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La Phénicie

La Philistie

L’Egypte

Vers la Mésopotamie

Bataille de Gaugamèles

Le temps perdu

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte III : Sophocle

Acte IV : Alexandre

Le temps gagné

Acte V : Le christianisme

© Christian Carat Autoédition

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La campagne du Croissant Fertile

(automne -333 à automne -331)

La conquête de la Philistie (été -332 à automne -332)


Alexandre continue sa marche vers le sud, Héphestion le suit en cabotage avec la flotte victorieuse des Tyriens ("Le roi avança vers Gaza avec toutes ses troupes, après avoir ordonné à Héphestion de longer la côte phénicienne avec la flotte", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 5.10). Il ne trouve aucun obstacle sur sa route. Mais quand il arrive à l’extrême sud de la Philistie, le gouverneur de Gaza (aujourd’hui le site archéologique de Tell Es-Sakan au sud de la ville moderne de Gaza, en bordure du fleuve Besor, 31°28'32"N 34°24'16"E), un eunuque nommé "Batis", avec des Arabes qui l’ont suivi, décide de lui interdire le passage vers l’Egypte ("[Alexandre] s’empara de toutes les cités de Palestine ["Palaist…nh", hellénisation de "Palaestina", lui-même latinisation du grec "Philistie/Filist…a"], sauf une, Gaza où commandait l’eunuque Batis. Celui-ci avait introduit dans la place des troupes d’Arabes à sa solde et des provisions pour un long siège qu’il espérait soutenir facilement, la place paraissant imprenable par sa situation. La cité de Gaza est à vingt stades de la mer, le sol autour d’elle est fangeux, couvert de sables difficiles à traverser. Elle est assise au sommet d’une hauteur, et défendue par de fortes murailles. Située à l’entrée du désert, elle est la clé de l’Egypte du côté de la Phénicie", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 25.4-26.1 ; "Alexandre assiégea Gaza, dont le commandant militaire Batis était totalement dévoué au Grand Roi, et avait sous ses ordres une petite garnison pour défendre les puissantes murailles de la cité", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.7). Au grand dam de ses ingénieurs qui lui disent que la cité est inexpugnable tant par la hauteur de ses remparts que par le sol meuble qui l’entoure, Alexandre insiste pour s’en emparer ("Alexandre était déterminé à l’emporter. Il installa son camp dès le premier jour aux pieds de la cité, du côté le plus faible, et ordonna d’y dresser les machines. Les ingénieurs lui montrèrent que la hauteur du lieu sur lequel les murs s’élevaient, les mettait hors d’atteinte. Alexandre s’irrita de cette difficulté, estimant qu’une conquête inattendue en ce lieu serait justement l’occasion de terroriser l’ennemi, et qu’en cas d’échec il se couvrirait de honte face aux Grecs et face à Darius III. Il éleva donc autour de la cité une terrasse assez haute pour rouler les machines contre les murs, en commençant l’ouvrage du côté méridional qui lui paraissait plus facile à vaincre. Les travaux achevés, les Macédoniens montèrent les machines", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 26.2-4 ; "Alexandre ordonna de creuser des galeries, car le sol était léger, friable, et se prêtait bien à ce type d’ouvrage, la mer toute proche apportait beaucoup de sable et aucune pierre ni rocher ne gênerait le travail. On commença donc par creuser du côté invisible depuis la cité. Alexandre approcha des tours près des murs pour détourner l’attention. Mais le terrain rendit les manœuvres difficiles, les roues s’enfoncèrent et patinèrent dans le sable, les étages intermédiaires s’effondrèrent, les traits tombaient sans qu’on pût riposter, et il fut bientôt aussi pénible de pousser les tours en avant qu’en arrière. On se replia donc", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.8-10). Une escarmouche manque de se terminer mal pour les Grecs : Alexandre est visé une première fois par un Arabe qui réussit presque à l’atteindre à la nuque ("Les assiégés sortirent de leur cité, foncèrent sur les ennemis qui battaient en retraite, pensant que leurs hésitations leur donnaient une chance. Mais ils attaquèrent avec plus de fougue que de persévérance, et s’arrêtèrent brusquement en voyant les Macédoniens revenir sur eux. Le bruit du combat parvint jusqu’au roi. Sans tenir compte du danger qui lui avait été signalé, il gagna les premiers rangs. A la demande de ses Amis, il revêtit toutefois sa cuirasse qu’il ne portait presque jamais. Un Arabe, simple soldat dans l’armée de Darius III, tenta un exploit surprenant pour son grade : tenant une épée cachée sous son bouclier, il se prosterna devant le roi et se présenta comme un déserteur, le roi lui ordonna de se relever et de prendre place dans les rangs, le barbare saisit alors vivement son épée de la main droite pour tenter de frapper le roi à la nuque, celui-ci évita le coup en se baissant légèrement, et avec son épée trancha la main du barbare qui avait cherché à l’atteindre", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.13-16), puis manque de mourir par un projectile indéterminé qui l’atteint au tronc et traverse sa cuirasse ("Les assiégés sortirent en force, pendant que les Arabes depuis un emplacement élevé tentèrent d’incendier les machines et de cribler de traits les Macédoniens qui résistaient en contrebas. […] Alexandre prit avec lui les hypaspistes pour