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Babylone

Persépolis

Plateau nord

Plateau central et Bactriane

Le temps perdu

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte III : Sophocle

Acte IV : Alexandre

Le temps gagné

Acte V : Le christianisme

© Christian Carat Autoédition

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La campagne de Perse centrale

(automne -331 à printemps -329)

La conquête du plateau nord iranien (été -330)


L’incendie de Persépolis et la reprise de la course-poursuite derrière Darius III au début de l’été -330 marque l’échec de la politique œcuménique d’Alexandre, ils marquent aussi l’échec de la stratégie de Darius III, qui après sa défaite à Gaugamèles a laissé la route ouverte vers Babylone, Suse et Persépolis dans l’espoir qu’Alexandre y demeurerait le temps nécessaire pour permettre aux Perses survivants de reconstituer leurs forces. Les courtisans restés fidèles au Grand Roi pouvaient penser que l’occupation des grandes capitales du sud de l’Empire était un mal nécessaire en attendant de retrouver leur situation : l’incendie de Persépolis et le transfert des trésors vers le nord-ouest (à Suse d’abord, puis bientôt à Ecbatane) pour financer au plus près une nouvelle campagne, signifie qu’Alexandre n’est pas tombé dans le piège de la vie facile qu’on lui a tendu, et que les Perses quel que soit leur avenir ne retrouveront jamais leurs fastes maintenant réduits en cendres. Les comploteurs tels Bessos le satrape de Bactriane y trouvent une nouvelle raison de mener leur projet à terme.


Alexandre se rend d’abord en Médie, il atteint la capitale Ecbatane (aujourd’hui Hamadan en Iran, 34°48'16"N 48°31'04"E) désertée par Darius III ("Tandis qu’[Alexandre] cheminait, on lui annonça que Darius III venait à sa rencontre, désireux encore une fois de tenter la fortune des armes, et que les Scythes et les Kadousiens s’étaient réunis aux Perses. Alexandre laissa derrière lui tout son bagage et donna ordre à ses troupes de le suivre rangées en bataille vers la Médie, où il arriva le douzième jour. Il reçut alors des nouvelles contraires : il apprit que Darius III n’avait d’autre espoir que dans la fuite. Il redoubla d’ardeur à le poursuivre. A trois journées d’Ecbatane, Bisthanès, fils d’[Artaxerxès III] Ochos qui avait régné en Perse avant Darius III, vint au-devant d’Alexandre pour lui annoncer que celui-ci avait pris la fuite depuis cinq jours avec neuf mille hommes, dont six mille fantassins, emportant de Médie sept mille talents", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 19.3-5), où pour l’anecdote on retrouve la statue d’Apollon Branchide que Xerxès Ier a dérobée en -480 et que Séleucos, pour honorer l’oracle favorable que les prêtres du sanctuaire de Didyme lui ont adressé en -334 (nous avons brièvement évoqué cela dans notre paragraphe sur la campagne d’Anatolie), renverra plus tard vers Milet ("Sous prétexte que les Milésiens s’étaient mal conduits après le combat naval [de Salamine] contre les Athéniens en Grèce [Xerxès Ier] prit l’Apollon de bronze des Branchides, que Séleucos Ier leur renvoya plus tard", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 46.3 ; "Séleucos Ier est selon moi un des rois qui s’est le plus distingué par son amour pour la justice, et sa piété envers les dieux. Il renvoya en effet aux Milésiens la statue en bronze d’Apollon Branchide que Xerxès Ier avait emportée à Ecbatane", Pausanias, Description de la Grèce, I, 16.3). Alexandre y reçoit des renforts envoyés par Ménès de Pella ("[Alexandre] se rendit en Médie, où l’attendaient de nouvelles recrues en provenance de Cilicie, consistant en cinq mille fantassins et mille cavaliers sous les ordres de l’Athénien Platon. Il décida de ce renfort pour se lancer à la poursuite de Darius III", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 7.12 ; "Arrivé à Ecbatane, Alexandre renvoya vers les côtes les cavaliers de Thessalie et des autres cités sous la conduite d’Epokillos fils de Polyeidos, avec quelques chevaux qu’il ne conserva pas. Il ajouta deux mille talents à leur solde, et ne garda près de lui que ceux d’entre eux qui voulurent y rester, qui furent un assez grand nombre. Il écrivit à Ménès de fournir aux autres les navires nécessaires pour les conduire vers l’Eubée", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 19.5-6), probable ex-somatophylaque et homme de confiance comme on l’a dit plus haut. Il demande à Parménion de rassembler là tous les trésors pris à Suse et à Persépolis, et en confie la gestion à son camarade d’enfance Harpale ("[Alexandre] ordonna à Parménion de rassembler tous les trésors de la Perse dans le fort d’Ecbatane, sous la garde d’Harpale et de plusieurs affidés qui défendraient la place avec six mille Macédoniens et quelques chevaux, Parménion devrait ensuite passer ensuite en Hyrcanie par le territoire des Kadousiens avec les étrangers, les Thraces et le reste de la cavalerie sauf celle des hétaires", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 19.7). Et il destitue le satrape de Médie Atropatès (que nous avons croisé à la bataille de Gaugamèles), coupable d’avoir accueilli Darius III en fuite, pour nommer à sa place le Perse Oxydatès, libéré de sa prison de Suse comme nous l’avons vu dans notre alinéa précédent ("[Alexandre] nomma satrape de Médie Oxydatès, que Darius III avait pris et laissé à Suse dans les fers, ce qui lui avait concilié l’amitié d’Alexandre", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 20.3 ; "Parmi les notables perses [capturés lors de sa marche vers Persépolis] figurait Oxydatès : Darius III l’avait condamné à mort et il était maintenu dans les chaînes. Alexandre le libéra, et le nomma satrape de Médie", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, VI, 2.11).


