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Le temps perdu

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

Le temps gagné

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© Christian Carat Autoédition

Acte IV : Alexandre

La bataille d’Issos


Contrairement à la bataille du Granique, qui a opposé deux adversaires quantitativement équivalents, la bataille d’Issos met en présence deux armées quantitativement disproportionnées. Si on se limite aux estimations les plus faibles, on obtient les résultats suivants. Du côté perse, on semble distinguer quatre corps. A l’aile droite selon Arrien et Quinte-Curce, se trouvent trente mille cavaliers sous le commandement d’un nommé "Nabarzanès", épaulé par les trente mille Grecs mercenaires de Thymondas ("Darius III, instruit qu’Alexandre s’avançait en ordre de bataille, ordonna le franchissement du Pinaros à trente mille cavaliers et à vingt mille hommes de trait, qu’il rangea face à la phalange macédonienne avec trente mille mercenaires grecs lourdement armés et soutenus par soixante mille Kardakes ["Kard£koi", peuple inconnu, peut-être simple déformation de "Kardoàcoi/Kardouques" qui vivent un peu plus loin vers l’est : on se souvient que ces Kardouques, plus connus aujourd’hui sous leur nom actuel "Kurdes", à la frontière de l’Irak, de l’Iran, de la Turquie et de l’Arménie, ont gardé un mauvais souvenir du passage des Dix Mille en -400, on peut donc supposer qu’ils ont mis entre parenthèses leur différend séculaire contre le pouvoir central de Persépolis pour se ranger au côté de Darius III à Issos] armés de même, le terrain ne permettant pas d’en mettre en ligne davantage", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 8.5-6 ; "Voici quel était le plan de bataille. La cavalerie sous les ordres de Nabarzanès défendait l’aile droite, appuyée par environ vingt-mille hommes armés de frondes ou d’arcs. Thymondas, du même côté, commandait les mercenaires grecs, soit trente mille hommes, de loin les meilleurs éléments de l’armée de Darius III, capables de rivaliser avec la phalange macédonienne", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 9.1-2). A l’aile gauche se trouve le gros des hommes à pied, soit environ soixante mille fantassins, parmi lesquels un contingent de conscrits d’origines diverses commandés par un Grec nommé "Aristodémès" originaire de Thessalie, épaulés par trois mille cavaliers de la garde royale sous le commandement direct de Darius III ("A l’aile gauche, le Thessalien Aristodémès avait sous ses ordres vingt mille fantassins barbares, les peuples les plus belliqueux se trouvaient en deuxième ligne. Derrière le Grand Roi, qui s’apprêtait à combattre aussi à l’aile gauche, venaient trois mille cavaliers d’élite assurant sa garde personnelle et quarante mille hommes de l’armée de terre", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 9.3-4). Enfin, Darius III a intelligemment positionné vingt mille archers sur la rive sud du Pinaros, sur les hauteurs des monts Aman, pour menacer le flanc droit de l’armée grecque ("Sur les hauteurs, à sa gauche, [Darius III] plaça vingt mille hommes, les uns face à l’aile droite d’Alexandre et les autres au-delà, cette disposition découlant de la forme arrondie de la chaîne montagneuse qui entouraient l’aile droite des Macédoniens", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 8.7). On compte donc un total minimum de trente mille cavaliers et cent mille fantassins. Du côté grec, toujours selon Arrien et Quinte-Curce, on reprend la disposition de la bataille du Granique, la même que celle de la bataille de Chéronée à l’époque de Philippe II : les troupes à pied au milieu en guise de rouleau compresseur, soit environ trente mille hommes, protégées de part et d’autre par la cavalerie, celle offensive de droite commandée personnellement par Alexandre escorté par les hypaspistes de Nicanor l’un des fils de Parménion, celle défensive de gauche commandée par Parménion, chacune constituée de quelques milliers de cavaliers. Pour l’anecdote, dans la phalange, au côté de Cratéros l’ami d’enfance d’Alexandre, on trouve toujours côte-à-côte Perdiccas et Méléagre les deux futurs rivaux à la succession du conquérant. Sur la droite, un petit contingent d’archers thraces agriens est placé pour répondre aux traits envoyés par les hommes que Darius III a positionnés sur les hauteurs des monts Aman ("A l’aile droite, [Alexandre] plaça l’Agéma et les hypaspistes sous le commandement de Nicanor fils de Parménion. Près d’eux étaient les corps de Koinos et de Perdiccas, qui s’étendaient jusqu’au centre, où devait commencer le combat. Il composa l’aile gauche avec les troupes d’Amyntas, de Ptolémée et de Méléagre, l’infanterie était sous les ordres de Cratéros, toute cette aile était sous l’autorité de Parménion, qui reçut pour consigne de ne pas s’éloigner du rivage sous peine d’être débordé par les barbares, car il était effectivement facile pour les Perses d’envelopper par là les Macédoniens avec leurs troupes nombreuses", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 8.3-4 ; "Alexandre disposa au centre la phalange, formation d’élite de l’armée macédonienne. Nicanor le fils de Parménion défendait la droite, de même que Koinos, Perdiccas, Méléagre, Ptolémée et Amyntas qui commandaient chacun un bataillon. Cratéros et Parménion se trouvaient à gauche, du côté de la mer, Cratéros étant sous les ordres de Parménion. Les cavaliers étaient ainsi aux deux ailes : les Macédoniens et les Thessaliens à droite, les Péloponnésiens à gauche. Devant les lignes, Alexandre disposa des frondeurs et des archers thraces et crétois à l’armement léger. Aux troupes que Darius III avaient positionnées sur la montagne, Alexandre opposa les Agriens qui venaient d’arriver de Thrace", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 9.7-10). Soit un total maximum de cinq ou six mille cavaliers et quarante mille fantassins. Ces chiffres et ces dispositions des deux adversaires sur le terrain, donnés également par l’historien Callisthène, neveu d’Aristote qui participe à l’épopée d’Alexandre et en consigne le détail et le déroulement dans son récit de la campagne d’Alexandre qui ne survivra pas aux siècles mais dont nous possédons quelques fragments, laissent perplexe Polybe, autre historien et surtout ancien homme de guerre au tournant des IIIème et IIème siècles av. J.