qu'à lui-même. Ils se donnèrent des gages réciproques de fidélité et fomentèrent un plan. Mélon s'adjoignit six exilés, les plus aptes au projet, qu'il arma de simples poignards. Ils commencèrent par pénétrer de nuit sur le territoire de Thèbes. Ils passèrent la journée dans un lieu désert, puis ils franchirent les portes comme des paysans revenant tardivement de leurs tâches aux champs. Une fois à l'intérieur de la ville, ils demeurèrent chez un nommé “Charon”. Ils y passèrent la nuit et tout le jour suivant", Xénophon, Helléniques, V, 4.2-3 ; "Le notable Charon leur offrit sa maison [à Pélopidas et ses jeunes compagnons]. Phyllidas avait été nommé secrétaire des polémarques Archias et Philippos. […] Avant d'agir, Phérénikos rassembla les bannis dans la plaine thriasienne [à l'ouest d'Athènes, sur la route de Thèbes], et on convint que quelques jeunes gens se hasarderaient à pénétrer en ville, et s'ils y étaient pris et exécutés par les tyrans leurs camarades prendraient soin de leurs enfants et de leurs pères. Pélopidas se porta volontaire pour entrer dans Thèbes, suivi de Mélon, Damoclidès et Théopompe. Tous les quatre appartenaient à des familles respectables, ils étaient liés par une amitié étroite et une fidélité constante, même s'ils rivalisaient en courage et en gloire. Ils furent douze au total. Ils dirent adieu à leurs camarades et envoyèrent un messager à Charon. Ils se mirent en marche, vêtus simplement, avec des chiens, portant des bâtons à rets, pour ne pas éveiller les soupçons et passer pour des chasseurs. Charon fut informé de leur arrivée par le messager. La proximité du danger ne modifia pas sa résolution : plein d'honneur et de volonté, il s'organisa pour les recevoir. […] Pélopidas et ses compagnons s'habillèrent en paysans, ils se séparèrent et pénétrèrent en ville par différents côtés avant la nuit. On était au début de la mauvaise saison, une brise soufflait avec de la neige, qui servit à les cacher car le froid incitait les habitants à rester chez eux. Ceux qui s'étaient proposés pour les accueillir les conduisirent l'un après l'autre à la maison de Charon, qui, avec les bannis, fut pleine de quarante-huit personnes", Plutarque, Vie de Pélopidas 7-9 ; "Tous ces bannis [thébains] s'étaient transportés à Athènes non pour y rester dans l'oisiveté mais pour œuvrer près de Thèbes à libérer leur patrie à la première occasion. Quand ils jugèrent ce moment venu, lors du banquet que les premiers magistrats avaient l'habitude d'organiser, ils se concertèrent avec ceux qui pensaient comme eux dans Thèbes. Souvent les grandes choses s'accomplissent avec des moyens dérisoires : jamais une aussi forte puissance ne fut abattue avec d'aussi faibles ressources. Douze jeunes bannis se réunirent, moins d'une centaines d'hommes partagèrent le péril auquel ils s'exposèrent. La puissance des Spartiates fut renversée par ce petit nombre. Car en bataillant contre les factieux adverses, les exilés bataillèrent également contre les Spartiates alors maîtres de toute la Grèce, et en abaissant les uns ils provoquèrent la chute des autres, écrasés à Leuctres peu après. Sous la conduite de Pélopidas, ces douze bannis sortirent d'Athènes pendant le jour, avec des chiens, portant des rets et vêtus en paysans pour ne pas éveiller les soupçons, et arrivèrent à Thèbes le soir, à l'heure prévue. Il se rendirent à la maison de Charon", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.2). Plutarque précise que parmi les proches de ce Charon se trouve Kaphisias le frère d'Epaminondas, qui rechigne encore à agir parce qu'il pense que le bon moment n'est pas encore venu pour cela ("Un messager de Phérénikos est arrivé, que seul Charon connaissait parmi nous [c'est Kaphisias qui s'adresse à un Athénien], il nous a informé que douze jeunes bannis chassaient avec des chiens sur le Cithéron et viendraient à la nuit tombée, que lui-même venait nous en avertir et demander qui pourrait les héberger quand ils pénétreraient en ville, afin de les y conduire directement. Face à notre embarras et notre perplexité, Charon a proposé spontanément sa maison. Le messager est alors retourné en toute hâte auprès des bannis. Le devin Théocritos m'a serré fortement la main, et m'a dit en désignant du regard Charon qui marchait devant nous : “Celui-là, ô Kaphisias, n'est pas un philosophe, il n'a pas reçu une éducation raffinée comme ton frère Epaminondas, mais il a une bonne nature et il obéit aux lois, il s'expose de son plein gré au danger pour sa patrie. Epaminondas prétend surpasser tous les Béotiens par sa formation morale, mais il est mou et sans élan : en quelle meilleure occasion espère-t-il exploiter ses dons et son éducation si accomplie ?”", Plutarque, Sur le démon de Socrate 2-3). Pendant que les jeunes gens affutent leurs poignards chez Charon, Phyllidas continue de simuler son obéissance zélée à Archias et aux autres Thébains putschistes. Son plan est simple : à l'occasion de la fête des Aphrodisia, les putschistes boiront jusqu'à l'ivresse, Phyllidas leur enverra alors des femmes pour terminer agréablement leur soirée, en réalité ces femmes seront les bannis déguisés en femmes et armés, qui les poignarderont ("Pendant ce temps, Phyllidas s'occupait de l'organisation des Aphrodisia pour les polémarques, avant la fin de leur mandat. Il leur promit d'amener les Thébaines les plus réputées et les plus belles selon leurs goûts, afin de passer avec elles la nuit la plus agréable", Xénophon, Helléniques, V, 4.4 ; "Phyllidas est intervenu. Tu le connais, Archidamos : il servait de secrétaire à Archias et aux autres polémarques et était l'un de nos complices. Il a prit ma main selon son habitude, il a plaisanté ostensiblement sur les entrainements et la lutte, puis, à l'écart, il m'a demandé si les bannis pouvaient attendre la fin du jour. Je l'ai rassuré. “Bien, a-t-il dit, j'ai préparé un banquet officiel pour Archias, il s'y enivrera et sera ainsi à la merci de nos hommes.”. “Parfait, ô Phyllidas, ai-je répondu, tous nos adversaires seront réunis, ou du moins la plupart.” “Ce sera difficile, a-t-il repris, ce sera même impossible. Archias aura la visite d'une femme réputée et n'acceptera pas la présence de Léontiadès. Nos hommes devront donc se répartir entre les deux maisons. Quand Archias et Léontiadès seront piégés, je prévois que les autres s'enfuiront ou se tiendront tranquilles, s'estimant heureux d'avoir la vie sauve”", Plutarque, Sur le démon de Socrate 4 ; "Phyllidas, secrétaire des polémarques, connaissait l'action secrète en cours, et la secondait selon ses moyens. Il avait promis à Archias et à Philippos un magnifique souper avec des femmes réputées pour ce jour, il voulait les livrer enivrés et amollis par la débauche aux conjurés", Plutarque, Vie de Pélopidas 9). Le soir venu, le plan se présente mal car les putschistes sont divisés : Archias s'enivre avec la plupart de ses pairs, mais Léontiadès plus sobre passe la soirée chez lui. Pire : un des bannis semble avoir trahi puisque Archias est informé d'une action en cours. L'exécution ne peut plus être repoussée. Les bannis se divisent en deux groupes : Charon et Mélon dirigent la moitié des jeunes gens contre Archias, Pélopidas dirige l'autre moitié contre Léontiadès. Les gardes d'Archias sont leurrés par les vêtements féminins des jeunes gens de Charon et Mélon, ils les introduisent dans ses appartements, et Archias est assassiné aussitôt ("Après avoir soupé et s'être enivrés sous ses encouragements [à Phyllidas] [Archias et ses pairs] ordonnèrent d'introduire les femmes de compagnie. [Phyllidas] sortit et revint avec Mélon et ses trois amis déguisés en maîtresses, suivis des autres déguisés en servantes. Il les introduisit dans l'antichambre du polémarque, puis il dit à Archias sur un ton contenu que “les femmes refusaient d'entrer tant que des esclaves seraient présents dans la chambre”. Archias demanda à ceux-ci de se retirer, Phyllidas leur donna du vin et les dirigea vers une autre chambre. Il introduisit les hétaires et fit asseoir chacun d'eux auprès de chaque convive. Dès qu'ils furent assis, ils quittèrent leur voile et frappèrent. C'est ainsi que les polémarques périrent. Certains disent que Mélon et ses hommes entrèrent comme des invités et les tuèrent", Xénophon, Helléniques, V, 4.5-7 ; "Après avoir persuadé Archias et Philippos, Charon est revenu à la maison et nous a préparé à l'action. C'est alors qu'Archias reçut une lettre d'ici [c'est le Thébain Kaphisias qui parle à un Athénien], de la part du hiérophante Archias qui était son ami et son hôte, l'informant du retour des bannis et de leur projet, de la maison où ils se préparaient, du nom de leurs complices. Heureusement Archias était déjà ivre et ne pensait plus qu'aux femmes promises. Il a pris la lettre, mais quand le porteur a précisé qu'elle contenait une affaire importante il a dit : “A demain les affaires !” et l'a glissée sous son oreiller, il a demandé une coupe et à envoyé Phyllidas à la porte pour voir si les femmes arrivaient. Cette attente a entretenu la beuverie. Nous avons été introduits, nous nous sommes avancés parmi les serviteurs jusqu'à la chambre des hommes, nous sommes restés un instant près de la porte pour dévisager chacun des convives. Ils ont été trompés par nos couronnes et nos déguisements et ont gardé le silence. Mélon a été le premier à traverser la pièce, la main sur la garde de son épée. L'archonte Cabirichos l'a saisi au passage par le bras et a crié : “C'est Mélon, ô Phyllidas ?”. Il s'est dégagé d'une secousse, il a dégainé, et comme Archias se levait péniblement il a couru sur lui et l'a frappé jusqu'à la mort. Charon de son côté a blessé Philippos à la gorge. Philippos a tenté de se défendre avec les coupes qui étaient à sa portée, mais Lysithéos l'a jeté à bas de son lit et l'a achevé", Plutarque, Sur le démon de Socrate 30-31 ; "Phyllidas plongea [Archias et les autres convives] dans l'ivresse, en prolongeant le souper par la promesse de l'arrivée des femmes. Charon, de retour chez lui, trouve les conjurés prêts non pas à vaincre ou à sauver leur vie mais à mourir glorieusement en vendant chèrement leur vie à leurs ennemis. […] Les conjurés jugèrent le moment favorable. Ils sortirent de chez Charon, et se divisèrent en deux groupes : les uns dirigés par Pélopidas et Damoclidès marchèrent contre Léontiadès et Hypatès qui étaient voisins, les autres dirigés par Charon et Mélon marchèrent contre Archias et Philippos. Leurs cuirasses étaient dissimulées par des robes féminines, leurs visages disparaissaient sous des larges couronnes de pin et de peuplier. Dès qu'ils parurent à la porte de la salle, les convives poussèrent des grands cris, persuadés de voir enfin les femmes promises. Les conjurés balayèrent la salle du regard, repérèrent les hommes assis, tirèrent leurs épées et, s'élançant à travers les tables sur Archias et sur Philippos, révélèrent qui ils étaient", Plutarque, Vie de Pélopidas 10-11 ; "La nouvelle du retour des bannis en ville fut transmise aux magistrats thébains, mais, livrés au plaisir de boire et de manger, ils la méprisèrent. Un point témoigne particulièrement de leur folie. On raconte que le hiérophante athénien Archias adressa une lettre contenant tout le détail du projet des bannis à Archias le premier magistrat de Thèbes, mais celui-ci la reçut alors qu'il était déjà à table, il la glissa sous son coussin et déclara : “A demain les affaires !”. Plus tard dans la nuit, tous ces magistrats ivres de vin furent tués par les bannis dirigés par Pélopidas", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.3). Notons en passant que Polyen raconte la même histoire, mais s'embrouille dans les personnages, en mettant le Spartiate Phoibidas à la place d'Archias et Epaminondas à la place de Mélon, et, surtout, en évoquant une "épouse d'Epaminondas" ("Phoibidas le commandement de La Cadmée était amoureux de l'épouse d'Epaminondas. Cette dernière en informa son mari, qui lui ordonna de simuler aimer Phoibidas pareillement, et de lui promettre une nuit à condition qu'elle vînt avec d'autres femmes pour ses amis. Il donna son accord. Les femmes vinrent au rendez-vous, et burent avec Phoibidas et ses amis jusqu'à l'ivresse. Puis elles demandèrent la permission de sortir un moment pour effectuer un sacrifice nocturne, et promirent de revenir juste après. Phoibidas et ses amis le leur permirent, et ordonnèrent aux gardes de les laisser rentrer. Elles sortirent. Dehors, elles retrouvèrent des jeunes gens sans barbe, auxquels elles donnèrent leurs habits. Une seule revint, pour dire deux mots aux gardes et permettre à ces jeunes gens d'entrer. Ainsi guidés par cette femme, ils tuèrent Phoibidas et tous ceux qui étaient avec lui", Polyen, Stratagèmes, II, 3.1 ; plus loin, Polyen confond encore les noms, en attribuant à Pélopidas la ruse ayant permis à Mélon et Charon de tuer Archias, qu'il transforme en capitaine spartiate : "Thèbes était occupée par des troupes spartiates, dont le commandant demeurait à La Cadmée. Lors de la fête des Aphrodisia, où les femmes célèbrent des jeux ordinaires tandis que les hommes s'amusent à les regarder, le commandant de La Cadmée voulut honorer la déesse introduisant des filles publiques. Pélopidas pénétra dans la citadelle avec elles, il tua le commandant avec l'épée qu'il cachait sous son déguisement, et ainsi il délivra Thèbes", Polyen, Stratagèmes, II, 4.3) totalement chimérique puisque Epaminondas est un homosexuel notoire et n'a jamais été marié (on lui connait un amant nommé “Asopichos” à l'époque de la bataille de Leuctres en -371 selon Athénée de Naucratis, Déipnosophistes XIII.83, un autre amant nommé “Micythos” selon Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.4, et encore un autre amant nommé “Kaphisodoros” enterré avec lui après la bataille de Mantinée en -363 selon Plutarque, Sur l'amour 17). Pendant ce temps, Pélopidas avec son groupe pénètrent dans la maison de Léontiadès et le tuent ("Phyllidas se rendit ensuite avec trois conjurés à la maison de Léontiadès. Il frappa à la porte, prétextant apporter un message des polémarques. Léontiadès s'était retiré après le souper, sa femme filait la laine, assise à ses côtés. Il fit entrer Phyllidas, le croyant fidèle. A peine entrés, ils l'égorgèrent et contraignirent par la peur sa femme à garder le silence. Puis ils ressortirent en disant que la porte devrait rester fermée, sinon ils tueraient tous ceux qui vivaient encore dans la maison", Xénophon, Helléniques, V, 4.7 ; "Pélopidas et ses amis sont venus frapper à la porte de Léontiadès. Au serviteur qui s'est présenté, ils ont dit sans brusquerie qu'ils venaient d'Athènes avec une lettre de Callistrate pour Léontiadès. L'homme les a annoncés et a reçu l'ordre d'ouvrir. Mais à peine a-t-il enlevé la barre et entrouvert la porte, qu'ils ont chargés tous ensemble, l'ont bousculé, se sont précipités à travers la cour vers les appartements. Léontiadès a compris ce qui se passait, il a tiré son épée pour se défendre. Il était inique et tyrannique, mais il avait le cœur solide et le bras robuste. Il n'a pas pensé cependant à renverser la lampe et à affronter ses assaillants dans l'obscurité, tous l'ont vu en pleine lumière. Quand la porte s'est ouverte, il a frappé Kèphisodoros au flanc, puis il s'est lancé sur Pélopidas en appelant à grands cris ses serviteurs, qui n'ont pas répondu parce qu'ils étaient contenus par Samidas et parce qu'ils ne voulaient pas risquer de s'opposer à des Thébains plus réputés et plus forts qu'eux. Pélopidas et Léontiadès ont lutté devant la porte étroite de l'appartement, Képhisodoros agonisant était allongé entre eux deux, empêchant les autres d'intervenir. Finalement, après avoir reçu un coup sans conséquence à la tête et bien porté son attaque, notre ami a touché Léontiadès, et l'a égorgé sur Kèphisodoros encore chaud. Voyant tomber son ennemi, celui-ci a tendu sa main vers Pélopidas, a dit adieu aux autres, et a expiré avec joie", Plutarque, Sur le démon de Socrate 32 ; "Les conjurés conduits par Pélopidas éprouvèrent plus de difficulté [que ceux de Mélon et Charon]. Ils visaient Léontiadès, qui était sobre et courageux. Ils trouvèrent sa porte fermée, tandis qu'il était couché. Ils frappèrent longtemps sans que personne ne vînt leur ouvrir. Un esclave les ayant entendus, se présenta finalement. A peine eut-il tiré le verrou, que les conjurés se précipitèrent en masse, poussèrent violemment la porte avec violence, renversèrent l'esclave, et montèrent à la chambre de Léontiadès. Au bruit et à la vivacité de leur course, le tyran soupçonna ce qui se passait, il se leva et tira son épée, mais il oublia d'éteindre les lampes afin que les conjurés se heurtassent les uns les autres dans l'obscurité et que lui-même pût échapper à leurs attaques, il apparut ainsi en pleine lumière. Il courut à sa porte, frappa Kèphisodoros entré le premier, qui tomba à ses pieds. Puis il s'élança sur Pélopidas qui venait derrière Kèphisodoros. Ils luttèrent longtemps et rudement près de la porte étroite, gênés par le corps de Kèphisodoros. Finalement Pélopidas l'emporta, Léontiadès s'effondra sous ses coups. Ensuite il courut avec tous ses compagnons chez Hypatès. Ils pénétrèrent dans sa maison comme dans celle de Léontiadès. En entendant le bruit, Hypatès s'échappa vers la maison voisine, mais les conjurés le rattrapèrent et le massacrèrent", Plutarque, Vie de Pélopidas 11). A l'aube, tous les magistrats putschistes ayant été tués, la ville de Thèbes est aux mains de Pélopidas et de ses jeunes camarades conjurés. Ceux-ci rendent publics les événements survenus durant la nuit. La population thébaine, dont Epaminondas et Gorgidas, prend parti pour les conjurés ("Phyllidas se rendit à la prison avec deux camarades. Il dit au geôlier qu'il amenait un condamné sur ordre des polémarques, le geôlier ouvrit, ils le tuèrent. Ils délivrèrent les prisonniers, leur donnèrent aussitôt les armes accrochées là, les conduisirent à l'Amphéion avec ordre d'y maintenir la garde. Puis ils firent crier les hérauts pour informer tous les Thébains, cavaliers et hoplites, qu'ils pouvaient sortir, que les tyrans étaient morts. Tant que dura la nuit, les citoyens demeurèrent tranquilles, refusant d'y croire. Mais à l'aube, le fait devenant évident, hoplites et cavaliers se joignent rapidement aux conjurés", Xénophon, Helléniques, V, 4.8-9 ; "[Pélopidas et ses camarades] rejoignirent Mélon, ils envoyèrent des messagers vers les bannis demeurés en Attique, appelèrent les citoyens à la liberté, donnèrent à tous ceux qu'ils croisèrent les armes dérobées dans les arsenaux ou dans les boutiques des armuriers qu'ils forcèrent près de la maison de Charon. Epaminondas et Gorgidas vinrent en armes les aider, avec un grand nombre de jeunes gens et quelques honnêtes vieillards qu'ils avaient rassemblés. Le trouble et l'effroi se répandirent dans la ville, toutes les maisons s'éclairèrent, les habitants coururent ici et là dans les rues bondées. Le peuple dispersé, ignorant des événements, sûr de rien, attendait que le jour l'instruisît. Les chefs spartiates furent accusés de ne pas être sortis aussitôt de la citadelle pour réprimer immédiatement les conjurés, la garnison comptait environ quinze cents hommes et beaucoup de citoyens se joignirent à eux. Mais les cris du peuple, les lumières dans les maisons, les courses précipitées de la foule les paniquèrent tellement qu'ils restèrent inactifs, se contentant de sécuriser La Cadmée. Le lendemain à l'aube, tous les autres bannis arrivent en armes de l'Attique, et le peuple se rassembla. Epaminondas et Gorgidas présentèrent à l'Ekklesia Pélopidas avec son groupe, entourés par des prêtres portant dans leurs mains des bandelettes et appelant les citoyens à secourir leur patrie et leurs dieux. A cette vue tout le peuple se leva en criant, battit des mains, et reçut les bannis comme des bienfaiteurs et des libérateurs de la cité", Plutarque, Vie de Pélopidas 12). Tous se rassemblent autour de la citadelle de La Cadmée pour assiéger la garnison spartiate ("L'année où Nausinikos fut archonte d'Athènes [en -378/-377], à Rome les tribuns militaires Marcus Cornélius, Quintus Servilius, Marcus Furius et Lucius Quintus furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Spartiates commencèrent contre les Béotiens la guerre dite “béotique” pour la raison suivante. Ils occupaient toujours injustement la citadelle de La Cadmée, dont ils avaient chassé plusieurs notables. Mais ceux-ci, grâce à l'aide des Athéniens, y revinrent de nuit, tuèrent dans les lits de leurs propres maisons ceux qui servaient les Spartiates, puis, s'exposant publiquement pour rétablir la liberté, attirèrent tous les Thébains à leur cause. La foule s'assembla en armes autour d'eux, et dès l'aube ils purent assiéger La Cadmée", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.25 ; "Quand j'ai appris qu'Epaminondas et Gorgidas se rassemblaient avec nos amis au temple d'Athéna, je les ai rejoints [c'est Kaphisias frère d'Epaminondas qui parle]. Beaucoup de braves citoyens sont arrivés en même temps, leur nombre a augmenté sans cesse. Je leur ai rapporté le détail des événements et les ai exhortés à nous aider en venant à l'agora. Tous se sont mis à appeler les habitants à la liberté. Pour armer la foule, nous avons pris les divers trophées des portiques et les armes dans les ateliers voisins. Hippostheneidas est arrivé aussi avec ses amis et ses serviteurs, suivi des joueurs de salpix qui séjournaient en ville à l'occasion des Héracleia [fête en l'honneur d'Héraclès ; probable confusion de Plutarque ou d'un des ses copistes qui confond les Héracleia avec les Aphrodisia]. Ceux-ci ont envoyé le signal aux uns vers l'agora, aux autres vers divers lieux, afin d'épouvanter partout les opposants, leur signifier que tous les habitants s'étaient soulevés. Les partisans de Sparte se sont réfugiés dans La Cadmée, entraînant la prétendue “élite” qui bivouaquait ordinairement en bas de la citadelle. Quand la garnison a vu le désordre à l'agora, le tumulte dans toutes les quartiers de la ville, quand elle a entendu le bruit et les cris, elle n'a même pas pensé à descendre, alors qu'elle comptait quinze cents hommes", Plutarque, Sur le démon de Socrate 34 ; "A l'époque où les bannis conduits par Pélopidas vinrent à Thèbes pour chasser les Spartiates qui occupaient la citadelle, Epaminondas resta dans sa maison tout le temps que ses concitoyens furent massacrés, ne voulant pas rougir ses mains avec leur sang en les secourant ou en les tuant, concidérant qu'une victoire remportée contre des concitoyens est une fausse victoire, mais dès que l'offensive débuta contre les Spartiates de La Cadmée il parut aux premiers rangs", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.10 ; "Après ces exécutions [d'Archias et des autres polémarques], les habitants de la ville et de la campagne appelés aux armes et à la liberté accoururent de toutes parts. Ils chassèrent de la citadelle la garnison des Spartiates, délivrèrent leur patrie de l'occupation, et massacrèrent ou chassèrent ceux qui avaient conseillé aux ennemis de prendre La Cadmée. Dans ces moments troublés, je l'ai déjà dit, Epaminondas resta tranquille chez lui tout le temps que dura la bataille contre ses concitoyens. L'honneur d'avoir délivré Thèbes appartient donc totalement à Pélopidas", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.3-4). Les Thébains, redoutant l'arrivée de renforts spartiates, s'empressent de demander des secours aux Athéniens. Ceux-ci leur envoient une troupe, qui se positionne pour défendre Thèbes. La garnison spartiate, encerclée, abandonnée par son commandant Lysanoridas parti on-ne-sait-où à l'extérieur de la cité, perd tout espoir. Les capitaines spartiates restants négocient leur reddition avec leurs assigeants. La garnison évacue La Cadmée. Plus tard, Lysanoridas sera condamné à une amende pour abandon de poste, et les capitaines capitulards seront arrêtés et condamnés à mort pour trahison ("La garnison spartiate qui occupait la citadelle, forte de quinze cents hommes en comptant ses auxiliaires, envoya immédiatement à Sparte la nouvelle de cette attaque et du soulèvement des Thébains, en demandant du secours. Les assiégés jouissaient d'un poste avantageux, ils blessèrent et tuèrent beaucoup d'assiégeants. Les Thébains, sachant que les Spartiates attendaient des renforts de divers endroits de Grèce, députèrent à Athènes pour rappeler que naguère [en -404/-403] ils avaient défendu leur démocratie contre les trente tyrans et signifier qu'aujourd'hui celle-ci devait aider pareillement les Thébains avant que tous les alliés de Sparte fussent rassemblés contre eux. Après avoir entendu les députés, le peuple d'Athènes décida d'envoyer sur-le-champ toutes les forces nécessaires afin de délivrer Thèbes, à la fois en reconnaissance du bienfait reçu naguère, et pour associer le valeureux peuple béotien à ses intérêts contre les orgueilleuses ambitions de Sparte. La Béotie était effectivement la plus peuplée de toutes les provinces de Grèce, et aucune autre cité ne surpassait les Thébains en valeur et en expérience militaire. Démophon fut nommé stratège à la tête de cinq mille fantassins et cinq cents cavaliers, qui quittèrent Athènes dès le lendemain et allèrent prendre position pour contrer tout renfort spartiate éventuel, d'autres Athéniens étaient prêts à les rejoindre si nécessaire. Démophon arriva si promptement qu'il surprit les Thébains. Beaucoup de Béotiens armés se présentèrent également pour participer à la défense commune. Les Thébains se retrouvèrent ainsi à la tête d'une grande armée d'au moins douze mille fantassins et deux mille cavaliers. Le siège se poursuivit par roulement de régiments partageant la même ardeur, de sorte que les attaques ne cessèrent pas jour et nuit. Les ennemis dans La Cadmée encerclée se défendirent vaillamment, espérant que leur commandant [Lysanoridas] leur amènerait bientôt d'autres Spartiates. Tant qu'ils eurent des vivres, ils profitèrent de l'avantage du lieu, qui était très escarpé, ils causèrent beaucoup de blessés et de morts parmi les assiégeants. Mais quand les provisions furent consommées, les discussions sur l'aide à apporter continuaient toujours à Sparte, et la dissension commença entre les assiégés. Les Spartiates voulurent se défendre jusqu'à la mort, mais leurs auxiliaires qui étaient plus nombreux qu'eux voulaient rendre La Cadmée. La minorité céda à la majorité. La garnison fut épargnée sur parole et par serment, elle sortit de la citadelle et retourna vers le Péloponnèse. Des secours arrivèrent enfin de Sparte, mais trop tard, et n'eurent aucun effet. Sur les trois chefs de la garnison, deux furent condamnés à mort, et le troisième fut condamné à une si grosse amende qu'il ne put jamais la payer", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.25-27 ; "Nommé béotarque le jour même avec Mélon et Charon, Pélopidas assiégea aussitôt La Cadmée en l'entourant d'un mur, afin d'en chasser les Spartiates et d'en reprendre le contrôle avant la venue de renforts de Sparte. Il réussit à temps, la garnison spartiate rendit la citadelle après négociation. Celle-ci retourna vers Sparte, elle passait à Mégare quand elle croisa Cléombrote qui marchait vers Thèbes avec une grosse troupe. Sur les trois harmostes spartiates qui commandaient à Thèbes, deux furent condamnés à mort, Hermippidas et Arkésos, le troisième nommé “Lysanoridas” fut condamné à une forte amende qu'il ne pouvait pas payer et s'enfuit du Péloponnèse", Plutarque, Vie de Pélopidas 13 ; "Effrayée par le danger, [la garnison spartiate] a prétexté futilement attendre le retour de Lysanoridas, absent ce jour-là. On m'a dit [c'est Kaphisias frère d'Epaminondas qui parle] que la Gérousie de Sparte a condamné celui-ci à une amende plus tard, et que les Spartiates ont vite exécuté Hermippidas et Arkésos, arrêtés à Corinthe après qu'ils nous ont restitué La Cadmée par capitulation et se sont retirés avec leurs soldats", Plutarque, Sur le démon de Socrate 34).


