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-478 à -470 : La guerre contre la Perse II

© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

L’apogée d’Aristide

L’Eurymédon

Le déclin de Cimon

Keratos : Politique

Par sa sagesse et son charisme, Aristide, dernier héros de la guerre contre la Perse encore au pouvoir, a réussi à contenir une nouvelle génération politique qui rêve de briller autant que celle de Marathon et Salamine : sa mort en -472 décomplexe et libère soudain cette nouvelle génération.


Cimon, ancien protégé de celui qui vient de mourir, est naturellement l’homme vers qui convergent tous les regards. Cimon est-il pour une reprise de la guerre avec la Perse ? Nous l’ignorons. Il est certain en revanche qu’il n’a pas d’autre choix, pour deux raisons. La première raison est que, comme Napoléon Ier plus tard, il ne doit sa légitimité qu’à ses victoires militaires : s’il n’avait pas conduit efficacement les troupes athéniennes vers Byzance, vers Eion, vers Skyros, son seul courage au moment des batailles de Salamine et de Platées n’aurait pas suffi à l’imposer dans la vie politique (car il n’est pas le seul Athénien à s’être comporté de façon courageuse lors de ces deux batailles), maintenant que son protecteur Aristide est mort il doit donc obtenir des nouvelles victoires militaires pour prolonger sa légitimité et son influence dans les cercles du pouvoir. La seconde raison est qu’en l’absence d’une personnalité de la stature d’Aristide, la reprise de la guerre contre la Perse apparaît comme le seul moyen de maintenir l’unité entre les Grecs, et plus particulièrement le statu quo fragile entre la démocratie athénienne et la royauté spartiate : tant que les Grecs seront occupés à guerroyer contre les Perses, ils ne penseront pas à guerroyer entre eux. Cimon est d’autant plus préoccupé par le maintien de cette entente de façade entre Athènes et Sparte, qu’il manifeste un penchant affirmé pour le régime noble spartiate (on se souvient qu’il a donné le nom "Lacédémonios" à l’un de ses fils, et selon Plutarque il agace les Athéniens en prenant constamment les Spartiates comme exemples pour résoudre les litiges : "Dans les premiers temps de leur puissance, [les Athéniens] qui se mêlaient beaucoup des affaires des alliés profitèrent de la considération et du pouvoir dont jouissait Cimon qui, très aimé des Spartiates et traitant les alliés avec beaucoup de douceur, décidait presque seul des affaires de la Grèce. Mais quand ils furent devenus plus puissants, cet attachement extrême de Cimon pour les Spartiates leur déplut d’autant plus que celui-ci ne manquait jamais une occasion de leur vanter Sparte, surtout quand il leur adressait des reproches ou voulaient les piquer, en leur disant, selon Stésimbrotos : “Ce n’est pas ainsi que se conduisent les Spartiates”", Plutarque, Vie de Cimon 22), et qu’il sait que si une guerre éclate entre Athènes et Sparte il sera immédiatement accusé de sympathie pour l’ennemi. Sans le savoir, il esquisse les bases d’une politique qui ne sera formulée clairement que bien plus tard, au IVème siècle av. J.-C., par Isocrate, et réalisée par Philippe II de Macédoine et son fils Alexandre : une Grèce fédérale, unie par l’entretien d’une guerre contre la Perse, refusant d’accorder automatiquement et indistinctement des aides et des honneurs à tous les Grecs, mais les réservant aux seuls combattants qui, d’origine noble ou populaire, se seront illustrés dans cette guerre contre la Perse. Il s’agit là d’une nouvelle définition de la noblesse, liée non plus à la pureté du sang familial mais au comportement individuel sur le champ de bataille et dans les débats publics : on peut deviner qu’elle est la conséquence de la bâtardise de Cimon, né d’un père athénien ennobli du temps de Pisistrate par ses conquêtes en Chersonèse, et d’une mère étrangère issue d’une famille royale thrace. Enfin, la reprise de la guerre permet d’éloigner d’Athènes la jeunesse qui rêve de gloire, et qui menace de provoquer des émeutes si, à cause de la paix, la réalisation de ses rêves de gloire est repoussée à plus tard. Sur ce point, le meilleur document dont nous disposons est Les Perses d’Eschyle, la plus ancienne tragédie parvenue jusqu’à nous, dont un scoliaste anonyme affirme qu’elle a été présentée sous l’archontat de Ménon entre juillet -473 et juin -472, autrement dit aux grandes Dionysies du printemps -472, qu’elle a donc été écrite l’année précédente ou au début de l’année -472, quelques mois avant la mort d’Aristide. Nous avons fortement insisté dans notre paragraphe introductif pour dire à quel point la tragédie grecque originelle, celle des VIème et Vème siècles av. J.-C., loin d’être un divertissement sans conséquence, est un outil politique destiné à provoquer un débat sur un sujet de l’actualité récente évoqué à travers des personnages mythologiques, à l’instar de l’"ode au tragos" inventée par Clisthène de Sicyone vers -600 évoquant la lutte d’alors entre les cités d’Argos et de Sicyone à travers les personnages d’Adraste et de Mélanippe. Les Perses, comme toutes les autres tragédies de ces deux siècles, même si elle met en scène des personnages historiques et non pas mythologiques, nous renseigne sur l’actualité récente, sur laquelle elle cherche à provoquer un débat. L’œuvre se distingue par sa volonté de rompre avec le point de vue hellénocentrique qui règne depuis la victoire de Salamine. Un scholiaste anonyme révèle que le premier vers, placé dans la bouche du coryphée ("T£d' ™stˆ Persîn tîn p£lai bebhkÒtwn"), est un pastiche du premier vers des Phéniciennes de Phrynichos ("T£de mšn Persîn tîn o„comšnwn") : ce renvoi à une autre pièce pour mieux s’en démarquer est une façon de dire que le point de vue adopté s’opposera à celui de cette autre pièce. Or le titre même des deux tragédies manifeste sans ambigüité les positions de leurs deux auteurs : Les Phéniciennes doit son titre au chœur qui la constitue, un groupe de femmes de Phénicie qui ont perdu leurs maris et leurs fils dans le combat que Xerxès Ier leur a imposé contre les Grecs, Les Perses de son côté doit son titre au chœur des Perses qui pleurent sur leur défaite contre les Grecs, dans le premier cas l’attention est portée sur des oppressés tandis que dans le second cas elle est portée sur leurs oppresseurs perses, dans le premier cas Phrynichos ne parle des Perses qu’à travers leurs victimes pour en faire des monstres étrangers au genre humain, tandis que dans le second cas Eschyle montre les Perses pour atténuer leur soi-disant monstruosité et établir que la responsabilité de l’invasion de la Grèce relève davantage de l’orgueil excessif de Xerxès Ier (coupable de s’être pris pour un dieu au point de détruire les temples : "[Les Perses] venus sur la terre grecque n’ont pas hésité à dépouiller les statues des dieux, à incendier les temples, à détruire les autels, à renverser les images divines de leurs socles", Eschyle, Les Perses 809-812) et de son entourage proche que du peuple perse dans son ensemble. Nous avons vu dans notre paragraphe introductif que Phrynichos, avec Les Phéniciennes et avec sa pièce sur la prise de Milet, a inventé le théâtre réaliste, c’est-à-dire qu’à la place des personnages héroïques et mythologiques qui emplissaient le genre tragique depuis son invention par Clisthène de Sicyone il a fait monter sur la scène des hommes et des femmes réels de son temps, avec toutes leurs faiblesses et tous leurs travers, sans discuter leurs préjugés, sans chercher à masquer leur humanité ordinaire : dans Les Perses, Eschyle retourne très astucieusement ce procédé en héroïsant et en mythifiant les combattants grecs vainqueurs de Salamine autant que leurs vaincus perses, il rend ainsi hommage à ces combattants grecs d’hier (qui deviennent de cette façon des égaux de Zeus, des dieux qui ont puni l’hybris de Xerxès Ier) tout en les distinguant des Grecs d’aujourd’hui en -472 aussi prétentieux que naguère Xerxès Ier. Les Perses refuse de diviser le monde entre les bons d’un côté (nous) et les méchants de l’autre côté (eux), et pose que la Justice se trouve là où est la mesure. Cela sous-entend que dans le public à qui est présentée Les Perses en -472, et chez qui elle veut provoquer un débat, des individus existent, nobles ou démocrates, qui pensent comme Phrynichos et ne sont absolument pas convaincus que la Justice est synonyme de mesure : la conclusion proférée par le fantôme de Darius Ier à la fin de la pièce, mettant en garde les Perses contre l’hybris ("Ûbrij", mot intraduisible désignant tout ce "qui est excessif, démesuré, irréfléchi, qui relève de l’orgueil ou d’une fougue incontrôlée"), est une condamnation tacite de l’esprit guerrier qui anime ces individus enfin libérés de la présence apaisante d’Aristide en -472 ("L’hybris en mûrissant produit l’épi de l’erreur, et la moisson qu’on en lève n’est faite que de larmes. Gardez toujours ce châtiment dans les yeux, souvenez-vous d’Athènes et de la Grèce, et qu’aucun de vous, méprisant son destin pour en convoiter d’autres, ne ruine un immense bonheur : Zeus est le vengeur désigné des pensées trop prétentieuses, et en réclame de terribles comptes", Eschyle, Les Perses 819-828 ; cette façon d’élever Darius Ier en le montrant comme un promoteur de la raison est une façon d’abaisser les va-t-en-guerre athéniens de -472 et de leur dire : "Certains Perses valent mieux que vous !", ces allusions des personnages perses de l’espace scène visent à condamner des personnes de l’espace salle qui ne sont pas nommés explicitement mais que les spectateurs athéniens de -472 devinent immédiatement, comme jadis les Argiens non nommés explicitement dans la tragédie de Clisthène de Sicyone étaient immédiatement devinés par les spectateurs sicyoniens via le personnage d’Adraste). Cimon, répétons-le, n’est peut-être pas parmi eux, mais pour éviter qu’ils retournent leurs appétits démesurés de conquêtes sur leurs compatriotes grecs, il doit impérativement leur offrir un nouvel espace d’expression au loin. Pour l’anecdote, les spécialistes s’accordent à dire que le jeune Périclès, héritier de la famille des Alcméonides, est en -472 idéologiquement proche d’Eschyle puisqu’il contribue à la victoire de ce dernier en finançant comme chorège la mise en scène des Perses. Ces spécialistes s’appuient sur la célèbre inscription référencée II/2 n°2318 dans le répertoire des Inscriptions grecques, ou "IG" dans le petit monde des hellénistes, créé par le grand philologue allemand Philipp August Böckh dans la première moitié du XIXème siècle et constamment remis à jour depuis en fonction des nouvelles découvertes archéologiques : cette inscription mentionne pour chaque année le nom de l’archonte, puis le chorège vainqueur du concours des "paidia/paidi£" (chœur d’enfants), puis le chorège vainqueur du concours des "andreia/¢ndre‡a" (chœur d’hommes), puis le chorège vainqueur du concours comique, enfin le chorège vainqueur du concours tragique, or, si les trois premières colonnes de cette inscription sont mutilées, sur la quatrième colonne en revanche les noms sont en partie conservés, et on y lit sous l’archontat de Ménon : "]enokle…dhj ™cor»ge [ ]£gnhj ™d…dasken tragwidîn PeriklÁj Colar[ ] ™cor»[ ] A„scÚloj [ ]…dasken", que les épigraphistes n’ont eu aucun mal à compléter en : "[kwmwidîn X]enokle…dhj ™cor»ge [M]£gnhj ™d…dasken tragwidîn PeriklÁj Colar[eÚj] ™cor»[ge] A„scÚloj [d]…dasken", c’est-à-dire en français : "Comédie : Xénokléidès chorège, Magnès metteur en scène / Tragédie : Périclès de Cholarges chorège, Eschyle metteur en scène" (ce qui confirme au passage qu’Eschyle a bien participé au concours tragique sous l’archontat de Ménon en -473/-472, comme le dit le scholiaste anonyme des Perses précédemment cité). Pour l’anecdote encore, comme cela arrive souvent à la mort des grands hommes, toute la communauté athénienne se retrouve momentanément unie autour de la dépouille d’Aristide, et finance ses obsèques publiques, l’auteur du décret autorisant ces obsèques publiques n’est autre qu’Alcibiade l’Ancien, grand-père de l’Alcibiade promoteur de la désastreuse expédition de Sicile en -415 qui restera dans toutes les mémoires ("On montre encore aujourd’hui, à Phalère, le tombeau [d’Aristide], qui fut construit aux frais de la cité parce qu’il ne laissa pas de quoi se faire enterrer. La cité se chargea du mariage de ses filles, le Prytanée les dotant chacune de trois mille drachmes, et fit don aussi à son fils Lysimachos de cent mines d’argent, d’autant de plèthres de terre plantés d’arbres, et de quatre drachmes par jour. Alcibiade l’Ancien en dressa le décret", Plutarque, Vie d’Aristide 44).


