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Le temps perdu

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

Le temps gagné

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© Christian Carat Autoédition

Acte IV : Alexandre

La conquête des côtes ouest et sud anatoliennes (été -334 à printemps -333)


Partant de Sardes, Alexandre soumet l’une après l’autre les cités grecques de la côte. Mais plus il s’éloigne de son point de départ, moins celles-ci semblent désireuses de couper les ponts avec la Perse.


La première cité traversée est Ephèse (aujourd’hui Selçuk près de Kuşadası en Turquie, 37°56'30"N 27°20'36"E). L’accueil est délirant. N’ayant aucun moyen militaire à opposer à Alexandre, et épouvantés par la défaite d’Arsitès au Granique, les autorités perses en place s’enfuient avant l’arrivée de l’armée grecque. Dès qu’Alexandre pénètre dans la cité, le chaos se répand. Syrphakos, le tyran fantoche installé par les Perses en -335, est lapidé avec son entourage, et ceux qui ont trafiqué avec lui sont poursuivis ("La nouvelle de cette victoire mémorable [celle du Granique, suivie de la chute de Daskyleion et de Sardes] s’étant répandue, les troupes étrangères en garnison à Ephèse prirent la fuite sur deux trières dont elles s’emparent […]. Alexandre arriva le quatrième jour à Ephèse, ramenant avec lui les bannis. Ayant aboli l’oligarchie et rétabli le régime démocratique, il assigna à Artémis les tributs qu’on payait aux barbares. Affranchi de la crainte qu’inspiraient les oligarques, le peuple rechercha pour les mettre à mort ceux qui avaient accueilli Memnon, pillé le temple d’Artémis, brisé la statue de Philippe II dans son enceinte, et renversé sur l’agora le tombeau d’Héropythos le libérateur d’Ephèse. Ils arrachèrent du temple Syrphakos, son fils Pélagon, ses neveux, et les lapidèrent", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 17.9-12). Le désir d’épuration des Ephésiens se transforme en hystérie collective, à tel point qu’Alexandre est obligé d’intervenir pour empêcher un bain de sang général ("Alexandre empêcha les recherches et les supplices de s’étendre, prévoyant que le peuple abuserait bientôt de son pouvoir et le tournerait non seulement contre les coupables mais encore contre les innocents pour satisfaire ses désirs de vengeance ou son avidité. Cette conduite d’Alexandre à Ephèse est l’un de ses grands titres de gloire", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 17.12). Un bémol toutefois : cette bonne image de libérateur que véhicule le conquérant va rapidement être ternie par son désir de consacrer à lui-même le nouveau temple d’Artémis qu’on projette alors de reconstruire (en remplacement de l’ancien temple qui a brûlé en -356, le jour même de la naissance d’Alexandre selon la tradition, comme nous l’avons rappelé dans notre paragraphe introductif). Face à l’hostilité de la population, Alexandre renonce à sa prétention ("On sait que le premier temple d’Artémis, construit sur les plans de Chersiphron puis agrandi par les soins d’un autre architecte, fut incendié par Erostrate. Les Ephésiens entreprirent d’en élever un plus beau. Les décrets prouvent qu’ils financèrent ce projet en vendant les bijoux de leurs femmes et d’autres biens privés, ainsi que les colonnes de l’ancien temple. Artémidore [géographe d’Ephèse du Ier siècle av. J.-C., auteur d’une Géographie qui n’a pas traversé les siècles] pense que Timée de Tauroménion [historien du début du IIIème siècle av. J.-C., élève d’Isocrate], qui avait pourtant un tel esprit curieux et critique qu’il fut surnommé ‟Epitimée” ["Epit…maioj", calembour jouant sur le nom de Timée/Tima‹oj et le verbe "™pitim£w/reprocher, blâmer, infliger"], n’a jamais eu connaissance de ces décrets, sinon il n’aurait jamais avancé que “les Ephésiens ne purent payer leur nouveau temple qu’en mettant la main sur les dépôts sacrés des Perses”. Artémidore dit ceci : “Aucun dépôt semblable n’a jamais existé avant l’incendie, et même s’il en avait existé il aurait été consumé par le feu avec le temple lui-même. Il n’en exista pas davantage après l’incendie car, la toiture du temple ayant été complètement détruite, on ne peut pas imaginer qu’un quelconque dépôt précieux y ait été installé à ciel ouvert. On se souvient par ailleurs que quand Alexandre proposa aux Ephésiens de prendre à sa charge toutes les dépenses à condition que son nom seul figurerait dans l’inscription dédicatoire du nouveau temple, ceux-ci refusèrent : comment donc auraient-ils pu ternir la gloire de leur nouveau temple en le finançant par le sacrilège et la spoliation ?”. Artémidore conclut en rappelant l’intelligente réponse d’un citoyen d’Ephèse au héros macédonien : “Il n’est pas convenable qu’un dieu fasse acte de dévotion et de piété à l’égard d’autres dieux”", Strabon, Géographie, XIV, 1.22) : le temple d’Artémis sera bien reconstruit plus tard avec la bienveillance d’Alexandre, par Dinocratès le futur urbaniste d’Alexandrie d’Egypte ("Le nouveau temple fut l’œuvre de Dinocratès, celui qui bâtit Alexandrie après avoir promis à Alexandre de sculpter le mont Athos à son image", Strabon, Géographie, XIV, 1.23), mais seulement au moyen de fonds privés éphésiens.


