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Acte II : Les Doriens

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© Christian Carat Autoédition

Acte IV : Alexandre

La conquête de la Cilicie (été-automne -333)


Jamais la situation d'Alexandre n'a été plus incertaine qu'à la fin de l'été -333. Memnon de Rhodes est mort, mais il est aussitôt remplacé par les généraux Pharnabaze fils d'Artabaze (autrement dit Pharnabaze est le neveu de Memnon, puisque nous avons vu dans notre paragraphe introductif, quand nous avons raconté le séjour d'Artabaze à Pella de -354 à -342, que la mère de Pharnabaze n'est autre que la sœur de Memnon ; Pharnabaze a hérité du nom de son grand-père qui était satrape de Phrygie hellespontique à l'époque d'Artaxerxès II, comme nous l'avons vu aussi dans le paragraphe introductif) et Autophradatès, qui achèvent la conquête de l'île de Lesbos ("Autophradatès et Pharnabaze fils d'Artabaze, à qui Memnon avait remis en mourant son autorité jusqu'à temps que Darius III prît une décision, intensifièrent le siège. Les Mytiléniens, bloqués par terre et cernés du côté de la mer par une flotte nombreuse, envoyèrent une ambassade vers Pharnabaze. On convint que les étrangers à la solde d'Alexandre se retireraient de la cité, que les colonnes où des inscriptions mentionnaient leur alliance avec ce souverain seraient renversées, qu'on renouvellerait avec Darius III le traité d'Antalcidas [de -386, que nous avons évoqué dans notre paragraphe introductif], et que la moitié des bannis rentrerait dans leurs murs. Ces conditions étant acceptées, Pharnabaze et Autophradatès installèrent une garnison dans la cité sous le commandement du Rhodien Lycomèdès, établirent Diogénès, un des exilés, comme tyran de Mytilène, et exigèrent une somme d'argent dont une partie fut arrachée de force aux plus riches et l'autre prélevée sur le trésor public", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 1.3-5). Selon Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, IV, 5.22, la garde de cette île est confiée au vieux stratège athénien Charès (le vaincu de la bataille de Chéronée en -338 contre Philippe II, passé au service des Perses après cette date comme nous l'avons vu dans notre paragraphe introductif). Darius III confirme Pharnabaze dans ses fonctions, mais lui retire ses mercenaires grecs qu'il place sous le commandement de Thymondas fils de Mentor (rappelons que Mentor était le frère de Memnon de Rhodes, autrement dit ce Thymondas est un autre neveu de Memnon de Rhodes : nous renvoyons encore à notre paragraphe introductif pour le détail de ces liens familiaux) à qui il demande de venir le rejoindre pour préparer la grande bataille contre Alexandre ("Darius III ordonna à l'énergique Thymondas fils de Mentor de commander les mercenaires qui étaient sous les ordres de Pharnabaze : il comptait beaucoup sur eux et avait l'intention de les utiliser dans la guerre. Pharnabaze quant à lui fut chargé de remplacer Memnon", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 3.1). Faut-il voir dans cette décision une conséquence du discours du défunt Charidèmos ? Darius III espère-t-il que le Grec Thymondas saura conduire ses compatriotes mieux qu'un Perse ne pourrait le faire, comme le lui avait dit abruptement Charidèmos (nous avons raconté cet incident entre les deux hommes dans notre précédent alinéa) ? On a plutôt l'impression que Darius III est dans un grand embarras, car en même temps il attend beaucoup des Grecs et il s'en méfie, et veut remettre des Perses en qui il a confiance aux premiers postes : en appelant auprès de lui les mercenaires grecs il veut les contrôler et les encadrer, et en confirmant Autophradatès auprès de Pharnabaze auquel il a subtilisé ses troupes grecques on a l'impression qu'il veut également mettre le second (fils d'Artabaze, ami des Grecs, hôte de Philippe II naguère et beau-frère de Mentor et Memnon) sous la surveillance du premier (sujet resté fidèle au Grand Roi Artaxerxès III lors de la rébellion d'Artabaze vers -355). Thymondas en tous cas part vers l'est pour s'intégrer à la grande armée en marche, pendant que Pharnabaze et Autophradatès attaquent l'île de Ténédos (aujourd'hui Bozcaada en Turquie, qui n'a conservé aucun site archéologique, 39°50'08"N 26°04'20"E) juste en face de Troie (39°57'27"N 26°14'20"E), et envoient une petite escadre sous l'autorité du Perse Datamès vers les Cyclades - qui se sont récemment rangées du côté perse, comme nous l'avons vu aussi dans notre précédent alinéa - pour prévenir toute tentative de renforts en provenance de Grèce ("Darius III envoya Thymondas fils de Mentor remplacer Memnon dans le commandement des troupes étrangères. Pharnabaze les lui remit, puis alla rejoindre la flotte d'Autophradatès. Dès qu'ils furent réunis, ils détachèrent vers les Cyclades le Perse Datamès avec dix navires tandis qu'eux-mêmes cinglèrent vers Ténédos avec une flotte de cent navires. Arrivés à l'île, ils entrèrent dans le port boréen, puis ordonnèrent aux Ténédiens d'abattre les monuments célébrant leur alliance avec Alexandre et les Grecs, et de renouveler la paix avec Darius III aux conditions du traité d'Antalcidas", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 2.1-2). Cette offensive maritime vers le nord coupe la ligne de ravitaillement d'Alexandre, car à partir de Ténédos on peut facilement opérer des raids dans l'Hellespont, et en particulier sur Abydos, tête-de-pont macédonienne sur le continent asiatique : le conquérant est désormais bloqué en Asie, il rappelle la flotte qu'il a licenciée l'année précédente à Milet, mais c'est trop tard et trop peu, Amphotéros et Hégélochos chargés de ramener cette flotte panhellénique en Asie (cet Hégélochos était le chef des éclaireurs qui ont révélé la présence des Grecs sur les bords du Granique l'année précédente, selon Arrien, Anabase d'Alexandre, I, 13.1 précité : sa nomination est sans doute une promotion en récompense de cette action qui a conduit à la victoire : "Pour assurer ses arrières, [Alexandre] confia la flotte stationnée dans l'Hellespont à Amphotéros et l'armée de terre à Hégélochos, avec pour mission de libérer Lesbos, Chio et Kos de l'occupation étrangère. Chacun obtint cinq cents talents pour faire la guerre", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 1.19-20) ne peuvent pas opposer leurs navires peu nombreux et de mauvaise qualité à la flotte perse dont nous avons plus haut souligné l'importance qualitative et quantitative, Ténédos tombe donc aux mains des Perses ("Les Ténédiens penchaient vers Alexandre et les Grecs, mais leur situation présente ne laissait espoir de salut que dans la soumission à la volonté des Perses, Hégélochos, chargé par Alexandre de rassembler une flotte, ayant effectivement trop peu de forces pour qu'on pût en attendre un prompt secours. Les Ténédiens se rendirent donc à Pharnabaze, plus par crainte que par affection", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 2.3). En Grèce, Antipatros envoie une force navale détruire la petite escadre de Datamès qui sillonne les Cyclades ("Protéas fils d'Andronicos, suivant les ordres d'Antipatros, avait rassemblé quelques navires eubéens et péloponnésiens pour protéger les îles et la Grèce au cas où la flotte des barbares tenterait une invasion. Ayant appris que Datamès stationnait devant Siphnos avec dix navires, Protéas se rendit avec quinze navires à Chalcis dans le détroit de l'Euripe. Arrivé dès l'aurore devant l'île de Kythnos, il y passa la journée entière pour observer la position des bâtiments ennemis : il décida de les frapper avec la plus grande terreur, de nuit. Parfaitement instruit de la situation, il se retira dans l'obscurité. Au point du jour, il fondit à l'improviste sur Datamès, et s'empara de huit navires avec leurs armements. Datamès, ayant réussi à échapper à Protéas, rejoignit le gros de la flotte avec les deux trières qui lui restaient", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 2.4-5). Mais la menace n'est pas écartée pour autant. Car Athènes profite de la situation pour réclamer la libération des Athéniens mercenaires capturés à la bataille du Granique : Alexandre est obligé de les repousser avec fermeté ("A Gordion […] Alexandre reçut des députés d'Athènes venus lui réclamer la liberté des leurs qui, mercenaires des Perses, avaient été capturés lors de la bataille du Granique et étaient depuis enferrés en Macédoine avec deux mille autres Grecs. Les députés repartirent sans avoir rien obtenu : Alexandre en effet, estimant plus judicieux, dans le contexte de la guerre contre la Perse, de ne pas relâcher la terreur qu'il avait inspirée à ces Grecs toujours prêts à se rallier aux barbares à la moindre occasion, se contenta de leur répondre que dès que la guerre serait terminée selon ses vœux Athènes pourrait redemander la grâce de ses concitoyens par une nouvelle députation", Arrien, Anabase d'Alexandre, I, 29.5-6 ; "[Alexandre] reçut une délégation athénienne venue lui réclamer la restitution des prisonniers du Granique. Il répondit qu'il les rendrait en même temps que les autres Grecs quand la guerre contre les Perses serait finie", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 1.9). Dans Athènes, les démocrates derrière Hypéride et Démosthène expriment clairement leur espoir de voir l'armée macédonienne anéantie par les troupes de Darius III (même si Démosthène se contente de parler plutôt que d'agir, ce que son adversaire politique Eschine lui rappellera ironiquement après la défaite de Darius III : "A l'époque où Darius III s'est avancé avec ses troupes, et où Alexandre était presque enfermé en Cilicie, “manquant de tout et sur le point d'être écrasé par les cavaliers perses”, comme tu le prétendais [c'est Eschine qui s'adresse à Démosthène en -330, lors du procès sur l'affaire de la couronne que nous avons évoquée dans notre paragraphe introductif, dont les faits remontent à -337], la cité [d'Athènes] a dû supporter ton insolence : tu te promenais partout en montrant avec affectation les lettres que tu recevais [en provenance d'Anatolie], en déclarant que j'avais l'air d'un homme abattu et désespéré, d'un moribond déjà couronné de fleurs, d'une victime imminente du revers prévisible d'Alexandre. Pourtant, tu n'as pas agi alors, comme si tu attendais encore une meilleure occasion", Eschine, Contre Ctésiphon 164). Et Sparte surtout s'affiche désormais ouvertement avec l'ennemi : sur l'île de Siphnos, pour mettre au point un plan commun contre les Macédoniens, le roi Agis III rencontre Pharnabaze et Autophradatès, qui de leur côté se sont assurés de la fidélité de l'île d'Andros et ont débarqué leur compatriote Hydarnès (le nom de ce personnage apparaît incidemment chez Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, IV, 5.13) à Milet pour y récolter des fonds ("Pharnabaze et Autophradatès, après avoir séjourné un temps dans l'île de Chio, y laissèrent une garnison, et ayant détaché des navires vers Kos et Halicarnasse ils vinrent devant Siphnos avec une centaine de leurs meilleurs bâtiments. Là, une trière conduisit Agis III roi de Sparte, qui vint leur demander de l'argent, un renfort de troupes terrestres et maritimes, pour tenter une invasion dans le Péloponnèse", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 13.4 ; "L'amiral perse Pharnabaze exigea un tribut des Milésiens et installa une garnison à Chio. Il gagna Andros puis Siphnos à la tête de cent navires. Il laissa une garnison dans ces îles et exigea qu'elles versassent une indemnité", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, IV, 1.37). En résumé, Alexandre agit dorénavant dos au mur, ou plus exactement dos à la mer, la bataille d'Issos qui s'annonce est une répétition de la bataille du Granique de l'année précédente, mais à plus grande échelle : il est obligé de vaincre pour ne pas être anéanti en même temps que tous les contingents des cités grecques et anatoliennes qui se sont soumis à lui. S'il gagne, le Grand Roi perdra la domination sur le nord-est de la Méditerranée (parce que la ligne de ravitaillement jusqu'à Ténédos deviendra trop fragile, et parce qu'il faudra de toute façon que la flotte de Pharnabaze et d'Autophradatès se replie sur le Levant qu'Alexandre sera naturellement tenté de conquérir) et sur toute l'Anatolie. S'il perd, non seulement le Grand Roi aura sauvé l'ouest de son Empire, mais encore il pourra s'en servir comme tremplin pour rasseoir profondément et durablement son autorité sur le nord-est de la Méditerranée, Grèce incluse, amputé de substance militaire. Diodore de Sicile cite quelques auteurs qu'il ne nomme pas affirmant que ce quitte ou double a été délibérément choisi par Alexandre, pour obliger ses soldats à se battre dans l'idée que la retraite signifie la mort ("Certains pensent que c'est par un calcul de grand capitaine qu'Alexandre s'est défait de sa flotte [lors du siège de Milet en -334] : sachant que Darius III viendrait à sa rencontre et prévoyant qu'une grande bataille aurait lieu entre les deux puissances, il a estimé que les Macédoniens se battraient avec plus de résolution en étant privés de toute retraite et de toute ressource. Il semble avoir déjà calculé cela lors de la bataille du Granique, en mettant ses soldats dos au fleuve pour les exposer à la noyade en cas de fuite", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.23).