Sparte doit réagir. Agésilas II ne veut pas s'engager, il prétexte ne plus avoir l'âge requis pour commander une armée. Les éphores confient donc le contingent spartiate pour la première fois au roi agiade Cléombrote, qui a remplacé son frère Agésipolis Ier mort de maladie pendant le siège d'Olynthe sous l'archontat de Pythéas en -380/-379 (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.23). En réalité, selon Plutarque, Agésilas II milite activement pour que Sparte reprenne le contrôle de Thèbes, mais il ne veut pas intervenir directement pour ne pas apparaître comme un envahisseur, il envoie donc Cléombrote à sa place ("On soupçonna vite que, si l'acte était de Phoibidas, le projet était d'Agésilas II. Les événements postérieurs confirmèrent ce soupçon. Car quand les Thébains chassèrent la garnison spartiate et délivrèrent leur ville il leur reprocha d'avoir tué Archias et Léontiadès, polémarques de nom mais tyrans de fait, et il leur déclara la guerre pour cette raison. Cléombrote, roi depuis la mort d'Agésipolis Ier, fut envoyé en Béotie avec une armée. Agésilas II prétexta avoir quitté l'enfance depuis quarante ans et être exempté de service militaire selon les lois afin de ne pas participer à cette expédition, il eut honte, après avoir récemment bataillé contre Phlionte pour des bannis [épisode raconté dans Xénophon, Helléniques, V, 2.8-10 : Sparte a exigé que Phlionte amnistie ses citoyens bannis pro-spartiates], de batailler ouvertement contre Thèbes pour venger leurs tyrans", Plutarque, Vie d'Agésilas II 24). Cléombrote ne sait pas quelle direction prendre. Il hésite sur la tactique à adopter. Finalement, après diverses opérations sans importance en Béotie à la belle saison -377, il laisse une garnison à Thespies qu'il confie à un nommé "Sphodrias", et il revient à Sparte avec le gros du contingent ("A ces nouvelles [le soulèvement des Thébains et l'expulsion de la garnison spartiate], les Spartiates condamnèrent à mort la garnison qui avait abandonné l'acropole [La Cadmée] sans attendre des secours, puis ils décrètent une expédition contre les Thébains. Agésilas II déclara n'être plus un adolescent depuis plus de quarante ans et il expliqua que la loi dispensant les citoyens de son âge de marcher hors de leur patrie s'appliquait aussi aux rois, il fut ainsi dispensé de partir. Il prit cette position pour que ses concitoyens ne l'accusassent pas, en commandant l'expédition, de vouloir instaurer sa tyrannie. Il ne donna aucune consigne sur le parti à prendre. Influencés par les Thébains qui avaient échappé au massacre, les éphores confièrent pour la première fois le commandement de l'armée à Cléombrote pendant l'hiver [-378/-377]. La route via Eleuthères était occupée par Chabrias et des peltastes athéniens, Cléombrote traversa la montagne en passant par la route de Platées. Les peltastes, en avançant sur les hauteurs, surprirent les hommes qui gardaient cette route, des prisonniers libérés, environ cent cinquante, ils les tuèrent presque tous, seuls quelques-uns s'échappèrent. Cléombrote descendit à Platées encore fidèle aux Spartiates. Ensuite il se rendit à Thespies. De là il partit installer son camp à Cynocéphales ["KunÕjkefala…", littéralement "Têtes de Chien", lieu-dit non localisé près de Thèbes en Béotie, à ne pas confondre avec le site homonyme en Thessalie où Pélopidas trouvera la mort en -364 face au tyran Alexandre de Phères comme nous raconterons plus loin, et où aura lieu la célèbre bataille entre la légion romaine de Flamininus et la phalange grecque de Philippe V en -197] qui dépendait des Thébains. Il y resta environ seize jours, et retourna à Thespies. Il y laissa Sphodrias comme harmoste avec le tiers du contingent de chaque allié, il lui confia également tout l'argent apporté de la patrie et lui ordonna de recruter des mercenaires. Sphodrias exécuta ces ordres. Cléombrote prit la route de Creusis pour ramener ses troupes dans leurs foyers", Xénophon, Helléniques, V, 4.13-16). Les Athéniens de leur côté commencent à s'interroger sur leur soutien aux Thébains. En voyant passer les Spartiates dans l'isthme de Corinthe pour envahir la Béotie, c'est-à-dire longer l'Attique, ils craignent pour leur sécurité. Qui peut garantir que demain les Spartiates ne seront pas tentés d'envahir pareillement l'Attique ? Pour ménager Sparte, les Athéniens condamnent les bannis thébains, leurs anciens protégés ("Constatant que la puissance de Sparte ne s'exerçait plus du côté de Corinthe, et que les Spartiates longeaient l'Attique pour envahir Thèbes, les Athéniens furent si effrayés qu'ils citèrent en jugement les deux stratéges coupables de la révolte de Mélon contre le parti de Léontiadès. L'un fut exécuté, l'autre n'attendit pas sa sentence et s'exila", Xénophon, Helléniques, V, 4.19 ; "L'invasion de la Béotie par les Spartiates avec une grosse armée effraya tellement les Athéniens que, renonçant à leur alliance avec les Thébains, ils mirent en justice leurs partisans, exécutèrent les uns, bannirent les autres et condamnèrent plusieurs à des grosses amendes", Plutarque, Vie de Pélopidas 14). Mais les Thébains révèlent à cette occasion leur intelligence diplomatique : au lieu de s'offusquer de cette trahison athénienne, ils machinent pour que les Athéniens reviennent sur leur décision et demeurent à leurs côtés contre Sparte. Les Thébains manipulent Sphodrias, le commandant de la garnison spartiate à Thespies, aussi sot et prétentieux que son compatriote Phoibidas naguère, afin qu'il effectue un raid en Attique. Sphodrias se laisse bêtement séduire, il pénètre en Attique avec une partie de sa garnison, il saccage quelques maisons frontalières, puis, ses propres soldats étant effrayés par les conséquences de leur acte et refusant d'aller plus loin, il revient à Thespies. Les Thébains, pour inquiéter les Athéniens, lancent une campagne médiatique transformant ce raid piteux en une tentative d'invasion massive de l'Attique par Sparte. Ils sont aidés par les Spartiates eux-mêmes, qui commettent la maladresse d'absoudre Sphodrias après un rapide procès ("Les Thébains s'estimèrent trop faibles pour batailler seuls contre les Spartiates. Ils recoururent au moyen suivant. Ils corrompirent par l'argent Sphodrias l'harmoste de Thespies afin qu'il simulât une invasion de l'Attique, pour pousser les Athéniens à rompre avec les Spartiates. Sphodrias se laissa convaincre, il feignit de vouloir prendre Le Pirée qui n'avait plus de défenses. Il quitta Thespies tôt avec ses soldats, pendant une pause déjeuner il leur dit qu'il voulait atteindre Le Pirée avant le jour. Mais il arriva dans la plaine thriasienne après le début du jour, il ne chercha pas à cacher sa présence, au contraire il se dispersa pour enlever des troupeaux et piller des maisons. Certains habitants qui l'avaient fui durant la nuit allèrent annoncer aux Athéniens la venue de son important contingent. Les Athéniens s'armèrent à la hâte, cavaliers et hoplites gagnèrent leurs postes pour protéger la ville. Dans Athènes, chez le proxène Callias, séjournaient les ambassadeurs spartiates Etymoklès, Aristolochos et Okyllos. Dès que la nouvelle parvint, ils furent arrêtés par les Athéniens persuadés de leur implication, mais, effrayés eux-mêmes, ils se justifèrent en disant que s'ils avaient fomenté la prise du Pirée ils n'auraient pas été fous pour demeurer ainsi à la merci des Athéniens, chez leur proxène, sans protection, ils assurèrent que la cité de Sparte était aussi étrangère à cette opération, et que le seul coupable était Sphodrias dont ils prétendirent obtenir facilement la condamnation. Les Athéniens jugèrent qu'ils n'étaient pas impliqués dans l'affaire et les remirent en liberté. De leur côté, les éphores rappelèrent Sphodrias et le condamnèrent à mort. Inquiet, ce dernier ne répondit pas à la convocation, et malgré cette insoumission il fut absous", Xénophon, Helléniques, V, 4.20-24 ; "La paix [d'Antalcidas] que les Spartiates et les Athéniens avaient jurée entre eux subsistait encore à cette époque [sous l'archontat de Callias en -377/-376]. Mais le Spartiate Sphodrias fut nommé à la tête des troupes, il était prétentieux et violent, et Cléombrote roi de Sparte le poussa à aller attaquer le port du Pirée sans en informer les éphores. Sphodrias lança son attaque de nuit avec plus de dix mille hommes. Il échoua complètement face aux Athéniens avertis, et dut faire demi-tour sans avoir rien accompli. Il comparut devant l'assemblée, mais par la protection des deux rois il fut absous contre toutes les règles. Indignés, les Athéniens considérèrent que la paix avait été rompue par les Spartiates, ils leur déclarèrent la guerre, et nommèrent stratèges trois de leurs plus illustres citoyens : Timothée, Chabrias et Callistrate, auxquels ils confièrent vingt mille fantassins, cinq cents cavaliers et deux cents navires militaires", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.29 ; "Les béotarques Pélopidas et Gorgidas rusèrent pour dresser les Athéniens contre les Spartiates. Le chef spartiate Sphodrias, officier efficace et brillant mais peu intelligent et très ambitieux qui se berçait de vains espoirs, avait été installé avec une troupe à Thespies pour recevoir et soutenir les exilés de Thèbes. Pélopidas prit l'initiative de lui envoyer un ami marchand pour le corrompre par de l'argent et des propositions séduisantes. “Tu dois aspirer à un plus grand dessein, lui dit-il, attaquer les Athéniens par surprise et prendre Le Pirée, tu satisferas les Spartiates en les rendant ainsi maîtres d'Athènes, les Thébains trahis par les Athéniens ne les aideront pas”. Charmé par ce discours, Sphodrias partit nuitamment avec sa troupe, il entra en Attique, mais quand ses soldats virent qu'ils étaient à Eleusis ils furent effrayés, et il dut faire demi-tour. Son entreprise n'eut pas d'autre conséquence que d'attirer les Spartiates dans une guerre rude et périlleuse", Plutarque, Vie de Pélopidas 14 ; "Le Spartiate Sphodrias, opposé à Agésilas II, était installé à Thespies comme harmoste. Il ne manquait pas d'audace ni d'ambition, mais il manquaiit de bon sens. Désirant grandiir son nom, et croyant que Phoibidas s'était illustré partout par son coup d'audace à Thèbes, il se persuada que prendre Le Pirée par ses propres moyens et couper la mer aux Athéniens en les attaquant à l'improviste par la terre serait un exploit encore plus brillant. On raconte que ce projet fut inspiré par les béotarques Pélopidas et Mélon : ils auraient envoyé secrètement des prétendus partisans de Sparte à Sphodrias afin de le vanter, de le convaincre qu'il était seul capable d'une si haute entreprise, ils l'exaltèrent et le décidèrent à assumer un acte aussi injuste et aussi déloyal que celui de Phoibidas qui avait manqué d'audace et de chance. Dans les faits, l'aube surprit Sphodrias dans la plaine thriasienne alors qu'il espérait prendre Le Pirée avant la fin de la nuit, et ses soldats furent effrayés en voyant des lumières sur quelques temples du côté d'Eleusis. Sa hardiesse tomba en même temps que son secret fut compris. Il se contenta d'un maigre butin et se retira sans gloire à Thespies", Plutarque, Vie d'Agésilas II 24). Selon Plutarque, qui dispose de sources différentes de Xénophon (ou de sources que Xénophon tait sciemment parce qu'elles contredisent l'image idéale d'Agésilas II que celui-ci veut donner à son lecteur…), l'absolution de Sphodrias découle d'une manœuvre d'Agésilas II, dont le fils Archidamos est l'amant de Kléonymos fils de Sphodrias ("A la suite de cette opération [de Sphodrias à la frontière de l'Attique], des députés athéniens furent envoyés à Sparte. Ils y trouvèrent des magistrats déjà dressés contre Sphodrias, l'ayant convoyé en justice. Mais celui-ci n'eut pas le courage de paraître, craignant la colère de ses concitoyens, qui rougissaient devant les Athéniens et voulaient paraître victimes de la même injustice et non pas complices. Or Sphodrias avait un fils jeune et beau, Kléonymos, qu'aimait Archidamos fils du roi Agésilas II. Archidamos partageait naturellement les angoisses de Kléonymos devant le péril de son père, sans aucun moyen de l'appuyer ouvertement et d'intervenir en sa faveur puisque Sphodrias était un adversaire d'Agésilas II. Kléonymos vint pourtant le trouver et le supplia en larmes de pousser Agésilas II à défendre l'accusé, en dépit de l'hostilité que celui-ci entretenait contre le père et le fils. Pendant trois ou quatre jours Archidamos n'osa pas parler à son père, il le suivit partout plein de frayeur. Peu avant la fin du procès, il se décida enfin à dire à Agésilas II que Kléonymos l'avait prié d'intercéder pour son père. Agésilas II connaissait l'amour d'Archidamos et ne s'y était pas opposé, ayant décelé dans le jeune Kléonymos un futur brave, mais, face aux prières de son fils, il ne laissa échapper aucun mot pouvant laisser espérer de sa part une attitude favorable et clémente, il dit simplement qu'il adopterait la solution “la plus morale et la plus digne” puis il s'éloigna. Plongé dans l'incertitude, Archidamos cessa de voir Kléonymos, qu'il fréquentait auparavant plusieurs fois par jour. Même les partisans de Sphodrias désespérèrent de son cas, jusqu'au moment où l'un des amis d'Agésilas II, Etymoklès, leur révéla la pensée du roi dans une conversation. Ce dernier blâmait Sphodrias, mais il reconnaissait son courage et estimait que la cité avait besoin de soldats comme lui. Agésilas II répéta ce propos en toute occasion pour faire plaisir à son fils. Ainsi Kléonymos comprit qu'Agésilas II le soutenait, les amis de Sphodrias reprirent courage et plaidèrent sa cause. […] Sphodrias fut acquitté. Quand ils l'apprirent, les Athéniens se préparèrent à la guerre. Agésilas II perdit sa grande réputation. En s'abaissant à la passion déplacée et puérile de son fils, il sembla s'être opposé à une juste condamnation et avoir rendu Sparte complice d'un grand attentat contre la Grèce", Plutarque, Vie d'Agésilas II 24-26). Les Athéniens tombent dans la propagande des Thébains : ils pensent avoir échappé à une invasion spartiate, et rétablissent en conséquence leur alliance avec Thèbes contre Sparte ("Les Athéniens favorables aux Béotiens annoncèrent au peuple que non seulement les Spartiates n'avaient pas puni Sphodrias, mais encore ils l'avaient absous pour son acte contre Athènes. A partir de ce moment on redressa les défenses du Pirée, on construisit des navires et on apporta toutes sortes de secours aux Béotiens", Xénophon, Helléniques, V, 4.34). Mieux encore, les Athéniens entrainent avec eux toutes les cités qu'ils ont libérées de l'hégémonie spartiate. Partout, dans ces cités, à Sparte, et à Athènes surtout, on croit que les Athéniens sont prêts à recouvrer leur ancienne puissance, avec la complicité des Thébains. Cette agitation athénienne est encore appelée pompeusement "seconde Ligne athénienne" par une majorité d'hellénistes de l'an 2000, qui, à l'instar des Athéniens de -377, la considèrent comme une renaissance de la puissante et impériale Ligue athénienne fondée par Périclès au milieu du siècle précédent et dissoute une génération plus tard par l'effondrement général d'Athènes. L'archéologie a conservé les traces de cette illusoire "seconde Ligue athénienne" : annoncée par une alliance entre Athènes et Chio sous l'archontat de Dieitréphos en -384/-383 (Inscriptions grecques II/2 34), elle est solennellement instaurée sous l'archonte Nausinikos en -378/-377 (Inscriptions grecques II/2 43 ; les lignes 24-25 de cette inscription disent que Chio et Thèbes sont les piliers sur lesquels s'appuient les Athéniens), elle s'étoffe sous l'archontat de Hippodamas en -375/-374 par l'intégration des Corcyréens, des Acarnaniens et des Céphaloniens (Inscriptions grecques II/2 96), les Athéniens la complèteront en honorant Denys de Syracuse sous l'archontat de Lysistratos en -369/-368 (Inscriptions grecques II/2 103) puis en l'intégrant à son tour sous l'archontat de Nausigénos en -368/-367 (Inscriptions grecques II/2 105 ; on note à la ligne 8 de cette inscription que Denys n'est pas qualifié de "tyran de Syracuse" mais, flatteusement, d'"archonte de Sicile" ; pour l'anecdote, c'est à cette époque que le philosophe athénien Platon se rendra à nouveau en Sicile pour tenter d'influencer Denys junior, aussi vainement que son père homonyme Denys de Syracuse une génération plus tôt). La réalité est contraire : ce n'est pas Athènes qui utilise Thèbes pour redevenir hégémonique, mais Thèbes qui utilise Athènes pour constituer une nouvelle hégémonie thébaine, qui va vite écraser Sparte puis Athènes, dans le silence complice des Perses ("L'année où Callias fut archonte d'Athènes [en -377/-376], à Rome les quatre tribuns militaires Lucius Papirius, Marcus Publius, Titus Cornélius et Quintus Lucius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Béotiens pensèrent que les Spartiates, après avoir été chassés de la citadelle de Thèbes, s'apprêtaient à revenir avec une nouvelle armée. Ils réunirent toutes les troupes de leur province, avec le courage et la confiance des premiers succès. Les Athéniens quant à eux envoyèrent leurs citoyens les plus réputés vers toutes les cités soumises à l'autorité de Sparte pour les inciter à se libérer, en secouant le joug insupportable imposée par l'orgueil et la puissance des Spartiates. Beaucoup basculèrent du côté des Athéniens. Les gens de Chio et de Byzance levèrent les premiers l'étendard de la révolte. Ils furent suivis par les gens de Rhodes, de Mitylène [de Lesbos] et d'autres insulaires. La même ardeur s'empara de tous les esprits, la plupart des cités de la Grèce s'attachèrent aux Athéniens. On établit une ligue dont les membres étaient les députés de chacune de ces cités devenues alliées, qui convinrent unanimement de tenir séance dans Athènes en accordant une voix par cité, grande ou petite, et de continuer à se gouverner par elles-mêmes en laissant la présidence aux Athéniens. Les Spartiates ne trouvèrent aucun remède contre cette défection générale. Ils multiplièrent les ambassades et les promesses flatteuses pour calmer le soulèvement des peuples, en même temps ils se préparèrent à une guerre longue et difficile. Ce fut le début de la guerre béotique, durant laquelle les Thébains furent soutenus par les Athéniens et par tous les Grecs entrés dans la ligue", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.28). Pour ne pas aggraver l'hémorragie, les Spartiates décident de ménager les alliés qui leur restent. Ils leur reconnaissent une importance équivalente dans l'armée, ils les regroupent en corps autonomes, sous l'autorité d'Agésilas II qui conserve le prestige de son expédition contre la Perse ("Constantant que tous les cités qu'ils contrôlaient voulaient se séparer d'eux, [les Spartiates] atténuèrent leur dureté et affectèrent de les traiter avec douceur, en apportant quelques réels bienfaits pour les conserver dans leurs intérêts. Puisque la guerre s'allumait partout et qu'ils ne pouvaient plus assurer leur propre défense, ils repensèrent le choix de leurs soldats, l'organisation de leurs troupes et tout ce qui concernait leur sécurité. Ils répartirent les forces militaires en dix corps : le premier fut constitué de Laconiens, les deuxième et troisième d'Arcadiens, le quatrième d'Eléens, le cinquième d'Achéens, le sixième de Corinthiens et de Mégariens, le septième d'hommes de Sicyone, de Phlionte et d'Aktè, le huitième d'Acarnaniens, le neuvième d'hommes de Phocide et Locride, le dixième d'Olynthiens et de tous les alliés thraces. Dans chaque corps, on comptait un soldat armé lourdement pour deux armés à la légère, et quatre fantassins pour un cavalier. Le roi Agésilas II était le commandant unique de cette armée. Il était réputé pour son courage et son intelligence à la guerre, il n'avait pas encore connu de gros revers de fortune, il était admiré pour ses campagnes passées, à l'époque où les Spartiates avaient affronté les Perses il avait attaqué et vaincu des forces très supérieures à la sienne, ses avancées en Asie laissaient croire qu'il l'avait conquise, et si les Spartiates ne l'avaient pas rappelé pour défendre sa patrie il aurait probablement ébranlé l'Empire perse. Homme d'action naturellement porté à des entreprises extraordinaires, il était aussi prudent que hardi. Ce fut pour toutes ces raison que les Spartiates, pressentant une guerre conséquente, lui en confièrent la conduite", Diodore de Sicile, Bibliothèque Historique XV.31). Au printemps -376 (sous l'archontat de Callias en -377/-376 selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.28), les éphores supplient Agésilas II de prendre le commandement d'une nouvelle invasion de la Béotie, en remplacement de Cléombrote qui n'a pas brillé l'année précédente. Malgré son âge avancé, Agésilas II accepte ("Les Spartiates décrétèrent une expédition contre Thèbes. Estimant qu'Agésilas II la conduirait mieux que Cléombrote, ils le prièrent de prendre le commandement de l'armée. Il répondit qu'il se plierait aux volontés de sa cité, et se prépara à partir", Xénophon, Helléniques, V, 4.35 ; "Agésilas II arriva vite en Béotie à la tête de l'armée, soit au moins au moins vingt-huit mille hommes. Le corps des Laconiens était divisé en cinq régiments de cinq cents hommes. Le régiment des Skirites [population montagnarde vivant sur les hauteurs au sud de Tégée] marchait à part, aux côtés du roi, voué à secourir les troupes défaillantes, constitué d'hommes sélectionné pour cette tâche, il jouait un grand essentiel lors des batailles et déterminait ordinairement la victoire. Agésilas II disposait de mille cinq cents cavaliers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.32). Il pénètre sur le territoire des Thébains, qui de leur côté reçoivent le secours d'un contingent athénien commandé par Chabrias. Comme lors de son expédition en Asie contre les Perses, Agésilas II s'avère incapable de prendre d'assaut la cité de Thèbes. Après plusieurs mois vains de siège, il quitte le territoire de Thèbes, il repasse à Thespies, y laisse une nouvelle garnison sous les ordres de Phoibidas (le même qui a pris La Cadmée en -382, à l'origine de tous les événements qui ont suivi), et retourne vers Sparte avec le gros de l'armée ("Après avoir passé le Cithéron [montagne en amont de Platées, servant de frontière entre la Béotie au nord, l'Attique à l'est, la Mégaride au sud], [Agésilas II] se rendit à Thespies. De là, il entra dans le territoire de Thèbes. La plaine et les lieux stratégiques de la province étaient garnis de fossés et de palissades. Il campa ici et là, effectuant des raids et ravageant les campagnes orientales après les repas. Dès qu'Agésilas II se portait vers un endroit, ses adversaires paraissaient derrière un retranchement, prêts à se défendre. Un jour qu'il revenait vers son camp, des cavaliers thébains jusqu'alors invisibles sortirent de l'un de ces retranchements et s'élancèrent brusquement sur son armée, notamment sur des peltastes chargés du repas et certains cavaliers à terre ou s'apprêtant à monter à cheval. Ils renversèrent beaucoup de peltastes, les cavaliers spartiates Cléon et Epilytidas, un périèque nommé “Eudikos” et plusieurs Athéniens exilés descendus de cheval. Agésilas II fit aussitôt demi-tour avec ses fantassins pour les secourir, sa cavalerie chargea la cavalerie ennemie, appuyée par des vétérans qui servaient depuis dix ans. Les cavaliers thébains parurent ivres : ils attendirent les assaillants jusqu'à portée de javelot, mais ne réussirent à en atteindre aucun, et quand ils se retirèrent ils perdirent douze hommes. Agésilas II découvrit que ses ennemis paraissaient toujours après le repas : dès le point du jour, après un sacrifice, il commença à s'introduire dans les retranchements pour les brûler et les saccager. Il progressa ainsi jusqu'à la ville [de Thèbes]. Finalement il se replia sur Thespies, qu'il fortifia. Il y laissa Phoibidas comme harmoste, puis, repassant la montagne [le Cithéron], il se rendit à Mégare, y licencia ses troupes, et ramena le régiment spartiate dans sa patrie", Xénophon, Helléniques, V, 4.38-41 ; "Arrivé à Thespies défendue par une garnison spartiate et des murailles, [Agésilas II] s'installa, et laissa ses troupes se reposer après leur longue marche. […]. Les Thébains occupaient une colline allongée à vingt stades de leur ville, haute et d'un abord difficile. Ils attendaient l'ennemi, redoutant d'affronter en rase campagne Agésilas II dont ils connaissaient la réputation. Celui-ci s'avança vers eux en bon ordre. Il dirigea ses soldats armés à la légère contre eux pour estimer leur défense. Les Thébains repoussèrent aisément cette attaque, aidés par leur position avantageuse. Il lança alors toute son armée, qui obéit, pour inspirer la terreur. L'Athénien Chabrias ordonna aux mercenaires qu'il commandait d'attendre les assaillants avec mépris, en restant sur place, le bouclier sur les genoux et la lance dressée comme lors d'une simple garde. Cet ordre fut exécuté par tous. En voyant le bel ordre de ses adversaires et la tranquillité méprisante avec laquelle ils l'attendaient, Agésilas II ne voulut pas prendre le risque de les attaquer ni de les pousser à attaquer en profitant de leur position avantageuse, il se contenta de provoquer leur honneur en les invitant à un combat dans un lieu égal pour les deux parts. Les Thébains ne relevèrent pas le défi. Agésilas II se replia avec ses fantassins, mais il lâcha ses cavaliers et ses troupes légères dans la plaine, qui dévastèrent tout et rapportèrent un riche butin", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.32). Pendant l'hiver -376/-375, Phoibidas lance des raids sur le territoire de Thèbes depuis Thespies ("Phoibidas envoya des maraudeurs en bandes incendier et saccager le territoire des Thébains, lui-même participa à des raids dévastateurs", Xénophon, Helléniques, V, 4.42). Les Thébains répliquent en lançant une attaque contre Thespies, au cours de laquelle Phoibidas est tué ("Les Thébains en représailles marchèrent en masse vers le territoire de Thespies. Quand ils arrivèrent, Phoibidas les serra avec ses peltastes et empêcha leur armée de se déployer. Les Thébains déçus se replièrent rapidement. […] Entouré de ses peltastes et suivi du gros des hoplites Phoibidas ordonna de presser vivement l'ennemi. Il espérait le vaincre, marchant fièrement en tête, exhortant ses hommes à écraser leurs adversaires, incitant les soldats de Thespies à le suivre. Mais dans leur retraite, les cavaliers thébains buttèrent sur un bois impénétrable, ils se rassemblèrent puis, ne voyant aucun moyen de passer, ils firent demi-tour. Les premiers peltastes qu'ils rencontrèrent prirent peur et s'enfuirent. Voyant cela, les cavaliers les imitèrent. Phoibidas et deux ou trois hommes moururent avec lui en combattant. Les mercenaires prirent tous la fuite", Xénophon, Helléniques, V, 4.42-45 ; "Après la retraite d'Agésilas II, les Thébains marchèrent en armes contre Thespies, ils passèrent au fil de l'épée deux cents hommes qui gardaient les abords de la cité. Ils multiplièrent les assauts contre la ville, sans succès. Ils décidèrent de ramener leur armée à Thèbes. Le Spartiate Phoibidas, qui avait une forte garnison dans Thespies, se mit aussitôt à leur poursuite. Il tua plus de cinq cents hommes de leur arrière-garde, mais, après avoir glorieusement combattu et reçu beaucoup de blessures par devant, il mourut héroïquement dans cette sortie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.33 ; "Après que [les Thébains] l'eurent mis à la tête des troupes [pour libérer La Cadmée en -378], Pélopidas ne quitta pas le commandement, chaque année jusqu'à sa mort il fut béotarque ou chef du Bataillon Sacré. A partir de cet événement [la libération de La Cadmée en -378], les Spartiates ne connurent que des défaites, ils furent vaincus à Platées, à Thespies où fut tué Phoibidas qui avait conquis La Cadmée par trahison, à Tanagra où Pélopidas mit en fuite une importante armée spartiate et tua de sa main l'harmoste Panthoidas", Plutarque, Vie de Pélopidas 15). Au printemps -375, Agésilas II envahit à nouveau le territoire de Thèbes ("A l'approche du printemps [-375], les éphores décrètent une nouvelle expédition contre Thèbes, priant Agésilas II de la commander comme précédemment", Xénophon, Helléniques, V, 4.47). Une bataille a lieu devant la ville, sans résultat décisif. Agésilas II se retire à Thespies, puis il reprend la route de Sparte ("Les Thébains arrivèrent et se rangèrent en ligne à Graia [autre nom de la cité de Tanagra selon Pausanias, Description de la Grèce, IX, 20.2], dos au fossé et la palissade, jugeant que l'étroitesse du lieu et la difficulté d'accès leur étaient favorables. Agésilas II vit bien l'avantage de leur position, il ne marcha pas vers eux, il les contourna pour avancer vers leur cité. Craignant pour cette dernière qui était abandonnée, les Thébains abandonnèrent leur position et coururent vers Thèbes par la route de Potnies, la plus sûre. On loua ce stratagème d'Agésilas II obligeant ses ennemis à se replier précipitamment tout en se maintenant à distance d'eux. Quelques polémarques attaquèrent avec leurs régiments les Thébains en fuite, ceux-ci répliquèrent en lançant leurs javelots depuis les hauteurs, ils tuèrent ainsi le polémarque Alypetos, mais ils furent repoussés de ces hauteurs. Les Skirites avec quelques cavaliers atteignirent les derniers fuyards accourant vers la ville, les Thébains arrivés près des murs se retournèrent, les Skirites en les voyant sur la défensive se retirèrent hâtivement, aucun d'eux ne fut tué. Les Thébains érigèrent un trophée pour célébrer la retraite des assaillants. Le jour étant bien entamé, Agésilas II fit demi-tour vers le lieu où ses adversaires s'étaient rangés en ligne, il y dressa son camp. Le lendemain, il reprit le chemin de Thespies. […] Puis il passa de nouveau le Cithéron et retourna à Mégare, où il licencia les alliés, et ramena à demeure le régiment de ses compatriotes", Xénophon, Helléniques, V, 4.50-55 ; "Peu de temps après, toutes les forces spartiates s'étant réunies autour de Thèbes, les Thébains prirent position dans plusieurs lieux avantageux de la plaine afin d'empêcher le ravage de leur territoire Ils redoutaient encore d'affronter l'envahisseur en bataille rangée. Cependant, comme Agésilas II les provoquait toujours à la tête de ses troupes, ils consentirent à se ranger en ligne. Un combat eut lieu, qui fut long et vif, la victoire inclina vers Agésilas II, mais quand ceux de la ville s'en apercurent ils sortirent en masse pour soutenir leurs compatriotes, et Agésilas II sonna la retraite. Pour la première fois, les Thébains s'estimèrent aussi valeureux que les Spartiates, ils dressèrent un trophée, et à partir de ce jour ils ne craignirent plus de les affronter en bataille", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.34 ; Diodore de Sicile commet une erreur chronologique d'une an puisqu'il place les deux expéditions d'Agésilas II en Béotie sous le même archontat de Callias en -377/-376, en réalité la seconde expédition a lieu sous l'archontat de Charisandros en -376/-375 ; un épisode non daté rapporté par Polyen, montrant Epaminondas ruser pour cacher les morts thébains après une rude bataille contre les Spartiates, a peut-être un lien avec cet affrontement rude et incertain devant Thèbes en -375 ["Lors d'une bataille éprouvante d'Epaminondas contre les Spartiates, on compta beaucoup de morts de part et d'autre. La nuit survint, sans vainqueur, les deux armées se retirèrent. Les Spartiates campaient en ordre, ainsi ils surent le nombre de leurs morts, cela affaiblit leur courage et ils s'endormirent dans la tristesse. Pour empêcher la même chose dans son camp, Epaminondas commanda à ses hommes de s'installer à leur guise, sans respecter leur place habituelle, de souper où ils trouveraient des vivres, d'en demander à leurs voisins, de dormir sur le lieu de leur souper. Ce commandement exécuté immédiatement fut bénéfique. Les Thébains, en soupant çà et là et non pas dans leur tente, ignorèrent le nombre de leurs morts. Le lendemain, ils se remirent en ligne plus motivés que les Spartiates, qu'ils vainquirent facilement parce que ceux-ci étaient ébranlés par la perte de leurs compagnons", Polyen, Stratagèmes, II, 3.11]). Lors de ce retour vers Sparte, tandis qu'il fait halte à Mégare, Agésilas II est victime d'une hémorragie à la jambe. Le mal empire à tel point qu'Agésilas II, incapable de marcher, est transporté sur un brancard de Mégare à Sparte, et il reste cloué au lit pendant tout l'hiver -375/-374 ("Au printemps [-374], Agésilas II était alité. Lors de son passage à Mégare quand il avait ramené l'armée depuis Thèbes [en -375], il était monté de l'Aphrodision vers la maison du gouverneur, et une de ses veines avait éclaté, le sang s'était répandu dans la jambe, la cuisse avait enflé. Les douleurs étant insupportables, un médecin syracusain avait ouvert la veine près de la cheville. Le sang s'était écoulé sans discontinuer pendant la nuit et le jour suivant, tous les efforts pour l'arrêter avaient été vains, jusqu'à temps qu'Agésilas II s'évanouît. Agésilas II avait été ramené dans cet état à Sparte, où il était resté malade le reste de l'été [-375] et durant l'hiver [-375/-374]", Xénophon, Helléniques, V, 4.58 ; "A Mégare, tandis qu'il ramenait son armée de Thèbes à Sparte, [Agésilas II] monta vers la citadelle, et éprouva brusquement un tiraillement douloureux à sa jambe qui n'était pas boiteuse. Cette jambe devint énorme et se gorgea de sang. Un médecin de Syracuse lui ouvrit la veine au-dessous de la cheville, la souffrance cessa mais le sang continua à jaillir sans qu'on pût l'arrêter, au point qu'il défaillit dangeureusement. Enfin le sang ne coula plus. On transporta Agésilas II à Sparte, où il resta longtemps malade et incapable de diriger aucune expédition", Plutarque, Vie d'Agésilas II 27). Pour l'anecdote, c'est probablement à l'occasion de ce retour sans gloire d'Agésilas II sur un brancard à la fin de l'été -375 qu'Antalcidas, partisan d'une paix de compromis ou d'une victoire par ruse, opposé à la guerre ouverte contre Thèbes, tacle Agésilas II en l'accusant d'avoir attisé la combattivité des Thébains ("Les Thébains se mesuraient tous les jours aux Spartiates, ils livraient des combats non décisifs mais leur servant d'expérience et d'entraînement militaire, qui enflammaient leur courage, fortifiaient leurs corps, suscitaient des habitudes et la confiance. On raconte que le Spartiate Antalcidas, en voyant Agésilas II qu'on rapportait blessé de Béotie, lui dit : “Tu as reçu une belle récompense des Thébains, toi qui leur a imposé une guerre qu'ils ne voulaient pas !”", Plutarque, Vie de Pélopidas 15 ; "En Béotie, [Agésilas II] infligea des maux aux Thébains et en subit en retour. Il fut blessé, et Antalcidas lui dit : “Voilà la belle récompense que tu reçois des Thébains pour leur avoir appris à combattre, eux qui ne le voulaient pas et qui ne savaient pas !”", Plutarque, Vie d'Agésilas II 26). C'est aussi à cette occasion, selon Plutarque, qu'Agésilas II explique aux derniers alliés de Sparte que la guerre a changé de nature, elle n'est plus une affaire de soldats-citoyens comme au Vème siècle av. J.-C., elle est désormais une affaire de professionnels, comme nous l'avons vu à la fin de notre alinéa précédent, et les Spartiates demeurent les meilleurs professionnels de la guerre en dépit de leurs récents revers en Béotie ("Agésilas II se défendait contre les alliés de Sparte l'accusant de vouloir perdre les Thébains non pas pour une raison publique légitime mais pour assouvir sa passion et sa rancune privées, lui reprochant de les sacrifier chaque année ici et là pour une poignée de Spartiates alors qu'eux-mêmes constituaient le plus grand nombre. Pour relativiser leur supériorité numérique, Agésilas II imagina le stratagème suivant. Il fit asseoir d'un côté tous les alliés, de l'autre côté tous les Spartiates. Puis il ordonna aux potiers de se lever au son des trompes. Quand ceux-ci furent debout, il appela les ferroniers, puis les menuisiers, puis les maçons, et ainsi de suite tous les corps de métiers. Au final, presque tous les alliés furent debout, mais aucun Spartiate car la loi leur interdisait d'exercer et d'apprendre tout travail manuel. Agésilas II conclut en riant : “Vous voyez, ô braves, que nous envoyons à la guerre bien plus de soldats que vous !”", Plutarque, Vie d'Agésilas II 26 ; "Un jour les alliés [de Sparte] dirent : “Nous sommes plus nombreux que les soldats de Sparte !”. Agésilas II ordonna à l'armée de camper dans une plaine, les alliés d'un côté, les Spartiates de l'autre côté. Puis il demanda au héraut de crier : “Que les potiers se lèvent !”. Beaucoup se levèrent parmi les alliés. Il demanda la même chose aux ferroniers, puis aux charpentiers, puis à tous les autres artisans. Presque tout le corps allié était constitué de ces gens, alors que le corps des Spartiates n'en comptait aucun car la loi leur interdisait d'exercer ces professions ordinaires. Par ce moyen, les alliés comprirent que les soldats de Sparte étaient plus nombreux qu'eux", Polyen, Stratagèmes, II, 1.17). Les Thébains profitent de ce nouveau repli spartiate pour étendre leur influence jusqu'à la cité d'Orchomène. Contre la garnison spartiate locale, ils remportent une victoire marquante puisqu'ils bataillent à un contre deux et s'imposent sans effort. Ils prennent ainsi conscience de leur haute valeur militaire, ce qui accroit l'inquiétude à Sparte ("A la même époque [sous l'archontat de Charisandros en -376/-375] cinq cents Thébains d'élite investirent Orchomène par une action d'éclat. Les Spartiates avaient dans cette place une forte garnison, qui en sortit pour affronter les Thébains s'avançant contre elle. Dans une rude bataille, les Thébains défirent ces Spartiates deux fois plus nombreux. Ce fut sans précédent, les Spartiates ayant toujours cru que seuls des ennemis supérieurs en nombre pourraient les vaincre. Cet événement remplit les Thébains de confiance pour l'avenir, et leur inspira un invincible courage qui les porta à espérer une haute réputation et l'honneur de diriger toute la Grèce", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.37). Selon Plutarque, cette attaque contre les Spartiates cantonnés à Orchomène est menée par Pélopidas, et elle constitue une étape importante dans l'essor de Thèbes car, primo, elle transforme la guérilla que les Thébains menaient jusque-là en une guerre ordinaire où les deux adversaires s'affrontent en bataille rangée, face-à-face, et non plus par escarmouches ou embuscades, et les Thébains se révèlent des soldats plus compétents que les soldats spartiates pourtant héritiers d'une longue tradition militaire, sur ce point la bataille près d'Orchomène annonce la bataille de Leuctres de -371, et, secundo, elle implique le Bataillon Sacré thébain créé par Gorgidas, sur lequel nous reviendrons bientôt, que Pélopidas utilise pour la première fois en un bloc, comme pointe offensive ("Les affrontements alors n'étaient pas des batailles rangées opposant des armées entières et bien rangées, c'étaient plutôt des escarmouches, des courses visant un objectif précis, une alternance de retraites et de poursuites où les Thébains avaient toujours l'avantage au moment du corps-à-corps. La bataille de Tegyra, comme un prélude à la bataille de Leuctres, apporta la gloire à Pélopidas parce qu'aucun de ses collègues ni aucune circonstance ne put lui disputer l'honneur de la victoire, et parce qu'aucun prétexte ne put atténuer la défaite des vaincus. Depuis longtemps il visait la cité d'Orchomène acquise aux Spartiates, qui l'avaient garnie de deux régiments de fantassins. Il guettait l'occasion de la conquérir. Un jour il apprit que la garnison était en mission en Locride. Espérant la cité sans défense, il partit avec le Bataillon Sacré et un petit escadron de cavalerie. Quand il fut près d'Orchomène, on l'informa qu'une nouvelle garnison arrivait de Sparte pour remplacer l'autre. Il bifurqua avec sa troupe vers Tegyra, par le seul chemin qu'il pouvait contrôler le long de la montagne, toute la plaine environnante étant couverte par les eaux de la rivière Mélas qui, dès sa source, se divise en plusieurs marais navigables [le site de Tegyra et la rivière Mélas sont non localisés ; les lieux décrits ici par Plutarque correspondent à l'ancien lac Copaïs à l'est d'Orchomène, asséché au XIXème siècle]. […] Les Thébains s'éloignaient d'Orchomène par Tegyra, quand ils tombèrent sur les Spartiates revenant de Locride, qui traversaient les cols montagneux. Un des Thébains dès qu'il les vit coura vers Pélopidas : “Les ennemis viennent sur nous !”, dit-il. “Et si nous allions plutôt sur eux ?”, rétorqua Pélopidas. Il passa immédiatement à l'avant la cavalerie qui était en retrait, afin de commencer l'attaque. Il rangea les trois cents hommes du Bataillon Sacré, sûr que partout où ce corps passerait il renverserait les adversaires, peu importe leur nombre. La garnison spartiate était constituée de deux régiments ["mÒra"] de cinq cents hommes selon Ephore, ou sept cents hommes selon Callisthène, ou neuf cents hommes selon Polybe. Les polémarques spartiates Gorgoléon et Théopompos, confiants en leurs soldats, chargèrent brusquement les Thébains. Le premier choc impliqua les chefs rivaux. Le combat fut rude et sanglant. Les polémarques spartiates, qui s'étaient concentrés sur Pélopidas, furent tués. Ceux qui les entouraient furent vite tués ou blessés. La garnison effrayée s'ouvrit, afin de laisser passer les Thébains. Ceux-ci auraient pu partir en passant au milieu d'eux, mais Pélopidas refusa la facilité, il se tourna vers les ennemis qui n'étaient encore engagés, et les massacra. Quelques-uns s'enfuirent. Les Thébains les rattrapèrent facilement, puis, craignant la risposte des gens d'Orchomène près du champ de bataille et de la nouvelle garnison spartiate qui approchait, se contentant d'avoir brisé l'adversaire et d'avoir dégagé la route, ils érigèrent un trophée, dépouillèrent les morts, et retournèrent vers Thèbes fiers de leur victoire. Dans toutes les guerres menés jusqu'alors contre les Grecs ou contre les barbares par les Spartiates, ces derniers n'avaient jamais été battus par une troupe aussi inférieure en nombre, ni défaits par une armée numériquement égale en bataille rangée, cela les avait rendus orgueilleux, ils attaquaient avec une confiance insultante des ennemis qui, redoutant leur réputation, n'osaient même plus les affronter avec des forces équivalentes : cette bataille enseigna pour la première fois aux Grecs que l'Eurotas [fleuve de Laconie, qui traverse la cité de Sparte] entre Babyka et Knakion n'était pas le seul lieu à produire des hommes courageux et intrépides, partout où des jeunes gens rougissent de honte et ont l'audace de courir vers la gloire, partout où on préfère le danger au blâme, on trouve des adversaires redoutables", Plutarque, Vie de Pélopidas 15-17 ; "Gorgidas avait créé le Bataillon Sacré pour que les hommes d'élite le constituant fussent répandus sur tout le front de la phalange, afin que leur valeur se confondît dans le gros des troupes, qu'elle ne contribuât pas à diviser l'armée en étant concentrée en un seul endroit et en affaiblissant tous les autres. Mais quand Pélopidas vit briller ces hommes autour de lui à la bataille de Pegyra, il ne les sépara plus, il les conserva en un bloc qu'il conduisit lui-même au-devant des périls lors des grandes batailles. Les chevaux attelés courent plus vite que ceux qui courent seuls, moins parce qu'ils fendent l'air plus facilement par leur effort commun que parce que leur émulation et leur rivalité enflamment leur ardeur, de même Pélopidas pensait que les hommes courageux combattent mieux ensemble parce qu'ils s'inspirent mutuellement une émulation et un désir d'accomplir des grands exploits", Plutarque, Vie de Pélopidas 19 ; "Durant cette période les Spartiates essuyèrent beaucoup d'échecs sur terre et sur mer. Le plus important fut celui de Tegyra, où pour la première fois ils furent vaincus par les Thébains en bataille rangée", Plutarque, Vie d'Agésilas II 27). Parallèlement, les Thébains étendent leur influence vers la mer. Peu de temps auparavant, le tyran thessalien Jason de Phères a tenté de prendre le contrôle de la cité d'Hestiaia sur l'île d'Eubée, et de son port Orée contrôlant le détroit de l'Artémision, vers le golfe Maliaque à l'ouest et vers la mer Egée à l'est, la tentative de Jason a échoué car Sparte est venue au secours des gens d'Hestiaia/Orée ("Un nommé “Neogenès” soutenu par Jason de Phères avait constitué une troupe avec laquelle il prit le contrôle de la citadelle d'Hestiaia en Eubée et tous les environs dont la cité d'Orée. Comme il était arrogant et violent envers ceux qu'il avait soumis, les Spartiates lui envoyèrent Theripidès. Celui-ci usa d'abord de la raison et de l'exhortation pour pousser Neogenès à abandonner Orée. Mais n'ayant rien obtenu par ces moyens, il excita lui-même les habitants des environs à recouvrer leur liberté, il les incita à assiéger Orée, et ainsi il en déposséda l'usurpateur. Cette assistance des Spartiates plut aux gens d'Hestiaia et les convainquit de maintenir leur alliance avec eux", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.30). A court de vivres en raison des invasions spartiates répétées sur leur territoire, les Thébains envoient un petit contingent de trois cents hommes acheter du blé par mer à Pagases en Thessalie (aujourd'hui le port de Volos, au fond du golfe Pagasétique). Sur le chemin du retour, leurs trières sont interceptées par les Spartiates cantonnés à Orée, et les trois cents Thébains sont emprisonnés. Mais avec l'aide d'une partie des habitants, ils parviennent à s'échapper, à prendre le contrôle de la cité en chassant les Spartiates, à recouvrer leur cargaison de blé et à la convoyer vers Thèbes ("Inquiets par le manque de vivres, n'ayant tiré aucun fruit de leurs terres depuis deux ans, les Thébains envoyèrent des hommes à Pagases sur deux trières afin d'y acheter dix talents de blé. Pendant que ceux-ci achetaient, le Spartiate Alcétas qui gardait Orée équipa secrètement trois trières. Dès que le blé fut en mer, Alcétas s'empara des trières qui le transportaient et de leurs trois cents hommes d'équipage, qu'il enferma sur l'acropole d'Orée où lui-même logeait. Mais il comptait dans son entourage un beau et honnête jeune garçon d'Orée, qu'il rejoignit en délaissant l'acropole : les prisonniers profitèrent aussitôt de l'occasion pour prendre le contrôle du site. La cité se souleva. Les Thébains purent facilement reprendre leur blé", Xénophon, Helléniques, V, 4.56-57). Au printemps -374, à cause de l'indisponibilité d'Agésilas II toujours cloué au lit suite à son hémorragie à la jambe quelques mois plus tôt, les éphores se résignent à confier à nouveau le commandement de l'armée spartiate au roi Cléombrote. Cette nouvelle tentative d'invasion de la Béotie par Cléombrote est un fiasco : Cléombrote ne réussit même pas à traverser l'isthme de Corinthe car le mont Cithéron qui en contrôle la route est gardé par des Thébains et des Athéniens, qui déciment l'armée spartiate. Cléombrote fait demi-tour ("Dès le début du printemps [-374], les Spartiates décrètent une nouvelle expédition sous le commandement de Cléombrote. Quand il arriva avec son armée au pied du Cithéron, il envoya en avant les peltastes pour s'emparer des hauteurs dominant la route. Mais une troupe de Thébains et d'Athéniens s'y trouvait déjà, ils laissèrent avancer les peltastes jusqu'à leurs pieds, ils s'élancèrent à leur poursuite et en tuèrent une quarantaine. Estimant impossible de passer dans le pays de Thèbes, Cléombrote ramena son armée et la licencia", Xénophon, Helléniques, V, 4.59). Ainsi préservés d'une nouvelle invasion spartiate, et aidés indirectement par les Athéniens qui contrôlent les côtes alentours (notamment celles d'Attique et d'Eubée) grâce à leur flotte commandée par Timothée, fils de Conon et ancien élève d'Isocrate, les Thébains occupent la belle saison -374 à achever leur mainmise sur toutes les cités de Béotie ("Les Spartiates se préparaient à envoyer une armée en Béotie. Les Thébains prièrent les Athéniens d'envoyer des forces autour du Péloponnèse, pensant que les Spartiates ne pourraient pas à la fois protéger leur propre pays et ceux de leurs alliés sur ce territoire, et lancer une armée conséquente contre eux-mêmes. Irrités contre les Spartiates suite à l'affaire de Sphodrias, les Athéniens pleins d'ardeur dirigèrent soixante navires sous le commandement de Timothée. Ainsi libérés de la menace d'invasion par l'armée de Cléombrote durant toute la belle saison [-374], tant que Timothée fut en opérations, les Thébains marchèrent hardiment contre les cités voisines et imposèrent leur domination", Xénophon, Helléniques, V, 4.62-63). Puis ils menacent la Phocide. Les Phocidiens appellent Sparte à l'aide. Les éphores leur envoient un contingent dirigé par Cléombrote, fin -374 ou  début -373, par mer car ils ne veulent plus risquer que Cléombrote subisse une autre défaite par terre en tentant vainement de passer le mont Cithéron ("Pendant que les Athéniens et les Spartiates étaient occupés, les Thébains soumirent toutes les cités de Béotie. Puis ils marchèrent contre la Phocide. Les Phocidiens députèrent à Sparte pour prévenir que, s'ils n'étaient pas secourus, ils seraient contraints de se soumettre aux Thébains. Les Spartiates envoyèrent alors par la mer vers la Phocide leur roi Cléombrote avec quatre régiments et un contingent allié", Xénophon, Helléniques, VI, 1.1 ; on doit peut-être mettre en rapport cette campagne avec l'épisode suivant mentionné par Polyen, où Pélopidas renonce à assiéger Elatée au nord-ouest d'Orchomène, face à un nommé "Onomarchos", probablement le même Onomarchos qui succédera au stratège Philomélos à la tête de l'armée phocienne en -353/-352, comme nous le verrons dans notre prochain alinéa : "Les Béotiens assiégeaient Elatée. Onomarchos sortit toutes ses troupes et tous les habitants, il mura les portes, il rangea d'abord les enfants et les femmes, puis les mères, puis les pères, puis les soldats à l'avant. En voyant le désespoir de ces gens qui voulaient vaincre ou mourir, Pélopidas renonça à combattre et se retira", Polyen, Stratagèmes II.38 ; cet autre épisode évoqué par Polyen date peut-être aussi de la même époque : "Pélopidas voulait prendre deux cités fortifiées éloignées l'une de l'autre de vingt-six stades. Il assiégea la première, et ordonna à quatre cavaliers de venir à toute bride avec des couronnes sur la tête annoncer que la seconde était prise. Puis il conduisit ses troupes devant la place soi-disant conquise. Quand il fut devant les murs, il alluma un grand feu : en voyant la fumée, ceux de l'autre place crurent que Pélopidas avait incendié celle-ci, ils redoutèrent de subir le même sort et se livrèrent à Pélopidas. Il joignit à son armée les troupes qu'il trouva dans cette cité troupes, et se présenta devant l'autre, qui, n'ayant pas le courage de lui résister, lui ouvrit ses portes. C'est ainsi qu'il se rendit maître de deux cités, l'une par tromperie, l'autre par faiblesse", Polyen, Stratagèmes, II, 4.1). Pendant ce temps, le tyran thessalien Jason de Phères a étendu son pouvoir sur toute la Thessalie et ambitionne de devenir l'être providentiel rêvé secrètement ou ouvertement par les intellectuels grecs de l'époque, l'être providentiel décrit par Xénophon dans son Agésilas II, unissant tous les Grecs sous son autorité unique dans une guerre commune contre la Perse. Il prend contact avec un notable de Pharsale nommé "Polydamas", auquel il propose une association quand la cité de Pharsale se sera soumise à son autorité : Jason veut s'allier aux Thébains pour refouler les Spartiates vers la Laconie, et s'allier aussi à Amyntas III de Macédoine pour créer une flotte (grâce au bois des Balkans) qu'il confiera aux Athéniens, marins réputés, puis, ayant ainsi unifié Thessaliens, Béotiens, Macédoniens et Athéniens, il lancera une expédition en Asie contre Artaxerxès II en tirant les leçons de l'expédition des Dix Mille et de l'expédition d'Agésilas II naguère ("La Thessalie étant un large pays, dès qu'un tagos ["t£goj", mot thessalien désignant un chef absolu] la commande tous les peuples alentours lui sont soumis. Presque toutes les troupes du pays sont constituées de gens de trait, donc les peltastes seront toujours inférieurs à mon armée. J'aurai bientôt pour alliés les Béotiens et tous les peuples actuellement en guerre contre les Spartiates, qui deviendront mes sujets si je les en délivre. Je suis sûr que les Athéniens sont disposés aussi à devenir nos alliés, mais je ne veux pas me lier avec eux parce que je crois encore plus facile de prendre l'empire de la mer que de celui de la terre. Juge mon calcul. Si nous possédons la Macédoine, d'où les Athéniens tirent le bois de leurs navires, nous pourrons en construire davantage qu'eux. Pour les équiper, n'avons-nous pas plus d'hommes que les Athéniens, manquons-nous de pénestes ["penšstai", classe laborieuse en Thessalie, esclaves volontaires, offrant temporairement leur liberté à des maîtres contre rémunération, jouissant d'une autonomie et d'une sécurité plus grande que les hilotes en Laconie] ? Et pour entretenir ces équipages, n'avons-nous pas plus de moyens, nous qui exportons notre blé alors que les Athéniens en manquent et en achètent ? Nous aurons de l'argent en abondance, puisque nous ne recourrons pas à des insulaires misérables mais à des peuples continentaux, devenus tributaires de la Thessalie gouvernée par son tagos. Tu sais que le Grand Roi de Perse, qui rançonne pareillement le continent et non pas des îles, est le plus riche des hommes, eh bien ! J'estime qu'il est encore plus aisé à soumettre que la Grèce. Parce que dans son pays les hommes sont plus habitués à le servir qu'à batailler vaillamment, et je sais comment l'expédition du prince Cyrus et celle d'Agésilas II ont ébranlé le pouvoir royal", Xénophon, Helléniques, VI, 1.9-12). Polydamas a peur. Il se rend à Sparte pour exposer le projet de Jason. Dans un long discours aux éphores rapporté par Xénophon (Helléniques, VI, 1.2-16), il explique que, pendant que les Spartiates s'épuisent contre les Thébains, Jason étend son influence sur toute la Grèce centrale, dont la cité de Pharsale qui ne pourra pas demeurer indépendante très longtemps. Les éphores répondent ne pas disposer des effectifs suffisants pour une guerre sur deux fronts, contre les Thébains désormais en Phocide et contre Jason en Thessalie. Polydamas retourne donc bredouille à Pharsale, et soumet sa cité à Jason ("Les Spartiates ajournèrent leur réponse [à Polydamas]. Le lendemain et le jour suivant, ils pensèrent au nombre de régiments hors du pays, au nombre de troupes qu'ils entretenaient sur les côtes de Laconie contre les attaques des trières athéniennes, à la guerre aux frontières. Ils conclurent que, dans les circonstances présentes, ils ne pouvaient pas lui envoyer des secours et ils l'incitèrent à retourner dans sa patrie pour y arranger les affaires de la manière la plus favorable à ses intérêts. Polydamas remercia la cité de sa franchise et repartit. Il pria Jason de ne pas le contraindre à lui livrer l'acropole de Pharsale dont il avait la charge, en échange il lui confia ses propres enfants comme otages et lui promit de convaincre ses concitoyens d'entrer dans son alliance et de le reconnaître comme tagos. Après des serments réciproques de fidélité, les Pharsaliens acceptèrent la paix et reconnurent Jason comme tagos des Thessaliens", Xénophon, Helléniques, VI, 1.17-18). Le Grand Roi Artaxerxès II de son côté veut reprendre le contrôle de l'Egypte. Pour ce faire, il a besoin de mercenaires grecs. Autrement dit il a besoin que les Grecs cessent de se battre entre eux, afin que leurs soldats démobilisés puissent être envoyés à son service contre les Egyptiens. Il calcule par ailleurs que tant que les Grecs combattront pour lui, ils ne penseront pas à combattre contre lui. Il envoie donc des ambassadeurs comme médiateurs dans chaque cité de Grèce pour apaiser et résoudre les litiges (les défaites de Sparte, les ambitions d'Athènes, les prétentions de Thèbes). Sparte et Athènes sont d'accord pour reconnaître mutuellement leur hégémonie sur la Laconie et sur l'Attique. Les Thébains, par la voix d'Epaminondas, réclament pareillement que Sparte et Athènes reconnaissent l'hégémonie de Thèbes sur la Béotie. Naturellement Sparte et Athènes refusent, car elles prennent peu à peu conscience que Thèbes émerge comme nouvelle puissance, Thèbes vainc sur tous les champs de bataille en Béotie sans avoir besoin du moindre allié. Sparte et Athènes, notamment par la voix de l'orateur Callistrate, ne veulent surtout pas la reconnaître comme leur égale, mais elles sont embarrassées car refuser de reconnaître l'hégémonie de Thèbes sur la Béotie équivaut à remettre en cause l'hégémonie d'Athènes sur l'Attique et l'hégémonie de Sparte sur la Laconie ("L'année où Hippodamos fut archonte d'Athènes [en -375/-374], à Rome les quatre tribuns militaires Lucius Valérius, Lucius Manlius, Servius Sulpitius et Lucretius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, Artaxerxès II le Grand Roi de Perse, qui voulait porter la guerre en Egypte et souhaitait fortement un secours de troupes étrangères, entreprit de pacifier les peuples grecs afin d'en tirer des soldats inoccupés dans leur pays. Il députa vers les cités grecques pour les inviter à s'entendre. Comme ces cités étaient lasses de leurs divisions, elles accueillirent favorablement les discours des ambassadeurs et elles firent la paix entre elles à condition que chacune demeurât maîtresse d'elles-mêmes et fût défendue par ses propres citoyens. On nomma des officiers chargés par leur peuple d'extraire de toutes les citadelles les garnisons dépendant d'une cité étrangère. Seuls les Thébains s'opposèrent à cette convention, estimant que toutes les cités de Béotie dépendaient de Thèbes. Les Athéniens condamnèrent cette attitude. Le démagogue Callistrate notamment les combattit avec force. Mais Epaminondas par un discours admirable soutint publiquement le droit particulier des Thébains. Tous les autres Grecs signèrent donc un traité que les Thébains refusèrent, ces derniers demeurant hardiment seuls par leur grande confiance dans la vertu et dans le courage d'Epaminondas. Anciens adversaires, les Spartiates et les Athéniens s'accordèrent pour que les premiers commandassent les terres et que les seconds commandassent les mers. Ceux-ci et ceux-là furent extrêmement fâchés de voir dans les Thébains un peuple concurrent émergeant qui menaçait leur primauté. Voilà pourquoi ils consacrèrent tous leurs efforts à détacher de Thèbes les cités de Béotie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.38). Artaxerxès II est aussi conscient de l'essor de Thèbes. Il tente de corrompre Epaminondas. En vain, car Epaminondas méprise l'argent (on ignore quand Artaxerxès II entreprend cette manœuvre, on sait seulement qu'elle date de l'époque où l'alliance existait encore Thèbes et Athènes alors dominée par Chabrias, peut-être avant -373 où Thèbes provoque la colère d'Athènes en ruinant la cité de Platées à la frontière de l'Attique, assurément avant -372 où Epaminondas manifeste clairement l'ambition hégémonique de Thèbes sur toute la Grèce et suscite l'inquiétude des Athéniens en repoussant sèchement la paix commune proposée par Sparte : "Diomédon de Cyzique mit à l'épreuve l'intégrité d'Epaminondas. A la demande d'Artaxerxès II, il avait entrepris de le corrompre par l'argent. Il vint à Thèbes avec une grosse quantité d'or. Il corrompit par un don de cinq talents le jeune Micythos, qu'Epaminondas aimait beaucoup. Micythos alla exposer à Epaminondas les raisons de Diomédon. Epaminondas répondit : “Le Grand Roi dépense inutilement son argent. S'il a des propositions favorables aux Thébains, je les accomplirai gratuitement. S'il a des projets contraires, il n'aura jamais assez d'or et d'argent pour me séduire, car je n'échangerai pas tous les trésors de l'univers contre l'amour de ma patrie. Toi, Diomédon, tu m'as tenté sans me connaître, tu m'as cru ton semblable, je ne suis pas étonné de ta démarche, et je te pardonne, mais sors promptement de Thèbes et ne tente pas de corrompre d'autres après avoir échoué avec moi. Et toi, Micythos, rends-lui immédiatement son argent, sinon je te livre aux magistrats”. Diomédon le pria d'assurer sa sécurité et de remporter tout l'argent qu'il avait apporté. “J'y consens, non pas pour toi mais pour moi, rétorqua Epaminondas, parce que si on te spolie de cet argent je ne veux pas qu'on me soupçonne de t'avoir pris par le vol ce que j'ai refusé en cadeau”. Epaminondas lui demanda où il voulait être conduit, Diomédon désigna Athènes, il lui donna une escorte afin qu'il s'y rendit en sûreté. Il alla jusqu'à contacter l'Athénien Chabrias, dont j'ai parlé précédemment, afin qu'il pût s'embarquer sans être maltraité", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.4 ; "Epaminondas portait toujours un vêtement grossier et sale. Quand il le lavait, il était contraint de rester chez lui parce qu'il n'en avait pas d'autre. Et pourtant il refusa une somme importante que lui envoya le Grand Roi de Perse. A mon sens, celui-ci qui refusa le cadeau témoigna d'une âme plus grande que celui-là qui le lui proposa", Elien, Histoires diverses V.5). En -373 un différend apparaît entre Thèbes et Platées, qui a été reconstruite et repeuplée à la faveur de la paix d'Antalcidas. Dernière cité indépendante de Béotie, craignant d'être asservie à Thèbes comme ses voisines, Platées appelle Athènes au secours. Mais les Thébains devancent le secours athénien : ils profitent que les Platéens sont éparpillés dans leurs champs pour investir leur ville et en prendre le contrôle, puis ils expulsent les Platéens avec femmes et enfants vers Athènes et rasent la ville ("A cette époque [sous l'archontat de Socratidès en -374/-373], des habitants de Platées en Béotie voulurent livrer leur cité aux Athéniens, ils leur demandèrent d'envoyer une troupe. Les notables de la Béotie en furent indignés et se hâtèrent de devancer les soldats athéniens. Ils envoyèrent des forces considérables, qui lancèrent une brusque attaque près des murs de Platées. Les citoyens sortis pour accueillir la troupe qu'ils attendaient, furent enveloppés par surprise, et presque tous capturés par les cavaliers thébains. Ceux qui réussirent à se replier dans leur ville, isolés, sans le soutien de la troupe attendue [athénienne], se rendirent rapidement aux conditions du vainqueur. Ils purent quitter la ville avec leurs meubles à condition de ne jamais remettre les pieds en Béotie. Ensuite les Thébains rasèrent Platées, puis ils assiégèrent la cité de Thespies qui s'opposait à eux. Les exilés de Platées se réfugièrent à Athènes avec femmes et enfants", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.46 ; "Les Spartiates assiégèrent la cité [de Platées] et la prirent pendant la guerre du Péloponnèse contre les Athéniens [en -427 selon Thucydide, Guerre du Péloponnèse III.52], elle fut rétablie à l'époque de la paix que le Spartiate Antalcidas conclut au nom des Grecs avec le Grand Roi des Perses. Les Platéens alors réfugiés à Athènes, y revinrent. Mais ils éprouvèrent vite un nouveau malheur. Aucune guerre officielle n'existait entre eux et les Thébains. Mais aux Platéens qui déclaraient qu'aucun motif de conflit n'existait puisqu'ils n'avaient pas participé au projet ni à l'exécution de la prise de La Cadmée par les Spartiates, les Thébains répliquaient que la paix était caduque puisque, étant l'œuvre des Spartiates, ceux-ci l'avaient rompue en la violant eux-mêmes. Les Platéens étaient donc inquiets vis-à-vis des Thébains, ils veillaient soigneusement à sécuriser leur cité. Ceux qui possédaient des terres à distance de la ville n'y allaient pas quotidiennement, ils attendaient les jours où ils savaient que l'Ekklesia thébaine se rassemblait pour pouvoir s'y rendre. Néoclès, béotarque de Thèbes, informé de cette habitude des Platéens, ordonna aux Thébains de se présenter à l'Ekklesia en armes, puis il les conduisit rapidement vers Platées, non pas par le chemin le plus court à travers la plaine, mais par le chemin d'Hysies se prolongeant vers Eleuthères et vers l'Attique, vide de sentinelles, conduisant juste sous les murs de Platées en une demi-journée. Croyant les Thébains à leur Ekklesia, les Platéens allèrent sur leurs terres. Et ils retrouvèrent leur ville portes closes, ceux qui étaient restés à l'intérieur ayant capitulé face aux Thébains. Ceux-ci permirent aux hommes de partir avec un vêtement, et aux femmes avec deux vêtements, avant le coucher du soleil. C'est ainsi que les Platéens subirent l'inverse de ce qu'ils avaient vécu à l'époque d'Archidamos II : les Spartiates [en -427] les avaient assiégés avec un double mur pour les empêcher de sortir de leur ville, les Thébains au contraire les vainquirent en les empêchant d'y rentrer. Cette seconde prise de Platées eut lieu trois ans avant la bataille de Leuctres, sous l'archontat d'Asteios à Athènes [en poste entre juillet -373 et juin -372]. Les Thébains rasèrent totalement la ville à l'exception des temples. La façon dont elle fut prise sauva les Platéens, qui furent recueillis à nouveau par les Athéniens", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 1.4-8).