Diodore de Sicile parle de la création d'un contingent athénien destiné à se diriger contre la Perse, sous le commandement de Cimon, sous l'archontat de Démotion, entre juillet -470 et juin -469 ("Démotion étant archonte d'Athènes, les Romains nommèrent consuls Publius Valérius Publicola et Caius Nautius Rufus. A cette époque les Athéniens élirent Cimon à la stratégie, qui quitta le port à la tête de deux cents trières ", Bibliothèque historique XI.60). Mais l'événement a sans doute lieu l'année précédente, sous l'archontat de Praxiergos en -471/-470, plus précisément dans la seconde moitié de -471. Pour comprendre ce qui nous amène à penser cela, il est nécessaire de nous attarder un instant sur la méthode employée par Diodore de Sicile. Cet historien du Ier siècle av. J.-C. veut rassembler dans un même livre tous les faits de l'Histoire de la Grèce, de l'Histoire de Rome, de l'Histoire de la Sicile, de l'Histoire de la Perse, de l'Histoire de Carthage et de quelques autres peuples qu'il a recueillis au cours de ses lectures. Ce projet titanesque est hautement louable. Le problème est que l'auteur choisit de classer ses données année par année, ce qui produit finalement un objet bancal, puisque naturellement certaines années sont plus riches en événements que d'autres (le résultat serait le même si un historien désireux de raconter le XXème siècle employait la même méthode : il pourrait écrire dix mille pages sur l'année 1945, mais beaucoup moins sur l'année 1946, car on compte beaucoup plus d'événements en 1945 qu'en 1946). Pour essayer d'équilibrer ses paragraphes, et aussi pour donner l'impression que son livre est un ensemble construit et non pas une vulgaire compilation de matériaux bruts n'ayant aucun lien entre eux, Diodore de Sicile opte pour un compromis désastreux : il conserve son découpage année par année, en donnant le nom de chaque archonte éponyme athénien et de chaque consul romain annuel, et il répartit ses données en fonction de la place qu'il s'est imposée au départ, en essayant de les rassembler selon leur sujet. Concrètement, cela signifie que si telle année est riche en événements, il en étale le récit sous les noms de deux, trois, quatre archontes ou davantage en commençant son paragraphe par la locution adverbiale très floue "en touto/™n toÚtw", qu'on peut traduire en français par "en ce temps-là" ou "vers cette époque", et inversement quand telle autre année est pauvre en événements il l'emplit avec ce qu'il n'a pas réussi à caser dans le cadre prédéfini des années riches, toujours en commençant son paragraphe avec la même locution adverbiale imprécise. Ainsi, nous le verrons dans notre paragraphe sur la paix de Trente Ans, il étale le récit de l'affaire de Corcyre sur trois ans, entre l'archontat de Glaucidos en -439/-438 et celui de Nausimachos en -436/-435, alors que Thucydide de son côté affirme bien que cette affaire est l'une des causes immédiates de la deuxième guerre du Péloponnèse, et doit donc être située juste avant cette deuxième guerre du Péloponnèse, probablement en -432 : la raison de cette différence de date chez Diodore de Sicile, qui par ailleurs dans le détail et le déroulement des faits ne s'écarte pas de Thucydide et qui prend bien soin de commencer toujours ses paragraphes par "en touto/™n toÚtw" pour rester dans le vague et ne pas être accusé de malmener la chronologie, est simplement qu'après la soumission de Samos par Périclès en -440 l'ordre règne à nouveau en mer Egée, que les années -439 à -432 sont par conséquent pauvres en événements, et que Diodore de Sicile éprouve le besoin d'étaler le récit des causes immédiates de la deuxième guerre du Péloponnèse (l'affaire de Corcyre, l'expédition de Potidée, les ambassades spartiates à Athènes) sous les huit archontes qui précèdent pour éviter que chaque paragraphe consacré aux sept premiers archontes se limite à quelques lignes tandis que celui consacré au huitième archonte s'étende sur des dizaines de pages. L'archontat de Praxiergos en -471/-470, pour revenir à notre sujet, lui pose un problème inverse : cette année est trop riche en événements (le rôle de Cimon à Athènes après la mort d'Aristide, la révolte d'Inaros en Egypte, la mort de Thémistocle, la double bataille de l'Eurymédon), il décide donc de n'en retenir qu'un seul (la mort de Thémistocle) et de pousser le récit des autres à plus tard, en particulier celui du départ du contingent athénien commandé par Cimon vers les côtes sud de l'Anatolie et Chypre, qu'il raconte sous l'archontat suivant, celui de Démotion en -470/-469, toujours en commençant son paragraphe avec la locution adverbiale "vers cette année-là/™n toÚtw" qui laisse son lecteur libre d'en placer le contenu pendant, avant, ou après l'année de Démotion. Pour bien comprendre les difficultés que pose Diodore de Sicile, une petite illustration vaut mieux qu'un long discours : imaginons-le encore vivant aujourd'hui, en l'an 2000, évoquant l'événement le plus important de l'année 1999, celui de la fin de la guerre en Yougoslavie. Voici ce qu'il écrirait : "La quatrième année de Jacques Chirac comme Président en France, fut la deuxième année de Gerhard Schröder comme Chancelier en Allemagne, la troisième année de Tony Blair comme Premier Ministre en Grande-Bretagne, la deuxième année de Massimo d'Alema comme Président du Conseil en Italie, et la troisième année de José Maria Aznar comme Président du Gouvernement en Espagne. En ce temps-là/™n toÚtw Tito mourut après avoir dirigé la Yougoslavie pendant trente-cinq ans. Aucune personnalité compétente n'émergeant après sa mort, les peuples yougoslaves se dressèrent rapidement les uns contre les autres. Les Slovènes firent sécession en premier. Ils furent suivis par les Croates puis par les Macédoniens. Une guerre éclata entre les Croates et les Serbes, les uns et les autres voulant défendre leurs compatriotes installés sur la terre des Bosniaques située entre leurs deux pays. De part et d'autre, les hommes, les femmes et les enfants furent massacrés ou déportés. Les autres pays d'Europe, influencés dans leurs jugements par les liens anciens qu'ils entretenaient soit avec les Croates soit avec les Serbes, furent incapables de s'entendre entre eux, et choisirent finalement de ne pas intervenir pour stopper ces massacres et ces déportations. Quand les Serbes eurent poussé tous les Croates survivants de Bosnie vers la frontière croate, et que les Croates eurent poussé tous les Serbes survivants de Bosnie vers la frontière serbe, les trois belligérants signèrent la paix à Dayton aux Etats-Unis, reconnaissant l'indépendance de la Bosnie désormais constituée d'une république sous influence serbe et d'une fédération sous influence croate et bosniaque. Mais la guerre reprit en Serbie quand les Albanais du territoire du Kosovo firent sécession à leur tour. Les Serbes recommencèrent à massacrer ces Albanais ou à les déporter vers l'Albanie voisine. Face à ces nouveaux excès, les pays d'Europe se décidèrent enfin à intervenir sous commandement des Etats-Unis : leurs troupes stoppèrent les agissements des Serbes et vinrent prendre position sur le territoire du Kosovo". On imagine la perplexité des historiens de l'an 4000, obligés en l'absence d'autres sources de confronter un tel texte à leurs connaissances archéologiques. Des fouilles effectuées sur le site de Paris ou sur le site de Berlin mettront à jour des monuments signés par leurs commanditaires, qui confirmeront la véracité de l'incipit avec les noms et les mandatures des chefs d'Etats. D'autres fouilles effectuées sur les territoires de Bosnie et du Kosovo confirmeront la véracité des massacres commis par les différents belligérants. Des extraits de livres qui auront échappé à l'oubli appuieront le détail et l'ordre des événements racontés dans ce texte. Rien dans ce texte n'est faux dans les faits. Mais le flou de la formule "en ce temps-là/™n toÚtw" qui suit immédiatement l'incipit conduira forcément les historiens de l'an 4000 à commettre des erreurs non seulement sur la guerre en Yougoslavie, mais encore sur tous les autres événements de la seconde moitié du XXème siècle. Car cet incipit évoque précisément l'année 1999 de l'ère chrétienne, et la référence à la mort de Tito "après trente-cinq ans" de règne qui suit incite immanquablement à placer cette mort en 1999, et donc à placer en 1964 la fin de la deuxième Guerre Mondiale qui a porté Tito au pouvoir : on devine par suite tout l'embarras qu'auront les historiens de l'an 4000 à situer la guerre de Corée, les crises de Suez et de Cuba, ou le premier vol spatial de Youri Gagarine. Comment pourront-ils deviner que, derrière cette formule "en ce temps-là/™n toÚtw", ce texte commence en racontant un événement qui a eu lieu en réalité dix-neuf ans avant 1999, c'est-à-dire en 1980 ? Comment pourront-ils deviner que les Slovènes et les Croates ont fait sécession en juin 1991, et les Macédoniens en septembre 1991 ? Comment pourront-ils deviner que la guerre entre Croates, Serbes et Bosniaques a duré pendant quatre ans jusqu'à la signature de la paix de Dayton en décembre 1995 ? Comment pourront-ils deviner que le seul événement de 1999 dont parle ce texte est en fait l'intervention militaire des Européens commandés par les Etats-Unis sur le territoire du Kosovo, qui a mis fin à huit ans de guerre ? Eh bien ! Nous sommes confrontés au même problème face aux textes de Diodore de Sicile sur tous les sujets que nous abordons dans le présent paragraphe. Pour la période entre -478 et -432, nous ne disposons pas d'un auteur de référence comme Hérodote ou Thucydide, nous devons nous contenter de confronter la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile aux rares extraits d'autres livres qui ont survécu jusqu'à nous (notamment ceux de Plutarque, qui n'est pas un historien mais un biographe et un moraliste) et à nos maigres connaissances archéologiques. Et comble de la difficulté : nous sommes amenés à conclure que sur les noms et les dates des archontes et des consuls romains, autant que sur le détail et l'ordre des événements, les propos avancés par Diodore de Sicile rejoignent très souvent ces extraits rescapés d'autres livres et ces faits archéologiques. Mais cela ne doit pas nous dispenser d'être aussi critiques par rapport à sa chronologie que devront l'être les historiens de l'an 4000 par rapport à celle du texte que nous venons de composer sur la guerre en Yougoslavie. Cette mise au point étant faite, revenons au Vème siècle av. J.-C. Diodore de Sicile dit que la flotte de Cimon compte deux cents trières, avec lesquelles il se montre aux Grecs de Carie et de Lycie : ceux-ci, impressionnés à la vue d'une telle puissance, décident de rompre avec Artaxerxès Ier et de suivre les Athéniens avec leurs propres navires ("[Cimon] quitta le port à la tête de deux cents trières. Il attira à lui des Ioniens et d'autres alliés, de sorte qu'il réunit un total de trois cents trières, qu'il dirigea vers la Carie. Pendant qu'il longeait les côtes, toutes les cités d'origine grecque se déclarèrent contre les Perses. Il assiégea et prit d'assaut celles habitées par des indigènes, et qui avaient des garnisons perses. Outre les cités de Carie, il s'empara encore de celles de Lycie. Au cours de ces opérations, sa flotte grossit considérablement", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.60 ; "Il fit voile vers la cité de Phasélis [site aujourd'hui abandonné, près de l'actuelle Tekirova en Turquie]. D'origine grecque, les habitants ne voulaient ni recevoir sa flotte ni se détacher du parti du Grand Roi. Il ravagea donc leur pays, puis s'approcha de la cité pour l'assiéger. Mais ceux de Chio qui servaient dans l'armée de Cimon, et qui de tout temps étaient amis des Phasélites, adoucirent sa colère, ils en informèrent les assiégés par des lettres attachées à des flèches qu'ils lancèrent par-dessus les murailles, et négocièrent finalement la paix pour eux à condition qu'ils paient dix talents et accompagnent Cimon dans son expédition contre les barbares", Plutarque, Vie de Cimon 16). Le Grand Roi ordonne la constitution d'une armée terrestre et maritime sur les côtes de Pamphylie, à l'embouchure du fleuve Eurymédon (aujourd'hui le fleuve Köprüçay en Turquie) sous l'autorité suprême d'un nommé "Ariomandès" que l'historien Callisthène, cité par Plutarque au paragraphe 17 de sa Vie de Cimon, présente comme un fils de Gaubaruva/Gobryas, l'un des sept putschistes ayant permis à Darius Ier d'accéder au trône en -522 : Ariomandès serait donc un frère de Mardonios, le vaincu de la bataille de Platées de -479. Par un moyen qu'on ignore, Cimon apprend ces préparatifs perses et décide d'aller au-devant du danger : il double le cap Chelidonia (aujourd'hui le cap de Beşadalar en Turquie, qui marque la limite ouest du golfe d'Antalya : "Informé que les généraux du Grand Roi occupaient les côtes de la Pamphylie avec des forces considérables terrestres et maritimes, et voulant les effrayer au point de les dissuader de se montrer dans la mer en-deçà des îles Chelidoniennes, il partit des ports de Cnide et de Triopion avec deux cents navires que Thémistocle avait fait construire, légers et adaptés à toutes les manœuvres", Plutarque, Vie de Cimon 16 ; "L'historien Ephore dit que Tithraustès commandait la flotte du Grand Roi, tandis que Phérendatès commandait son armée de terre. Selon Callisthène, Ariomandès, fils de Gobryas, généralissime de toutes les troupes, était résolu à ne pas combattre contre les Grecs avant l'arrivée de quatre-vingts navires phéniciens en provenance de Chypre, il se tenait donc à l'ancre avec toute sa flotte à l'embouchure du fleuve Eurymédon. Cimon, qui de son côté voulait agir avant l'arrivée de ces navires, s'avança contre les barbares, déterminé, s'ils ne voulaient pas combattre de leur plein gré, à les y contraindre par la force", Plutarque, Vie de Cimon 17) et fond sur la flotte ennemie ("Les Perses, qui pour n'être pas obligés à combattre malgré eux étaient entrés dans le fleuve, y furent poursuivis par les Athéniens. Ils avaient six cents navires selon Phanodèmos, trois cent cinquante selon Ephore, mais malgré une force aussi considérable ils n'accomplirent aucun acte glorieux : ils tournèrent promptement les proues vers le rivage, et les premiers qui y abordèrent s'enfuirent vers l'armée de terre, qui était rangée en bataille sur la côte. Les Grecs s'emparèrent de tous ceux qui tombèrent entre leurs mains, et des navires. On ne peut douter que la flotte des barbares fût très nombreuse car, outre que certains navires s'échappèrent et que beaucoup d'autres furent brisés ou coulés, les Athéniens en prirent plus de deux cents", Plutarque, Vie de Cimon 17). Cimon sort vainqueur, et grossit encore ses forces avec les navires ennemis qui n'ont pas coulé ("En même temps qu'ils organisèrent une armée terrestre, les Perses tirèrent de Phénicie et de Cilicie une flotte considérable qu'ils confièrent à Tithraustès, fils naturel de Xerxès Ier. Informé que la flotte ennemie stationnait dans les eaux de Chypre, Cimon partit avec deux-cent-cinquante navires pour en attaquer trois-cent-quarante. Le combat fut acharné, les deux flottes se battirent vaillamment. Enfin les Athéniens emportèrent la victoire Ils coulèrent un grand nombre de navires ennemis, et en prirent plus de cent avec tout leur équipage", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.60 ; "Averti que les quatre-vingts navires phéniciens qui n'avaient pu se trouver à la bataille étaient au port d'Hydra, [Cimon] cingla aussitôt dans cette direction. Les généraux qui les commandaient ne connaissaient pas le sort de la grande flotte, et ne pouvant croire au bruit de sa défaite, ils restaient en suspens : quand ils virent venir les navires de l'ennemi, ils furent tellement glacés de terreur qu'ils opposèrent une faible résistance. Tous leurs navires furent pris, et la plus grande partie de leurs troupes taillées en pièces", Plutarque, Vie de Cimon 17). Profitant de l'effet de surprise, et ne laissant pas aux Perses le temps de se réorganiser, il débarque sur le continent et remporte contre leurs troupes terrestres une victoire équivalente à celle qu'il vient d'obtenir sur mer ("Non content de cette victoire maritime, Cimon reprit aussitôt la mer avec toute sa flotte pour aller attaquer l'armée terrestre des Perses, campée sur les bords du fleuve Eurymédon. Il résolut de la surprendre par une ruse de guerre. Pour cela, il embarqua sur les navires capturés les plus braves de ses soldats, après leur avoir ordonné de mettre des tiares et d'autres vêtements perses. Les barbares, trompés à l'aspect des navires et des habillements perses, crurent que c'était leur propre flotte qui approchait et reçurent les Athéniens comme amis, dont Cimon qui, la nuit tombée, se jeta sur leur camp. Au milieu d'un grand tumulte, les soldats de Cimon tuèrent tous les Perses qu'ils rencontrèrent, et égorgèrent Phérendatès, frère du Grand Roi et second commandant des barbares, surpris dans sa tente. Tout le reste de l'armée fut tué ou blessé dans cette déroute causée par une attaque aussi imprévue. Le désordre fut d'autant plus grand que les Perses ne reconnaissaient pas leurs assaillants. Ne pouvant s'imaginer être attaqués par les Grecs qu'ils savaient dépourvus de troupes terrestres, ils crurent avoir affaire à des Pisidiens, peuple limitrophe et hostile aux Perses, c'est pourquoi, persuadés que l'agression venait du continent, ils se réfugièrent sur les navires qu'ils supposaient amis. L'obscurité d'une nuit sans clair de lune ajouta encore au désordre, car il était impossible de se reconnaître. Il y eut donc un grand carnage. Cimon, qui avait ordonné à ses troupes de se rallier à un signal convenu, fit élever un fanal sur les navires, de peur qu'il arrivât un malheur à ses soldats dispersés et livrés au pillage : ceux-ci cessèrent le pillage et se rassemblèrent à ce signal, et se retirèrent sur les navires. Le lendemain, après avoir remporté le même jour ces deux victoires éclatantes, l'une sur terre et l'autre sur mer, éleva un trophée et fit voile vers Chypre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.61 ; "L'armée terrestre perse s'étant approchée du rivage, Cimon estima dangereux de tenter un débarquement si près de l'ennemi, et de mener ses Grecs, fatigués du premier combat, contre des troupes fraîches et beaucoup plus nombreuses. Mais voyant que la victoire avait relevé le courage de ses soldats et que, se sentant pleins de force, ils ne demandaient qu'à marcher contre les barbares, il débarqua son infanterie qui, encore échauffée du combat qu'elle venait de livrer sur mer, s'élança sur le rivage en jetant des grands cris, et fondit avec impétuosité sur les Perses. Ceux-ci les attendirent de pied ferme, et soutinrent ce premier choc avec tant de valeur que le combat fut très rude. Les plus braves et les plus considérables d'entre les Athéniens y périrent. Mais finalement les Grecs redoublant d'efforts mirent en fuite les barbares et en firent un grand carnage. Tous ceux qui échappèrent au fer ennemi furent capturés, et leurs tentes qui étaient pleines de richesses de toutes sortes tombèrent au pouvoir des Grecs", Plutarque, Vie de Cimon 18 ; "Cimon, après une victoire navale gagnée contre les satrapes perses près de l'île de Chypre, s'étant rendu maître d'un grand nombre de navires ennemis, fit monter les Grecs dessus, leur ordonna de s'habiller comme les Perses, et se dirigea vers les côtes de Pamphylie à l'embouchure du fleuve Eurymédon. Les Perses, trompés par les gabarits des navires et la forme des habillements, reçurent la flotte comme amie. Mais au lieu d'y trouver des gens de leur nation, ils n'y trouvèrent que des Grecs que la surprise qu'ils causèrent rendit encore plus terribles qu'ils étaient", Polyen, Stratagèmes, I, 34.2).