aider les Macédoniens à l’endroit où ils étaient le plus dangereusement pressés. Il les empêcha de fuir honteusement après un mouvement de repli, mais lui-même fut touché par un projectile de baliste qui traversa bouclier et cuirasse de part en part", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 27.1-2 ; "Le roi en première ligne reçut une flèche qui traversa sa cuirasse, et que son médecin Philippe retira de son épaule. Il se mit alors à saigner abondamment. Tout le monde fut inquiet car la cuirasse empêchait de voir jusqu’où le trait avait pénétré. Sans changer de couleur, il ordonna d’arrêter l’hémorragie et de panser la plaie, et resta en première ligne en cachant ou en surmontant sa douleur. Mais son sang, contenu par le bandage, se mit à couler plus fort, et après un moment de répit ses souffrances reprirent quand la plaie fut de nouveau à vif. Il perdit connaissance et tomba de cheval. Ses compagnons le transportèrent au camp. Persuadé que le roi était mort, Batis rentra dans la cité en célébrant sa victoire", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.17-20). Le siège se durcit, notamment par la fureur du roi qui n’a pas accepté d’être atteint physiquement par les soldats de Batis ("Avant même la guérison complète de sa blessure, Alexandre ordonna la construction d’une plate-forme arrivant au niveau des remparts et le creusement des galeries en plusieurs endroits afin de saper les murs. Les assiégés surélevèrent l’ancien rempart en dressant une nouvelle ligne de défense, sans pouvoir atteindre la hauteur des tours dressées sur la terrasse. Les quartiers à l’intérieur de la cité devinrent ainsi exposés aux tirs", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.21-22). Abandonnée par Darius III, encerclée par terre et par mer, et ne disposant que de faibles forces, la cité est finalement investie au bout de deux mois ("Le roi arriva à Gaza en Palestine, encore occupée par les Perses, qu’il conquit par force après un siège de deux mois", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.48), après un assaut durant lequel un nommé "Néoptolème" (peut-être le père de Méléagre, qui se nomme également Néoptolème selon Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 29.4) se distingue particulièrement ("On battit de tous côtés les murs, après avoir pris la précaution de les miner secrètement : ébranlés par la mine et par la sape, ils s’écroulèrent. Les Macédoniens écartèrent par des traits les défenseurs qui paraissaient en haut des tours. Trois fois les assiégés soutinrent, avec des pertes considérables, l’effort des Macédoniens. Mais au quatrième assaut, Alexandre donnant l’assaut avec sa phalange et employant ses machines de tous côtés, les Macédoniens parvinrent à appliquer des échelles. Une vive émulation se manifesta entre les braves pour monter le premier. L’hétaire Néoptolème, de la race des Eacides, devança les autres. Il fut suivi par les stratèges et par leurs troupes. Des Macédoniens pénétrèrent dans l’intérieur des remparts, ouvrirent les portes aux leurs, toute l’armée entra. Les habitants de Gaza se rassemblèrent pour faire face à l’ennemi désormais maître de la cité : chacun d’eux n’abandonna son poste qu’avec la vie. Alexandre réduisit à l’esclavage leurs femmes et leurs enfants, remplit la cité d’une colonie de peuples voisins, et la transforma en place forte pour le reste de sa campagne", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 27.4-7). Batis est capturé vivant, et amené devant Alexandre par Léonnatos et Philotas ("Le dernier malheur qui frappa la cité fut l’effondrement du mur sapé par les mines. Les ennemis s’introduisirent par la brèche. Le roi s’avança en tête sans prendre garde quand il fut touché à la jambe par une pierre. Il continua à se battre au premier rang en s’appuyant sur son arme, bien que sa première blessure ne fût pas encore cicatrisée, furieux d’avoir été blessé deux fois au cours du siège de la cité. Après s’être remarquablement battu et avoir reçu plusieurs blessures, Batis fut abandonné des siens", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV 6.23-25). Alexandre est-il agacé d’avoir perdu encore du temps dans sa marche vers l’Egypte ? Son orgueil a-t-il mal supporté les atteintes physiques infligées par les assiégés ? Son attitude relève-t-elle du racisme ordinaire ? Batis le gouverneur de Gaza, selon Hégésias de Magnésie, orateur qui a peut-être participé à l’expédition d’Alexandre, dont les œuvres ont disparu mais dont un passage concernant le siège de Gaza de -332 est cité intégralement par Denys d’Halicarnasse (qui ne l’aime pas) dans son discours Sur la composition des mots, a effectivement la peau noire : on subodore qu’Alexandre supporte difficilement de devoir se dire que son épopée a été stoppée pendant deux mois à cause d’un eunuque noir. En tous cas, pour calmer sa colère, et pour redorer sa légende mise à mal par cet Africain châtré qui a menacé sa vie, il organise une scène qui le replace dans la lignée de son illustre ancêtre et modèle, Achille : comme Achille avait jadis exposé le corps mort de son adversaire Hector en le traînant attaché derrière son char autour de Troie ("Au divin Hector [Achille] prépare un sort outrageux. A l’arrière des deux pieds, il lui perce les tendons entre cheville et talon, il y passe des courroies, et il les attache à son char, en laissant la tête traîner. Puis il monte