Les négociations se poursuivent l'année suivante, en -372, toujours avec les ambassadeurs perses comme médiateurs intéressés. Athéniens et Spartiates, de plus en plus inquiets, conviennent de leur neutralité réciproque tant que le problème thébain ne sera pas résolu ("Les Athéniens constatèrent que, grâce à eux, la puissance des Thébains augmentait, alors que ces derniers ne contribuaient nullement à l'entretien de leur flotte, et qu'eux-mêmes s'épuisaient dans les dons d'argent, dans les brigandages des Eginètes, dans l'entretien des postes-frontières. Ils désirèrent la fin de la guerre. Ils envoyèrent des députés à Sparte, et conclurent la paix", Xénophon, Helléniques, VI, 2.1). Puis ils convoquent tous les ambassadeurs des cités grecques à Sparte, pour redéfinir la paix d'Antalcidas de -386. Epaminondas représente Thèbes. Parmi les députés athéniens, on trouve le vieux dégénéré désargenté Callias III ("Voyant leurs alliés de Platées chassés de Béotie et obligés de se réfugier chez eux, puis les Thespiens les suppliant de les aider à sauver leur patrie, les Athéniens n'approuvèrent plus les Thébains. Ils réfléchirent avec embarras que l'aide militaire qu'ils apportaient à ces derniers allait contre leurs propres intérêts. Finalement, quand ils apprirent que les Thébains marchaient contre les Phocidiens, anciens alliés d'Athènes, et rasaient des cités qui avaient témoigné leur fidélité durant la guerre contre les barbares [c'est-à-dire contre les Perses], ils voulurent rompre leur alliance. Désirant la paix, le peuple décréta l'envoi de députés vers les Thébains afin de les inviter à les accompagner à Sparte pour y discuter de ce sujet. Parallèlement, les Athéniens envoyèrent [à Sparte] des députés choisis, dont Callias III fils d'Hipponicos II, Autoclès fils de Strombichidès, Démostratès fils d'Aristophon, Aristoclès, Kèphisodotos, Mélanopos et Lycanthos", Xénophon, Helléniques, VI, 3.1-2). Les discussions sont rapportées longuement par Xénophon (Helléniques, VI, 3.3-20), nous ne nous y attarderons pas ici pour ne pas déborder du cadre de notre étude, disons simplement que toutes les cités signent la paix sauf Thèbes, qui reste sur sa position de l'année précédente : Thèbes refusera de signer tant que Spartiates et Athéniens ne reconnaitront pas son hégémonie sur la Béotie, ou tant qu'eux-mêmes ne renonceront pas à leur hégémonie sur la Laconie et l'Attique. Tous les délégués quittent Sparte, dont les Thébains qui, n'ayant rien cédé, ont perdu de facto leur alliance avec Athènes et se retrouvent seuls en guerre contre Sparte ("Les Spartiates jurèrent pour eux et pour leurs alliés, les Athéniens et chacun de leurs alliés jurèrent également. Les Thébains furent inscrits parmi les cités ayant juré. Mais le lendemain leurs députés revinrent pour demander que les Béotiens ayant juré fussent intégrés aux Thébains. Agésilas II répondit qu'on ne changerait pas les serments inscrits, il consentit seulement à les effacer du traité s'ils l'exigeaient. La paix ayant été conclue avec tous les peuples, les Thébains étant les seuls à contester, les Athéniens calculèrent que ceux-ci seraient, selon l'expression, “décimés” ["dekateuqÁnai"]. Les Thébains se retirèrent, complètement découragés", Xénophon, Helléniques, VI, 3.19-20 ; "A cette époque [sous l'archontat d'Alkisthénès en -372/-371] le Grand Roi Artaxerxès II, voyant toute la Grèce divisée et troublée, y envoya des ambassadeurs pour inviter toutes les cités à terminer leurs querelles et à rentrer en paix les unes avec les autres aux conditions conclues précédemment [par la paix d'Antalcidas]. Toutes les cités se plièrent à cette proposition et renouvelèrent la paix, sauf Thèbes. Les Thébains déclarèrent que la Béotie avait toujours été une nation soudée sous un gouvernement unique, et qu'ils n'acceptaient pas que chaque cité décidât isolément et prêtât serment en son nom propre. Ils s'excluèrent ainsi de la convention générale, comme auparavant [lors de la précédente tentative d'Artaxerxès II sous l'archontat d'Hippodamos en -375/-374 selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.38 précité], parce qu'ils voulurent inféoder la Béotie sous leur seul nom", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.50 ; "Tous les Grecs décidèrent de conclure la paix, et des ambassadeurs de toute la Grèce se réunirent à Sparte pour en régler les conditions. L'un d'eux était Epaminondas, homme illustre par sa culture et sa sagesse, mais qui n'avait pas encore preuvé sa valeur militaire. Voyant tous les autres s'incliner devant Agésilas II, il fut le seul à parler avec fierté et franchise. Il plaida non pas la cause des Thébains mais celle de tous les Grecs, montrant que la guerre grandissait Sparte aux dépens du reste de la Grèce, et invitant les négociateurs à établir la paix sur l'égalité et la justice car elle se maintiendrait seulement si tous les peuples étaient égaux. Les Grecs étant séduits par le discours d'Epaminondas qui retenait toute leur attention, Agésilas II lui demanda s'il croyait juste et égal l'indépendance de la Béotie. Epaminondas retourna promptement et hardiment la question en lui demandant s'il croyait juste l'indépendance de la Laconie. Agésilas II bondit et, d'un ton irrité, l'incita à dire clairement s'il voulait laisser la Béotie indépendante. Epaminondas riposta comme la première fois : “Oui, si tu laisses la Laconie indépendante”. Agésilas II prit si mal cette attitude qu'il invoqua le premier prétexte pour se retirer, il effaça du traité le nom des Thébains et leur déclara la guerre", Plutarque, Vie d'Agésilas II 27-28 ; "[Epaminondas] fut envoyé comme ambassadeur à Sparte pour péréniser la paix dite “d'Antalcidas” imposée par les Spartiates à tous les Grecs. Agésilas II lui demanda si les Thébains permettaient aux cités béotiennes de jurer la paix chacune en leur nom : “Nous le permettrons, répondit Epaminondas, si tu permets toi-même à toutes les cités de ton pays [la Laconie] de jurer de la même manière”", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.2 ; "Les députés de tous les alliés s'étant réunis à Sparte, [Epaminondas] dénonça si fortement la tyrannie des Spartiates devant cette grande assemblée de députés, que son discours ébranla leur puissance autant que la bataille de Leuctres peu après provoqua la défection des alliés de Sparte", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.6). Les Spartiates ne sont pas ravis de cette manœuvre diplomatique, ni de devoir batailler contre les Thébains car ils ont bien mesuré la haute valeur militaire de ceux-ci les années précédentes. Ils se préparent aussitôt en conséquence ("Mécontents de la position [des Thébains] [ayant refusé de signer la paix], les Spartiates résolurent de les attaquer avec une armée nombreuse. Officiellement ils les traitèrent comme ennemi public, officieusement ils jalousaient leur essor et redoutaient que, devenus seuls maîtres de la Béotie, ils les remplaçassent à terme comme seuls maîtres de la Grèce. Les Thébains s'exerçaient en permanence pour acquerir une prodigieuse vigueur physique. Leur élan combattif était supérieur à celui de tous les autres peuples de la Grèce. J'ai déjà parlé de l'excellence de leurs trois capitaines Epaminondas, Gorgias et Pélopidas, en regard de leurs contemporains pourtant remarquables. La cité de Thèbes jouissait de la gloire héroïque de ses fondateurs, et des épreuves passées où elle avait témoigné de sa prudence et de son courage. Les Spartiates se préparèrent en conséquence : ils levèrent un grand nombre de troupes parmi leurs propres citoyens et dans toutes les cités qui leur étaient encore fidèles", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.50). Les éphores demandent à Cléombrote, toujours positionné en Phocide avec son contingent débarqué fin -374 ou début -373, de marcher vers la cité de Thèbes si les Thébains persistent à refuser l'autonomie des cités béotiennes. Parallèlement, selon les conventions récemment signées, les Spartiates retirent leurs troupes des dernières cités qu'ils occupaient et les envoient en renfort à Cléombrote vers la Béotie, et les Athéniens évacuent pareillement les cités qu'ils ont reprises aux Spartiates depuis deux décennies ("Les Athéniens retirèrent leurs troupes [des places conquises], ils rappelèrent Iphicrate et la flotte en le contraignant à restituer toutes ses conquêtes en vertu du serment prêté aux Spartiates. Les Spartiates retirèrent pareillement leurs harrnostes et leurs garnisons de toutes les cités, seul Cléombrote demeura en Phocide avec son contingent. […] Quand Cléombrote apprit que la paix était signée, il demanda aux éphores ce qu'il devait faire. Ceux-ci lui ordonnèrent de marcher contre les Thébains s'ils persistaient à ne pas reconnaître l'indépendance des cités béotiennes", Xénophon, Helléniques, VI, 4.1-3 ; "L'année où Phrasikleidès fut archonte d'Athènes [en -371/-370], à Rome les huit tribuns militaires Publius Manius, Caius Erenucius, Caius Sextius, Tiberius Julius, Lucius Labinius, Publius Trebonius, Caius Manlius et Lucius Antistius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Thébains qui s'étaient exclus de la paix générale se retrouvèrent seuls face aux Spartiates, aucune cité ne put se joindre à eux. Sparte en conçut beaucoup d'espoirs, elle pensait vaincre facilement Thèbes et la mettre dans ses fers. Les autres peuples de la Grèce, spectateurs des faits, partageaient cet avis : ceux inclinaient ou respectaient les Thébains les plaignaient à l'avance et croyaient les voir déjà au comble de l'infortune, et ceux qui ne les aimaient pas se réjouissaient de leur malheur imminent. Les Spartiates ayant rassemblé toutes leurs troupes en donnèrent le commandement à leur roi Cléombrote. Au préalable ils envoyèrent des ambassadeurs à Thèbes pour exiger à nouveau la reconnaissance par les Thébains de l'indépendance des cités béotiennes, l'amnistie pour tous les gens de Platées et de Thespies qu'ils avaient chassés et la restitution de toutes les terres alentours à leurs anciens propriétaires. Les Thébains répondirent que, puisqu'ils ne se mêlaient pas des affaires territoriales de la Laconie, ils n'estimaient pas légitimes les prétentions des Spartiates dans les affaires territoriales de la Béotie. Sur cette réponse, Cléombrote fut envoyé vers la région de Thèbes pour y positionner son contingent", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.51). Les Thébains ne cèdent pas à l'ultimatum. En conséquence, au printemps -371, obéissant aux éphores, Cléombrote franchit la frontière de Phocide, il pénètre en Béotie. Il campe à Leuctres près de Thespies, où l'armée thébaine arrive pour le combattre ("Quand il vit que [les Thébains] ne rendaient pas leur liberté aux cités et ne licenciaient pas leur armée afin de l'opposer aux Spartiates, [Cléombrote] conduisit son contingent vers la Béotie. Les Thébains pensaient qu'il passerait par un défilé en Phocide et y avaient installé une troupe en conséquence. Mais il s'avança à l'improviste à travers le pays montagneux de Thisbé, il arriva à la cité fortifiée de Creusis, qu'il prit en accaparant douze trières thébaines. Ensuite il s'éloigna de la mer et vint camper à Leuctres, sur le territoire de Thespies. Les Thébains, avec pour seuls alliés les Béotiens, prirent position sur une hauteur proche en face", Xénophon, Helléniques, VI, 4.3-4 ; "[Epaminondas] prit de force le défilé étroit de Coronée et y installa son camp. Apprenant que ce poste était occupé, Cléombrote prit une autre route. Il longea le rivage accidenté du golfe [de Crissa/Corinthe] et quitta ainsi la Phocide pour entrer en Béotie sans autre difficulté, il réussit même à prendre quelques navires et plusieurs forteresses. Il arriva finalement à Leuctres, où il dressa son camp et laissa à ses soldats le temps de se reposer", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.52-53 ; "La guerre étant déclarée entre Thébains et Spartiates, ces derniers marchèrent avec toutes leurs forces et celles de leurs alliés contre les Thébains. Epaminondas se posta au-dessus du Céphise avec une partie de son armée, croyant que les Péloponnésiens entreraient par là. Mais le roi spartiate Cléombrote tourna vers Ambryse en Phocide, il tua Chairéas et les autres Thébains chargés de garder ce passage, il le franchit et s'avança jusqu'à Leuctres en Béotie", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.3). Le tyran thessalien Jason de Phères intervient soudain pour proposer une trêve, qui est acceptée par les Thébains et par Cléombrote ("Mille cinq cents fantassins et cinq cents cavaliers thessaliens envoyés par Jason arrivèrent pour aider les Thébains. Celui-ci proposa d'abord une trêve aux deux parts, en insistant sur les incertitudes de la fortune. Les deux parts acceptèrent la proposition, Cléombrote signa la trêve et repartit avec son armée", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.54). Mais les deux parts reviennent vite sur leur position. Cléombrote est poussé à la bataille autant par ses amis, qui ne supportent pas ses hésitations depuis -377 ni les succès passés d'Agésilas II en comparaison, que par ses ennemis, qui le soupçonnent de lâcheté et de connivence avec les Thébains. Quand on apprend la venue d'un contingent spartiate de renfort dirigé par Archidamos fils d'Agésilas II, Cléombrote ne peut plus se défiler ("Les amis de Cléombrote l'abordèrent pour lui dire : “O Cléombrote, si tu laisses les Thébains se retirer sans combat, tu risques d'être condamné par notre cité. On rappellera que tu es venu à Cynocéphales sans saccager la moindre terre des Thébains [en -377], que dans ton expédition suivante tu n'as pas réussi à passer le Cithéron [en -374] alors qu'Agésilas II a réussi à pénétrer dans leur pays [en -376 et en -375]. Vois ton intérêt. Tu dois affronter ces gens”. Tel fut le discours de ses amis. Ses ennemis quant à eux disaient : “Voyons s'il favorise réellement les Thébains, comme nous le pensons”. En entendant cela, Cléombrote se détermina à engager la bataille", Xénophon, Helléniques, VI, 4.4-6 ; "Après avoir signé la trêve, Cléombrote ramenait son armée depuis la Béotie, lorsqu'il reçut un puissant secours de Spartiates et d'alliés commandés par Archidamos fils d'Agésilas II. Les Spartiates, voyant les grands préparatifs des Béotiens et redoutant leur courage inébranlable, avaient envoyé à leur stratège une seconde armée afin de compenser par le nombre l'intrépidité de leurs adversaires. Quand ces forces furent réunies, les Spartiates se jugèrent honteux de craindre le courage de leurs ennemis. Ils ignorèrent donc la trêve qu'ils venaient de signer et revinrent sur leurs pas dans la campagne de Leuctres", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.54 ; nous ne retenons pas la version de Cornélius Népos, qui affirme qu'Agésilas II a envoyé son fils Archidamos à Leuctres parce qu'il pressentait l'infériorité spartiate et ne voulait pas tacher son nom par une défaite ["Vint la journée de Leuctres, si désastreuse pour les Spartiates. Pressé par une foule de citoyens d'entrer en campagne, Agésilas II s'y refusa, comme s'il eût prévu l'issue de la bataille", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVII.4], nous avons vu qu'Agésilas II ne participe plus aux opérations militaires simplement parce qu'il est toujours invalide suite à son hémorragie à la jambe ; contre Cornélius Népos, Plutarque affirme au contraire qu'Agésilas II a poussé à la guerre contre Thèbes par fol orgueil, contre l'avis de beaucoup de Spartiates et de leurs alliés ["Cléombrote se trouvait à ce moment en Phocide avec des troupes. Les éphores lui ordonnèrent de conduire son armée contre les Thébains. Ils sollicitèrent aussi leurs alliés dans une coalition, mais ceux-ci manquaient d'enthousiasme et étaient las de la guerre, même s'ils n'avaient pas encore le courage de contredire les Spartiates et de leur désobéir. Des mauvais présages se produisirent, comme je l'ai écrit dans ma Vie d'Epaminondas [perdue], et le Laconien Prothoos s'opposa à l'expédition, mais Agésilas II ne se laissa pas dissuader, il s'obstina dans la guerre, sûr que, toute la Grèce étant désormais unie et les Thébains exclus du traité, l'occasion était idéale de les punir", Plutarque, Vie d'Agésilas II 28]). Les stratèges thébains de leur côté sont poussés par Epaminondas ("Les Béotiens s'avancèrent du même côté [que les Spartiates] en passant par les hauteurs. Ils virent que les ennemis couvraient toute la campagne de Leuctres. L'aspect d'une si grande armée les surprit et les effraya. Les béotarques tinrent conseil sur l'homme capable d'affronter une armée supérieure à la leur, ou sur la nécessité de trouver un lieu plus avantageux pour leurs effectifs inférieurs. Les avis furent partagés à égalité : sur les six béotarques, trois opinèrent pour la retraite, et les trois autres dont Epaminondas voulaient la bataille. La dispute était vive et animée, quand le septième béotarque arriva. Epaminondas le gagna par ses raisons, ainsi son avis prévalut et la bataille fut décidée", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.53), épaulé par Pélopidas qui commande le Bataillon Sacré ("Les Spartiates ayant signé la paix avec tous les autres Grecs afin de concentrer toutes leurs forces contre les Thébains, leur roi Cléombrote envahit la Béotie avec dix mille fantassins et mille cavaliers. Les Thébains furent menacés non seulement de perdre leur liberté comme dans les guerres précédentes, mais encore d'êttre totalement ruinés, jamais la Béotie ne fut plus frappée d'une plus grande terreur. Pélopidas quitta sa maison pour rejoindre l'armée, sa femme en larmes l'accompagna jusqu'à l'entrée en l'exhortant à se protéger : “O femme, dit-il, tes prières sont bonnes pour les simples soldats, non pas pour les stratèges qui doivent protéger les autres”. Arrivé au camp, il trouva les béotarques divisés. Il se rallia le premier à l'avis d'Epaminondas, qui voulait livrer bataille à l'ennemi. Pélopidas n'était pas béotarque à ce moment, mais il commandait le Bataillon Sacré et jouissait d'un grand crédit lié à ses actions passées pour la liberté. On résolut de livrer bataille. Les Spartiates étaient campés près de Leuctres", Plutarque, Vie de Pélopidas 20). Epaminondas parvient à convaincre les chefs thébains que leur infériorité numérique est compensée par leur expérience et leur courage ("Les béotarques n'étaient pas d'accord entre eux : Epaminondas, Timarchidès et Xénocratès voulaient attaquer les Spartiates le plus promptement possible, tandis que Damoclidas, Damophilos et Simangelos ne voulaient pas d'une bataille, ils proposaient d'envoyer femmes et enfants vers l'Attique et de se préparer à un siège. Les six chefs étaient ainsi divisés, quand le septième béotarque nommé “Branchyllidès”, qui gardait les chemins vers le mont Cithéron, revint au camp. Il se rangea à l'avis d'Epaminondas. La bataille fut décidé d'un commun accord", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 1.6-7), et que Thèbes n'a plus rien à perdre ("Les chefs thébains estimèrent que s'ils refusaient la bataille, les cités voisines de Thèbes les abandonneraient, qu'eux-mêmes seraient assiégés, et que si le peuple de Thèbes manquait de vivres il finirait par se retourner contre eux. Certains étaient des anciens exilés, qui pensèrent que mieux valait mourir au combat que subir un nouvel exil", Xénophon, Helléniques, VI, 4.6).


Nous sommes à l'été -371, sous l'archontat de Phrasikleidès (en poste entre juillet -371 et juin -370, selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.51 précité), au mois d'hecatombaion (soit mi-juillet à mi-août dans le calendrier chrétien) selon Plutarque ("Le traité fut conclu à Sparte le 14 skirophorion [mi-juin à mi-juillet dans le calendrier chrétien], et [les Spartiates] furent vaincus à Leuctres une vingtaine de jours plus tard, le 5 hecatombaion", Plutarque, Vie d'Agésilas II 28 ; "Les Béotiens voient le 5 du mois d'hippodomion, équivalent du mois d'hecatombaion chez les Athéniens, comme un jour heureux, car ce jour est associé à deux victoires célèbres qui donnèrent la liberté à la Grèce : celle de Leuctres [en -371] et, deux siècles plus tôt, celle de Keressos où ils défirent le Thessalien Lattamyas [tyran aleuade de Larrissa de la fin de l'ère archaïque ; la défaite de Lattamyas est évoquée rapidement par Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.2-3, et incidemment par Plutarque dans son Sur la malignité d'Hérodote ; le site archéologique de Keressos se trouve sur une hauteur au nord-ouest de Thespies]", Plutarque, Vie de Camille 19). La bataille qui commence va révolutionner l'art de la guerre chez les Grecs, qui imposeront cette révolution au monde via l'épopée alexandrine, jusqu'à l'arrivée de la légion romaine. Nous éprouvons donc le besoin de nous y arrêter pour en décortiquer ses raisons et ses développements. Jusqu'alors, les Grecs se battaient comme tous les peuples : en ligne. Quand deux adversaires entrent au contact, chaque soldat vient naturellement se placer à côté de son camarade, face à un soldat ennemi. Chacun des deux adversaires se déploie ainsi sur sa droite et sur sa gauche pour couvrir la plus large étendue de terrain, afin de ne pas être débordé et enveloppé par l'ennemi. Deux lignes se forment, face-à-face. Or les soldats sont majoritairement droitiers, et les gauchers doivent suivre la majorité, tous les soldats portent donc leur épée offensive à la main droite et leur bouclier défensif au bras gauche. Au moment où, après un temps d'intimidation réciproque, les deux lignes s'élancent l'une contre l'autre et le corps-à-corps commence, chaque soldat tend naturellement à se protéger des coups que le soldat ennemi lui inflige sur son côté droit découvert. Dès le Vème siècle av. J.-C., Thucydide remarque que cela provoque toujours un basculement général de la ligne : les soldats de l'aile droite, qui sont l'aile offensive mais aussi l'aile la plus exposée, avancent en attirant leurs camarades du centre, et les soldats du centre avancent en attirant leurs camarades de l'aile gauche, autrement dit la ligne très étendue au début de la bataille se resserre toujours vers la droite lors de la mêlée. Le même phénomène s'observe du côté adverse. S'ensuit un tassement de la ligne vers l'aile droite côté ami et vers l'aile gauche côté ennemi, qui se transforme en méli-mélo sanglant où l'expérience, l'audace, l'endurance, l'habileté, la couardise ou le courage font peu à peu la différence, et donnent finalement la victoire à l'un ou l'autre camp ("Un phénomène se reproduit chaque fois qu'une armée marche à l'ennemi : la ligne tend à incliner progressivement vers la droite, de sorte que l'aile droite de chacune des armées qui s'affrontent finit par déborder l'aile gauche de l'adversaire. Ceci est un effet de la peur qui amène chaque homme à s'abriter derrière le bouclier de son voisin de droite afin de se couvrir du côté où il est vulnérable, car c'est derrière un mur de boucliers serrés les uns contre les autres que les soldats se sentent le mieux protégés. Le premier responsable de ce mouvement est l'homme placé à l'extrémité de la ligne à droite : il cherche continuellement à dérober aux coups de l'ennemi son flanc découvert, et les autres poussés par la même crainte en font autant", Thucydide, Guerre du Péloponnèse V.71). Lors de la bataille de Mantinée en -418, le roi spartiate Agis II a tenté de remédier à ce problème en envoyant une partie de ses troupes vers son aile gauche pour la renforcer, contenir l'allant offensif ennemi dans cette partie du front, inquiéter l'ennemi, et finalement le repousser. La manœuvre a cafouillé lors de l'exécution, car c'était la première fois qu'une armée grecque tentait cette tactique, mais l'idée était bonne. Même mal exécutée, elle a apporté la victoire à Agis II. Pour comprendre l'efficacité de ce dispositif, on peut évoquer la guillotine. On se souvient que, selon les mémoires apocryphes du bourreau Charles-Henri Sanson, le premier exemplaire de la guillotine avait une lame en forme de croissant. Quand le chirurgien Antoine Louis, concepteur de la machine, se rend aux Tuileries le 2 mars 1792 avec le docteur Guillotin et le bourreau Sanson pour présenter son invention au roi Louis XVI, ce dernier remarque que la forme de la lame ne garantit pas une efficacité totale. Louis XVI prend un crayon et corrige le dessin d'Antoine Louis en donnant à la lame une forme oblique, comme une lame de cutter, en expliquant que cette forme oblique assure un tranchant parfait sans nécessiter un effort particulier ("[Antoine Louis] passa le dessin [de la guillotine] à celui qui l'avait interrogé [Louis XVI]. Celui-ci le considéra un instant en silence, puis il finit par secouer la tête en signe de doute. “Ce fer en forme de croissant est-il bien là ce qu'il faut ? Croyez-vous qu'un fer ainsi découpé puisse s'adapter à tous les cous ? Il en est qu'il ne ferait qu'entamer, et d'autres qu'il n'embrasserait même pas.” […] Charles-Henri Sanson fut frappé de la justesse de son observation, et, portant machinalement les yeux sur le cou du roi, que de minces cravates de dentelles laissaient toujours découvert, il remarqua que ce prince, du reste très vigoureusement constitué, avait un cou musculeux dont les proportions dépassaient de beaucoup le croissant indiqué par le crayon de Schmidt. Un frémissement involontaire s'empara de lui, et comme il restait plongé dans une sorte de rêverie il entendit encore la voix du roi qui disait bas au docteur [Antoine] Louis, en le désignant du regard : “Est-ce l'homme ?” [c'est-à-dire : "Est-ce le bourreau ?"]. Le docteur fit un signe affirmatif. “Demandez-lui son opinion”, reprit alors Louis XVI. “Vous avez entendu l'observation de Monsieur [Louis XVI], fit le médecin du roi [Antoine Louis] : quelle est votre manière de voir sur la forme du couperet ?” “Monsieur [Louis XVI] a parfaitement raison, répondit mon grand-père [Charles-Henri Sanson] en appuyant avec une certaine affectation sur le mot « Monsieur », la forme du couperet pourrait amener quelques difficultés.” Le roi sourit d'un air satisfait, puis, prenant une plume sur la table du docteur [Antoine] Louis, il corrigea le dessin en substituant au croissant une ligne oblique. “Du reste, je puis me tromper, ajouta-t-il, et lorsqu'on fera des expériences il faudra essayer les deux manières.” Puis il se leva et se retira en saluant de la main", Henri-Clément Sanson, Mémoires des Sanson, sept générations d'exécuteurs III.17)… et Louis XVI éprouvera sur lui-même quelques mois plus tard la justesse de sa correction ! A Leuctres en -371, Epaminondas reprend l'idée d'Agis II, en la multipliant : il déséquilibre volontairement la ligne des soldats thébains en concentrant le gros des effectifs sur son aile gauche, donnant à l'armée thébaine une forme de couperet de guillotine ou de lame de cutter, il oppose une masse de cinquante rangs de Thébains à une masse de seulement douze rangs de Spartiates ("Les Spartiates placèrent leurs énomoties par trois, ils formèrent ainsi douze lignes de profondeur. Les Thébains de leur côté regroupèrent leurs hommes sur cinquante lignes du côté du roi [sur l'aile gauche défensive thébaine, face à l'aile droite offensive spartiate], calculant que s'ils résistaient de ce côté ils seraient facilement maîtres de tout le reste", Xénophon, Helléniques, VI, 4.12 ; "Epaminondas rangea le gros de ses troupes sur l'aile gauche afin de déséquilibrer le front, d'isoler du reste de l'armée des Spartiates leur aile droite commandée par Cléombrote, de faciliter son enfoncement et sa déroute par les Thébains", Plutarque, Vie de Pélopidas 23). Cette masse de cinquante rangs de profondeur sur l'aile gauche thébaine constitue la pointe de la lame qu'Epaminondas veut enfoncer dans l'aile droite spartiate comme dans du beurre, telle la pointe du cutter qui s'enfonce sans effort dans une feuille de papier, telle la pointe du couperet de la guillotine qui s'enfoncera sans effort dans le cou de Louis XVI. Pour accroître le déséquilibre de la ligne ennemie, Epaminondas ordonne aux Thébains de l'aile droite, dont il a dégarni les effectifs, de ne pas résister, et même de reculer dès que les Spartiates attaqueront : ainsi emportés dans leur élan sur leur aile gauche, les Spartiates se laisseront déborder sur leur aile droite par la monstrueuse masse thébaine de cinquante rangs, et seront enveloppés par cette masse quand celle-ci, après le succès facile du premier contact, pivotera sur leurs arrières ("Le roi Cléombrote et Archidamos fils du roi Agésilas II, deux stratèges du sang d'Héraclès, commandaient chacun l'une des deux ailes [spartiates]. Du côté thébain, Epaminondas opta pour une organisation inédite et brillamment imaginée, source de sa mémorable victoire. Sur l'aile qu'il commandait personnellement il assembla les meilleurs éléments de son armée, et il constitua l'autre aile avec les soldats les plus faibles, en leur ordonnant de battre en retraite au plus tôt et d'inciter les ennemis à les poursuivre. En biaisant le front de cette manière, il comptait envelopper l'adversaire et le vaincre par la valeur de ceux qu'il commandait personnellement", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.55). Pour mettre toutes les chances de son côté, Epaminondas place devant cette masse le Bataillon Sacré commandé par son compatriote et ami Pélopidas. Le Bataillon Sacré est un régiment fondé par Gorgidas, probablement inspiré du régiment d'élite argien des Mille ayant combattu contre Agis II à la bataille de Mantinée en -418 (lui-même peut-être inspiré par le corps perse des Mille, soldats d'élite sélectionnés parmi les Immortels, assurant la protection du Grand Roi). Ce régiment est constitué de cent cinquante couples homosexuels, Gorgidas ayant constaté que les homosexuels au combat s'excitent mutuellement par héroïsme et par sacrifice pour leur amant, tel Achille et Patrocle à l'ère mycénienne ("Gorgidas fut le créateur du Bataillon Sacré, constitué de trois cents hommes d'élite payés et logés par la cité dans La Cadmée, d'où son surnom “Bataillon de la cité”, parce que les citadelles étaient désignées alors comme des cités. Certains disent que les hommes constituant ce régiment étaient amants. Sur ce sujet on peut rapporter le propos de Pammenès, qui déclara un jour que “Nestor selon Homère n'était pas un bon tacticien en conseillant de souder les hommes « phratrie par phratrie, tribu par tribu » [Iliade II.363] plutôt que par l'amour, car face au danger les phratries et les tribus oublient leur intérêt commun tandis que les amants restent attachés par un lien invincible, les uns pour plaire, les autres pour ne pas se déshonorer”. Quand on pense que les hommes craignent leurs amants même quand ils sont absents, ce n'est pas étonnant en effet que les mêmes méprisent tous les autres quand ils sont face à eux. Cela est prouvé par le soldat qui, terrassé et prêt à être achevé par son ennemi, le supplie de percer sa poitrine afin que son amant n'ait pas la honte de le retrouver mort par un coup porté par-derrière", Plutarque, Vie de Pélopidas 18 ; "Pammenès, très expérimenté en amour, changea la tactique de nos troupes lourdement armées. Il accusa Homère d'avoir ignoré la puissance de l'amour en évoquant le regroupement des Grecs par phratries et par tribus. “Mieux vaut placer l'éromène à côté de l'éraste, dit-il, afin que casque et bouclier se soutiennent mutuellement, l'amour étant le plus invincible stratège”. On oublie facilement sa tribu en effet, sa famille, et même ceux à qui on doit le jour et ses propres enfants, en revanche aucun ennemi ne peut séparer l'éromène et l'éraste, au combat celui-ci et celui-là veulent toujours montrer spontanément leur ardeur pour le péril et leur mépris de la mort. Ainsi le Thessalien Théron appliqua sa main gauche sur une muraille, tira son épée et se coupa le pouce, en défiant d'un acte similaire celui qui lui disputait l'amour d'un jeune garçon. Un autre tomba le visage contre terre lors d'une bataille : il supplia son ennemi, prêt à le frapper, d'attendre un moment afin que son éromène ne le vît pas recevoir une blessure par-derrière", Plutarque, Sur l'amour 17 ; "Gorgidas fut le créateur du Bataillon Sacré. Cette troupe était constituée de trois cents hommes liés par l'amour le plus tendre. L'affection qu'ils éprouvaient les uns pour les autres garantissait leur union mutuelle, elle empêchait leur fuite et stimulait leur résolution de vaincre les ennemis ou de mourir tous ensemble", Polyen, Stratagèmes, II, 5.1 ; "Le péripatéticien Hiéronymos [de Rhodes, au IIIème siècle av. J.-C.] déclare que les unions entre garçons furent favorisées après qu'on eût constaté que la vigueur masculine conjuguée à une émulation réciproque provoquait la chute des régimes tyraniques, l'éraste préférant subir les pires tourments plutôt que passer pour un lâche aux yeux de son éromène. On peut rappeler le Bataillon Sacré d'Epaminondas à Thèbes, ou l'assassinat des Pisitratides par Harmodios et Aristogiton", Athénée de Naucratis, Déipnosophistes XIII.78 ; pour l'anecdote, Platon et Xénophon font incidemment allusion à ce Bataillon Sacré, le premier pour le vanter ["Si par magie une cité ou une armée était composée exclusivement d'amants et d'aimés, le peuple en tirererait le dégoût du vice et l'émulation à la vertu. Des hommes ainsi unis, même en nombre réduit, pourraient vaincre presque le monde entier. Car aucun amant ne souhaiterait quitter son rang ou jeter ses armes devant son aimé, il aimerait mieux mourir mille fois que consentir à cette honte, en supplément en abandonnant son aimé au péril", Platon, Le banquet 178e-179a], le second pour le railler ["Pausanias, amant du poète Agathon, a défendu ces plaisirs infâmes en disant qu'‟une armée d'amants est invincible parce que chacun rougirait de fuir”. Mais comment des hommes insensibles au blâme, qui s'encouragent mutuellement à ne pas avoir honte, pourraient être sensibles à la honte de fuir ? Il avance comme preuve de ce principe les Thébains et les Eléens, qui couchent ensemble et qui combattent sur la même ligne lors des batailles", Xénophon, Le banquet VIII.32-33] ; rappelons que l'homosexualité masculine est honorée et légitimée à Thèbes depuis l'ère mycénienne, suite au rapt de Chrysippe par Laïos ("Le premier exemple d'un amour dénaturé est celui de Laïos, qui enleva Chrysippe fils de Pélops, cette inclination est respectée chez les Thébains depuis cette époque", Elien, Histoires diverses XIII.5). A l'origine, Gorgidas a créé ce régiment comme une simple réserve d'hommes d'élite destinés à être disséminés sur toute la largeur de la ligne pour motiver les soldats ordinaires, mais, nous l'avons vu, Pélopidas le nouveau commandant du Bataillon Sacré l'a utilisé pour la première fois en un bloc, comme une pointe offensive, lors de la bataille près d'Orchomène en -375 (selon Plutarque, Vie de Pélopidas 19 précité), et cette innovation a contribué à la victoire. Se souvenant de ce précédent, Epaminondas à Leuctres ordonne à Pélopidas de regrouper les trois cents soldats d'élite du Bataillon Sacré devant l'aile gauche thébaine, afin de donner à la masse coupante de cinquante rangs l'allant qui renforcera son tranchant ("A la bataille de Leuctres, Epaminondas commanda l'armée, Pélopidas était à la tête de la troupe d'élite qui renversa la première ligne des Spartiates", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.4). Cette disposition inédite des troupes sur le champ de bataille de Leuctres est la première occurrence de ce que les historiens ultérieurs appelleront la "phalange" grecque ("f£lanx", à l'origine "gros morceau de bois rond, rouleau", puis par extension "ligne de front") : un rouleau-compresseur qui déséquilibre, biaise, brise la ligne habituelle des batailles en concentrant tous les efforts sur un point.