La cité suivante, Milet (aujourd’hui Balat, au nord de Didim en Turquie, 37°31'57"N 27°16'44"E), est nettement moins enthousiaste. Les Milésiens ne croient pas à la victoire finale d’Alexandre, et craignent, en lui livrant leur cité, d’être punis par l’occupant perse. Ils se replient derrière leurs murs, et attendent du secours. Les Perses, remis de leur défaite au Granique, envoient les troupes qui leur restent ("[Alexandre] marcha vers Milet avec l’infanterie, les hommes de trait, les Agriens, la cavalerie thrace, le premier corps des hétaires, suivi de trois autres. Il s’empara de la ville extérieure laissée sans défense et y installa son camp, résolu à cerner la ville intérieure par une circonvallation. Le phrourarchos [commandant de la garnison locale] Hégesistrate, écrivit d’abord à Alexandre pour se rendre, mais il reprit courage en apprenant l’arrivée de l’armée des Perses, et ne il ne pensa plus dès lors qu’à conserver la cité pour ces derniers", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 18.3-4), ainsi que leur flotte intacte pour s’assurer de l’accès au port. Mais Alexandre est plus rapide : il ordonne à Nicanor (le fils de Parménion ? ou un homonyme ?) de ranger les navires grecs devant l’îlot de Ladè (c’est là qu’a eu lieu la dernière grande bataille entre Perses et Ioniens révoltés en -494, qui s’est terminée en désastre pour les Ioniens ; cet îlot de Ladè n’existe plus aujourd’hui, les alluvions du fleuve Méandre ayant comblé la baie de Milet au cours des siècles) pour empêcher le passage des Perses. Les deux adversaires se livrent à des manœuvres d’intimidation. Finalement les Perses cèdent : malgré leur écrasante supériorité navale, tant qualitative que quantitative, la position des Grecs est inexpugnable ("Mais Nicanor, qui commandait la flotte des Grecs, devança les Perses : trois jours avant qu’ils se présentassent, il vint mouiller devant l’îlot de Ladè face à la cité, avec cent soixante navires. Les Perses, arrivant trop tard et trouvant la position occupée par Nicanor, se retirèrent sous le promontoire de Mycale. Alexandre, pour garder cet îlot, avait, en plus de ses navires, positionné dans le port quatre mille hommes, composés de Thraces et d’étrangers. La flotte des barbares comptait quatre cents navires", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 18.4-5). A cette occasion, un nouveau différend éclate entre Alexandre et son lieutenant Parménion, ce dernier proposant un combat naval contre les Perses (a-t-il honte d’avoir manqué de hardiesse avant la bataille du Granique, et essaie-t-il ainsi de se racheter ?) : Alexandre repousse sa proposition en expliquant que la victoire se jouera sur terre où le rouleau compresseur macédonien est invincible, et non pas sur mer où les Perses jouissent encore de la complicité des marins chypriotes et phéniciens qui sont très expérimentés ("Parménion conseilla à Alexandre de tenter un combat naval. Un augure en particulier laissait croire que les Grecs remporteraient la victoire : de la poupe du navire d’Alexandre on avait vu un aigle s’abattre sur le rivage. Une victoire promettait les plus heureux succès par la suite, tandis qu’un échec ne changerait pas la situation puisque l’empire de la mer était déjà aux Perses. Il ajouta qu’il offrait de s’embarquer et de partager les périls. Mais Alexandre répondit : “Parménion se trompe. Il interprète mal l’augure. Quelle imprudence, d’attaquer avec des forces inégales une flotte si nombreuse, et de lancer des soldats inexpérimentés à la manœuvre contre les hommes les plus exercés sur la mer, les Chypriotes et les Phéniciens ! Pourquoi prendre le risque de mesurer la valeur des Macédoniens sur un théâtre aussi incertain ? Une défaite navale ruinerait la première réputation de nos armes. La nouvelle de ce revers ébranlerait la Grèce. En mesurant les choses, il apparaît peu raisonnable dans ces circonstances de livrer un combat sur mer. L’augure doit s’interpréter différemment : oui il nous est favorable, mais l’aigle en s’abattant sur le rivage semble indiquer que c’est du continent que nous vaincrons la flotte des Perses”", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 18.6-9). Le conquérant filera sa réponse après la conquête de la ville, en renvoyant ses navires en Grèce : en s’emparant des ports des côtes ouest et sud anatoliennes, il espère priver la flotte perse de toute retraite, et la rendre du même coup inoffensive en l’obligeant à rester au large. Les hellénistes sont partagés sur cette décision : l’argumentation avancée par Alexandre semble raisonnable, mais en réalité elle ne l’est pas, car comment Alexandre peut-il espérer contrôler simultanément tous les ports anatoliens, et tous les marins effectifs et potentiels qu’ils renferment, avec sa petite armée d’à peine quarante mille hommes ? Selon Diodore de Sicile et Arrien, la vraie raison de son choix est d’abord financière : même avec les trésors pris à Daskyleion et à Sardes, Alexandre n’a pas les moyens d’entretenir un contingent de mer et un contingent de terre, il préfère donc sacrifier l’un pour renforcer l’autre ("Le roi, constatant que sa flotte ne lui était pas d’un grand usage et lui coûtait beaucoup, la congédia à l’exception d’un petit nombre de bâtiments pour le transport de ses