sur le char, emportant les armes illustres. D’un coup de fouet, il enlève ses chevaux, et ceux-ci pleins d’ardeur s’envolent. Un nuage de poussière s’élève autour du corps ainsi traîné, ses chevaux sombres se déploient, sa tête gît dans la poussière, tête jadis charmante que Zeus maintenant livre à ses ennemis pour qu’ils l’outragent à leur gré sur la terre de sa patrie", Homère, Iliade XXII.395-404), Alexandre attache à son char Batis encore vivant et le traîne autour de Gaza jusqu’à temps qu’il expire ("Je cite un passage [d’Hégésias] extrait de son histoire pour être plus clair, et prouver par comparaison à quel point les rythmes nobles sont beaux et leurs contraires sont laids […] : “Le roi avança à la tête de ses troupes. Les chefs ennemis projetèrent de venir à lui pour attenter à sa personne, convaincus qu’en l’abattant ils abattraient en même temps toute son armée. Cet espoir audacieux et sans précédent menaça grandement la vie d’Alexandre. Un des ennemis se prosterna comme pour implorer sa clémence. Alexandre lui ayant permis d’approcher, il tira alors une épée cachée sous sa cuirasse et, avec difficulté, le frappa d’un coup qui ne fut pas mortel. Alexandre tua lui-même son assaillant d’un coup d’épée à la tête, tandis que ses proches devinrent furieux : consternés par la tentative qu’ils venaient de voir ou d’entendre, enflammés par le geste désespéré de cet homme, ils sonnèrent aussitôt l’assaut et tuèrent six mille barbares. Batis fut amené vivant devant le roi par Léonnatos et Philotas. En le voyant si corpulent, si grand, avec l’air sauvage que lui conférait sa peau noire, Alexandre se mit à haïr son apparence autant que ses mauvaises intentions à son égard. Il ordonna qu’on liât ses pieds avec une chaîne de bronze et le traîna en rond, nu. Déchiqueté par toutes les aspérités du sol, il poussa des hurlements. Cela, je l’affirme, attira les hommes. Ses souffrances augmentèrent, et il hurla en langue barbare, suppliant son maître. Et son langage provoqua leur rire. Sa corpulence, son embonpoint évoquèrent une créature, une grosse bête babylonienne. La foule s’amusa donc, en un hybris typique de la soldatesque, à outrager cet ennemi d’apparence hideuse et grossier dans ses manières”", Denys d’Halicarnasse, Sur la composition des mots 18 ; "Quand on amena [Batis] au roi, qui était habituellement capable d’admirer le courage d’un ennemi, il manifesta sa joie avec tout l’excès de la jeunesse : “Non, ta mort ne sera pas celle que tu avais voulu, dit-il, attends-toi à subir toutes les tortures qu’on peut inventer contre un prisonnier”. Sans se laisser intimider, Batis regarda le roi d’un air de défi, sans répondre à ses menaces. Alexandre s’écria alors : “Vous voyez comme il s’entête à se taire ? S’est-il jeté à mes genoux ? M’a-t-il supplié ? Je finirai par briser ce silence, au milieu des gémissements si je ne peux pas le faire autrement”. Puis sa colère se mua en rage […]. On attacha des courroies aux talons de l’homme qui respirait encore, et les chevaux firent le tour de la cité en le traînant derrière le char. Le roi se vanta d’avoir suivi, pour punir son ennemi, l’exemple d’Achille dont il prétendait descendre", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.26-29). Cette victoire a coûté cher en hommes : Alexandre envoie Amyntas chercher des renforts en Grèce pour combler les vides avant d’entrer en Egypte ("On compta environ dix mille morts chez les Perses et les Arabes. La victoire engendra aussi beaucoup de victimes du côté macédonien. […] Pressé d’arriver en Egypte, Alexandre envoya Amyntas avec trente trières chercher des nouveaux renforts en Macédoine. Il avait effectivement perdu beaucoup d’hommes en dépit de ses victoires, et les soldats recrutés dans les pays vaincus lui paraissaient moins sûrs que l’armée nationale", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 6.30-31 ; "Alexandre séjournant à Gaza envoya vers la Macédoine son favori Amyntas avec dix navires pour qu’il y levât des jeunes soldats", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.49). Mais elle a aussi apporté un gros butin que, selon Plutarque, le vainqueur s’empresse d’envoyer à son précepteur Léonidas avec un mot taquin signifiant : "Maintenant vous n’aurez plus de raison d’être pingre comme vous me l’avez enseigné naguère !" ("Il envoya la plus grande partie du butin à Olympias, à Cléopâtre et à ses amis, dont cinq cents talents d’encens et cent talents de myrrhe pour son pédagogue Léonidas, en guise de réponse à une remarque que celui-ci lui avait adressée dans sa jeunesse. Ayant vu Alexandre prendre à pleines mains de l’encens et le jeter dans le feu lors d’un sacrifice, Léonidas lui avait effectivement dit : “Quand tu auras conquis le pays des aromates, Alexandre, tu pourras prodiguer ainsi l’encens, mais pour l’heure il faut en user avec plus de modération”. Alexandre lui écrivit : “Voici une abondante provision d’encens et de myrrhe, pour que vous ne soyez plus si économe envers les dieux”", Plutarque, Vie d’Alexandre 25). Encore pour l’anecdote, selon Flavius Josèphe, c’est à ce moment que meurt Sanaballétès le gouverneur de Samarie ("Après sept mois que dura le siège de Tyr et deux celui de Gaza, Sanaballétès mourut", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.325) : s’agit-il d’une mort naturelle, ou a-t-il péri en combattant au côté d’Alexandre pour la conquête de Gaza ?