Ensuite Alexandre prend la route de l’Hyrcanie, région aux frontières floues correspondant aux côtes sud de l’actuelle mer Caspienne. Il atteint Rhagai ("R£gai", aujourd’hui Ray dans la banlieue sud de Téhéran, actuelle capitale de l’Iran, 35°36'18"N 51°27'1"E : "[Alexandre], à la tête de la cavalerie des hétaires, des troupes légères, des cavaliers étrangers à sa solde sous la conduite d’Erigyios, de la phalange macédonienne amputée de ceux laissés à la garde du trésor, des archers et des Agriens, poursuivit vivement Darius III. La marche forcée le contraignit à laisser un grand nombre de malades sur la route, et à abandonner beaucoup de chevaux. Loin de ralentir sa course, il arriva le onzième jour à Rhagai. Le douzième l’eût conduit aux Portes caspiennes, mais une partie de ceux qui accompagnaient Darius III dans sa fuite, qui s’étaient finalement retirés dans leurs foyers, vinrent se rendre à Alexandre pour lui dire que celui-ci les avait déjà passées. Perdant tout espoir de rattraper Darius III, Alexandre demeura cinq jours à Rhagai pour donner du repos à ses troupes", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 20.1-3). Il emprunte les Portes caspiennes (passage non localisé précisément dans la région de l’actuelle Téhéran en Iran, peut-être sous ou près de l’ancienne forteresse de Sirdarra à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest de Garmsar en Iran, 35°17'22"N 52°08'25"E : "[Alexandre] marcha avec son armée vers la Parthie, fit la première halte aux Portes caspiennes, les passa le lendemain, et pénétra dans un pays cultivé. Mais apprenant qu’il avait un désert intérieur à traverser, il envoya Koinos fourrager avec cavaliers et fantassins pour approvisionner l’armée", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 20.3-4) pour entrer en Parètakène ("Parhtakhn»"), région plus connue sous son équivalent latin "Parthie" du fait des futurs conquérants parthes qui concurrenceront l’Empire romain dans le Croissant Fertile à partir du Ier siècle av. J.-C. Il laisse sur-place Oxathrès (qui, rappelons-le, est le demi-frère de Darius III et le fils d’Aboulitès le satrape de Susiane : "Alexandre marchant à la poursuite [de Darius III] arriva dans le pays des Parthes/Parhtakhno…, s’en empara et y laissa Oxathrès fils d’Aboulitès le satrape de Susiane", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 19.2). Selon Pline l’Ancien, le franchissement de ces Portes caspiennes marque un tournant dans l’épopée alexandrine : elles marquent la transformation de la guerre contre Darius III en une entreprise de découverte et de colonisation, elles constituent la frontière entre le monde relativement bien connu des Grecs et le reste du continent asiatique qu’ils ignorent (elles se situent approximativement à mi-chemin entre la Grèce et l’Inde : "Ce site [les Portes caspiennes] doit son nom à la raison expliquée plus haut : la chaîne des montagnes est interrompue par un col étroit à peine franchissable par un chariot, long de huit mille pas, étayé de main d’homme. A droite et à gauche sont suspendues des roches qui semblent brûlées, la contrée ne compte aucune source sur vingt-huit mille pas. Ce col est embarrassé par un cours d’eau salée venant des roches, beaucoup de serpents l’encombrent sauf en hiver. Les Adiabéniens vivent à côté du peuple appelé jadis "Carduques" et aujourd’hui "Corduéniens" [ancêtres des Kurdes], dont le pays est traversé par le Tigre, eux-mêmes voisins des Pratites [les Parthes] occupant les portes Caspiennes. Au-delà des Portes on trouve le désert de Parthie et les monts de Cithenie [la chaîne orientale de l’Elbourz, marquant la frontière actuelle entre l’Iran et le Turkménistan], puis la plus agréable province de Parthie appelée “Choara” [le bassin de la moderne ville de Mary au Turkménistan, où vivent les Chorasmiens, qui ont donné leur nom à l’actuelle province ouzbèque de "Khorezm" à la frontière du Turkménistan, au sud de la mer d’Aral]. […] La capitale de la Parthie est Hécatompyles, à cent trente-trois mille pas des Portes caspiennes. […] Quand on passe [les Portes caspiennes], on trouve aussitôt le peuple caspien jusqu’au littoral, qui a donné son nom aux Portes et à la mer. A l’ouest on trouve des territoires montagneux. Depuis ce peuple jusqu’au Kyros [aujourd’hui le fleuve Kura, qui traverse les actuels Géorgie et Azerbaïdjan avant de se jeter dans la mer Caspienne] on compte cent vingt-cinq mille pas, depuis ce fleuve [Kyros] jusqu’aux Portes [caspiennes] on compte sept cent mille pas. Ces Portes constituent le centre de l’itinéraire d’Alexandre le Grand : de là jusqu’à la frontière de l’Inde on compte quinze mille six cent quatre-vingts stades, de là jusqu’à la cité de Bactres surnommée “Zariaspa” on compte trois mille sept cents stades, de là jusqu’à l’Iaxarte on compte cinq mille stades", Pline l’Ancien, Histoire naturelle VI.17).