Les Thébains sont inférieurs en nombre. Epaminondas accentue cette infériorité numérique en demandant aux Thespiens, qui ne lui inspirent pas confiance parce qu'ils ont accueilli une garnison spartiate les années précédentes dans leur cité, de rentrer chez eux. Il calcule que mieux vaut une armée plus petite mais cohérente et motivée, qu'une armée plus grosse mais disparate et incertaine ("Epaminondas doutait de certains Béotiens, notamment des Thespiens. Craignant qu'ils trahissent les Thébains pendant la bataille, il permit à tous ceux qui le désiraient de quitter les rangs et de rentrer chez eux. Tous les Thespiens se retirèrent alors, avec d'autres Béotiens qui n'aimaient pas les Thébains", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.8 ; "Juste avant la bataille de Leuctres, Epaminondas qui dirigeait l'armée savait que les Thespiens le suivaient à contre-cœur. Pour éviter qu'ils se rebellassent pendant la bataille, il déclara : “Les Béotiens qui veulent se retirer, le peuvent”. Aussitôt les Thespiens partirent avec leurs armes. Ainsi Epaminondas conserva seulement les troupes sûres et bien disciplinées, dont la valeur lui apporta une glorieuse victoire", Polyen, Stratagèmes, II, 3.2). Les deux cavaleries ne sont pas comparables. Xénophon, d'ordinaire très élogieux pour les Spartiates, concède que la cavalerie spartiate est très mauvaise, constituée de chevaux d'apparat entretenus par des riches propriétaires, confiés arbitrairement à des cavaliers improvisés et sans conviction, elle n'a aucun poids face à la cavalerie thébaine constituée de chevaux de guerre, montés par des cavaliers expérimentés et endurcis par les multiples affrontements des années précédentes ("Les deux adversaires étaient séparés par une plaine. Les Spartiates placèrent leur cavalerie devant leurs lignes, face aux lignes thébaines. Mais les cavaliers thébains avaient l'expérience des guerres contre les Orchoméniens et les Thespiens, tandis que les cavaliers spartiates à cette époque étaient exécrables. En effet les chevaux étaient élevés par les citoyens riches, quand on décrétait une campagne chaque homme recevait le cheval qu'on lui désignait avec les armes, et il partait immédiatement. Et ces hommes à cheval étaient les soldats les plus faibles physiquement et les moins désireux de s'illustrer", Xénophon, Helléniques, VI, 4.10-11). C'est pourtant à cette très médiocre cavalerie que Cléombrote confie l'honneur d'engager le combat. Les cavaliers spartiates sont vite stoppés et chassés par les cavaliers thébains, qui entrainent derrière eux leurs compatriotes fantassins ("Cléombrote lança le premier assaut contre ses adversaires. Les cavaliers des deux camps étaient déjà au contact quand ses fantassins marchèrent en avant. Les cavaliers spartiates furent vite défaits. En fuyant, ils tombèrent sur leurs propres camarades hoplites, amenant derrière eux les régiments thébains qui les poursuivaient", Xénophon, Helléniques, VI, 4.13). Comme prévu, la pointe perçante du Bataillon Sacré et la masse coupante de cinquante rangs à l'aile gauche thébaine s'enfonce comme dans du beurre dans l'aile droite spartiate ("Cléombrote eut l'ascendant au début de la bataille. La preuve : il fut relevé et emporté sauf par son entourage, qui eurent un temps l'avantage. Mais quand le polémarque Deinon fut tué, puis son commensal Kléonymos fils de Sphodrias, les cavaliers et les lieutenants du polémarque comme tous les autres plièrent face au nombre et commencèrent à reculer", Xénophon, Helléniques, VI, 4.13-14 ; "Dès que les trompettes donnèrent le signal, les deux armées s'ébranlèrent en poussant les cris habituels. Les Spartiates s'avancèrent en donnant à leur ligne la forme arrondie qui leur était familière. Une des deux ailes béotiennes céda peu à peu le terrain selon les ordres, l'autre au contraire pressa le pas pour envelopper les ennemis. Le corps-à-corps demeura incertain pendant un temps à cause de l'émulation réciproque des deux parts. Mais la valeur personnelle d'Epaminondas secondée par la confiance et par le bon ordre de ses bataillons diminua prodigieusement les rangs de l'armée péloponnésienne, incapable de contenir les assauts des hommes d'élite qui tombaient sur elle. Dans le camp spartiate, les uns furent tués, les autres furent couverts de blessures par-devant", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.55 ; "[Les Spartiates] devinèrent son projet [à Epaminondas] et se repositionnèrent en conséquence, ils étendirent leur aile droite en espérant envelopper Epaminondas. Mais Pélopidas accourut rapidement avec le Bataillon Sacré, empêcha Cléombrote de se déployer à sa droite et le contraignit à revenir sur sa position initiale, en chargeant les Spartiates qui tardaient à revenir à leur poste. Les Spartiates étaient les plus grands spécialistes de la guerre, forts de leurs expériences passées ils excellaient notamment à ne pas se déranger et à ne pas se troubler, à garder leur ligne face à l'ennemi, à se secourir mutuellement en cas de danger ponctuel via leurs épistates ["™pist£thj", littéralement "qui supervise", d'où "chef, commandant"] et leurs zeugites ["zeug…thj", littéralement "qui peut acheter un attelage/zeàgoj", d'où "combattant lourdement armé"], à combattre unis et serrés. Mais dans cette bataille, Epaminondas ne s'intéressant qu'à leur aile droite et méprisant le reste de leur armée, et Pélopidas et son Bataillon Sacré fondant sur eux avec une audace et une rapidité déstabilisantes, toute leur science et toute leur fierté furent ébranlées. Les Spartiates subirent un carnage et une déroute sans précédents", Plutarque, Vie de Pélopidas 23). Cléombrote, qui commande cette aile droite spartiate, et qui défend sa vie avec une bravoure digne de ses ancêtres, est tué par Epaminondas lui-même, selon Diodore de Sicile ("[Epaminondas] tua de sa propre main le roi Cléombrote et tua presque tous les soldats qui le suivaient", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.39 ; "Tant que le roi Cléombrote fut vivant, le nombre et le zèle de ceux qui combattaient pour le défendre et qui sacrifiaient leur vie pour lui rendit la victoire incertaine. Mais quand, après s'être livré à tous les périls, après avoir combattu en héros, après avoir été couvert de blessures, il tomba finalement, tous les Spartiates qui étaient autour de son corps pour le préserver ou pour l'emporter furent massacrés impitoyablement", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.55 ; "A la bataille de Leuctres, Epaminondas commandait les Thébains, Cléombrote commandait les Spartiates. La victoire et la défaite balançaient entre les deux camps. Epaminondas dit aux Thébains : “Encore un pas, et nous vainquons !”. Ils le crurent, et vainquirent. Les Spartiates reculèrent et le roi Cléombrote mourut en combattant", Polyen, Stratagèmes, II, 3.4). L'aile droite spartiate ayant été totalement disloquée et dissoute, le Bataillon Sacré et la masse coupante thébaine déploient leur dynamisme vers les Spartiates survivants sur leur droite. L'affrontement devient plus indécis, les deux adversaires étant attisés par leurs raisons propres ("L'affrontement entre Spartiates et Thébains fut indécis, les premiers jouissant de leur ancienne expérience, animés par la crainte de ruiner la dignité de Sparte, les Thébains quant à eux étaient motivés par les dangers qui menaçaient leur patrie, leurs femmes et leurs enfants", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.9). Les Spartiates se dépensent avec l'énergie du désespoir. Quand ils voient avancer la masse des Thébains sur leur droite, ils plient ("Les troupes spartiates de l'aile gauche, voyant celles de l'aile droite encerclées, plièrent aussi", Xénophon, Helléniques, VI, 4.14), ils perdent leur cohérence alors que les Thébains marchent toujours implacablement au son de leurs aulos ("Les oracles divins avaient promis la victoire aux Spartiates chaque fois qu'ils combattraient au son des aulos, à condition que leurs adversaires n'y recourussent pas aussi. Cet oracle fut confirmé par la bataille de Leuctres. Les Spartiates se rangèrent contre les Thébains en se dispensant d'aulos, les Thébains au contraire en avaient selon leur habitude. Ainsi la victoire des Thébains accomplit l'oracle, qui avait prédit que les Spartiates perdraient s'ils ne recouraient pas à l'aulos", Polyen, Stratagèmes I.10). Et quand ils apprennent la mort de Cléombrote, les uns cèdent ("La nouvelle de la mort du roi parvint jusqu'aux dernières lignes [spartiates], la déroute fut alors générale. L'armée théaine poursuivit les fuyards et continua le massacre, remportant une victoire mémorable. En battant les soldats les plus réputés de la Grèce, en étant très inférieurs en nombre, ils prouvèrent leur immense courage", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.56) tandis que les autres choisissent de mourir l'arme à la main ("Plusieurs notables et le roi Cléombrote ayant été tués, les Spartiates restèrent malgré tout sur le champ de bataille car ils ne voulaient pas laisser aux ennemis le plaisir de prendre le corps de leur roi. Les Thébains remportèrent ainsi la victoire la plus éclatante jamais obtenue par des Grecs sur d'autres Grecs", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.10). Les rescapés se regroupent sur une hauteur proche. Ils évaluent l'étendue de la défaite : l'armée spartiate a été écrasée comme jamais dans son Histoire, cette défaite sur le champ de bataille est si absolue que les conséquences s'étendront bien au-delà du domaine militaire, les derniers alliés de Sparte déclareront leur indépendance, Sparte n'a même plus les moyens de protéger son propre territoire laconien puisque la majorité de ses meilleurs soldats ont été tués (Sparte subit une fatale "oliganthropie/Ñliganqrwp…a" ou "disette d'hommes", selon la célèbre formule d'Aristote : "Un autre défaut à signaler dans la Constitution de Sparte est la disproportion des propriétés. Les uns possèdent des biens immenses, les autres n'ont presque rien. Le sol appartient à quelques individus. La loi n'en est pas directement responsable puisqu'elle inflige avec raison une sorte de déshonneur à l'achat et à la vente d'un patrimoine, mais elle permet de disposer arbitrairement de son bien, soit par donation entre vivants, soit par testament, ce qui aboutit à la même conséquence dans les deux cas. […] Ce pays qui compte mille cinq cent cavaliers et trente mille hoplites, ne dispose en fait que d'un millier de combattants réels. Les faits ont montré le vice de cette situation provoquée par la loi : l'Etat n'a pu supporter une unique défaite [à Leuctres en -371], la disette d'hommes l'a tué. On dit que les premiers rois, pour pallier à ce défaut agravé par des longues guerres, ouvrit la citoyenneté aux étrangers, à l'époque on comptait environ dix mille Spartiates. Peu importe que cela soit vrai ou faux, le mieux pour un Etat est de maintenir toute sa population sous les armes en rendant les fortunes égales. Mais la loi sur le nombre d'enfants s'y oppose : afin d'accroître le nombre de citoyens spartiates, cette loi les incite à procréer le plus possible, ainsi le père de trois fils est exempt de garde, celui qui en a quatre est dispensé d'impôt, mais on devine facilement comment, en accroissant le nombre de citoyens sans toucher à la répartition du sol, on augmente en fait le nombre des malheureux", Aristote, Politique 1270a-b), l'hégémonie spartiate est terminée, et aucune force en Grèce n'est capable dorénavant de s'opposer aux Thébains. Ils agitent le drapeau blanc. Epaminondas leur accorde une trève pour qu'ils ramassent leurs morts ("Malgré le nombre des morts et leur défaite, les Spartiates repassèrent le fossé qui délimitait leur camp et se repositionnèrent en armes sur ce point de départ. Le camp n'était pas dans la plaine mais un peu en surplomb. Quelques Spartiates, jugeant qu'un tel revers était inacceptable, suggérèrent d'empêcher l'ennemi d'ériger un trophée et d'essayer d'enlever les morts par la force des armes, sans trêve. Mais, face aux mille Laconiens tués, et aux quatre cents Spartiates morts sur les sept cents initiaux, sentant par ailleurs que tous les alliés n'avaient plus le courage de combattre, que quelques-uns même étaient satisfaits de la tournure des événements, les polémarques rassemblèrent les principaux chefs sur les décisions à prendre. Tous réclamèrent une trêve pour relever les morts. Ils envoient un héraut la demander. Les Thébains dressèrent un trophée et accordèrent la trêve pour relever les morts", Xénophon, Helléniques, VI, 4.14-15), après avoir malignement demandé aux Thébains de ramasser les leurs, peu nombreux, afin que chacun puisse voir que les cadavres qui restent sont très majoritairement spartiates ("Le lendemain les Spartiates s'occupèrent à enterrer leurs morts. Ils envoyèrent un héraut aux Thébains. Sachant qu'ils excellaient à dissimuler leurs pertes, Epaminondas dit qu'il permettrait aux Spartiates d'enterrer leurs morts après que les alliés [des Thébains] eussent enlevé les leurs. Comme les alliés n'avaient aucune perte à déplorer ou très peu, on vit clairement que le gros des hommes restés sur le champ de bataille étaient des Spartiates. Ceux-ci furent enterrés. On compta quarante-sept morts du côté des Thébains et de leurs alliés béotiens, et plus de mille du côté spartiate", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 13.11-12). Puis il laisse les rescapés spartiates retourner à Sparte ("Aussitôt après la bataille, Epaminondas laissa tous les autres Péloponnésiens retourner dans leur patrie mais maintint les Spartiates enfermés dans Leuctres. Quand il apprit que d'autres Spartiates en provenance de leur cité venaient au secours de leurs compatriotes assiégés dans Leuctres, il négocia la reddition de ces derniers, jugeant plus avantageux de transporter la guerre de Béotie en Laconie", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.1). Ceux-ci arrivent au moment où la cité célèbre les Gymnopédies, fête estivale. Les éphores décident de maintenir la cérémonie, pour masquer leur abattement et ne pas désespérer la population ("Le messager qui apporta à Sparte la nouvelle de ce désastre [de Leuctres] arriva le derniers jour des Gymnopédies, au moment où le chœur des hommes était dans le théâtre. En apprenant cette défaite, je devine que les éphores furent affligés, mais ils ne dissolvèrent pas le chœur et maintinrent les jeux. Ensuite ils donnèrent les noms des morts à chacun de leurs parents, en demandant aux femmes de ne pas crier et de supporter leur malheur en silence. Le lendemain, on vit les parents des morts paraître en public gais et joyeux, tandis que les parents des survivants se montrèrent peu, l'air morne et honteux", Xénophon, Helléniques, VI, 4.16 ; "La cité était pleine d'étrangers, en pleine fête des Gymnopédies, les chœurs d'enfants nus concouraient au théâtre, quand arriva de Leuctres la nouvelle de la catastrophe. Les éphores comprirent tout de suite que Sparte avait perdu son empire, mais ils maintinrent les chœurs sur la scène et la ville en fête. Ils envoyèrent, maison par maison, annoncer les noms des morts à leurs parents, tandis qu'ils veillèrent personnellement à la bonne tenue des spectacles et à la régularité du concours. A l'aube du jour suivant, tous connaissaient les survivants et les tués, les pères, beaux-pères et proches des défunts descendirent sur l'agora et se serrèrent la main d'un air radieux, pleins de fierté et de satisfaction, les pères des survivants quant à eux restèrent à domicile avec leurs femmes, comme s'ils étaient en deuil, si l'un d'eux sortait par nécessité il témoignait son humiliation par son attitude, sa voix, son regard, se rapetissant autant que possible. Le pire fut pour les femmes : on devinait que les unes à leur mine abattue et silencieuse attendaient le retour de leurs fils échappés du désastre, et que les autres qui se rendaient dans les temples et se congratulaient avec joie et orgueil étaient les mères des soldats tombés au champ d'honneur", Plutarque, Vie d'Agésilas II 29). Et Agésilas II se propose spontanément comme législateur, pour tenter de maintenir la gloire de sa cité en lui offrant son nom glorieux, ne pouvant plus lui offrir son bras devenu sénile et sa jambe toujours malade ("On hésita à infliger à ceux qui avaient fui le combat, qualifiés de “poltrons” ["tršsantaj", littéralement "qui tremble"], la dégradation civique prévue par la loi, car ils étaient nombreux et puissants et on craignit une révolution de leur part. Non seulement la loi exclut ces coupables de toute magistrature, mais encore marier une femme à l'un d'eux ou en recevoir une de ses mains est une infamie, ceux qui les croisent peuvent les frapper à loisir, ils doivent sortir dans une tenue sale et vile, porter des manteaux rapiécés avec des loques de toutes couleurs, raser la moitié de leur barbe et laisser pousser l'autre moitié. Infliger une telle infâmie à autant de gens dans une cité qui avait un grand besoin de soldats, était dangereux. On demanda à Agésilas II de décider. Il n'ajouta rien aux dispositions officielles, n'y retira rien et n'y changea rien, il se présenta devant l'Ekklesia et dit : “Aujourd'hui nous devons laisser les lois en sommeil, et demain nous les conserverons pour l'avenir”. Ainsi la cité gardait ses lois, et les coupables gardèrent leur honneur. Par ailleurs, afin d'arracher les jeunes gens à leur découragement et à leur tristesse, il envahit l'Arcadie, en évitant soigneusement tout combat contre la population il prit un petit bourg dépendant des Mantinéens [alliés de Sparte], cela allégea les soucis de Sparte et lui rendit un peu d'entrain, en la convainquant que la situation n'était pas absolument désespérée", Plutarque, Vie d'Agésilas II 30 ; "A la bataille de Leuctres, beaucoup de Spartiates jetèrent leurs armes et quittèrent leurs rangs. Pour empêcher la honte générale, Agésilas II brigua la dignité de législateur, et l'ayant obtenue il ne proposa aucune loi nouvelle, il s'appliqua à ordonner l'exécution de celles antérieures à l'affaire de Leuctres", Polyen, Stratagèmes, II, 1.13). Les Thébains envoient un messager annoncer leur victoire à Athènes, et inciter les Athéniens à tirer vengeance avec eux des malheurs infligés à leur cité par les Spartiates depuis un demi-siècle : les Athéniens abasourdis diffèrent leur réponse ("Aussitôt après la bataille, les Thébains envoyèrent à Athènes un messager couronné de fleurs : en même temps qu'ils vantèrent leur victoire, ils demandèrent du secours, expliquant que le moment était venu de se venger des maux infligés par les Spartiates. Les bouleutes athéniens siégeaient sur l'Acropole. Quand ils apprirent l'événement, ils montrèrent publiquement un vif chagrin. Ils n'offrirent aucun présent hospitalier au héraut, ils ne répondirent pas sur un éventuel secours. Le héraut quitta Athènes", Xénophon, Helléniques, VI, 4.19-20). Le triomphe de Thèbes est immense, et Epaminondas qui en est l'artisan en profite grandement ("Le stratège Epaminondas fut couvert de gloire pour avoir apporté la victoire à sa patrie par sa valeur et surtout par son intelligence militaire. Les Spartiates dans cette bataille perdirent au moins quatre mille hommes. Seulement trois cents Béotiens y furent tués. On convint d'une trêve pour relever les morts de part et d'autre, et permettre aux Spartiates de retourner chez eux. Telle fut la conclusion de la bataille de Leuctres", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.56 ; "Mille Spartiates moururent dans cette bataille, dont le roi Cléombrote, et autour de lui les meilleurs des Spartiates, parmi lesquels le beau Kléonymos fils de Sphodrias, tombé trois fois devant le roi, relevé autant de fois et tué en combattant les Thébains", Plutarque, Vie d'Agésilas II 28), il peut réduire tous ses rivaux politiques au silence, même Pélopidas qu'il dépasse maintenant en popularité ("Epaminondas ne se maria jamais. Pélopidas, qui avait un fils infâme, le lui reprocha, il l'accusa de mal servir sa patrie en ne lui laissant pas d'héritiers : “Je la servirais mal si je lui laissais un fils comme le tien, répliqua-t-il. Et j'ai bien une héritière : ma victoire à Leuctres, qui vivra après moi éternellement”", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.10 ; pour l'anecdote, Epaminondas se repose de ses efforts militaires avec son giton du moment, un nommé "Asopichos" qui était à ses côtés à Leuctres : "Théopompe dans sa liste des trésors pillés à Delphes dit qu'Asopichos éromène d'Epaminondas avait gravé sur son bouclier le trophée de Leuctres, où il avait échappé à tous les dangers, ce bouclier fut plus tard consacré dans le portique de Delphes", Athénée de Naucratis, Déipnosophistes XIII.83).


Parallèlement à leur démarche vers Athènes, les Thébains invitent le tyran Jason de Phères à les rejoindre pour achever la ruine de Sparte par une expédition impromptue dans le Péloponnèse. Epaminondas est probablement à l'origine de cette démarche : il veut signifier à Jason l'essor phénoménal de Thèbes depuis l'époque où ce dernier tentait d'apporter son aide aux Thébains contre les Spartiates, désormais Thèbes n'a plus besoin de quiconque contre Sparte. Jason répond à l'invitation, mais, pressentant le piège politique tendu par Epaminondas, il se contente de jouer les médiateurs entre vainqueurs et vaincus. Les Thébains modèrent leur appétit et signent une trève avec Sparte ("Les Thébains députèrent en hâte vers leur allié Jason pour lui demander de les rejoindre, en spéculant sur l'avenir. Aussitôt Jason équipa des trières pour les aider par mer. Puis, abandonnant la guerre qu'il menait contre les Phocidiens, il rassembla ses mercenaires et les cavaliers de sa garde et se rendit par voie de terre en Béotie, en se montrant dans toutes les cités où il passait sans y avoir été annoncé, ne leur laissant pas le temps de rassembler des troupes, et s'éloignant avant qu'elles réagissent, prouvant ainsi que la promptitude est plus efficace que la violence. Quand il arriva en Béotie, les Thébains lui dirent que le moment était favorable pour envoyer les mercenaires fondre sur les Spartiates depuis les montagnes tandis qu'eux-mêmes les attaqueraient de front, mais Jason repoussa ce projet en leur signifiant le danger, après une brillante victoire, de la livrer au hasard d'une surenchère et d'un gain nul. “Votre victoire, dit-il, n'est-elle pas dû à votre extrême détresse ? Si les Spartiates sont réduits à la même détresse, ils combattront avec le même désespoir, or le dieu [Apollon] incline souvent pour les faibles contre les forts”. Par ces mots, Jason dissuada les Thébains de compromettre leur succès. Il signifia aussi aux Spartiates qu'ils ne pouvaient plus espérer une victoire avec leur armée vaincue : “Pour effacer votre défaite, dit-il, je vous conseille de souffler, de reconstituer vos forces, ensuite vous pourrez prendre votre revanche sur ceux qui vous ont récemment défaits. Mais pour l'heure, dites-vous bien que certains de vos alliés sont en pourparlers avec vos vainqueurs. Acceptez donc une trêve. Je vous propose cela parce que je le désire, parce que je peux vous sauver, parce que mon père était votre ami et que je suis votre proxène”. Tels furent ses propos, qui visaient certainement à entretenir les différends entre les partis et les maintenir sous sa dépendance. Néanmoins les Spartiates, après l'avoir entendu, acceptèrent une trêve", Xénophon, Helléniques, VI, 4.20-25 ; Polybe qui écrit deux siècles après les faits se trompe en attribuant cette médiation aux Achéens et non pas à Jason ["Lorsque les Spartiates eurent essuyé à Leuctres une surprenante défaite et que les Thébains furent ainsi soudainement en mesure de revendiquer l'hégémonie en Grèce, une période d'incertitude s'ensuivit parmi tous les Grecs et surtout à Sparte où l'on se refusait à admettre la défaite, et à Thèbes où l'on n'osait pas croire à un tel triomphe. Finalement, Thébains et Spartiates choisirent les Achéens parmi tous les Grecs pour arbitrer leurs différends, non pas à cause de la puissance de ce peuple qui à cette époque était presque le plus faible de la Grèce, mais en raison de ses qualités, tout le monde s'accordant pour en reconnaître la probité et les autres vertus", Polybe, Histoire, II, 39.8.10]). Jason retourne en Thessalie en passant par la Phocide ("Jason repartit par la Phocide. Il ravagea les faubourgs d'Hyampolis et tua beaucoup d'habitants, mais il traversa pacifiquement le reste du pays", Xénophon, Helléniques, VI, 4.27). En -370, Jason bataille en Trachinie. Il prend le contrôle d'Héracléia, camp militaire spartiate au fond du golfe Maliaque fondé en -426 pendant la deuxième guerre du Péloponnèse, devenue une petite cité au fil du temps : la possession d'Héracléia est hautement stratégique puisqu'elle garantit l'accès entre la Thessalie et la mer Egée via le golfe Maliaque, et l'accès à la Macédoine au nord et à la Béotie au sud ("Puis [Jason] détruisit les murailles d'Héracléia, non pas parce qu'il craignait la venue d'un ennemi passant par ce lieu, mais au contraire en occupant Héracléia il s'ouvrait une voie pour marcher vers n'importe quelle région de Grèce", Xénophon, Helléniques, VI, 4.27 ; "A la même époque [sous l'archontat de Dysnikètos en -370/-369] le tyran Jason de Phères, de plus en plus puissant, entra en armes en Locride. Ensuite il conquit Héracléia en Trachinie par trahison, il la rasa et donna le territoire alentour aux gens de l'Oeta [montagne au sud de Lamia] et aux Maliens [population autochtone vivant autour du golfe auquel ils ont donné leur nom : le golfe Maliaque]. De là, il conduisit son armée vers les Perrhèbes [autre population autochtone, probablement descendante des Pelasges, à l'embouchure du fleuve Pénée], il gagna quelques-unes de leurs cités par des promesses et en soumit d'autres par la force. Son ambition et son avidité s'étant accrue en peu de temps, commencèrent à devenir suspectes à tous les peuples de la Thessalie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.57). A cette époque, Jason est tout-puissant en Grèce centrale ("De retour en Thessalie, [Jason] était très puissant : légalement désigné tagos des Thessaliens, entretenant un grand nombre de fantassins et de cavaliers expérimentés, renforcé par beaucoup de peuples alliés et d'autres qui aspiraient à le devenir, personne à cette époque ne disposait des moyens de le mépriser", Xénophon, Helléniques, VI, 4.28). Il met en œuvre son projet hégémonique en signant une alliance avec Amyntas III roi de Macédoine ("Le tyran Jason de Phères, spécialiste de la guerre entouré de beaucoup d'alliés, poussa les Thessaliens à revendiquer l'empire de la Grèce, qu'il considérait comme un prix revenant à ceux ayant l'audace d'y prétendre. Il dit aux siens que les Spartiates venaient d'être battus à Leuctres, que les Athéniens se limitaient à l'empire de la mer, que les Thébains n'avaient pas les capacités de maintenir leur hégémonie actuelle et que les Argiens étaient affaiblis par leur récente dissension interne. Les Thessaliens furent conquis par ce projet. Après avoir cédé à Jason tout pouvoir civil, ils lui confièrent tout pouvoir militaire. Jason accepta leur offre. Il s'attacha d'abord plusieurs peuples voisins, il s'allia en particulier avec Amyntas III roi de Macédoine", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.57). Hélas pour lui, il est assassiné fin -370 dans des conditions obscures ("[Jason] ordonna aux Thessaliens de se préparer à la guerre pour l'époque des Jeux pythiques [de l'été -370]. On prétend qu'il voulait conduire lui-même la cérémonie et les jeux en l'honneur d'Apollon. En fait, on ignore encore aujourd'hui ses intentions sur les richesses sacrées, on sait seulement que les Delphiens demandèrent à l'oracle [la Pythie] comment ils devraient réagir s'il touchait à l'argent dédié à Apollon, et que le dieu [Apollon, via la Pythie] répondit que “cela était son affaire”. Cet homme si puissant qui aspirait à un si grand dessein inspecta un jour la cavalerie de Phères. Au moment où il s'assit afin de répondre aux doléances, il fut assassiné par sept jeunes gens qui s'étaient approchés de lui en simulant un différend. Ses doryphores se précipitèrent pour le défendre, l'un des meurtriers fut tué d'un coup de lance tandis qu'il frappait encore Jason, un autre fut touché au moment où il montait à cheval et tomba mortellement blessé, les autres s'échappèrent sur des chevaux préparés à l'avance, ils furent reçus avec les honneurs dans la majorité des cités grecques où ils passèrent, ce qui montre à quel point les Grecs redoutaient que Jason devînt leur tyran. Après la mort de Jason, ses frères Polydoros et Polyphron furent nommés tagos. Mais lors d'un voyage commun à Larissa, Polydoros fut tué. On soupçonne que sa mort, subite et sans cause apparente, fut fomentée par son frère Polyphron. Ce dernier régna à son tour pendant un an, comme un tyran : à Pharsale il exécuta Polydamas et huit notables, à Larissa il bannit beaucoup de citoyens. Alexandre le tua, soi-disant pour venger Polydoros et abolir la tyrannie. Mais quand lui-même fut nommé tagos, il devint odieux envers les Thessaliens, odieux envers les Thébains et les Athéniens ennemis, brigand criminel sur terre et sur mer", Xénophon, Helléniques, VI, 4.30-34 ; "Bien qu'il eut traité ses sujets avec modération et avec sagesse, [Jason de Phères] fut trahi et tué [sous l'archontat de Dysnikètos en -370/-369] par sept jeunes hommes qui, selon Ephore, avaient juré par serment de l'égorger. D'autres historiens disent qu'il fut assassiné par son frère Polydoros, qui lui succéda et ne vécut qu'un an", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.60).