Arrien (Anabase d’Alexandre, II, 27.7 précité) dit qu’Alexandre "réduisit à l’esclavage les femmes et les enfants, remplit la cité d’une colonie de peuples voisins, et la transforma en place forte pour le reste de sa campagne". On aimerait bien savoir qui sont ces "peuples voisins" installés à Gaza. On se souvient que jadis, après sa prise de Babylone en octobre -539, le Perse Cyrus II a favorisé le retour des juifs à Jérusalem et le relèvement de leur Temple pour s’attirer leur alliance, ou du moins leur neutralité bienveillante, assurant ses arrières lors de la conquête projetée de l’Egypte (qu’il n’a finalement pas réalisée, étant mort avant, c’est son fils Cambyse II qui s’est chargé de mener ce projet à son terme) : c’est possible qu’Alexandre se soit comporté pareillement avec les juifs de son temps avant de continuer sa route vers l’Egypte. Certains spécialistes modernes rappellent que Quinte-Curce, Flavius Josèphe, Arrien, écrivent à l’époque romaine, au Ier et au IIème siècles, et que quand Quinte-Curce et Arrien parlent des Arabes à Tyr et à Gaza, quand Flavius Josèphe parle des juifs à Jérusalem et à Samarie, ils calquent peut-être la réalité des relations entre juifs et Arabes de leur temps romain sur le temps d’Alexandre. A ces spécialistes, nous répondons que, primo les juifs et les Arabes n’ont pas attendu l’époque romaine (ni l’époque des Grecs d’Alexandre, ni l’époque des Perses de Cyrus II) pour commencer à se taper dessus, deusio Quinte-Curce et Arrien s’appuient sur les témoignages des compagnons d’Alexandre pour raconter son épopée (contrairement à d’autres auteurs, tel Diodore de Sicile ou Plutarque qui s’appuient sur des gens comme le rhéteur Clitarque ayant vécu après les événements et dont les déclarations restent sujettes à caution, ou sur des œuvres comme le Roman d’Alexandre de pseudo-Callisthène dont des passages entiers relèvent d’une pure invention), et tertio la combinaison des récits de ces trois historiens semblent apporter des explications et des développements sur les faits historiques dans cette partie du monde vers -332/-331. En effet, nous avons vu plus haut qu’au moment du siège de Tyr, les Jérusalémites ont froissé Alexandre en demeurant attentistes. Gaza étant conquise, plus rien n’empêche Alexandre de fondre sur ces derniers pour les punir. Or, selon Flavius Josèphe, les choses ne se passent pas ainsi. Iaddous le Grand Prêtre du Temple de Jérusalem fait un rêve de circonstance, dans lequel Yahvé lui commande d’ouvrir les portes de la cité à Alexandre. Iaddous ouvre donc les portes de Jérusalem. Satisfait de ce changement d’attitude des juifs à son égard, Alexandre se prosterne devant le Grand Prêtre, les Jérusalémites laissent alors exploser leur joie et le reconnaissent comme leur nouveau roi ("Alexandre, s’étant emparé de Gaza, se hâta de monter vers Jérusalem. Le Grand Prêtre Iaddous à cette nouvelle fut rempli d’angoisse, ne sachant comment se présenter aux Macédoniens, dont le roi devait être très irrité de sa récente désobéissance [allusion à la reconduction polie des ambassadeurs macédoniens au moment du siège de Tyr]. Il ordonna donc au peuple des supplications et, offrant avec lui un sacrifice à Dieu ["QeÒj", c’est-à-dire Yahvé], il pria celui-ci de défendre son peuple et d’écarter les dangers qui le menaçaient. Comme il se reposait après le sacrifice, Dieu lui apparut en rêve et lui commanda de garder confiance, d’orner la cité de fleurs, d’en ouvrir les portes, et, le peuple en vêtements blancs, lui-même et les prêtres revêtus de leurs ornements sacerdotaux, d’aller à la rencontre d’Alexandre sans redouter aucun mal, car ils seraient protégés par la providence divine. Iaddous à son réveil se réjouit vivement et rapporta à tous sa vision. Après avoir accompli tout ce que le rêve lui avait ordonné, il attendit l’arrivée du roi. Quand il apprit que le roi approchait de la cité, il sortit avec les prêtres et la foule des habitants, et s’avança à la rencontre d’Alexandre en un cortège digne de ses fonctions sacrées et incomparable chez les autres peuples. Il marcha jusqu’à un lieu appelé ‟Sapha” ["Safein"], qu’on traduit en grec par ‟Skopia” ["SkopÒn/l’Observatoire, le Panorama"] parce que de là on peut voir la cité de Jérusalem et le Temple. Les Phéniciens et les Chaldéens qui accompagnaient le roi espéraient que celui-ci exprimerait sa colère contre les