La dernière fuite de Darius III et sa pitoyable fin peuvent être reconstituées par la lecture entrecroisée de l’Histoire d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce et de l’Anabase d’Alexandre d’Arrien, le second racontant les événements du point de vu des Grecs, le premier racontant les mêmes évènements du point de vue des Perses.


Le satrape de Bactriane Bessos, tête pensante du putsch projeté contre le Grand Roi, cache de moins en moins son ambition. Darius III prend alors conscience de l’impasse tragique dans laquelle il se trouve. Car effectivement, par une ironie de l’Histoire, les mercenaires grecs qui l’ont suivi depuis la bataille d’Issos en -333, bien conscients qu’Alexandre les considérera comme des traîtres s’ils sont capturés, restent ses seuls et ultimes soutiens. Patron, le chef de ces quelques milliers de Grecs qui se savent perdus si Darius III est renversé, décide d’informer ce dernier du méchant dessein de Bessos ("Patron ordonna à ses mercenaires grecs de prendre leurs armes entreposées avec les bagages et de se tenir prêts à exécuter ponctuellement ses ordres. Il suivit le char du Grand Roi, guettant l’occasion de lui parler, car il avait deviné le complot de Bessos. Mais ce dernier, qui craignait justement cette éventualité, restait tout près du char moins pour l’escorter que pour monter la garde. Patron patienta longtemps, il fut plusieurs fois écarté au moment où il allait parler, mais il ne quitta pas des yeux le Grand Roi, partagé entre le sens du devoir et la peur", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 11.1-3). Le Grec et le Perse se retirent à l’écart pour converser ("Considérant l’urgence, [Patron] répondit : “Bessos et Nabarzanès conspirent contre toi, les plus grands dangers menacent à la fois ton trône et ta vie : ce jour verra la mort des assassins ou la tienne”", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 11.8). Quinte-Curce précise que cette conversation est en langue grecque, autrement dit Darius III est bilingue, ce qui renseigne sur l’étendue de l’hellénisation à l’intérieur de l’Empire perse à cette époque ("Darius III ordonna à l’eunuque Bubacès, qui était à côté du char, de demander à Patron ce qu’il voulait lui dire. Patron répondit qu’il voulait effectivement parler au Grand Roi, mais en secret. On lui dit d’approcher, sans appeler l’interprète puisque Darius III connaissait la langue grecque", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 11.4). Mais que peut faire Darius III ? Rien. S’il laisse Bessos en liberté, celui-ci l’assassinera et ce sera la fin de l’Empire perse. Mais d’un autre côté, s’il suit le conseil de Patron en se débarrassant de Bessos, il provoquera également la fin de l’Empire perse, car primo les quelques milliers de mercenaires grecs de Patron ne pourront pas résister longtemps contre les dizaines de milliers de Bactriens qui ne leur pardonneront pas l’élimination de leur satrape ("La menace venait de trente mille hommes qui avaient accepté sans scrupule de participer au crime, Patron n’avait que quatre mille hommes sous ses ordres : se mettre sous la protection de ces derniers eût signifié remettre en cause la fidélité des siens et légitimer l’attentat. [Darius III] préféra que le crime fût gratuit plutôt que fondé", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.4-5), et secundo pactiser avec des Grecs quand on est Grand Roi (comme en -401 le prince Cyrus avec les Dix Mille) signifie trahir la cause perse, et précipiter les peuples de l’Empire perse dans le parti adverse en le légitimant, en l’occurrence en légitimant le putschiste Bessos. Le dilemme est dramatiquement simple : ou bien mourir comme un renégat au côté des étrangers grecs contre ses propres sujets bactriens, ou bien mourir de la main des Bactriens qui ne l’estiment plus capable d’assumer son titre de Grand Roi. La réponse de Darius III à Patron renseigne sur le pathétique de la situation : "J’ai le choix entre être tué par les miens comme un incapable, ou être tué par les miens comme un traître. Dans les deux cas ma mort signifiera la disparition de l’Empire perse, la fin de deux siècles d’Histoire, et personne ne me regrettera dans ce qui reste de ma famille ni dans ce qui reste de mon peuple" ("Darius III répondit que, malgré la confiance qu’il avait dans la loyauté des Grecs, il ne se séparerait jamais de ses compatriotes. C’était plus facile pour lui d’accepter la trahison que la condamner. Il aimait mieux subir tous les coups du sort au milieu des siens qu’abandonner son camp. Sa mort viendrait à son heure si ses propres soldats refusaient qu’il continuât à vivre. N’ayant plus aucun espoir de sauver le Grand Roi, Patron retourna auprès de ses hommes, prêt à tout pour rester fidèle à son devoir", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 11.11-12). Bessos, maintenu à l’écart durant cette conversation, a bien compris que Patron tente d’influencer Darius III ("Bessos ne savait pas le grec. N’ayant pas la conscience tranquille, il pensa que Patron l’avait dénoncé : ses derniers doutes disparurent quand il demanda à l’interprète de lui traduire ce qu’il avait perçu de l’entretien", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 11.7), il s’empresse donc de rassurer celui-ci en dénigrant Patron, mais Darius III au comble de l’aporie n’est plus dupe de ses flatteries ("[Bessos] félicita le Grand Roi d’avoir évité, par sa prudence et sa perspicacité, le piège que [Patron], un individu sans scrupules séduit par les succès d’Alexandre, lui avait tendu, ajoutant qu’il ne s’étonnait pas de voir un tel homme, mercenaire sans famille, sans domicile, mis au ban de la terre entière, agent double au