A Athènes, pendant ce temps, une évolution politique se produit, apparemment anodine mais riche d'avenir. L'héritier des Alcméonides, le jeune Périclès, qui en finançant la représentation des Perses d'Eschyle quelques mois plus tôt semblait pourtant un partisan de la mesure, profite de l'absence de Cimon pour s'engager dans la démagogie la plus radicale en renouvelant l'acte de son grand-oncle Clisthène le jeune : pour reprendre la formule qu'Hérodote emploie au livre V paragraphe 66 de son Histoire à propos de Clisthène le jeune, il "fait entrer le peuple dans son hétairie", autrement dit il choisit officiellement de s'engager dans le parti démocratique aux côtés d'Ephialtès, contre la noblesse, sa classe d'origine. Nous ne savons pas à quelle occasion Périclès manifeste ce choix, on peut simplement deviner qu'il découle de trois raisons. La première raison est que Périclès incline naturellement à reproduire contre Cimon l'ancienne opposition entre son propre père Xanthippos et Miltiade le père de Cimon : il ne veut pas soutenir le fils de l'homme que son père en -489 a condamné et laissé mourir en prison. La seconde raison, avancée par Plutarque, très paradoxale, est que par son ascendance, son éducation, son tempérament, ses manières d'être et de penser, Périclès ne peut cacher qu'il appartient à la noblesse athénienne la plus haute, au point que certains le soupçonnent d'aspirer au pouvoir personnel (peut-être avec raison, nous reviendrons sur cela par la suite), il est donc contraint de s'engager dans le parti démocratique pour effacer ces soupçons et éviter de finir assassiné ou ostracisé comme les Pisistratides ("Périclès, dans sa jeunesse, craignait beaucoup le peuple. On remarquait dans les traits de son visage une ressemblance avec Pisistrate, et les vieillards d'Athènes, en comparant la douceur de sa voix, son éloquence, sa grande facilité à s'exprimer, trouvaient cette ressemblance encore plus frappante. Comme par ailleurs il était très riche et d'une haute naissance, qu'il avait beaucoup d'amis puissants, il craignait le ban de l'ostracisme et ne prenait aucune part aux affaires publiques, se contentant de ne montrer un grand courage et de n'affronter tous les dangers qu'à l'armée. Mais Aristide étant mort, Thémistocle étant en exil, et Cimon étant toujours retenu hors de la Grèce par des expéditions militaires, il se déclara pour le parti du peuple et préféra au petit nombre de riches la multitude des citoyens pauvres, agissant en cela contre son naturel. Il craignait que sa popularité n'amène certains à le soupçonner d'aspirer à la tyrannie, et il voyait Cimon attaché au parti des nobles et très aimé par les principaux citoyens : il embrassa donc les intérêts du peuple afin d'y trouver de la sûreté pour lui-même et du crédit contre Cimon", Plutarque, Vie de Périclès 7). La troisième raison, complémentaire des deux autres, est que, selon le fameux adage : "l'attaque est toujours la meilleure des défenses", l'entrée de Périclès en politique aux côtés d'Ephialtès lui permet de retourner contre Cimon le soupçon dont il est lui-même l'objet, celui d'aspirer à la tyrannie : de ce point de vue, Périclès s'inscrit parfaitement dans la lignée des membres de sa famille, qui n'ont toujours soutenu le régime démocratie que par dépit, par calcul politique, en espérant manipuler le peuple pour mieux le dominer, qu'il s'agisse de Clisthène le jeune pour s'emparer du pouvoir à la place d'Isagoras, ou de Xanthippos (Alcméonide par alliance) pour s'emparer du pouvoir à la place de Miltiade, ou de Mégaclès IV pour s'emparer du pouvoir à la place de Thémistocle, qui l'a fait ostraciser sous l'archontat de Télésinos en -487/-486 comme nous l'avons vu dans notre précédent paragraphe, avant d'être ostracisé à son tour par Alcméon en -476 comme nous l'avons vu dans notre précédent alinéa : peu importe que l'adversaire soit soutenu par la noblesse ou soutenu par les dèmes, l'important pour Périclès comme pour ses aïeux est que la famille Alcméonide continue de régner sur la communauté athénienne par n'importe quel moyen.