Momentanément, Alexandre bénéficie de la sottise de son ennemi le plus proche. Arsamès le satrape de Cilicie, échappé de la bataille du Granique, commet la même erreur que Syennésis jadis en -401 face au prince Cyrus : il néglige de protéger les Portes ciliciennes (aujourd'hui le Gülek Boğazı en Turquie, 37°16'33"N 34°47'39"E : "Arsamès, qui avait d'abord voulu conserver la cité de Tarse au pouvoir des Perses, ne songea plus qu'à l'abandonner en apprenant l'arrivée [d'Alexandre] et l'hostilité des habitants qui craignaient qu'il la pillât avant de la quitter. Alexandre ayant doublé sa marche à la tête de sa cavalerie et de ses troupes légères, Arsamès prit peur et s'enfuit précipitamment vers Darius III sans avoir ruiné la cité", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 4.5-6 ; "Arsamès le satrape de Cilicie n'avait pas oublié les consignes données par Memnon au début de la guerre : il décida de les appliquer, alors qu'elles n'étaient plus aussi profitables que précédemment. Il mit la Cilicie à feu et à sang pour que l'ennemi trouvât un pays en ruine, il détruisit tout ce qui pouvait servir, résolu à laisser nu et stérile le sol qu'il ne pouvait défendre. Mais il aurait été mieux inspiré en installant des bonnes troupes pour garder le défilé commandant l'accès en Cilicie, et en occupant les hauteurs qui dominaient commodément la route pour contenir les ennemis ou les écraser", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 4.3-4). Les Grecs peuvent donc pénétrer en Cilicie par ce chemin sans avoir à combattre ("Alexandre marcha vers les Portes ciliciennes. Il parvint au camp du prince Cyrus auquel jadis Xénophon s'était réuni. Voyant le passage bien gardé, il confia à Parménion le commandement de l'infanterie pesamment armée, tandis que lui-même dès la première veille de la nuit emmena les hypaspistes, les archers, les Agriens, pour s'avancer vers le défilé et y surprendre ceux qui le gardaient. Son audace fut découverte et se termina de façon heureuse : à la nouvelle de l'approche d'Alexandre, le poste fut abandonné. Le lendemain, dès l'aurore, il put donc franchir le passage avec toute son armée et descendre en Cilicie", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 4.2-4). Quand il constate la configuration des lieux et débouche dans la plaine cilicienne sans avoir été inquiété, Alexandre lui-même se dit qu'il a eu beaucoup de chance d'avoir un adversaire aussi bête qu'Arsamès ("Alexandre traversa donc les gorges appelées “Portes ciliciennes”. Après avoir observé la configuration des lieux, il se félicita plus que jamais de sa chance, avouant qu'il aurait très bien pu être écrasé sous les pierres si des hommes avaient été positionnés pour les lancer sur lui au moment de son passage en contrebas. Le chemin permet à peine de circuler à quatre avec les armes, une crête étroite et raide le domine, sans cesse coupée par des cours d'eau qui surgissent au pied des montagnes", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 4.11-12 ; plus tard en -329, Bessos le satrape de Bactriane reviendra aussi sur cette monumentale erreur tactique d'Arsamès, pour mieux accuser Darius III : "C'est la lâcheté de Darius III qui a grandi la réputation des ennemis [c'est Bessos qui s'adresse à ses proches]. Dans les étroites gorges de Cilicie, il aurait pu reculer pour les attirer furtivement dans des coins pourvus de meilleures défenses naturelles : on y trouve tant de rivières à traverser, tant d'endroits où se cacher dans la montagne, qu'il aurait été facile de les surprendre sans leur laisser la possibilité de résister ou même de s'enfuir", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, VII, 4.3-4). Il s'empare de la capitale Tarse (36°55'02"N 34°53'34"E), qu'il sauve de l'incendie allumé par les Perses en fuite ("L'armée atteignit Tarse. Les Perses y avaient allumé des feux pour que ses richesses ne tombassent pas aux mains de l'ennemi. Mais Alexandre, ayant envoyé Parménion avec une patrouille mobile arrêter l'incendie généré par les habitants désireux de fuir avant son arrivée, entra dans la cité ainsi épargnée des flammes", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 4.14-15). Mais les ennuis s'accumulent. D'abord, le lobbying de Darius III en Anatolie porte ses fruits. L'or perse confié à Atizyès le satrape déchu de Haute-Phrygie, rescapé de la bataille du Granique, réussit à corrompre le Lynkeste Alexandre fils d'Aeropos : informé par une lettre de sa mère Olympias des agissements louches de ce personnage, qui a trempé dans le meurtre de Philippe II en -336 mais qui a été sauvé par les prières de son parent Antipatros et qui a même obtenu un commandement lors de l'expédition en Thrace de -335 (nous avons parlé de ceci dans notre paragraphe introductif) puis la direction de la cavalerie thessalienne après la bataille du Granique en remplacement de Callas fils d'Harpale nommé satrape de Phrygie hellespontique (nous avons évoqué cela dans un alinéa précédent), Alexandre reçoit la preuve que ces soupçons sont fondés quand Parménion lui apporte un complice perse capturé par hasard. Alexandre fils d'Aeropos est emprisonné ("A la même époque [après la mort de Memnon de Rhodes] la mère d'Alexandre lui écrivit sur plusieurs affaires importantes, et lui demanda entre autres choses de se méfier d'Alexandre le Lynkeste. C'était un homme plein de sens et de courage qui avait suivi le roi comme un favori, mais comme des indices concordants et crédibles renforçaient l'avis de la reine, il fut arrêté et emprisonné dans l'attente de passer devant un tribunal", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.32 ; "On apprit qu'Alexandre fils d'Aeropos, un des hétaires qui commandait la cavalerie thessalienne, conspirait contre le roi. Cet Alexandre était le frère d'Héroménos et d'Arrhabaios, tous deux complices du meurtre de Philippe II. Lui-même y avait trempé. Mais le roi lui avait pardonné parce qu'après la mort de son père il fut le premier de ses Amis qui se rangea près de lui et qui le conduisit en armes dans le palais. Depuis, Alexandre avait cherché à se l'attacher par toutes les distinctions, en lui donnant le commandement des troupes envoyées en Thrace, en lui confiant la direction de la cavalerie thessalienne en remplacement de Callas. Voici les détails de la conspiration. Darius III reçut, par le transfuge Amyntas, des lettres et des ouvertures de la part de cet Alexandre. Il députa aussitôt secrètement le Perse Sisinès qu'il honorait d'une confiance intime vers Atizyès le satrape de Phrygie, et le chargea de s'entendre avec cet Alexandre en lui promettant, pour prix de l'assassinat du roi, le royaume de Macédoine et mille talents d'or. Mais Parménion surprit Sisinès, et en tira des aveux complets, qu'il réitéra devant Alexandre à qui Parménion l'envoya sous bonne garde. […] Le traître fut arrêté et jeté en prison", Arrien, Anabase d'Alexandre, I, 25.1-10 ; "On vint lui annoncer, sur la déposition d'un captif, qu'Alexandre le Lynkeste, parent d'Antipatros le gouverneur de la Macédoine, tramait une conjuration contre lui. Craignant que le supplice du coupable excitât des troubles dans son royaume, il le jeta dans les fers", Justin, Histoire XI.7), mais l'alerte a été chaude. Pire : dans des conditions qu'on ignore, Harpale, ami d'enfance d'Alexandre, le trahit à son tour ("Peu de temps avant la journée d'Issos, les conseils d'un homme pervers originaire de Tauriskos, qui finit ses jours en Italie au côté d'Alexandre le roi d'Epire, avaient entrainé Harpale dans sa défection", Arrien, Anabase d'Alexandre, III, 