service de l’ennemi, tirer argent de tout en se tenant à l’affût du premier qui le paierait. Darius III l’écouta se justifier et invoquer le témoignage des dieux de sa patrie pour prouver sa bonne foi, avec un air d’approbation alors qu’il savait que les Grecs avaient raison, mais dans la situation où il se trouvait il courait autant de risques à refuser de croire les siens qu’à se laisser tromper", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.1-3). Suit une scène sublime au sens de Victor Hugo, une scène dont les actes d’apparence anodine sont lourds de conséquences (tel le personnage qui ouvre une fenêtre en sachant que des dizaines de fusils sont braqués sur lui derrière cette fenêtre), dans laquelle le Grand Roi exprime officiellement sa volonté de suivre les Bactriens (autrement dit son désir d’être assassiné par les Bactriens), en laissant à chacun la liberté de continuer à lui obéir ou de se rendre à Alexandre (autrement dit la liberté de mourir avec lui sous les coups des Bactriens, ou de préserver sa vie en s’agenouillant devant le vainqueur macédonien). Le vieux Artabaze, toujours fidèle, lui propose dérisoirement de le sauver et de sauver en même temps la couronne perse en prenant sur lui de combattre Bessos et les putschistes, pour éviter au Grand Roi de se salir en répandant le sang de ses sujets rebelles, mais Darius III lui signifie que cela ne ferait que retarder l’inévitable ("Darius III convoqua Artabaze et lui rapporta les révélations de Patron. Artabaze voulut absolument qu’il partît tout de suite dans le camp des Grecs, et l’assura que les Perses le rejoindraient dès qu’ils auraient arrêté les comploteurs. Résigné à son sort, n’acceptant plus aucun avis salutaire, il serra dans ses bras Artabaze qu’il ne verrait plus, le seul soutien qui lui restait dans la situation présente. Ils mêlèrent leurs larmes, puis il demanda à Artabaze qui s’accrochait à lui de se retirer", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.7-8). Artabaze et Patron à la tête des mercenaires grecs restent donc sur-place en regardant Darius III s’éloigner dignement vers sa mort incontournable, puis rebroussent chemin vers Alexandre, en espérant que celui-ci acceptera leur soumission ("Avec ses hommes et les mercenaires grecs, Artabaze partit vers la Parthie, jugeant que le plus urgent était d’échapper à la vue des assassins", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.18). Les soldats perses quant à eux, entre suivre Artabaze vers l’Hyrcanie et suivre leur Grand Roi vers la Bactriane, sont dans une position aussi inconfortable que Darius III : ils n’ont plus d’Empire, ils n’ont plus de pays, ils n’ont plus de capitale puisque celle-ci a été réduite en cendres, et ils ne sont plus assez nombreux pour tenir tête aux dizaines de milliers de Bactriens - leurs anciens sujets - qui entourent Bessos ("Les Perses, glacés d’effroi, n’osèrent ni prendre leurs armes car ils redoutaient l’affrontement avec les Bactriens, ni rester inactifs pour ne pas avoir l’air d’abandonner le Grand Roi. Le camp fut plein d’appels divergents et contradictoires, sans personne pour vérifier les rumeurs ou les contrôler", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.13-4). Le putsch est réalisé peu de temps après. Quinte-Curce est confus dans son récit : il dit d’abord que l’acte est prémédité (Bessos arme ses hommes à dessein : "La nuit vint. Après avoir déposé leurs armes comme d’habitude, les Perses partirent chercher du ravitaillement dans les villages alentour. Mais les Bactriens restèrent en armes selon l’ordre de Bessos", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.6), et dit ensuite qu’il est la conséquence involontaire d’une panique impromptue du côté bactrien (Bessos est appelé à l’aide précipitamment par les Bactriens qui redoutent que le Grand Roi se suicide, ce qui priverait leur rébellion de légitimité : "Ces manifestations funèbres [des Perses] parvinrent aux oreilles des Bactriens, qui en conclurent devant Bessos et Nabarzanès que le Grand Roi s’était donné la mort. Ils partirent donc à bride abattue, suivis de ceux qu’ils avaient choisis pour exécuter le crime", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.14-15). Quoi qu’il en soit, Bessos tombe le masque : avec ses complices Nabarzanès et Barsaentès le satrape d’Arachosie-Drangiane, il entre dans la tente de Darius III, se saisit de sa personne, et le couvre de chaînes ("[Bessos et Nabarzanès] entrèrent dans la tente du Grand Roi. Les eunuques leur dirent qu’il était en vie. Les deux hommes ordonnèrent alors qu’on s’emparât de lui et qu’on lui passât les chaînes. Ce Grand Roi, qui quelques instants plus tôt circulait en char et recevait les honneurs réservés aux dieux, fut placé dans une vulgaire charrette, prisonnier de ses propres soldats, sans personne pour lui venir en aide. Ils pillèrent le trésor du Grand Roi et ses objets personnels selon les lois de la guerre, puis ils prirent la fuite, chargés du butin qu’ils tirèrent du pire des crimes", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.15-17 ; "[Darius III] avait été arrêté par le chiliarque Nabarzanès qui accompagnait sa fuite, et Bessos le satrape de Bactriane ainsi que Barsaentès le satrape d’Arachosie-Drangiane le retenaient prisonnier", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 21.1). Les Perses qui n’ont pas suivi Artabaze n’ont plus d’autre choix que suivre leurs anciens sujets bactriens ("Comblés de promesses par Bessos, mais surtout parce qu’ils n’avaient personne d’autre à suivre, les Perses se rallièrent aux Bactriens et les rejoignirent deux jours plus tard", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 12.19).