-C., qui ne comprend pas comment une telle masse d’hommes a pu se déployer sur un lieu aussi étroit, tant du côté perse ("Disons en passant quelques mots de la célèbre bataille donnée en Cilicie entre Alexandre et Darius III […], à laquelle, ce qui est important, Callisthène se trouvait. Cet historien raconte qu’Alexandre étant entré en Cilicie par les Portes [ciliciennes] Darius III se dirigea vers les Portes amaniques pour entrer à son tour en Cilicie avec son armée, que les habitants du pays l’ayant averti qu’Alexandre tournait vers la Syrie le Grand Roi le suivit, qu’arrivé près des détroits il campa sur le Pyramos, que la position qu’il occupa n’avait pas plus de quatorze stades depuis la mer jusqu’au pied de la montagne, que le fleuve après avoir traversé la montagne entre des cols encaissés traversait obliquement cet espace et allait se décharger dans la mer par un terrain plat lové entre des hauteurs raides et inaccessibles. Après cette description, il dit qu’Alexandre étant revenu sur ses pas pour aller au-devant de ses ennemis, Darius III et ses officiers rangèrent leurs hommes en ordre de bataille dans le camp même, protégés par le Pinaros qui coulait à proximité du camp, alignant la cavalerie près de la mer, les mercenaires le long du fleuve, et les peltastes au pied de la montagne. Mais comment ces troupes pouvaient-elles être ainsi rangées devant le fleuve qui passait près du camp ? Cela n’est pas concevable, car elles étaient trop nombreuses pour cela. Selon Callisthène, on comptait trente mille cavaliers et autant de mercenaires, on peut donc facilement calculer combien d’espace occupait un tel effectif. La cavalerie se range ordinairement sur huit lignes de profondeur. Entre les escadrons on doit laisser une distance raisonnable pour la commodité des manœuvres. Ainsi un stade ne peut contenir que huit cents chevaux, dix stades huit mille chevaux, quatre stades trois mille deux cents chevaux : en conséquence, dans quatorze stades on ne peut mettre que onze mille deux cents chevaux. […]. Ensuite, où étaient les mercenaires ? Derrière la cavalerie ? Mais Callisthène ne dit pas cela : selon lui, les mercenaires combattirent contre les Macédoniens, on en conclut que les cavaliers occupaient une partie du terrain, du côté de la mer, et que les mercenaires occupaient l’autre partie du côté de la montagne", Polybe, Histoire, XII, fragment 17) que du côté grec ("Selon [Callisthène], Alexandre passa en Asie avec quarante mille fantassins et quatre mille cinq cents cavaliers. Quand il fut sur le point d’entrer en Cilicie, un renfort de cinq mille fantassins et huit cents cavaliers lui vint de Macédoine. Retirons de ce nombre trois mille fantassins et trois cents cavaliers pour différents usages, le maximum qu’on puisse détacher d’une telle armée : il lui restait donc quarante-deux mille fantassins. Alexandre avec cette armée passa les détroits, apprit que Darius III était en Cilicie et éloigné de lui de seulement cent stades, aussitôt il rebroussa chemin et repassa les détroits, la phalange à l’avant-garde, la cavalerie en corps de bataille et l’intendance à l’arrière-garde, enfin dès qu’il fut dans la plaine il forma la phalange sur trente-deux lignes de profondeur, […] puis sur huit quand il fut près des ennemis. Ce récit est encore plus absurde que le précédent. Car pour un ordonnancement de dix-huit rangs de profondeur avec un intervalle de six pieds entre chaque rang, un stade ne peut contenir que seize cents hommes, par conséquent dix stades en contiendront seize mille, et vingt stades trente-deux mille. Sur un terrain de vingt stades, Alexandre ne pouvait donc ranger qu’une partie de son armée, en laissant de côté toute sa cavalerie et dix mille fantassins. Il ajoute que quand Alexandre fut à quarante stades des ennemis, il mena contre eux son armée de front. On peine à imaginer une plus grande absurdité. Car où trouver, surtout en Cilicie, une plaine de vingt stades de largeur et de quarante stades de longueur ? Or il n’en faut pas moins pour avancer de front une phalange armée de sarisses", Polybe, Histoire, XII, fragments 19.1-20.3), et qui pour cette raison conteste la crédibilité des auteurs comme Callisthène ayant écrit sur ce sujet avant lui. Mais comme nous l’avons déjà dit dans notre précédent alinéa, c’est justement l’étroitesse du lieu qui va réduire les avantages de Darius III à néant : la portion de plage entre les monts Aman et la mer Méditerranée est si resserrée, que les forces perses vont s’encombrer mutuellement, et que les forces grecques vont former un bouchon, un bloc infranchissable entre le Pinaros et Myriandros. Autrement dit, Polybe se trompe quand il essaie de comparer sa propre expérience militaire avec les chiffres et les dispositions avancés par les auteurs contemporains comme Callisthène. Quand Callisthène dit que dans tel endroit qui mesure dix mètres de largeur se trouvent côte-à-côte vingt Macédoniens ou vingt Perses, il ne faut pas s’imaginer que ces vingt soldats sont distants d’un pas les uns des autres comme c’est habituellement le cas dans les batailles de plaine, et en conclure, comme le fait Polybe, que Callisthène est un menteur car en calculant de cette façon on obtient une largeur de soldats supérieure à la largeur de l’endroit : il faut s’imaginer que ces vingt soldats sont réellement côte-à-côte, épaule contre épaule, voire dos contre poitrine, formant une masse informe incapable du moindre mouvement coordonné du côté perse, et un mur défensif compact du côté macédonien.


1 : Les archers agriens mettent rapidement en fuite les hommes que le Grand Roi a placés sur les hauteurs ("[Alexandre] donna à Parménion la consigne d’étendre au maximum les lignes en direction de la mer pour que l’affrontement eût lieu le plus loin possible des sommets occupés par les barbares. Mais ces deniers n’osèrent ni leur barrer la route ni les suivre après les avoir laissé passer : ils prirent la fuite, terrorisés en particulier à la vue des frondeurs et des archers", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 9.10-11), en partie parce que ce dernier est trop occupé à préparer ses forces sur sa droite : il lance la cavalerie de Nabarzanès contre l’aile gauche grecque - celle de Parménion -, dans l’espoir d’envelopper toute l’armée grecque et de la rabattre ensuite contre les monts Aman ("Arrivé sur le terrain plat, Alexandre à l’aile droite garda avec lui la cavalerie des hétaires, des Thessaliens et des Macédoniens, et envoya les Péloponnésiens et les autres alliés vers Parménion à l’aile gauche, contre l’armée des Perses rangée en bataille. Darius III rappela une partie de la cavalerie qui s’était avancée pour couvrir sa position, et laissa l’autre partie attaquer Parménion du côté de la mer, où les chevaux pouvaient se déployer avec avantage. Il envoya des cavaliers à sa gauche vers les hauteurs, mais jugeant que la difficulté des lieux les lui rendrait inutiles il les rejeta finalement sur l’aile droite", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 8.9-10 ; "Quand on fut à portée de trait, les cavaliers perses foncèrent avec fougue sur l’aile gauche des ennemis. Darius III voulait engager sa cavalerie parce qu’il estimait que la force de l’armée macédonienne reposait sur la phalange. A droite Alexandre vit qu’il était encerclé", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.1-2).