6.7). Ensuite, Alexandre tombe gravement malade en se baignant dans le fleuve Cydnos (aujourd'hui le Tarsus Çayı, rebaptisé le Berdan Çayı depuis la mise en fonction du barrage du même nom en 1984 : "Alexandre tomba malade, selon Aristobule par suite de ses fatigues, selon d'autres pour s'être jeté à la nage, tout échauffé et couvert de sueur, dans les eaux du Cydnos", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 4.7 ; "Le fleuve Cydnos coule au milieu de la cité [de Tarse]. C'était l'été. Aucune région de Cilicie n'est davantage exposée aux ardeurs du soleil, et on était à l'heure la plus chaude de la journée. La pureté de l'eau incita le roi, couvert de sueur et de poussière, à se baigner dans le fleuve en pleine chaleur. Il retira ses vêtements et entra dans l'eau à la vue de tous, pensant ainsi montrer à son armée qu'on peut facilement prendre soin de soi à peu de frais. A peine était-il entré dans l'eau que ses membres se raidirent soudain, il devint livide et la chaleur vitale quitta son corps. Ses serviteurs le sortirent de l'eau, le croyant mort, et le transportèrent dans sa tente sans connaissance. L'inquiétude était terrible et on sentait déjà presque la présence de la mort dans le camp", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 5.1-4 ; "Arrivé sur les bords du Cydnos qui traverse la cité de Tarse, séduit par la beauté de ses eaux, [Alexandre] quitta son armure, et se jeta, couvert de sueur et de poussière, dans les flots presque glacés de ce fleuve. A l'instant, ses nerfs se raidirent, il perdit l'usage de la voix. On désespéra aussitôt de le sauver, on ne voyait même aucun moyen de retarder son trépas", Justin, Histoire XI.8). Son état s'améliore un peu ("Mais le roi respira mieux, il rouvrit les yeux, reprit peu à peu ses esprits et reconnut ses amis debout autour de lui", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 5.9), mais nécessite néanmoins un traitement médical. Or on soupçonne que certains hommes sont des espions de Darius III payés pour hâter la mort du roi ("On avait des raisons de se méfier des remèdes nouveaux : l'ennemi avait effectivement déjà tenté d'engager un tueur jusque dans son entourage [allusion à Alexandre le Lynkeste récemment arrêté], Darius III ayant promis publiquement mille talents à quiconque assassinerait [Alexandre]", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 5.15-16). Parménion en particulier, quand un médecin acarnanien nommé "Philippe" se présente avec un remède ("Ses médecins, persuadés que le mal était au-dessus de tous les remèdes, n'osaient pas lui administrer les secours nécessaires, de peur qu'en cas d'échec les Macédoniens les en rendissent responsables. Mais Philippe d'Acarnanie, son premier médecin, le voyant dans un danger extrême, et confiant dans l'amitié qu'Alexandre avait pour lui, se sentit coupable en ne s'exposant pas au péril de tenter un dernier remède pour sa guérison : assumant tous les risques, il lui proposa donc une potion qu'il lui demanda d'avaler avec confiance, en l'assurant qu'elle le guérirait bientôt et lui permettrait de reprendre la guerre", Plutarque, Vie d'Alexandre 19), accuse ce dernier de vouloir empoisonner Alexandre ("Tous les médecins étaient pessimistes sur sa survie, seul l'Acarnanien Philippe, qui suivait Alexandre et avait sa confiance la plus intime, prescrivit une potion médicale. Tandis qu'on la préparait, Parménion remit à Alexandre une lettre par laquelle il l'avertissait de se défier de Philippe, que Darius III l'avait engagé à prix d'argent pour empoisonner le roi", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 4.8-9 ; "Connu parmi les médecins, l'Acarnanien Philippe était parti de Macédoine avec le roi, qui avait une confiance absolu en lui. Chargé de veiller sur sa santé, il l'accompagnait depuis son jeune âge et l'aimait beaucoup, non pas comme son roi mais comme son enfant. Il lui proposa un remède dont il garantissait l'efficacité, et qui aurait raison de son mal à condition d'attendre un peu. […] [Alexandre] reçut une lettre de Parménion, le plus fidèle de ses dignitaires, l'adjurant de ne pas mettre sa vie entre les mains de Philippe et le soupçonnant d'avoir été soudoyé par Darius III qui lui avait promis la main de sa sœur en plus de mille talents", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 6.1-4 ; "Alexandre reçut une lettre que Parménion lui avait écrite du camp, lui disant de se méfier de Philippe qui, séduit par les riches présents de Darius III et la promesse d'épouser sa fille, s'était engagé à faire périr le roi. Ce dernier, après avoir lu cette lettre, ne la montra à aucun de ses amis, et la mit sous son chevet. Philippe suivi de tous les autres médecins entra dans la chambre du roi avec la potion qu'il portait dans une coupe. Alexandre lui donna d'une main la lettre de Parménion, et prenant de l'autre main la coupe il en avala le contenu d'un trait sans laisser paraître le moindre soupçon. Ce fut une scène vraiment théâtrale que de voir en même temps Philippe lire la lettre et Alexandre boire le remède, puis se regarder l'un l'autre avec un air bien différent, Alexandre avec un visage riant et satisfait, témoignant à son médecin la confiance qu'il avait en lui, et Philippe s'indignant contre cette calomnie, prenant les dieux à témoin de son innocence, tendant les mains au ciel, se jetant sur le lit d'Alexandre, le conjurant de garder espoir et de s'abandonner à lui sans rien craindre", Plutarque, Vie d'Alexandre 19 ; "Un seul de ses médecins, nommé ‟Philippe”, promit de le guérir. Mais une lettre de Parménion, venue la veille de Cappadoce, rendit ses secours suspects : ce stratège, sans connaître la maladie d'Alexandre, lui écrivit de se méfier du médecin Philippe, corrompu, disait-il, par les trésors du Grand Roi de Perse", Justin, Histoire XI.8). Fausse alerte : Alexandre avale le remède, et guérit ("Alexandre recouvra la santé après avoir montré à Philippe un attachement imperturbable, et à ceux qui l'entouraient quelle était sa confiance dans ses amis et combien peu il craignait la mort", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 4.11 ; "Le remède était si violent que les moments qui suivirent donnèrent raison aux accusations de Parménion. Le roi étouffa, respira mal. Philippe essaya tout ce qui était en son pouvoir : il lui appliqua des compresses chaudes, tenta de le réveiller par l'odeur de la nourriture ou du vin. […] Lorsque le remède se fut répandu dans les veines et que son effet commença à agir dans tout le corps, Alexandre retrouva plus vite que prévu sa lucidité puis ses forces. Il se présenta devant les soldats deux jours après le traitement", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 6.13-16 ; "Le remède, en se rendant maître de la maladie, abattit tellement les forces du roi, qu'il perdit la parole et tomba dans une si grande faiblesse qu'il perdit le sentiment. Mais promptement secouru par Philippe, il reprit bientôt ses forces, et se montra aux Macédoniens, dont l'inquiétude cessa dès qu'ils le virent", Plutarque, Vie d'Alexandre 19 ; "Mais le roi aima mieux s'abandonner à la foi douteuse d'un médecin, qu'attendre une mort certaine. Il prit la coupe des mains de Philippe en lui montrant la lettre [de Parménion], et but les yeux fixés sur le visage du médecin : le voyant calme et sans trouble, il se rassura lui-même, et fut guéri quatre jours après", Justin, Histoire XI.8). Mais du coup, le soupçon se détourne contre Parménion, ce qui n'améliore pas la relation ambiguë que les deux hommes entretiennent depuis -334.