Nous avons établi la relation très étroite entre la mort d'Aristide et la reprise de la guerre : il existe aussi une relation très étroite entre la reprise de la guerre et la mort de Thémistocle, alors toujours en exil du côté de Magnésie. Constatant les mouvements de Cimon contre les côtes sud anatoliennes, Artaxerxès Ier est obligé de constater qu'Athènes a changé de politique : au lieu de continuer à assurer souterrainement sa mainmise sur toute la mer Egée contre les autres Grecs, elle veut reprendre la guerre frontale contre la Perse. Le Grand Roi oblige donc l'Athénien Thémistocle à choisir : ou bien tu es avec tes compatriotes contre moi, ou bien tu es avec moi contre tes compatriotes. Selon Elien, Thémistocle a été contacté par ses partisans, probablement par Ephialtès au moment de la mort d'Aristide, qui lui ont demandé de revenir à Athènes, mais, outre le fait que sa peine n'est pas purgée et que son retour à Athènes dans ces conditions signifierait enfreindre la loi, il ne peut naturellement pas accepter de partager le gouvernement avec son ancien accusateur Cimon, tout-puissant dans la vie politique athénienne à ce moment-là, qu'au fond il juge certainement comme un vulgaire petit ambitieux indigne de lui : il a donc refusé de regagner Athènes ("Quand les Athéniens, après l'avoir traité ignominieusement, rappelèrent [Thémistocle] pour les gouverner, il leur répondit : “Je méprise les gens qui utilisent le même vase tantôt pour les usages les plus bas tantôt pour y déposer du vin”", Elien, Histoires diverses XIII.40 ; "Thémistocle fils de Néoclès se compara aux chênes : "Quand il pleut, dit-il, les hommes pressés par le besoin se mettent à l'abri sous les branches des chênes, mais quand le temps retrouve sa sérénité ils arrachent négligemment ces mêmes branches, les rompent et les brisent", Elien, Histoires diverses IX.18). Ayant ainsi choisi de demeurer à Magnésie, et en même temps désireux de ne pas nuire à l'engagement de Cimon dont il reconnaît, même s'il ne l'aime pas, qu'il conduit bien ses troupes et est en train d'offrir des nouvelles gloires à Athènes ("Thémistocle jouissait chez les barbares d'une gloire et d'une puissance extraordinaires après avoir promis au Grand Roi de conduire lui-même son armée contre les Grecs au cas où il voulait leur déclarer la guerre, mais, désespérant de soumettre la Grèce et de surmonter la fortune et la valeur de Cimon, il se donna lui-même la mort", Plutarque, Vie de Cimon 27), il se résigne à la seule issue qui lui reste : le suicide ("[Thémistocle] tomba malade et mourut. Certains assurent qu'il s'empoisonna volontairement, parce qu'il ne voulait pas accomplir les promesses qu'il avait adressées au Grand Roi. Son tombeau se trouve à Magnésie d'Asie, sur l'agora. […] Sa famille affirme que, selon son vœu, ses restes furent rapatriés et ensevelis à l'insu des Athéniens, qui ne permettaient pas qu'un homme ostracisé pour trahison fût enterré chez eux", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.138 ; "Les forces [du Grand Roi] entrèrent en mouvement, ses généraux furent expédiés dans toutes les directions et des messagers descendirent jusqu'à Magnésie, chez Thémistocle. Le Grand Roi le somma de s'engager contre les Grecs pour tenir ses promesses. Thémistocle ne se laissa pas gagner par une rancune contre ses concitoyens, ni exalter par l'étendue des honneurs et de la puissance de la guerre, peut-être estima-t-il l'entreprise hors de portée tant que la Grèce serait dirigée par Cimon qui, entre autres stratèges, jouissait d'une fortune heureuse dans ses campagnes. Mais ce fut surtout par respect pour la gloire de ses hauts faits et de ses trophées que Thémistocle prit la décision la meilleure, celle de mettre à sa vie le terme qui convenait. Il sacrifia aux dieux, convoqua ses amis et leur tendit la main. Les auteurs disent couramment qu'il but ensuite du sang de taureau, mais certains d'entre eux disent qu'il absorba un poison foudroyant", Plutarque, Vie de Thémistocle 31 ; "Selon certains historiens, le Grand Roi, désireux d'entreprendre une nouvelle expédition contre la Grèce, proposa à Thémistocle le commandement de toute l'armée : Thémistocle se rendit au désir de celui-ci, qui s'engagea par serment à ne pas marcher contre les Grecs sans Thémistocle. Un taureau fut égorgé pour la confirmation de ce serment. Thémistocle en but une coupe pleine de sang et expira sur-le-champ. Cet événement, ajoutent ces historiens, obligea le Grand Roi à renoncer son entreprise, et Thémistocle laissa dans cette mort la plus belle défense et la preuve du dévouement avec lequel il avait servi sa patrie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.58 ; "Thémistocle, vainqueur des Perses par sa bravoure, devint leur général par l'injustice de sa patrie. Voulant éviter de porter les armes contre elle, il fit un sacrifice, reçut dans une coupe du sang de taureau, le but et tomba devant l'autel, comme une illustre victime d'attachement à son pays. Grâce à cette fin si mémorable, la Grèce n'eut pas besoin d'un second Thémistocle", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables V.6, Exemples étrangers 3 ; "“[Thémistocle] vécut alors que la Grèce était puissante, et au moment où Rome était depuis peu libérée du pouvoir royal. En effet la rude guerre des Volsques, à laquelle prit part Coriolan exilé, se place presque à la même époque que la guerre contre la Perse. Le destin de ces deux grands hommes fut par ailleurs le même : tous deux, citoyens éminents, furent injustement chassés par un peuple ingrat, passèrent à l'ennemi, et ne trouvèrent que dans la mort le moyen d'arrêter ce qu'un mouvement de colère leur avait fait entreprendre” […] “Votre récit sur Coriolan, Clitarque et Stratoclès ont raconté le même sur Thémistocle. Thucydide, Athénien né dans une classe élevée et d'un mérite aussi haut que sa naissance, presque contemporain de Thémistocle, écrit qu'il mourut et qu'il fut enterré secrètement en Attique, en ajoutant qu'on le soupçonna de s'être empoisonné, les deux écrivains que j'ai nommés affirment qu'ayant immolé un taureau il en reçut le sang dans une coupe, le but, et tomba sans vie : une mort aussi tragique prêtait naturellement aux plus brillantes déclamations”", Cicéron, Brutus ou Des orateurs illustres 10-11 ; "“Réfléchis à la meilleur façon de mourir virilement.” “Comment donc, comment mourir le plus virilement ? Le mieux pour nous serait de boire du sang de taureau : la mort de Thémistocle est la plus souhaitable”", Aristophane, Les cavaliers 80-84). Cette mort volontaire prouve que Thémistocle n'a pas voulu être le Pausanias d'Athènes, un homme pensant à ses intérêts personnels avant ceux de sa patrie (à l'époque byzantine, le lexicographe Suidas affirmera que ce suicide a lieu juste avant la double bataille de l'Eurymédon, Thémistocle refusant de combattre aux côtés des Perses contre Cimon : "Fils de Miltiade, [Cimon] conduisit comme stratège une expédition contre les barbares installées sur les côtes avec Thémistocle. Il fit voile vers Chypre et la Pamphylie, où il combattit et remporta le même jour la double victoire maritime et terrestre de l'Eurymédon", Suidas, Lexicographie, Cimon K1620), ce qui a posteriori rend très douteuses les soi-disant lettres authentiques avancées en -476 par les Spartiates comme preuves d'une entente entre lui et Pausanias contre les Grecs. Diodore de Sicile place cet événement sous l'archontat de Praxiergos en -471/-470, il en parle dans les paragraphes 54 à 59 du livre XI de sa Bibliothèque historique, en même temps que l'ostracisme qui date pourtant de cinq ans plus tôt, mais nous avons expliqué la cause de cette bizarrerie : l'historien s'évertue à consacrer à chacun des archontats un nombre limité de pages, or l'archontat de l'année -476/-475 est beaucoup trop riche en événements (on peut mentionner, pour la seule Histoire de la Grèce : le procès de Pausanias, le retour de la dépouille de Thésée à Athènes par Cimon, l'expédition athénienne contre Naxos, l'ostracisme de Thémistocle ; les Histoires de l'Italie, de la Sicile, de la Perse et d'autres encore sont aussi denses pour cette année -476/-475, comme par exemple en Perse la difficile succession d'Artaxerxès Ier à son père dont nous avons parlé) pour ne pas écraser les paragraphes attribués aux archontats voisins, il choisit donc de se concentrer sur un seul événement (en l'occurrence la lutte d'Héron de Syracuse pour s'imposer à Théron d'Agrigente, qui ne concerne pas l'Histoire de la Grèce, paragraphes 48-49) et de repousser le récit de l'ostracisme de Thémistocle à plus tard, au paragraphe 54, comme un flash-back introduit par l'habituelle et très approximative locution adverbiale "à cette époque/™n toÚtw", censé expliquer les causes ayant conduit Thémistocle au suicide cette année-là. Cette date de -471, le cas est suffisamment rare pour être noté, est sûre, car elle est confirmée par Cicéron : dans son Laelius ou De l'amitié, Cicéron situe en effet la mort de Thémistocle vingt ans après la trahison de Coriolan ("Qui eut en Grèce, plus de gloire que Thémistocle ? Qui fut plus puissant que lui ? Comme général, il sauva la Grèce de la servitude lors de l'invasion des Perses. Mais quand l'envie le condamna à l'exil, ne pouvant supporter l'injustice de son ingrate patrie, il fit ce qu'avait fait Coriolan chez nous vingt ans plus tôt. Ne trouvant aucun complice, l'un et l'autre se donnèrent finalement la mort", Cicéron, Laelius ou De l'amitié 12), or Denys d'Halicarnasse et Tite-Live situent précisément la trahison de Coriolan en -491, juste après l'ambassade romaine pour obtenir du blé sicilien sous le consulat de Marcus Minucius et Aulus Sempronius ("Marcus Minucius Augurinus et Aulus Sempronius Atratinus leur succédèrent, deux hommes réputés par leurs conseils et dans la guerre, qui devinrent consuls pour la seconde fois. Ces nouveaux magistrats employèrent tous leurs soins à remplir la cité de blé et d'autres provisions, persuadés que la concorde du peuple dépendait de l'abondance de toutes choses. […] Quand on sut à Rome qu'arrivaient de Sicile des navires chargés de blé, les patriciens délibérèrent longtemps sur ce qu'on devait faire de ces provisions : les plus modérés et les plus affectionnés pour le peuple, touchés par l'état funeste où se trouvait la République, voulaient qu'on distribuât gratuitement à tous les plébéiens le blé que le tyran avait donné et qu'on leur vendît à bon marché celui qui avait été acheté avec l'argent public, estimant qu'un si grand bienfait était le moyen le plus efficace pour apaiser la colère des pauvres contre les riches, les esprits hautains et les plus portés pour l'oligarchie disaient au contraire qu'il fallait accabler le peuple par toutes sortes de voies et étaient d'avis qu'on le traitât avec rigueur en vendant les vivres le plus cher possible, afin que la nécessité pressante le rendît plus modeste et plus soumis aux lois. Marcius surnommé “Coriolan”, dont nous avons déjà parlé, partageait ce dernier avis", Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, VII, 6.1-2 ; "Sous le consulat de Marcus Minucius et d'Aulus Sempronius, une grande quantité de blé arriva de Sicile, et on délibéra au Sénat sur le prix auquel on le livrerait au peuple. Plusieurs sénateurs pensaient que l'occasion était venue d'abaisser le peuple et de ressaisir les droits qu'il avait arrachés aux patriciens par sa retraite et par la violence. A leur tête était Marcius Coriolan, ennemi déclaré de la puissance tribunitienne", Tite-Live, Ab Urbe condita libri, II, 34.7-8), dont le même Denys d'Halicarnasse précise qu'elle est contemporaine de l'archontat d'Hybrilidos en -491/-490 ("Cette ambassade passa en Sicile la seconde année de la soixante-douzième olympiade, Hybrilidos étant archonte à Athènes", Denys d'Halicarnasse, Antiquités romaines, VII, 1.3).


La mort d'Aristide est une plaie pour le Grand Roi de Perse Artaxerxès Ier, non seulement parce que les nouvelles autorités grecques le contraignent à reprendre la guerre qu'il ne veut pas, mais encore parce cette reprise de la guerre dynamise le soulèvement des peuples qui, dans l'immense Empire perse, veulent recouvrer leur indépendance, au premier rang desquels se trouvent les Egyptiens. Nous ne savons pas si cette rébellion égyptienne date de -472 ou d'avant -472. Nous savons seulement qu'elle est conduite par l'obscur Inaros fils de Psammétique dont nous avons parlé dans notre paragraphe précédent, quand nous avons évoqué le premier soulèvement de l'Egypte en -486. Nous avons raconté comment cette première révolte a échoué, et rappelé qu'Inaros, peut-être fils du dernier pharaon Psammétique III avant l'occupation perse et donc héritier du trône d'Egypte, attendait des meilleures circonstances pour libérer son pays et redonner le pouvoir à sa dynastie. Les conditions discutables dans lesquelles Artaxerxès Ier a succédé à son père, et surtout la personnalité d'Artaxerxès Ier, apparemment moins absolutiste que son père, ont sans doute poussé Inaros à penser que le moment était venu : telle est en tous cas la thèse de Diodore de Sicile ("Les Egyptiens, informés de la mort de Xerxès Ier et des troubles qu'elle avait occasionnés dans le royaume, jugèrent le moment propice pour tenter de recouvrer leur indépendance. Rassemblant toutes leurs forces, ils se révoltèrent, expulsèrent d'Egypte tous ceux qui levaient les tributs au nom des Perses, et élurent Inaros comme roi. Celui-ci leva d'abord un corps de troupes nationales, puis il réunit des soldats étrangers et composa ainsi une armée considérable", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.71). Selon Ctésias cité par Photios, Inaros est aidé par un autre égyptien, probablement cet Amyrtée dont parlent très brièvement Hérodote et Thucydide, sur lequel nous reviendrons ("L'Egypte se souleva : Inaros le Libyen excita ce soulèvement de concert avec un autre Egyptien. On se prépara à la guerre", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 32). Apprenant la présence à Chypre de la flotte de Cimon, Inaros lui demande de l'aide. Selon Ctésias, Cimon répond à sa demande en détachant quarante navires vers l'Egypte ("Le Libyen Inaros, fils de Psammétique, qui régnait sur la partie de la Libye voisine de l'Egypte, prenant pour base Maréia [habitations lacustres autour du lac Maréotis, aujourd'hui le lac Mariout au sud d'Alexandrie en Egypte] au-dessus de la cité de Pharos, souleva une grand partie de l'Egypte contre le Grand Roi Artaxerxès Ier. Ayant établi son autorité sur le pays, il fit appel aux Athéniens, qui à ce moment était en campagne contre Chypre avec deux cents navires athéniens et leurs alliés. Certains quittèrent l'île et se dirigèrent vers l'Egypte", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.104 ; "Inaros demanda des navires aux Athéniens, qui lui en envoyèrent quarante", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 32 ; "[Inaros] envoya des messagers vers les Athéniens pour leur promettre que, s'ils contribuaient à la délivrance de l'Egypte, ils auraient part au gouvernement de ce pays en plus de la reconnaissance qu'inspirerait ce service. Les Athéniens, forts de leurs trois cents trières, estimant que leur intérêt était d'affaiblir les Perses autant que possible et que l'appui des Egyptiens pouvait leur être utile en cas de revers, décidèrent de le secourir", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.71). Hérodote affirme que le satrape qu'Inaros attaque est Achéménès, l'oncle d'Artaxerxès Ier placé là par Xerxès Ier après l'échec du premier soulèvement égyptien en -485, dont nous avons parlé dans notre paragraphe précédent. Ctésias de son côté affirme que ce satrape se nomme "Achéménide" et qu'il est le "frère/¢delfÒj" d'Artaxerxès Ier. Pour notre part, nous pensons qu'Hérodote et Ctésias disent la même chose avec des mots différents : "Achéménide" est effectivement moins un nom propre qu'un nom patronymique (comme "Alcméonide" pour la famille de Périclès, ou comme "Agiade" et "Eurypontide" pour les rois de Sparte) désignant tous les membres de la phratrie royale perse, et le mot "frère/¢delfÒj" que Ctésias emploie pour désigner le satrape égyptien peut simplement signifier que celui-ci est un parent proche du Grand Roi, ou quelqu'un avec lequel le Grand Roi partage ses opinions, sans être nécessairement et spécifiquement un frère au sens généalogique ("[Xerxès Ier] écrasa la révolte [en -485], imposa aux Egyptiens un joug plus sévère encore que du temps de Darius Ier, et confia la satrapie à son propre frère Achéménès, fils de Darius Ier. Cet Achéménès fut plus tard assassiné dans sa satrapie d'Egypte par le Libyen Inaros fils de Psammétique", Hérodote, Histoire VII.7 ; "Artaxerxès Ier voulait marcher en personne contre les Egyptiens, mais ses proches l'en dissuadèrent, il envoya donc son frère Achéménide avec une armée terrestre de quatre-cents mille hommes et une flotte de quatre-vingts navires", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 32). Une bataille s'engage, Inaros sort vainqueur et tue Achéménès ("Inaros présenta la bataille [à Achéménès], et remporta une victoire complète. L'Achéménide fut blessé de la main même d'Inaros, et mourut de sa blessure peu de temps après. Son corps fut renvoyé à Artaxerxès Ier", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 32). Avec l'aide des Athéniens, il s'empare de Memphis ("Inaros remporta aussi une éclatante victoire maritime. Charitimidès, qui commandait les quarante navires athéniens, se distingua beaucoup dans ce combat, capturant vingt navires perses avec les troupes qui les montaient, brisant ou coulant trente autres", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 32 ; "Les Athéniens s'assurèrent le contrôle du Nil et occupèrent les deux tiers de Memphis. Puis ils attaquèrent le reste de la cité, le quartier appelé “Leukon Teichos” ["LeukÒn Te‹coj/Forteresse Blanche", ou littéralement "mur, fortification/te‹coj à l'aspect brillant, éclatant, blanc/leukÒj"] où avec les Perses et les Mèdes s'étaient retranchés les Egyptiens n'ayant pas adhéré à la révolte", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.104). L'engagement athénien en Pamphylie puis en Egypte contre la Perse se solde ainsi par un succès militaire indéniable. Mais au-delà de cette fortune des armes, il faut surtout le voir comme un succès politique de Cimon : en emmenant les Athéniens combattre contre les Perses, Cimon les a détournés de leur tentation de combattre contre Sparte, de sorte que quand Artaxerxès Ier, apprenant la défaite de ses troupes à Memphis, envoie des ambassadeurs vers les Spartiates pour leur demander d'intervenir militairement contre Athènes, ceux-ci, bien trop contents de constater que les Athéniens sont partis s'aventurer à l'autre bout de la Méditerranée, et absolument pas tentés de précipiter leur retour en attaquant Athènes, repoussent sa demande ("Les Athéniens s'étant rendus maîtres de l'Egypte, le Grand Roi de Perse envoya à Sparte le Perse Mégabaze [l'ancien, dont nous avons supposé dans notre paragraphe précédent qu'il était satrape de Phrygie hellespontique du temps de Darius Ier ? ou Mégabaze le jeune, petit-fils de ce Mégabaze l'ancien, chef d'escadre dans la flotte de Xerxès Ier lors de l'invasion perse de la Grèce en -480 selon le paragraphe 99 livre VII de l'Histoire d'Hérodote ?] avec de l'argent pour inciter les Spartiates à envahir l'Attique et forcer ainsi les Athéniens à évacuer le pays. Mais les démarches de son émissaire n'aboutirent pas et les fonds dont il disposait furent dépensés en vain. Il fut donc rappelé et rentra en Asie avec ce qui lui restait d'argent", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.109 ; "Artaxerxès Ier, instruit de la défaite des siens, envoya aussitôt à Sparte quelques hommes affidés chargés de présents pour inciter les Spartiates à déclarer la guerre aux Athéniens qui, vainqueurs en Egypte, seraient ainsi forcés d'accourir à la défense de leur patrie. Mais les Spartiates n'acceptèrent ni les présents ni les propositions des Perses", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.74).