2 : Comprenant le danger, Alexandre décide de renouveler la manœuvre qu’il a tentée sans succès au Granique : une attaque de sa cavalerie, soutenue par une marche oblique de son infanterie, contre l’aile gauche perse, où se trouve Darius III, ce qui désorganisera toute l’armée ennemie (on se souvient qu’au Granique Alexandre a raté cette manœuvre parce qu’il a été emporté par le courant du fleuve durant son assaut). Il confie donc une partie de sa cavalerie à Parménion en difficulté ("Alexandre, voyant presque toute la cavalerie des Perses se porter du côté de la mer qui n’était tenu que par les Péloponnésiens et les autres alliés, détacha aussitôt vers cette aile gauche les cavaliers thessaliens, en leur demandant de passer par l’arrière pour n’être pas aperçus par l’ennemi", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 9.1 ; "Dès qu’il s’aperçut [de son encerclement], le Macédonien prit le parti de ne laisser sur la montagne que deux escadrons de sa cavalerie, et de lancer le reste au milieu de la mêlée. Détachant ensuite du front les cavaliers thessaliens, il leur commanda de passer par derrière à la dérobée pour aller aider Parménion et exécuter tous ses ordres", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.2-3), et, avec la poignée de cavaliers qui lui reste et les Agriens de sa droite, se jette contre le flanc gauche perse pour tenter de tuer Darius III ("En avant de la cavalerie de l’aile droite, Protomachos à la tête des Péoniens et Ariston à la tête des archers couvrait l’infanterie d’Antiochos, tandis qu’Attale à la tête des Agriens se tenait face à la montagne avec quelques cavaliers et quelques archers en soutien, de sorte que cette aile droite se divisait en deux parties : la première qui regardait Darius III au-delà du fleuve avec son armée, la seconde qui regardait les hauteurs que l’ennemi abandonnait désormais", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 9.2).


Les auteurs anciens sont d’accord entre eux pour dire que l’affrontement reste longtemps indécis, car les Perses témoignent de beaucoup de courage et de vigueur, ils incommodent grandement Parménion sur leur droite, et résistent efficacement à la pression d’Alexandre sur leur gauche ("Les Macédoniens, perdus au milieu des Perses, furent cernés de tous côtés. Malgré une résistance héroïque, ils furent serrés et comme empilés les uns sur les autres, gênés pour lancer leurs projectiles qui revenaient aussitôt sur eux. Leurs tirs manquaient de puissance et de précision, les traits touchaient rarement l’ennemi et s’enfonçaient souvent dans le sol sans atteindre leur objectif. Obligés de combattre de près, ils dégainèrent l’épée sans hésiter. Le sang coula en abondance. Les deux armées furent si proches que les armes s’entrechoquèrent, et on se frappa au visage à la pointe des lames. Même ceux qui avaient peur ou manquaient de courage n’eurent aucun moyen de se dérober. On se battit pied à pied, chacun pour soi, sans quitter sa place jusqu’au moment où on gagnait un peu de terrain en abattant celui qu’on avait en face de soi. Le seul moyen d’avancer était de terrasser l’ennemi, mais des nouveaux adversaires prenaient aussitôt la place de ceux qui étaient à bout de forces, et on ne pouvait évacuer les blessés comme d’habitude puisque les ennemis se trouvaient devant et que les camarades poussaient par-derrière", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.4-6). Oxathrès, le frère de Darius III (Oxathrès est le fils de Sisigambis mère de Darius III et, nous verrons cela par la suite, d’Aboulitès le satrape de Susiane), se distingue particulièrement ("Le Perse Oxathrès, valeureux frère de Darius III, constatant qu’Alexandre concentrait ses attaques particulièrement sur Darius III, résolut de partager pleinement la fortune de son frère. Prenant avec lui les plus braves des cavaliers qui l’entouraient, il se jeta avec eux sur les proches d’Alexandre et, convaincu que la défense de son frère grandirait son nom parmi les Perses, se plaça devant le char de Darius III pour abattre un grand nombre de ceux qui l’attaquaient", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.34 ; "Debout sur son char, dominant la masse, Darius III concentrait sur sa personne la défense perse et l’attaque ennemie. Voyant Alexandre se rapprocher de lui, son frère Oxathrès lança les cavaliers placés sous ses ordres juste devant le char du Grand Roi. Dominant les autres par son armement et sa vigueur, il témoigna d’un courage et d’un dévouement exceptionnels. Il s’illustra particulièrement dans cette bataille, abattant ceux qui s’approchèrent imprudemment du Grand Roi et mettant les autres en déroute", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.7-8). Les charges s’alternent, les coups tombent au hasard car on est trop proche pour savoir qui on tue et par qui on est tué ("Les deux cavaleries adverses, se jetant l’une contre l’autre avec une égale valeur et commettant réciproquement des grands massacres, suspendirent longtemps la décision du combat et inclinèrent la balance alternativement des deux côtés. Aucun trait ne partait en vain, aucun coup d’épée ne tombait dans le vide, les combattants étant si serrés et si mêlés qu’ils ne pouvaient ni choisir ni manquer un but. Les uns tombaient à cause de leurs blessures, et les autres à cause du regain de vitalité provoqué par leurs blessures : on cessait de vivre, mais on ne cessait pas de combattre", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.33), au point que le récit des mêmes auteurs anciens devient flou, au grand dam de Polybe qui se demande notamment comment Perses et Grecs traversent et retraversent le fleuve Pinaros comme si elle n’existait pas ("[Callisthène] dit que quand les Macédoniens s’avancèrent, Darius III qui était au centre de son armée “appela à lui les mercenaires d’une des ailes”. Cela semble incongru, puisque cavaliers et mercenaires ne combattaient pas ensemble sur le même terrain. Darius III qui était juste à côté des mercenaires n’avait par ailleurs aucune raison de les appeler. Il ajoute que “la cavalerie de l’aile droite fondit sur l’armée d’Alexandre”, que celui-ci “se défendit avec vigueur” avant de la repousser, et qu’alors “le combat devint vif et opiniâtre”, en oubliant d’expliquer comment Alexandre et Darius III s’arrangent pour négliger le cours d’eau qu’il a décrit juste avant", Polybe, Histoire, XII, fragment 18.9-12). Pour l’anecdote, dans cette mêlée indistincte, Alexandre est blessé à la cuisse ("[Alexandre] fut blessé à la cuisse d’un coup d’épée. Selon Charès, ce fut de la main de Darius III, contre qui il se mesura. Mais le roi, dans une lettre adressée à Antipatros où il donne les détails de cette bataille, ne nomme pas celui qui le blessa, il dit seulement qu’il reçut à la cuisse un coup d’épée sans conséquence", Plutarque, Vie d’Alexandre 20 ; "A Issos, selon Charès, [Alexandre] reçut dans la cuisse un coup d’épée que lui aurait donné le Grand Roi Darius III en se mesurant à lui. Mais après cet affrontement, il écrivit simplement et avec une parfaite sincérité à Antipatros : “J’ai aussi reçu un coup d’épée dans la cuisse, mais la blessure n’a rien eu de fâcheux, ni pour aujourd’hui ni pour la suite”", Plutarque, Sur la fortune d’Alexandre II.9).