Alexandre apprend l’événement par un Babylonien nommé "Bagistanès" et par un "Antibelos" qu’Arrien présente comme l’un des fils de Mazaios le satrape de Babylonie ("Alexandre se lança à la poursuite du Grand Roi qui fuyait vers l’Asie centrale. Il atteignit Tabès, cité située à l’extrémité de la Parthie. Des transfuges lui indiquèrent que Darius III filait en direction de la Bactriane. Le Babylonien Bagistanès lui donna des nouvelles précises : il tut le fait qu’on avait passé les chaînes au Grand Roi, mais dit qu’il risquait d’être assassiné ou enchaîné", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.1-3). Il se précipite pour tenter de rattraper les fuyards ("C’est alors [après avoir traversé les Portes caspiennes] que Bagistanès, un des premiers de Babylone, et Antibelos, un des fils de Mazaios, arrivèrent de l’armée de Darius III. Ils annoncèrent que ce dernier avait été arrêté par le chiliarque Nabarzanès qui accompagnait sa fuite, et Bessos le satrape de Bactriane ainsi que Barsaentès le satrape d’Arachosie-Drangiane le retenaient prisonnier. A cette nouvelle, Alexandre crut devoir redoubler sa marche. Il prit avec lui ses hétaires, des cavaliers armés légèrement, l’élite de son infanterie, et partit sans attendre le retour de Koinos, laissant à Cratéros le commandement du reste de l’armée avec ordre de le suivre à petites journées. Avec les siens qui ne portaient que leurs armes et des vivres pour deux jours, il chemina toute la nuit et ne s’arrêta que le lendemain à midi pour se reposer rapidement. Continuant sa route vers le soir, il arriva au point du jour, et ne trouva pas l’ennemi dans le camp d’où était parti Bagistanès", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 21.1-3). Il arrive à l’endroit où le putsch a eu lieu ("Après avoir parcouru cinq cents stades, on arriva dans le lieu où Bessos s’était emparé de Darius III. On arrêta Mélon l’interprète du Grand Roi : malade, il n’avait pas pu suivre l’armée, et surpris par l’arrivée inopinée d’Alexandre il avait déserté. De lui, on apprit tout ce qui s’était passé", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.6-7 ; "On confirma [à Alexandre] que Darius III, prisonnier de Bessos, était traîné sur un char, que celui-ci avait été porté au commandement par les cavaliers bactriens et les autres barbares, qu’Artabaze et ses enfants ainsi que les Grecs toujours fidèles à Darius III, n’approuvant ni ne pouvant empêcher cette trahison, s’étaient retirés sur les montagnes sans vouloir reconnaître Bessos. Le projet de ce dernier et de ses comparses était, si Alexandre les poursuivait, de lui livrer Darius III et d’obtenir grâce à ce prix, sinon de lever le plus de troupes qu’ils pourraient et de se partager l’Empire sous garanties réciproques. Bessos les commandait pour l’instant, comme parent de Darius III et satrape du pays dans lequel ils se trouvaient", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 21.4-5). Il continue sa route au pas de course, en suivant la direction que lui indique Brochubelos, que Quinte-Curce présente comme un autre fils de Mazaios (peut-être qu’"Antibelos" chez Arrien et "Brochubelos" chez Quinte-Curce sont une unique personne : "Ils avaient parcouru trois cents stades quand Brochubelos, fils de Mazaios le gouverneur de Syrie, vint à sa rencontre. Ayant déserté, il informa [Alexandre] que Bessos se trouvait à moins de deux cents stades, que l’armée n’était absolument pas sur ses gardes, qu’elle avançait en Hyrcanie de façon désordonnée, qu’en accélérant l’allure il pourrait tomber sur eux en pleine confusion, et que Darius III était toujours en vie", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.11). Enfin il rattrape les fuyards près d’une cité mentionnée par Quinte-Curce (Histoire d’Alexandre le Grand, VI, 2.15), sur laquelle nous ne savons presque rien, seulement son nom traduit en grec et son avatar latin, "Hécatompyles/EkatÒmpuloj", littéralement la "cité aux