La succession de Jason est chaotique. Selon Xénophon, contemporain des faits, Jason est remplacé par son frère Polydoros, qui est assassiné à son tour dès -369 et remplacé par Alexandre fils de Jason (Diodore de Sicile dit la même chose dans sa Bibliothèque historique XV.61, en plaçant l'événement sous l'archontat de Lysistratos en -369/-368). Peu importe. La disparition de Jason offre un boulevard à Epaminondas. Ce dernier commence par rassurer les Béotiens d'Orchomène ("L'année où Dysnikètos fut archonte d'Athènes [en -370/-369], à Rome les quatre tribuns militaires Quintus Servilius, Lucius Furius, Caius Licinius et Publius Coelius furent investis de l'autorité consulaire. A cette époque, les Thébains marchèrent vers Orchomène pour réduire les habitants en esclavage, mais Epaminondas leur expliqua qu'un peuple aspirant à l'hégémonie sur la Grèce doit conserver par l'humanité l'empire qu'elle a acquis par la valeur, cet avis s'imposa et ils considérèrent les gens d'Orchomène comme des alliés. Par le même moyen ils s'allièrent les cités de Phocide, de Locride et d'Etolie, avant de revenir vers la Béotie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.57) et punir les Thespiens qui ont refusé de s'engager aux côtés des Thébains lors de la bataille de Leuctres (les Thespiens sont chassés de leur cité ["Redoutant la haine et la fortune temporaire des Thébains, les Thespiens résolurent d'abandonner leur cité et de se retirer dans leur forteresse de Keressos", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.2] puis capturés à Keressos où ils se sont réfugiés), puis, après avoir reçu des députés arcadiens et argiens qui le poussent à intervenir dans le Péloponnèse ("Epaminondas captura les Thespiens réfugiés à Keressos, puis il partit aussitôt vers le Péloponnèse où les Arcadiens le sollicitaient avec insistance. En passant, les Argiens s'offrirent spontanément comme alliés", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.4), il planifie sa nouvelle campagne contre Sparte. Deux prétextes sont invoqués. Le premier prétexte est le paiement des années d'occupation de La Cadmée. En accusant publiquement la cité de Sparte devant le Conseil amphictyonique et en lui demandant un dédommagement financier exhorbitant, les Thébains poussent les Spartiates à repousser un ultimatum inacceptable, les Spartiates et leurs alliés deviennent ainsi des parias, légitimant le saccage de leurs territoires ("Après la guerre terminée par la bataille de Leuctres, les Thébains traduisirent les Spartiates devant le Conseil amphictyonique, accusant le Spartiate Phoibidas d'avoir occupé La Cadmée. Les Spartiates furent condamnés à une amende de cinq cents talents, mais l'amende ne fut pas payée à l'expiration du délai fixé. Les Thébains renouvelèrent le procès pour doubler l'amende à mille talents, les amphictyons approuvèrent", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVI.29 ; pour mémoire, rappellons que ces cinq cents talents constituent une somme supérieure à la totalité du phoros qu'Athènes percevait des cités qui lui étaient soumises un siècle plus tôt, à l'époque de sa grandeur, le phoros s'élevait alors à quatre cent soixante talents selon Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.96). Le second prétexte est l'aide aux Arcadiens. La cité arcadienne de Mantinée réclame son autonomie. La majorité de ses consœurs arcadiennes, dont la cité de Tégée voisine et rivale séculaire de Mantinée, l'accuse de faire le jeu de Sparte. Un conflit compliqué se développe entre Sparte et les Arcadiens, qui ont bien senti l'affaiblissement de Sparte et veulent en profiter en jouant tantôt poivre tantôt sel toujours au détriment de Sparte. Nous ne nous y attarderons pas, afin de ne pas déborder du cadre de notre étude (les affrontements entre Sparte et les Arcadiens sont racontés très longuement par Xénophon, Helléniques, VI, 5.3-21, et succintement par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.62). Contentons-nous de dire que les Spartiates ne parviennent pas à s'imposer aux Arcadiens réfractaires, les Mantinéens quant à eux se barricadent à l'intérieur de leur cité. Les Arcadiens ont demandé du soutien à Athènes, qui n'a pas répondu. Ils se sont donc tournés vers Thèbes, qui les a entendus. Epaminondas reçoit mandat pour intervenir dans le Péloponnèse contre Sparte. L'armée thébaine se met en route fin -369 (sous l'archontat de Lysistratos en-369/-368 selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.61, peu avant le solstice d'hiver du 21 décembre -369 selon Plutarque, Vie de Pélopidas 24 : "Unis aux Argiens et aux Eléens, [les Arcadiens] envoyèrent des ambassadeurs à Athènes pour l'inciter à les rejoindre contre Sparte, celle-ci refusa, ils s'adressèrent donc aux Thébains, qui répondirent favorablement. Les Thébains aussitôt mobilisèrent les Locriens et les Phocidiens et marchèrent vers le Péloponnèse sous les ordres d'Epaminondas et de Pélopidas", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.62). Les Spartiates sont paniqués. Ils n'ont plus d'armée (leurs meilleures troupes ont été tuées à la bataille de Leuctres en -371, et les soldats survivants ont été molestés lors des affrontements contre les Arcadiens au cours des derniers mois). Ils sont réduits à implorer l'aide d'Athènes ("Les Spartiates, qui dans la déroute de Leuctres avaient perdu toute leur jeunesse, dans d'autres défaites leurs hommes de tous âges, abandonnés par leurs alliés, étaient réduits aux seuls soldats de leur cité, ils tombèrent dans un grand abattement. Ils se résignèrent à implorer l'assistance d'Athènes, cité qu'ils avaient opprimée avec les Trente tyrans, à laquelle ils avaient interdit de relever ses murailles, qu'ils avaient même pensé raser en transformant tout l'Attique en pâturage à bestiaux. Tel est le pouvoir la nécessité ["¢n£gkh"] et de la fortune ["tÚch"]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.63), qui après un long débat (rapporté en détails par Xénophon, Helléniques, VI, 5.33-49, et résumé par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.63) prend ouvertement parti contre Thèbes. Les Athéniens sont bien conscients d'être la prochaine cible des Thébains si Sparte est écrasée, et de ne pas avoir les moyens militaires et diplomatiques de contrer les ambitions hégémoniques thébaines ("O Athéniens, dès qu'ils auront éliminé les Spartiates, c'est contre vous que les Thébains marcheront [c'est un ambassadeur de Phlionte qui parle à l'Ekklesia athénienne pour défendre la cause de Sparte], cela est évident pour tous, car vous êtes la dernière cité constituant un obstacle à leur domination sur les Grecs. En défendant les Spartiates, c'est vous-mêmes que vous défendez. Car quand les Thébains seront les chefs de la Grèce, mal disposés envers vous, stationnant sur vos frontières, votre situation sera beaucoup plus difficile qu'aujourd'hui où vous n'êtes que des rivaux éloignés. Soyez donc sages, réagissez tant que vous avez encore des alliés, sinon la ruine de ceux-ci vous forcera à lutter seuls contre les Thébains", Xénophon, Helléniques, VI, 5.38-39). Ils envoient un contingent vers le Péloponnèse sous les ordres d'Iphicrate ("Les Athéniens passèrent aux voix. Refusant d'écouter les partisans adverses, ils décrétèrent un secours massif aux Spartiates, en choisissant Iphicrate comme stratège. Les sacrifices achevés, Iphicrate ordonna de déjeuner à l'Académie. On raconte que certains sortirent avant lui", Xénophon, Helléniques, VI, 5.49 ; "[Les Athéniens] nommèrent Iphicrate comme stratège et lui confièrent mille deux cents jeunes hommes enrôlés en un seul jour. A la tête de ces jeunes gens pleins de bonne volonté, Iphicrate partit avec diligence", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.63). Nous avons déjà croisé ce stratège athénien auteur d'un raid contre les Spartiates près du port de Lechaion sous l'archontat d'Euboulidès en -394/-393, puis à la tête d'une escadre du côté de Byzance à l'époque de la signature de la paix d'Antalcidas sous l'archontat de Théodotos en -387/-386. Après la signature de la paix d'Antalcidas, Iphicrate désœuvré est parti en Asie mettre ses compétences au service d'Artaxerxès II (jusqu'en Egypte, à la tête du régiment de mercenaires grecs selon Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XI.2, où il était sous les ordres de Pharnabaze le satrape de Phrygie hellespontique selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.43). Il est revenu à Athènes sous l'archontat de Socratidès en -374/-373 (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.41). Lors de son long séjour chez les Perses, Iphicrate a découvert et expérimenté des nouvelles techniques militaires, qu'il rapporte à Athènes en -373, qui auront une grande importance dans la suite de l'Histoire de la Grèce. Les deux plus importantes sont l'allègement de l'équipement du fantassin et l'allongement de la lance ("De son engagement au service de la Perse, [Iphicrate] avait tiré des leçons importantes dans le domaine de le guerre, notamment dans l'équipement militaire. Avant lui les Grecs se protégeaient avec des aspis ["¢sp…j", bouclier rond] qui limitaient leurs mouvements : il les en débarrassa en leur donnant un pelte ["pšlth"] qui leur permettait de se mouvoir librement tout en leur assurant une sécurité élémentaire. Cette innovation ayant été adoptée, on continua d'appeler “hoplites” ceux qui portaient un aspis, et on appela “peltastes” ceux qui portaient un pelte. Il modifia inversement la lance et l'épée : il augmenta la lance d'une longueur et demie, et l'épée, d'environ une longueur. Ces inventions répondirent aux attentes de leur promoteur, et les victoires auxquelles elles contribuèrent au fil du temps lui apportèrent la gloire. Il imagina aussi des chaussures militaires plus faciles à mettre et à porter, qu'on appelle encore aujourd'hui des “iphicratides”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.44 ; "L'art militaire lui doit [à Iphicrate] une foule d'innovations ou d'améliorations importantes. II changea les armes de l'infanterie. Avant lui, on employait des très grands boucliers, des lances et des épées courtes. Iphicrate substitua le pelte au parma [latinisation de l'"aspis/¢sp…j"], de là les fantassins furent appelés “peltastes”, leur légèreté les rendit plus mobiles pour les attaques. Il doubla la lance et allongea l'épée. Il changea aussi la matière des cuirasses : il remplaça les anneaux de bronze par le lin, les soldats devinrent plus lestes dans leur armure allégée, et mieux protégés puisqu'elle couvrait tout le corps sans l'appesantir", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XI.1). Mais en -369 ces innovations ne lui servent à rien. Iphicrate arrive à Corinthe après le passage de l'armée thébaine. Il reste sur place et attend on-ne-sait-quoi, au grand dam de ses jeunes soldats qui rêvaient de prouesses guerrières ("Puis [Iphicrate] marcha à la tête de ses troupes, qui espéraient accomplir une action glorieuse. Mais arrivé à Corinthe, il y resta quelques jours, et les soldats commencèrent à lui reprocher de perdre du temps", Xénophon, Helléniques, VI, 5.49 ; "Les Athéniens, arrivés trop tard pour être utiles aux Spartiates, repartirent sans avoir rien accompli méritant d'être écrit", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.65). Les Spartiates, humiliation suprême, sont contraints de puiser dans leurs hilotes, auxquels ils promettent la citoyenneté s'ils luttent avec courage pour défendre Sparte contre l'envahisseur thébain ("Les magistrats annoncèrent que les hilotes prenant les armes et rejoignant les rangs [de l'armée professionnelle spartiate] pour batailler aux côtés des citoyens, recouvreraient la liberté. On dit que plus de six mille s'inscrivirent, et ce nombre provoqua une nouvelle crainte. Mais puisque les mercenaires d'Orchomène résidaient à Sparte, et que les Spartiates reçurent des secours de Phlionte, de Corinthe, d'Epidaure, de Pellènè et d'autres cités, cette crainte envers les hilotes inscrits diminua", Xénophon, Helléniques, VI, 5.28-29 ; "Les alliés envoyèrent à Sparte un secours de quatre mille hommes. Parallèlement, mille hilotes furent libérés contre leur intégration à un corps comprenant deux cents bannis de Béotie et un nombre équivalent d'hommes issus de cités voisines", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.65). L'armée thébaine ayant traversé l'isthme de Corinthe, opère sa jonction avec les Arcadiens, les Argiens et les Eléens arrivent peu après ("Dès que l'armée [thébaine] atteignit la frontière de l'Arcadie, les troupes de ce pays ainsi que celles d'Argos, de l'Elide et de toutes les cités alliées s'y joignirent. Cette réunion mémorable pour la Grèce rassembla plus de cinquante mille hommes. Après un conseil de guerre, on résolut de marcher droit sur Sparte en ravageant la Laconie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.62). Epaminondas aide les Mantinéens persécutés par les Spartiates à se rétablir dans leur cité ("[Epaminondas] rétablit dans leur ancienne cité les Mantinéens qu'Agésipolis Ier avait dispersés dans les villages", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.4). Les Arcadiens insistent pour fondre sur la Laconie et prendre Sparte ("Les Thébains croyaient avoir terminé leur intervention puisque, venus au secours [des Arcadiens], ils ne virent aucun ennemi. Ils se préparaient à repartir. Mais les Arcadiens, les Argiens et les Eléens les persuadèrent de marcher immédiatement sur la Laconie, en exaltant leurs propres forces et l'armée des Thébains. Les Béotiens étaient effectivement rodés à la guerre, ils venaient de remporter la victoire à Leuctres, ils étaient suivis des Phocidiens assujettis, des troupes de toutes les cités d'Eubée, d'Ionie, des deux Locrides, d'Acarnanie, des gens d'Héracléia et de Malia, des cavaliers et des peltastes de Thessalie. Vantant cette supériorité face à l'isolement de Sparte, ils supplièrent les Thébains de ne pas partir avant d'avoir envahi le pays des Spartiates, Xénophon, Helléniques, VI, 5.23). Des autochtones appuient les Arcadiens en déclarant que les Spartiates sont totalement paniqués, et que Sparte est un fruit mûr à cueillir ("Des gens de Karyes arrivèrent qui, tout en confirmant l'isolement de Sparte, promirent de servir de guides et demandèrent qu'on les égorgeât au moindre soupçon de trahison. Des périèques vinrent aussi, ils supplièrent les adversaires [les Thébains] d'intervenir et déclarèrent que la révolte n'attendaient plus qu'eux pour éclater dans tout le pays, que les périèques refusaient d'aider les Spartiates les sollicitant. En entendant ces rapports de partout, les Thébains se laissèrent convaincre, ils envahirent la Laconie par Karyes, tandis que les Arcadiens entrèrent par Oion en Skiritide", Xénophon, Helléniques, VI, 5.25). Epaminondas décide de passer à l'acte. Il divise toutes les forces réunies en quatre corps pour pénétrer en Laconie par quatre voies simultanément et contourner toutes les défenses des Spartiates ("Les Spartiates, qui savaient leurs ennemis campés à leurs frontières, sortirent de leur cité pour aller vers eux. Très diminués en nombre, ils comptaient encore sur leur résolution et sur leur courage. Epaminondas jugea difficile de pénétrer dans un pays si bien défendu par une masse rassemblée. Il décida de diviser son armée en quatre corps afin de se glisser en Laconie par plusieurs voies", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.63). Le premier corps est constitué de Béotiens, incluant les Thébains et Epaminondas lui-même, il marche vers Sellasia ("Informés des succès des Arcadiens, les Thébains s'enhardirent à descendre vers la plaine. Ils commencèrent par brûler et saccager Sellasia. Arrivés dans la plaine, sur le territoire consacré à Apollon, ils y campèrent. Le lendemain, ils continuèrent leur marche. Ils ne se hasardèrent pas à traverser le pont pour marcher sur la ville, parce qu'ils virent des fantassins sur l'autre rive, dans le sanctuaire d'Aléa ["Alša/qui réchauffe, réconforte, protège", surnom d'Athéna], ils avancèrent en suivant l'Eurotas sur leur droite, brûlant et saccageant des habitations remplies de richesses considérables", Xénophon, Helléniques, VI, 5.27 ; "Le premier corps, constitué exclusivement de Béotiens, chemina vers Sellasia et détacha ses habitants du parti de Sparte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.64). Le deuxième corps est constitué d'Argiens, qui passent par Tégée ("Les Argiens se jetèrent sur le territoire de Tégée, ils bataillèrent contre les garde-frontières, tuèrent près de deux cents hommes dont leur chef Alexandre de Sparte et les bannis béotiens qui le suivaient", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.64 ; le passage par Tégée est peut-être lié à cet épisode non daté rapporté par Polyen : "Epaminondas était sur le point d'affronter les Spartiates près de Tégée. Il estima devoir prendre le contrôle de plusieurs positions avantageuses. Pour cacher ses intentions aux ennemis, il ordonna au commandant de cavalerie de s'avancer devant la phalange et d'aller-et-venir d'un flanc à l'autre avec ses mille six cents cavaliers. Un nuage de poussière s'éleva, empêchant les ennemis de voir qu'Epaminondas profitait de cette obscurité pour prendre secrètement possession des positions. Quand la poussière retomba, les Spartiates comprirent la raison de cette cavalcade, en constatant que son but était atteint", Polyen, Stratagèmes, II, 3.14). Le troisième corps est constitué d'Arcadiens, qui passent par le pays des Skirites ("Le troisième corps, constitué d'Arcadiens, le plus important numériquement, pénétra en Skiritide, qui était gardé par un nommé “Ischolas” courageux et avisé, accompagné d'une élite d'hommes au dessein glorieux et mémorable. Ces derniers, bien conscients qu'ils succomberaient au combat face à la multitude des ennemis, jugèrent honteux de quitter leur poste, et honorable de servir leur patrie en défendant sa population. Ils accomplirent héroïquement ces deux décisions en renouvelant l'ancien engagement de Léonidas Ier aux Thermopyles [lors de l'invasion perse en -480], et en renvoyant à Sparte les plus jeunes d'entre eux afin qu'ils sauvassent leur patrie de l'anéantissement en se sauvant eux-mêmes. Il défendit ainsi le passage avec les soldats les plus âgés qui restèrent, il tua beaucoup d'ennemis, avant d'être enveloppé par les Arcadiens et d'être tué avec tous ses compagnons", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.64 ; cette version de Diodore de Sicile raccorde avec celle de Xénophon, Helléniques, VI, 5.25 précité). Le quatrième corps est constitué d'Eléens, qui passent par des plaines désertes avant de rejoindre Epaminondas à Sellasia ("Les Eléens quant à eux, qui constituaient le quatrième corps d'Epaminondas, traversèrent des plaines vides et sans défense. Ils arrivèrent à Sellasia, où tous les corps se réunirent selon le plan prévu. De là, tous ensemble partirent droit vers Sparte, en brûlant et en ravageant tout ce qu'ils trouvèrent en chemin", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.64). Les Spartiates ne sont plus assez nombreux pour protéger à la fois la campagne laconienne et la ville de Sparte, les éphores choisissent donc d'abandonner la campagne et demandent aux habitants de se réfugier dans Sparte… qui n'a pas de murailles puisqu'aucun envahisseur ne s'est aventuré en Laconie depuis les Doriens au début de l'ère des Ages Obscurs cinq siècles plus tôt ("Les femmes virent le feu ennemi, qui leur était inconnu jusqu'alors. La ville n'ayant pas de murailles, les Spartiates se postèrent ici et là pour la défendre, sans pouvoir dissimuler leur nombre dérisoire", Xénophon, Helléniques, VI, 5.27). Antalcidas fuit vers Cythère, tandis qu'Agésilas II disperse le peu d'hommes disponibles dans différents endroits de la ville et sur les hauteurs ("On raconte qu'au moment de l'invasion, Antalcidas alors éphore envoya secrètement ses enfants à Cythère, tant il avait peur. Agésilas II quant à lui, apprenant que les ennemis tentaient de passer le fleuve [Eurotas] et d'entrer dans la ville, rassembla tous les hommes dispersés, sauf ceux positionnés dans le centre et sur les hauteurs, et les rangea en bataille en amont", Plutarque, Vie d'Agésilas II 32). Diodore de Sicile et Plutarque insistent sur le caractère historique de l'événement, qui marque bien l'effondrement de la puissance spartiate ("Les Spartiates, qui avaient préservé leurs terres de toute dévastation pendant cinq cents ans, ne supportèrent pas cet affront, ils sortirent en masse, de façon désordonnée, pour protéger leurs propriétés. Mais les magistrats leur ordonnèrent de ne pas s'éloigner de la ville, craignant que l'ennemi profitât de leur absence pour s'y précipiter. Ils se soumirent à cet ordre et ne songèrent plus qu'à défendre leur capitale", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.65 ; "Epaminondas entra en Laconie avec ses alliés. Son infanterie lourde comptait quarante mille hommes, suivis par beaucoup de fantassins légers et d'individus sans armes attirés par le pillage. Au total, soixante-dix mille hommes déferlèrent du nord sur le Péloponnèse. Les Doriens dominaient Sparte depuis au moins six ans, pendant cette période aucun envahisseur ne s'y était risqué. Ceux qui pénétrèrent pour la première fois depuis ce temps ancien trouvèrent un territoire inviolé et intact, ils le parcoururent torche à la main, le ravagèrent jusqu'au fleuve [Eurotas], jusqu'à la ville, sans que quiconque ne tentât une sortie pour s'opposer", Plutarque, Vie d'Agésilas II 31). Agésilas II est désolé de la chute spectaculaire de sa cité ("Agésilas II n'empêcha pas les Spartiates de subir “un déluge et un violent orage”, selon les termes de Théopompe. Il avait disséminé l'infanterie lourde aux endroits les plus importants de la ville, et se contint face aux menaces et aux provocations des Thébains qui l'appelèrent par son nom, l'invitèrent à batailler pour défendre son pays après avoir allumé la guerre. Agésilas II fut contrarié par l'agitation dans la ville, les désordres, les cris, les courses folles, les vieux déplorant la situation, les femmes affolées par les clameurs de l'ennemi et les incendies qu'il allumait. Surtout, le roi était chagriné par la diminution de son prestige. Il avait hérité d'une grande et puissante cité, désormais déchue de son rang. Les faits démentaient la fière parole que lui-même répétait souvent : “Aucune Laconienne n'a vu le feu ennemi”, et la réplique d'Antalcidas à un Athénien vantant le courage de son peuple : “Nous vous avons chassés plus d'une fois des bords du Céphise !”. “Et nous, nous ne vous avons jamais chassés des bords de l'Eurotas”, et la réplique d'un obscur Spartiate à un Argien : “Beaucoup d'entre vous reposent en Argolide !” “Et aucun d'entre vous ne repose en Laconie”", Plutarque, Vie d'Agédilas II 31). Il réussit à étouffer une tentative de désertion ("Environ deux cents mauvais citoyens occupèrent par surprise l'Issorion où se trouve le sanctuaire d'Artémis [au nord de Sparte], une position solide et difficile à prendre d'assaut. Les Spartiates voulurent les déloger immédiatement, mais Agésilas II, craignant la contagion, leur ordonna de rester calmes et se rendit lui-même en simple manteau avec un esclave au-devant des rebelles. Il leur cria qu'ils “avaient mal compris ses directives” en précisant : “Je ne vous ai pas demandé de vous positionner ici tous ensemble, mais l'aller là-bas pour les uns et en tel lieu de la ville pour les autres”. Quand ils l'entendirent, ils se réjouirent en croyant qu'on ignorait encore leur rébellion. Ils se séparèrent pour aller aux différents lieux indiqués par le roi. Aussitôt celui-ci envoya des soldats occuper l'Issorion, et il arrêta une quinzaine de rebelles qui furent exécutés durant la nuit", Plutarque, Vie d'Agésilas II 32 ; "Quand Epaminondas assiégea Sparte dépourvue de remparts, [Agésilas II] se montra si grand capitaine que, de l'aveu de tous ses contemporains, sans lui Sparte eut succombé. Dans ce moment suprême, son action sauva tout. Quelques jeunes gens effrayés par les Thébains qui approchaient voulurent passer à l'ennemi, ils prirent une hauteur de la ville. Agésilas II, conscient du mauvais exemple qu'offraient ces déserteurs, se porta vers la hauteur avec des soldats fidèles et, comme si ces jeunes gens avaient agi avec une bonne intention, les félicita d'avoir eu l'idée d'occuper une position aussi importante avant que lui-même y eût songé. Cet éloge feint fléchit les jeunes déserteurs. Il leur envoya une partie de ses hommes, qui s'assurèrent de la position, les rebelles n'osant plus bouger car désormais inférieurs en nombre, et par ailleurs convaincus que leur rébellion était encore ignorée", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVII.6), mais il échoue à empêcher Epaminondas de traverser le fleuve Eurotas ("Après avoir franchi la chaîne du Taygète, Epaminondas voulut franchir le fleuve Eurotas dont les eaux étaient très rapides à cause de l'hiver [-369/-368]. Les Spartiates virent les difficultés de son armée à traverser ce fleuve. Ils en profèrent habilement pour l'attaquer. Laissant la ville à la garde des femmes, enfants et vieillards, ils conduisirent en bon ordre leur jeunesse en armes, et se jetèrent brusquement sur ceux qui venaient de passer, qu'ils tuèrent. Les Béotiens et les Arcadiens se ressaisirent, ils commencèrent à envelopper par leur nombre les Spartiates qui, après s'être bien défendus, se replièrent vers leur ville", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.65 ; "L'Eurotas était grossi par les neiges de l'hiver [-369/-368]. La froideur de l'eau, plus encore que la force du courant, rendit la traversée pénible aux Thébains. Epaminondas passa le premier, en-tête de sa phalange. Quand Agésilas II le vit, alerté par quelques amis, il le suivit du regard et laissa échapper : “O tou megalopragmonos anthropou !” ["W toà megalopr£gmonoj ¢nqrèpou" ; ce propos est difficilement traduisible car il joue sur l'ambiguïté des mots, qui trahit l'ambiguïté des sentiments d'Agésilas II à l'égard d'Epaminondas : le mot "megalos/mšgaloj" peut signifier simplement "grand" et dans ce cas on doit traduire par : "Quel grand homme !", mais il peut signifier aussi "mégalo" au sens français moderne et dans ce cas on doit traduire par : "Quel homme prétentieux, arrogant, crâneur, vaniteux, orgueilleux !", par ailleurs "pragma/pr£gma" signifie "affaire, entreprise, action" donc "megalopragmonos" pourrait se traduire par : "action d'éclat" et le propos d'Agésilas II pourrait se traduire par : "Quel homme entreprenant, compétent, efficace !"]. Mais Epaminondas fut contrarié dans son ambition d'entrer de force dans la ville et d'y ériger un trophée : il ne parvint pas à déloger Agésilas II, à l'inciter à la bataille, alors il ramena ses troupes en arrière et continua à ravager la campagne", Plutarque, Vie d'Agésilas II 32). Les envahisseurs traversent la ville vidée de ses habitants, ils sont stoppés par trois cents jeunes Spartiates embusqués près du sanctuaire des Tyndarides ("L'armée ennemie s'avança jusqu'à Amyclée, elle y passa l'Eurotas. Partout où ils campèrent, les Thébains coupèrent d'abord les arbres, puis les jetèrent devant leurs lignes pour assurer leur sécurité, les Arcadiens au contraire négligèrent leurs armes et coururent piller les habitations. Après trois ou quatre jours, les cavaliers s'avancèrent en bon ordre jusqu'à l'hippodrome, vers le temple de Gaiaochos ["GaiaÒcoj", littéralement "qui tient la terre/Gaia", surnom de Poséidon]. Les Thébains, les Eléens, et tous les cavaliers phocidiens, thessaliens et locriens se rangèrent face à la cavalerie peu nombreuse des Spartiates. Mais ceux-ci avaient positionné dans le sanctuaire des Tyndarides [Castor et Pollux] un groupe d'environ trois cents jeunes fantassins, qui s'élancèrent sur la cavalerie ennemie au moment où elle chargea. Cette dernière ne soutint pas le choc, elle plia, et quand les soldats virent cela beaucoup s'enfuirent", Xénophon, Helléniques, VI, 5.30-32). Epaminondas ne veut pas menacer sa bonne étoile, il contourne le centre-ville et continue vers la mer. Il assiège Gythion, arsenal des Spartiates, sans succès ("La poursuite [des envahisseurs thébains par les jeunes Spartiates protégeant le sanctuaire des Tyndarides] cessa, les soldats thébains s'arrêtèrent et plantèrent leur camp. [Les Spartiates] commencèrent à espérer que leur ville ne serait plus attaquée. En effet, les ennemis quittèrent leur camp pour cheminer vers Hélos et Gythion, ils brûlèrent des cités non fortifiés, pendant trois jours ils assiégèrent Gythion, l'arsenal des Spartiates. Certains périèques participèrent aux assauts et continuèrent la guerre aux côtés des Thébains", Xénophon, Helléniques, VI, 5.30-32 ; "Après la bataille de Leuctres, les Thébains prirent le port laconien de Gythion et y installèrent une garnison. Le Spartate Isadas prit avec lui une centaine d'hommes de son âge, leur ordonna de se frotter d'huile, de mettre sur leur tête des couronnes d'olivier, et de prendre chacun un poignard sous l'aisselle. Suivi de ces gens nus, lui-même nu, il courut hardiment vers les Thébains qui, trompés par leur apparence, les reçurent comme des athlètes. Les Spartiates prirent alors leur poignard, tuèrent une partie des Thébains, chassèrent les autres et reprirent le contrôle de Gythion", Polyen, Stratagèmes II.9). Il revient vers Sparte où, assisté de Pélopidas ("Quand Epaminondas assiégea Sparte, Pélopidas commanda l'une des ailes de son armée", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.4), il ne parvient pas à déloger Agésilas II et ses derniers hommes embusqués aux endroits stratégiques. Finalement il se replie en Arcadie ("Epaminondas amena hardiment ses troupes jusqu'au bas des murailles. Les Spartiates en position avantageuse chassaient tous les téméraires qui s'avancèrent trop près, mais les morts ennemis étaient toujours remplacés par des nouveaux assaillants plus nombreux. Plus d'une fois on crut la ville sur le point d'être prise. En voyant la quantité de blessés et de morts, Epaminondas sonna néanmoins la retraite. Avant de se retirer, ses soldats au pied des murailles demandèrent en criant aux assiégés de venir batailler en rase campagne ou de se déclarer inférieurs à leurs ennemis. Les assiégés répondirent qu'ils attendraient le jour adéquat pour répondre à cette offre. Les assigeants revinrent à leur camp. Peu après ils parcoururent la Laconie l'épée à la main en emportant un butin immense, puis ils retournèrent en Arcadie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.65). Ses alliés se répandent dans la Laconie pour piller à loisir, ce qui l'affaiblit, politiquement car il passe ainsi pour un vulgaire chef de brigands, et militairement car il se retrouve seul avec ses compatriotes thébains. Selon Pausanias, telle est la raison qui convainc Epaminondas de retourner à Thèbes ("Les alliés des Thébains se dispersèrent, parcoururent la Laconie en pillant tout ce qu'ils trouvaient. Cela poussa Epaminondas à ramener les Thébains en Béotie", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.6). Selon Théopompe, Epaminondas retourne à Thèbes parce qu'il est payé secrètement par Agésilas II pour cela : Plutarque ne croit pas à cette version ("Les historiens disent que les Thébains évacuèrent la Laconie à cause du mauvais temps et de la dispersion ou de la désertion des Arcadiens, après trois mois entiers de ravages sur une grande étendue du pays. Mais Théopompe dit que les béotarques ont décidé de replier leurs troupes après qu'un Spartiate nommé “Phrixos” envoyé par Agésilas II leur a apporté dix talents pour cela, ce viatique cédé par l'ennemi les aurait résolus à accomplir un projet qu'ils mûrissaient depuis longtemps. Je ne sais pas d'où Théopompe tire ce récit, qui est ignoré par les autres historiens", Plutarque, Vie d'Agésilas II 32-33 ; Plutarque est Béotien et défend naturellement la mémoire de son compatriote Epaminondas, on pourrait en déduire qu'il rechigne à l'hypothèse qu'Epaminondas s'est laissé corrompre, mais on doit admettre que cette hypothèse est contredite par les nombreux témoignages de probité d'Epaminondas tout au long de sa vie rapportée par tous les historiens antiques). Selon Polyen, Epaminondas craint un changement diplomatique des Péloponnésiens si Sparte est anéantie : les Thébains devenant de facto les nouveaux maîtres de la Grèce, les Péloponnésiens s'empresseront de les anéantir à leur tour en profitant qu'Epaminondas se trouve encore dans le Péloponnèse ("Epaminondas eut tant d'avantages quand il entra en Laconie, qu'il aurait pu prendre Sparte. Mais, après réflexion il se retira sans toucher à la ville. Ses collègues voulurent le condamner. Alors il leur montra les alliés arcadiens, messéniens, argiens et péloponnésiens divers en leur disant : “Regardez ces gens, ce sont contre eux que nous devrons batailler si nous anéantissons les Spartiates, car aujourd'hui unis avec nous pour ruiner Spartir ils seront unis contre nous demain pour nous reprocher de les avoir utilisés à grandir Thèbes”", Polyen, Stratagèmes, II, 3.5). Peu importe ses raisons, Epaminondas avant de partir prend une décision autrement plus fatale à Sparte que le plus sanglant des assauts : il refonde la cité de Messène près du mont Ithome. On se souvient que cette cité a été détruite par les Spartiates à l'ère archaïque après une longue guerre contre les Messéniens, on se souvient que les Messéniens sont devenus à ce moment les serviteurs des Spartiates, qui ont pu dès lors se dispenser de travailler aux champs et se professionnaliser dans le domaine militaire. Pendant la deuxième guerre du Péloponnèse au Vème siècle av. J.-C., les Athéniens ayant bien compris la nature du régime spartiate ont tenté de le détruire en refondant Pylos et en invitant tous les Messéniens à se libérer de leurs maîtres spartiates et s'y réinstaller : en invitant pareillement les Messéniens à venir se réinstaller à Messène, Epaminondas agit comme les Athéniens naguère, il met en danger l'ordre inégalitaire spartiate, et la cité de Sparte elle-même ("Epaminondas, qui visait haut et voulait rendre son nom immortel, persuada les Arcadiens et leurs alliés de rétablir la cité de Messène, dépeuplée et détruite depuis longtemps par les Spartiates parce qu'elle était sur un site avantageux pour surveiller Sparte. La proposition ayant été approuvée, il rassembla tous les Messéniens demeurés dans le Péloponnèse, il leur associa tous ceux qui voulaient devenir leurs concitoyens, et il rebâtit et repeupla Messène, partageant les terres et les garnissant de nombreuses fermes. Il releva ainsi une des plus illustres cité de la Grèce et rendit son propre nom célèbre parmi les hommes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.66 ; "Epaminondas, ayant jugé que la place où s'élève Messène aujourd'hui était idéale pour y fonder une cité, demanda aux devins si les dieux étaient d'accord avec son projet. Les augures étant favorables, il organisa tout pour cette fondation : il importa des pierres, appela des architectes pour tracer les rues, construire temples et maisons et entourer la ville de murs. Quand tout fut prêt, les Arcadiens fournirent des victimes et commencèrent les sacrifices, Epaminondas et les Thébains en offrirent à Dionysos et à Apollon Isménien selon leurs rites particuliers, les Argiens, à Héra Argienne et à Zeus Néméen, les Messéniens, à Zeus Ithomate et aux Dioscures, et leurs prêtres, aux grandes déesses et à Kaukon, ensuite ils invitèrent collégialement leurs héros à revenir parmi eux : d'abord Messène fille de Triopas, ensuite Eurytos, Apharée et ses fils, les Héraclides Cresphonte et Aipytos, enfin Aristomène qui fut le plus sollicité. Ce jour fut consacré entièrement aux sacrifices et aux prières. Les jours suivants, on bâtit les murs d'enceinte, puis les maisons et les temples à l'intérieur. Les travailleurs furent motivés par la musique des aulos béotiens et argiens, à l'occasion les airs de Sakadas et ceux de Pronomos rivalisèrent. La cité reçut le nom de Messène […]. Les Messéniens revinrent dans le Péloponnèse et recouvrèrent leur patrie deux cent quatre-vingt dix-sept ans après la prise d'Ira [événement marquant la fin des guerres entre Messéniens et Spartiates à l'ère archaïque, daté en -668/-667 selon Pausanias, Description de la Grèce, IV, 23.4], la troisième année de la cent deuxième olympiade [de -372 à -369] où Dasmon fut couronné pour la seconde fois, Dysnikètos était archonte à Athènes [en -370/-369 ; Pausanias décale d'un an l'invasion du Péloponnèse par les Thébains, par rapport à Diodore de Sicile qui la place en hiver -369/-368 comme nous l'avons vu précédemment]. […] Pendant leur errance hors du Péloponnèse pendant presque trois cents ans, les Messéniens avaient conservé tous leurs usages, et même leur dialecte dorien, qui encore aujourd'hui reste plus pûr que chez tous les autres peuples péloponnésiens", Pausanias, Description de la Grèce, IV, 27.5-11 ; "Venu avec son armée jusqu'à Sparte, [Epaminondas] vit qu'Agésilas II n'osait pas sortir avec ses troupes pour combattre. Il tourna alors toutes ses pensées vers le redressement de Messène. Les Messéniens actuels reconnaissent en effet Epaminondas comme leur oikiste", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.5). Les Argiens, adversaires séculaires des Spartiates, participent à cette refondation de Messène ("En face [du cheval dourien, statue en bronze exposée à Delphes en souvenir de victoire des Athéniens à Marathon contre les Perses en -490] se trouvent d'autres statues offertes par les Argiens en souvenir de la fondation de Messène, à laquelle ils ont participé avec Epaminondas et les Thébains. Elles représentent des héros, dont Danaos le puissant roi d'Argos, Hypermnestre, seule parmi toutes les Danaïdes à avoir gardé ses mains pures, Lyncée auprès d'elle, toute leur postérité jusqu'à Héraclès en commençant par Persée", Pausanias, Description de la Grèce, X, 10.5), qui provoque la quasi sécession de toute la Messénie, la démission et la fuite de tous les Messéniens se sentant libérés de leur servilité, l'obligation pour les Spartiates de travailler à nouveau de leurs mains dans leurs champs et dans leurs ateliers, et le profond dépit d'Agésilas II ("Quand Messène fut restaurée par Epaminondas, les anciens habitants y affluèrent de toutes parts. Les Spartiates n'osèrent pas prendre les armes et ne purent empêcher cette restauration. Ils maugréèrent contre Agésilas II, inconsolables d'avoir perdu sous son règne, après tant d'années de possession et d'exploitation, un territoire aussi étendu que la Laconie, le premier en Grèce pour la qualité de son sol. Quand les Thébains proposèrent la paix, Agésilas II la refusa, refusant de céder diplomatiquement ce territoire qu'il avait cédé de fait. Son obstination ne lui permit pas de recouvrer la Messénie", Plutarque, Vie d'Agésilas II 34). Début -368, Epaminondas reprend le chemin de Thèbes ("Après avoir accompli en quatre-vingt-cinq jours tous les exploits que je viens de rapporter et laissé une importante garnison à Messène, les Thébains revinrent dans leur pays", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.67). Iphicrate, qui s'était avancé vers l'Arcadie, revient vers Corinthe ("Les adversaires arcadiens, argiens et éléens qui avaient dévasté le territoire de leur voisine la Laconie, se retirèrent pour la plupart, en emportant le butin qu'ils avaient amassé. Les Thébains et les autres ennemis quittèrent le pays, parce que leurs effectifs diminuaient et parce que leurs vivres devenaient rares, tout ayant été consommé, enlevé, dilapidé, brûlé. L'hiver [-369/-368] acheva d'inciter [les Athéniens] au départ. Quand toutes ces armées s'éloignèrent de Sparte, Iphicrate à son tour ramena les Athéniens depuis l'Arcadie vers Corinthe", Xénophon, Helléniques, VI, 5.50-51). Il attaque l'armée thébaine quand celle-ci passe par Lechaion, port occidental de Corinthe, il est vite repoussé par Epaminondas, qui le bouscule jusqu'à la frontière de l'Attique ("Arrivé à Lechaion, [Epaminondas] allait s'engager dans les défilés étroits et difficiles où passe la route, quand il fut attaqué par Iphicrate gendre de Timothée, ses peltastes et d'autres troupes athéniennes : Epaminondas les mit en déroute et alla jusqu'à l'astu d'Athènes", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.6). Selon Pausanias et un passage de Polyen, Iphicrate dissuade les Athéniens de contre-attaquer, Epaminondas peut donc continer vers Thèbes sans retard ("Iphicrate n'ayant pas voulu laisser sortir les Athéniens pour combattre, [Epaminondas] poursuivit son chemin jusqu'à Thèbes", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.7 ; "Iphicrate commandait les Athéniens contre les Thébains du côté de Corinthe. Les Athéniens le pressèrent d'engager le combat, mais voyant les ennemis supérieurs en nombre et enflés de la victoire qu'ils venaient de remporter à Leuctres il ne voulut pas prendre de risques. Il dit : “Vous êtes motivés au point de mépriser les Béotiens, cela me suffit. Pour vous conduire au-devant d'eux vous trouverez un meilleur stratège que moi”. Ainsi la vertu du stratège freina le courage inconsidéré des Athéniens et les retint de se mesurer à des gens trop fiers de leurs avantages", Polyen, Stratagèmes, III, 9.28). Selon un autre passage de Polyen, Iphicrate dissuade Epaminondas d'attaquer Athènes en lançant la fausse rumeur que les Athéniens sont sur le point d'attaquer Thèbes sans défenseurs ("Les Thébains s'apprêtaient à envahir Athènes la nuit. Iphicrate ordonna aux Athéniens de se rassembler sur l'agora à son signal. Quand ils furent réunis, il leur dit : “La cité de Thèbes est sans défense, sortons paisiblement et sans bruit, et nous la prendrons sans coup férir”. Les Thébains furent informés de ce discours, ils abandonnèrent leur projet d'invasion d'Athènes et retournèrent assurer la garde de leur propre cité", Polyen Stratagèmes, III, 9.20). C'est sans doute à cette occasion qu'Epaminondas découvre les techniques innovantes que son adversaire athénien Iphicrate a importées d'Asie (l'allègement de l'uniforme pour augmenter la mobilité du soldat, l'allongement de la lance obligeant l'adversaire à se tenir à distance), qui seront reprises par l'armée thébaine, et qu'on retrouvera lors de la bataille de Mantinée quelques années plus tard. Pour l'anecdote, lors du procès intenté en hiver -346/-345 contre lui par Démosthène, l'orateur Eschine évoquera son service militaire comme garde-frontières, notamment sa première participation à un combat contre un ennemi non nommé près de Phlionte à la frontière occidentale de l'Attique ("Au sortir de l'enfance, j'ai servi pendant deux ans comme péripole, mes camarades de régiment et nos chefs viendront en témoigner devant vous. J'ai partagé ma première campagne avec d'autres régiments incluant des jeunes gens de mon âge et des mercenaires d'Alcibiade [fils homonyme d'Alcibiade mort en hiver -404/-403 ; ce personnage souffre du même défaut d'élocution que son père selon le comique Archippos cité par Plutarque, Vie d'Alcibiade 1, il est le destinataire du discours pastiche Sur l'attelage composé par Isocrate], pour aider les gens de Phlionte. Une bataille s'est engagée au ravin de Némée dans des conditions périlleuses, je m'y suis distingué au point de recevoir les éloges de nos chefs. Ensuite j'ai participé à toutes les campagnes impliquant les conscrits", Eschine, Sur l'ambassade 167-168 ; "D'une nature robuste, [Eschine] s'appliqua dans sa jeunesse à la gymnastique. […] A l'adolescence, il porta les armes comme garde-frontières", pseudo-Plutarque, Vies des dix orateurs, Eschine 1) : ce souvenir d'Eschine semble se rapporter au passage d'Epaminondas le long de l'Attique en -369 (Eschine a environ vingt-et-un ans en -369, il est peut-être sous les ordres directs d'Iphicrate). Quand il apparaît à Thèbes, Epaminondas ne reçoit aucun accueil triomphal, au contraire il est aussitôt convoqué au tribunal. Ses rivaux politiques, jaloux de ses succès dans le Péloponnèse, l'accusent d'avoir conservé le commandement de l'armée thébaine au-delà du terme qui lui avait été accordé ("[Epaminondas et Pélopidas] entrèrent en armes en Laconie et entraînèrent dans la défection un grand nombre de cités : Elis, Argos, l'Arcadie tout entière, et une grande partie de la Laconie elle-même. On touchait alors au solstice d'hiver [-369/-368, autrement dit le 21 décembre -369], à la fin de l'année en cours, ils devaient remettre au début du mois suivant le commandement de l'armée à leurs successeurs sous peine de mort. Les autres béotarques, par crainte de cette loi, et aussi pour éviter une campagne en saison froide, étaient impatients de ramener l'armée à Thèbes. Mais Pélopidas, appuyant le premier Epaminondas qui voulait continuer la guerre, encouragea les soldats, les conduisit droit à Sparte, traversa l'Eurotas, prit plusieurs cités laconiennes, et avec une armée de soixante-dix mille Grecs dont les Thébains constituaient à peine le douzième il ravagea tout le pays jusqu'à la mer", Plutarque, Vie de Pélopidas 24). Il est conduit au box des accusés avec son lieutenant et ami Pélopidas ("Dans cette expédition, [Epaminondas et Pélopidas] réunirent tous les Arcadiens en un seul peuple, enlevèrent la Messénie aux Spartiates, y rappelèrent les anciens habitants et repeuplèrent la cité de l'Ithome [c'est-à-dire Messène]. […] Ces grands exploits leur attira l'admiration de tous les peuples de la Grèce, autant que la jalousie de certains de leurs concitoyens, qui leur réservèrent à Thèbes un accueil malintentionné sans rapport avec les services remarquables qu'ils avaient rendus. Dès leur retour, ils furent accusés tous deux de crime d'Etat pour avoir méprisé la loi imposant de céder aux nouveaux béotarques le commandement de l'armée au premier jour de leur mois de boukation [mois du calendrier béotien équivalent au mois de gamèlion dans le calendrier athénien, soit mi-janvier/mi-février dans le calendrier chrétien]. Ils avaient effectivement gardé le commandement pendant quatre mois entiers, pour obtenir en Messénie, en Arcadie et en Laconie les succès étonnants que j'ai racontés. Pélopidas, premier mis en jugement, courut le plus grand danger. Finalement les deux furent absous", Plutarque, Vie de Pélopidas 25 ; "Alors qu'Epaminondas exerçait les fonctions de béotarque avec Pélopidas et une tierce personne, les Thébains confièrent à chacun une armée et les envoyèrent secourir les Arcadiens et les Messéniens auxquels Sparte faisait la guerre, puis les rappelèrent à la suite d'une calomnie, alors qu'ils n'avaient pas encore mené à bien tous leurs plans. Mais pendant six mois ils ne cédèrent pas le commandement à leurs successeurs, jusqu'à temps d'avoir détruit les garnisons spartiates de les avoir remplacées par d'autres formées d'Arcadiens. C'est Epaminondas qui obligea ses collègues à se conduire ainsi en leur promettant l'impunité pour cette action", Appien, Histoire romaine XI.212-214 ; "A leur retour, les accusateurs leur intentèrent des procès séparés et requérirent la peine de mort sous prétexte que la loi punissait effectivement de mort quiconque exerçait par la force un commandement attribué à un autre. Les deux autres inculpés se tirèrent d'affaire en faisant appel à la pitié et à des flots d'éloquence, et en rejetant la responsabilité sur Epaminondas. Celui-ci confirma leurs dires. Jugé le dernier, il déclara : “Je reconnais avoir exercé illégalement le commandement pendant cette période et avoir contraint à m'imiter ceux que vous venez d'acquitter. Et comme j'ai agi illégalement, je ne demande pas à échapper à la mort. Mais en contrepartie de mes actions passées, je vous demande d'inscrire sur ma tombe : « Ici repose le vainqueur de Leuctres, qui a étendu jusqu'à Sparte sa patrie ennemie du bonnet laconien : cet homme a été exécuté par sa patrie pour avoir violé les lois dans l'intérêt de celle-ci »”. Sur ces mots, il descendit de la tribune et livra sa personne à quiconque voulait le conduire au supplice. Mais comme son discours avait jeté la honte sur les jurés, que sa défense leur avait inspiré de l'admiration et qu'ils avaient du respect pour l'homme qui se défendait, ils ne supportèrent pas de prendre les bulletins de vote et se hâtèrent de quitter le tribunal", Appien, Histoire romaine XI.215-218 ; "Son temps de béotarque était expiré, et la loi punissait de mort celui qui en conservait la fonction, mais Epaminondas jugea que les circonstances primaient sur la loi, il ne céda pas son poste de béotarque", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.5 : "[Epaminondas] fut contraint de se défendre contre une accusation capitale, celle d'avoir conservé l'autorité au-delà du temps prescrit par la loi. On dit que les juges tirés au sort refusèrent un débat sur cette accusation", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.7 ; "Lors de sa campagne dans le Péloponnèse contre les Spartiates, [Epaminondas] avait deux collègues, dont le vaillant et habile Pélopidas. Les trois stratèges furent accusés par leurs rivaux qui manipulèrent le peuple contre eux, les privèrent de leur commandement et désignèrent d'autres chefs. Epaminondas n'obéit pas à cette décision, il persuada ses collègues d'agir de même et continua la guerre qu'il avait entreprise, estimant qu'en se soumettant à l'ordre du peuple toute l'armée périrait par l'inexpérience et l'ignorance des nouveaux chefs. Une loi à Thèbes punissait de mort tout stratège conservant le commandement au-delà du terme prescrit. Epaminondas considéra que celle-ci devait servir au salut de l'Etat et non pas à sa perte, il conserva donc le commandement quatre mois de plus que le peuple l'avait décrété", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.7). Il prend la parole pour ridiculer ses accusateurs en énumérant les résultats spectaculaires de sa campagne. Il est relâché aussitôt ("Quand l'armée revint à Thèbes, ses collègues furent mis en accusation. Epaminondas leur permit de rejeter toute la faute sur lui, et de soutenir qu'il les avait poussés à désobéir à la loi. Ce stratagème les sauva. Personne n'imaginait qu'Epaminondas se présenterait à sa convocation, n'ayant plus moyen de se défendre. Pourtant il parut au tribunal. Il ne nia aucun des faits que ses adversaires gonflèrent en crimes, il confirma tous les propos de ses collègues et consentit à subir sa peine selon la loi. Pour seule faveur, il demanda à ses juges d'inscrire cette phrase en guise de sentence : “Epaminondas est condamné à mort parce qu'il a obligé les Thébains à vaincre les Spartiates à Leuctres, parce que les Béotiens ont gagné une réputation sur le terrain militaire après qu'il est devenu leur stratège, parce qu'en une seule bataille non seulement il a sauvé Thèbes de la ruine mais encore il a rendu la liberté à toute la Grèce, parce qu'il a renversé les choses au point que les Thébains ont assiégé Sparte tandis que les Spartiates sont réduits à préserver leur vie, et parce qu'il a conservé son commandement pour les assiéger et relever Messène”. Ce propos souleva un tel rire dans l'assemblée qu'aucun juge n'osa opiner. C'est ainsi qu'il échappa à la peine capitale en amplifiant sa gloire", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.8 : "A son retour de Laconie, Epaminondas fut menacé de mort pour avoir gardé le commandement de l'armée thébaine quatre mois de plus que la loi l'autorisait. Il commença par demander à ses collègues de rejeter le crime sur lui seul, en disant qu'il les avait contraints à désobéir. Puis il se rendit au tribunal et dit : “Mes actes sont ma meilleur défense. Si vous les jugez mauvais, condamnez-moi à mort. Mais je veux qu'on inscrive sur ma stèle funéraire : « Epaminondas a obligé les Thébains réfractaires à porter le fer et le feu en Laconie où aucun ennemi n'avait plus pénétré depuis cinq cents ans, à rebâtir Messène ruinée depuis deux cent trente ans, à rassembler les Arcadiens en un seul peuple, à rétablir la liberté des Grecs de vivre selon leurs propres lois »”. Honteux, les juges l'acquittèrent. Au moment où il sortit du tribunal, un petit chien de Melitè vint le caresser en remuant la queue : “Cet animal est reconnaissant du bien que je lui ai fait, dit Epaminondas, davantage que les Thébains désireux de m'ôter la vie en récompense des grands services que je leur ai rendus”", Elien, Histoires diverses XIII.42). Un nommé "Ménékleidès" est l'un des accusateurs. Ce personnage a participé à la libération de Thèbes contre les Spartiates en -378, et estime ne pas en avoir été assez récompensé, notamment par rapport à Pélopidas, il multiplie donc les embuches pour abaisser la gloire de ce dernier et d'Epaminondas. Après l'acquittement de ces deux hommes, il continuera ses attaques contre eux ("Le rhéteur Ménékleidès était l'un de ceux qui s'était soulevés contre les tyrans [en été -378], il avait partagé l'hospitalité de Charon avec Mélon et Pélopidas. Amer que les Thébains ne lui témoignaient pas la même estime qu'aux autres conjurés, cet homme à l'incontestable talent oratoire mais au caractère pervers et corrompu abusa de son éloquence pour diffamer, convoquer en justice et accuser les meilleurs citoyens. Après ce procès [contre Epaminondas], il continua ses intrigues et réussit à écarter longtemps Epaminondas de la charge de béotarque et à gêner ses projets politiques", Plutarque, Vie de Pélopidas 25 ; "[Epaminondas] eut pour détracteur politique un Thébain nommé “Ménékleidès”, plus doué dans la parole que ses compatriotes, majoritairement forts de corps mais faibles d'esprit. Ménékleidès vit qu'Epaminondas excellait dans l'art militaire, il exhorta donc les Thébains à la paix afin qu'ils se dispensassent de ses services. “Tu trompes tes concitoyens par tes mots, dit Epaminondas. Tu leur parles de repos, mais tu leur assures la servitude. Car la paix naît de la guerre. Ceux qui veulent en jouir doivent exceller au combat. Thébains, si vous voulez être le premier peuple de la Grèce, vous devez vivre à la caserne, non au gymnase”. Le même Ménékleidès lui reprocha de ne pas avoir d'enfants et de ne pas être marié, et surtout de croire insolemment avoir égalé la gloire militaire d'Agamemnon. “Cesse de me parler mariage, Ménékleidès, répliqua-t-il, tu n'as pas de leçon à me donner sur le sujet (Ménékleidès était soupçonné d'adultère). Et ne me compare pas à Agamemnon, qui a peiné pendant dix ans avec toutes les forces de la Grèce pour prendre une cité : moi, avec les seules forces de Thèbes, en un jour, j'ai vaincu les Spartiates et libéré toute la Grèce”", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.5), il finira par être soupçonné de trahison et condamné à une forte amende, et par œuvrer au renversement du régime ("N'ayant pas réussi à ternir Pélopidas auprès du peuple, Ménékleidès entreprit de le brouiller contre Charon. Les envieux qui échouent à gagner plus d'estime que ceux qu'ils envient, se consolent en essayant d'abaisser le mérite de ces derniers par rapport à d'autres qu'ils flattent. Ménékleidès vantait en permanence devant le peuple les exploits de Charon, il grandissait sensiblement ses expéditions et ses victoires, notamment l'engagement de cavalerie commandée par Charon près de Platées qui avait donné la victoire aux Thébains peu avant la bataille de Leuctres. Il voulut en fixer le souvenir de la façon suivante. Le peintre Androkydès de Cyzique avait commencé pour la cité de Thèbes le tableau d'une autre bataille. Il travaillait dans Thèbes, jusqu'à la révolte des Thébains contre les Spartiates [en été -378] et à la guerre qui s'ensuivit, qui l'obligea à quitter la cité. Les Thébains conservèrent le tableau d'Androkydès, qui était presque achevé. Afin d'obscurcir la gloire de Pélopidas et d'Epaminondas, Ménékleidès poussa le peuple à sanctuariser ce tableau dans un temple, avec une inscription indiquant qu'il représentait la victoire de Charon. Quel ridicule, que réduire tant de hauts faits accomplis par ce dernier à une unique victoire ayant provoqué la mort d'un Spartiate obscur nommé “Geradas” et d'une quarantaine de ses concitoyens ! Pélopidas attaqua cette résolution comme contraire aux lois, il soutint que Thèbes n'avait pas coutume d'honorer un citoyen pour ses exploits publics, et que toute victoire revenait à la patrie. Pendant toute la durée du procès, il combla Charon de louanges, il dénonça la méchanceté et la jalousie de Ménékleidès, il interpella régulièrement les Thébains pour leur demander si eux-mêmes n'avaient pas accompli des exploits. Ménékleidès fut condamné à une forte amende qu'il ne pouvait pas payer, il fomenta alors le renversement du régime", Plutarque, Vie de Pélopidas 25).


Les Spartiates poussent un soupir de soulagement. Ils ont évité l'anéantissement. Mais ils demeurent en sursis. Au printemps -368, ils députent vers les Athéniens, auxquels ils proposent un donnant-donnant : Sparte reconnaît l'hégémonie maritime à Athènes, à condition qu'Athènes reconnaisse l'hégémonie terrestre à Sparte. Les Athéniens sont partagés. D'un côté, ils savent que les Spartiates n'ont plus les moyens de leur imposer quoi que ce soit et cherchent simplement à profiter de leurs ressources sous couvert d'hégémonies partagées. De l'autre côté, ils savent aussi que Thèbes est devenue une menace directe et qu'Athènes ne pourra pas se défendre seule quand les Thébains l'attaqueront. On décide finalement de fusionner les deux cités Athènes et Sparte en une seule, avec un commandement alterné tous les cinq jours (les débats sont rapportés en détails par Xénophon, Helléniques, VII, 1.1-14, et résumés par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.67). Pendant ce temps, en Laconie, la garnison spartiate de Pellènè est défaite par les Arcadiens ("Les Arcadiens nommèrent Lycomèdès comme stratège et lui donnèrent cinq mille soldats pour assiéger Pellènè en Laconie. Ils prirent la cité d'assaut et exécutèrent à l'épée les trois cents hommes de la garnison spartiate qui s'y trouvait, réduisirent tous les habitants à l'esclavage et ravagèrent les campagnes alentours avant que les Spartiates pussent envoyer des secours", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.67). En Thessalie, le tyran Alexandre de Phères gouverne comme un sauvage. Pélopidas, qui rêve d'égaler les succès de son ami Epaminondas quelques mois plus tôt dans le sud de la Grèce, part avec un petit contingent pour imposer l'ordre thébain dans le nord. Il va jusqu'à Larissa, où il ne parvient pas à assagir Alexandre, qui s'enfuit ("Le tyran Alexandre de Phères ayant déclaré la guerre à plusieurs peuples de Thessalie et cherchant secrètement à asservir toutes les cités du pays, celles-ci députèrent à Thèbes pour demander un stratège et des troupes. Epaminondas était alors occupé dans le Péloponnèse. Pélopidas, désireux d'employer ses propres talents militaires, s'offrit comme stratège aux Thessaliens, estimant qu'Epaminondas n'avait pas besoin d'un lieutenant. Dès qu'il entra en Thessalie, il prit Larissa. Alexandre étant venu se jeter à ses pieds, il essaya de changer ce tyran en souverain doux et humain. Mais la cruauté et la férocité sont incorrigibles : chaque jour, il reçut des plaintes sur les débauches et sur l'avarice de ce dernier. Pélopidas parla fermement au tyran, qui, effrayé, s'enfuit précipitamment avec ses gardes", Plutarque, Vie de Pélopidas 26 ; "Afin de libérer leurs cités de la tyrannie d'Alexandre de Phères, les Thessaliens sollicitèrent les Thébains, qui envoyèrent Pélopidas à la tête d'un gros contingent avec ordre de pacifier le pays d'une manière avantageuse à la Béotie. Le stratège alla droit à Larissa, où il installa une garnison béotienne à la place de celle que le tyran Alexandre y avait mise", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.67). Pélopidas se rend en Macédoine, où il contracte une alliance avec le roi Alexandre II contre Alexandre de Phères. La Macédoine est alors en pleine intrigue aulique. Alexandre II lutte contre un mystérieux "Ptolémée" ambitionnant de le détrôner. Pélopidas apaise la dispute et retourne à Thèbes avec comme otage l'adolescent Philippe II, frère cadet d'Alexandre II, qui sera hébergé par le Thébain Pammenès ("Pélopidas laissa les Thessaliens délivrés du tyran [Alexandre de Phères] et de nouveau réunis, il passa en Macédoine. Ptolémée bataillait contre Alexandre II le roi des Macédoniens, tous deux l'avaient appelé pour être l'arbitre et le juge de leurs différends, et pour défendre et secourir le lésé. Aussitôt arrivé Pélopidas acheva leurs divisions, il rappela les exilés des deux partis, il prit comme otages Philippe II le frère du roi et trente autres jeunes gens des plus illustres maisons macédoniennes, qu'il emmena à Thèbes afin de signifier aux Grecs à quelle hauteur les Thébains étaient parvenus, l'idée qu'on avait de leur puissance, la confiance qu'inspirait leur justice. Ce Philippe II était celui qui enleva la liberté aux Grecs plus tard. Alors encore enfant, il fut élevé à Thèbes dans la maison de Pammenès. On dit qu'Epaminondas fut son modèle : il perpétua peut-être son activité militaire mais rien de plus, Philippe II n'eut jamais naturellement ni par imitation la tempérance, la justice, la magnanimité, la douceur qui constituaient les vertus essentielles de ce grand homme", Plutarque, Vie de Pélopidas 26 ; "[Pélopidas] se transporta ensuite en Macédoine, où il s'allia avec le roi Alexandre II. Comme otage de sa foi et de sa parole, ce dernier lui confia son propre frère Philippe II, que Pélopidas envoya immédiatement à Thèbes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.67 ; Pammenès est un notable thébain qui a vanté la création du Bataillon Sacré de Gorgias, selon Plutarque, Vie de Pélopidas 18 et Sur l'amour 17 ; nous ne retenons pas la version de Justin, qui dit que le jeune Philippe II est hébergé par Epaminondas ["Puis [Alexandre II] le livra [son frère Philippe II] aux Thébains, comme prix de leur alliance. Les brillantes qualités de ce jeune prince purent se développer favorablement à l'occasion. II resta trois ans à Thèbes, il reçut ses premières leçons dans cette cité fidèle aux pûrs mœurs antiques, dans la maison d'Epaminondas, sage philosophe et grand capitaine", Justin, Histoire VII.5]). Epaminondas conduit une nouvelle expédition contre le Péloponnèse. Comme quelques mois plus tôt, il jouit du soutien des Arcadiens, des Argiens et des Eléens ("Les peuples d'Arcadie, d'Argolide et d'Elide résolurent entre eux d'attaquer les Spartiates, en proposant aux Thébains de participer. Aussitôt ceux-ci nommèrent Epaminondas stratège conjointement avec d'autres béotarques, à la tête de sept mille fantassins et six cents cavaliers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.68). Pour tenter de le contenir, les Athéniens commandés par Chabrias se précipitent vers l'isthme de Corinthe. Avec les Spartiates, les Corinthiens et les Mégariens, ils édifient une ligne de barrage entre le golfe Saronique et le golfe de Crissa/Corinthe ("Dès que les Athéniens furent informés de la marche des Thébains vers le Péloponnèse, ils envoyèrent un secours commandé par le stratège Chabrias. Celui-ci alla d'abord du côté de Corinthe. Dans cette cité, et aussi à Mégare et à Pellènè, il recruta dix mille hommes. Les Spartiates et leurs alliés s'étant donné pareillement rendez-vous à Corinthe, l'armée entière se trouva grossie jusqu'à vingt mille hommes. Ils résolurent d'empêcher les Béotiens de pénétrer dans le Péloponnèse. Depuis le port de Cenchrées [port oriental de Corinthe, sur le golfe Saronique] jusqu'à celui de Lechaion [port occidental de Corinthe, sur le golfe de Crissa/Corinthe] ils creusèrent un fossé profond, parallèlement à des contreforts en terre soutenus par des poteaux croisés. Le nombre et le zèle des ouvriers permirent d'achever l'ouvrage avant que les Thébains apparussent", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.68). Epaminondas passe en force la chaine de l'Oneion, au sud de Cenchrées, en écartant les Spartiates ("Les deux peuples [Athènes et Sparte] et leurs alliés se rassemblèrent à Corinthe et résolurent de garder en commun l'Oneion. Tandis que les Thébains et leurs alliés approchaient, ils formèrent leur ligne et chacun se positionna aux deux flancs de l'Oneion, les Spartiates et les Pellèniens se réservant l'endroit le plus facile à garder. Arrivés à une trentaine de stade de leurs ennemis, les Thébains et leurs alliés établirent leur camp dans la plaine. Ils calculèrent le temps nécessaire pour parvenir à l'aube à l'endroit gardé par les Spartiates, et se mirent en marche. Leur calcul fut juste. Ils tombèrent sur les Spartiates et les Pellèniens au moment où les gardes de nuit se retiraient et où les gardes de jour se levaient de leur lit de feuilles. Les Thébains prêts et ordonnés les assaillirent, provoquant surprise et chaos", Xénophon, Helléniques, VII, 1.15-16 ; "Epaminondas arriva avec son armée. Il remarqua un endroit que les ennemis n'avaient pas creusé, servant de passage pour accéder à leur camp et protégé par une garde. Il tenta d'abord de les attirer en rase campagne afin de régler le conflit par une bataille, en leur rappelant qu'ils avaient une supériorité de trois contre un. Les Spartiates ne répondirent pas à ce défi et demeurèrent sur leur position. Epaminondas entreprit alors de les forcer. Ils se défendirent vaillamment. L'attaque et la défense furent très vives. Mais les efforts des Spartiates furent à la fois grands et vains car le passage qu'ils gardaient était ouvert. Après de multiples prouesses de part et d'autre, Epaminondas avec les plus graves Thébains autour de lui passèrent à travers les Spartiates, il renversa ou repoussa tous ceux qui s'opposaient et entra avec toute son armée dans le Péloponnèse. Ce fut là l'une de ses actions les plus mémorables", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.68 ; "Nommé béotarque à nouveau, [Epaminondas] entra avec une armée béotienne dans le Péloponnèse, il défit dans les environs de Lechaion les Spartiates, les Achéens de Pellènè et le contingent athénien amené par Chabrias", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.3 ; "Epaminondas avait l'habitude de mener ses troupes après le lever du soleil, comme pour tirer gloire de batailler à découvert. Il changea de tactique pour entrer dans le Péloponnèse : il surprit les Spartiates endormis en tombant sur eux pendant la nuit", Polyen, Stratagèmes, II, 3.7 ; "Epaminondas répandit vouloir entrer en Laconie pendant la nuit. Le mont Oneion était gardé par une garnison spartiate. Epaminondas laissa ses troupes se reposer au pied de cette hauteur, pendant que la garnison resta éveillée toute la nuit pour maintenir sa garde. A l'aube, Epaminondas lança l'assaut sur la garnison accablée de sommeil, il la vainquit facilement et franchit la frontière", Polyen, Stratagèmes, II, 3.9). Selon Polyen, il prouve une nouvelle fois sa maîtrise du Logos en retournant à son profit la panique provoquée par un orage sur ses hommes ("Epaminondas conduisait ses troupes vers le Péloponnèse. Les ennemis venus à sa rencontre avaient installé leur camp à l'Oneion. Le tonnerre retentit. Les hommes d'Epaminondas furent effrayés, d'autant plus que le devin réclama une halte. “Non, dit Epaminondas, le tonnerre menace seulement nos ennemis de ce camp-là”. Ce propos du stratège redonna du courage aux hommes, qui le suivirent hardiment", Polyen, Stratagèmes, II, 3.3). Il passe par Epidaure, Trézène, Sicyone et Phlionte, sans réussir à les conquérir ("Les Thébains descendirent facilement [dans le Péloponnèse, après le passage de l'Oneion] et effectuèrent leur jonction avec leurs alliés arcadiens, argiens et éléens. Ils attaquèrent aussitôt Sicyone et Pellènè, et aussi Epidaure dont ils ravagèrent les terres. Puis ils revinrent vers Corinthe en bravant audacieusement tous leurs adversaires", Xénophon, Helléniques, VII, 1.18 ; "[Epaminondas] alla ensuite jusqu'à Epidaure et Trézène dont il dévasta les campagnes, mais sans réussir à prendre les deux cités trop solidement défendues. Il effraya Sicyone et Phlionte, qui se soumirent à lui", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.69 ; "Les Thébains libéraient habituellement leurs prisonniers contre rançon, sauf les exilés béotiens qu'ils punissaient de mort : après avoir pris Phybia, petite cité dépendante des Sicyoniens où des exilés s'étaient réfugiés, il les laissa partir contre rançon et l'interdiction de revenir dans leur patrie", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.4 ; cet épisode rapporté par Polyen impliquant le Thébain Pammenès dans une opération militaire contre Sicyone, est peut-être lié à la campagne d'Epaminondas de -368 : "Pammenès voulait prendre le port des Sicyoniens. Il planifia une attaque par terre, et envoya en même temps un bateau rond chargé de soldats vers l'entrée du port. Quelques-uns de ces soldats descendirent à terre, sans armes, comme pour acheter des vivres. Le soir même, Pammenès attaqua la ville bruyamment. Les habitants du port accoururent pour secourir la ville. Les soldats débarqués en profitèrent pour s'emparer du port sans défense", Polyen, Stratagèmes, V, 16.3). Puis il essaie de prendre Corinthe où Chabrias s'est retranché. C'est encore un échec ("[Les Thébains] arrivèrent devant Corinthe. Ils coururent vers la porte face à Phlionte, espérant la trouver ouverte et s'y engouffrer. Mais des troupes légères sortirent de la ville et se portèrent à la rencontre des soldats d'élite thébains qui n'étaient qu'à quatre plèthres des remparts, ils montèrent sur des tertres et les accablèrent de traits et de javelots, ils tuèrent ceux qui s'étaient avancés au plus près puis chassèrent les autres et les poursuivirent sur trois ou quatre stades. Après cet exploit, les Corinthiens tirèrent les morts près des remparts, les rendirent par une trêve et dressèrent un trophée. Ce fait d'armes ranima le courage des alliés de Sparte", Xénophon, Helléniques, VII, 1.18-19 ; "[Epaminondas] conduisit son armée à Corinthe. Les citoyens étant sortis pour l'arrêter, il les vainquit et les refoula dans leur ville. Quelques Thébains se laissèrent emporter par leur ardeur ou par la témérité en entrant dans la ville avec les fuyards, provoquant l'effroi des habitants qui coururent s'enfermer dans leurs maisons. Mais le stratège athénien Chabrias réagit avec intelligence et courage, il repoussa hors les murs une partie des Thébains ayant pénétré et tua tous les autres. Piqués par cette hardiesse des Athéniens, les Thébains rassemblèrent toutes leurs troupes et menacèrent Corinthe d'un assaut. Chabrias suivi de tous les Athéniens sortit de la ville pour se positionner dans un endroit garantissant la sécurité des portes. Comptant sur leur masse et leur expérience acquise par leurs longs combats, les Thébains se concentrèrent sur les Athéniens qu'ils pensaient inférieurs. Mais ceux-ci, grâce à leur position avantageuse conférée par Chabrias, et grâce aux citoyens venant se joindre à eux, tuèrent ou blessèrent facilement les assaillants. Après beaucoup de peines et de pertes, constatant l'échec de leurs tentatives, les Béotiens sonnèrent la retraite. Cette journée apporta la gloire à Chabrias, les circonstances de sa victoire prouvèrent bien son intelligence et son courage", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.69). Pour l'anecdote, la férocité des combats est évoquée au début du dialogue Théétète de Platon, entre le socratique Euclide de Mégare et son compatriote Terpsion, spectateurs des faits. Pendant ce siège de Corinthe, débarquent soudain des renforts celtes/gaulois et ibères envoyés par le vieux tyran Denys de Syracuse pour aider Athènes et Sparte (on doit mettre en parallèle le débarquement de ces renforts envoyés par Denys avec les discussions entre celui-ci et Athènes attestées archéologiquement par le document 103 précité du volume II/2 des Inscriptions grecques daté de l'archontat de Lysistratos en -369/-368, puis l'alliance entre Syracuse et Athènes attestée archéologiquement par le document 105 précité du même volume II/2 du même répertoire daté de l'archontat de Nausigénos en -368/-367), qui déconcertent les Thébains en refusant systématiquement le combat et en attaquant aux moments les plus inattendus ("A ce moment, plus d'une vingtaine de trières envoyées par Denys arrivèrent au secours des Spartiates, amenant des Celtes et des Ibères et une cinquantaine de cavaliers. Le lendemain, les Thébains et leurs alliés se rangèrent en ligne, ils occupèrent et ravagèrent la plaine entre la mer et les collines proches de la ville. Les cavaliers d'Athènes et de Corinthe rechignaient à approcher cette armée, craignant la force et le nombre. Les cavaliers de Denys au contraire, pourtant peu nombreux, s'éparpillèrent ici et là pour harceler la ligne ennemie : ils venaient au plus près pour lancer leurs javelots puis se retiraient dès qu'on les menaçait, avant de revenir lancer d'autres javelots, ils descendaient de cheval pour tirer ou pour se reposer, si on les attaquait pendant qu'ils étaient à terre ils sautaient prestement sur leur monture et battaient en retraite, si des ennemis les chassaient en s'écartant du gros de l'armée ils les isolaient et les blessaient en leur lançant leurs javelots, ainsi ils obligèrent toute l'armée à avancer ou à reculer selon leurs propres mouvements", Xénophon, Helléniques, VII, 1.20-21 ; "A ce moment arrivèrent par mer à Corinthe deux mille Celtes et Ibères soldés pour cinq mois par le tyran Denys, afin d'aider les Spartiates et leurs alliés. Les Grecs voulurent les effrayer en les employant à toutes sortes d'attaques et de combats, mais partout ils battirent les Béotiens et en tuèrent beaucoup", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.70). Parmi les divers escarmouches opposant d'un côté Epaminondas et ses alliés, de l'autre côté Spartiates et mercenaires de Denys de Syracuse, mentionnons une bataille gagnée par Archidamos fils d'Agésilas II contre les Arcadiens, racontée par Xénophon (Helléniques, VII, 1.22-32) : Plutarque s'attarde longuement sur cette bataille non pas pour en louer les péripéties, mais au contraire pour en souligner le ridicule côté spartiate, plus précisément la disproportion entre l'indigence des opérations sur le terrain et l'allégresse délirante des Spartiates pour tenter de se convaincre qu'ils sont encore un grand peuple militaire, très révélateur de leur déchéance politique et morale ("Un corps sain soumis à un régime trop rigoureux décline au premier écart. De même Sparte perdit son bonheur en une simple occasion [l'invasion de la Laconie par Epaminondas en hiver -369/-368]. La cité spartiate était bien formée pour la vertu, la paix et la concorde : en y annexant par la force d'autres cités, ce qui ne leur était nullement nécessaire pour vivre heureux après Lycurgue [législateur de Sparte à l'ère archaïque], les Spartiates se fourvoyèrent. Agésilas II ayant renoncé aux expéditions à cause de sa vieillesse, son fils Archidamos prit la tête des troupes de secours envoyées par le tyran de Sicile, et il gagna sur les Arcadiens une “bataille sans larmes”, ainsi appelé parce qu'aucun de ses hommes ne tomba et qu'il tua la plupart de ses ennemis. Cette victoire manifesta clairement la déchéance de la cité. Naguère en effet, les Spartiates considéraient naturel pour eux le fait de vaincre des ennemis, ils sacrifiaient un seul coq aux dieux, les combattants ne se vantaient pas, et les citoyens informés du succès ne témoignaient pas une joie excessive. Après la bataille de Mantinée [en -418] racontée par Thucydide [Guerre du Péloponnèse VI.66-73], celui qui vint annoncer la victoire reçut en récompense un morceau de viande prélevée par les magistrats sur les repas publics, et rien d'autre. Mais cette fois, quand on apprit l'issue de la bataille, et quand Archidamos revint, nul ne se contint. Son père alla le premier à sa rencontre en pleurant de joie, suivi des notables. La foule des vieillards et des femmes descendit jusqu'aux bords du fleuve [Eurotas], levant les mains au ciel et bénissant les dieux, comme si Sparte avait effacé définitivement les traces de sa honte récente et revoyait briller son ancien prestige", Plutarque, Vie d'Agésilas II 33). Devant l'impossibilité d'obtenir un résultat significatif, Epaminondas reprend le chemin de Thèbes. Le contingent de renfort de Denys repart vers la Sicile sous les applaudissements des Spartiates ("Les Thébains ne restèrent que quelques jours, avant de retourner chez eux, tandis que leurs alliés retournèrent dans leurs patries. Les troupes de Denys se jetèrent sur le territoire de Sicyone, ils défirent les Sicyoniens en plaine, leur tuèrent environ soixante-dix hommes, puis ils prirent d'assaut le fort de Déras. Après ces exploits, le renfort envoyé par Denys remit à la voile pour Syracuse", Xénophon, Helléniques, VII, 1.22 ; "Finalement, après s'être attiré le respect par leur adresse au maniement des armes et par leur courage, [les mercenaires celtes et ibères de Denys] furent bien récompensés par les Spartiates pour leurs services rendus et repartirent vers la Sicile à la fin de l'été [-368]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.70). Les rivaux politiques d'Epaminondas trouvent dans ce résultat mitigé l'occasion de le dégrader : Epaminondas est déchu de son commandement et redevient un simple citoyen ("Après avoir franchi l'isthme de Corinthe en renversant la garnison spartiate, comme je l'ai raconté précédemment, Epaminondas ne poussa pas plus loin, alors qu'il aurait pu suivre la route qu'il s'était ouverte et entrer dans le Péloponnèse. Cela lui attira les soupçons de ses concitoyens, ils l'accusèrent d'avoir épargné les Spartiates parce qu'il les respectait. Ses rivaux jaloux sautèrent sur l'occasion pour le condamner comme traître, et le peuple aigri par leurs discours retira son nom de la liste des béotarques", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.72). Selon Valère Maxime, il est relégué à l'entretien des rues par ses adversaires, qui espèrent ainsi dégonfler son prestige ("Irrités contre Epaminondas, voulant l'humilier, les Thébains le chargèrent de paver les rues. Cette tâche était mal considérée : il l'accepta sans hésitation en promettant de la transformer en métier honorable. Il s'en acquitta si bien qu'il fit de ce métier jusqu'alors méprisé à Thèbes une profession aussi respectable que la plus brillante des distinctions", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables III.7, Exemples étrangers 5). Toujours la même année, juste après le retour d'Epaminondas de Corinthide, selon Xénophon et Diodore de Sicile, les Perses envoient un nouvel ambassadeur avec un gros pécule pour proposer une médiation à tous les Grecs. Les Thébains rejettent la proposition, l'envoyé perse utilise alors son pécule pour recruter deux mille mercenaires, qu'il confie à Sparte ("Philiskos d'Abydos, envoyé par Ariobarzanès [satrape de Phrygie hellespontique], arriva avec beaucoup d'argent. D'abord il rassembla à Delphes les Thébains avec leurs alliés et les Spartiates afin de traiter de la paix. Sur place, personne ne consulta le dieu [Apollon] sur le moyen d'arrêter la guerre, ils délibérèrent entre eux. Comme les Thébains refusèrent que Messène passât sous domination spartiate, Philiskos recruta des mercenaires en grand nombre pour continuer la guerre aux côtés des Spartiates", Xénophon, Helléniques, VII, 1.27 ; "Philiskos envoyé par le Grand Roi Artaxerxès II débarqua en Grèce, chargé par ce dernier d'inviter tous les Grecs à cesser leurs divisions et à établir entre eux une paix durable. Tous consentirent, sauf les Thébains qui persistèrent à dire que la Béotie doit obéir à un seul et unique gouvernement. Face à ce refus, l'envoyé du Grand Roi laissa aux Spartiates deux mille mercenaires payés d'avance et retourna en Asie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.70).