3 : La rupture est causée par Darius III, qui voit soudain Alexandre progresser vers lui. Les mercenaires grecs à sa solde se précipitent pour faire barrage ("Comme la phalange à l’aile droite avait moins de front que la gauche des Perses, celle-ci risquait d’être enveloppée par celle-là. Alexandre appela donc deux compagnies d’hétaires, l’Anthémousia ["Anqemous…a", littéralement "la Fleurie" : ce nom signifie-t-il que la compagnie a été souvent décorée en récompense de sa bravoure au combat ? ou plus simplement qu’elle est constituée principalement d’hommes originaires de la cité d’Anthémous en Macédoine ?] de Péroidas fils de Ménésthéos et la Leugaia ["Leuga…a", signification inconnue] de Pantordanos fils de Cléandros, en dissimulant leur mouvement à l’ennemi. Comme ceux qui étaient postés sur les flancs de la montagne ne descendaient pas, Alexandre les repoussa sur les sommets avec un détachement d’Agriens et d’archers et leur opposa trois cents cavaliers, puis regroupa le reste des troupes grecques placées sur cette aile droite pour lui donner une ligne plus étendue que celle des Perses qu’il avait à combattre. […] Au premier choc, la gauche de l’ennemi céda, ce fut pour les Macédoniens une victoire aussi éclatante que certaine. Mais dans le mouvement précipité et décisif d’Alexandre, la pointe de la phalange suivit l’aile droite, tandis que le centre ne put marcher avec la même promptitude ni maintenir son front et ses rangs à cause de la barrière que constituaient les bords escarpés du fleuve : les mercenaires grecs de Darius III saisissent l’opportunité, ils s’engouffrèrent avec impétuosité dans cette ouverture de la phalange macédonienne. Le combat devient opiniâtre, les Perses s’efforçant de rejeter les Macédoniens dans le fleuve et de maintenir leur avantage en dépit de ceux qui fuyaient, et les Macédoniens s’obstinant à maintenir celui d’Alexandre et l’honneur de la phalange jusque là réputée invincible. La rivalité entre les mercenaires grecs et les Macédoniens redoubla l’acharnement. Ptolémée fils de Séleucos, après des prodiges de valeur, ainsi que cent vingt Macédoniens renommés, furent tués.", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 9.3-10.7), ils sont rejoints par Atizyès l’ex-satrape de Haute-Phrygie, Rhéomithrès qui était avec Atizyès à la bataille du Granique, Savakès le satrape d’Egypte, qui sont tous trois tués à l’occasion ("Les Macédoniens groupés autour d’Alexandre, après s’être mutuellement encouragés, se précipitèrent avec lui sur le corps de cavalerie [protégeant Darius III]. Le massacre tourna au carnage. Autour du char de Darius III tombèrent les généraux les plus célèbres, morts en héros sous les yeux de leur Grand Roi, le visage contre terre, blessés de face. Parmi eux furent Atizyès, Rhéomithrès, Savakès le satrape d’Egypte, chefs de puissantes armées. Autour d’eux s’entassèrent de nombreux fantassins et cavaliers anonymes. On compta peu de morts du côté macédonien, mais seulement les plus braves. Alexandre entre autres fut légèrement blessé à la cuisse droite par un coup d’épée", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.9-10 ; "Les plus illustres chefs perses périrent à cette occasion, par exemple Atizyès, Rhéomithrès et Tasiakès [probable coquille de Diodore de Sicile, qui écrit "Tasiakès/Tasi£khj" au lieu de "Savakès/Sau£khj" graphiquement proche] le satrape d’Egypte", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.34). Perturbés par les tirs de flèches et de lances en provenance des Grecs et par l’agitation autour d’eux, les chevaux du char de Darius III commencent à s’énerver, ils avancent, reculent, deviennent incontrôlables. Le Grand Roi décide alors de changer de char. Il met pied à terre, et monte avec empressement sur un nouveau char qu’on lui présente : cet acte provoque une grande frayeur dans son entourage, qui croit qu’il veut s’enfuir. La panique se répand, cavaliers et fantassins perses reculent ("Les chevaux du char de Darius III, couverts de blessures et effarouchés par le nombre des corps qui tombaient autour d’eux, n’obéirent plus au frein et furent sur le point de porter le Grand Roi au milieu de ses ennemis. Se voyant arrivé au dernier péril, Darius III prit lui-même les rênes de ses chevaux, contre la coutume et la dignité des Grands Rois de Perse. Ses officiers lui amenèrent un autre char. Tandis qu’il passait de l’un à l’autre, le désordre augmenta parmi ses troupes. En voyant les ennemis si près de lui, le Grand Roi parut effrayé. Dès que son armée s’en aperçut, les troupes se débandèrent et s’enfuirent. Sa cavalerie prit le même parti. La déroute fut générale", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.34), en même temps que Darius III qui à son tour est contaminé par l’effroi qu’il a provoqué : il se replie vers Issos, et abandonne finalement son nouveau char contre un vulgaire cheval pour s’enfuir par les cols (probablement vers les Portes amaniques qu’il a empruntées à l’aller : "Dès qu’Alexandre eut enfoncé l’aile gauche des Perses, Darius III se sauva avec les dignitaires sur un char qu’il ne quitta pas tant qu’il courut sur terrain plat, mais arrivé dans des gorges difficiles il abandonna son char, son bouclier, sa pourpre, son arc, et s’enfuit à cheval", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 11.4-5 ; "Craignant de tomber vivant au pouvoir de ses ennemis, [Darius III] sauta à bas et monta sur un cheval qui le suivait en cas de besoin. Pour ne pas que les ornements de la royauté trahissent sa fuite, il s’en débarrassa honteusement. Alors la panique devint générale, tous se sauvèrent comme ils purent, jetant les armes qu’un instant auparavant ils avaient prises pour se défendre, se privant ainsi du dernier outil de secours sous l’effet de la peur", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11-12). Les conséquences de cette fuite sont catastrophiques. Une grande partie des Perses, en particulier les cavaliers qui jusque-là conduisaient vaillamment les opérations contre l’aile de Parménion, concluant qu’il n’est plus possible de défendre le champ de bataille puisque leur chef l’a abandonné, s’enfuient à leur tour ("La phalange macédonienne et l’infanterie des Perses était encore aux mains. Ce fut seulement quand les cavaliers s’enfuirent, que la victoire des Macédoniens fut certaine. Car alors toute l’armée des barbares se débanda, et fut presque étouffée tout entière dans les routes étroites et scabreuses de sa fuite", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.34). Parménion peut donc enfin repousser au-delà du Pinaros les derniers escadrons face à lui ("Parménion envoya la cavalerie aux trousses des fuyards qui se dirigeaient par hasard de son côté. Les cavaliers thessaliens à sa droite étaient en grande difficulté face aux Perses, l’aile n’ayant pas résisté au premier choc et s’étant dispersée : ils s’empressèrent de faire volte-face, revinrent se battre et massacrèrent en masse les barbares