Battu en Pamphylie et en Egypte, boudé par Sparte, Artaxerxès Ier doit impérativement réaffirmer son autorité s'il ne veut pas que tout l'est de son immense Empire se disloque par contamination. Ne disposant pas des moyens nécessaires pour mener une guerre sur deux fronts, il estime que le danger le plus grand réside dans les Athéniens. Il décide donc de leur proposer une paix durable. Les Athéniens acceptent, et chargent Callias II, beau-frère de Cimon, de régler les détails du traité qui portera bientôt son nom : en signant, le Grand Roi renonce à envahir la Grèce, il promet de ne pas engager sa flotte militaire en mer Egée et de maintenir ses troupes terrestres à une journée de cheval de l'Ionie ("Ces grands exploits rabaissèrent si fort l'orgueil du Grand Roi, qu'il conclut le célèbre traité de paix l'engageant à tenir ses armées terrestres éloignées des mers de la Grèce de la course d'un cheval, et ne jamais naviguer avec des trières ou d'autres navires de guerre entre les îles Chélidoniennes [petites îles face au cap Chelidonia, aujourd'hui le cap de Beşadalar en Turquie, à l'ouest du golfe d'Antalya] et les Cyanées [littéralement les "Bleues/Ku£neai", nom désignant les roches qui bordent le détroit du Bosphore]. Callisthène prétend que ces conditions ne furent pas stipulées dans le traité et que le Grand Roi les exécuta de lui-même, par l'effet de la terreur dont l'avaient frappé les défaites qu'il avait subies […], mais l'existence de ce traité est prouvée par la copie qu'on trouve dans le recueil des décrets publié par Cratéros. On dit même que ce fut à cette occasion que les Athéniens élevèrent l'autel de la Paix et décernèrent de grands honneurs à Callias II, qu'ils avaient envoyé auprès du Grand Roi pour ratifier le traité", Plutarque, Vie de Cimon 19). On constate que les termes de ce traité de Callias II de -470 évoqué en flash-back par Plutarque dans sa Vie de Cimon (Plutarque en parle au passé, au moment où il raconte la seconde expédition de Cimon vers Chypre en -450/-449), sont quasiment les mêmes que celui qui sera signé en -449 (précisément au terme de cette seconde expédition de Cimon vers Chypre en -450/-449 : "La paix [de -449] fut conclue entre les Athéniens, inclus leurs alliés, et les Perses, selon les conditions suivantes : “Toutes les cités grecques de l'Asie se gouverneront d'après leurs propres lois, les satrapes perses ne descendront pas avec leurs troupes à moins de trois journées de marche des côtes maritimes, et aucun de leurs navires longs ne naviguera entre Phasélis [site aujourd'hui abandonné, près de l'actuelle Tekirova en Turquie, à l'ouest du golfe d'Antalya] et les Cyanées”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XII.4), ce qui signifie que ce traité de -449 (dont les spécialistes attribuent la paternité à Epilykos en s'appuyant sur le paragraphe 29 du discours Sur la paix avec les Spartiates d'Andocide, comme nous le verrons dans notre paragraphe sur la première guerre du Péloponnèse) ne sera qu'une reprise de ce traité de Callias II de -470, d'où la confusion courante entre les deux traités que nous lisons dans beaucoup d'ouvrages de vulgarisation actuels. On constate aussi que ce traité de Callias II de -470, qui sera magnifié par la postérité européenne comme la preuve d'une écrasante supériorité politique athénienne sur les Perses, n'est en réalité qu'un donnant-donnant proposé par les Perses du genre : "Vous évacuez Chypre, et en échange nous évacuons les côtes occidentales de l'Anatolie". La vérité est que ce traité manifeste autant la supériorité militaire athénienne que l'intelligence stratégique d'Artaxerxès Ier, qui a désormais les mains libres pour remettre de l'ordre dans tout l'est de son Empire et affirmer sa légitimité à la couronne perse. Sur ce sujet, Hérodote apporte une précision intrigante. On se souvient qu'au moment de l'invasion de la Grèce par Xerxès Ier en -480, la cité d'Argos est restée neutre, Xerxès Ier ayant réussi à convaincre les Argiens qu'ils avaient les mêmes ancêtres que les Perses, et les Argiens de leur côté ayant calculé que la Perse pourrait à l'avenir devenir une alliée contre leur ancestrale rivale Sparte (c'est pour cela que Sparte, après la défaite de Xerxès Ier, a voulu punir les Argiens en les chassant du Conseil amphictyonique, comme nous l'avons vu dans notre précédent alinéa). Il est très probable que les Argiens ont appris l'arrivée à Sparte de l'ambassade perse proposant une nouvelle alliance sparto-perse contre Athènes, et cela les a inquiétés car ils y ont vu naturellement un retournement de la diplomatie perse à leur encontre. Hérodote indique que les Argiens ont alors envoyé une ambassade à Suse auprès d'Artaxerxès Ier pour qu'il clarifie sa position, pour lui demander s'ils devaient désormais se considérer comme les ennemis des Perses, ou si le pacte de non-agression conclu naguère avec Xerxès Ier tenait toujours. Ces ambassadeurs argiens sont toujours à Suse auprès d'Artaxerxès Ier quand arrivent les délégués athéniens conduits par Callias II pour signer le traité de paix : selon Hérodote, Artaxerxès Ier renouvelle l'alliance avec Argos devant les délégués athéniens ("Des ambassadeurs athéniens emmenés par Callias II fils d'Hipponicos I arrivèrent à Suse surnommée la “Maison de Memnon” pour une autre affaire [la signature du traité de paix de -470], quand les Argiens s'y trouvaient pour demander au fils de Xerxès Ier, Artaxerxès Ier, si l'alliance qu'ils avaient conclue avec Xerxès Ier existait toujours comme ils le souhaitaient, ou si le nouveau Grand Roi les considéraient désormais comme des ennemis. Le Grand Roi Artaxerxès Ier déclara qu'elle était toujours en vigueur et qu'Argos était chère à son cœur entre toutes les cités", Hérodote, Histoire VII.151). En agissant ainsi, Artaxerxès Ier pousse Argiens et Athéniens à se rapprocher, contre les Spartiates qui ont refusé de l'aider et qu'il veut punir : cette diplomatie très intelligente qui tourne et retourne les cités grecques pour mieux les dresser les unes contre les autres au bénéfice de la Perse, s'inscrit parfaitement dans la politique qu'Artaxerxès Ier a inaugurée quelques années plus tôt en accueillant Thémistocle fugitif, consistant à assurer la domination de la Perse en entretenant les divisions entre ses ennemis, et pour cette raison nous n'avons aucune raison de contester l'authenticité de la précision d'Hérodote.