machines de guerre, parmi lesquels une vingtaine d’origine athénienne", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.22 ; "Alexandre résolut de dissoudre sa flotte, conscient de son manque d’argent, de son infériorité manifeste, et désireux de ne plus diviser ses forces. Par ailleurs, il prévoyait qu’en conquérant l’Asie par ses troupes terrestres, il en contrôlerait les cités maritimes, fermant ainsi tous les ports aux Perses au point qu’une flotte deviendrait inutile puisque les barbares seraient désormais dans l’incapacité de recruter des rameurs et de trouver une retraite", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.1). On peut supposer aussi qu’il est motivé par une raison politique : les navires qui constituent sa flotte et les équipages qui les montent appartiennent en grande majorité aux cités adhérentes à la Ligue de Corinthe, une défaite navale ou même une victoire chèrement payée susciterait forcément la révolte et peut-être la défection de ces cités, mieux vaut donc continuer l’expédition en s’appuyant sur l’armée de terre dont les effectifs sont majoritairement macédoniens, et s’assurer la fidélité des cités de la Ligue de Corinthe en prenant soin de leurs ressortissants capturés au Granique - devenus des otages - plutôt qu’en accordant une trop grande confiance à leurs marins. Dans l’immédiat, la mésentente entre Alexandre et Parménion est rapidement tranchée, puisque la flotte perse se replie vers Halicarnasse ("Milet étant prise, les Perses dans leur grande majorité, leurs soudoyés comme les chefs, se réfugièrent dans Halicarnasse", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.23). Les Milésiens désormais seuls tentent une première négociation, promettant aux envahisseurs grecs une influence égale à celle des Perses, mais Alexandre repousse les négociateurs et prépare l’assaut ("Glaucippos, l’un des premiers citoyens, député vers Alexandre par le peuple et les troupes qui défendaient la cité, lui proposa que les Milésiens ouvrissent pareillement leur port et leurs murs aux Perses et aux Macédoniens, et demanda la levée du siège en contrepartie de cette proposition. Mais Alexandre lui ordonna de se retirer en hâte et d’annoncer aux Milésiens qu’ils devraient bientôt le combattre dans la ville", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 19.1-2). La ville est attaquée, elle est rapidement investie ("On approcha les machines des remparts. Ayant rapidement ébranlé une partie du mur et renversé l’autre, Alexandre avança ses troupes pour pénétrer par la brèche à la vue des Perses positionnés à Mycale, devenus des témoins passifs de la détresse de leurs alliés. Nicanor, apercevant depuis l’îlot de Ladè les mouvements d’Alexandre, longea le rivage pour occuper le port à l’endroit où son ouverture se rétrécit, il y rangea de front ses trières, proues en avant, interdisant ainsi l’entrée aux Perses et tout espoir de secours aux Milésiens. Ces derniers et les étrangers qui les défendaient étant pressés de tous côtés par les Macédoniens, certains d’entre eux se jetèrent à la mer en se laissant flotter sur leurs boucliers pour gagner une petite île voisine, d’autres se précipitèrent dans des barques avant d’être pris à la sortie du port par les trières auxquelles ils tentaient d’échapper, un grand nombre fut tué dans la ville. Alexandre, maître de la place, dirigea ses navires contre la petite île où certains avaient trouvé refuge, il porta à la proue des échelles pour en escalader les escarpements. Lorsqu’il vit les fugitifs résolus à tout tenter, touché de leur courage et de leur fidélité, il leur proposa de les intégrer à ses troupes s’ils voulaient se rendre. Trois cents Grecs à la solde de l’étranger acceptèrent", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 19.2-5 ; "Les Perses échappés de la récente bataille [du Granique] se réfugièrent à Milet, comme le stratège Memnon. Le roi installa son camp à proximité. Il donna des assauts continuels contre la ville par ses soldats qui se relevaient les uns les autres. Les assiégés se défendirent d’abord aisément, car les soldats y étaient rassemblés en grand nombre et ne manquèrent ni d’armes ni de toutes les choses nécessaires pour soutenir un siège. Mais le roi, très envieux d’emporter cette place, redoubla le jeu des machines et pressa les attaques par mer et par terre. Les Macédoniens entrèrent par les brèches. Les soldats de la garnison prirent la fuite. Les Milésiens quant à eux vinrent se jeter aux pieds du roi en suppliants, ils se livrèrent à lui avec leur cité", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.22). Pour l’anecdote, c’est après cet assaut que, selon la propagande séleucide ultérieure, Séleucos le compagnon d’armes d’Alexandre reçoit la promesse d’un glorieux destin asiatique par l’oracle apollinien du sanctuaire de Didyme voisin ("Du temps où il était encore soldat du roi dans la guerre contre les Perses, on dit que [Séleucos], désireux de s’informer sur son retour en Macédoine, reçut dans le sanctuaire de l’Apollon de Didyme l’oracle suivant : “Ne te hâte pas de rentrer en Europe [ou : "à Europos", cité natale de Séleucos en Macédoine, l’homophonie entre les deux noms permet d’entretenir l’ambiguïté] : l’Asie vaut mieux pour toi”", Appien, Histoire romaine XI.283).