Du côté perse, le manque de sources ne doit pas nous laisser croire que les choses sont moins tendues. Darius III, comme Alexandre, a impérativement besoin d'une victoire. L'immense armée qu'il conduit vers l'ouest au-delà de l'Euphrate ("Darius III se dirigea vers l'Euphrate aussi vite que possible avec son armée qui était peu mobile. Il lui fallut cinq jours pour traverser le fleuve en empruntant les ponts qui reliaient les deux rives", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 7.1) est composée d'hommes venant de toutes les régions de l'Empire, qui s'interrogent naturellement sur les défaites successives perses depuis la bataille du Granique : pour éviter l'implosion de son Empire, il doit impérativement montrer à tous ces hommes qu'il est encore le Grand Roi de Perse en battant l'envahisseur, qui a désormais dépassé le point atteint en -395 par Agésilas II (qui n'avait pas réussi à prendre Gordion), et qui a parcouru la moitié du chemin effectué en -401 par le prince Cyrus et les Dix Mille. Plusieurs incidences d'Eschine, qui ironise sur la couardise de son rival Démosthène, révèle que Darius III à cette époque tente d'attirer vainement les Athéniens dans une alliance de revers ("Alexandre à peine monté sur le trône est passé en Asie, sans avoir réglé les affaires de son royaume. Le Grand Roi de Perse disposait de beaucoup de navires, d'argent, de troupes, il nous a proposé son alliance car les dangers le menaçaient. Qu'as-tu dit à cette occasion, Démosthène, qu'as-tu proposé ? Je veux bien admettre que tu es timide, et que ton naturel l'a emporté, mais les affaires de la cité ne souffrent pas les lenteurs d'un gouvernant timide", Eschine, Contre Ctésiphon 163 ; "Peu avant le passage d'Alexandre en Asie, le Grand Roi de Perse a écrit au peuple une lettre insolente où, après diverses expressions dures dignes d'un barbare, il concluait : “Je ne vous donnerai pas d'argent, ne m'en demandez pas vous n'en aurez pas”. Le même, se voyant ensuite entouré de périls, a envoyé trois cents talents au peuple d'Athènes qui ne demandait rien et les a généreusement refusés. C'était la circonstance, l'extrémité du péril et le besoin d'alliés, qui nous envoyaient cet argent", Eschine, Contre Ctésiphon 238-239).