A Athènes, la signature de la paix de Callias II porte Cimon à son apogée. Les navires pris aux Perses grossissent encore la flotte athénienne ("Par ses talents militaires et sa bravoure, Cimon s'acquit une grande réputation non seulement parmi ses concitoyens, mais encore auprès de tous les Grecs. Il avait pris aux ennemis trois cents trières et quarante navires de transport, et avait fait plus de vingt mille prisonniers, sans compter les sommes d'argent considérables tombées entre ses mains", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.62), tandis qu'une partie du butin est consacrée au dieu Apollon à Delphes ("Le peuple d'Athènes choisit le dixième du butin pour le consacrer au dieu de Delphes. Sur l'offrande déposée dans le temple, on écrivit ceci : “Depuis que la mer a séparé l'Europe de l'Asie, depuis que l'impétueux Arès a conquis les cités des mortels, jamais les habitants de la terre n'avaient encore accompli un tel exploit, ni sur terre ni sur mer. Ceux qui consacrent ce monument ont tué beaucoup de Perses à Chypre et pris cent navires phéniciens avec leurs équipages. L'Asie, battue par une double armée, en a poussé de longs gémissements”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.62 ; "Le palmier de bronze et la statue dorée d'Athéna sous ce palmier [à Delphes] ont été dédiés par les Athéniens à la suite des deux victoires qu'ils remportèrent le même jour, l'une terrestre sur les bords du fleuve Eurymédon, l'autre sur le fleuve même avec leurs navires. L'or qui couvre cette statue est altéré en plusieurs endroits, j'ai d'abord attribué cette corruption à une action malveillante d'impies ou de brigands, mais Clitodèmos le plus ancien historien à avoir écrit sur l'Attique raconte que, quand les Athéniens conçurent leur expédition contre la Sicile [en -415, sous la conduite d'Alcibiade], une grande quantité de corbeaux apparurent à Delphes et se jetèrent sur cette statue pour en arracher l'or avec leur bec, il ajoute qu'ils brisèrent la lance de la déesse, la chouette, et les fruits sur les palmiers ressemblant à des fruits réels", Pausanias, Description de la Grèce, X, 15.4-5) et que le reste assure le salaire annuel des fonctionnaires athéniens et servira à une date incertaine à financer l'édification de deux Longs Murs reliant Athènes au Pirée et à Phalère ("Les dépouilles des vaincus furent vendues à l'encan, l'argent qu'on en tira servit à toutes les dépenses ordinaires, et le reliquat finança le Long Mur qui part vers le sud. On dit que les Longs Murs, qu'on surnomme les “Belles Jambes” ["Skšlh Kaloàsi"], ne furent élevées qu'après la mort de Cimon, mais que ce fut lui qui en jeta les premiers fondements : comme le terrain sur lequel il fallait les asseoir était marécageux, il en fit assécher et consolider à ses frais tout le fond, en y jetant une grande quantité de cailloux et de pierres de taille", Plutarque, Vie de Cimon 19). La construction de ces deux Longs Murs reliant Athènes à la côte, ou, pour reprendre les termes grecs, reliant l'astu ("¥stu/ville, ensemble urbain [par opposition à la campagne]") à la paralie ("par£loj/côte, rivage"), est la décision la plus emblématique de toute la politique de Cimon. La politique des démocrates à partir de Thémistocle a toujours été de déplacer le centre de l'Attique vers le port du Pirée, pour faire de ses habitants un peuple de marins : c'est dans cette optique que Thémistocle, depuis son élection à l'archontat en -493 jusqu'au lendemain de la bataille de Platées en -479, a milité pour la fortification du Pirée au détriment du reste de l'Attique. Par ailleurs, on se souvient que depuis les réformes de Solon au VIème siècle av. J.-C. la paralie peuplée de marins et d'immigrés précaires est le nid de la démocratie, opposée aux nobles de vieilles familles qui sont majoritairement des propriétaires terriens installés dans la pédie ("ped…oj/plaine", également désignée par le terme "mésogée/mesÒgaia" ou "intérieur/mšsoj des terres/ga‹a"). En reliant Athènes à la côte via ces deux Longs Murs, Cimon oblige symboliquement les démocrates de la paralie, tout-puissants depuis la bataille de Salamine, à se soumettre de nouveau aux nobles de la pédie, et à leur chef Cimon qui à ce moment gouverne sans partage sur l'astu d'Athènes. C'est une façon de mettre la puissante flotte des paraliens au service des nobles de la pédie, de redonner au parti noble un pouvoir équivalent à celui du parti démocratique. Plutarque affirme que Cimon ne lésine pas sur sa propagande, aménageant l'agora et le futur quartier de l'Académie ("Cimon fut aussi le premier qui embellit la ville par des lieux publics destinés à des exercices et des jeux honorables, qui furent toujours très enviés. Il entoura l'agora par des belles allées de platanes, et du futur emplacement de l'Académie alors nu et aride il fit un beau parc arrosé de plusieurs fontaines, traversé de grandes allées pour la promenade et constellé de lices pour les courses", Plutarque, Vie de Cimon 19), supervisant très probablement la décoration du Pœcile (galerie à colonnade bordant l'agora d'Athènes, appelée originellement "Peisianakteion/Peisianakte…wn" du nom de son architecte Peisianax, puis "Stoa Pœcile/Sto£ Poik…lh" [littéralement "galerie, portique/sto£ couvert de peintures variées, diverses, bigarrées/poik…loj"] quand le lieu a été couvert de peintures, puis simplement "Pœcile" ; l'un des peintres du Pœcile n'est autre que Polygnote l'ancien amant d'Elpinice, sœur de Cimon : "[Elpinice] vécut avec le peintre Polygnote. On dit que c'est à cause de cette liaison que cet artiste, en peignant Les captives troyennes dans le portique appelé alors “Peisianakteion” et aujourd'hui “Pœcile”, y représenta Laodicée sous les traits d'Elpinice", Plutarque, Vie de Cimon 5 ; ce Polygnote refuse d'être payé, contrairement à son collègue Micon qui œuvre à ses côtés, ce qui lui vaudra d'être logé gratuitement par la cité en remerciement : "Polygnote n'était pas un peintre mercenaire : il ne peignit pas [le Pœcile] pour de l'argent, il le donna gratuitement à sa patrie. C'est du moins ce que disent tous les historiens, et le poète Mélanthios le confirme dans ces vers : “Il orna à ses frais les temples des dieux sur l'agora de Cécrops en y peignant les exploits des demi-dieux”", Plutarque, Vie de Cimon 5, "Avant la quatre-vingt-dixième olympiade [en -420], d'autres peintres furent célèbres, comme Polygnote de Thassos qui le premier peignit les femmes avec des vêtements brillants, leur mit sur la tête des coiffes de différentes couleurs. Il contribua beaucoup aux progrès de la peinture, car le premier il ouvrit la bouche des figures, il fit voir les dents, et donna des expressions aux visages à la place de l'ancienne roideur. […] A Athènes, il a peint le portique appelé “Pœcile” : il a travaillé gratuitement à ce dernier ouvrage, avec Micon qui de son côté se fit payer, ce qui explique pourquoi Polygnote eut davantage de considération, au point que les amphictyons qui forment le conseil général de la Grèce décrétèrent qu'il bénéficierait d'un logement gratuit", Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 35.1-2 ; on note que, pour honorer la mémoire de son père Miltiade auquel la cité d'Athènes a refusé tout hommage depuis sa mort misérable en prison en -489, Cimon a commandé au peintre Panainos, frère du célèbre Phidias qui réalisera entre autres le Parthénon sous le gouvernement de Périclès comme nous le verrons dans notre paragraphe sur la paix de Trente Ans, une scène qui le montre combattant à la bataille de Marathon : "Panainos, frère de Phidias, représenta la bataille livrée à Marathon entre les Athéniens et les Perses. L'emploi des couleurs par Panainos était déjà si commun et l'art si parfait que les chefs qui commandaient dans cette bataille y étaient parfaitement reconnaissables : Miltiade, Callimachos et Kynaigeiros du côté des Athéniens, Datis et Artaphernès le jeune du côté des barbares", Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XXXV, 34.4 ; "Ensuite est représentée la bataille de Marathon. Les Béotiens de Platées et les autres cités alliées de l'Attique sont aux prises avec les barbares, et l'avantage est à peu près égal des deux parts. Hors du champ de bataille, les barbares sont en fuite et se poussent les uns les autres dans le marais. A l'extrémité, on distingue les navires phéniciens : les Grecs tuent les Perses qui essaient d'y monter. Dans ce tableau, on remarque le héros Marathon qui a donné son nom au lieu, Thésée qui paraît sortir de terre, Athéna, et Héraclès que les Marathoniens affirment être les premiers à avoir honoré comme un dieu. Les plus reconnaissables parmi les combattants sont Callimachos, qui était alors polémarque, Miltiade l'un des stratèges, et le héros Echetlos dont je parlerai par la suite", Pausanias, Description de la Grèce, I, 15.3 ; "Miltiade, qui avait affranchi Athènes et la Grèce tout entière, obtint pour unique récompense, lorsqu'on peignit la bataille de Marathon sur les murs du portique appelé “Pœcile”, l'honneur de figurer à la tête des dix stratèges, exhortant les soldats et engageant le combat", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines I.6 ; pour l'anecdote, le peintre Polygnote à une date inconnue sera encore chargé de peindre l'intérieur d'un petit temple à l'entrée de l'Acropole, à gauche des futures Propylées qui seront élevées durant la paix de Trente Ans : "A gauche des Propylées se trouve un petit édifice orné de peintures. Parmi celles que le temps n'a pas entièrement effacées, on remarque Diomède emportant la statue d'Athéna de Troie, et Ulysse à Lemnos se saisissant des flèches de Philoctète. On y voit aussi Oreste et Pylade, le premier tuant Egisthe et le second tuant les fils de Nauplios venus au secours d'Egisthe. Un autre tableau représente Polyxène prêt à être sacrifié sur le tombeau d'Achille, épisode cruel qu'Homère a bien fait de passer sous silence. Le même Homère a eu raison de dire qu'Achille a conquis Skyros, au lieu de le représenter dans cette île parmi des jeunes filles, comme l'ont fait d'autres poètes, et tel que Polygnote l'a représenté dans l'édifice dont nous parlons, qui a peint par ailleurs Nausicaa et ses compagnes, lavant leurs vêtements dans le fleuve, Ulysse debout près d'elles", Pausanias, Description de la Grèce, I, 22.6), et sapant l'influence des chefs démocratiques - Ephialtès et le jeune Périclès - en assurant largement l'estiasis ("˜st…asij", service public ou, pour reprendre le terme grec, liturgie/leitourg…a consistant en l'organisation de repas collectifs gratuits pour les citoyens les plus pauvres : "[Cimon] fit le meilleur usage de la fortune qu'il avait honorablement acquise sur les barbares en l'employant au soulagement de ses concitoyens. Il fit enlever les clôtures de ses héritages afin que les étrangers et ceux des Athéniens qui en auraient besoin allassent sans crainte en cueillir les fruits. Il offrait tous les jours chez lui un souper simple, mais suffisant pour un grand nombre de convives : tous les pauvres qui s'y présentaient étaient reçus et y trouvaient leur nourriture sans être obligés de travailler, afin de n'avoir à s'occuper que des affaires publiques. Selon Aristote, ce souper n'était pas pour tous les Athéniens pauvres sans distinction, mais seulement pour les pauvres de son dème de Lakiades. Dans les rues d'Athènes, il était suivi par plusieurs domestiques très bien habillés : quand il croisait un vieillard mal vêtu, il lui offrait l'habit d'un de ses gens, et ces citoyens pauvres se trouvaient honorés de cette libéralité. Les mêmes domestiques portaient sur eux beaucoup d'argent : quand ils voyaient sur l'agora l'un de ces honnêtes indigents, ils s'approchaient et lui mettaient secrètement dans la main une pièce d'argent", Plutarque, Vie de Cimon 13 ; selon Athénée de Naucratis, cette pratique de Cimon est directement inspirée par le tyran Pisistrate du VIème siècle av. J.-C., et trahit donc tacitement l'inclination de Cimon à un retour du régime tyrannique à son profit : "Pisistrate fut un adepte modéré des plaisirs. Théopompe dit même, dans son livre XXI, qu'il refusait de placer des gardes à l'entrée de ses domaines pour que tout le monde pût les visiter librement. Cimon plus tard suivit son exemple. Sur ce dernier, Théopompe nous livre ce témoignage dans le livre X de son Histoire philippique : “L'Athénien Cimon ne postait aucun garde dans ses domaines et ses jardins, et refusait qu'on surveillât les récoltes de ses vergers, il voulait que tous les citoyens qui le souhaitaient entrassent dans ces lieux et y cueillissent tous les fruits dont ils avaient besoin. Sa demeure était ouverte à tous, une table y était toujours dressée pour régaler les visiteurs, en particulier les plus pauvres d'entre eux. Cimon était très affable, même à l'égard de ceux qui venaient tous les jours réclamer une aide matérielle. On raconte qu'il avait sans cesse à ses côtés deux ou trois jeunes gens chargés de distribuer des pièces à quiconque demandait assistance, qu'il contribua également aux dépenses funèbres, et quand il apercevait un citoyen en guenilles il ordonnait souvent à l'un de ses acolytes d'échanger ses vêtements avec lui. Par cette conduite, il acquit l'estime de tous les Athéniens au point qu'il fut longtemps le premier d'entre eux”", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes XII.44). Aristote dit que c'est en constatant la popularité obtenue par Cimon via cet estiasis que Périclès, conscient de n'avoir pas assez de ressources financières pour pouvoir rivaliser avec lui, reprend à son compte l'idée que souffle à son oreille son précepteur, le maître de musique Damon, celle d'utiliser une partie du phoros pour offrir des places de tribunal et de théâtre, les deux lieux où se fabrique ce que nous appelons aujourd'hui l'opinion publique, aux citoyens les plus pauvres ("Cimon, qui disposait d'une fortune digne d'un tyran, s'acquittait magnifiquement des liturgies, et entretenait beaucoup de gens de son dème de Lakiades en leur assurant chaque jour leur subsistance et en ne clôturant aucune de ses propriétés afin que quiconque pût y cueillir des fruits. Périclès, dont la fortune ne pouvait subvenir à de telles largesses, reçut de Damon d'Oiè [littéralement "le Damonide d'Oiè/Damwn…dou toà O‡hqen"] (qui lui inspirait beaucoup de ses actes et qui fut plus tard frappé d'ostracisme pour cette raison) le conseil de distribuer aux gens du peuple ce qui leur appartenait : c'est là l'origine du dikastikon ["dikastikÒn/qui concerne les juges"] que Périclès instaura plus tard", Aristote, Constitution d'Athènes 27). Le même Plutarque s'empresse de nuancer l'apparente "démagogie/dhmagwg…a" au sens moderne du mot, celui de "flatterie et manipulation du peuple, au bénéfice d'un homme seul ou d'un parti" et non plus au sens neutre de "conduite, direction/¢gwg» du dème/dÁmoj", de ces actes de Cimon : par les aléas des circonstances et des alliances, à cette époque, Cimon qui a envoyé son beau-frère Callias II signer la paix avec Artaxerxès Ier après avoir gagné personnellement contre ce dernier une double bataille en Pamphylie, se retrouve à la fois vainqueur de la Perse et allié de la Perse, héritier d'Aristide qui rêvait d'une domination feutrée et centralisée d'Athènes sur toute la Grèce, héritier des Spartiates qui ont reconnu son hégémonie sur les troupes alliées, héritier de Thémistocle dont il a conduit glorieusement la flotte sur l'Eurymédon, à la tête de la noblesse athénienne en même temps que des marins majoritairement issus du peuple. A cette époque, le démagogue au sens moderne de "flatteur et manipulateur du peuple", ce n'est pas Cimon, c'est Périclès et son mentor Ephialtès ("On a calomnié ces bienfaisances [de Cimon] en les représentant comme un moyen pour lui de flatter et de gagner la multitude. Mais pour détruire ces calomnies, il suffit de considérer le reste de sa conduite : Cimon était à la tête du parti noble, et il inclina toujours pour le gouvernement des Spartiates, comme il le montra en se joignant à Aristide contre Thémistocle qui élevait beaucoup trop haut la démocratie, et plus tard quand il se déclara ouvertement contre Ephialtès qui, pour complaire au peuple, voulut abolir l'Aréopage. Tandis que tous les hommes influents de son temps s'enrichirent aux dépens du trésor public, à l'exception d'Aristide et d'Ephialtès, il se conserva toujours pur et incorruptible dans son administration et ne reçut jamais le moindre présent, il persévéra toute sa vie à dire et à faire gratuitement, sans ternir la pureté de sa conduite, tout ce qu'il croyait utile à sa patrie", Plutarque, Vie de Cimon 14). Diodore de Sicile place cette apogée de Cimon sous l'archontat de Démotion, entre juillet -470 et juin -469. Fidèle à sa méthode, l'historien raconte dans les paragraphes 60-62 du livre XI de sa Bibliothèque universelle, paragraphes qu'il consacre à cet archontat, tous les événements qui ont amené à cette conclusion (toujours en commençant par la formule floue "à cette époque/™n toÚtw"), depuis la nomination de Cimon à la tête de la flotte athénienne puis du contingent panhellénique en -478, sa prise d'Eion en -477, son expédition contre Skyros en -476/-475, jusqu'à sa victoire sur l'Eurymédon sous l'archontat précédent.