La troisième cité, Halicarnasse (aujourd’hui Bodrum en Turquie, 37°02'16"N 27°25'26"E), où se sont repliés les Perses, est quant à elle franchement hostile. Le mercenaire grec Memnon de Rhodes, toujours allié des Perses mais qui n’a manifestement pas digéré d’être éconduit par eux à Zéleia juste avant la bataille du Granique avec les conséquences que l’on a vues, a machiné pour enfin obtenir du Grand Roi un poste à responsabilités : il a envoyé sa femme (la célèbre Barsine fille du Perse Artabaze qui a grandi au côté d’Alexandre à Pella jusque vers -350, comme nous l’avons vu dans notre paragraphe introductif, mariée à Mentor le frère de Memnon quand elle était enfant, avant de se remarier avec Memnon à la mort de Mentor vers -340) et ses enfants comme otages à Darius III, qui en retour l’a nommé gouverneur "de la Basse-Asie" (c’est-à-dire du littoral) et amiral de toute la flotte. Il s’acquitte immédiatement de la confiance que Darius III a placée en lui en organisant efficacement la défense de la cité ("Memnon envoya sa femme et ses enfants à Darius III, en pensant d’une part qu’ils seraient ainsi en sécurité, et d’autre part qu’avec de tels otages le Grand Roi n’hésiterait plus pour lui confier l’administration et la défense de ses états. C’est effectivement ce qui arriva : Darius III écrivit aussitôt des lettres à tous les gouverneurs des côtes, leur ordonnant d’obéir à Memnon. Celui-ci, investi de cette charge étendue, résolut d’abord de pourvoir de toutes sortes de défenses Halicarnasse menacée d’un siège", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.23 ; "Memnon, chargé par Darius III de protéger la Basse-Asie à la tête de la flotte, avait fortifié [Halicarnasse] avec soin. La garnison nombreuse était composée en partie d’étrangers à la solde du Grand Roi, en partie de Perses. Memnon avait enfermé les trières dans le port, et comptait encore sur le service que pouvaient rendre les équipages qu’elles contenaient", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.3). Halicarnasse est alors gouvernée par Pixodaros, qui s’est emparé du trône occupé avant lui par sa sœur Ada, le même Pixodaros avec lequel Alexandre a magouillé lors de sa querelle contre son père Philippe II en -337 que nous avons racontée dans notre paragraphe introductif. Pixodaros règne avec l’aide du Perse Orontobatès ("Ada, fille d’Hécatomnos, était en même temps, selon la loi des Cariens, femme et sœur d’Hidrieus. D’après la coutume asiatique qui depuis Sémiramis accorde aux femmes le droit de gouverner, elle aurait dû recevoir l’administration du royaume à la mort d’Hidrieus. Mais Pixodaros l’en avait privé en s’emparant du pouvoir. Orontobatès, parent ["gambrÒj/parent par alliance"] de l’usurpateur, gouvernait la Carie pour le Grand Roi", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 23.7-8). Les habitants, certains de la victoire des trois hommes, se placent sous leur autorité. Alexandre est obligé d’organiser le siège ("[Alexandre] marcha ensuite vers la Carie, instruit que les barbares et les étrangers à leur solde s’étaient retirés en grand nombre dans Halicarnasse. Il se rendit maître de toutes les cités situées entre celle-ci et Milet, et campa à cinq stades d’Halicarnasse, dont le siège s’annonçait très long. Cette cité était défendue par sa situation, et par Memnon qui venait de s’y rendre", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.2-3). Des combats très violents ont lieu, sans qu’une issue apparaisse. Quand les assiégés tentent une sortie, ils sont aussitôt refoulés ("Le premier jour, Alexandre s’étant approché des murs avec son armée, du côté de la porte de Mylasa, les assiégés firent une sortie. Une escarmouche s’engagea, les Macédoniens accourant de toutes parts les repoussèrent facilement, et les rejetèrent dans la cité", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.4). Quand les assiégeants tentent un assaut, ils sont repoussés de même ("Les soldats attaquaient par roulement et continuellement. [Alexandre] seul les commandait jour et nuit. Elevant toutes sortes de machines sur les fossés qu’il avait comblé en peu de temps par trois autres machines destinées à cet usage, il battit avec ses béliers les tours et les murs auxquels elles servaient de défenses. Dès qu’une brèche se créait, les soldats tirant l’épée essayaient d’entrer dans la ville. Memnon, qui l’avait renforcée d’une garnison nombreuse, repoussait facilement ces assauts. Sortant la nuit par ces mêmes brèches à la tête d’un nombre suffisant de soldats, il allait mettre le feu aux machines. Dans les combats qu’on engageait lors de ces sorties des assiégés, les Macédoniens l’emportaient par l’expérience et par la valeur. Mais les Perses mieux équipés se défendaient encore par le nombre, soutenus par ceux qui étaient demeurés dans la ville, et par les traits que les catapultes lançaient sur les assiégeants", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.24). Constatant leur détermination, Alexandre essaie de s’emparer de la petite cité voisine de Myndos (non localisée par l’archéologie à l’extrémité ouest de la péninsule, 37°03'33"N 27°13'45"E) pour attaquer Halicarnasse à revers : l’expédition s’achève lamentablement ("Peu de jours après, Alexandre prit avec lui les hypaspistes, les hétaires, les phalanges d’Amyntas, de Perdiccas et de Méléagre, les archers et les Agriens, et tourna la cité du côté de Myndos pour voir si l’attaque des remparts serait plus facile vers cet endroit et s’il pourrait s’emparer de Myndos pour, une fois maître de cette place, investir les murs d’Halicarnasse. Quelques-uns des habitants de Myndos avaient promis de la livrer si Alexandre s’y présentait pendant la nuit. Arrivé à l’heure convenue, n’apercevant aucun signal de la part des habitants, n’ayant ni machines ni échelles, moins disposé à attaquer qu’à occuper cette cité que la trahison devait lui ouvrir, il avança néanmoins sa phalange en lui ordonnant de miner le mur. Une tour fut renversée, mais sans découvrir les fortifications. Les habitants résistèrent vigoureusement, et soutenus par ceux d’Halicarnasse venus à leur secours par mer ils déjouèrent l’espoir