Commence alors un jeu du chat et de la souris.


1 : Darius III prend position dans la vallée de Sochos (aujourd'hui la vallée de Kırıkhan en Turquie, 36°27'17"N 36°18'51"E), à la frontière entre Syrie et Cilicie, où il peut déployer toute son armée cachée derrière les monts Aman ("Darius III, pour asseoir sa position, choisit d'abord une plaine de l'Assyrie, immense et ouverte de tous côtés, où ses troupes innombrables et sa cavalerie pouvaient se développer avec avantage", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 6.3). De son côté, Alexandre s'engage dans la route empruntée en -401 par le prince Cyrus et les Dix Mille : il quitte Tarse pour gagner la côte, à Anchialon (site inconnu : "[Alexandre] sortit le dernier de Tarse. En un jour de marche, il atteignit la cité d'Anchialon, qu'on dit avoir été bâtie par Sardanapale le roi des Assyriens", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.2) et à Soles où des Ciliciens lui résistent un temps (site archéologique près de Mersin en Turquie, 36°44'35"N 34°32'21"E : "D'Anchialon, Alexandre passa à Soles, où il installa une garnison et condamna les habitants à une amende de deux cents talents d'argent pour avoir favorisé les Perses. Prenant ensuite avec lui trois corps de l'infanterie macédonienne, tous les hommes de traits et les Agriens, il attaqua les Ciliciens des montagnes, puis il rentra à Soles après les avoir réduits en sept jours par la force ou par la négociation", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.5-6 ; "Complètement remis [de la maladie qui l'a cloué au lit à Tarse], Alexandre parvint à Soles. Après s'être emparé de la cité, il exigea une amende de deux cents talents et laissa un détachement pour en garder la citadelle", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 7.2). C'est là qu'il apprend que les dernières résistances d'Halicarnasse sont enfin tombées face à ses troupes qu'il y a laissées à la fin de l'automne -334, et que l'île de Kos où Memnon avait rassemblé la flotte perse a également été conquise ("[Alexandre] apprit que Ptolémée et Asandros avaient défait le Perse Orontobatès qui tenait la citadelle d'Halicarnasse, Myndos, Caunos, Théra et Kallipolis. La conquête de Kos et de Triopion suivit cette victoire. La bataille avait été remarquable, l'ennemi ayant perdu sept cents fantassins, cinquante cavaliers, et près de mille prisonniers", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.7). Pour fêter sa guérison, la prise de Soles et la chute d'Halicarnasse, et aussi en attendant que les troupes qui assiégeaient cette cité le rejoignent et grossissent ses maigres effectifs, il organise de grandes fêtes en l'honneur notamment du héros guérisseur Asclépios (pour fêter sa guérison) et de la déesse guerrière Athéna ("Alexandre sacrifia à Asclépios, conduisit la pompe aux flambeaux avec toute son armée, célébra les combats du gymnase et de la lyre, et établit à Soles la démocratie", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.8 ; "[Alexandre] s'acquitta des vœux pour sa guérison dans un climat de fête et d'insouciance afin de montrer aux barbares sa confiance et son mépris. Il organisa des jeux en l'honneur d'Asclépios et d'Athéna. Une bonne nouvelle lui parvint pendant le spectacle : ses troupes avaient remporté une victoire sur les Perses à Halicarnasse", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 7.3-4). La nouvelle de cette conquête d'Halicarnasse et de Kos est vraiment très importante, et on comprend que le conquérant ait envie de la fêter, car elle compromet grandement la stratégie de Darius III de "transporter la guerre d'Asie en Europe" : désormais toute la côte anatolienne depuis Abydos jusqu'à la Cilicie est sous pavillon grec, et même si la flotte perse contrôle toujours le large à partir des îles de Ténédos, de Chio et de Lesbos, elle n'a plus aucun site continental en Méditerranée du nord où relâcher, et sa ligne de ravitaillement vers le Levant est à la merci des raids d'Amphotéros et d'Hégélochos qui peuvent s'appuyer sur les infrastructures portuaires de la péninsule d'Halicarnasse. Les Cariens qui ont fréquenté les Perses de trop près sont réduits à fuir vers l'est avec leurs anciens maîtres : on les retrouvera aux côtés de Darius III lors de la bataille de Gaugamèles. Les réjouissances terminées, Alexandre avance par Magarsos (aujourd'hui Karataş en Turquie, 36°32'45"N 35°20'49"E), puis Mallos (site archéologique près de l'actuel village de Kızıltahta, au nord de Karataş en Turquie, 36°45'26"N 35°29'12"E, cité fondée selon la tradition par le devin Mopsos et l'Argien Amphiloque, ce qui explique pourquoi Alexandre, dont la dynastie royale est pareillement d'ascendance argienne, se montre généreux avec elle en abolissant le tribut qu'elle payait au Grand Roi : "[Alexandre] chargea Philotas de conduire la cavalerie vers le fleuve Pyramos [aujourd'hui le fleuve Ceyhan] par la plaine d'Alènion, et délaissant Tarse avec son infanterie et le corps de ses gardes il arriva à Magarsos où il sacrifia à Athéna la protectrice du lieu. Puis il partit pour Mallos, où il honora la tombe du héros Amphiloque, apaisa les dissensions qui divisaient les citoyens, et leur remit les tributs qu'ils payaient à Darius III, par considération pour ce peuple d'origine argienne qui tirait son origine d'Héraclès comme lui", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.8-9), puis Katabolon (site inconnu : "[Alexandre] leva le camp et, après avoir traversé le Pyramos sur un pont, arriva d'abord dans la cité de Mallos, puis à Katabolon", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 7.5).