juifs, pillerait la ville et exécuterait cruellement le Grand Prêtre. Mais les choses tournèrent tout autrement. En effet, dès qu’Alexandre vit de loin cette foule en vêtements blancs, prêtres en tête revêtus de leurs robes de lin, et le Grand Prêtre dans son costume couleur d’hyacinthe et tissé d’or, coiffé de la tiare surmontée de la lame d’or sur laquelle était écrit le nom de Dieu [Yahvé], il s’avança seul, se prosterna devant ce nom, et salua le Grand Prêtre. Tous les juifs saluèrent alors d’une seule voix Alexandre et l’entourèrent", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.325-331). Ce scénario est crédible, car il s’accorde parfaitement avec l’habileté politicienne d’Alexandre consistant à s’adapter à la mentalité de son interlocuteur pour le séduire et le soumettre en douceur, et éviter ainsi de devoir systématiquement prendre les armes : Alexandre reconnaît le monothéisme des juifs comme il reconnaîtra bientôt le polythéiste des Egyptiens, il reconnaît Yahvé de la même façon qu’il a reconnu Melkart hier et qu’il reconnaîtra Marduk demain, il reconnaît le régime théocratique des Grands Prêtres avec le même empressement qu’il a reconnu le régime monarchique commerçant des cités phéniciennes après Issos et le régime démocratique athée des cités grecques anatoliennes après son débarquement à Abydos. On remarque par ailleurs que ce scénario reproduit à l’identique celui de jadis vis-à-vis du Perse Cyrus II, consigné dans le livre d’Isaïe II : dans le discours des Grands Prêtres, Alexandre comme jadis Cyrus II n’apparaît pas comme le conquérant de Jérusalem mais comme le protégé de Yahvé ou, pour reprendre la terminologie d’Isaïe II, le Mashiah (l’"Oint [de Yahvé]" en hébreu) qui "abaisse les nations devant lui" et "piétine les rois" (Isaïe II 41.2), qui "piétine les gouverneurs comme on piétine de la boue ou comme un potier foule aux pieds son argile" (Isaïe II 41.25), qui "soumet les nations, ôte aux rois leurs pouvoirs et ouvre les portes verrouillées des cités" (Isaïe II 45.1), parce que Yahvé "marche devant lui", "aplanit les obstacles" (Isaïe II 45.2) et guide son épée. Pour les Grands Prêtres, qui sont bien conscients que l’envahisseur macédonien les mangera en une bouchée s’ils persistent dans leur attentisme méfiant, et qui en même temps ne veulent pas perdre la face par rapport à leurs compatriotes judéens, Alexandre n’est pas un homme autonome qui prend seul ses décisions, il est un outil dans les mains de Yahvé, il est l’instrument de Yahvé : ils n’ont donc aucune raison d’empêcher cet instrument divin de venir à Jérusalem, au contraire, en l’accueillant ils se rapprochent de Yahvé, et rassurent leurs compatriotes qui commençaient à craindre avec raison pour leur vie (et tant pis s’ils s’assoient ainsi sur Ezékiel qui, contrairement à Isaïe II, refusait de considérer tout roi étranger comme le Mashiah et voulait interdire Jérusalem aux non-juifs). Selon Flavius Josèphe, un nouveau différend éclate entre Alexandre et Parménion : celui-ci trouve indigne qu’on puisse s’abaisser de cette façon devant un peuple qui a tardé à présenter sa reddition, celui-là lui signifie que, pour pasticher la célèbre formule de Clausewitz, la religion est la continuation de la guerre par un autre moyen, en lui racontant un vague souvenir d’enfance et, anticipant Henri IV pour qui Paris vaudra bien une messe, en offrant un sacrifice au Temple sur le mode : "Ces crétins refusent de se soumettre tant qu’ils auront l’impression que je menace leur religion ? Très bien. Je m’incline devant leur Grand Prêtre, ça ne me coûte rien. Je me livre à deux ou trois simagrées à leur Temple, ça ne me coûte pas davantage. Et s’ils veulent me considérer comme un jouet dans les mains de leur Dieu hypothétique pour ne pas avoir le sentiment d’être des vaincus, je suis preneur : cela me permettra de leur demander légitimement un tribut, ou de raser légitimement leur cité s’ils me désobéissent" ("A cette vue [d’Alexandre s’inclinant devant le Grand Prêtre Iaddous], les rois de Syrie et les autres furent frappés de stupeur et soupçonnèrent que le roi avait perdu l’esprit. Parménion s’approcha seul d’Alexandre et lui demanda pourquoi, alors que tous s’inclinaient devant lui, lui-même s’inclinait devant le Grand Prêtre des juifs. “Ce n’est pas devant lui que je me suis prosterné, répondit Alexandre, mais devant le Dieu dont il a