En Perse, ayant neutralisé les Athéniens en consentant à signer la paix de Callias II, Artaxerxès Ier peut enfin se consacrer pleinement à l'écrasement de la révolte égyptienne d'Inaros et du petit contingent athénien cédé par Cimon qui semble durablement oublié par Athènes : les historiens grecs insisteront tous sur l'héroïsme de ces Athéniens combattant en Egypte et finalement vaincus. Sur le détail des événements et sur la chronologie, avouons franchement que nous ne sommes sûrs de rien. Selon Hérodote, selon Thucydide, selon Ctésias cité par Photios, et selon Diodore de Sicile, Artaxerxès Ier envoie Mégabyze le jeune (petit-fils d'un des sept auteurs du putsch de -522 qui a permis à Darius Ier de devenir Grand Roi, et fils de Zopyre qui en se mutilant a aidé Darius Ier à reconquérir Babylone, comme nous l'avons rapidement évoqué dans notre paragraphe précédent) vers l'Egypte avec une nouvelle armée ("Zopyre est le père de Mégabyze le jeune qui commanda en Egypte contre les Athéniens et leurs alliés", Hérodote, Histoire III.160 ; "Le Perse Mégabyze le jeune, fils de Zopyre, fut envoyé en Egypte à la tête d'une nombreuse armée", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.109 ; "Mégabyze le jeune fut ensuite envoyé contre Inaros avec une armée de deux cent mille hommes, sans compter les troupes qui restaient du contingent précédent, et trois cents navires commandés par Oriscos. Ainsi, sans compter la flotte, l'armée s'élevait à cinq cent mille hommes car, sur les quatre cent mille hommes que l'Achéménide avait menés en Egypte, cent mille avaient été taillés en pièces avec lui", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 33 ; selon Diodore de Sicile, Mégabyze le jeune est secondé par Artabaze : "Artaxerxès Ier, renonçant au secours des Spartiates, prépara de nouvelles troupes auxquelles il donna pour chefs Artabaze et Mégabyze le jeune, deux hommes distingués par leur valeur, et les fit partir pour batailler contre les Egyptiens", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.74). Une bataille s'engage. Mégabyze le jeune sort vainqueur, et investit Memphis ("Les généraux perses, depuis leurs bases en Cilicie, traversèrent la Syrie et la Phénicie à la tête d'une armée terrestre tandis qu'une flotte de trois cents navires les accompagnait en longeant le rivage. Ils entrèrent en Egypte et s'avancèrent vers Memphis : leur arrivée, intimidant les Egyptiens et les Athéniens, mit fin au siège du Leukon Teichos ["LeukÒn Te‹coj/Forteresse Blanche"]", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.77). Inaros et les Grecs survivants se réfugient sur une des îles du delta du Nil ("Arrivé dans le pays, [Mégabyze le jeune] défit les Egyptiens et leurs alliés dans une bataille sur terre, chassa les Grecs de Memphis et finit par les bloquer dans l'île de Prosopitis", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.109 ; "Le combat fut sanglant, les pertes furent considérables des deux côtés, mais plus élevées dans le camp des Egyptiens. Mégabyze le jeune blessa Inaros à la cuisse et le mit en fuite. Les Perses remportèrent une victoire complète. Inaros se réfugia dans la forteresse égyptienne de Byblos, tous les Grecs qui n'avaient pas péri dans le combat s'y retirèrent aussi avec leur stratège Charitimidès", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 33). Un siège de dix-huit mois commence, que Mégabyze le jeune occupe à détourner le bras du Nil où se trouvent les assiégés : ainsi, au bout de dix-huit mois, l'île n'en est plus une, et Mégabyze le jeune peut proposer une reddition acceptable à ces derniers sous peine d'être exterminés ("[Mégabyze le jeune] les y tint assiégés [sur l'île] pendant dix-huit mois, jusqu'au jour où, ayant asséché le canal, il réussit à mettre les navires grecs à sec et à rattacher l'île à la terre ferme sur une grande partie de son pourtour. Il put ainsi y passer son infanterie et s'en emparer", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.109). Il demande à Inaros de se rendre en lui promettant la vie sauve au nom d'Artaxerxès Ier, et il permet aux Athéniens de rentrer libres chez eux. Inaros et les Athéniens acceptent ("L'Egypte se soumit à Mégabyze le jeune, à l'exception de Byblos. Comme cette place paraissait imprenable, le général perse traita avec Inaros et les Grecs, qui comptaient encore plus de six mille hommes. Il promit à Inaros le pardon de la part du Grand Roi, lui garantit qu'il ne lui serait fait aucun mal, et il permit aux Grecs de retourner dans leur patrie quand ils le voudraient", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 34 ; "Les navires attiques étant à l'ancre autour de l'île de Prosopitis, les Perses détournèrent par des canaux les eaux du fleuve, relièrent l'île au rivage, et mirent les navires à sec. Les Egyptiens épouvantés abandonnèrent les Athéniens, et firent la paix avec les Perses. Les Athéniens, privés de leurs alliés et voyant leurs navires devenus inutiles, y mirent le feu pour les empêcher de tomber entre les mains des ennemis. Sans se laisser décourager par cet événement malheureux, ils s'exhortèrent les uns les autres en rappelant les glorieux souvenirs du passé et, décidés à surpasser les défenseurs des Thermopyles qui s'étaient dévoués pour la patrie, se préparèrent à combattre l'ennemi. Les généraux perses Artabaze et Mégabyze le jeune, témoins de cette audace et voulant prévenir l'effusion de sang, conclurent un traité autorisant les Athéniens à se retirer sans danger de l'Egypte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.77). A l'exception d'une région marécageuse non précisément localisée où se réfugie Amyrtée, ce mystérieux compagnon d'Inaros que nous avons mentionné plus haut ("L'Egypte retomba sous la domination perse, à l'exception de la région des marais, où régnait Amyrtée. Les Perses, arrêtés par cette vaste étendue marécageuse, ne purent en venir à bout. Il faut ajouter que c'est dans cette région qu'habite la population la plus guerrière d'Egypte", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.110 ; Hérodote donne à cette région marécageuse le nom d'"Elbo" : "Personne ne put découvrir cette île avant Amyrtée. Pendant plus de sept cents ans, les recherches des rois qui l'ont précédé restèrent vaines. Son nom est “Elbo”, elle s'étend sur dix stades en chaque sens", Histoire II.140 ; pour l'anecdote, les fils d'Inaros et d'Amyrtée seront plus tard officiellement reconnus par les Perses comme gouverneurs des territoires naguère conquis par leurs pères respectifs : "Les Perses ont toujours des égards pour les fils des rois, et ils restituent même le pouvoir au fils si le père s'est révolté contre eux. Cette règle est attesté par beaucoup d'exemples : ainsi Thannyras, fils du Libyen Inaros, recouvra le pouvoir qu'avait eu son père, et Pausiris fils d'Amyrtée recouvra aussi le pouvoir paternel, or personne n'a maltraité les Perses davantage qu'Inaros et Amyrtée", Hérodote, Histoire III.15), l'Egypte redevient perse. Mégabyze le jeune nomme un certain "Sarsamas" comme satrape d'Egypte, puis revient vers Artaxerxès Ier avec Inaros captif. Selon Ctésias, il emmène avec lui des prisonniers grecs ("[Mégabyze le jeune] établit Sarsamas satrape d'Egypte, et prenant avec lui Inaros et les Grecs il s'en retourna vers Artaxerxès Ier", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 35), mais Thucydide dit qu'il respecte sa parole et laisse les Grecs libres de partir vers la Libye hellénophone, en précisant que peu d'entre eux survivent à ce long voyage à travers le désert ("Les quelques rescapés de cette nombreuse expédition traversèrent la Libye et arrivèrent sains et saufs à Cyrène. Mais la grande majorité de l'armée périt", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.110). Artaxerxès Ier est partagé. D'un côté il est heureux de voir la révolte égyptienne anéantie, mais de l'autre côté il trouve que Mégabyze le jeune s'est comporté de façon trop chevaleresque et, en grâciant Inaros en son nom, a outrepassé sa fonction : le Grand Roi a besoin de montrer son autorité, et de décréter des exécutions, pour effacer ses défaites face aux Athéniens et signifier à tous qu'il est le Grand Roi tout-puissant de la Perse et de son Empire. Quand il voit Mégabyze le jeune s'avancer vers lui avec Inaros à ses côtés, il maugrée ("[Mégabyze le jeune] trouva le Grand Roi extrêmement irrité contre Inaros, à cause de la mort de son frère Achéménide qu'il avait tué. Mégabyze le jeune lui raconta tous les détails de cette expédition, et ayant ajouté qu'il ne s'était rendu maître de Byblos qu'après avoir donné sa parole à Inaros et aux Grecs il le pria instamment de leur accorder la vie", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 35). S'ensuit une période à la durée et au déroulement incertains, sur laquelle nous ne nous étendrons pas ici car cela outrepasse notre sujet, durant laquelle Artaxerxès Ier hésite, avant de décider finalement de livrer Inaros au supplice de la triple crucifixion (selon Ctésias, il laisse Amytis, femme de Mégabyze le jeune qui ne s'entend plus avec son mari et qui cherche à lui nuire par n'importe quel moyen, se charger de l'exécution : "[Amytis] fit attacher Inaros à trois croix, et trancher la tête à cinquante Grecs, n'ayant pu en trouver davantage", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 36 ; "Le Libyen Inaros, qui était à l'origine de tout ce qui s'était passé en Egypte, fut pris par trahison et crucifié", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.110), supplice particulièrement cruel qui sera encore pratiqué par Parysatis la femme d'Artaxerxès II au IVème av. J.-C. et décrit par Plutarque ("Dès que Parysatis eut [l'eunuque Mésabatès] en son pouvoir et avant que le Grand Roi n'eût le temps de soupçonner son dessein, elle le livra aux bourreaux et leur ordonna de l'écorcher vif, d'étendre ensuite son corps en travers sur trois croix et sa peau sur trois pieux", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 17), ce qui provoque la colère de Mégabyze le jeune et une brouille durable entre lui et son souverain qui ira jusqu'au conflit armé ("Mégabyze le jeune, outré de ce manque de foi, demanda au Grand Roi la permission de se retirer en Syrie, où il avait transporté secrètement les Grecs ayant échappé à la vengeance d'Amytis. Il s'y rendit ensuite lui-même, et dès qu'il fut arrivé il y leva une armée d'infanterie et de cavalerie de cent cinquante mille hommes, et se révolta contre le Grand Roi. Artaxerxès Ier envoya contre lui Ousiris avec une armée de deux cent mille hommes. Il y eut un combat sanglant, à l'occasion duquel les deux généraux se blessèrent mutuellement : Ousiris porta à Mégabyze le jeune un coup d'épée dans la cuisse profond de deux doigts, Mégabyze le jeune blessa aussi Ousiris d'un coup d'épée à la cuisse et ensuite à l'épaule. Ousiris étant tombé de cheval, Mégabyze le jeune le saisit, le fit relever, et ordonna de le garder avec soin sans lui faire aucun mal. Beaucoup de Perses périrent dans cette bataille. Zopyre le jeune et Artyphios, les deux fils de Mégabyze le jeune, s'y distinguèrent. La victoire de leur père fut complète. Mégabyze le jeune prit grand soin d'Ousiris, et le renvoya guéri à Artaxerxès Ier, qui le lui avait demandé. Le Grand Roi envoya contre Mégabyze le jeune une autre armée sous la conduite de Ménostanès, fils d'Artarios satrape de Babylonie et frère d'Artaxerxès Ier. Dès que les deux armées furent l'une face à l'autre, un furieux combat commença. Les Perses furent encore battus. Ménostanès fut atteint par Mégabyze le jeune d'abord à l'épaule puis à la tête par un trait de flèche, mais la blessure ne fut pas mortelle. Il prit la fuite, ses troupes suivirent son exemple : la victoire de Mégabyze le jeune fut éclatante. Artarios lui envoya un homme de confiance pour l'engager à signer la paix avec le Grand Roi. Mégabyze le jeune répondit qu'il y était disposé, à condition de ne pas se rendre auprès du Grand Roi et de rester en Syrie. Ces conditions ayant été portées à Artaxerxès Ier, l'eunuque Artoxarès de Paphlagonie et Amèstris appuyèrent vivement cette demande et conseillèrent au Grand Roi de l'accepter. Amytis sa femme, Artarios, Artoxarès âgé de vingt ans, Pétèsas le fils d'Ousiris et le père de Spitamas, furent envoyés auprès de Mégabyze le jeune et parvinrent enfin, après beaucoup de pourparlers pénibles et un grand nombre de serments, à le persuader de se rendre auprès du Grand Roi. Mégabyze le jeune se mit en route. Aussitôt qu'il arriva, Artaxerxès Ier l'assura de son pardon", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 37-39). Quand ont lieu ces événements d'Egypte ? Les hellénistes sont très partagés sur ce point. Thucydide les rapporte aux paragraphes 109-110 du livre I de sa Guerre du Péloponnèse, entre deux batailles de la première guerre du Péloponnèse qui débute en -460 comme nous le verrons plus loin, mais ces deux paragraphes apparaissent incongrus dans leur contexte, aucun outil de liaison ne les rattache aux épisodes qui précèdent ni à ceux qui suivent, ce qui nous amène à penser que leur présence à ce moment du livre n'est due qu'à une négligence de l'auteur lors de ses relectures, ou plus simplement à une maladresse sur laquelle l'auteur n'aura pas éprouvé le besoin ou n'aura pas eu le temps de revenir parce que ce n'est pas son sujet principal. Aspasie citée par Socrate, dans le dialogue Ménéxène de Platon, conforte notre scepticisme en situant l'intervention athénienne en Egypte avant la période de paix qui a précédé la première guerre du Péloponnèse, en la remontant à la même époque que la victoire de Cimon sur l'Eurymédon ("Un grand nombre de cités grecques étaient encore au pouvoir des barbares, on annonçait même que le Grand Roi projetait une nouvelle expédition contre les Grecs. Il est donc juste de rappeler aussi la mémoire de ceux qui achevèrent ce que les premiers avaient commencé, et prolongèrent notre délivrance en purgeant les mers des barbares : ceux-là combattirent sur l'Eurymédon, descendirent à Chypre, passèrent en Egypte et portèrent leurs armes en beaucoup d'autres lieux. Souvenons-nous avec reconnaissance qu'ils réduisirent le Grand Roi à craindre pour lui-même, et à garantir sa propre sécurité en renonçant à méditer encore la perte de la Grèce. Cette guerre fut soutenue par Athènes avec toutes ses forces pour elle-même et pour tous ceux qui parlaient la même langue qu'elle. Mais quand après la paix Athènes fut grande et respectée, elle éprouva le sort de tout ce qui prospère : d'abord elle fut enviée, bientôt l'envie enfanta la haine, et Athènes fut ainsi entraînée malgré elle à tourner ses armes contre les Grecs. Un nouveau conflit commença [la première guerre du Péloponnèse, en -460], on combattit à Tanagra [en -457] contre les Spartiates pour la liberté