Fin -368 ou début -367, Pélopidas retourne en Thessalie comme ambassadeur, accompagné d'un nommé "Isménias" homonyme de celui exécuté après la prise de Thèbes par les Spartiates en -382 (tué par ses compatriotes collabos selon Xénophon, Helléniques, V, 2.36 précité, et selon Plutarque, Vie de Pélopidas 5 précité), probablement son petit-fils selon l'usage paponymique antique. Pélopidas et Isménias sont immédiatement arrêtés et jetés en prison par Alexandre de Phères ("L'année où Nausigénos fut archonte d'Athènes [en -368/-367], à Rome les quatre tribuns militaires Lucius Papirius, Lucius Menenius, Servius Cornélius et Servius Sulpitius furent investis de l'autorité consulaire. En Elide on célébra la cent troisième olympiade où Pythostratos d'Athènes fut vainqueur à la course du stade […] En Béotie, Pélopidas, rival d'Epaminondas dans le métier des armes, qui voyait que celui-ci offrait aux Thébains des grands succès dans le Péloponnèse, voulut leur en offrir des semblables dans d'autres endroits de la Grèce. Il emmena avec lui Isménias, son ami intime, estimé de tout le monde pour son mérite et sa vertu, et passa en Thessalie. S'étant présentés au tyran Alexandre de Phères, celui-ci les arrêta sans raison et les jeta en prison l'un et l'autre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71 ; "Voulant réduire la Thessalie sous la domination des Thébains, et se croyant en sécurité par son titre d'ambassadeur, naturellement sacré chez tous les peuples, [Pélopidas] fut arrêté avec Isménias et jeté en prison par le tyran Alexandre de Phères", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.5). Selon Plutarque, qui écrit cinq siècles après les faits mais qui dispose de documents directs et qui s'intéresse au sujet puisqu'il est Béotien lui-même, cette démarche de Pélopidas est liée à la situation en Macédoine : Alexandre II vient d'être assassiné et remplacé par le mystérieux affairiste Ptolémée, qui a demandé à Alexandre de Phères de stopper Pélopidas ("Ptolémée avait assassiné le roi [Alexandre II] et s'était emparé du trône. Les amis du souverain mort appelèrent Pélopidas qui, n'ayant pas de troupes et ne voulant pas donner à Ptolémée le temps de se consolider, prit à sa solde quelques mercenaires et marcha promptement contre Ptolémée. Quand il fut sur place, Ptolémée corrompit les mercenaires et les poussa à passer dans son camp. Mais, craignant la réputation et le seul nom de Pélopidas, il alla à sa rencontre, le reconnut comme son supérieur, prodigua les caresses et les prières, s'engagea à garder le royaume pour les frères d'Alexandre II et à avoir pour amis et ennemis ceux des Thébains. Afin de garantir ses promesses, il donna son fils Philoxenos et cinquante autres jeunes gens comme otages, que Pélopidas envoya à Thèbes. Ne pardonnant pas la trahison des mercenaires, et informé que leurs biens avec femmes et enfants se trouvaient à Pharsale, ce dernier crut trouver vengeance de l'injure reçue en les accaparant. Il rassembla quelques Thessaliens et partit vers Pharsale. Dès qu'il arriva, le tyran Alexandre se présenta avec son armée. Croyant qu'il venait demander pardon, Pélopidas s'avança. Il connaissait la scélératesse de son adversaire, sa propension à tuer pour rien, il se persuada néanmoins que sa réputation et son titre susciteraient le respect et le mettraient à l'abri d'une agression. Mais le tyran, quand il le vit seul et sans armes, l'arrêta, le jeta en prison et prit le contrôle de Pharsale", Plutarque, Vie de Pélopidas 27). Selon Polybe, qui écrit deux siècles après les faits mais qui ne s'est pas attardé dans la documentation béotienne et macédonienne du IVème siècle av. J.-C. parce que ce n'est pas son sujet et parce qu'il est Achéen et n'a aucun lien particulier avec la Béotie ni avec la Macédoine, Pélopidas s'est présenté à Alexandre de Phères pour s'en faire un allié ("Le Thébain Pélopidas connaissait la perfidie d'Alexandre [de Phères], et il savait que tous les tyrans considèrent les défenseurs de la liberté comme leurs pires ennemis. Il avait incité Epaminondas à devenir le champion de la démocratie non seulement pour les Thébains, mais encore pour tous les Grecs. Cela ne l'empêcha pas, après s'être présenté une première fois en Thessalie pour abattre le pouvoir d'Alexandre, d'y revenir une seconde fois en qualité d'ambassadeur auprès de ce même tyran. En passant ainsi du côté des ennemis, en se fiant ainsi à la légère et sans discernement à ceux auxquels il devait le moins faire confiance, il causa beaucoup de tort à Thèbes et ternit sa gloire passée", Polybe, Histoire, VIII, fragment 35.6-8) : pour notre part, nous ne voyons aucune cohérence entre les actes patriotiques de Pélopidas durant toute sa vie et cette quasi trahison supposée par Polybe, en conséquence nous rejetons la version de Polybe et lui préférons la version de Plutarque. Quand ils apprennent l'arrestation de Pélopidas, les Thébains sont furieux, ils montent une armée pour aller le libérer. Comme Epaminondas a été déchu de tous ses titres, ils confient ce contingent à un nommé "Kléoménos" ("Scandalisés par cette injure [l'arrestation de Pélopidas par Alexandre de Phères], les Thébains envoyèrent immédiatement en Thessalie huit mille fantassins bien armés et six cents cavaliers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71 ; "Dès que les Thébains apprirent cette perfidie [l'arrestation de Pélopidas par Alexandre de Phères], ils envoyèrent immédiatement une armée, qu'ils confièrent à d'autres stratèges qu'Epaminondas contre qui ils étaient alors irrités", Plutarque, Vie de Pélopidas 28 ; "Peu après, le tyran thessalien Alexandre [de Phères] ayant préventivement et sans ménagement emprisonné Pélopidas venu vers lui après s'être déclaré son ami et l'ami du peuple thébain, les Thébains se mirent aussitôt en marche pour attaquer Alexandre. Ils confièrent cette expédition au béotarque Kléoménos, Epaminondas fut intégré dans ce contingent comme simple soldat", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.1). Effrayé dans un premier temps, Alexandre de Phères se rend compte rapidement que ce Kléoménos est un nul. Il rassemble tous les Thessaliens qui lui sont encore fidèles et, avec l'aide logistique des Athéniens, il chasse le contingent thébain, le contraint à faire demi-tour, et l'accule au péril ("Alexandre [de Phères] fut tellement effrayé qu'il députa vers les Athéniens pour implorer du secours. Ceux-ci envoyèrent trente navires montés par mille hommes commandés par Autoclès. Les Thessaliens avaient déjà pénétré en Thessalie quand cette flotte cotoya l'Eubée. Alexandre rassembla tous ses fantassins, sa cavalerie était plus nombreuse que celle des Thébains, ces derniers voulurent néanmoins engager le combat, calculant qu'une victoire inciterait les Thessaliens mécontents à les rejoindre. Mais lorsqu'ils virent que ceux-ci restaient à distance, que les Athéniens et d'autres alliés passaisent du côté d'Alexandre, et que leurs propres vivres se raréfiaient, les béotarques choisirent finalement de rebrousser chemin. Ils étaient contraints de traverser des rases campagnes, Alexandre s'engagea à leur poursuite et harcela leur arrière-garde avec ses cavaliers à coups de traits. Des soldats furent tués, d'autres grièvement blessés. Ne pouvant plus avancer et n'osant pas s'arrêter, ils se retrouvèrent en situation périlleuse, accrue par leur isolement, ne pouvant pas espérer le moindre secours", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71). Les soldats thébains réclament Epaminondas en remplacement de l'incompétent Kléoménos, qui n'hésite pas longtemps avant de céder son commandement. Epaminondas rétablit la situation en dégageant le contingent thébain de la nasse où Alexandre de Phères l'a orienté ("Les soldats désespérés réclamèrent spontanément Epaminondas comme stratège, qui avait alors perdu tous ses titres. Il plaça aussitôt les fantassins légers et les cavaliers à l'arrière-garde, où lui-même resta pour les commander. Cela suffit pour repousser les Thessaliens, et pour sauver les fantassins lourdement armés avec le reste de l'armée à l'avant", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71 ; "Quand les Thébains arrivèrent aux Thermopyles, Alexandre [de Phères] les attaqua en embuscade. Comme la situation devenait périlleuse, toute l'armée déféra le commandement à Epaminondas, et les béotarques lui cédèrent spontanément leur autorité", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.2 ; "Jaloux d'[Epaminondas], les Thébains refusèrent de lui confier le commandement de l'armée, et choisirent un homme incompétent qui engagea les troupes dans une position périlleuse, coincées dans un étroit passage, assaillies par les ennemis. On recourut alors à l'habile Epaminondas, simple soldat dans l'armée. Celui-ci apporta son aide en ignorant l'affront qu'il avait reçu, il dégagea les troupes et les ramenèrent saines et sauves à Thèbes", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.7). On ignore son itinéraire, en zigzag selon Diodore de Sicile ("Il poursuivit sa marche en modifiant constamment les évolutions de son arrière-garde, et il fatigua l'ennemi par ses attaques surprises. Par cette mémorable retraite il augmenta sa gloire et renforça la confiance des Thébains et de tous leurs alliés", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71 ; cet épisode non daté rapporté par Polyen a probablement aussi un lien avec la retraite d'Epaminondas en Thessalie : "Voulant passer le pont sur le Sperchios, Epaminondas vit les Thessaliens campés devant lui décidés à l'en empêcher. Il avait remarqué qu'un épais brouillard s'élevait du fleuve à l'aube. Il ordonna à chaque régiment de couper deux faisceaux de bois, l'un vert, l'autre sec, et de brûler le vert sur le sec au milieu de la nuit. Profitant ainsi de l'obscurité, du brouillard et de la fumée qui rendirent les ennemis aveugles, il fit passer ses hommes sur le pont. Ces derniers se retrouvèrent dans la plaine sur l'autre rive avant la dissipation de la fumée et du brouillard. Les Thébains s'aperçurent trop tard que les Thébains avaient traversé", Polyen, Stratagèmes, II, 3.13 ; Polyen rapporte un épisode identique en l'associant à Pélopidas, mais il commet certainement une erreur car nous n'avons pas trace d'une retraite précipitée de Pélopidas lors de son expédition de -368 ni de celle de -364 que nous raconterons plus loin ["Pélopidas voulait traverser un cours d'eau en Thessalie, mais ne le pouvait pas parce que ses ennemis le poursuivaient. Il campa sur le rivage, derrière une grande quantité de pieux et de faisceaux qu'il coupa, et qu'il incendia au milieu de la nuit. Par ce moyen, il contraignit les ennemis à abandonner la poursuite, et il passa librement", Polyen, Stratagèmes, II, 4.2]). Le contingent thébain rentre à Thèbes sans gros dommage. Kléoménos et son entourage sont condamnés à une grosse amende pour l'avoir mal conduit ("Les Thébains rassemblés convoquèrent au tribunal les béotarques qui avaient initié cette expédition et les condamnèrent à une très grosse amende", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.71 ; "Les stratèges thébains entrés en Thessalie n'ayant eu aucun succès, soit à cause de leur inexpérience, soit à cause de leur mauvaise fortune, furent contraints à une retraite honteuse, ils furent condamnés chacun à une amende de dix mille drachmes, tandis qu'on confia des nouvelles troupes à Epaminondas", Plutarque, Vie de Pélopidas 29).


En -366, suite à la victoire du prince spartiate Archidamos sur les Arcadiens que nous venons brièvement d'évoquer, ces derniers répliquent en fondant Mégalopolis à la frontière entre Arcadie, Laconie et Messénie ("Une grande bataille opposa les Spartiates et les Arcadiens. La victoire inclina très largement du côté des Spartiates. Ce fut leur premier succès depuis leur défaite à Leuctres […]. Mais les Arcadiens vaincus, craignant les Spartiates, bâtirent sur un terrain avantageux une forteresse qu'ils appelèrent “Mégalopolis”, qu'ils peuplèrent avec deux populations appelées “Mainaliens” ["Mainal…wn"] et “Parrasiens” ["Parras…wn"] répartis auparavant dans une vingtaine de villages", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.72). La même année, Epaminondas, qui a recouvré son rang grâce à son intervention salutaire en Thessalie, lance une nouvelle expédition vers l'ouest en Locride et en Acarnanie, il chasse les Achéens qui y ont laissé des garnisons ("L'année où Polizèlos fut archonte d'Athènes [en -367/-366], à Rome les dissensions publiques empêchèrent l'élection de nouveaux magistrats. […] Le Thébain Epaminondas entra à la tête de ses troupes dans le Péloponnèse, il vainquit les Achéens et quelques cités alentours, il délivra Dymè, Naupacte et Calydon des garnisons qu'ils y avaient mises", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.75). Parallèlement, il encourage de loin les Arcadiens dans leur fondation de Mégalopolis, en leur envoyant le stratège Pammenès ("[Epaminondas] poussa les Arcadiens à détruire tous leurs villages trop faibles pour se défendre et à les rassembler en une cité unique, appelée encore aujourd'hui “Mégalopolis”", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 14.4 ; "Les Arcadiens fondèrent Mégalopolis ensemble. Le Thébain Epaminondas est considéré comme son oikiste, car ce fut lui qui inspira les Arcadiens, il leur envoya mille Thébains d'élite sous les ordres de Pamménès pour les protéger contre une éventuelle réaction des Spartiates opposés à ce projet", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 27.2 ; rappelons que le Thébain Pammenès héberge le jeune otage macédonien Philippe II, selon Plutarque, Vie de Pélopidas 26 précité). Et brusquement il se retourne contre la Thessalie, afin de délivrer son ami Pélopidas qui croupit toujours dans les geôles d'Alexandre de Phères. Ce dernier prend peur, il libère Pélopidas. Les deux Thébains rentrent à Thèbes. Pélopidas jure de punir Alexandre de Phères dès que l'occasion se présentera ("Puis [Epaminondas] [après son expédition contre les Achéens en Locride et en Acarnanie] passa en Thessalie où il tira Pélopidas de la prison d'Alexandre de Phères", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.75 ; "Epaminondas renonça à sa propre gloire pour aller secourir Pélopidas. Il craignit que le tyran Alexandre [de Phères] réduit au désespoir se jetât comme une bête féroce sur son prisonnier. Alors il traîna la guerre en longueur, tournant autour de son adversaire, simulant des préparatifs, pour le pousser à agir dans la précipitation tout en ménageant son caractère féroce et barbare. La cruauté de cet homme bravait en effet toute justice et toute humanité : il enterrait les condamnés vivants, il couvrait d'autres avec une peau d'ours ou de sanglier et lâchait sur eux des chiens de chasse qui les déchiraient, lui-même tirait parfois sur eux avec son arc pour les achever. Tels étaient ses divertissements. […] Effrayé par la renommée et la gloire d'Epaminondas, [Alexandre] “tremblant comme un coq, l'aile repliée” [expression proverbiale renvoyant à la réaction de peur et d'orgueil blessé du tragédien Phrynichos après la représentation d'une de ses tragédies évoquant la prise de Milet par les Perses en -494, qui a soulevé l'indignation et la colère des Athéniens, selon Elien, Histoires diverses XIII.17] députa vite vers lui pour se justifier. Mais Epaminondas refusa que les Thébains signassent un traité d'alliance et d'amitié avec un si méchant personnage. Il lui accorda une trêve de trente jours, tira de captivité Pélopidas et Isménias, et les ramena à Thèbes avec ses troupes", Plutarque, Vie de Pélopidas 29 ; "Dès qu'il vit Epaminondas à la tête de l'armée ennemie, Alecxandre [de Phères] perdit confiance en ses forces, et relâcha spontanément Pélopidas", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.2 ; "Epaminondas libéra [Pélopidas] en bataillant contre Alexandre [de Phères]. Après sa libération, Pélopidas ne put calmer son ressenti contre celui qui l'avait outragé", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.5). Pendant ce temps, en Eubée, la cité d'Eretrie s'émancipe, bien consciente qu'Athènes est en grande difficulté face à Thèbes. Le tyran d'Erétrie s'empare de la cité d'Oropos sur le continent, jusqu'alors sous le contrôle d'Athènes, à la frontière eentre Attique et Béotie. Les Athéniens naturellement mécontents tournent leurs forces vers les Erétriens pour reprendre Oropos. Le tyran d'Erétrie appelle à l'aide les Thébains, qui envoient un contingent à Oropos. L'affaire est gelée en attendant une issue diplomatique, les Athéniens ne voulant pas risquer de déclencher une guerre ouverte contre les Thébains ("Charès secondait les gens de Phlionte qui fortifiaient Thyamia, quand des exilés prirent Oropos. Les Athéniens envoyèrent toutes leuurs forces contre cette cité en rappelant Charès […]. Les Athéniens ne reçurent aucune aide de leurs alliés, ils durent se retirer en laissant Oropos entre les mains des Thébains en attendant une décision de justice", Xénophon, Helléniques, VII, 4.1 ; "L'année où Kèphisodoros fut archonte d'Athènes [en -366/-365], à Rome les quatre tribuns militaires Lucius Furius, Paulus Manlius, Servius Sulpitius et Servius Cornélius furent investis de l'autorité consulaire. Thémison tyran d'Eretrie prit la cité d'Oropos qui appartenait aux Athéniens, mais il la perdit bientôt après. Comme il sentait que les Athéniens lui étaient très supérieurs, il appela les Thébains à l'aide et leur confia cette cité, qu'ils gardèrent pour eux-mêmes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.76). A cette occasion, l'orateur athénien Callistrate se distingue. Nous savons peu de choses sur la vie de ce personnage. Il est mentionné pour la première fois à Thèbes lors de l'opération de Pélopidas contre les occupants spartiates en été -378 : afin de passer la porte de l'un des collaborateurs qui gouvernent Thèbes au nom de Sparte, Pélopidas a déclaré à celui-ci "venir d'Athènes avec une lettre de Callistrate" (selon Plutarque, Sur le démon de Socrate 32 précité), on ne sait pas si cela signifie que Callistrate à cette date était un interlocuteur régulier des collaborateurs de Sparte, ou s'il était au contraire un ancien hôte athénien de Pélopidas. En tous cas, après le raid piteux de Sphodrias dans l'ouest de l'Attique en hiver -377/-376, Callistrate est devenu clairement un adversaire de Sparte puisqu'il a été nommé stratège avec Timothée et Chabrias contre toute nouvelle incursion spartiate en Attique (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.29 précité). Lors des négociations sous médiation perse à Sparte en -374 pour tenter d'apaiser les relations entre Spartiates, Thébains et Athéniens, nous avons vu que Callistrate a été l'un des intervenants les plus hostiles à la reconnaissance hégémonique thébaine sur la Béotie (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.38). En -371, lors des nouvelles négociations à Sparte que nous avons brièvement évoquées, suite aux avancées thébaines en Béotie, juste avant la bataille de Leuctres, Callistrate s'est exprimé encore publiquement dans un long discours conservé par Xénophon (Helléniques, VI, 3.10-17), en synthétisant ses positions précédentes : hors de question de laisser les Thébains accroître leurs conquêtes en Béotie et au-delà, et hors de question d'absoudre les Spartiates de leurs actes injustes contre les Grecs (comme l'occupation militaire de La Cadmée entre -382 et -378 ou le raid de Sphodrias en Attique en hiver -377/-376). Callistrate semble en droite filiation des orateurs athéniens du Vème siècle av. J.-C., il pense le monde à travers la grandeur d'Athènes, il refuse de partager les intérêts athéniens avec les intérêts de Sparte ou de Thèbes. Lors de l'affaire d'Oropos en -366, il semble pareillement indifférent aux menaces de Thèbes : les Erétriens ont trahi Athènes en accaparant Oropos, Athènes doit donc récupérer Oropos et punir les Erétriens, si les Thébains veulent intervenir dans cette affaire interne à Athènes on doit les en dissuader en leur signifiant qu'ils ne sont pas concernés. En résumé, pour Callistrate, Athènes est trop haute pour avoir des ennemis, les Athéniens ne sont hostiles à personne parce qu'ils sont les maîtres de tous, ceux qui ne comprennent pas cela doivent être remis à leur place, réprimandés verbalement ou fessés ou relégués au coin : donc on relègue au coin les gens d'Erétrie, on fesse les gens d'Oropos, et on réprimande verbalement les gens de Thèbes. Nous n'avons pas conservé le discours que Callistrate prononce sur le sujet. Nous savons seulement que dans l'assistance se trouve un adolescent promis à un brillant avenir : Démosthène. Agé d'environ quatorze ans, le jeune Démosthène cherche sa voie. Il se glisse souvent parmi les élèves de Platon à l'Académie ("[Aristote] ne cessait de répéter à Alexandre et à nous-mêmes [c'est Antipatros qui parle dans ses Mémoires probablement apocryphes, cités par Lucien] que, parmi les nombreux élèves qui fréquentaient son école [c'est-à-dire l'Académie, car entre l'archontat de Polyzèlos en -367/-366 et l'archontat de Théophilos en -348/-347 Aristote n'est qu'un des professeurs de l'Académie, il n'a pas encore rompu avec Platon pour fonder le Lycée ?], Démosthène était celui qui l'avait le plus impressionné par la grandeur de son caractère, son application aux exercices, sa gravité, sa vivacité, sa franchise et sa patience", Lucien, Eloge de Démosthène 40), mais n'est pas convaincu. Il entend Callistrate, et soudain il a la révélation : il veut devenir son élève, il veut subjuguer les foules et pérenniser sa politique de grandeur athénienne. Quand Callistrate descend de la tribune, Démosthène le supplie de le prendre à son service, Callistrate se laisse fléchir et l'embauche comme secrétaire ("Hermippos [de Smyrne, sociétaire du Musée d'Alexandrie au IIIème siècle av. J.-C., auteurs de biographies sur les philosophes célèbres, conservées à l'état fragmentaire] rapporte que Démosthène dans sa jeunesse fréquentait régulièrement l'Académie pour suivre les leçons de Platon. Un jour qu'il sortit pour entendre le philosophe selon son habitude, il vit des gens courir et se rassembler, il en demanda la cause, il apprit que cette foule allait écouter Callistrate, un des orateurs que les Athéniens appellaient “démagogues”. Démosthène se détourna pour constater si ce dernier valait un tel empressement. Arrivé sur l'agora, il entendit Callistrate prononcer son éloquent et célèbre discours sur Oropos. Il fut si ému, si séduit par le talent de l'orateur, qu'il abandonna aussitôt Platon et l'Académie, et devint l'élève de Callistrate", Aulu-Gelle, Nuits attiques III.13 ; "Informé que Callistrate, le plus célèbre orateur d'Athènes, allait haranguer le peuple à propos d'Oropos, Démosthène encore jeune pria et obtint de cet orateur de l'accompagner à la tribune comme secrétaire. L'ayant entendu, il abandonna toutes ses études pour se consacrer à l'éloquence", Libanios, Vie de Démosthène). Démosthène ne profitera pas longtemps des leçons de Callistrate : à une date inconnue et pour un motif incertain, peut-être pour sa neutralité envers Thèbes et sa sévérité envers Erétrie, Callistrate sera condamné à l'exil par Léodamas, ancien élève d'Isocrate et maître d'Eschine ("Léodamas accusa Callistrate en déclarant que celui qui conseille est plus responsable que celui qui l'exécute, car toute action est commise parce que quelqu'un l'a conseillée", Aristote, Rhétorique, I, 7.13). Il se retirera dans le nord de la mer Egée, nous le retrouverons vers -361 à Méthone en Macédoine puis vers -357 en Thrace ("Hégésias de Magnésie [orateur et historien au tournant des IVème et IIIème siècles av. J.-C.] raconte que Démosthène, ayant appris que l'orateur Callistrate d'Aphidna, ancien commandant de cavalerie et donateur de l'Hermès de l'agora, devait plaider devant le peuple une affaire importante, demanda à son précepteur de l'y conduire, et le plaisir qu'il ressentit à l'entendre lui inspira le plus grand désir pour l'éloquence. Callistrate devint son maître. Mais il ne profita pas longtemps de ses leçons car celui-ci fut contraint de quitter Athènes et se retira en Thrace", pseudo-Plutarque, Vies des dix orateurs, Démosthène 1).


L'Anatolie est en plein chaos à cette époque. Nous ne nous étendrons pas sur le sujet qui n'entre pas dans le cadre de notre étude, disons simplement que, selon Cornélius Népos (Vies des grands capitaines XIV.1-5), Datamès le satrape de Cilicie a provoqué, à cause de son courage et de sa fidélité au Grand Roi, la jalousie de certains courtisans à Persépolis, qui en conséquence ont fomenté un complot pour l'éliminer. Datamès s'est réfugié en Cappadoce avec ses partisans. Son influence s'est étendue jusqu'à la côte nord anatolienne puisque Polyen au paragraphe 21 livre VII de ses Stratagèmes rapporte diverses épisodes le concernant se déroulant au nord à Sinope et à Amisos, et à l'est sur la rive orientale de l'Euphrate. Artaxerxès II a chargé Artabaze, fils de Pharnabaze le défunt satrape de Phrygie hellespontique et d'Apama fille d'Artaxerxès II, de mâter le soulèvement de Datamès. On suppose qu'un conflit dynastique existe entre cet Artabaze et Ariobarzanès de Kios, probable bâtard de Pharnabaze (donc demi-frère d'Artabaze, selon la conjecture évoquée plus haut s'appuyant sur Xénophon, Helléniques, IV, 1.39-40, et sur Plutarque, Vie d'Agésilas II 13) qui a remplacé ce dernier à la tête de la satrapie de Phrygie hellepontique et n'a pas envie de céder la place. Artaxerxès II aimerait sans doute laisser Ariobarzanès à son poste, pour ne pas se créer un mécontent supplémentaire, et nommer Artabaze (son petit-fils via Apama) nouveau satrape de Cappadoce en remplacement de Datamès. Selon Cornélius Népos (Vies des grands capitaines XIV.7-8), le Grand Roi à une date inconnue a envoyé Autophradatès le satrape de Lydie contre Datamès, sans succès. La tentative d'Artabaze contre Datamès échouera de la même façon sous l'archontat de Molon en -362/-361 (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.90-91). Orontès le satrape de Grande Arménie, dont nous avons souligné la loyauté très élastique à l'égard d'Artaxerxès II dans notre alinéa précédent, s'est également émancipé. Si on ignore le détail de sa rébellion, on déduit néanmoins qu'il a été déchu de son titre en Grande Arménie et a trouvé refuge sur la côte ouest anatolienne par plusieurs indices : primo les numismates ont retrouvé des monnaies au nom d'Orontès à Adramyttion (aujourd'hui Edremit en Turquie) et Kisthénè (cité non localisée sur la côte continentale face à l'île de Lesbos), deusio l'inscription 264 précitée du répertoire Orientis graeci inscriptiones selectae de Wilhelm Dittenberger (ou "OGIS" dans le petit monde des hellénistes) raconte comment à une date inconnue "Orontès fils d'Artasyras d'origine bactrienne, rebelle ["¢post£j"] à Artaxerxès II le Grand Roi des Perses, a soumis les gens de Pergame et les a déplacés sur la colline de la vieille ville" (comme Adramyttion et Kisthénè, la cité de Pergame se situe sur la côte ouest anatolienne), tertio le décret 207 du volume II/2 des Inscriptions grecques de date incertaine reconnaît Orontès comme citoyen d'Athènes en remerciement de ses livraisons de blé aux Athéniens, ce qui indiquerait qu'Orontès vit désormais près de l'Hellespont ou du Bosphore (passage obligé des convois de blé depuis les plaines ukrainiennes vers Athènes) et non plus en Grande Arménie, quarto Diodore de Sicile (Bibliothèque historique XV.90) dit incidemment qu'Orontès sous l'archontat de Molon en -362/-361 est "satrape de Mysie", autrement dit Orontès s'est réfugié chez Ariobarzanès de Kios devenu satrape de Phrygie hellespontique (cela raccorde avec le paragraphe 26 livre VII des Stratagèmes de Polyen, qui raconte qu'à une date inconnue Autophradatès assiège son pair Ariobarzanès réfugié dans Adramyttion/Edremit), quinto Polyen (Stratagèmes, VII, 14.3) nous apprend qu'à une date inconnue Orontès avec des mercenaires a vaincu les cavaliers d'Autophradatès envoyés contre lui à Kymè (autre cité de la côte ouest anatolienne), sexto le même Polyen (Stratagèmes, VII, 14.2) rapporte des razzias d'Orontès dans les alentours de Sardes, la capitale de la Lydie dont Autophradatès est le satrape. Au sud-ouest de l'Anatolie, au début du IVème siècle av. J.-C., un nommé "Hekatomnos" originaire de Mylasa en Carie a été grandement récompensé pour ses services par le Grand Roi. A sa mort à une date incertaine après -380, son fils Mausole lui a succédé. Mausole s'est installé à Halicarnasse, qu'il transforme en capitale de prestige (notons que Diodore de Sicile évoquant Mausole sous l'archontat de Molon en -362/361 désigne celui-ci comme simple "dynaste/dun£sthj" local et non comme satrape à cette date : "Mausole [était] dynaste de Carie et maître de beaucoup de cités et de forteresses, dont la principale Halicarnasse dotée d'une citadelle qui servait de capitale à la Carie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.91). La documentation écrite sur ce personnage est quasi inexistante, à l'exception de quelques anecdotes rapportées par Aristote (Economique 1348a) et Polyen (Stratagèmes VII.23) témoignant de sa fidélité au Grand Roi. Un passage de Xénophon, contemporain des faits, va dans le même sens. Xénophon rapporte qu'à une date inconnue, très probablement entre la bataille de Leuctres en -371 et la bataille de Mantinée en -363 où les Spartiates cherchent désespérément des fonds pour financer leur guerre contre Thèbes (Xénophon précise qu'Agésilas II est alors en "âge avancé"), Autophradatès et Mausole assiégeaient Ariobarzanès retranché dans la cité d'Assos en Troade, quand soudain Agésilas II a débarqué. A priori, Agésilas II ne présentait aucun danger : il était déjà vieux, et Sparte était en pleine déchéance face à Thèbes. Pourtant, le souvenir de l'expédition d'Agésilas II du début du siècle était encore bien présent à l'esprit des dignitaires perses, qui ont paniqué. Autophradatès a craint de l'affronter et s'est enfui. Mausole a levé le siège et lui a donné beaucoup d'argent pour l'inciter à repartir illico à Sparte ("Parce que son âge avancé [à Agésilas II] ne lui permettait plus de combattre comme fantassin ni comme cavalier, et parce qu'il voyait sa patrie à court d'argent, il se chargea de lui trouver des alliés. Il fit ce qu'il put dans le pays, puis il partit sans honte servir sa patrie comme député puisqu'il n'était plus bon soldat. Dans cette ambassade, il agit en authentique stratège. Autophradatès [satrape de Lydie], qui assiégeait dans Assos [en Troade] Ariobarzanès [satrape de Phrygie hellespontique] allié de Sparte, craignit Agésilas II et prit la fuite, Kotys [chef des Thraces odryses] qui assiégeait la cité de Sestos dépendant d'Ariobarzanès se retira aussi, un trophée sur l'ennemi fut alors durant cette ambassade. Mausole assiégeait les deux cités en question du côté de la mer avec une centaine de navires : il retourna dans son pays non pas par peur mais par persuasion. [texte manque] Un point est digne d'admiration : ceux qui s'estimaient ses obligés autant que ceux qui s'étaient enfuis devant lui le payèrent, Mausole lié à eux par hospitalité lui donna spontanément de l'argent pour Sparte. Ensuite, tous l'escortèrent magnifiquement lors de son retour vers sa patrie", Xénophon, Agésilas II II.25-27). Cornélius Népos rapporte la même histoire, en précisant qu'Agésilas II était accompagné de l'Athénien Timothée fils de Conon ("[Timothée] marcha avec Agésilas II au secours d'Ariobarzanès. Le Spartiate accepta de l'argent, qu'il préféra utiliser pour agrandir le domaine de ses concitoyens plutôt que garder pour lui-même, il obtint pour eux Krithote et Sestos", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XIII.1). Cela est confirmé par Démosthène, également contemporain des faits ("Je vous rappelle une ancienne entreprise qui vous a été profitable. Quand vous avez envoyé Timothée au secours d'Ariobarzanès, votre décret contenait cette clause : “Le traité avec le Grand Roi ne sera pas rompu”. En voyant d'un côté le satrape en rébellion ouverte contre son souverain, et de l'autre côté Samos occupée par les troupes de Kyprothémis qui y avait installé Tigrane le lieutenant du Grand Roi, votre stratège a renoncé à soutenir Ariobarzabès, il s'est avancé vers cette cité, l'a secouru et l'a délivrée", Démosthène, Sur la liberté des Rhodiens 9). Bref, Artaxerxès II est confronté à des désordres internes et a impérativement besoin de la paix en Grèce pour ne pas les agraver. Fin -366 ou début -365, ses ambassadeurs en Grèce réussissent à convaincre Spartiates, Athéniens et Thébains de s'asseoir autour d'une table commune ("L'année où Kèphisodoros fut archonte d'Athènes [en -366/-365], à Rome les quatre tribuns militaires Lucius Furius, Paulus Manlius, Servius Sulpitius et Servius Cornélius furent investis de l'autorité consulaire. […] A la même époque le Grand Roi de Perse envoya des nouveaux ambassadeurs en Grèce pour inviter les peuples à résoudre leurs différends et à instaurer entre eux une paix durable. Ainsi s'acheva la guerre dite “laconique” ou “béotique”, qui s'était prolongée plus de cinq ans après la bataille de Leuctres", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.76). Les Spartiates et les Athéniens sont les premiers à envoyer des députés vers l'Asie. Les Thébains ne veulent pas les laisser négocier seuls avec Artaxerxès II, ils envoient à leur suite Pélopidas et Isménias récemment libérés (Plutarque évoque cette ambassade de Pélopidas en Perse au paragraphe 30 de sa Vie de Pélopidas, juste après qu'Alexandre de Phères les a libérés et conduits à Epaminondas au paragraphe 29). On ne sait pas où a lieu la conférence entre les Grecs et Artaxerxès II. Pélopidas est très bien reçu par ce dernier, en raison des antécédents historiques de Thèbes et de la récente victoire des Thébains à Leuctres qui contrebalance l'hégémonie athénienne puis spartiate jusque-là. Pélopidas réclame une aide à la repopulation de Messène, la reconnaissance mutuelle des cités grecques et le renouvellement de l'amitié entre les Thébains et le Grand Roi de Perse : il obtient tout ("Toujours occupés à assurer leur hégémonie sur la Grèce, les Thébains pensèrent qu'une ambassade au Grand Roi de Perse aiderait leur ambition. Ils invitèrent leurs alliés à se joindre à eux. Ils prétextèrent la présence du Spartiate Euthyklès auprès du Grand Roi pour envoyer en haute Asie le Thébain Pélopidas, accompagné de l'Arcadien pancratiaste Antiochos, de l'Eléen Archidamos et d'un Argien. Quand ils l'apprirent, les Athéniens envoyèrent Timagoras et Léon. Arrivé en Perse, Pélopidas fut beaucoup plus favorisé que les autres par le Grand Roi [Artaxerxès II], car les Thébains étaient les seuls Grecs à avoir bataillé aux côtés du Grand Roi [Xerxès Ier] à Platées [en -479], ils n'avaient jamais pris les armes contre le Grand Roi depuis cette époque, c'était même pour cette raison que les Spartiates les combattaient : parce qu'ils avaient refusé de marcher contre lui avec Agésilas II, parce qu'ils avaient empêché ce dernier de sacrifier à Artémis à Aulis comme jadis Agamemnon avant de mettre à la voile vers l'Asie et de prendre Troie. Pélopidas jouissait surtout du fait que les Thébains avaient remporté la bataille de Leuctres et avaient ravagé le pays des Spartiates. Pélopidas déclara que les Argiens et les Arcadiens avaient été battus par les Spartiates parce que les Thébains n'étaient pas avec eux, il fut approuvé par l'Athénien Timagoras, le plus considéré après lui. Finalement, le Grand Roi demanda à Pélopidas ce qu'il voulait voir écrit dans la déclaration : Pélopidas demanda que Messène fût affranchie du joug des Spartiates, et que les Athéniens repliassent leurs navires vers la terre, qu'en cas de refus on marchât contre eux, et qu'en cas de réticence d'une cité à se joindre à l'expédition on marchât contre elle en premier. Ces clauses furent écrites et lues aux ambassadeurs. Léon dit : “Par Zeus, Athéniens, je crois que nous devons trouver un autre ami à la place du Grand Roi”. Le Grand Roi l'entendit, il demanda au greffier d'ajouter la phrase suivante à la déclaration : “Si les Athéniens connaissent une clause plus juste que les présentes, ils devront la communiquer au Grand Roi”", Xénophon, Helléniques, VII, 1.33-37 ; "Ayant appris que Spartiates et Athéniens avaient envoyé des ambassadeurs au Grand Roi pour s'allier avec lui, les Thébains envoyèrent à leur tour l'illustre Pélopidas, le meilleur choix pour cette mission : il était très célèbre et très estimé dans toutes les provinces royales qu'il devait traverser car la nouvelle de ses victoires s'était répandue rapidement en Asie et alentours, depuis la journée de Leuctres tous ses succès avaient grandi sa gloire jusqu'aux extrémités de l'Empire [perse]. Il arriva à la Cour de Perse, excitant l'admiration des satrapes, des princes et des généraux. “Voilà l'homme qui a privé les Spartiates de leur hégémonie sur terre et sur mer, dirent-ils, celui qui a renfermé entre le Taygète et l'Eurotas la même Sparte aux ordres d'Agésilas II ayant combattu le Grand Roi et menacé les royaumes de Suse et d'Ecbatane peu de temps auparavant !” Charmé de son arrivée, Artaxerxès II prit plaisir à accroître encore sa réputation et sa dignité par les honneurs qu'il lui réserva, désirant signifier à ses peuples que les plus grands hommes venaient lui rendre hommage et louer son bonheur. Quand il le vit personnellement et écouta son discours, plus grave que celui des Athéniens et plus simple que celui des Spartiates, il l'aima encore davantage. Selon l'usage royal, il exprima ouvertement l'estime qu'il lui portait et sa préférence par rapport aux autres ambassadeurs. Naguère il avait semblé honorer le Spartiate Antalcidas plus qu'aucun autre Grec en retirant sa couronne de sa tête afin de la tremper dans des essences précieuses et de la lui passer lors d'un repas : il ne se montra pas aussi familier avec Pélopidas, il lui offrit des grands et magnifiques cadeaux et répondit favorablement à toutes ses demandes, notamment la liberté des Grecs de suivre leurs propres lois et usages, la repopulation de Messène, et l'amitié héréditaire entre les notables thébains et le Grand Roi de Perse", Plutarque, Vie de Pélopidas 30 ; "Dans l'ambassade qu'il conduisit vers le Grand Roi de Perse sur la paix générale en Grèce, [Pélopidas] plaida pour la cité de Messène, il obtint qu'elle fût rebâtie. C'est ainsi que les Thébains contribuèrent à son redressement, trois cents ans après sa destruction", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.81 ; "Afin de hâter le rétablissement de Messène, Pélopidas se rendit chez les Perses comme ambassadeur", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.4). Pélopidas revient à Thèbes, après avoir refusé poliment tous les cadeaux qu'Artaxerxès II a voulu lui offrir et conservé sa dignité de Grec insoumis (contrairement à Isménias qui s'est lâchement agenouillé devant le Grand Roi en simulant la nécessité : "Les Thébains Pélopidas, le vainqueur de Leuctres, et Isménias allèrent aussi à la Cour d'Artaxerxès II. Pélopidas ne commit aucun acte honteux. Isménias en revanche, à qui l'on ordonna d'adorer le Grand Roi, laissa tomber son anneau aux pieds du souverain afin de se baisser pour le ramasser et simuler ainsi l'avoir adoré", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 22). Les députés athéniens reviennent aussi dans leur cité, où ils sont aussitôt condamnés par leurs compatriotes pour ne pas avoir été à la hauteur diplomatique de Pélopidas ("Pélopidas fut satisfait des réponses du Grand Roi, il refusa ses cadeaux sauf ceux qui garantissaient la faveur et la bienveillance royale, et repartit. Ce comportement désintéressé porta préjudice aux autres ambassadeurs. Ainsi les Athéniens convoquèrent Timagoras en justice et le condamnèrent à mort. Cette juste sentence semblait liée aux cadeaux qu'il avait acceptés : il avait reçu non seulement de l'or et de l'argent, mais encore un lit magnifique et des esclaves pour l'entretenir car les Grecs n'étaient pas assez habiles pour cela, quatre-vingts vaches avec leurs bouviers, obtenus après avoir réclamé du lait de vache pour soigner une maladie bénigne, et lors de son départ le Grand Roi avait déboursé quatre talents afin que ses esclaves le portassent sur son lit jusqu'à la mer. Mais en vérité, les Athéniens n'étaient pas irrités pour cette raison : Epicratès qui portait ses bagages ne cacha pas avoir reçu des cadeaux similaires du Grand Roi, et quand il proposa un décret pour élire chaque année neuf citoyens pauvres à la place des neuf archontes et les envoyer en ambassade au Grand Roi afin que celui-ci les enrenchît, il fut moqué par le peuple. Ils étaient irrités parce que Pélopidas avait obtenu tout ce qu'il voulait, ils n'acceptèrent pas sa renommée, sa supériorité rhétorique sur les autres ambassadeurs, et la reconnaissance du Grand Roi inclinant naturellement vers les plus forts à la guerre", Plutarque, Vie de Pélopidas 30). En apparence, cette ambassade est une grande victoire pour Thèbes. En réalité, elle marque les limites du projet hégémonique thébain. Car les Thébains ont toujours incliné du côté des Perses davantage que du côté des Grecs (on se souvient que la majorité des Thébains ont accueilli favorablement Xerxès Ier quand celui-ci a envahi la Grèce en -480, et sont restés neutres quand son armée à été écrasée par les Spartiates et les Athéniens à Platées l'année suivante). Comment donc prétendre à l'union des Grecs aujourd'hui sous l'autorité des Thébains contre la Perse, quand on a soutenu la Perse hier contre les Grecs… et quand on continue à la soutenir en renouvelant l'amitié thébaino-perse avec Artaxerxès II ? Pire : les députés athéniens, les députés spartiates et les députés de toutes les autres cités de moindre importance ont pu constater lors de la conférence que la supériorité militaire et financière des Perses est très surestimée ("Quand les ambassadeurs furent revenus dans leurs pays respectifs, […] l'Eléen Archidamos se vanta que le Grand Roi avait honoré l'Elide plus que l'Arcadie. Mais Antiochos, qui avait refusé les cadeaux du Grand Roi parce qu'il était amer que celui-ci honorait l'Elide plus que l'Arcadie, déclara à l'assemblée des Dix Mille [assemblée fédérale arcadienne] avoir constaté que le Grand Roi avait un grand nombre de boulangers, cuisiniers, échansons, portiers, mais aucun homme capable de s'opposer aux Grecs, il ajouta que ses trésors étaient très surévalués puisque le célèbre platane d'or “ne pouvait pas donner de l'ombre à une cigale” [allusion au platane servant de borne-frontière entre la Haute-Phrygie et la Lydie, recouvert d'or par Xerxès Ier lors de son expédition contre la Grèce en -480, selon Hérodote, Histoire VII.31]", Xénophon, Helléniques, VII, 1.38). Les Thébains militent pour abolir l'ancienne paix d'Antalcidas et la remplacer par une paix thébaine. Les Corinthiens rechignent à signer. Ils sont suivis par beaucoup de cités grecques ("Les Thébains convoquèrent tous les peuples pour entendre la déclaration du Grand Roi. Le porteur perse montra le cachet royal, puis il la lut. Les Thébains invitèrent ensuite ceux qui voulaient être leurs amis à jurer au Grand Roi et à eux-mêmes d'en respecter les clauses. Les députés présents répondirent qu'ils s'étaient déplacés pour écouter des propositions et non pas pour jurer, et qu'avant de prêter serment ils devaient en référer à leur cité. L'Arcadien Lycomèdès ajouta que la ligue ne devait pas siéger à Thèbes mais sur le lieu de la guerre [c'est-à-dire en Arcadie]. Les Thébains s'emportèrent contre lui, l'accusèrent de vouloir saboter la ligue. Il renonça à son siège dans la ligue et se retira avec tous les autres députés arcadiens. Voyant que les députés rassemblés à Thèbes ne voulaient pas prêter serment, les Thébains envoyèrent des ambassadeurs dans les cités pour les pousser à jurer se conformer à la déclaration du Grand Roi. Ils pensaient que chaque cité prise isolément hésiterait à encourir en même temps leur haine et celle du Grand Roi. Mais les Corinthiens, les premiers qu'ils consultèrent, leur opposèrent un refus, en répondant n'avoir nul besoin de serment commun avec le Grand Roi. Leur exemple fut suivi par beaucoup d'autres cités. C'est ainsi que la tentative de Pélopidas et des Thébains pour obtenir l'hégémonie fut réduite à néant", Xénophon, Helléniques, VII, 1.39-40). Heureusement pour les Thébains, les Corinthiens sont dissuadés par les Spartiates de persister dans leur résistance. Les Spartiates en effet déclarent que les clauses de la paix conclues entre Artaxerxès II et Thèbes ne leur conviennent pas, ils n'acceptent pas l'indépendance de la Messénie et la renaissance de la cité de Messène, qui menacent l'existence même du régime spartiate fondée sur la soumission des Messéniens à l'aristocratie militaire spartiate. Pour l'anecdote, c'est probablement à cette époque, ou un peu après, qu'Isocrate compose un pastiche scolaire selon la méthode, le discours Archidamos, où il imagine le discours que le prince spartiate Archidamos fils d'Agésilas II aurait pu tenir devant les éphores pour rejeter la proposition de paix des Thébains appuyée par Artaxerxès II (notamment le refus de céder sur la refondation de Messène indépendante). Pressés par ce problème interne, les Spartiates ne peuvent donc pas aider les Corinthiens, qu'ils incitent de mauvaise grâce à accepter l'hégémonie thébaine, en espérant des jours meilleurs. Les Corinthiens, ainsi abandonnés par Sparte, et épuisés par la guérilla que les Arcadiens leur infligent (racontée en détail par Xénophon aux paragraphes 2-3 livre VII de ses Helléniques), se résignent : ils signent la paix imposée par Thèbes ("Les Spartiates conseillèrent aux Corinthiens de signer la paix [avec Thèbes]. Ils laissèrent leurs autres alliés libres de ne pas batailler à leurs côtés. Ils déclarèrent qu'eux-mêmes continueraient la guerre, peu importe le sort que les dieux leur réservaient, qu'ils ne se résigneraient jamais à abandonner Messène léguée par leurs ancêtres. Sur cette réponse, les Corinthiens se rendirent à Thèbes pour traiter de la paix. Comme les Thébains voulurent les intégrer par serment dans leur alliance, ils dirent qu'une alliance n'était pas la paix mais une modification de la guerre, or ils venaient pour signer une paix réelle si les Thébaiens la souhaitaient. Les Thébains admirèrent ce peuple qui, en grand danger, ne voulait pas s'opposer à ses bienfaiteurs : ils lui accordèrent la paix, ainsi qu'aux gens de Phlionte et à d'autres venus à Thèbes avec eux, à condition que chacun conservât la pleine possession de son territoire. On prêta serment sur ces clauses", Xénophon, Helléniques, VII, 4.9-10). Callistrate demande aussi à ses compatriotes athéniens de résister, il essaie même d'éloigner les Arcadiens de leurs intérêts avec Thèbes, mais Epaminondas retourne rapidement les mauvais arguments athéniens et renforce l'alliance entre la fédération arcadienne et Thèbes ("Epaminondas se rendit à l'assemblée générale des Arcadiens. Il leur demanda de se liguer avec les Thébains et les Argiens. Callistrate le député des Athéniens, qui à cette époque surpassait tous les autres en éloquence, les conjura au contraire de s'allier aux peuples de l'Attique, il déclama contre les habitants de Thèbes et d'Argos, en disant notamment : “Arcadiens, considérez quels hommes ont enfanté ces cités et jugez des autres en comparaison : les deux parricides Oreste et Alcméon étaient Argiens, et Œdipe qui tua son père et eut des enfants avec sa propre mère était Thébain”. Epaminondas répondit sur chaque allégation de Callistrate, et rétorqua aux deux dernières accusations en s'étonnant de la sottise du rhéteur athénien, qui oubliait que ces hommes nés innocents avaient été recueillis par les Athéniens après avoir commis leurs forfaits et avoir été bannis de leur patrie", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.6). C'est certainement après cet échec que Callistrate est banni d'Athènes, comme nous l'avons dit plus haut, et part s'installer en Thrace.