l’honneur d’être le Grand Prêtre. Un jour, à Dion en Macédoine, alors que je réfléchissais comment m’emparer de l’Asie, j’ai vu en rêve cet homme, dans le costume qu’il porte à présent, me conseillant de ne pas tarder et de me mettre en marche avec confiance car lui-même conduirait mon armée et me livrerait l’Empire des Perses. N’ayant jamais vu personne dans un semblable costume, je vois cet homme aujourd’hui et je me rappelle l’apparition et le conseil que j’ai reçu en rêve : je pense que c’est une inspiration divine qui a décidé mon expédition, que je vaincrai donc Darius III, briserai la puissance des Perses et mènerai à bien tous les projets que j’ai en tête.” Après avoir ainsi parlé à Parménion, il serra la main du Grand Prêtre et, accompagné des prêtres qui couraient à ses côtés, il se dirigea avec eux vers la ville. Il monta au Temple, offrit un sacrifice à Dieu en suivant les instructions du Grand Prêtre, et donna de grandes marques d’honneur à ce dernier et aux prêtres", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.332-336). Mais, toujours selon Flavius Josèphe, cet acte politique a une conséquence directe sur les relations avec les Samaritains. Nous avons vu plus haut que ces derniers ont apporté leur aide militaire à Alexandre au siège de Tyr, ils l’ont également assisté au siège de Gaza, où leur chef Sanaballétès est mort (de mort naturelle ou en combattant, peu importe). Quand ils voient Alexandre s’incliner devant le Grand Prêtre Iaddous, et lui accorder apparemment des faveurs ("Ayant assemblé les juifs, il les invita à exposer leurs doléances. Le Grand Prêtre demanda pour eux la liberté de vivre selon les lois de leurs pères et l’exemption d’impôt tous les sept ans. Le roi accorda tout. Ils lui demandèrent aussi de permettre aux juifs de Babylone et de Médie de vivre selon leurs propres lois : Alexandre promit de faire comme ils désiraient. Il dit ensuite aux habitants qu’ils pouvaient se joindre à son armée en conservant leurs coutumes nationales et en y conformant leur vie. Beaucoup décidèrent alors de participer à l’expédition", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.338-339), ils se troublent : comment Alexandre peut-il ainsi accorder des faveurs à des gens qui l’ont méprisé depuis des mois, en oubliant ceux - en l’occurrence les Samaritains - qui l’ont suivi depuis Tyr ? Les habitants de Sichem [aujourd’hui tell-Balâtah, site archéologique dans la banlieue est de Naplouse en Palestine, 32°12'49"N 35°16'55"E] se rendent au-devant du Macédonien pour tenter d’en obtenir les mêmes avantages. Mais désireux de bien marquer leur différence séculaire avec leurs voisins judéens, leur discours se perd en circonvolutions, et finalement Alexandre fait demi-tour en direction de l’Egypte avec un geste d’agacement ("Alexandre, après avoir ainsi tout réglé à Jérusalem, marcha contre les cités voisines. Tous ceux chez qui il arrivait l’accueillirent avec des démonstrations d’amitié. Les Samaritains, dont la capitale était alors Sichem près du mont Garizim, habitée par les dissidents du peuple juif, ayant constaté qu’Alexandre avait si magnifiquement traité les juifs, décidèrent de se présenter eux-mêmes comme juifs. Les Samaritains ont effectivement le caractère que j’ai déjà décrit plus haut : quand ils voient les juifs dans le malheur ils nient être de la même race qu’eux, avouant alors la vérité, mais quand ils voient que les mêmes juifs sont favorisés par la fortune ils se targuent immédiatement d’une parenté avec eux et prétendent être leurs proches, remontant leur origine à Ephraïm et Manassé les fils de Joseph. Solennellement, avec de grandes démonstrations de dévouement, ils allèrent donc à la rencontre du roi, presque jusqu’aux portes de Jérusalem. Ce dernier les ayant loués, les habitants de Sichem s’avancèrent jusqu’à lui, accompagnés des soldats que Sanaballétès lui avait envoyés, et le prièrent d’honorer de sa visite leur cité et leur temple. Alexandre leur promit de le faire à son retour. Mais quand ils le prièrent de les dispenser également d’impôt tous les sept ans en disant qu’eux non plus n’ensemençaient pas alors leurs champs, il demanda en quelle qualité ils lui adressaient cette requête. Ils répondirent qu’ils étaient hébreux, et que les habitants de Sichem s’appelaient ‟Sidoniens” [apparentés aux Phéniciens de la cité côtière de Sidon]. Il leur demanda ensuite