qui, certains de leur victoire, avaient rompu les rangs", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.13-14). Les mercenaires grecs à la solde des Perses restent seuls sur le terrain, et se battent avec l’énergie du désespoir (ils savent qu’Alexandre les traitera comme des traitres s’ils sont capturés, comme ceux du Granique). Les cavaliers perses qui ne sont partis à temps, parmi lesquels Arsamès le satrape de Cilicie, connaissent le sort de leurs aïeux de la bataille de Platée en -479 : immobilisés par leur lourd équipement (comme Masistios incapable de se mouvoir dans son armure trop pesante et trop rigide, selon Hérodote, Histoire IX.22), ils sont massacrés ("Enfin l’aile droite d’Alexandre, après avoir renversé tout ce qui était devant elle, réussit à déborder les mercenaires grecs de Darius III et à les écarter du bord [du fleuve]. Elle enveloppa leurs rangs découverts et ébranlés, les attaqua de tous côtés et commit un horrible carnage. Les cavaliers perses franchirent promptement le fleuve et tombèrent sur les cavaliers thessaliens en face d’eux. Ils combattirent avec acharnement, et ne cédèrent que lorsqu’ils virent les Perses s’enfuir, et les mercenaires grecs taillés en pièces. Alors la déroute fut complète. Les cavaliers perses souffrirent beaucoup dans cette fuite, embarrassés par leurs armures pesantes, et par le désordre qui se répandit dans les rangs : tous se pressèrent épouvantés les uns sur les autres dans les défilés, à tel point qu’en s’écrasant mutuellement ils causèrent davantage de morts que l’ennemi. Les Thessaliens pressèrent vivement les fuyards, le carnage de la cavalerie égala celui de l’infanterie. […] [Les Perses] perdirent Arsamès, Rhéomithrès, Atizyès un des commandants de cavalerie lors de la bataille du Granique, Savakès le satrape d’Egypte, Boubakès un des Perses les plus distingués. On évalue à cent mille le nombre total des morts, dont dix mille cavaliers, au point que selon Ptolémée fils de Lagos qui accompagna Alexandre dans cette expédition les ravins étaient comblés de cadavres", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 11.1-8 ; "[Les troupes d’Alexandre] les poussèrent devant eux comme un troupeau de moutons que la terreur handicape dans leur fuite. [...] Les barbares en déroute partirent dans des directions opposées : les uns filèrent vers la Perse par le chemin le plus court, les autres passèrent par les hauteurs et marchèrent au milieu des pierres et des rochers en évitant les routes, seul un petit nombre regagnèrent le camp de Darius III", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.17-19 ; "Bien que l’armée ennemie fût très supérieure en nombre, [Alexandre] ne la laissa pas envelopper la sienne : il déborda l’aile gauche adverse par son aile droite, et à la tête de cette aile il mit en fuite les barbares devant lui, combattit toujours aux premiers rangs, et fut blessé à la cuisse d’un coup d’épée", Plutarque, Vie d’Alexandre 20).


La bataille du Granique n’était qu’une bataille entre Perses et Grecs du même type que celle de l’Eurymédon en -471 ou celle de Kounaxa en -401 : un affrontement sans grande conséquence, sinon pour les vaincus qui y ont trouvé la mort, et pour les vainqueurs qui y ont trouvé la gloire. La bataille d’Issos en revanche doit être placée au même niveau que celle de Salamine en -480 : elle signifie le basculement d’une dynamique historique vers une autre pour toute une partie du monde. On peut même dire que dans la forme comme dans le fond, Issos inverse le scénario de Salamine. Dans la forme en effet, Darius III n’a pas retenu la leçon de Xerxès Ier : de même que la flotte innombrable de son ancêtre face à la petite escadre panhellénique a été réduite à rien pour avoir commis l’imprudence de s’engager dans le petit détroit séparant le continent de l’île de Salamine, son armée innombrable face au petit contingent d’Alexandre a été réduite à rien pour avoir commis l’imprudence de s’engager dans l’étroite plage d’Issos. Et les raisons de la défaite finale sont les mêmes : d’un côté l’armée perse est formée d’un bric-à-brac de régiments qui ne parlent pas la même langue et qui n’ont pas les mêmes intérêts à défendre (les Grecs d’Ionie enrôlés par Xerxès Ier en -480 comme les mercenaires grecs de Thymondas en -333 avaient/ont tout à perdre dans une défaite, alors que les Perses estimaient/estiment que l’immensité de l’Empire leur permet d’abandonner une partie de leur territoire, le temps de lever des nouvelles recrues et de préparer une revanche victorieuse ailleurs), alors que de l’autre côté l’armée grecque est unie. La seule différence reste qu’en -480 cette armée grecque était soudée autour d’un idéal politique, alors qu’en -333 elle est soudée autour d’un homme héroïsé, divinisé. On imagine l’ampleur de la déception chez les Grecs qui, secrètement comme Démosthène ou ouvertement comme Hypéride, aspirait à la déroute et à la mort d’Alexandre : les Athéniens comme tous les autres membres de la Ligue de Corinthe sont contraints d’envoyer des cadeaux de félicitations au vainqueur qu’ils espéraient voir tué par le Perse ("La Ligue des Grecs nomma quinze ambassadeurs pour porter à Alexandre une couronne d’or, en hommage à la victoire qu’il venait de remporter en Cilicie", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.48). C’est peut-être à cette époque qu’Alexandre envoie des remerciements officiels à l’Athénien Phocion pour sa tempérance contre Démosthène et consorts ("On dit qu’Alexandre fils de Philippe II, ou ‟fils de Zeus” selon certains, n’accordait le chairein ["ca…rein", formule de salutation] dans ses lettres qu’au seul Phocion, tant ce stratège athénien avait su gagner son estime. Alexandre alla plus loin : il envoya un jour à Phocion cent talents d’argent, et y joignit les noms de quatre cités en lui demandant d’en choisir une dont tous les produits lui reviendraient, soit Chio, Elée, Mylasa ou Patara. La démarche d’Alexandre fut grande et magnifique, mais Phocion fut encore plus généreux et plus noble : il refusa l’argent et la cité, et afin que son refus ne fût pas interprété comme du mépris il demanda au roi de s’honorer en libérant le philosophe Echécratidès [de Méthymna, élève d’Aristote], Athénodore d’Imbros et les frères Démarate et Sparton de Rhodes, qu’il retenait prisonniers dans la citadelle de Sardes", Elien, Histoires diverses I.25). La victoire de Salamine jadis a signifié l’émergence du tout nouveau régime démocratique, qui s’est répandu au cours des décennies suivantes, d’abord à toute la Grèce (à l’exception de Sparte demeurée fidèle à sa diarchie), ensuite à l’Anatolie jusqu’à Chypre (avec la bataille de l’Eurymédon en -471) et à la mer Noire (à Sinope durant la paix de Trente Ans), et à l’Italie (à Thourioi vers -443). La victoire d’Issos - ou la défaite, selon le point de vue ! - signifie la ruine de voir s’effondrer le régime quasi théocratique qu’Alexandre porte déjà et qu’il confortera bientôt en