qu’Alexandre avait conçu d’enlever Myndos au premier assaut. Déçu, Alexandre revint au siège d’Halicarnasse", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.5-7). Un essai d’attaque frontale se termine aussi piteusement ("Les assiégés avaient creusé autour de leurs murs un fossé large de trente coudées, profond de quinze. Alexandre le combla afin d’approcher les tours, tandis que des traits tombaient depuis les murailles pour écarter les machines avec lesquelles il comptait les ébranler. Les approches étant faites, les habitants d’Halicarnasse organisèrent une sortie nocturne pour brûler les tours et les machines avancées ou prêt de l’être. Ils furent aussitôt repoussés par les Macédoniens de garde, et par ceux que le tumulte attira. Ceux d’Halicarnasse perdirent dans cette affaire cent soixante-dix hommes, dont Néoptolème fils d’Arrhabaios et frère d’Amyntas l’un des transfuges de Darius III. Du côté macédonien, seize soldats furent tués et environ trois cents blessés", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 20.8-10). Une nouvelle tentative, improvisée par deux Macédoniens échauffés par la boisson, manque de réussir : les assiégés d’Halicarnasse se ressaisissent et repoussent une nouvelle fois l’assaut ("Peu de jours après, deux hoplites du corps de Perdiccas, racontant pompeusement leurs prouesses, piqués par l’honneur et échauffés de vin, coururent aux armes de leur propre initiative, s’avancèrent près du fort, sous les remparts face à Mylasa, par bravade davantage que par volonté d’engager l’ennemi dans un combat inégal. Surpris par l’audace de ce duo téméraire, quelques assiégés accoururent : les premiers furent tués, ceux qui les suivent furent percés de traits. Enfin le nombre et l’avantage du lieu firent la différence : les deux Grecs furent accablés sous une multitude de traits et d’assaillants. Les soldats de Perdiccas d’un côté, les Halicarnasséens de l’autre, accoururent. La mêlée devint sanglante aux pieds des remparts. Leurs défenseurs furent repoussés dans la ville. Peu s’en fallut qu’elle fût prise, car les postes étaient mal gardés, deux tours furent abattues avec le mur qui s’étendait entre elles : la brèche aurait donné la cité si l’armée eût avancé tout entière. Une troisième tour fut ébranlée, annonçant un choc encore plus violent. Les assiégés s’empressèrent donc d’élever derrière le mur renversé un ouvrage de briques en demi-lune, avec un grand nombre d’ouvriers, de sorte que le travail fut achevé rapidement. Le lendemain Alexandre avança ses machines vers cet endroit, mais les assiégés sortirent pour les incendier. Celles qui étaient près du mur et une tour de bois furent la proie des flammes", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 21.1-5 ; "Deux tours et deux portions de muraille étant à terre, quelques soldats ivres du corps de Perdiccas entreprirent de s’introduire par-là dans la citadelle. Memnon, informé de leur témérité, profita de leur ignorance du chemin à suivre : il prit avec lui plus de gens qu’ils n’étaient, attaqua cette bande dérangée et en tua la plus grande partie. Les Macédoniens avertis vinrent aussitôt à leur secours. Alexandre parut en personne, les assiégés se renfermèrent précipitamment dans leur ville", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.25). Ces derniers se hasardent à leur tour à repousser les troupes d’Alexandre : ils sont décimés ("Quelques jours après, Alexandre avança de nouveau ses machines, toute la ville sortit en armes, les uns du côté où était la brèche et où Alexandre se trouvait en personne, les autres du côté du Tripylon où on ne les attendait pas. Certains lancèrent sur les machines des torches et toutes sortes de matières pouvant augmenter l’incendie. Les Macédoniens, repoussant le choc avec violence, firent pleuvoir du haut des tours une grêle de traits et roulèrent d’énormes pierres sur l’ennemi, qu’ils mirent en fuite et refoulèrent dans la ville. Le nombre et l’audace causèrent un carnage : les uns furent tués en combattant de près les Macédoniens, les autres en fuyant, près du rempart dont les ruines embarrassaient le passage déjà trop étroit pour une si grande multitude", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 22.1-3 ; selon Diodore de Sicile qui raconte longuement cet épisode, l’attaque est dirigée par un Athénien nommé "Ephialtès", qui trouve la mort au cours de la retraite : "Le roi demanda par un héraut la trêve nécessaire pour ensevelir ses soldats morts durant le siège. Ephialtès et Trasyboulos, deux Athéniens au service de la Perse, furent d’avis de la lui refuser. Mais Memnon ne les suivit pas et accorda au roi sa demande. Peu de temps après, le même Ephialtès lors d’un conseil de guerre déclara absurde d’attendre d’être capturé dans la ville assiégée et plus convenable que tous les chefs qui se trouvaient là se missent à la tête des mercenaires pour aller attaquer les ennemis en pleine campagne. Memnon rendit hommage au courage et à la grandeur d’âme d’Ephialtès. Attendant beaucoup de la valeur de cet Athénien qui avait une grande force corporelle, il se prêta à son dessein et le laissa suivre sa pensée. Ephialtès choisit donc deux mille hommes parmi les mercenaires : à mille hommes il donna des flambeaux, aux mille autres il ordonna de se jeter sur les ennemis. Il ouvrit les portes de la ville dès le point du jour, les porteurs de flambeaux mirent le feu à toutes les machines dont la flamme s’éleva jusqu’aux nuages, pendant que les mille soldats armés qu’il conduisit lui-même se jetèrent sur les assiégeants qui s’avancèrent pour remédier à cet incendie. Dès que le roi comprit le manège des ennemis, il forma une première ligne avec les chefs Macédoniens, une deuxième ligne avec des bons soldats, et une troisième ligne avec des hommes qui avaient donné des marques singulières de valeur. Il se mit à la tête de ce corps, et il arrêta les ennemis qui avaient cru que rien ne pourrait s’opposer à leur impétuosité, en même temps qu’il envoya d’autres hommes éteindre le feu qui s’était déjà propagé à plusieurs machines, afin de préserver les machines intactes. […] Les progrès du feu furent arrêtés