s’ils étaient juifs : ils dirent qu’ils ne l’étaient pas. Alexandre conclut alors : “Je n’ai accordé cette grâce qu’aux seuls juifs. A mon retour, quand vous m’aurez mieux renseigné sur votre compte, je ferai ce qui me paraîtra bon”. C’est ainsi qu’il congédia les habitants de Sichem", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.340-344). Les Samaritains qui ont combattu à Tyr et à Gaza reprennent la route avec lui vers l’Egypte, où ils gagneront des terres ("Quant aux soldats de Sanaballétès, il leur ordonna de le suivre en Egypte où il leur donnerait des terres. Il tint promesse peu après en les installant comme nouveaux gardiens de la région de Thèbes", Flavius Josèphe, Antiquités juives XI.345). Mais on peut supposer que ceux restés au pays, dont les habitants de Sichem, n’acceptent pas les conclusions de cette entrevue ratée, puisque nous verrons plus loin que selon Quinte-Curce ils se révolteront jusqu’à assassiner Andromachos le nouveau satrape local nommé après la prise de Tyr comme nous l’avons dit dans notre alinéa précédent. Quant aux juifs de Jérusalem, on penser qu’ils sont parmi les "peuples voisins" invités avec plus ou moins de pressions à repeupler Gaza voisine, cité vaincue de leurs traditionnels adversaires arabes. Selon le même Flavius Josèphe, certains d’entre eux sont enrôlés dans l’armée grecque et participeront avec beaucoup de zèle à la conquête de l’Egypte, ils seront récompensés en obtenant les mêmes droits que les Grecs résidant dans la future Alexandrie d’Egypte ("Alexandre le Grand, ayant bénéficié de l’aide active des juifs contre les Egyptiens, leur avait permis en récompense d’habiter la cité [d’Alexandrie] avec des droits égaux à ceux des Grecs", Flavius Josèphe, Guerre des juifs II.487). Disons enfin que, sur toutes ces affaires judéo-samaritaines, un certain nombre d’exégètes continuent aujourd’hui, en l’an 2000, de rejeter en bloc les déclarations de Flavius Josèphe en déclarant agressivement qu’elles sont totalement inventées. Une rapide analyse des discours de ces exégètes permet de comprendre que leur rejet découle de raisons religieuses : ces gens refusent simplement d’admettre que les juifs se sont écrasés devant Alexandre. Nous méprisons évidemment ici ces discours qui n’ont rien de rationnel sous leurs apparences sérieuses. Peut-être qu’Alexandre n’a jamais mis les pieds à Jérusalem, peut-être qu’il s’est seulement contenté d’y envoyer des représentants, mais cela ne remet pas fondamentalement en cause le fait que les Jérusalémites se sont soumis aux Grecs sans combattre. Les prouesses rhétoriques de Flavius Josèphe - qui est un juif - pour tenter de donner à l’événement un habillage un peu plus glorieux qu’il n’en a eu, notamment en louvoyant sur le mode : "Ce n’est pas Alexandre qui a pris Jérusalem, mais Yahvé qui a conduit les pas d’Alexandre vers Jérusalem", nous conforte dans notre position. Le fait qu’après la mort d’Alexandre la Judée deviendra un royaume hellénistique exemplaire, à peine troublé par la révolte très temporaire des Maccabées dans la première moitié du IIème siècle av. J.-C., achève de nous convaincre de l’inanité de ces discours exégétiques. Quant à la question : "Pourquoi Flavius Josèphe est-il le seul auteur antique à évoquer ce passage de l’envahisseur grec à Jérusalem ?", on peut répondre simplement : "Parce que c’est son sujet, et que ce n’est pas le sujet des autres auteurs antiques". Vingt siècles de christianisme continuent à peser sur le discours de certains spécialistes qui répètent après leurs maîtres que Jérusalem a toujours eu l’importance que les juifs et les chrétiens lui confèrent depuis l’incendie du Temple en 70, mais la vérité historique est que Jérusalem ne signifie rien pour les Grecs de -332, et elle ne signifiera encore rien pour des auteurs païens de l’époque romaine : l’Histoire d’Alexandre le Grand de Quinte-Curce et l’Anabase d’Alexandre d’Arrien ne racontent pas l’Histoire des juifs, contrairement aux Antiquités juives de Flavius Josèphe, elles racontent l’épopée d’Alexandre le Grand roi de Macédoine, elles n’ont donc aucune raison de s’attarder sur les inquiétudes politico-religieuses d’un peuple périphérique d’une cité sud-levantine qui n’a alors ni une influence militaire et financière équivalente à celle des cités phéniciennes, ni une situation géographique stratégique équivalente à celle de Gaza.