s’octroyant le titre de fils de Zeus en Egypte et en imposant la proskynèse en Perse, la ruine de voir le régime démocratique renaître, sortir enfin de la torpeur où la calamiteuse dictature des Trente l’a plongé naguère. Les conséquences sont immédiates. La bataille à peine achevé, les derniers honneurs ayant été rendus aux morts, et les combattants les plus valeureux ayant été récompensés par des nominations, parmi lesquels Balakros l’un de ses somatophylaques qui devient satrape de Cilicie, Ménès fils de Dionysos qui devient somatophylaque en remplacement de Balakros, et Polyperchon dont le nom reviendra souvent par la suite qui devient commandant d’infanterie ("Le lendemain, Alexandre, quoique souffrant encore d’une blessure reçue à la cuisse, visita les blessés, inhuma les morts en présence de son armée rangée en bataille dans le plus grand appareil, loua les actions héroïques dont il avait été témoin ou rapportées par la voix de toute l’armée, honora chacun de largesses en rapport avec son mérite et son rang. Il nomma Balakros fils de Nicanor, l’un de ses somatophylaques, comme satrape de Cilicie, et le remplaça par Ménès fils de Dionysos. Il remplaça aussi Ptolémée fils de Séleucos, qui avait péri dans la bataille, par Polyperchon fils de Simmios", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 12.1-2), Alexandre atteint le camp de son adversaire, et peut enfin renflouer ses caisses en pillant les tentes que les Perses ont désertées ("Les vainqueurs pénétrèrent dans la place, où se trouvaient de fabuleuses richesses. Les soldats accaparèrent d’énormes quantités d’or et d’argent qui satisfaisaient les goûts de luxe davantage que les besoins de la guerre. Sur les chemins s’entassèrent les maigres bagages dont ils ne voulaient plus, convoitant les plus précieux trésors. Arrivés au quartier des femmes, ils leurs arrachèrent leurs bijoux d’autant plus rudement qu’elles opposèrent plus de résistance, osant même parfois les brutaliser et abuser d’elles. Les cris et l’affolement envahirent le camp en fonction des mauvais traitements. La désolation se répandit partout, rien n’arrêta la brutalité des vainqueurs qui se crurent tout permis et ne respectèrent ni le rang ni l’âge des victimes. On eut un exemple des caprices de la fortune quand on vit ceux qui avaient décoré la tente de Darius III avec tout le confort et le luxe possibles, la mettre à la disposition d’Alexandre comme si elle avait été aménagée pour lui : c’était en effet la seule chose à laquelle les soldats ne touchèrent pas, la tradition voulant que la tente d’un roi vaincu passât au vainqueur", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.20-23). Pour l’anecdote, c’est à ce moment que, selon certains hellénistes, les hypaspistes/Øpaspist»j ("porteur de bouclier") changent de nom pour devenir les argyraspides/¢rgÚraspij ("porteur d’un bouclier d’argent"), car dans les récits des auteurs anciens le premier terme a tendance à disparaitre au profit du second : ces hellénistes pensent que l’apparition d’"argyraspides" est due au riche ornement décorant désormais les boucliers des ex-hypaspistes prélevé sur le butin d’Issos. Pour l’anecdote encore, c’est aussi dans le camp de Darius III qu’Alexandre découvre le coffre précieux qui servira désormais d’écrin à l’exemplaire de l’Iliade qu’il a emporté de Pella ("Quelqu’un lui apporta une cassette, qui fut regardée comme la chose la plus précieuse parmi tous les trésors et tous les meubles de Darius III. Il demanda à ses courtisans ce qu’ils croyaient le plus digne d’y être renfermé. Chacun ayant proposé ce qu’il estimait le plus beau, il conclut : “Et moi, j’y enfermerai l’Iliade”. C’est du moins ce qu’ont écrit les historiens dignes de confiance. Si ce que disent les Alexandrins après Héraclide est vrai, il semble par ailleurs qu’Homère lui fut utile dans cette expédition, et qu’il prit conseil chez ce poète", Plutarque, Vie d’Alexandre 26). C’est là encore qu’il capture Sisigambis la mère, Stateira la sœur-épouse, Ochos le fils, et Stateira la jeune (qu’Alexandre épousera lors des noces de Suse en -324 selon Arrien, Anabase d’Alexandre, VII, 4.4) et Drypètis (qu’Héphestion épousera lors du même événement en -324 selon Arrien, Anabase d’Alexandre, VII, 4.5) les deux filles de Darius III que celui-ci a amenés avec lui ("On prit possession du camp de Darius III : on y trouva la mère, la sœur-épouse et un jeune fils du souverain de l’Asie, ainsi que deux de ses filles et quelques femmes des principaux de son armée, toutes les autres avaient été conduites avec les bagages à Damas où Darius III avait porté la plus grande partie de ses trésors et tous les objets de magnificence que traînaient à l’armée les Grands Rois de Perse. On trouva dans le camp trois mille talents", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 11.9-10 ; "Parmi les captives, la mère et la femme de Darius III attiraient les regards et la curiosité de tous. L’une inspirait le respect par son rang et aussi par son âge, l’autre par sa beauté que même le malheur n’avait pas altérée. Elle serrait contre elle son fils, qui n’avait pas encore six ans, dont on avait espéré à sa naissance qu’il exercerait un jour le pouvoir que son père venait de perdre. Deux jeunes filles étaient blotties aux pieds de la vieille femme, leur grand-mère, unies dans la douleur", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 11.24-25). Un épisode célèbre a lieu dans le camp. Après avoir vainement tenté de rattraper Darius III, Alexandre revient ("Darius III, totalement battu, s’enfuit précipitamment en changeant d’autant de chevaux qu’on pût lui en fournir, résolu à ne pas tomber dans les mains d’Alexandre et assurer sa sécurité en gagnant ses provinces les plus éloignées. Alexandre accompagné de l’élite de ses cavaliers le poursuivit à toute bride dans l’espoir de le capturer. Mais après avoir parcouru deux cents stades sans pouvoir l’atteindre, il revint à son camp vers le milieu de la nuit", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.37), ces femmes captives en déduisent d’elles-mêmes que Darius III est mort, elles commencent à crier leur douleur, Alexandre informé de la raison de leurs cris envoie Léonnatos les rassurer sur le fait que Darius III est toujours vivant, elles se calment, le lendemain Alexandre leur rend visite accompagné de son ami d’enfance Héphestion, Sisigambis se jette aux pieds de ce dernier, croyant avoir affaire au roi, Alexandre s’amuse de cette scène de méprise et aide Sisigambis à se relever ("Quelqu’un annonça à la femme et à la mère de Darius III qu’Alexandre victorieux était revenu de sa poursuite. La désolation et les larmes redoublèrent parmi ces femmes, et les captifs qui les entouraient les accompagnèrent de leurs gémissements et de leurs cris lamentables. Alexandre, qui apprit alors le destin de ces femmes, leur envoya sur le champ son favori Léonnatos pour les calmer, dire en particulier à Sisigambis la mère de Darius III