des Béotiens", Platon, Ménéxène 241d-242a). Thucydide assure que la présence des Athéniens en Egypte a duré six ans ("C'est ainsi qu'après six années de guerre, l'entreprise des Grecs en Egypte se trouva ruinée", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.110), or nous avons vu que l'arrivée de la flotte athénienne en Egypte est contemporaine de la double victoire de Cimon sur l'Eurymédon en -471 : doit-on en conclure que la victoire de Mégabyze le jeune sur Inaros et sur les Athéniens survivants a lieu en -465 ? Cette hypothèse mérite qu'on s'y arrête, car elle s'articule bien avec ce que Diodore de Sicile nous raconte dans le paragraphe 69 du livre XI de sa Bibliothèque historique, consacré à l'archontat de Lysithéos en -465/-464. A deux reprises, sur la mort de Thémistocle et sur l'apogée de Cimon à Athènes, nous avons eu l'occasion d'expliquer la contestable méthode de Diodore de Sicile, consistant à mettre en lumière un événement remarquable sous chaque archontat, et pour l'expliquer à rappeler les faits qui l'ont précédé, des faits souvent étalés sur plusieurs années avant l'archontat en question, ce qui empêche le lecteur de reconstituer une chronologie précise. Or l'événement remarquable qui sert de socle à cet archontat de Lysithéos est l'affirmation de la légitimité d'Artaxerxès Ier. Fidèle à sa méthode, Diodore de Sicile rappelle toutes les péripéties qui ont précédé cette accession du Grand Roi à la légitimité : il évoque les intrigues d'Artaban pour assassiner Xerxès Ier vers -476, l'installation d'Artaxerxès Ier manipulé par Artaban sur le trône, et enfin la mort d'Artaban démasqué ("Artaban, voyant que sa trahison lui réussissait, prit ses fils avec lui et, leur ayant dit que le moment était arrivé de se saisir du trône, il porta un coup d'épée à Artaxerxès Ier. Mais ne lui ayant fait qu'une légère blessure, Artaxerxès Ier demeura conscient et porta lui-même à Artaban un coup qui l'étendit mort par terre. C'est ainsi qu'Artaxerxès Ier, si heureusement sauvé, succéda à son père après l'avoir vengé", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.69). Les relations entre le putschiste Artaban et son petit-neveu Artaxerxès Ier se sont en effet détériorées depuis -476. Nous ne savons pas si toutes les décisions prises par Artaxerxès Ier depuis cette date (l'accueil de Thémistocle ostracisé, le rapprochement tenté avec Sparte, la signature du traité de Callias II avec les Athéniens, la confirmation de l'alliance avec Argos), relèvent de la seule volonté d'Artaxerxès Ier, ou si elles lui ont été inspirées par l'intelligent et pragmatique Artaban, en tous cas leurs conclusions mitigées (certes la connivence entre Thémistocle et le Grand Roi a semé le trouble chez les Athéniens mais Thémistocle a préféré se suicider plutôt que lever les armes contre ses compatriotes en -471, la tentative de rapprochement avec Sparte s'est soldée par un échec, le traité de Callias II a certes permis au Grand Roi de recouvrer Chypre mais au détriment de sa domination sur l'Anatolie occidentale, et en confirmant son alliance avec Argos le Grand Roi s'est privé durablement d'une alliance avec Sparte en même temps qu'il a poussé les Argiens dans les bras des Athéniens dont la puissance politique et militaire n'a jamais été aussi grande) ont très certainement créé un ressentiment entre les deux hommes, puisque Artaban choisit finalement de se dresser contre Artaxerxès Ier qu'il a pourtant aidé à porter sur le trône. Ctésias nous informe que pour mener à bien son nouveau projet, Artaban tente, à une date qu'on ignore, de se concilier Mégabyze le jeune, celui qui se couvre de gloire dans la répression des révoltés égyptiens que nous venons de raconter. Mais Mégabyze le jeune trahit Artaban en le dénonçant à Artaxerxès Ier. Le Grand Roi exécute immédiatement Artaban ("Artaxerxès prit possession de la couronne par les intrigues d'Artaban. Mais peu de temps après, celui-ci chercha à attenter à la vie du nouveau Grand Roi, et communiqua son projet à Mégabyze le jeune […]. Ils s'engagèrent mutuellement à garder le secret et se lièrent par des serments réciproques. Mais Mégabyze le jeune, violant le sien, dénonça son complice. Artaban fut arrêté, et puni du même genre de mort dont il avait voulu faire périr Artaxerxès Ier. On découvrit en même temps toutes les manigances d'Artaban contre Xerxès Ier et Darius le jeune", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 30 ; "[Artaban] associa à son secret Bacabasus [latinisation du nom de Mégabyze] qui, satisfait de sa fortune présente, révéla tout à Artaxerxès Ier, sur l'exécution de son père, sur la mort de son frère soupçonné à tort de parricide, enfin sur les pièges qui menaçaient sa propre vie. Suite à ces révélations, Artaxerxès Ier, qui redoutait le nombre des fils d'Artaban, annonça pour le lendemain une revue générale de ses troupes afin, dit-il, de recenser ses soldats et de juger l'adresse de chacun d'eux dans les exercices militaires. Artaban se présenta en armes comme tous les autres. Le jeune souverain se plaignit d'avoir une cuirasse trop courte, et invita Artaban à lui donner la sienne. Tandis que celui-ci la détacha, il perça de son épée son ennemi désarmé, et fit aussitôt arrêter ses fils. Ce fut ainsi qu'il sut à la fois, par son courage, venger la mort de son père et se soustraire lui-même aux embûches qu'on lui préparait", Justin, Histoire III.1). Ctésias ajoute que l'un des complices d'Artaban, l'eunuque Spamitrès, est condamné au supplice des auges ("Spamitrès, qui était complice de la mort de Xerxès Ier et de Darius le jeune, fut condamné à un supplice très cruel, celui des auges. Après la mort d'Artaban, un rude combat s'engagea entre les conjurés et les troupes fidèles au Grand Roi. Les trois fils d'Artaban furent tués", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 30), qui est aussi cruel que celui de la triple crucifixion subi par Inaros évoqué précédemment, que le Grand Roi Artaxerxès II pratiquera encore au siècle suivant et que Plutarque décrit aussi en détails ("[Artaxerxès II] condamna donc l'eunuque Mithridate à mourir du supplice des auges. Voici en quoi il consiste : on prend deux auges d'égale grandeur qui s'emboîtent l'une dans l'autre, on couche l'homme condamné sur le dos dans une de ces auges, et on applique la seconde sur celle-ci de façon que la tête, les mains et les pieds débordent les auges, et que tout le reste du corps soit entièrement couvert. On donne à manger à cet homme ainsi placé : s'il refuse la nourriture, on le force à la prendre en lui piquant les yeux avec des alènes. On le force à boire du miel détrempé dans du lait, qu'on lui verse non seulement dans la bouche mais encore sur le visage. On l'oblige à toujours tourner les yeux vers le soleil pour que son visage soit tout couvert de mouches. Obligé de satisfaire ses besoins dans cette auge après avoir été ainsi nourri et abreuvé, la corruption et la pourriture dans lesquelles il est plongé engendrent une quantité prodigieuse de vers qui lui rongent tout le corps et pénètrent jusque dans les viscères. Quand on est bien assuré de sa mort, on ôte l'auge supérieure, et l'on trouve ses chairs mangées par ces insectes, qui sont attachés par essaims à ses entrailles, et qui les rongent encore. Mithridate, consumé lentement par ce supplice, mourut au bout de dix-sept jours", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 16). La méfiance d'Artaxerxès Ier face à Mégabyze le jeune au moment de son retour d'Egypte, puis le conflit armé qui a suivi entre les deux hommes, paraît s'insérer dans la difficile et interminable succession d'Artaxerxès Ier à son père : il est très possible que Mégabyze le jeune, comme Artaban, ait rêvé de s'emparer du trône (sa nomination de Sarsamas à la tête de la satrapie d'Egypte outrepasse ses droits de chef militaire, seul le Grand Roi a la légitimité pour nommer les satrapes de son Empire), et qu'il n'ait dénoncé Artaban que pour prendre sa place au côté d'Artaxerxès Ier et éliminer ce dernier plus facilement après avoir éliminé Artaban. Par ailleurs, à l'autre bout de l'Empire, en Bactriane, la situation n'est toujours pas apaisée. Le frère aîné d'Artaxerxès Ier, Hystaspès, dont nous avons dit dans notre précédent alinéa qu'il était en Bactriane au moment de l'exécution de Xerxès Ier en -476, y est resté. Ctésias en effet évoque un mystérieux satrape de Bactriane qualifié d'"autre Artaban" ("¥lloj Art£panoj"), contre lequel Artaxerxès Ier doit lutter : il est hautement vraisemblable que ce qualificatif de Ctésias n'est qu'une périphrase pour désigner Hystaspès qui, en tant qu'aîné, conteste la couronne à son frère Artaxerxès Ier avant d'être finalement vaincu à son tour (Ctésias emploi cette formule de style pour souligner la communauté de pensée entre Hystaspès et feu Artaban, de la même façon que nous disons un "autre Mozart" pour désigner un enfant aussi virtuose que feu Mozart, ou un "autre Léonard" pour désigner un ingénieur ou un peintre à l'imagination aussi débordante que feu Léonard de Vinci : "Les Bactriens, ayant à leur tête comme satrape un autre Artaban, se révoltèrent contre les Perses. Dans un premier combat, l'avantage fut égal de part et d'autre. Il y en eut un second. Le vent, qui soufflait en face des Bactriens, les incommoda beaucoup, les partisans d'Artaxerxès Ier en profitèrent. La victoire se déclara pour eux, et la Bactriane entière rentra dans le devoir", Photios, Bibliothèque 72, Histoire de la Perse par Ctésias 31). Quelle a été l'attitude générale de cet Hystaspès depuis -476 ? Nous ne pouvons que regretter le manque de textes ou de documents archéologiques pour pouvoir répondre à cette question. Diodore de Sicile dit que, pour constituer l'immense armée destinée à mâter Inaros en Egypte, Artaxerxès Ier a envoyé des recruteurs dans toutes ses satrapies, donc en Bactriane ("Artaxerxès Ier, apprenant le succès des Egyptiens et leurs dispositifs de guerre, jugea nécessaire de les accabler par des forces supérieures. Il fit donc immédiatement lever des troupes dans toutes les satrapies, construisit des navires et ne négligea aucun autre préparatif", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.71) : Hystaspès a-t-il répondu docilement à la demande de son frère, avant de se rebeller en estimant ne pas en avoir été suffisamment remercié ? ou au contraire a-t-il estimé que les difficultés de son frère en Egypte étaient une occasion d'intensifier les attaques contre lui, de lui assener un fatal coup de poignard dans le dos en soulevant la Bactriane, pour lui ravir la couronne ? et quelles relations a entretenues cet Hystaspès avec Artaban et avec Mégabyze le jeune ? Artaban s'est-il finalement dressé contre son petit-neveu Artaxerxès Ier en promettant à son autre petit-neveu Hystaspès, héritier plus légitime qu'Artaxerxès Ier puisqu'aîné des fils de Xerxès Ier, de l'y faire monter à sa place ? ou au contraire a-t-il rêvé d'utiliser Artaxerxès Ier contre Hystaspès dans l'espoir que les deux frères s'entretuent ? une alliance a-t-elle existé entre Hystaspès et Mégabyze le jeune, notamment au moment du conflit armé entre ce dernier et Artaxerxès Ier ? L'absence de certitudes sur tous ces points nous frustre. Reste que tous les événements provoqués ou subis par ces personnages paraissent bien liés les uns aux autres, et trouver leur aboutissement en -465 sous l'archontat de Lysithéos : après avoir signé la paix avec les Athéniens, mâté la révolte en Egypte, écrasé le soulèvement de la Bactriane en tuant ou en réduisant au silence son frère aîné rival au trône, ruiné le complot de son grand-oncle Artaban et gavé de ses largesses Mégabyze le jeune, et ordonné deux exécutions spectaculaires, celle d'Inaros et celle de Spamitrès, pour dissuader quiconque à l'intérieur de son grand Empire de se soulever à nouveau contre lui, Artaxerxès Ier s'impose enfin comme le seul Grand Roi légitime, l'un des plus remarquables chefs d'Etat de l'Histoire de la Perse. Rien n'était joué au départ. Il n'était que le cadet de la famille, à peine sorti de l'enfance, et il est monté sur le trône dans une période de grand trouble, les Perses étant menacés à l'extérieur par les Grecs, et à l'intérieur par les Babyloniens, les Bactriens, les Egyptiens, peut-être d'autres encore (comme les Syriens chez qui Mégabyze le jeune trouve refuge pendant un temps), et par des intrigues de Cour aux desseins peu clairs : Artaxerxès Ier a réussi à surmonter tous les handicaps par sa ruse, par ses talents de charmeur et de manipulateur, par son réalisme, à se faufiler au milieu de tous les obstacles et à les dépasser l'un après l'autre en jouant de la carotte et du bâton avec une adresse qui force l'admiration, même chez ses adversaires grecs (Plutarque rappelle qu'Artaxerxès Ier a toujours joui d'une double réputation de puissance et de tempérance chez les Grecs : "Artaxerxès Ier, qui surpassa tous les Grands Rois de Perse en douceur et en magnanimité, fut surnommé “Makrocheir” ["MakrÒceir/Longue-Main"], parce que sa main droite était plus longue que la gauche, il était fils de Xerxès Ier", Plutarque, Vie d'Artaxerxès II 1 ; le même Plutarque loue son sens politique : "Artaxerxès Ier, fils de Xerxès Ier, surnommé “Makrocheir” parce qu'il avait une main plus longue que l'autre, disait ordinairement qu'il est plus digne pour un roi de donner que de prendre. Il fut le premier des Grands Rois de Perse à permettre aux seigneurs de sa Cour qui l'accompagnaient à la chasse, de frapper la bête avant lui. Il fut aussi le premier à ordonner que, quand un dignitaire serait reconnu coupable d'une faute, au lieu de fustiger sa personne et de lui arracher les cheveux on frapperait ses habits et on lui ôterait sa tiare. Son chambellan Satibarzanès lui demanda une chose injuste, contre laquelle on lui avait promis trente mille dariques : Artaxerxès Ier l'apprit, se fit apporter cette somme par son trésorier et la remit à Satibarzanès en lui disant : “Prenez cet argent. Quand je vous l'aurai donné, je serai plus pauvre, mais si je faisais ce que vous me demandez je serais injuste”", Plutarque, Apophtegmes des rois et des stratèges ; l'historien romain tardif Ammien Marcellin dit la même chose : "Le puissant monarque Artaxerxès Ier, que la longueur d'un de ses bras a fait surnommer “Macrocheir”, voulant diminuer en Perse l'atrocité des supplices, faisait trancher aux coupables la tiare au lieu de la tête, et réduire l'amputation des oreilles, si fréquente pour le moindre délit, à celle des cordons qui retiennent la tiare. Cette aménité fit chérir sa domination sans la rendre moins respectable, et les historiens grecs ont à l'envi rempli leurs livres de traits merveilleux de sa bonté", Ammien Marcellin, Histoire de Rome, XXX, 8.4).

  

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