2 : La suite des manœuvres des deux adversaires pose encore débat parmi les spécialistes, car on en ignore les motivations et le détail. Il semble que Darius III apprenne soudain, avec retard, la présence d'Alexandre du côté de Soles et la grande fête qu'il y a organisée. Sous l'influence néfaste d'on-ne-sait-quel démon, il décide de déplacer son armée pour aller à sa rencontre en s'engageant dans l'étroit chemin qui mène aux Portes amaniques (aujourd'hui le col de Bahçe en Turquie, 37°11'21"N 36°34'21"E) plutôt qu'attendre sagement dans la vaste plaine de Sochos comme l'y incite son entourage, en particulier ses transfuges grecs ("Le transfuge Amyntas conseilla [à Darius III] de ne pas abandonner sa position, que le nombre de ses troupes et de ses bagages devait l'engager à tenir. Darius III s'y maintint d'abord. Mais Alexandre ayant été arrêté successivement dans Tarse par la maladie, dans Soles par les jeux et les sacrifices, et dans les montagnes de Cilicie par l'expédition contre les barbares, Darius III se méprit sur les motifs de ces retards et crut trop facilement ce qu'il désirait, il prêta l'oreille aux flatteurs qui l'entouraient et qui perdront toujours les princes : “Alexandre, disaient-ils, effrayé de l'arrivée du Grand Roi, n'osera pas avancer plus loin, la cavalerie seule des Perses suffira pour écraser l'armée des Macédoniens”, au contraire d'Amyntas qui disait : “Alexandre viendra chercher Darius III dans n'importe quel lieu où il se trouve : c'est ici qu'il faut l'attendre”. L'avis le moins sage, mais le plus flatteur, l'emporta. Est-ce le démon de Tychon ["TÚcwn", dieu du hasard] qui a poussé Darius III à s'engager dans un lieu où il ne pourrait ni se servir facilement de sa cavalerie et de la multitude de ses troupes légères, ni étaler son armée, pour préparer aux Grecs une victoire facile, mettant ainsi l'Asie des Perses à la disposition des Macédoniens, de la même façon qu'elle était passé jadis des Assyriens aux Mèdes et des Mèdes aux Perses ?", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 6.3-7 ; "Darius III avait dans son armée un homme nommé ‟Amyntas” qui s'était enfui de Macédoine et qui connaissait le caractère d'Alexandre. Quand il vit Darius III se disposer à passer les défilés des montagnes pour marcher contre ce roi, il le conjura de l'attendre dans le lieu où il se trouvait afin de combattre, une plaine spacieuse et découverte, idéale contre un ennemi qui lui était numériquement si inférieur. Darius III lui répondit qu'il craignait que les ennemis prissent subitement la fuite et qu'Alexandre lui échappât : “Ah, seigneur, répondit Amyntas, rassure-toi sur ce point : Alexandre ne manquera pas de venir à toi, il est certainement déjà en marche !”. Darius III, loin d'être persuadé par ce que lui dit Amyntas, leva son camp et marcha vers la Cilicie", Plutarque, Vie d'Alexandre 26). Croit-il que son ennemi est aux abois et cherche à l'éviter (c'est la thèse de Diodore de Sicile : "Ayant appris qu'Alexandre marchait vers le passage, [Darius III] crut que son ennemi évitait de le rencontrer en pleine campagne. Il résolut de gagner ce passage par le plus court chemin", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.32 ; c'est aussi la thèse de Plutarque : "La confiance de Darius III s'accrut encore quand il se fut persuadé que c'était la crainte qui avait retenu si longtemps Alexandre en Cilicie, alors que ce long séjour avait été causé par une maladie que les uns attribuent à la fatigue, et les autres à son bain dans le Cydnos dont l'eau est aussi froide que la glace", Plutarque, Vie d'Alexandre 19) ? Alexandre de son côté prend d'abord la même direction, vers les Portes amaniques, en remontant le fleuve Pyramos pour anéantir les Ciliciens des montagnes qui refusent encore son autorité. Il envoie Parménion en avant-garde ("Pour occuper les autres défilés qui séparent la Cilicie de l'Assyrie, [Alexandre] envoya Parménion à la tête de l'infanterie auxiliaire, des Grecs à sa solde, des Thraces commandés par Sitalkès, et de la cavalerie thessalienne", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 5.1 ; "Le roi apprit que Darius III n'était qu'à quelques journées de distance. Il envoya Parménion à la tête d'un régiment s'assurer des passages, surtout celui des Portes [amaniques], tandis que lui-même, prenant la même direction dans le but de s'en emparer, chassa des barbares qui en défendait l'accès", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.32). Est-ce donc la marche d'Alexandre vers ces portes amaniques qui a poussé Darius III à s'y rendre, redoutant que son ennemi soit audacieux (et pas du tout aux abois comme le disent Diodore de Sicile et Plutarque) au point de reproduire le scénario qui a causé l'invasion de la Cilicie : foncer vers les Portes amaniques et les franchir comme il a récemment foncé vers les Portes ciliciennes, avant qu'on ait eu le temps d'en organiser la défense ? C'est possible.


3 : Mais pour une raison qu'on ignore, Alexandre fait brusquement demi-tour, et redescend la vallée du Pyramos pour rejoindre la côte. Selon Arrien, c'est parce que ses informateurs lui apprennent avec un temps de retard que Darius III a installé son camp dans la vallée de Sochos ("Alexandre apprit que Darius III avec toute son armée campait du côté de Sochos, à deux jours de marche des défilés qui ouvrent l'Assyrie. Ayant rassemblé ses troupes, il leur annonça que Darius III et son armée étaient proches. Tous demandèrent à marcher. Alexandre rompit le conseil après avoir loué le courage de tous. Le lendemain il marcha contre Darius III et les Perses", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 6.1-2). Le Grand Roi en réalité a quitté cette vallée de Sochos au sud, il se dirige vers les Portes amaniques au nord, ravitaillé en chemin par les Ciliciens des montagnes qui comptent sur lui pour chasser l'envahisseur macédonien ("Les habitants des environs, méprisant les Macédoniens à cause de leur petit nombre et désireux de maintenir Alexandre à distance en restant dans le parti de Darius III, apportèrent avec beaucoup de zèle des vivres et d'autres secours aux Perses en leur annonçant la victoire, signifiant ainsi leur préférence", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.32). Si la thèse d'Arrien est fondée, cette monumentale erreur de timing des informateurs d'Alexandre apparaît a posteriori comme un extraordinaire coup de chance du destin, car elle va conduire les deux armées vers un étroit passage côtier favorisant le petit contingent d'Alexandre et lui assurant la victoire - le même passage emprunté jadis en -401 par le prince Cyrus et les Dix Mille -, ce qui n'aurait peut-être pas été le cas si le même Alexandre avait dû combattre Darius III solidement installé aux Portes amaniques et renforcé par les montagnards ciliciens connaissant parfaitement les lieux.