que son fils vivait, assurer qu’il respecterait leur sexe et leur rang, et annoncer que dès le lendemain il leur rendrait visite pour leur confirmer de vive voix les égards qu’il voulait leur réserver. A ce discours inespéré, elles considérèrent toutes Alexandre comme un dieu, elles essuyèrent leurs larmes et cessèrent de se lamenter. Le lendemain, le roi prit avec lui Héphestion, le premier de ses Amis, et alla comme promis à la tente des captives royales. Ils étaient tous deux habillés de la même façon, mais Héphestion avait meilleure mine et avait un plus beau visage que le roi, de sorte que la reine prit celui-ci pour celui-là en se jetant à ses genoux. Les assistants l’avertirent aussitôt de son erreur et lui montrèrent Alexandre. Sisigambis honteuse de sa méprise se tourna aussitôt vers le roi et se prosterna devant lui. Le roi la releva en lui disant : “O ma mère, tu ne t’es pas trompée, car celui-ci est un autre Alexandre”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.37 ; "Après la poursuite, étant entré dans la tente du Grand Roi qu’on lui avait réservée, [Alexandre] fut frappé de la désolation et des cris des femmes. Il demanda la raison de ces cris et qui étaient ces femmes : on lui répondit que c’étaient la mère de Darius III, sa femme et ses enfants qui, ayant appris que son arc, son bouclier et son manteau étaient au pouvoir du vainqueur, ne doutaient plus de sa mort et le pleuraient. Alexandre leur envoya aussitôt Léonnatos l’un des hétaires pour leur annoncer que Darius III était vivant, et qu’Alexandre ne possédait que les dépouilles laissées sur son char. Léonnatos s’acquitta de cette tâche en ajoutant qu’Alexandre leur conservait les honneurs, l’état et le nom de reine, et qu’il n’avait pas entrepris la guerre contre Darius III par haine personnelle mais pour lui disputer l’empire de l’Asie. Tel est le récit de Ptolémée et d’Aristobule. On dit aussi que le lendemain Alexandre entra dans l’appartement des femmes accompagné du seul Héphestion, que la mère de Darius III ne sachant lequel était le roi car nul signe ne le distinguait, frappée par le port majestueux d’Héphestion, se prosterna devant lui, qu’informée de sa méprise par ceux qui l’entouraient elle recula confuse, et que le roi lui dit : “Tu ne t’es pas trompée, car il est un autre Alexandre”. Je ne garantis pas que cela soit vrai. Mais si le fait est authentique Alexandre me paraît digne d’éloges par la noble générosité qu’il montra en consolant ces femmes et en élevant son ami, et s’il ne l’est pas Alexandre mérite encore des éloges pour en avoir été jugé capable", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 12.3-8 ; "Après s’être acquitté de ses devoirs envers les morts, Alexandre prévint les captives de sa visite. Laissant à l’extérieur la foule de ses compagnons, il entra dans la tente avec Héphestion, qui était de très loin son ami le plus cher. Ils avaient grandi ensemble et n’avaient pas de secrets l’un pour l’autre. Personne n’avait le droit de lui parler aussi franchement, mais il utilisait ce privilège comme une faveur du roi, non comme un dû. Ils avaient le même âge. Héphestion était seulement un peu plus grand. Les reines, le prenant pour le roi, se prosternèrent devant lui selon la coutume du pays. Des eunuques prisonniers leur désignèrent Alexandre. Sisigambis se jeta alors à ses pieds, expliquant pour s’excuser que c’était la première fois qu’elle le voyait. Le roi lui tendit la main pour la relever et lui dit : “Mère, tu ne t’es pas trompé, car il est un autre Alexandre”", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 12.15-17 ; "Quand il eut pris le camp où Darius III avait réuni tous ses parents, Alexandre vint accompagné de son cher Héphestion leur apporter des paroles de consolation. Réconfortée par sa visite, la mère de Darius III qui était étendue à terre releva la tête et, en voyant la taille et la beauté imposantes d’Héphestion, elle se jeta à ses pieds à la manière des Perses et le salua en le prenant pour Alexandre. Informée de sa méprise, elle chercha en tremblant des paroles pour s’excuser, mais Alexandre lui dit : “Tu n’as aucune raison de te troubler, car Héphestion est un autre Alexandre”", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables IV.7, Exemples étrangers 2). Selon Diodore de Sicile, Alexandre mérite tous les éloges pour s’être comporté aussi humainement avec elles, et pour les avoir laissé vivre dans leur apparat royal par la suite ("Je crois que parmi toutes les belles actions d’Alexandre, aucune n’est plus glorieuse, ne mérite plus d’éloges, n’est plus digne d’avoir une place dans son histoire que celle-ci. Car les prises de cités, les gains des batailles et les autres avantages remportés à la guerre dépendent des circonstances, et le succès en est dû plus souvent à la fortune qu’à la valeur, tandis que la compassion et les égards pour les vaincus découlent de la seule volonté du vainqueur. Beaucoup ne tirent de leurs succès qu’orgueil et fierté : le hasard leur apporte la victoire, et ils oublient aussitôt qu’ils auraient pu être vaincus, et qu’ils auraient pu réclamer la même compassion qu’ils refusent à ceux qui par malheur sont tombés entre leurs mains. Le bonheur est pour eux un poids qu’ils ne savent pas porter. Alexandre, qui est né longtemps avant nous, est sur ce point un modèle digne de nos plus grands éloges, qui mérite que nous le transmettions à ceux qui nous suivront", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XVII.38), mais on suppose que ses motivations relèvent davantage du calcul politique que de la générosité : ces femmes constituent des otages de choix si Darius III veut négocier sa reddition, et elles seront un outil de légitimité quand bientôt Alexandre règnera sur la Perse, car il voudra naturellement lier son sang au leur pour asseoir ses conquêtes. La flotte perse conduite par Pharnabaze et Autophradatès n’a pour sa part plus aucun port anatolien où accoster. Les deux hommes se replient vers l’île de Chio (selon Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, IV, 1.36, ils laissent la garde de l’Hellespont et de l’île de Ténédos à un nommé "Aristoménès"), où les habitants commencent à s’agiter dès qu’ils apprennent les événements d’Issos, ils reprennent contact avec Agis III le roi de Sparte et lui donnent tous les moyens qui leur restent pour qu’il s’assure de la soumission de la Crète ("[Pharnabaze et Autophradatès] apprirent la défaite d’Issos. Frappés de cette nouvelle, Pharnabaze retourna à Chio avec douze trières et quinze cents stipendiaires pour prévenir une éventuelle rébellion que cet échec pourrait exciter dans l’île. Agis III reçut trente talents d’Autophradatès et dix trières, dont il remit le commandement à Hippias pour les conduire vers son frère Agésilas au cap Tainare avec ordre de donner aux matelots une paie complète et de se porter rapidement en Crète afin de la maintenir sous contrôle, tandis que lui-même rejoignit Autophradatès