cent/˜katÒn portes/pÚloj", future capitale de l’Empire parthe (site archéologique en bordure de la route 44 reliant les actuelles villes de Semnan et Damghan en Iran, 35°57'11"N 54°06'09"E), mais trop tard : Bessos, aidé par Barsaentès le satrape d’Arachosie-Drangiane et Satibarzanès le satrape d’Arie, criblent Darius III de traits et s’échappent en le laissant agonisant au milieu de sa suite ("Malgré les fatigues que ses troupes et ses chevaux avaient éprouvées dans une longue route, [Alexandre] força sa marche toute la nuit, et le jour suivant à midi il arriva à une cité où les fuyards avaient campé la veille. Il apprit que les barbares devaient marcher de nuit, et qu’il pouvait les rattraper en empruntant un chemin plus court mais sans point d’eau. On l’y conduisit. Son infanterie ne pouvait pas suivre les chevaux, cinq cents cavaliers cédèrent les leurs à autant de fantassins d’élite et à leurs officiers qui les montaient, sans changer d’armes. Nicanor commandant les hypaspistes, Attale chef des Agriens, et quelques autres légèrement armés, suivirent la route prise par les fuyards, le reste de l’infanterie marchant en formation carrée. Alexandre partit sur le soir et courut à toutes brides. Après un chemin de quatre cents stades, au point du jour il atteignit les barbares qui fuyaient en désordre et sans armes. Peu lui résistèrent : en le voyant, la plupart se sauvèrent sans combattre, quelques-uns périrent dans l’action. Bessos et ses complices entraînèrent Darius III. Dès qu’ils se virent pressés par Alexandre, Satibarzanès et Barsaentès massacrèrent Darius III, le laissèrent agonisant, et s’échappèrent avec six cents chevaux. A l’arrivée d’Alexandre, Darius III n’était plus", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 21.6-10). La fin du récit de Quinte-Curce, au livre V de son Histoire d’Alexandre le Grand, ne nous est malheureusement pas parvenue dans son intégralité. Quinte-Curce décrit de façon très cinématographique le nuage de poussière que Bessos voit s’élever à l’horizon, provoqué par les sabots des chevaux d’Alexandre galopant vers lui, la panique des putschistes qui s’ensuit, leur précipitation à tuer Darius III, leurs gesticulations, leurs cris, leur débandade qui produit un autre nuage de poussière ("On entendit bientôt le bruit que les ennemis produisaient en marchant sur la route, mais le nuage de poussière empêchait de les voir. [Alexandre] ralentit l’allure pour que la poussière retombât. Les barbares le virent en même temps que lui les vit. L’infériorité d’Alexandre était criante, encore aurait-il fallu que Bessos fût aussi courageux pour se battre que pour trahir son Grand Roi : les barbares, pourtant plus nombreux et plus robustes, et plus reposés que leurs adversaires qui étaient épuisés, prirent peur et s’enfuirent au seul nom d’Alexandre, dont la réputation joua encore son rôle comme dans les campagnes précédentes. Bessos et ses complices gagnèrent la voiture de Darius III, lui conseillèrent de prendre un cheval et de s’enfuir pour échapper à l’ennemi. Mais Darius III déclara que les dieux vengeurs étaient avec lui et, s’en remettant à la loyauté d’Alexandre, refusa de partir avec des assassins. Furieux, ils frappèrent le Grand Roi de leurs traits et l’abandonnèrent criblés de coups", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.12-16). Bessos court vers sa satrapie de Bactriane, son complice Nabarzanès se débine quant à lui vers une province hyrcanienne indéterminée ("Après avoir exécuté leur crime, Nabarzanès et Bessos voulurent assurer leur fuite en se dispersant, le premier en se dirigeant avec quelques cavaliers vers l’Hyrcanie, le second vers la Bactriane", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.18). Tandis que le nuage de poussière redescend, Quinte-Curce montre les conquérants macédoniens fouiller frénétiquement chaque véhicule abandonné dans l’espoir d’y découvrir Darius III mort ou vif ("Personne parmi les