Un incident de frontière compromet rapidement le nouvel ordre thébain. Des Arcadiens opposés à la politique fédérale arcadienne se sont réfugiés en Elide. Puis, avec la complicité intéressée des Eléens, ils ont pris le contrôle du fort de Lasion à la frontière entre Elide et Arcadie. Xénophon date cet événement "quelque temps après" la mort de Denys de Syracuse en -367, auquel son fils homonyme a succédé. Diodore de Sicile raccorde avec cette datation en plaçant cette action sous l'archontat de Chion en -365/-364 ("L'année où Chion fut archonte d'Athènes [en -365/-364], à Rome on élut les tribuns militaires Quintus Servilius, Caius Vetorius, Aulus Cornélius, ainsi que Marcus Cornélius et Marcus Fabius. A cette époque, bien que la paix eut été publiée dans toute la Grèce, les germes de la guerre réapparurent dans plusieurs cités avec une fureur extraordinaire. Les bannis arcadiens quittèrent l'Elide où ils s'étaient réfugiés et prirent le contrôle du fort appelé “Lasion” en Triphylie. Depuis longtemps les Arcadiens et les Eléens revendiquaient mutuellement ce lieu, qui changeait de maître selon le degré de puissance des uns ou des autres. Il appartenait alors aux Arcadiens, qui furent délogés par leurs bannis aidés par les Eléens, qui prétextèrent agir ainsi par justice", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.77 ; "Le premier Denys mourut [en -367], son fils envoya douze trières commandées par Timocratès pour aider des Spartiates. A son arrivée, ce dernier les aida à recouvrer Sellasia, puis il remit à la voile vers son pays. Quelque temps après ["Met¦ de toàto pollî Ûsteron"], les Eléens s'emparèrent de Lasion, qui leur avait appartenu naguère mais était alors intégré à la confédération arcadienne", Xénophon, Helléniques, VII, 4.12). Les Arcadiens crient au scandale, ils envoient une armée déloger les rebelles de Lasion. L'opération est un tel succès, qu'ils le prolongent : ils envahissent l'Elide, ils fondent sur Olympie, avancent jusqu'à la mer, suivent la côte jusqu'à Pylos en Messénie ("Les Arcadiens réagirent rapidement en envoyant des troupes. Les Eléens vinrent à leur rencontre avec quatre cents hommes et un renfort de trois cents hommes. Ils campèrent pendant le jour face à eux dans une plaine. Pendant la nuit, les Arcadiens gravirent la montagne qui dominait les Eléens, et ils fondirent sur eux à l'aube. Ces derniers les virent venir de cette position avantageuse avec des effectifs beaucoup plus nombreux que les leurs, mais ils eurent honte de battre en retraite, ils s'avancèrent donc au combat en parcourant la longue distance qui les séparait de l'ennemi. Ils furent dispersés au premier choc, et perdirent beaucoup d'hommes et d'armes en s'éparpillant dans des lieux difficiles. Après leur victoire, les Arcadiens marchèrent sur les cités des Acroreiens [habitants du mont Acroreia à la frontière entre Arcadie et Elide, lieu non identifié précisément], ils les conquirent toutes sauf Thraustos, ils arrivèrent à Olympie. Ils entourèrent d'une palissade la colline de Kronion [hauteur dominant le stade] et ils y mirent une garnison. C'est ainsi qu'ils prirent les hauteurs d'Olympie [où se trouvent les infrastructures pour les Jeux quadriennaux]. Ils prirent aussi Margana, qu'on leur livra", Xénophon, Helléniques, VII, 4.13-14 ; "Les Arcadiens en colère envoyèrent d'abord des députés demander la restitution de Lasion. Essuyant un refus, ils sollicitèrent les Athéniens. Avec les troupes que ces derniers leur prêtèrent, ils marchèrent vers la forteresse. Les Arcadiens ainsi renforcés vainquirent les Eléens, qui perdirent plus de deux cents hommes dans l'affrontement. Ce fut le commencement d'une animosité et d'un durcissement de la rivalité entre les deux peuples. Encouragés par leur récent succès, les Arcadiens se jetèrent sur l'Elide. Ils prirent Margana, Kronion, Kyparissia [port de Messénie] et Koryphasion [autre nom de l'antique Pylos en Messénie, selon Thucydide, Guerre du Péloponnèse IV.3]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.77). Et ils restent sur place. En été -364, ce sont les Arcadiens qui supervisent les cent quatrièmes Jeux olympiques, dont ils ont confié l'intendance aux gens de Pisa, petite cité de la banlieue orientale d'Olympie revendiquant leur primauté historique sur l'organisation de ces Jeux. Les Eléens chassés d'Olympie profitent de l'occasion. Tandis que tous les spectateurs regardent les compétitions sportives, ils investissent Olympie. Une bataille commence à l'extérieur du stade entre eux et les occupants arcadiens. Les Eléens sont finalement repoussés hors la ville ("[Les Arcadiens] renforcèrent la garnison d'Olympie. L'année olympique approchait, et ils voulaient confier la célébration des Jeux aux Pisates, qui prétendaient avoir été les premiers intendants du sanctuaire. Mais quand arriva le mois des Jeux, le jour de l'assemblée solennnelle, les Eléens qui s'étaient ouvertement préparés et avaient appelé à eux les Achéens, marchèrent vers Olympie. Les Arcadiens n'avaient jamais pensé que les Eléens pourraient venir les attaquer pendant les cérémonies menées par les Pisates. La course de chars et les épreuves du pentathlon étaient terminées. Le champ de course était délaissé, les lutteurs s'affrontant entre le champ de course et l'autel. C'est alors que les Eléens en armes atteignirent l'enceinte sacrée. Les Arcadiens n'allèrent pas à leur rencontre, ils se rangèrent en bataille au bord de la rivière Kladeos qui longe l'Attis [bois sacré dédié à Attis, jeune amant de la déesse-Mère Cybèle] avant de se jeter dans l'Alphée, ils étaient accompagnés d'environ deux mille hoplites d'Argos et de presque quatre cents cavaliers athéniens. Les Eléens se rangèrent sur l'autre bord de la rivière, ils sacrifièrent puis s'avancèrent aussitôt. Méprisés jusqu'alors en matière militaire par les Arcadiens et les Argiens, autant que par les Achéens et les Athéniens, ils menèrent bravement la bataille ce jour-là avec leurs alliés. Ils défirent immédiatement les Arcadiens, les premiers qu'ils assaillirent, puis ils soutinrent le choc des Argiens accourus à leur secours et les battirent à leur tour, ils les poursuivirent jusqu'à l'espace entre la salle des bouleutes et le sanctuaire d'Hestia attenant au théâtre sans relâcher leur effort, en poussant vers l'autel. Mais ils se retrouvèrent ainsi en terrain plat à portée des traits lancés du haut des portiques, de la salle des bouleutes et du grand temple, certains d'entre eux tombèrent, dont Stratolas le chef des trois cents [régiment de renfort mentionné par Xénophon, Helléniques, VII, 4.13 précité]. Après cette action, ils se retirèrent dans leur camp. Les Arcadiens et leurs alliés eurent tellement peur du lendemain qu'ils ne se reposèrent pas pendant la nuit, ils s'épuisèrent à détruire des bâtiments et à élever une palissade. Quand les Eléens revinrent le lendemain, ils virent la solide barricade et les hommes postés en grand nombre sur les temples. Ils retournèrent dans leur cité. Un dieu peut inspirer et alimenter la bravoure à des hommes qui en manquent pendant un jour, mais pas sur une longue durée", Xénophon, Helléniques, VII, 4.28-32 ; "L'année où Timocratès fut archonte d'Athènes [en -364/-363], à Rome on élut les trois tribuns militaires Titus Quinctius, Servius Cornélius et Servius Sulpitius, les Arcadiens et les Pisates célébrèrent la cent quatrième olympiade où l'Athénien Phocidès remporta le prix de la course. Les Pisates voulaient restaurer leur prérogative sur l'organisation de ces Jeux, fondée sur d'anciens mythes. Jugeant l'occasion favorable, ils s'allièrent avec les Arcadiens contre les Eléens, qui envahirent l'Elide pendant la célébration des Jeux [de l'été -364]. Les Eléens marchèrent en armes contre leurs agresseurs. Un combat très vif eut lieu, auquel les spectateurs venus pour les Jeux assistèrent sans bouger, applaudissant en jurés neutres les belles actions des uns et des autres. La victoire inclina pour les Pisates, qui présidèrent la suite des Jeux. Les Eléens ont supprimé de leurs annales cette olympiade qu'ils considèrent illégale", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.78).


La même année, en -364, Epaminondas obtient des fonds pour la création d'une flotte thébaine destinée à concurrencer la flotte athénienne ("A cette époque [sous l'archontat de Timocratès en -364/-363], le Thébain Epaminondas rassembla ses concitoyens qui l'appréciaient grandement pour leur proposer la création d'une puissante flotte, afin de leur apporter le contrôle de la mer. Dans ce discours longtemps prémédité, il leur expliqua l'avantage et la facilité de ce projet. Il dit que ceux qui dominent la terre peuvent aisément dominer la mer, il rappela l'exemple des Athéniens qui avaient lancé deux cents navires à la mer pendant la guerre contre Xerxès Ier [juste avant l'invasion perse en -480] et ne s'étaient jamais plié aux Spartiates qui n'en possédaient qu'une dizaine. Par ces arguments et d'autres aussi pertinents, il convainquit les Thébains de prétendre à l'hégémonie sur mer. Le peuple décréta la construction rapide de cent trières et d'un arsenal disposant d'autant de cales pour les recevoir", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.78-79). Pour pousser Rhodes, Chio, Byzance à adhérer à ce projet d'hégémonie maritime, il se rend en personne dans ces cités. Le navarque athénien Lachès (probable petit-fils, selon l'usage paponymique antique, du stratège homonyme Lachès ayant commandé aux batailles de Délion en -424 et de Mantinée en -418, auquel Platon a consacré l'un de ses dialogues) est envoyé à la tête d'une escadre pour le contrer, mais Lachès se dégonfle en chemin et Epaminondas peut mener son voyage à terme ("On proposa aux insulaires de Rhodes et de Chio et aux citoyens de Byzance de participer à l'entreprise [l'hégémonie maritime]. Epaminondas se rendit en personne dans ces cités. Il croisa Lachès, qui commandait une forte escadre athénienne pour contrer la démarche des Thébains. Epaminondas s'entretint avec Lachès, l'effraya, l'obligea à se retirer. Le Thébain poursuivit sa route en attirant toutes les cités à son parti", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.79). Nous ignorons ce que deviendra cette flotte thébaine initiée en -364, Epaminondas mourra avant d'avoir pu l'employer.


Les Thessaliens ne supportent plus Alexandre de Phères. Ils demandent une intervention des Thébains. Pélopidas, qui a un compte à régler contre Alexandre, s'empresse de répondre à leur appel. Une armée est formée, qui quitte Thèbes au moment d'une éclipse de soleil que les astronomes modernes ont pu dater précisément le 13 juillet -364. Ce phénomène céleste augure mal de l'expédition pour les soldats, mais Pélopidas ignore le présage ("L'ambassade [en Perse] [à une date inconnue sous l'archontat de Kèphisodoros en -366/-365] augmenta grandement la bienveillance des Thébains pour Pélopidas, qui avait obtenu le rétablissement de Messène et l'affranchissement des autres Grecs. Alexandre de Phères retourna à sa nature : il détruisit plusieurs cités de Thessalie et installa des garnisons dans celles des Phthiotes, des Achéens et des Magnésiens. Quand elles apprirent que Pélopidas était revenu, ces cités députèrent immédiatement à Thèbes pour demander des troupes et Pélopidas comme stratège. Les Thébains accordèrent l'un et l'autre avec plaisir. Les préparatifs furent rapides [la chronologie de Plutarque, qui semble dater l'ultime intervention de Pélopidas en Thessalie immédiatement après son retour de Perse, est incompatible avec celle de Diodore de Sicile et de Xénophon, qui intercalent diverses péripéties étalées dans le temps entre ces deux événements : sur ce point, Plutarque qui est un Béotien comme Pélopidas, et qui écrit cinq siècles après les faits, trafique probablement la vérité historique afin de l'accorder avec son idéal patriotique, contrairement à Diodore de Sicile qui est plus proche des faits et à Xénophon qui en est contemporain, l'un et l'autre n'ayant par ailleurs aucun conflit d'intérêts avec la Béotie ni avec Pélopidas]. Le stratège était prêt à marcher quand le soleil s'éclipsa en plein jour, plongeant la cité de Thèbes dans les ténèbres. Pélopidas vit que les Thébains étaient troublés par ce phénomène, il ne voulut pas partir en les laissant dans un tel état de frayeur qui leur ôtait toute confiance, ni exposer la vie de ses sept mille hommes, il se donna donc seul aux Thessaliens, emmenant avec lui trois cents cavaliers volontaires thébains et étrangers, contre l'avis des devins, et malgré l'insistance de ses concitoyens qui le virent partir à regret, persuadés que ce signe céleste annonçait un bouleversement menaçant un grand personnage comme lui", Plutarque, Vie de Pélopidas 31 ; "A la même époque [sous l'archontat de Timocratès en -364/-363], les Thessaliens vaincus en plusieurs combats par Alexandre de Phères et ayant perdu une grande partie de leurs troupes, députèrent vers les Thébains pour demander le secours de Pélopidas. Ils savaient que ce stratège, indépendamment de sa capacité et de sa valeur, était personnellement irrité contre Alexandre qui l'avait emprisonné, ce qui constituait un avantage supplémentaire pour eux. Les Thébains se rassemblèrent pour recevoir les députés, on écouta favorablement leur demande et on donna aussitôt dix mille hommes à Pélopidas avec ordre de marcher sans délai au secours des Thessaliens. Le jour où il se mit à la tête de ses troupes, le soleil s'éclipsa. Cet événement inquiéta plusieurs citoyens. Des devins augurèrent que “cette expédition ôterait son éclat à la cité” : ce propos, qui annonçait clairement la mort de Pélopidas, ne suspendit pas la marche de ce dernier, qui s'abandonna courageusement à son sort", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.80). Les deux adversaires se retrouvent face-à-face à Cynocéphales en Thessalie, où aura lieu la célèbre bataille entre la légion romaine de Flamininus et la phalange grecque de Philippe V en -197 (à ne pas confondre avec le lieu homonyme près de Thèbes où le roi spartiate Cléombrote a installé son camp en -377 selon Xénophon, Helléniques, V, 4.15 précité). Les effectifs de Pélopidas sont moins nombreux que ceux d'Alexandre, pourtant Pélopidas remporte la bataille. Malheureusement il est mortellement blessé ("[Pélopidas] rassembla son armée à Pharsale et marcha sans attendre contre Alexandre. Ce dernier vit que Pélopidas n'avait qu'un petit nombre de Thébains, tandis que lui-même avait deux fois plus de fantassins que les Thessaliens. Il s'avança jusqu'au temple de Thétis. On informa Pélopidas que le tyran approchait avec une armée nombreuse : “Tant mieux, répliqua-t-il, nous aurons plus d'ennemis à vaincre”. Ils campèrent au milieu de la plaine près des deux collines escarpées situées en vis-à-vis appelées les “Cynocéphales”. Les deux infanteries se mirent en mouvement pour aller s'emparer de ces deux collines. Dans le même temps, Pélopidas ordonna à sa cavalerie nombreuse et expérimentée de charger celle des ennemis, qui fut vite enfoncée, les cavaliers thébains les poursuivirent dans la plaine. On aperçut Alexandre en haut d'une colline, qu'il avait saisie avant les fantassins thessaliens. Ceux-ci attaquaient, mais il les repoussait depuis sa position avantageuse en hauteur, tuait les hommes qui s'approchaient trop près et blessait les autres. Voyant leur détresse, Pélopidas rappela sa cavalerie et lui ordonna de fondre sur l'infanterie ennemie rangée en bataille, lui-même prit son bouclier et courut soutenir ceux qui combattaient sur les collines. Il perça aisément en queue et en tête, et sa présence donna tant de courage et de force à ses soldats que les ennemis crurent être assaillis par des troupes fraiches. L'adversaire soutint deux ou trois charges sans plier, mais constatant que l'infanterie le poussait toujours avec la même vigueur et que la cavalerie revenue de sa chasse allait tomber sur lui, il lâcha pied et se replia lentement, toujours en faisant face. Pélopidas monté sur la colline vit l'armée ennemie qui, sans fuir encore, se désorganisait et mêlait ses rangs, il s'arrêta un temps pour chercher Alexandre du regard. Il le repéra sur son flanc droit, ralliant et encourageant ses mercenaires. A cette vue, il ne put contenir sa colère et sa raison : hors de lui, il abandonna sa vie et la conduite de la bataille à son ressenti, il s'élança, s'éloigna de ses troupes, courut de toutes ses forces en provoquant Alexandre. Le tyran ne releva pas le défi, il ne l'attendit pas, il prit la fuite en se cachant parmi ses gardes. Les premiers mercenaires face à Pélopidas furent enfoncés, la plupart tués sur place. Le plus grand nombre, lançant de loin leurs javelines, percèrent son armure et lui causèrent plusieurs blessures. Vivement affectés du danger où ils le virent, les Thessaliens descendirent des collines et coururent à son secours. Il était déjà tombé quand la cavalerie arriva et se joignit à l'infanterie. Les deux corps réunis mirent en déroute la ligne des ennemis, les poursuivirent très loin, et couvrirent la plaine de morts. Ils tuèrent plus de trois mille hommes", Plutarque, Vie de Pélopidas 32 ; "Dès qu'il fut arrivé en Thessalie, [Pélopidas] apprit qu'Alexandre avec plus de vingt mille hommes s'était emparé de positions avantageuses. Pélopidas dressa son camp face aux ennemis, en intégrant des alliés thessaliens à ses troupes. Il livra bataille rapidement. Alexandre comptait sur sa situation en hauteur, mais Pélopidas n'écoutant que son courage marcha droit vers lui. Alexandre se défendit vigoureusement avec ses braves soldats, le combat devint sanglant. Pélopidas couvrit de morts un très grand espace. Il assura finalement la victoire à son camp en mettant les ennemis en déroute et en fuite. Mais il perdit lui-même la vie héroïquement, percé de traits et couvert de blessures", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.80). Des funérailles mémorables sont organisées par les Thessaliens fatigués de la guerre, racontées en détails par Plutarque aux paragraphes 33-34 de sa Vie de Pélopidas. Thébains et Thessaliens se dressent ensuite collégialement contre Alexandre assiégé dans sa cité de Phères, et le contraignent à se soumettre à Thèbes ("Sa mort [à Pélopidas] causa une vive douleur aux alliés, mais elle leur fut utile. Dès que les Thébains l'apprirent, pour ne pas différer leur vengeance ils envoyèrent vers la Thessalie une armée de sept mille fantassins et sept cents cavaliers sous la conduite de Malèkidas et de Diogeiton. Ils trouvèrent Alexandre très affaibli par sa défaite, et ils le forcèrent à restituer aux Thessaliens les cités qu'il leur avait prises, à laisser libres les Magnésiens, les Phthiotes et les Achéens, à retirer ses garnisons de leurs places, et à jurer qu'il suivrait les Thébains partout où ils l'appelleraient et obéirait fidèlement à leurs ordres", Plutarque, Vie de Pélopidas 35 ; "Alexandre, à nouveau vaincu et commençant à vieillir, fut obligé de rendre toutes les cités qu'il avait enlevées aux Thessaliens, de céder Magnésie et la Phtiotide achéenne aux Béotiens, et de se contenter de Phères sous le titre d'allié de Thèbes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.80 ; "[Pélopidas] persuada les Thébains de marcher au secours de la Thessalie et de chasser son tyran [Alexandre de Phères]. Chargé de la conduite de cette guerre, il partit vers ce pays avec une armée, bien décidé à batailler contre l'ennemi dès qu'il le croiserait. Il lança son cheval contre Alexandre dès qu'il le repéra sur le champ de bataille, enflammé de colère, en s'éloignant des siens. Il fut percé d'une multitude de traits, et tomba mort sur place au moment où la victoire inclinait en sa faveur et où les troupes du tyran pliaient. Pour ce service, toutes les cités de Thessalie décernèrent des couronnes d'or et des statues de bronze au général tué, et donnèrent des grandes terres à ses héritiers", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XVI.5). Pour l'anecdote, Alexandre de Phères, en résidence surveillé et lâché par la majorité des Thessaliens, sera assassiné peu après par ses trois beaux-frères guidés par sa propre femme (selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVI.14, et selon Plutarque, Vie de Pélopidas 35).


Les Arcadiens paient les conséquences de leur mainmise sur Olympie. La réalité historique que l'on parvient à reconstituer derrière les récits alambiqués des auteurs antiques sur le sujet, est la suivante. Durant l'occupation d'Olympie, les Arcadiens de Mantinée ont accaparé les trésors de la cité, ils redoutent d'être punis pour ce sacrilège, ils essaient de racheter leur âme en proposant à l'assemblée fédérale arcadienne l'inviolabilité des trésors sacrés olympiques. Les autres Arcadiens, aussi compromis dans ces accaparements que les Mantinéens, sont partagés. Une majorité est favorable à la proposition de décret, mais une minorité accuse la majorité de lâcheté et d'opportunisme, sur le mode : "Vous, Mantinéens, et vous, partisans des Mantinéens, essayez de vous montrer vertueux aujourd'hui, mais jusqu'à hier vous étiez comme nous : vous avez puisé dans les coffres d'Olympie comme nous ! Vous prétendez être pieux aujourd'hui parce que vous craignez d'être accusés demain par nos adversaires d'avoir volé les dieux ! Vous voulez marchander votre honneur, contrairement à nous qui gardons le même discours : les Eléens nous ont provoqués, nous avons répondu, nous avons gagné, et nous appliquons notre justice selon la seule loi légitime, la loi du plus fort !". Ces Arcadiens minoritaires, parmi lesquels les Tégéates, voisins et adversaires séculaires des Mantinéens, appellent Thèbes à l'aide. Les Thébains à l'été -363 leur envoient à nouveau une armée commandée par Epaminondas ("Les chefs arcadiens ayant accaparé les trésors sacrés pour entretenir les éparites ["™p£ritoi", régiment fédéral arcadien], les Mantinéens les premiers décrétèrent de ne plus y toucher, sur leurs fonds propres ils mobilisèrent des hommes pour le régiment des éparites, qu'ils envoyèrent aux chefs. Ces derniers prétendirent que les Mantinéens voulaient ruiner la confédération arcadienne, ils convoquèrent les magistrats devant les Dix Mille [assemblée fédérale arcadienne]. Les magistrats refusèrent de comparaître, les chefs les condamnèrent et envoyèrent les éparites pour arrêter ceux qu'ils avaient déclarés coupables. Les Mantinéens fermèrent leurs portes et ne les reçurent pas dans leurs murs. D'autres voix s'élevèrent alors parmi les Dix Mille pour dire pareillement que les trésors sacrés ne devaient plus être touchés, et que les enfants ne devaient pas hériter du sacrilège de leurs parents. L'assemblée déclara les trésors sacrés inviolables. Les éparites privés de leur solde désertèrent aussitôt, et ceux qui avaient encore des moyens s'exhortèrent les uns les autres afin de prendre le contrôle de ce régiment et de ne plus obéir. Les chefs qui avaient accaparé les trésors sacrés, devinant qu'ils auraient des comptes à rendre et risquaient d'être exécutés, députèrent à Thèbes pour prévenir les Thébains que, s'ils n'intervenaient pas, les Arcadiens retourneraient au parti de Sparte", Xénophon, Helléniques, VII, 4.33-34 ; "L'année où Charikleidès fut archonte d'Athènes [en -363/-362], à Rome Lucius Aemilius Mamercus et Lucius Sextius Laterius furent consuls. A cette époque, les Arcadiens abusèrent de l'autorité qu'ils avaient imposée avec les Pisates sur Olympie pendant les Jeux [de l'été -364], ils accaparèrent les trésors que contenait le temple. Les Mantinéens notamment utilisèrent une grande partie de ces trésors à leur propre usage. Ils œuvrèrent à entretenir la guerre contre les Eléens, craignant que la paix les contraignît à restituer les sommes qu'ils avaient dérobées. Les autres Arcadiens ne partageaient pas cette position et inclinaient pour la paix, une discorde apparut entre deux factions, d'un côté celle des Mantinéens, de l'autre côté celle des Tégéates. L'animosité réciproque s'éleva au point qu'ils résolurent de s'affronter par les armes. Les Tégéates députèrent vers les Béotiens pour leur demander de soutenir leur cause. Aussitôt les Béotiens nommèrent Epaminondas comme chef avec une armée adéquate pour soutenir les Tégéates", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.82). Les Mantinéens députent vers Athènes et Sparte pour implorer aussi du secours. Leur prière est entendue et approuvée ("[Les Mantinéens et leurs partisans] demandèrent du secours à Athènes, parallèlement ils envoyèrent leur anciens éparites à Sparte afin d'inciter les Spartiates à s'unir à eux pour barrer la route à ceux qui voulaient asservir le Péloponnèse [c'est-à-dire les Thébains]. On décida que chacun conserverait son commandement", Xénophon, Helléniques, VII, 5.3 ; "Effrayés par le secours des Thébains envoyé à leurs adversaires, effrayés surtout par la haute réputation d'Epaminondas, les Mantinéens députèrent vers les plus grands ennemis de Thèbes. Ils députèrent à Athènes et à Sparte pour pousser ces deux cités à prendre parti. Celles-ci fournirent des troupes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.82). Encore une fois, Epaminondas envahit le Péloponnèse. Il pense d'abord passer par Tégée ("Epaminondas se mit en campagne, à la tête de tous les Béotiens, des Eubéens, et d'un grand nombre de Thessaliens envoyés par le tyran Alexandre [de Phères] ou par les adversaires de celui-ci. Les Phocidiens ne le suivirent pas, alléguant que les traités les obligeaient à aider Thèbes si elle était attaquée, mais non pas marcher contre d'autres peuples. Epaminondas compta rallier dans le Péloponnèse les Argiens, les Messéniens et les Arcadiens favorables aux Thébains, c'est-à-dire les gens de Tégée, de Mégalopolis, d'Aséa, de Pallantion, et toutes les cités n'ayant pas le choix à cause de leur petitesse et de leur position centrale", Xénophon, Helléniques, VII, 5.4-5). Mais en chemin il apprend que les Spartiates sont déjà arrivés dans les environs de Tégée, autrement dit la ville de Sparte n'a plus de défenseurs. Il n'hésite pas une seconde : il se précipite pour prendre la ville de Sparte ("Quand il apprit que ses adversaires s'étaient fortifiés du côté de Mantinée, qu'Agésilas II était en chemin près de Pellènè avec tous les Spartiates, [Epaminondas] ordonna à ses troupes de déjeuner puis de marcher droit vers Sparte", Xénophon, Helléniques, VII, 5.9 ; "Les Spartiates se jetèrent d'emblée sur l'Arcadie, leur voisine. Epaminondas se trouvait près de Mantinée quand il apprit que les Spartiates fourrageaient les terres des Tégéates. Calculant que Sparte était sans défenseurs, il conçut un projet hardi qui aurait changé beaucoup de choses si la fortune l'avait favorisé. Il s'avança de nuit en direction de Sparte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.82 ; "Quand les Mantinéens se séparèrent à nouveau des Thébains et appelèrent les Spartiates à leur secours, Epaminondas, apprenant qu'Agésilas II était en route avec son armée, partit de Tégée à l'insu des Mantinéens et conduisit de nuit ses troupes en direction de Sparte. Ayant emprunté un itinéraire différent de celui d'Agésilas II, il échoua de peu à prendre la cité, qui était sans défenseurs", Plutarque, Vie d'Agésilas II 34). Hélas la fatalité ruine ses plans. Agésilas II s'apprêtait à quitter Sparte afin de rejoindre son pair Cléomène II à Tégée, quand un éclaireur vient l'avertir de la manœuvre d'Epaminondas. Agésilas II choisit de rester sur place. Il positionne les jeunes gens aux entrées de la ville, et les vieux valides et les enfants sur les toits des maisons ("Si Agésilas II par un hasard providentiel n'avait pas été prévenu par un Crétois de la manœuvre d'Epaminondas, ce dernier aurait pris la cité comme un nid vide de gardiens. Informé à temps, Agésilas II fit demi-tour et arriva dans la ville avant lui. Les Spartiates se rangèrent à différents postes pour la garder. Ils étaient très peu nombreux, tous leurs cavaliers étant en Arcadie, ainsi que leurs mercenaires et trois loches sur les douzes qu'ils avaient", Xénophon, Helléniques, VII, 5.10 ; "Mais le roi agiade [Cléomène II], qui se méfiait des ruses d'Epaminondas, les anticipa. Il avait demandé à des coureurs crétois laissés à Sparte de maintenir la garde et de l'avertir en cas d'arrivée des Thébains. Ces derniers se préparaient à entrer dans la ville de nuit pour la piller et la détruire. Il se mit en marche immédiatement pour rassurer les esprits. L'information qu'ils diffusèrent sauva Sparte du péril qui la menaçait, car Epaminondas était déjà à ses portes et sur le point de l'investir. La ruse des deux chefs fut égale, mais le Spartiate fut plus chanceux. Epaminondas avait marché toute la nuit et avait parcouru toute la distance d'une traite, il arriva à l'aube au pied des murailles de Sparte. Informé par les Crétois, Agésilas II demeuré dans la ville se hâta pour la défendre. Il positionna sur les toits des maisons les vieillards et les enfants aptes au port des armes en leur ordonnant d'assaillir ceux qui voudraient pénétrer dans les rues, et il prit les jeunes gens les plus vaillants avec lui qu'il répartit hors des murs, dans tous les passages et dans toutes les chemins, prêts à repousser l'ennemi", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.82-83 ; "Euthynos de Thespies selon Callisthène, ou un Crétois selon Xénophon, avertit Agésilas II qui envoya en hâte un cavalier prévenir les citoyens demeurés à Sparte, où lui-même revint peu après. Les Thébains passèrent l'Eurotas et marchèrent sur la ville", Plutarque, Vie d'Agésilas II 34 ; "Informé que Sparte était sans soldats, Epaminondas résolut de la surprendre la nuit. Agésilas II en fut averti par des transfuges, il accourut immédiatement avec ses troupes pour défendre la ville, il y rentra et y attendit fermement les Thébains. Quand ceux-ci se présentèrent, ils furent vigoureusement repoussés par les Spartiates", Polyen, Stratagèmes, II, 3.10). Lorsqu'Epaminondas se présente, c'est trop tard. Ses troupes ne parviennent pas à bousculer les jeunes gens aux entrées de la ville, ou, quand elles y parviennent, elles sont repoussées par les jets des vieux et des enfants depuis les toits des maisons. En fin de journée, Epaminondas se replie ("Epaminondas arriva à Sparte. Il ne s'engagea pas du côté où les traits lancés du haut des maisons risquaient d'accabler ses troupes à découvert, ni du côté où leur masse les handicapait face aux ennemis moins nombreux, il s'empara d'une position avantageuse en surplomb afin de fondre sur la ville. On peut attribuer ce qui arriva ensuite à une intervention divine, ou à l'élan irrésistible de gens désespérés. Archidamos arriva avec à peine une centaine d'hommes, il franchit un passage où il aurait dû être stoppé, il entra à contre-mont au contact de ses ennemis, et ces hommes qui soufflaient le feu, qui avaient vaincu les Spartiates [notamment à Leuctres en -371], qui avaient la supériorité numérique et qui occupaient une position dominante, ne soutinrent pas le choc de la troupe d'Archidamos et lâchèrent pied, les soldats d'Epaminondas les plus avancés furent tués. Quand, fiers de leur victoire, les citoyens poussèrent trop loin la chasse, ils furent tués à leur tour, le dieu [Apollon ? Arès ?] sembla marquer ainsi les limites de la victoire qu'il leur avait accordé. Archidamos éleva un trophée à l'endroit de sa victoire et rendit après négociation les corps des défunts", Xénophon, Helléniques, VII, 5.11-13 ; "Epaminondas avait partagé son armée en plusieurs corps et s'organisait pour une action coordonnée, quand il comprit, en voyant la disposition des ennemis, que son projet était découvert. Il maintint néanmoins ces divisions pour attaquer à la fois simultanément et séparément. Il continua le combat jusqu'à refouler les Spartiates dans leurs murailles, après beaucoup de pertes réciproques. Finalement, comme des renforts arrivaient de tous côtés pour aider les assiégés, et comme le jour tombait, il suspendit tous les assauts. Les hommes qu'il avait capturé lui ayant appris que les Mantinéens venaient soutenir les Spartiates, il se retira pour dresser son camp à distance", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.83 ; "Agésilas défendit [Sparte] avec beaucoup de courage, malgré son âge. Il vit que le temps était non plus à la prudence et à la circonspection comme lors de la première invasion [en hiver -369/-368], mais à l'audace et au courage désespéré. Il n'avait jamais accordé confiance et n'avait jamais employé ces moyens auparavant, ce furent pourtant à eux qu'il recourut pour écarter le danger. Il préserva la ville des mains d'Epaminondas et érigea un trophée. Il attira les louanges des enfants et des femmes sur les Spartiates qui payèrent à la patrie le plus beau des salaires pour leur mérite, dont Archidamos au premier rang, qui se surpassa dans la mêlée par la vigueur de son âme et par la légèreté de son corps, se portant vivement par des raccourcis sur les points où le front fléchissait et refoulant l'ennemi partout avec très peu d'hommes. Isadas fils de Phoibidas [l'officier spartiate qui a occupé La Cadmée en -382, et qui a été tué par les Thébains à Thespies en hiver -376/-375] quant à lui donna à ses concitoyens comme aux ennemis un admirable spectacle. Beau, de grande taille, il était à l'âge où l'enfant accède à la virilité. Nu, sans bouclier ni vêtement, le corps simplement frotté d'huile, une lance dans une main, une épée dans l'autre, il bondit hors de sa maison et joua des coudes afin de se frayer un chemin à travers les combattants et de lutter au milieu des ennemis, frappant et renversant quiconque se présentait à lui. Il ne fut blessé par personne, parce qu'un dieu le préserva pour son mérite, ou parce que ses adversaires le considérèrent comme un être exceptionnel. On raconte qu'après cet exploit, les éphores lui décernèrent une couronne, puis lui infligèrent une amende de mille drachmes pour s'être exposé sans bouclier", Plutarque, Vie d'Agésilas II 34 ; "Les Thébains sous les ordres d'Epaminondas espérèrent prendre Sparte. Ils marchèrent sans bruit de nuit contre cette cité. Mais ils ne purent la surprendre. Avertis de l'approche de l'ennemi, les vieillards et les citoyens les plus faibles coururent en armes aux portes de la ville. Une centaine d'hommes courbés par le poids des ans se préparèrent à repousser une armée de quinze mille soldats, tant la présence des pénates et de la patrie remplit le cœur de courage et agit sur l'âme plus puissamment que leur souvenir ! Songeant à la cause et aux lieux qu'ils défendaient, ces hommes généreux résolurent de mourir ou de vaincre. On vit ainsi des vieillards soutenir le choc d'une armée venue soumettre toute la jeunesse locale. Deux généraux ennemis périrent dans ce combat. Et quand ils apprirent l'arrivée d'Agésilas II, les Thébains se retirèrent", Justin, Histoire VI.7). Agésilas II est réduit au même stratagème que Périclès au début de la deuxième guerre du Péloponnèse contre Archidamos II en Attique : refuser le combat, rester derrière les murs de la ville, viser seulement les ennemis les plus avancés afin de dissuader les autres d'avancer de même, pour lasser, fatiguer, épuiser, amollir, affaiblir l'envahisseur et le pousser à conclure de lui-même qu'il doit repartir ("Les Thébains assiégeaient les Spartiates dans Sparte. Ces derniers ne supportèrent pas d'être enfermés dans leurs murs avec leurs femmes et une garnison, ils voulurent effectuer une sortie pour remporter une victoire éclatante ou pour mourir en cas de de défaite. Agésilas II modéra leur impatience en leur disant : “Souvenez-vous que nous avons agi pareillement contre les Athéniens, nous les avons assiégés dans leurs murs, et ils n'ont jamais voulu effectuer une sortie, par peur de perdre inutilement, ils se sont contentés de garder leurs murs, et c'est ainsi qu'ils se sont sauvés. Leurs assiégeants se sont lassés avec le temps et ils ont fini par se retirer”", Polyen, Stratagèmes, II, 1.29). Ce stratagème est efficace : la situation devient sans issue pour les Thébains. Epaminondas décide de remonter en hâte vers le nord. Il laisse quelques soldats sur place pour simuler un début de siège, tandis que le gros de l'armée thébaine reprend la route pendant la nuit ("Epaminondas réfléchit que les Arcadiens viendraient secourir les Spartiates, il ne voulut pas les affronter avec les Spartiates, surtout après le succès des Spartiates à repousser ses propres hommes, il retourna donc vers Tégée aussi vite qu'il put. Il accorda le repos à ses fantassins, mais il demanda encore un effort à ses cavaliers en les envoyant à Mantinée, en leur expliquant que tout le bétail des Mantinéens était probablement hors des murs avec la population puisqu'on était en période de moisson [l'épisode a donc lieu en automne -363]", Xénophon, Helléniques, VII, 5.14 ;"[Epaminondas] ordonna à toute son armée de dîner en laissant ses feux allumés jusqu'au lendemain matin. Ne laissant sur place qu'un petit nombre de cavaliers, il conduisit toutes ses autres troupes vers Mantinée presque déserte puisque ses habitants étaient accourus la veille au secours de Sparte. Il continua sa marche forcée toute la journée et arriva le soir sous les murs de Mantinée surprise", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.84 ; cet épisode non daté rapporté par Polyen est peut-être en rapport avec la dernière campagne d'Epaminondas, contraint d'agir parce que certains de ses soldats désertent : "La confusion et la nuit mirent en danger les Thébains, qui commencèrent à fuir, certains jetèrent leur bouclier. Pour éviter qu'ils fussent considérés comme des traîtres, Epaminondas cria qu'aucun homme lourdement armé ne devait porter son bouclier, qu'il devait le confier à son écuyer ou à un autre serviteur, et le rejoindre avec seulement un poignard et une épée pour une nouvelle destination. De cette façon, il cacha à la multitude ceux qui s'étaient débarrassés de leur bouclier, il les attacha à sa personne et les rendit plus courageux et plus obéissants dans le péril", Polyen, Stratagèmes, II, 3.10). Hélas derechef : quand il arrive sur le territoire de Mantinée avec les Tégéates, les Athéniens sont déjà sur place. Les deux armées se positionnent. D'un côté, les Thébains avec les Tégéates et les Arcadiens fidèles à l'alliance thébaine, les Achéens et les Argiens, soit trente mille fantassins et trois mille cavaliers. De l'autre côté, les Mantinéens et les Arcadiens détachés de l'alliance thébaine, les Eléens, les Spartiates conduits par le roi Cléomène II, les Athéniens conduits par le stratège Hégélochos, soit vingt mille fantassins et deux mille cavaliers ("Pendant ce temps, les cavaliers athéniens partis d'Eleusis, ayant dîné à l'isthme [de Corinthe] et traversé Cléones, étaient arrivés à Mantinée et s'étaient installés dans des maisons à l'intérieur des murs. Quand les Mantinéens virent les ennemis approcher, ils prièrent les cavaliers athéniens de les aider car tout leur bétail était au-dehors avec leurs ouvriers et beaucoup d'enfants et de vieillards de condition libre. Les Athéniens entendirent leurs prières, ils s'élancèrent au-dehors alors que ni eux-mêmes ni leurs chevaux n'avaient encore déjeuné", Xénophon, Helléniques, VII, 5.15 ; "Mais [Epaminondas] ne réussit pas mieux qu'à Sparte. La fortune sapa sa prévoyance et le priva de victoire. Car tandis qu'il approchait d'un côté de Mantinée déserte, de l'autre côté arrivait un puissant secours athénien, soit six mille hommes commandés par le réputé Hégélochos. Ce dernier mit un petit groupe dans la ville, mais il garda le plus grand nombre avec lui, qu'il rangea en ligne, pressentant la bataille imminente. C'est alors qu'apparurent les armées des Spartiates et des Mantinéens, assistés par des troupes de l'Elide, par des Athéniens et quelques autres, soit un total de vingt mille fantassins et deux mille cavaliers. Les Tégéates étaient soutenus par les meilleures troupes de l'Arcadie, de l'Achaïe, de la Béotie et de l'Argolide, sans compter quelques autres alliés du Péloponnèse et d'ailleurs, soit trente mille fantassins et trois mille cavaliers", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.84). Pour l'anecdote, parmi les fantassins athéniens, on trouve le futur orateur Eschine, âgé d'environ vingt-sept ans ("Je me suis conduit glorieusement et dignement à la bataille de Mantinée", Eschine, Sur l'ambassade 169).