4 : Parménion, qui a également fait demi-tour à l'avant, arrive à Issos (site non localisé, probablement dans le voisinage ou sous la ville actuelle de Dörtyol en Turquie, 36°50'11"N 36°11'32"E) désertée par ses habitants ("Parménion avait envoyé des éclaireurs reconnaître le défilé à franchir pour se rendre à Issos. Après avoir occupé les gorges et laissé quelques hommes garder le passage, il avait occupé la cité abandonnée par les barbares", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.6). Il franchit le fleuve Pinaros (on ignore s'il s'agit de l'actuelle Payas Çayı/rivière de Payas, ou de l'actuelle Deli Çay/rivière folle, ou de l'actuelle Kuru Çay/rivière sèche, située toutes les trois autour de Dörtyol en Turquie), mais a la prudence de ne pas aller plus loin que Myriandros (36°34'18"N 36°10'03"E), qui contrôle les Portes syriennes (aujourd'hui le col de Belen, au sud d'Iskenderun en Turquie, 36°29'30"N 36°11'39"E) par où jadis en -401 le prince Cyrus et les Dix Mille sont entrés en Syrie. Alexandre le suit : il passe par Issos, où on lui confirme que Darius III est bien dans les parages ("Alexandre prit la grande cité d'Issos au premier assaut. Les coureurs lui ayant appris que Darius III n'était qu'à une distance de trente stades et qu'il s'avançait à la tête d'une armée formidable, Alexandre ne s'alarma pas, et se flatta au contraire que les dieux lui présentassent l'occasion de détruire en un unique combat l'Empire des Perses", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.32-33), et il atteint les Portes syriennes près de Myriandros au sud, la nuit même où Darius III passe les Portes amaniques au nord et descend à son tour vers la côte ("Alexandre franchit les gorges qui commandent l'accès à la Syrie, la nuit même où Darius III franchit les Portes amaniques", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.13 ; "Darius III leva son camp et marcha vers la Cilicie pendant qu'Alexandre allait en Syrie au-devant de lui, mais ils se manquèrent dans la nuit", Plutarque, Vie d'Alexandre 20). Selon Arrien, le mauvais temps oblige Alexandre à rester sur place ("Le second jour, ayant franchi les défilés, il campa près de Myriandros. L'orage épouvantable qui s'éleva pendant la nuit, les vents et des torrents de pluie, contraignirent Alexandre à rester sur place", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 6.2).