par les Macédoniens. Ephialtès se lança alors à l’attaque. Comme il était l’homme le plus fort des deux armées, il tua rapidement tous ceux qui se présentèrent sous sa main. Depuis la muraille récemment réparée, ceux de la ville accablèrent de traits tous les rangs à leur portée, on avait même garni une tour de bois haute de cent coudées, de catapultes qui lançaient au loin des javelots d’un grand poids : certains Macédoniens tombèrent morts, les autres ne purent s’empêcher de reculer face au nombre et au poids des projectiles qui plurent sur eux. Memnon sortit à ce moment avec beaucoup de troupes, pour soutenir cette fâcheuse attaque qui plongea Alexandre dans une grande perplexité. Mais au moment où la garnison sortie allait prendre le dessus, un événement auquel personne ne s’attendait changea le cours des choses. Les vieux soldats macédoniens qui avaient servi sous Philippe II et avaient participé largement à ses victoires, mais qu’on avait présentement dispensés d’agir à cause de leur âge, virent le découragement de leurs camarades. De leur propre chef, ils sortirent de leur camp, et par l’autorité que leur donnaient leur expérience et les services qu’ils avaient rendus autrefois à leur peuple ils vinrent reprocher aux jeunes soldats leur peu de valeur et leur résistance insensée. Puis, se mettant en rang et formant un bataillon serré, ils continrent l’effort des ennemis qui se croyaient déjà vainqueurs. Ils tuèrent bientôt Ephialtès et beaucoup de monde autour de lui, et parvinrent finalement à faire fuir la garnison à l’intérieur des murailles. Mais comme la nuit tombait, le roi sonna la retraite, et l’armée victorieuse revint dans son camp", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.25-27). A la fin de l’automne -334, Halicarnasse n’est toujours pas prise. Pire : Memnon renforce sa position en évacuant la population dans un retranchement fortifié à l’extrémité de la presqu’île, en s’emparant de l’île de Kos voisine (36°53'26"N 27°17'06"E), sans oublier d’appliquer la tactique de la terre brûlée - celle qu’il a préconisée en vain au satrape Arsitès à Zéleia - en incendiant la ville : Alexandre entre dans Halicarnasse déserte et ravagée, mais renonce à affronter directement les assiégés ("Memnon et les satrapes tinrent conseil, et conclurent de quitter la ville en laisser leurs meilleurs soldats dans la citadelle avec toutes les provisions nécessaires. Emmenant leurs troupes et leurs richesses, ils se retirèrent dans l’île de Kos. Alexandre, informé dès le point du jour de ce qui s’était passé, rasa toutes les maisons d’Halicarnasse", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.27 ; "Le général perse Orontobatès et Memnon, considérant que l’état des choses ne permettait plus de soutenir un long siège, que les remparts étaient détruits ou ébranlés, la plupart des soldats tués dans les sorties ou mis hors de combat par leurs blessures, résolurent de mettre le feu nuitamment à une tour de bois qu’ils avaient dressée en face des machines de l’ennemi, à leur propre magasin d’armes, aux maisons voisines des remparts. Tout s’embrasa. La flamme en s’élançant de la tour et des portiques, agitée par les vents, étendit l’incendie. Les assiégés se réfugièrent dans la citadelle de la presqu’île pour une moitié, dans celle de Salmakis pour l’autre moitié. Alexandre, instruit de ce désastre par des transfuges qui s’y étaient soustraits et par sa propre vision de ce vaste incendie, donna ordre aux Macédoniens d’entrer dans la ville, alors qu’on était au milieu de la nuit, de massacrer les incendiaires, et d’épargner ceux qui étaient retirés dans leurs maisons. Au lever du jour, découvrant le double fort occupé par les Perses et les troupes à leur solde, il renonça à l’attaquer, parce que sa position nécessitait beaucoup trop de temps à conquérir, et parce que la ruine totale de la ville rendait cette prise moins importante", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 23.1-5). Toujours dans le dessein de couper les arrières de la flotte perse, il décide de laisser une partie de son armée continuer le siège ("[Alexandre] laissa en Carie trois mille fantassins et deux cents cavaliers sous les ordres de Ptolémée, puis il partit pour la Phrygie", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 23.6) pendant que lui-même conquerra les ports de la côte sud anatolienne. Avant de partir, il rétablit Ada la reine légitime d’Halicarnasse dans ses droits, qui en retour le reconnaît comme l’un des siens ("[Alexandre] rétablit Ada sur toute la Carie. […] Ada ne tenait plus qu’une unique cité bien fortifiée, Halinde, qu’elle livra au conquérant. Dès qu’il parut avec son armée, elle vint au-devant de lui et l’adopta comme fils. Alexandre lui laissa le commandement de la place en la reconnaissant comme mère. Maître de la Carie entière par la ruine d’Halicarnasse, il lui confia le gouvernement de toute la province", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 23.7-8). Cette reconnaissance ne lui coûte pas grand-chose, puisqu’il ne rend à Ada qu’une cité ruinée et une péninsule qui est encore partiellement sous contrôle perse. Mais cela n’indispose pas Ada qui, pour l’anecdote, selon Plutarque, lui offre en remerciement tous les cadeaux que ses ressources financières lui permettent encore d’acheter, au point qu’Alexandre en est gêné et les repousse en lui disant que ce luxe déplacé n’est pas compatible avec l’idéal de tempérance que lui a enseigné naguère son pédagogue Léonidas ("Sobre par tempérament, [Alexandre] donna plusieurs fois des preuves de sa frugalité, et en particulier dans sa réponse à la reine Ada qu’il considérait comme sa mère et qu’il avait rétablie sur le trône de Carie. Cette reine crut lui faire plaisir en lui envoyant tous les jours les viandes les mieux préparées, les pâtisseries les plus délicates, des meilleurs cuisiniers et des pâtissiers les plus habiles. Mais il lui répondit n’avoir aucun besoin de tous ces présents-là, et que son pédagogue Léonidas lui en avait donné de bien meilleurs : la promenade avant le déjeuner, et un frugal repas en guise de souper", Plutarque, Vie d’Alexandre 22).