La bataille a lieu fin -363 (toujours sous l'archontat de Charikleidès, en poste entre juillet -363 et juin -362, selon Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.82 ; pseudo-Plutarque dit la même chose : "Xénophon l'élève de Socrate vécut jusqu'à l'enfance et aux premières années adultes de Démosthène, puisque ses Helléniques se terminent par la bataille de Mantinée sous l'archonte Charikleidès, or à cette date Démosthène avait déjà gagné son procès contre ses tuteurs sous l'archontat de Timocratès [en -364/-363 ; nous évoquerons ce procès de Démosthène contre ses tuteurs dans notre alinéa suivant]", pseudo-Plutarque, Vies des dix orateurs, Démosthène 7), dans une plaine près de Mantinée. La phalange thébaine se positionne sur l'aile gauche, comme à la bataille de Leuctres de -371. Diodore de Sicile indique que la cavalerie thébaine se répartit aux extrémités des deux ailes, pour encadrer la masse des contingents alliés au centre. En face, les Spartiates sont au centre, pour soutenir l'une ou l'autre aile qui faiblira, les Athéniens sont à leur gauche ("Les Mantinéens et les Arcadiens formaient l'aile droite. Près d'eux se trouvaient les Spartiates, puis les Eléens et les Achéens, puis des troupes dont on n'attendait pas un grand secours. L'aile gauche était constituée par les Athéniens. Dans l'autre camp, les Thébains formaient l'aile gauche, les Arcadiens de leur parti venaient ensuite. L'aile droite avait été confiée aux Argiens. Le centre était occupé par des troupes de l'Eubée, de la Locride, de Sicyone, des Maliens, des Ainiens, des Thessaliens et plusieurs autres alliés. La cavalerie s'avançait sur les ailes de part et d'autre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.85). Xénophon indique que la cavalerie sur l'aile gauche thébaine est organisée de la même manière que les fantassins, en plusieurs lignes, afin d'appuyer l'élan offensif de la phalange. Il ajoute qu'Epaminondas a disposé des unités mobiles sur les hauteurs de l'aile droite pour dissuader les Athéniens de lancer la moindre offensive ("Les ennemis rangèrent leurs cavaliers comme leur infanterie, sur six lignes de profondeur, sans y mêler des fantassins. Epaminondas quant à lui rangea ses cavaliers en colonne offensive, renforcée de fantassins, il pensait couper en deux la cavalerie adverse et provoquer ainsi la défection de toute l'armée, car peu de soldats consentent à maintenir leur position quand ils voient leurs camarades s'enfuir. Par ailleurs, afin d'empêcher les Athéniens à l'aile gauche de secourir leurs voisins, il plaça sur des collines en face des cavaliers et des fantassins pour les menacer d'une attaque à revers", Xénophon, Helléniques, VII, 5.23-24). Ce sont pourtant les Athéniens qui commencent la bataille. Les cavaliers athéniens foncent sur les cavaliers thébains de l'aile droite ("[Les deux armées] s'approchèrent en suivant leur disposition, les salpix sonnèrent la charge, auxquels répondit un cri général des deux armées se promettant pareillement la victoire. La bataille commença par un choc des deux cavaleries, dont la valeur parut égale de part et d'autre. La cavalerie athénienne s'élança la première sur la cavalerie thébaine", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.85). Ils sont aussitôt stoppés, mais ils ne fuient pas, ils se retirent en bon ordre ("Peu après, les Athéniens sentirent leur infériorité, non pas en courage, ni à cause de leurs chevaux aussi vigoureux et obéissants que ceux des Thébains, sur ces points l'Attique valait bien la Béotie, simplement leur armée n'égalait pas celle de Thèbes par le nombre, par l'adresse et par l'expérience militaire de ses alliés. Notamment les Athéniens disposaient de très peu de lanceurs, alors que les Thébains en avaient tiré beaucoup de Thessalie, où les enfants dès le plus bas âge étaient exercés à cette pratique qui procurait un grand avantage dans les batailles. D'abord percés de flèches, puis accablés par la cavalerie thébaine, les Athéniens furent rapidement ébranlés et chassés. Mais ils se retirèrent sans rompre les autres rangs de leur armée, ils privèrent les ennemis de la victoire, et même mieux : ils conservèrent leurs rangs en s'écartant, et tombèrent sur les troupes de l'Eubée et quelques mercenaires postés par Epaminondas sur les hauteurs voisines, et les tuèrent tous", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.85). Pour l'anecdote, parmi ces cavaliers athéniens, se trouve Gryllos le fils de Xénophon. Cette charge de cavalerie sera magnifiée à l'ère hellénistique par le célèbre sculpteur et peintre Euphranor, qui réalisera un tableau sur le sujet dans un portique du quartier du Céramique à Athènes, toujours visible à l'époque de Pline l'Ancien au Ier siècle et de Pausanias et Plutarque au IIème siècle ("Euphranor représenta aussi le combat de cavalerie de Mantinée contre Epaminondas. Son pinceau semble avoir été conduit par une main divine. Le sujet est le suivant. Enflé de sa victoire à Leuctres, Epaminondas voulut insulter le malheur de Sparte en avilissant la réputation et la gloire de cette cité, il entra en Laconie avec soixante-dix mille hommes, ravagea le pays, contraignit les peuples alentours à quitter le parti des Spartiates. De là, il marcha vers Mantinée, où les Spartiates étaient campés, et leur proposa un combat. Ceux-ci le refusèrent, parce qu'ils ne disposaient pas encore du secours attendu d'Athènes. Alors Epaminondas quitta son camp pendant la nuit à l'insu de l'ennemi afin de fondre sur la Laconie. Il arriva devant Sparte par surprise. Elle était presque déserte, et elle ne dut son salut qu'à ses alliés qui, informés du danger où elle se trouvait, vinrent à son secours. Epaminondas trompa l'ennemi en faisant semblant de vouloir à nouveau ravager le pays, il leva son camp pendant la nuit et arriva haletant à Mantinée, au grand étonnement des Mantinéens occupés à envoyer leur secours à Sparte. Epaminondas ordonna aussitôt aux Thébains de prendre les armes, d'encercler Mantinée, et de se préparer à attaquer avec confiance et courage. L'irruption des Thébains jeta la consternation dans l'esprit des Mantinéens. Ils se virent impuissants face à une armée formidable fondant sur eux comme un torrent. Sans espérer une aide, ils s'agitèrent, coururent ici et là, tout chez eux était en désordre. Dans cette circonstance critique les Athéniens parurent sur les hauteurs. Ils descendirent à pas lents vers Mantinée, ignorant l'urgence et le danger pressant. Les Mantinéens envoyèrent un des leurs les avertir de leur situation difficile. Les Athéniens, sans le moindre allié, et pourtant exténués par leur marche, se rangèrent aussitôt en bataille, malgré leur petit nombre et la supériorité de celui des ennemis. Leur cavalerie s'avança en bon ordre vers les murs et les portes de Mantinée, elle attaqua celle de l'ennemi, le combat fut sanglant. Epaminondas perdit le combat et la ville. Voilà ce qu'Euphranor a peint. Son tableau représente toute la fureur, la violence et l'acharnement du combat. L'art du peintre ne s'élève pas cependant au talent du stratège [Epaminondas], le tableau ne vaut pas le trophée de la victoire [des Thébains], l'image n'est pas au-dessus de la réalité", Plutarque, Sur la gloire des Athéniens ; "On a peint dans ce même portique [dans le quartier du Céramique à Athènes] la bataille de Mantinée, où les Athéniens secondèrent les Spartiates. Xénophon et d'autres ont raconté cette guerre : la prise de La Cadmée, la défaite des Spartiates à Leuctres, l'invasion du Péloponnèse par les Béotiens, le secours apporté par les Athéniens aux Spartiates. Le tableau en question représente le combat de cavalerie. Les personnages les plus connus sont Gryllos fils de Xénophon du côté athénien, et Epaminondas de Thèbes du côté béotien. Ce tableau est l'œuvre d'Euphranor", Pausanias, Description de la Grèce, I, 3.4 ; Euphranor est un célèbre peintre et sculpteur contemporain des faits : "Au cours de la cent quatrième olympiade [de -364 à -361], Euphranor de l'Isthme se distingua parmi tous les statuaires par ses colosses, ses marbres, ses coupes. Studieux et laborieux, il excellait dans tous les genres et resta toujours égal à lui-même. Il est le premier à avoir exprimé la dignité dans ses héros. Il respectait les proportions, mais ses corps étaient trop grêles, et leur tête et leurs articulations étaient trop grosses. Il a écrit des traités sur la proportion et sur les couleurs. Parmi ses œuvres : un combat de cavalerie, Les douze dieux, un Thésée qu'il prétendait “avoir nourri de chair alors que celui de Parrhasios était nourri de roses”. On voit des célèbres tableaux de lui à Ephèse : Ulysse simulant la folie en attelant un bœuf avec un cheval, des hommes en manteau qui réfléchissent, un capitaine remettant son épée dans le fourreau", Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 40.4-5). Les cavaliers thébains ne poursuivent pas les cavaliers athéniens, ils se tournent vers les fantassins athéniens, et les malmènent jusqu'à temps que les Eléens colmatent les brèches et rétablissent la ligne ("La cavalerie thébaine ne poursuivit pas les Athéniens qu'elle avait chassés, elle poussa son avantage sur la masse des fantassins devant elle, pour la renverser totalement. Un violent combat s'engagea. Les fantassins athéniens fléchirent à leur tour. Ils étaient prêts à tourner le dos et à s'enfuir quand l'hipparque des Eléens qui était derrière eux vint les secourir et attaqua vivement les Béotiens. Cela changea l'orientation du combat, procurant aux Eléens la gloire d'avoir sauvé toute l'aile gauche qui aurait été perdue sans eux", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.85). Pendant ce temps, sur l'autre aile, les cavaliers thébains repoussent facilement leurs homologues adverses et tombent sur les fantassins de Mantinée ("A l'aile droite les deux cavaleries rivalisèrent un temps. Mais bientôt le nombre et l'expérience des cavaliers béotiens et thessaliens l'emportèrent sur la faible résistance des Mantinéens, qui se retirèrent près de leurs lignes", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.85). La phalange thébaine entre au contact de la masse ennemie, qu'elle n'arrive pas à briser. Diodore de Sicile dit que "les lances se brisent des deux côtés, les soldats tirent donc leur épée", cela suggère que les innovations d'Iphicrate, notamment l'équipement des fantassins avec une lance allongée et une épée allégée, a été adoptée par tous les belligérants, sans résultat décisif ("L'affrontement entre fantassins commença par des attaques et des résistances égales et acharnées des deux côtés. Ce combat était sans précédent, opposant des Grecs à d'autres Grecs en grand nombre, des chefs illustres par leurs exploits antérieurs, des troupes exercées et aguerries, c'est-à-dire les Thébains et les Spartiates, les meilleurs soldats de l'époque, prêts à immoler réciproquement leur vie à leur gloire. La plupart des lances employées initialement étant brisées, les soldats sortirent leur épée. Ils se mêlèrent, se percèrent réciproquement, le courage et l'émulation soutenant les deux adversaires ne permit pas à la fortune de favoriser l'un ou l'autre. Animés tous du désir d'accomplir une action glorieuse, chacun méprisait sa propre vie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.86). Pour débloquer la situation, Epaminondas pousse vers les Spartiates au centre. Ces derniers reculent, ils s'écartent ("Epaminondas jugea devoir influer sur la balance. Il rassembla les plus braves de son armée et se jeta avec eux à travers la masse ennemie. Pour donner l'exemple, il lança un trait sur le commandant des Spartiates puis, soutenu par son corps d'élite, blessant les uns et effrayant les autres, il rompit la ligne spartiate. Frappés par la hardiesse d'Epaminondas, et leurs effectifs diminuant fortement à cause des assauts de son escorte, les Spartiates abandonnèrent le champ de bataille. Les autres troupes béotiennes les poursuivirent, tuèrent les retardataires, elles couvrirent la campagne de morts", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.86). Mais Epaminondas est blessé lors de l'assaut : une flèche se plante dans sa poitrine, il retire la tige, mais la pointe en fer reste fichée dans son corps. Il tombe de cheval et s'évanouit. Les Thébains restent autour de lui pour protéger son corps, et rester maîtres des morts et du territoire conquis. Les Spartiates reculent ("Ses calculs [à Epaminondas] portèrent leurs fruits. Partout où il combattit, l'armée ennemie fut défaite. Mais quand il tomba, les siens ne surent pas profiter de ses succès : la ligne ennemie était brisée, mais ses fantassins ne bougèrent pas de leur position, et ses cavaliers ne poursuivirent pas davantage la cavalerie adverse qui s'était enfuie, au contraire ils revinrent timidement, tels des vaincus, à travers les ennemis en déroute. Et les hommes qui accompagnaient les cavaliers et les peltastes, qui avaient partagé la victoire de la cavalerie, passèrent sur la gauche de l'ennemi et tombèrent sur les Athéniens, qui les tuèrent en grand nombre", Xénophon, Helléniques, VII, 5.24-25 ; "Les Spartiates, agacés de voir Epaminondas supérieur à eux, se jetèrent tous sur lui. Cible de tous les coups, celui-ci évita les uns, para les autres, tira les javelots de son corps pour les renvoyer à ceux qui les lançaient. Sur le point de remporter la victoire qu'il méritait, il reçut un trait fatal dans la poitrine. Il brisa la flèche en la tirant, le fer resta fiché en lui, et il tomba de cheval. Un violent acharné eut lieu autour de lui, les deux camps voulant s'approprier son corps. Les Thébains plus robustes l'arrachèrent aux Spartiates avec beaucoup de peine. Ces derniers s'enfuirent, mais les Thébains ne les suivirent pas, ils préférèrent s'assurer la possession des morts comme un gage de victoire", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.87 ; "Epaminondas dirigea les Thébains à Mantinée. Comme il pressait trop audacieusement les ennemis dans une bataille rangée, les Spartiates le reconnurent. Estimant que sa mort conditionnait leur salut, ils fondirent tous sur lui. Ils se retirèrent quand, après un grand carnage de part et d'autre, ils virent Epaminondas frappé d'un trait lancé de loin pendant qu'il combattait vaillamment, et tomber mort. Les Béotiens furent ralentis par sa chute mais ils ne quittèrent pas le champ de bataille, ils continuèrent à combattre les troupes qui leur résistaient", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.9). Les deux camps se prétendent victorieux, et refusent de demander la restitution de leurs morts à l'adversaire pour ne pas apparaître comme des vaincus ("Les deux armées sonnèrent la retraite, les soldats revinrent dans leur camp et chacun des deux camps dressa un trophée, la victoire n'étant pas clairement apparu pour l'un ou pour l'autre. Les Athéniens en effet avaient vaincu les Eubéens et les mercenaires sur les hauteurs voisines du champ de bataille et conservaient leurs dépouilles, les Béotiens de leur côté avaient battu les Spartiates et se considéraient victorieux puisqu'ils gardaient leurs corps. Pendant un temps, aucun des deux camps ne réclama ses morts, afin de ne pas signifier sa défaite", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.87 ; "A la bataille de Mantinée, les pertes furent équivalentes du côté des Thébains et du côté des Mantinéens. Ces derniers voulurent envoyer un héraut aux Thébains pour leur demander de recouvrer leurs morts. Mais parmi eux un Athénien nommé “Kineas” dont le frère Démétrios avait été tué dit aux Mantinéens : “Je préfère voir mon frère sans sépulture plutôt que reconnaître la supériorité des Thébains, la dépouille de mon frère empêche justement les ennemis de dresser un trophée contre lui et contre sa patrie”. Ce discours convainquit les Mantinéens, qui renoncèrent à envoyer le héraut", Polyen, Stratagèmes II.32 ; "Les combats reprirent rapidement [après l'échec d'Epaminondas devant Sparte]. Enflammée par le courage et par la gloire des vieillards [qui ont défendu Sparte], la jeunesse de Sparte ne put contenir son ardeur et courut aussitôt livrer bataille [à Mantinée]. Les Thébains furent vainqueurs. Unissant la valeur d'un soldat aux talents d'un général, Epaminondas reçut une blessure mortelle. Quand la nouvelle de sa chute se répandit, les Thébains furent frappés de douleur et d'épouvante, et les Spartiates furent tellement saisis et troublés par l'excès de leur joie qu'ils quittèrent en même temps qu'eux, comme par un commun accord, le champ de bataille", Justin, Histoire VI.7). Finalement, les Spartiates se résignent à cette démarche, aux yeux de tous cela signifie qu'ils reconnaissent leur défaite, et que les Thébains sont vainqueurs ("Finalement les Spartiates les premiers rendirent leurs devoirs à leurs morts, puis chacune des deux armées ensevelit les siens", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.87). Epaminondas apprend cette nouvelle juste avant l'opération pour tenter de retirer le fer fiché dans son corps. Il meurt au cours de cette opération ("Epaminondas encore vivant avait été porté dans le camp. Les médecins rassemblés ayant estimé qu'il mourrait certainement dès qu'ils tenteraient d'extraire le fer de sa plaie, il se prépara à une mort aussi glorieuse que sa vie. D'abord il appela son écuyer pour lui demander s'il avait conservé son bouclier, celui-ci lui répondit oui et le lui montra. Ensuite il demanda quel camp avait remporté la victoire, l'écuyer répondit que les Thébains étaient vainqueurs. “Je peux donc mourir, répliqua-t-il, qu'on tire le fer de ma plaie.” Ses amis autour de lui poussèrent aussitôt de grands cris, certains versèrent des larmes. “Epaminondas, que nous laisses-tu, par Zeus ?” “Deux héritières, répondit-il, ma victoire de Leuctres et celle de Mantinée.” [répartie déjà adressée à Pélopidas, selon Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.10 précité]. Et il expira tranquillement dès qu'on tira le fer de sa plaie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.87 ; "Epaminondas sentit que sa blessure était mortelle, qu'il perdrait la vie dès qu'on tenterait d'extraire la pointe de la flèche plantée dans son corps, il la garda donc jusqu'au moment où on lui annonça la victoire des Béotiens. Dès qu'il apprit cette nouvelle, il dit : “J'ai bien vécu, puisque je meurs sans avoir été vaincu”. On arracha le fer, et il expira aussitôt", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines XV.9 ; "Epaminondas, principal auteur de la prospérité de Thèbes, fut aussi celui qui porta le premier coup à Sparte. Après avoir abattu par ses victoires de Leuctres et de Mantinée la gloire antique de cette cité et le courage jusqu'alors invaincu de ses citoyens, il fut atteint par un javelot, il perdit son sang et agonisa. Tandis qu'on s'efforçait de le maintenir en vie, il demanda d'abord si son bouclier était conservé, ensuite si les ennemis étaient défaits. Il reçut une réponse positive sur ces deux questions. “Camarades, dit-il, je ne termine pas ma vie, j'en commence une autre plus haute et plus heureuse, car la mort d'Epaminondas signifie que Thèbes, sous ma conduite et sous mes auspices, est devenue la capitale de la Grèce. L'ardente et vaillante Sparte a été abattue par nos armes, et la Grèce est délivrée de son insupportable domination. Je meurs sans enfants, mais je laisse à la postérité deux filles admirables : Leuctres et Mantinée”. On tenta de retirer le javelot de son corps, et il expira avec la même expression qu'il aurait eu s'il était rentré dans sa patrie en libérateur, si les dieux immortels lui eussent permis de jouir plus longtemps de ses victoires", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables III.2, Exemples étrangers 5 ; "Sa mort [à Epaminondas] fut à la hauteur de sa belle vie puisque, rapporté moribond dans le camp, il recouvra ses sens et l'usage de la parole, il demanda aux soldats qui l'entouraient si lors de sa chute son bouclier était tombé aux mains de l'ennemi, on lui apprit que celui-ci était conservé, il ordonna qu'on lui apportât ce compagnon de ses glorieux travaux et le couvrit de baisers, puis il demanda quelle armée était victorieuse, quand on lui répondit que c'était celle des Thébains il dit :“Alors tout est bien”, et il expira aussitôt, comme pour féliciter sa patrie", Justin, Histoire VI.7 ; on note que, selon Elien et selon Plutarque, Epaminondas au moment de mourir conseille à ses compatriotes de rechercher la paix avec les Grecs, puisqu'ils sont vainqueurs et qu'aucun Thébain ne pourra lui succéder ["Mortellement blessé mortellement à la bataille de Mantinée, Epaminondas fut porté dans sa tente. Comme il respirait encore, il appela Daiphantos pour lui remettre le commandement de l'armée. “Daiphantos est mort”, lui dit-on. “Alors amenez-moi Iolaidas”, demanda-t-il. Quand on lui répondit qu'Iolaidas avait péri pareillement, il conseilla aux Thébains de terminer la guerre et de traiter avec l'ennemi, puisqu'ils ne leur restaient plus aucun stratège capable de les commander", Elien, Histoires diverses XII.3 ; "Dans la dernière bataille qu'il livra [à Mantinée], [Epaminondas] fut blessé à mort. On le porta dans sa tente, il appela Daiphantos et Iolaidas, on lui dit que l'un et l'autre étaient morts, alors il conseilla aux siens de faire la paix puisqu'ils n'avaient plus de stratège. Les faits confirmèrent son propos, et prouvèrent qu'il connaissait parfaitement ses concitoyens", Plutarque, Apophtegmes des rois et des stratèges]). Les biographes ultérieurs se sont interrogés sur l'identité de l'archer ayant lancé la flèche qui a tué Epaminondas. Le plus probable est un Laconien non Spartiate nommé "Anticratès", honoré plus tard par les Spartiates comme un des leurs puisqu'il les a sauvés ("Quelques jours plus tard [après l'échec d'Epaminondas à conquérir Sparte], Spartiates et Thébains s'affrontèrent à nouveau près de Mantinée. Vainqueur de la première ligne, Epaminondas pressait l'ennemi en fuite quand le Laconien Anticratès le frappa. Dioscoride [médecin du Ier siècle] dit qu'il fut atteint par un javelot, mais comme les Spartiates encore aujourd'hui désignent les descendants d'Anticratès comme “Machairides” on suppose qu'il fut atteint plutôt par une machaira ["maca…ra", épée]. Ces derniers admirèrent et chérirent au-delà de toute mesure le meurtrier de l'homme qu'ils redoutèrent vivant, ils lui votèrent des honneurs particuliers et des gratifications et exemptèrent d'impôts toute sa postérité, immunité dont jouit encore aujourd'hui Callicratès descendant d'Anticratès", Plutarque, Vie d'Agésilas II 35). Mais la postérité, n'étant pas satisfaite de voir le grand homme Epaminondas tomber par la main d'un soldat banal, a vite substitué à cette hypothèse très plausible une autre hypothèse qui laisse perplexes les historiens modernes : selon certains auteurs antiques, le tombeur d'Epaminondas serait l'Athénien Gryllos fils de Xénophon. Pour notre part, nous ne doutons pas que le cavalier Gryllos fils de Xénophon a participé à la bataille de Mantinée en automne -363 (Suidas est formel sur ce point : "Hyparque, mort à Mantinée aux côtés de Gryllos fils de Xénophon", Suidas, Lexicographie, Kèphisodoros K1566 ; on suppose que le "Kèphisodoros" objet de cet article est le même que celui qui a été archonte en -366/-365, et, selon l'usage paponymique antique, petit-fils du "Kèphisodoros fils de Kèphisophon" ayant participé à l'expédition des Dix Mille avec Xénophon et mort au combat contre les Kardouques en -401 selon Xénophon, Anabase de Cyrus, IV, 2.13 et 16 précités), mais, même en admettant qu'il n'a pas été tué lors de l'échec de l'assaut de cavalerie athénienne que nous avons raconté au début de la bataille, on ne voit pas pourquoi Gryllos aurait quitté sa position à l'aile gauche pour s'aventurer au centre parmi les Spartiates, ni comment il aurait pu s'insinuer dans la masse des fantassins avec son cheval pour aller tirer une flèche contre Epaminondas ("Les Athéniens ayant décrété secourir Sparte, [Xénophon] envoya ses fils à Athènes combattre aux côtés des Spartiates qui les avaient élevés, selon Dioclès dans ses Vies des philosophes. L'un, Diodoros, revint de cette expédition sans avoir rien accompli de remarquable, il eut un fils portant le nom de son frère. L'autre au contraire, Gryllos, qui servit comme cavalier à la bataille de Mantinée, mourut glorieusement au combat, selon le livre XXV d'Ephore. Dans cette journée Kèphisodoros était à la tête de la cavalerie, et Agésilas II commandait toute l'armée. On dit que Xénophon fut informé de la mort de son fils au moment où il faisait un sacrifice, une couronne sur la tête : en apprenant cette nouvelle, il ôta sa couronne, puis il la remit qu'on lui précisa que Gryllos était mort gloirieusement, on dit aussi qu'il ne versa pas une larme et déclara simplement : “Je savais que mon fils était mortel”. Nous savons par Aristote que beaucoup d'auteurs composèrent des panégyriques et des épitaphes à Gryllos, la plupart par déférence pour son père. Hermippos [de Smyrne] dans son essai sur Théophraste dit qu'Isocrate écrivit un éloge pour Gryllos", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres II.53-55 ; "Après avoir laissé la route de Mantinée à Pallantion, à une trentaine de stades sur un grand chemin, on trouve le bois de chênes dit “de Pélasgos”. C'est là que les cavaliers athéniens et mantinéens affrontèrent les cavaliers béotiens. Epaminondas fut tué par un Machairion de Mantinée selon les Mantinéens, ou par un Machairion de Sparte selon les Spartiates, les Athéniens quant à eux (les Thébains les approuvent sur ce point) prétendent qu'Epaminondas fut blessé par Gryllos, cela se voit dans le tableau représentant la bataille de Mantinée [tableau déjà évoqué, peint par Euphranor et exposé dans le portique du Céramique à Athènes]. Les Mantinéens semblent avoir accrédité cette version en rendant aux frais de leur cité les honneurs funèbres à Gryllos, et en lui érigeant, comme au plus vaillant de leurs alliés, une statue à l'endroit où il fut tué. Le “Machairion” qu'ils évoquent avec les Spartiates n'a en fait jamais existé à Sparte ni à Mantinée, aucun homme de ce nom n'y a jamais été honoré publiquement pour sa valeur. Epaminondas ayant été blessé, on l'emporta encore vivant hors de la mêlée. Pendant un temps il tint la main sur sa blessure douloureuse, et observa le combat depuis l'endroit appelé plus tard “Skopè” en souvenir ["Skop»", littéralement "l'Observatoire"]. Quand il vit que la bataille s'achevait sans que l'avantage penchât d'un côté ou de l'autre, il ôta la main de sa blessure et rendit l'âme. On l'enterra sur le lieu de la bataille. Son tombeau est surmonté d'une colonne, sur laquelle on voit un bouclier décoré d'un dragon, en doute pour rappeler qu'Epaminondas appartenait à la race des Semés ["Sparto…", sur cette légende du dragon et des "Semés", nous renvoyons à pseudo-Apollodore, Bibliothèque, III, 4.1]. Aujourd'hui on voit deux cippes sur ce monument, l'un ancien avec une inscription béotienne, l'autre érigé par l'Empereur Hadrien qui en a rédigé lui-même l'inscription", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 11.5-8 ; "Arrivé à Mantinée avec son armée, [Epaminondas] remporta encore une victoire, mais il fut tué par un Athénien, selon le tableau qu'on voit à Athènes représentant le combat des cavaliers, il fut atteint par Gryllos, fils de Xénophon qui suivit le prince Cyrus dans son expédition contre Artaxerxès II et qui ramena les Grecs jusqu'à la mer", Pausanias, Description de la Grèce, IX, 15.5). A l'ère hellénistique, l'historien Polybe insiste sur la malchance d'Epaminondas, qui a manœuvré habilement son armée de Thèbes à Sparte et de Sparte à Mantinée sans pouvoir contrer le destin des Spartiates sauvés par un éclaireur anonyme venu informer Agésilas II de l'invasion imminente, ni le destin des Athéniens sauvés par leur bonne étoile les ayant guidés vers Mantinée quelques heures avant l'arrivée des Thébains ("Arrivé à Tégée, [Epaminondas] apprit que les Spartiates et leurs alliés étaient mobilisés dans Mantinée, prêts à livrer bataille. Il ordonna à ses troupes de déjeuner plus tôt et de se mettre en mouvement juste après la tombée de la nuit, pour faire croire qu'il voulait occuper des postes avantageux avant la bataille prochaine. Ayant ainsi dupé ses adversaires, il marcha droit vers la Laconie. Vers la troisième heure, il arriva devant Sparte vide de défenseurs. Il pénétra jusqu'à l'agora et prit le contrôle de toute la partie proche du fleuve [Eurotas]. Mais un fait inattendu survint : un déserteur gagna Mantinée la nuit même et avertit le roi Agésilas II de l'événement. C'est ainsi que Sparte fut secourut juste au moment où elle allait être prise. Son espoir ayant été déçu, Epaminondas ordonna à ses troupes de déjeuner sur les bords de l'Eurotas et de se reposer. Puis il repartit par le même chemin, calculant que les Spartiates accouraient pour défendre leur patrie en laissant Mantinée sans défense. Son calcul était juste. Il exhorta les Thébains à marcher à vive allure toute la nuit, et arriva au milieu de la journée devant Mantinée complètement dégarnie. Mais à ce moment parurent les Athéniens, qui voulaient partager cette guerre aux côtés des Spartiates contre les Thébains. Quand l'avant-garde d'Epaminondas atteignit le sanctuaire de Poséidon à moins de sept stades de la ville, les Athéniens se montrèrent sur la colline dominant Mantinée, comme par un plan prémédité. En les voyant, les habitants restés dans la ville reprirent courage et montèrent sur leurs murailles pour empêcher les Thébains d'approcher. Les historiens ont raison de déplorer la conclusion malheureuse de ces opérations, et de dire qu'Epaminondas a triomphé de ses ennemis en accomplissant tous ses mouvements comme un maître, mais n'a pas pu triompher de la Fortune", Polybe, Histoire, IX, fragment 8.2-13). Epaminondas est enterré sur place, avec Kaphisodoros son éromène du moment tombé au combat ("Epaminondas avait deux éromènes, Asopichos et Kaphisodoros, ce dernier a trouvé la mort avec lui à la bataille de Mantinée et a été enseveli à son côté", Plutarque, Sur l'amour 17). Les cités grecques n'ont plus aucun chef de l'envergure d'Epaminondas capable d'imposer ses vues à toute la Grèce, elles décident sagement de signer une paix générale, seuls les Spartiates refusent de signer tant que Messène ne sera pas rasée ("Après la mort du grand homme [Epaminondas] que je viens de raconter, les Grecs ne sachant pas à qui attribuer la victoire en dépit des prouesses de valeur de part et d'autre, et lassés des combats et des périls, résolurent de traiter ensemble. Ils conclurent une paix et une alliance commune, incluant les Messéniens. Les Spartiates, par la haine qu'ils vouaient aux Messéniens et à leur refus de tout compromis avec eux, s'exclurent de cette paix", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.89). C'est par cette paix très bancale que Xénophon termine ses Helléniques, en concluant que la situation de la Grèce après la bataille de Mantinée de -363 est encore plus confuse qu'avant, parce qu'on ne distingue plus aucun hégémon, et parce que les Grecs ont compris dorénavant que le temps des cités est révolu ("Après cette campagne, la situation fut inverse de celle attendue. Toute la Grèce étant impliquée dans deux camps opposés, on avait cru qu'une bataille déterminerait un vainqueur hégémonique et un vaincu assujetti. Mais le dieu permit que chaque parti élevât un trophée de victoire et qu'aucun des deux ne s'y opposât, que chaque parti rendît les morts à l'autre par une trêve tel un vainqueur, que chaque parti les relevât par une trêve tel un vaincu, que chaque parti prétendît avoir gagné la bataille mais sans obtenir ni territoire ni cité ni commandement. La confusion et le désordre en Grèce furent plus grands après la bataille qu'avant. J'arrête ici mon récit, un autre le continuera peut-être", Xénophon, Helléniques, VII, 5.26-27) : toutes les cités se valent, l'avenir passera nécessairement par leur union contre un adversaire commun, sinon elles s'anéantiront mutuellement. Le scénario de la cité nouvelle de Mégalopolis qui, peu après la bataille de Mantinée, veut rassembler sous une autorité commune toutes les populations alentours, en usant de violence si besoin, en recourant à nouveau aux services du Thébain Pammenès (déjà intervenu en -367 dans la même région selon Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 27.2 précité), afin de terminer les querelles entre villages profitant à Sparte ("La cité de Mégalopolis s'adressa aux Thébains, qui y envoyèrent aussitôt trois mille fantassins lourdement armés et trois cents cavaliers sous le commandement de Pammenès. Ce dernier se rendit d'abord à Mégalopolis, puis, par la destruction ou la menace, il contraignit les habitants des villages à se réunir dans la grande cité. Ainsi se réalisa le projet, bon ou mauvais, des Mégalopolitains : devenir la seule cité de la région, au mépris des troubles engendrés, au besoin en recourant finalement à la violence", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.94), préfigure le programme de Philippe II voulant rassembler sous l'autorité d'une "maison commune/kosmÒpolij" ou d'une "œcuménie/o„koumšnh" toutes les populations grecques, en usant de violence si besoin, afin de terminer les querelles entre cités profitant au Grand Roi de Perse.


Epaminondas est le chaînon reliant l'ère classique désormais déclinant, où Athènes a largement servi de modèle à toutes les autres cités, et l'ère hellénistique proche, où l'ordre social sera régi par une pensée universelle et non plus citoyenne. Le ministère d'Epaminondas est important sur deux points.


D'abord, Epaminondas est la meilleure incarnation du héros rêvé par Xénophon dans son essai hagiographique Agésilas II, du moins jusqu'à l'arrivée de Philippe II et d'Alexandre. Contrairement à Agésilas II qui est né roi, Epaminondas est né dans une famille de notables thébains désargentés et ne doit son ascension qu'à son mérite. Contrairement aux stratèges athéniens, dont certains ont une réelle valeur militaire, comme Timothée, Chabrias, Iphicrate, Epaminondas n'est pas un professionnel de la guerre, il est un intellectuel pythagoricien qui s'est formé à la guerre sur le tas, parce que les circonstances du temps (l'occupation de Thèbes par les Spartiates) l'exigeaient. Même le cynique Diogène, ordinairement méprisant envers ses contemporains, admet que deux hommes méritent l'admiration de tous : Agésilas II et Epaminondas ("Les Athéniens poussèrent [Diogène] à se faire initier, en lui disant que les initiés occupaient les premiers rangs aux Enfers. Il répliqua : “Alors Agésilas II et Epaminondas croupiraient dans la boue, tandis que les gens insignifiants survivraient dans l'île des Bienheureux simplement parce qu'ils ont été initiés ?”", Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres VI.39). Contrairement à Jason de Phères qui souhaitait fédérer la Grèce pour lui-même, Epaminondas a voulu fédérer la Grèce pour les Grecs. En ceci Epaminondas anticipe l'avenir, il est déjà un homme de l'ère hellénistique. Malheureusement, à l'opposé d'Agésilas II, des stratèges grecs et de Jason de Phères, qui ont toujours eu la guerre contre la Perse en arrière-pensée, Epaminondas a toujours agi pour la gloire de sa seule cité de Thèbes, depuis longtemps alliée de la Perse. En cela Epaminondas regarde vers le passé, il est un personnage vissé dans l'ère classique, déconnecté du sens de l'Histoire ("Epaminondas mourut peu de jours après [la bataille de Mantinée], et la grandeur de sa patrie périt avec lui. Tel un dard perdant sa force parce que sa pointe est émoussée, la puissance thébaine en perdant son chef sembla perdre le tranchant de son épée, elle s'amollit immédiatement, ses concitoyens privés de son appui parurent ensevelis dans son tombeau. Avant qu'il fût à leur tête, aucun exploit digne de mémoire n'avait manifesté leur courage, et après sa mort ils ne se signalèrent que par leurs défaites. La gloire de Thèbes naquit et mourut avec lui. Par ailleurs, peu importe si ce héros eut plus de talent ou de vertu : il utilisa toujours l'un et l'autre pour son pays et jamais pour sa propre grandeur. Plein de mépris pour les richesses, il ne laissa pas même de quoi assurer ses propres funérailles. Aussi étranger à l'ambition qu'à l'avarice, il n'accepta qu'à regret les magistratures qu'on lui prodigua, et les remplit avec tant d'honneur qu'il leur donna davantage d'éclat qu'il n'en reçut. Et on ne se lasse pas d'admirer, dans cet homme si féru de littérature et de philosophie, une si profonde connaissance de l'art militaire", Justin, Histoire VI.8). Pour l'anecdote, Agésilas II ne profite pas de la disparition d'Epaminondas pour recouvrer son aura perdue, au contraire il finira pitoyablement dans une campagne en Egypte aux côtés de l'Athénien Chabrias au service des rebelles égyptiens de Djedhor (hellénisé en "Tachos" chez Plutarque ; ce Djedhor est le fils de Nectanebo Ier, ancien gouverneur de Sebennytos, capitale du nome homonyme, près de Saïs, qui a pris la tête de la rébellion après le putsch contre Nepherites junior fils d'Achoris dont nous avons parlé plus haut, ce Nepherites junior ne semble pas avoir régné puisqu'aucun document ou monument à son nom n'a été découvert, il n'est mentionné que comme fils d'Achoris et vaincu par Nectanebo Ier) contre Artaxerxès II (racontée en détails par Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.92-93, et par Plutarque, Vie d'Agésilas II 36-40), tentative de ressusciter l'union Sparte-Athènes contre la Perse du début du Vème siècle av. J.-C., rêvée par Cimon puis Xénophon et théorisée par Isocrate. Agésilas II y mourra de vieillesse vers -358. Sa déchéance sera moquée par les Egyptiens lors de son débarquement en Egypte ("Quand [Agésilas II] arriva en Egypte, les chefs militaires et des fonctionnaires royaux montèrent à bord pour le flatter. Les autres Egyptiens étaient aussi empressés, attirés par la renommée d'Agésilas II, tous accoururent pour le voir. Mais ils ne trouvèrent aucun décorum somptueux, ils se retrouvèrent face à un vieillard accroupi sur l'herbe au bord de la mer, grêle et petit, vêtu d'un manteau grossier et de mauvaise qualité. Alors ils le raillèrent malignement en évoquant la fable [d'Esope] sur la montagne accouchant d'une souris", Plutarque, Vie d'Agésilas II 36), et agravée par sa participation à une lamentable querelle aulique entre Djedhor et son frère Tjahépimou, dont Nectanebo II fils de Tjahépimou profitera finalement. Son adversaire Antalcidas connaîtra une ruine similaire puisqu'il sera méprisé par tous ses compatriotes et par Artaxerxès II, et se laissera mourir de faim ("Tant que les Spartiates furent hégémoniques sur la Grèce, Artaxerxès II traita Antalcidas en hôte et en ami. Mais quand leur défaite à Leuctres les réduisit à une extrême faiblesse, les contraignant à envoyer Agésilas II en Egypte et à renvoyer Antalcidas auprès d'Artaxerxès II pour lui demander de les secourir, celui-ci méprisa sa demande et le chassa de sa Cour. Antalcidas revint honteusement à Sparte, il devint le jouet de ses rivaux, et, craignant d'être puni par les éphores, il se laissa mourir de faim", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 22). Pour l'anecdote encore, la mort d'Epaminondas précède de peu celle du vieux Artaxerxès II, en hiver -359/-358 (selon la tablette BM34576 indiquant les années de règnes des Grands Rois de Perses par rapport au cycle babylonien de Saros, qui se répète tous les deux cent vingt-trois mois), remplacé par son fils Artaxerxès III Ochos ("Le Grand Roi de Perse Artaxerxès II mourut peu après [l'archontat de Molon en -362/-361], la quarante-troisième année de son règne. Il eut pour successeur Ochos qui régna vingt- trois ans. Celui-ci fut surnommé “Artaxerxès [III]” comme son prédécesseur parce que ses sujets voulurent préserver la gloire, la tranquillité et le bonheur de ce dernier à travers son nom", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XV.93).


Ensuite, Epaminondas crée l'outil militaire permettant de réaliser cette unité entre Grecs. Il n'est pas l'inventeur du Bataillon Sacré, mais il a su comment l'utiliser pour le transformer en lame tranchante sur le champ de bataille. Et surtout il a formalisé la phalange, à la fois formation de combat et technique d'attaque, qui transforme la masse informe des fantassins en monstrueuse et irrésistible moissonneuse-batteuse. La phalange permet à une troupe réduite de détruire toute armée supérieure en nombre, même très lourdement armée. Le prince macédonien Philippe II, otage des Thébains, qui a certainement accompagné Epaminondas dans plusieurs campagnes et a vu cette phalange thébaine à l'œuvre, s'en souviendra dès qu'il retournera en Macédoine ("Dans le repos de la Grèce épuisée, le nom jadis obscur et ignoré des Macédoniens acquit enfin la gloire. Philippe II, resté trois ans otage à Thèbes, instruit par Epaminondas et Pélopidas, humilia la Grèce et l'Asie et les plia sous le joug de la Macédoine", Justin, Histoire VI.9).

  

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