La prise de Gaza assure définitivement le contrôle de la Méditerranée aux Grecs. Dans le nord, du côté de l’Hellespont, la défaite du Perse Aristoménès permet à Amphotéros et Hégélochos, les amiraux d’Alexandre, de reprendre le contrôle de l’île de Ténédos ("Les habitants de Ténédos avaient quitté le parti des Perses où ils avaient été engagés de force, pour se rallier à Alexandre", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 2.3 ; "Amphotéros et Hégélochos, avec une flotte de cent soixante navires, soumirent les îles situées en Grèce et en Asie au nom d’Alexandre. Ils prirent le contrôle de Ténédos", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 5.14-15). Les deux navarques se dirigent ensuite vers l’île de Chio, appelés par la population locale, où ils capturent Pharnabaze en personne ("[Amphotéros et Hégélochos] décidèrent de débarquer à Chio à l’appel de ses habitants. Mais Pharnabaze le général de Darius III arrêta les partisans des Macédoniens, et remis la cité, avec une garnison, à Apollonidès et à Athanagoras qui lui étaient dévoués. Les stratèges d’Alexandre poursuivirent néanmoins le siège, comptant autant sur leurs forces que sur les dispositions des assiégés. Leur espoir ne fut pas trompé : une rixe entre Apollonidès et les chefs de la garnison leur fournit l’occasion de se jeter dans la cité. A peine une porte brisée eut-elle ouvert le passage aux troupes macédoniennes, que les assiégés, fidèles à leurs anciens projets de défection, se joignirent à Amphotéros et à Hégélochos, égorgèrent les soldats perses, et livrèrent enchaînés Pharnabaze avec Apollonidès et Athanagoras, douze trières avec soldats et rameurs, trente autres sans équipage, des bateaux de pirates, enfin trois mille Grecs mercenaires de l’armée perse", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 5.15-18 ; "Ceux de Chio avaient secoué le joug des tyrans établis par Autophradatès et Pharnabaze, ils avaient capturé Pharnabaze en personne", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 2.3-4), ainsi que le tyran de Méthymna de Lesbos qui a commis l’imprudence de s’y laisser enfermer ("Le tyran de Méthymna, qui ignorait tout ce qui venait de se passer à Chio, se présenta au début de la nuit à l’entrée du port. Les gardiens lui demandèrent qui il était : il répondit qu’il était Aristonicos et venait voir Pharnabaze. On lui dit que Pharnabaze s’était retiré et qu’il était trop tard pour lui rendre visite, mais que comme ami et comme hôte il pouvait toujours entrer dans le port en attendant de rencontrer Pharnabaze le lendemain. Aristonicos n’hésita pas : il entra le premier, suivi par ses navires de pirates. Quand toutes les embarcations furent attachées à quai, les sentinelles refermèrent le port et alertèrent les gardes à proximité. Il n’y eut aucune tentative de résistance, tous furent enchaînés et amenés devant Amphotéros et Hégélochos", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 5.19-21 ; "[Les gens de Chio] avaient jeté aux fers Aristonicos le tyran de Méthymna, capturé dans le port de Chio où il s’était réfugié avec cinq navires de pirates, le croyant encore au pouvoir des Perses après que des sentinelles lui eussent assuré que Pharnabaze y stationnait avec sa flotte", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 2.4). Ils peuvent ensuite se tourner facilement vers l’île de Lesbos, la dernière à présenter un danger car sous l’autorité militaire du vieux stratège athénien Charès (le vaincu de la bataille de Chéronée en-338, installé là par Pharnabaze et Autophradatès en -333 comme nous l’avons vu dans notre paragraphe précédent) : celui-ci comprend qu’il ne peut pas vaincre, se rend, et laisse Lesbos au pouvoir d’Alexandre ("Les Macédoniens accostèrent à Mytilène, que l’Athénien Charès contrôlait depuis peu à la tête d’une troupe de deux mille Perses. N’ayant pas les moyens de soutenir un siège, celui-ci livra la place à condition qu’on le laissât partir sans le maltraiter : il cingla vers Imbros. Les Macédoniens n’exercèrent aucune représailles puisque la cité s’était rendue", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 5.22). Les tyrans fantoches des Perses sont alors livrés à la justice du peuple ("Des tyrans, parmi lesquels Aristonicos et Chrysolaos de Méthymna furent livrés à leurs anciens sujets : ils furent torturés et exécutés pour prix de leurs exactions", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 8.11). Autrement dit, la flotte perse a cessé d'exister en Méditerranée. Le choix d’Alexandre de sécuriser son flanc sud avant de s’enfoncer vers le cœur de l’Empire perse, était un bon choix : désormais Alexandre n’a plus d’ennemi maritime immédiat, à l’exception de Sparte qui reste seule, et de Démosthène et Hypéride à Athènes qui sont contraints de se taire s’ils veulent rester en vie.

  

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