Trop petites pour résister, et ne pouvant pas compter sur le soutien des troupes perses concentrées autour d’Halicarnasse, la majorité des cités grecques du sud anatolien choisissent d’ouvrir leurs portes sans combattre. Alexandre s’empare en douceur d’Hyparna (site non localisé, correspondant peut-être à l’actuelle Göçek, au nord de Fethiye en Turquie : "Le roi marcha vers la Lycie et la Pamphylie pour s’emparer de toutes les côtes maritimes, et rendre ainsi inutile la flotte ennemie. Il commença par prendre d’assaut Hyparna, place fortifiée défendue par des soldats étrangers : la garnison capitula et se retira", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 24.3-4). Il prend Telmissé (aujourd’hui Fethiye en Turquie, 36°37'14"N 29°06'21"E), puis Pinara (aujourd’hui Minare au sud de Fethiye en Turquie, 36°29'20"N 29°15'30"E), Xanthos (aujourd’hui Kinik encore plus au sud de Fethiye en Turquie, 36°21'24"N 29°19'06"E) et Patara (site archéologique à l’ouest de l’actuelle ville côtière de Kaş en Turquie, 36°15'58"N 29°19'02"E) sans coup férir ("Telmissé à l’entrée de la Lycie se rendit par négociation. [Alexandre] passa le fleuve Xanthos. Pinara, Xanthos, Patara et trente autres cités de moindre importance lui ouvrirent leurs portes", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 24.4). Puis il longe l’actuel golfe d’Antalya, en occupant successivement Phasélis (site aujourd’hui abandonné près de Tekirova en Turquie, 36°31'30"N 30°33'08"E : "Au milieu de l’hiver [-334/-333], [Alexandre] s’avança vers le pays de Milyade qui fait partie de la Phrygie mais que le Grand Roi avait intégré à l’administration de la Lycie. Là des délégués de Phasélis vinrent demander l’amitié d’Alexandre et lui offrir une couronne d’or. Beaucoup d’autres cités de la Lycie inférieure députèrent également pour rechercher son alliance. Alexandre commanda aux Phasélites et aux Lyciens de remettre leurs cités aux gouverneurs qu’il leur enverrait. Toutes se soumirent", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 24.5-6) et Pergé (aujourd’hui Aksu, dans la banlieue d’Antalya en Turquie, 36°57'28"N 30°51'08"E : "Alexandre quitta Phasélis. Il avança une partie de son armée vers Pergé par les hauteurs où les Thraces lui avaient aménagé un chemin difficile mais bien plus court, tandis que lui-même conduisit le reste en longeant la côte", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 26.1). C’est à ce moment, quand il entre en Pamphylie, qu’on doit placer l’épisode que Quinte-Curce évoque allusivement dans le paragraphe 3 livre V de son Histoire d’Alexandre le Grand, qu’il devait raconter plus en détails dans l’un des deux premiers livres malheureusement perdus de cette œuvre, mais sur lequel Plutarque nous donne néanmoins quelques précisions probablement transmises par la propagande apologétique alexandrine de Clitarque déjà mentionné : pour une raison inexpliquée, la mer se retire de la plage que les Grecs doivent traverser, toute l’armée s’avance, et quand le dernier soldat est hors de danger la mer remonte, comme si les dieux veillaient sur eux et sur leur chef ("La mer s’était miraculeusement écartée sur son passage à son entrée en Pamphylie", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, V, 3.22 ; "Sa marche en Pamphylie a donné lieu à des exagérations de plusieurs historiens qui, présentant les choses de façon extraordinaire, affirment que c’est par la faveur des dieux que la mer s’est retirée devant Alexandre, alors qu’elle est naturellement très mouvementée sur cette côte et que par intermittence ses vagues laissent à découvert les pointes de rocher le long du rivage, au pied des sommets escarpés qui le bordent. C’est sur ce prétendu prodige que Ménandre plaisante dans une de ses pièces : “J’ai hérité cela d’Alexandre. Je veux voir quelqu’un ? Il se présente de lui-même. Je veux passer la mer ? Elle baisse ses eaux à l’instant”. Alexandre lui-même dans ses lettres ne parle pas de prodige, il dit simplement qu’en sortant de Phasélis il a emprunté le passage de Klimaka ["Kl…maka", littéralement "l’Echelle", site non localisé de l’actuel golfe d’Antalya] après être resté plusieurs jours dans cette cité, il ajoute qu’ayant vu sur l’agora la statue du défunt Théodecte de Phasélis il est allé danser autour d’elle et lui jeter des couronnes un soir de débauche, pour honorer agréablement la mémoire de ce philosophe et le commerce qu’il avait eu avec lui via Aristote", Plutarque, Vie d’Alexandre 17). Alexandre entre ensuite dans Aspendos (site aujourd’hui abandonné à l’est d’Antalya en Turquie, 36°56'20"N 31°10'20"E), et propose aux habitants, qui sont très persophiles et hostiles à la présence d’une garnison grecque dans leurs murs, de ne pas leur imposer cette présence militaire grecque en échange de l’impôt de cinquante talents qu’ils réservaient jusqu’alors à Darius III. Les Aspendéens acceptent le marché ("Au sortir de Pergé, les représentants de la cité d’Aspendos vinrent à sa rencontre pour lui soumettre leur cité, en le priant de ne pas y mettre de garnison. Ils l’obtinrent, à condition de livrer à Alexandre cinquante talents pour ses troupes, et les chevaux qu’ils fournissaient en tribut au Grand Roi. Ils souscrivirent à cette condition", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 26.2-3). Alexandre peut donc se diriger vers Sidé (36°46'05"N 31°23'26"E). Mais les Aspendéens se révoltent, et déclarent ne plus vouloir payer le tribut de cinquante talents. Après avoir installé une garnison à Sidé, qui a ouvert ses portes sans rechigner, il revient sur ses pas pour mettre fin à la rébellion ("Alexandre, ayant laissé dans Sidé une garnison, marcha sur Sillyon, une place fortifiée défendue par les troupes des barbares et par des étrangers soldés. Mais il apprit en route que les Aspendéens ne tenaient aucune des conditions convenues, refusant de livrer les chevaux à ceux envoyés pour les recevoir, et de céder l’argent, ayant