5 : Darius III arrive à Issos. Les informateurs grecs s'empressent d'apporter la nouvelle à Alexandre, qui croit toujours que Darius III se trouve derrière les monts Aman à sa gauche, dans la plaine de Sochos. Il demande confirmation. Des éclaireurs sont envoyés à Issos. Eh oui : Darius III est bien sur ses arrières à Issos ("[Darius III] franchit les Portes amaniques et marcha imprudemment vers Issos, sur les arrières d'Alexandre. Maître de la cité, il exécuta cruellement les malades qu'Alexandre y avait laissés. Le lendemain, il s'avança aux bords du Pinaros. Alexandre ne put croire que Darius III était sur ses derrières, il envoya quelques hétaires sur une triacontère ["triakÒntoroj", navire à trente rameurs] pour aller à la découverte : à la faveur des sinuosités du rivage, ils virent le camp des Perses vers Issos, et revinrent annoncer à Alexandre que Darius III était à sa portée", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 7.1-2). De son côté, le Grand Roi découvre que les Grecs sont un peu plus loin au sud, à Myriandros. Pour les terroriser, il mutile les malades et les blessés qu'Alexandre a laissé dans Issos, et les renvoie vers leurs compatriotes ("Les Perses pensèrent que les Macédoniens étaient en fuite. En investissant la cité d'Issos abandonnée à son sort, ils tombèrent sur des blessés et des malades incapables de suivre l'armée. Sous la pression de son entourage pris d'un accès de sauvagerie barbare, Darius III ordonna de leur couper ou de leur brûler la main avant de les promener dans le camp pour qu'ils vissent tout et allassent ensuite raconter à leur roi que qu'ils avaient vu [c'est le même stratagème que Xerxès Ier a utilisé contre les espions envoyés par Athènes pour constater ses forces en -480, raconté par Hérodote, Histoire VII.146-147]. Darius III continua à avancer et traversa le Pinaros dans l'intention de rattraper l'ennemi qu'il croyait en fuite. Les prisonniers dont il avait coupé les mains arrivèrent au camp des Macédoniens, et annoncèrent que Darius III s'avançait derrière eux à toute vitesse. A peine put-on les croire. Alexandre envoya des éclaireurs le long de la côte pour s'assurer si c'était bien Darius III lui-même qui arrivait, ou si l'approche d'un de ses lieutenants avait été prise pour celle de l'armée entière. Mais au moment où ces éclaireurs revinrent, on aperçut au loin une multitude considérable. Bientôt des feux commencèrent à briller de tous côtés dans la campagne, et tout l'horizon sembla s'enflammer d'un vaste incendie, tant était grand l'espace qu'occupaient les tentes de cette armée sans ordre et encombrée de ses bêtes de somme", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.14-18). Puis il expose à son entourage sa volonté d'emprunter l'étroite plage qui relie Issos à Myriandros pour fondre sur l'envahisseur. Thymondas, le fils de Mentor récemment nommé à la tête des mercenaires grecs - les meilleures troupes de Darius III, tant par la valeur militaire que par le fait qu'elle savent que si elles sont battues elles seront jugées comme traîtres par Alexandre comme celles de la bataille du Granique -, tente de l'en dissuader en lui conseillant de se replier sur sa position de départ, dans la grande plaine de Sochos, plus adaptée au déploiement de son immense armée. Les Perses présents l'accusent aussitôt de lâcheté et de fomenter un traquenard contre le Grand Roi ("Les soldats grecs que Pharnabaze avait remis à Thymondas avaient rejoint Darius III. Ils représentaient son principal espoir, presque le seul qui lui restait. Ils lui conseillèrent fermement de faire demi-tour et de revenir dans les vastes plaines de Mésopotamie ou, s'il refusait de le faire, de ne pas diviser son immense armée et ne pas prendre le risque d'exposer toutes les forces du royaume sur un seul coup du sort. Les dignitaires ne voulurent pas que le Grand Roi suivît ce conseil : “Nous ne sommes pas sûrs de la loyauté de ces soldats, toujours prêts à se donner au plus offrant et qui trahissent à la première occasion. Ils veulent qu'on divise les troupes pour faire bande à part et fournir des renseignements à Alexandre : on serait mieux inspiré de les encercler et de les cribler de traits, ce châtiment réservé aux traitres servirait d'avertissement”", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.1-3). Ce dernier écarte lui-aussi la proposition de Thymondas, mais pour d'autres raisons parfaitement justifiées : comme Artaban avant le départ des contingents perses vers le continent européen en -480 (selon Hérodote, Histoire VII.49), et comme Mardonios à Platée en -479 (selon Hérodote, Histoire IX.41), Darius III est bien conscient que ses soldats sont avant tout des estomacs à nourrir, et qu'il ne pourra pas indéfiniment entretenir l'immense masse d'hommes qu'il a rassemblée. Par ailleurs, il est aussi conscient que toute nouvelle manœuvre pour éviter un combat, qu'elle soit simplement désignée sous le terme "retraite" ou habillée sous le terme "repli stratégique", sera perçue comme une marque de faiblesse par l'aristocratie perse autant que par les peuples qui lui sont soumis, ce qui risque de précipiter ceux-ci dans les bras d'Alexandre et celle-là dans la tentation d'un complot pour le renverser. Il déclare donc clairement son désir de batailler ("Darius III dit aux Grecs qu'il les remerciait de leurs bons conseils, mais que revenir sur ses pas signifierait à coup sûr livrer son pays à l'ennemi, car les conflits reposent sur des rumeurs et celui qui recule est toujours regardé comme un fuyard. Ce n'était pas raisonnable de prolonger la guerre : on ne pourrait pas nourrir tant d'hommes, surtout à l'approche de l'hiver [-333/-332], dans un pays désert et ravagé tour à tour par ses troupes et celles de l'ennemi. L'idée de diviser les effectifs était contraire à la tradition des ancêtres, qui engageaient toujours la totalité des forces au moment décisif. Enfin ce roi [Alexandre] qui semait la terreur et se montrait si sûr de lui et audacieux tant que Darius III n'était pas là, était devenu prudent depuis qu'il le savait tout près, et se terrait à présent dans des gorges, comme les bêtes peureuses qui se cachent au fond des forêts quand elles entendent les gens passer, feignant la maladie pour tromper ses hommes. Il ne voulait plus retarder encore l'affrontement : il écraserait les lâches dans le trou où ils se cachaient tout tremblant", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.7-11). Alexandre et Parménion comprennent que l'occasion est inespérée de battre Darius III, qui sera handicapé par l'étroitesse de la plage ("[Alexandre] rassembla les stratèges, les ilarques ["„l£rcoj", "chef/¢rcÒj de troupes/‡lh"] et les chefs des troupes auxiliaires : “Rappelez-vous tous vos exploits et redoublez de confiance. Vous êtes des vainqueurs et vous allez attaquer des vaincus. Un dieu veille sur nous : c'est lui qui a poussé Darius III à quitter des vastes plaines pour s'enfermer dans cet espace étroit ou notre phalange peut se développer et où le grand nombre de ses troupes devient inutile”", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 7.3 ; "Selon Parménion, l'emplacement était parfait pour livrer bataille : “Comme le défilé est trop étroit pour qu'on s'y tienne en nombre, les forces des deux rois seront sensiblement équivalentes. Il faut éviter les terrains découverts et les plaines, où l'on risque l'encerclement ou l'écrasement si on est pris entre deux fronts, et où le danger vient davantage de l'épuisement des soldats que de la bravoure des ennemis, les Perses amenant constamment des troupes fraiches si on leur laisse la place de s'étendre”. On se rallia sans hésiter à d'aussi bons arguments, et on décida d'attendre l'ennemi dans le passage", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 7.8-10) : ils sortent de Myriandros et s'avancent crânement vers lui ("[Alexandre] arrêta ses troupes, et après avoir revêtu son armure il les rangea en ordre de bataille. Des paysans effrayés allèrent annoncer au camp des Perses l'arrivée de l'ennemi. Darius III ne put croire que ceux qu'il poursuivait en fuyards vinssent à sa rencontre. Ce fut donc parmi tous les siens une grande panique", Quinte-Curce, Histoire d'Alexandre le Grand, III, 8.24-25). Suite à ces manœuvres, l'armée grecque venue de Cilicie, donc du nord, se retrouve paradoxalement positionnée sur la rive sud du Pinaros, tandis que l'armée perse venue de Syrie, donc du sud, se retrouve positionnée sur la rive nord. Pour l'anecdote, selon Arrien, Alexandre adresse alors un discours à ses soldats pour leur rappeler qu'ils marchent dans les pas des Dix Mille de -401, mais qu'ils ne connaîtront pas la retraite finale dirigée et racontée par Xénophon dans son Anabase de Cyrus ("Alexandre rappela [à ses soldats] les victoires qu'ils avaient remportées en commun, évoquant les exploits de chacun d'eux qu'il cita nominativement, et parlant des siens avec retenue. Il rapporta aussi la retraite de Xénophon et les exploits des Dix Mille qui ne pouvaient sous aucun rapport être comparés aux leurs puisqu'ils n'avaient ni les chevaux, ni les troupes béotiennes et péloponnésiennes, ni les Macédoniens, ni les Thraces, ni une cavalerie semblable à la leur, ni frondeurs et hommes de trait à l'exception de quelques Crétois et de quelques Rhodiens enrôlés à la hâte par Xénophon, et qui pourtant dénués de toutes ces ressources avaient mis en fuite le Grand Roi avec son armée sous les murs de Babylone et mené à bien leur retraite au milieu de toutes les peuples qui avaient voulu leur fermer la route du Pont-Euxin", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 7.7-9) : pour notre part, nous doutons de l'authenticité de ce discours, qui est mentionné seulement par Arrien dont l'Anabase d'Alexandre se veut justement la continuation et l'accomplissement de l'Anabase de Cyrus de Xénophon (un peu plus loin dans son récit, quand il parle de la place qu'occupe Darius III dans son dispositif de bataille ["[Darius III] se plaça lui-même au centre de l'armée, suivant l'ancienne coutume des Grands Rois de Perse dont Xénophon rapporte les motifs", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 8.10], Arrien se réfère d'ailleurs nommément à Xénophon ["Tous les chefs des barbares effectivement occupent le centre de leurs troupes, parce qu'ils croient y être plus en sûreté puisqu'ils sont couverts des deux côtés, et parce que quand ils doivent donner un ordre celui-ci met moitié moins de temps pour être transmis à la troupe la plus éloignée", Xénophon, Anabase de Cyrus, I, 8.22]), on peut cependant dire que même si Alexandre n'a pas tenu ce discours, il aurait pu le tenir, car il a de facto réalisé le programme que le prince Cyrus et les Dix Mille ont raté en -401. La bataille d'Issos commence. Nous sommes au début de l'automne -333, au mois de maimactèrion (correspondant à nos actuels mi-octobre à mi-novembre : "Telle fut l'issue de cette journée, qui eut lieu dans le mois de maimactèrion, Nicocratos étant archonte à Athènes [entre juillet -333 et juin -332]", Arrien, Anabase d'Alexandre, II, 11.10).

  

Le débarquement

Bataille du Granique

Les côtes

L’Anatolie centrale

La Cilicie

Bataille d’Issos

La campagne d’Anatolie

(printemps -334 à automne -333)

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