prisonniers ne put désigner la voiture de Darius III. On eut beau les fouiller l’une après l’autre, on ne trouva aucune trace de la présence du Grand Roi", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.20). Plutarque, qui s’en inspire, raconte la même chose ("Passant sur les tas d’or et d’argent répandus à terre, à travers les nombreux chariots sans conducteurs remplis de femmes et d’enfants, [les Macédoniens] coururent à toute bride vers les escadrons les plus avancés, où ils pensaient que devait être Darius III", Plutarque, Vie d’Alexandre 43). Mais le véhicule dans lequel Darius III agonise, déserté par son conducteur, livré au bon vouloir de ses chevaux, a quitté la route et dérive solitairement sur plusieurs kilomètres, jusqu’à une rivière où les chevaux, accablés par la course qu’on leur a imposée, s’arrêtent pour se désaltérer ("Pendant ce temps, les chevaux qui tiraient la voiture de Darius III, privés de conducteurs, avaient quitté la route, et après avoir erré au hasard sur quatre stades ils s’arrêtèrent dans une vallée, accablés par la chaleur et par leurs blessures", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.23). Les soldats d’Alexandre abandonnent leur recherche. L’un d’eux nommé "Polystrate" s’avance jusqu’à la rivière. Il retire son casque, le plonge dans le cours d’eau pour le remplir, boit quelques gorgées, et remarque soudain la présence du véhicule. Il s’interroge ("Près de là se trouvait une source, que les gens du pays avaient indiquée à un Macédonien assoiffé nommé ‟Polystrate”. Celui-ci était en train de puiser l’eau dans son casque, quand il vit soudain les chevaux défaillants qui avaient encore des traits plantés dans leur chair. Ne comprenant pas pourquoi ils étaient ainsi criblés [texte manque]", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 13.24-25). La fin mutilée de la séquence de Quinte-Curce a été conservée par Plutarque : Polystrate s’avance prudemment vers le véhicule abandonné, dresse la tête, et découvre le Grand Roi baignant dans son sang. Celui-ci lui demande à boire, Polystrate porte à ses lèvres son casque rempli de l’eau de la rivière, Darius III le remercie, et expire. Alexandre arrive peu après : sans dire un mot, il recouvre de son manteau la dépouille de son adversaire définitivement vaincu ("Couché dans le charriot, le corps percé de traits, sur le point d’expirer, [Darius III] demanda à boire. Il but l’eau fraîche que Polystrate lui donna, puis dit : “Soldat, je suis malheureux de ne pas pouvoir récompenser ton bienfait, mais Alexandre s’en chargera à ma place. Que les dieux le récompensent de la douceur qu’il a témoignée à ma mère, à ma femme et à mes enfants. Tu mettras pour moi ta main dans la sienne, en gage de ma reconnaissance”. En finissant ces mots, il mit sa main dans celle de Polystrate, et il expira. Alexandre arriva alors, et exprima une vive douleur. Il détacha son manteau, et le jeta sur le corps de Darius III pour l’envelopper", Plutarque, Vie d’Alexandre 43 ; l’historien Justin raconte la même scène : "Après une course de quelques milles, n’ayant pas trouvé trace de Darius III, [Alexandre] laissa reposer ses cavaliers. C’est alors qu’un soldat trouva, dans une voiture abandonnée au bord d’une rivière, Darius III percé de traits mais respirant encore. Il appela un captif pour servir d’interprète. Le Grand Roi, en entendant la langue de ses pères, se consola de ses malheurs en disant que cet homme qui pouvait le comprendre conserverait ses dernières paroles. Il le chargea de répéter ces paroles à Alexandre : “Je n’ai jamais rien fait pour toi, et pourtant je meurs comblé par tes bienfaits, puisque tu as traité ma famille captive avec la générosité d’un roi et non pas avec la dureté d’un vainqueur. Mieux traité par mon ennemi que par les membres de ma propre famille, je constate qu’Alexandre a préservé la vie de mes enfants et de ma mère, et que je meurs de la main de mes proches qui me doivent leur