même retiré tous leurs effets de la campagne pour le mettre en ville, fermé leurs portes aux députés d’Alexandre, et mis leurs murs en état de défense. Il retourna aussitôt vers Aspendos", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 26.5). Les Aspendéens, conscients de leur impuissance, se rendent. Alexandre, pour les punir, leur impose un tribut de cent talents, et la livraison de leurs notables comme otages ("[La cité d’Aspendos] est sise sur un roc escarpé baigné par le fleuve Eurymédon. Sur la pente et au pied du rocher s’étend un ensemble de bâtisses entouré d’un faible rempart. Désespérant de s’y maintenir, les habitants les abandonnèrent à l’approche d’Alexandre, dont la première opération fut de franchir le rempart et d’occuper les lieux qu’ils venaient de quitter. Ainsi menacés inopinément par Alexandre, et cernés par toute son armée, les Aspendéens lui envoyèrent de nouveaux députés pour offrir d’acquitter les arrangements précédents. Mais Alexandre, considérant la position du rocher, et bien que peu disposé à entamer un long siège, ajouta des nouvelles conditions : ils devraient livrer en otages les principaux responsables de la cité, le nombre de chevaux promis, et le double des talents convenus, ils reconnaîtraient le satrape choisi par Alexandre, paieraient un tribut annuel aux Macédoniens, et accepteraient que fût porté en justice le différend qui les opposaient à leurs voisins à propos d’un territoire qu’on les accusait d’avoir envahi. Ces conditions ayant été acceptées, il retourna à Pergé", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 27.1-5). Il se dirige ensuite vers Termessos (site aujourd’hui abandonné au nord-ouest d’Antalya, 36°58'55"N 30°27'51"E), située sur un rocher escarpé à la frontière entre la Lycie et la Pisidie, qui résiste (c’est cette cité qu’Arrien désigne à la fin du livre I de son Anabase d’Alexandre, en l’appelant à tort "Telmissé" : l’historien ou un de ses copistes a confondu "Telmissé/TelmhssÒj" à la frontière entre la Carie et la Lycie, avec "Termessos/TermhssÒj" en Pisidie, dont les noms sont très proches : "[Alexandre] s’avança vers la cité de [Termessos] occupée par des barbares d’origine pisidienne. Cette cité est située sur une hauteur escarpée et inaccessible, la route est extrêmement difficile car le relief s’étend depuis la ville jusqu’au chemin où il finit. En face de celui-ci s’élève un autre relief aussi escarpé, de sorte qu’ils forment une barrière de chaque côté de la route, dont il est facile de fermer le passage en gardant les hauteurs avec les moindres forces. Or ceux de [Termessos] les occupaient avec toutes leurs forces rassemblées. A cette vue, Alexandre ordonna de camper. Il pensa que les barbares, en constatant les dispositions prises par les Macédoniens, ne laisseraient pas dans ce passage toutes leurs troupes mais seulement quelques hommes sur les hauteurs tandis que le gros de leurs forces se retirerait dans la ville. Ce qui se passa. Alexandre prenant aussitôt avec lui les archers, ses troupes légères et les plus prompts des hoplites, attaqua le passage. Les [Termesséens] restés sur place, accablés de traits, l’abandonnèrent. Alexandre, ayant franchi le passage, vint prendre position sous les murs de la ville", Arrien, Anabase d’Alexandre, I, 27.5-8). Dans sa Bibliothèque historique, Diodore de Sicile mentionne la résistance d’un peuple qu’il désigne seulement par leur surnom, les "Marmaréens" ("Marmaršwn", littéralement "les Brillants"), situé "aux extrémités de la Lycie sur un rocher escarpé", dont les vieillards se sacrifient délibérément pour permettre aux jeunes de ne se consacrer qu’à la défense de leur cité : serait-ce les Termesséens que l’historien sicilien évoque sous ce qualificatif de "Marmaréens" ? Les parallèles de temps, de lieu et d’action qu’on peut établir avec le récit d’Arrien permettent de le penser ("Des gens surnommés “Marmaréens” habitaient aux extrémités de la Lycie sur un rocher escarpé. Alexandre ayant mis pied à terre sur la côte voisine, ces barbares prirent les Macédoniens en queue, et après en avoir tué plusieurs ils en capturèrent beaucoup avec leurs chevaux de charge. Le roi irrité mit le siège autour de leur fortin, très impatient de les vaincre. Les Marmaréens, qui avaient du courage et qui comptaient beaucoup sur la hauteur inaccessible de leur poste, soutirent courageusement les attaques de l’ennemi, qui furent continues pendant deux jours, le roi étant très désireux d’aboutir dans son entreprise. Les vieillards du lieu conseillèrent aux jeunes gens de mettre fin à leur résistance et de se rendre au roi aux meilleures conditions qu’ils pourraient obtenir de lui. Les jeunes gens n’acceptèrent pas ce conseil et déclarèrent qu’ils préféraient mourir en défendant la liberté de leur patrie. Les vieillards les invitèrent alors, puisqu’ils refusaient de se rendre, à les tuer eux-mêmes avec femmes et enfants, pour que ceux qui étaient dans la force de l’âge pussent plus facilement s’échapper la nuit à travers les ennemis et se réfugier dans les montagnes. Les jeunes se rangèrent à cet avis. On résolut que chacun d’eux assemblerait toute sa famille à domicile, ferait un dernier festin où l’on servirait toutes les vivres restantes, avant de passer à l’acte. Mais ces jeunes hommes, qui étaient à peu près six cents, jugèrent finalement affreux d’égorger eux-mêmes leurs parents. Ils décidèrent donc de mettre le feu à leurs maisons avant de partir pour les montagnes, pour donner à leurs parents leur propre demeure en guise de sépulture. Puis, traversant comme convenu le camp ennemi à la faveur des ténèbres, ils gagnèrent une autre montagne du canton", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.28).

  

Le débarquement

Bataille du Granique

Les côtes

L’Anatolie centrale

La Cilicie

Bataille d’Issos

La campagne d’Anatolie

(printemps -334 à automne -333)

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