vie et leurs situations. Le vainqueur saura les récompenser. Je consacre mes derniers instants à prier les dieux célestes et infernaux de veiller sur Alexandre, de lui accorder le succès et l’empire de l’univers. Ma personne ne réclame au vainqueur qu’une faveur légitime et modique : une sépulture. Mais le Grand Roi réclame vengeance, et le monde attend réparation : ton intérêt autant que la justice t’obligent à punir les meurtriers, peu importe la façon, sinon tu t’exposeras au danger et à la honte”. En gage de sa foi royale, il mit sa main dans celle du soldat, et le chargea de mettre la sienne en son nom dans celle d’Alexandre. Il expira aussitôt après. A cette nouvelle, Alexandre alla voir le corps de Darius III. Il versa des larmes sur cette mort indigne, célébra ses funérailles avec une pompe royale, et ensevelit ses restes dans le tombeau de ses ancêtres", Justin, Histoire XI.15 ; nous rejetons la version de Diodore de Sicile qui, seul parmi les biographes alexandrins antiques parvenus jusqu’à nous, place le régicide de Darius III en Bactriane et non pas en Hyrcanie, et montre le vaincu encore vivant quand le vainqueur arrive : "[Darius III], occupé à lever des troupes de la Bactriane et des autres provinces de son Empire, s’était retiré précipitamment à Bactres pour échapper à la marche d’Alexandre, avec les trente mille Perses et mercenaires déjà rassemblés. Au moment où il sortit de la cité, il fut égorgé traitreusement par Bessos le satrape de Bactriane. Alexandre, qui poursuivait Darius III à la tête de ses cavaliers, apprit sa mort, il chercha son corps pour l’ensevelir honorablement. Certains ont écrit qu’Alexandre trouva Darius III encore vivant, qu’il le plaignit de ses malheurs, et, sur la demande du Grand Roi expirant, lui promit de le venger", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.73). Telle est la fin du dernier Grand Roi de l’Empire perse, sur lequel Arrien dresse une épitaphe à la finalité ambiguë : s’apitoie-t-il sur le destin lamentable de Darius III, ou s’en moque-t-il en soulignant le décalage entre sa vie ratée et les honneurs posthumes qu’il a reçus ("Ainsi périt Darius III, à l’âge de cinquante ans, Aristophon étant archonte à Athènes [entre juillet -330 et juin -329], dans le mois d’hécatombaion [mi-juillet à mi-août dans le calendrier chrétien : cela signifie que la mort de Darius III date de juillet ou août -330]. Ce souverain faible et peu versé dans l’art militaire n’opprima pas ses peuples : attaqué par les Grecs et les Macédoniens il n’en eut pas le temps, et quand bien même il en aurait eu la volonté ses propres périls suffisaient pour l’en détourner. Il fut malheureux pendant tout le cours de sa vie, et son règne ne fut qu’un enchaînement de calamités : la guerre commença effectivement par la défaite de ses satrapes sur le Granique, il perdit l’Ionie, l’Eolie, les deux Phrygies, la Lydie et la Carie, même Halicarnasse lui fut finalement enlevée, ainsi que toutes les côtes maritimes jusqu’à la Cilicie, complètement battu lui-même près d’Issos il vit sa mère, sa femme et ses enfants tomber au pouvoir de l’ennemi, dépouillé de la Phénicie et de l’Egypte il livra la bataille d’Arbèles, s’enfuit parmi les premiers en perdant une armée innombrable et l’élite de vingt nations, fugitif, banni dans son Empire, dénué de tout secours, Grand Roi devenu captif de ses sujets, il fut traîné avec ignominie par les compagnons de sa fuite qui le trahirent et l’égorgèrent. Et voici que par un contraste étrange, il obtint après sa mort des obsèques magnifiques, une éducation magnifique pour ses enfants, et Alexandre pour gendre [en -324, nous verrons cela dans notre prochain paragraphe, Alexandre se mariera avec Stateira la jeune, fille de Darius III, pour bien signifier la filiation qu’il revendique entre l’Empire perse et lui]", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 22.2-6) ?

  

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