à Halicarnasse", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 13.5-6) : leurs tentatives, nous le verrons dans notre prochain paragraphe, se solderont par un échec total. Les Rhodiens, compatriotes de Memnon et de Thymondas qui se sont battus pour les Perses, apportent leur soumission, et surtout leurs navires, au conquérant. Ils sont imités par les Chypriotes, dont les marins constituaient jusqu’alors une grande partie des équipages du Grand Roi ("Les jours suivants, on vit s’y réunir les trières de Rhodes dont La Péripole, […] et cent vingt navires amenées par les rois de Chypre après qu’ils eurent appris la nouvelle de la défaite de Darius III à Issos et de la conquête de presque toute la Phénicie, auxquels Alexandre pardonna leur aide aux Perses en estimant que la force les avait engagés plutôt que leur volonté", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 20.2-3). Autrement dit, Pharnabaze et Autophradatès ne perdent pas seulement du terrain, ils perdent aussi une partie de leur flotte. En Syrie enfin, le satrape dont la postérité n’a pas retenu le nom considère que toute résistance est vaine, il choisit donc de trahir Darius III et de se soumettre à Alexandre en lui livrant le trésor que le Grand Roi a déposé à Damas (33°30'41"N 36°18'04"E) avant la bataille, ainsi que toutes les personnalités et les Grecs qui y ont trouvé refuge. Alexandre envoie Parménion prendre possession de cette cité ("Les trésors que Darius III avait conduits à Damas sous la surveillance de Kophènès, les gardes et tout ce qui constituait l’orgueil et le luxe du monarque perse, tombèrent en son pouvoir. Il laissa le tout sur place, sous la responsabilité de Parménion", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 15.1 ; "Une patrouille de reconnaissance tomba sur un Marde. Celui-ci fut conduit auprès de Parménion, à qui il remit une lettre du satrape de Damas à destination d’Alexandre l’informant de son désir de livrer la vaisselle et le trésor du Grand Roi. Parménion le mit sous bonne garde et ouvrit la lettre : elle disait qu’Alexandre devait envoyer rapidement un de ses officiers avec quelques hommes récupérer toutes les richesses que le Grand Roi avait déposées. Il laissa le Marde rejoindre le traître, accompagné d’une escorte. Parménion considéra d’abord cette proposition comme un piège destiné à l’attirer dans un pays qu’il ne connaissait pas, mais la chance dont bénéficiait le roi l’apaisa, et il décida finalement de s’entourer d’autochtones pour lui montrer la route. Trois jours plus tard, il s’engagea vers Damas", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 13.2-4). On assiste à cette occasion à une séquence ridicule. Pour être certain que le trésor et les dignitaires perses et grecs dont Darius III lui a confié la garde n’échapperont pas à Alexandre, le traître satrape de Damas les rassemble et les emmène à l’extérieur de la cité en prétextant vouloir les mettre à l’abri, en réalité pour hâter leur captation par Alexandre ("Prétendant que la cité n’était plus sûre, il la quitta avant le lever du jour en emportant le trésor du Grand Roi, appellé “gaza” en perse, et les objets les plus précieux. En réalité il voulait remettre ce trésor à l’ennemi. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes partirent avec lui, qui attirèrent sur eux beaucoup de pitié, sauf de la part de celui qui prétendait les protéger : en effet, pour que sa trahison lui rapportât davantage, il comptait livrer aussi ces dignitaires, ces femmes, ces enfants des officiers de Darius III, et les députés des cités grecques que le Grand Roi lui avaient confiés en croyant qu’ils seraient en sécurité", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 13.5-6). Parménion arrive, les dignitaires perses et grecs comprennent qu’ils ont été joués par le satrape, ils s’enfuient, abandonnant des richesses en si grand nombre ("Effrayés, les porteurs lâchèrent leurs paquets et prirent la fuite. Les soldats qui arrivaient juste derrière eux prirent peur à leur tour, jetèrent leurs armes et se sauvèrent par des sentiers qu’ils connaissaient. Le satrape, pour accroitre la panique, simula l’affolement. Les richesses du Grand Roi jonchèrent la plaine : d’énormes sommes prévues pour payer les soldats, les tenues d’apparat des dignitaires et des dames de la Cour, des vases et des freins en or, des tentes parées avec un luxe royal, des voitures abandonnées par leurs occupants et remplies d’objets d’une immense valeur", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 13.9-11) que Parménion pour les convoyer n’a pas d’autre choix que les rattraper afin de les obliger à tout ramasser et à reprendre leurs places sur les chariots de transport ("Après la bataille d’Issos, Parménion fut envoyé à Damas par Alexandre pour convoyer le bagage des Perses. Il fut obligé d’en venir aux mains avec les goujats, ce qui effraya les barbares et les incita à fuir. Or c’était eux qui assuraient le transport, et Parménion vit bien que leur fuite le rendrait impossible. Pour sauver tant de richesses, il envoya trois escadrons de cavalerie après les barbares, avec ordre de leur dire qu’on exécuterait quiconque refuserait de reprendre en mains ses bêtes de somme. Cette annonce les intimida tous : ils revinrent pour conduire leurs bêtes, et accomplirent le transport ordonné", Polyen, Stratagèmes IV.5). On retrouve là Barsine fille d’Artabaze (et, rappelons-le, sœur de Pharnabaze l’amiral de la flotte perse) qu’Alexandre n’a plus revue depuis qu’elle a quitté Pella vers -350 pour retrouver son vieux mari Mentor, avant de se remarier avec Memnon après la mort de Mentor vers -340 (nous avons vu plus haut que Memnon a envoyé sa femme Barsine comme otage à Darius III pour obtenir son titre de gouverneur des côtes anatoliennes et d’amiral : "Barsine, veuve depuis la mort de Memnon, fut prise près de Damas. Comme elle était instruite dans les lettres grecques, qu’elle avait des mœurs douces et une naissance illustre, étant la fille d’Artabaze né d’une fille du Grand Roi [la mère de Barsine est Apama fille d’Artaxerxès II, comme nous l’avons vu dans notre paragraphe introductif], Alexandre s’attacha à elle par le conseil de Parménion, qui selon Aristobule lui dit de ne pas négliger une princesse si belle et si aimable", Plutarque, Vie d’Alexandre 21) : Alexandre et sa prisonnière auront un fils, Héraclès, à une date indéterminée ("[Alexandre] se laissa séduire par les charmes de Barsine, l’une de ses captives. Plus tard, il en eut un fils, qui reçut le nom d’Héraclès", Justin, Histoire XI.10). Parmi les dignitaires capturés, on remarque encore un grand nombre de mercenaires athéniens (dont le fils du célèbre stratège Iphicrate) et spartiates ("Parmi les captifs se trouvaient trois adolescentes filles d’Artaxerxès III Ochos qui avait régné avant Darius III […]. Dans le même groupe étaient la femme d’Artaxerxès III Ochos, fille d’Oxathrès qui était un frère de Darius III, et la femme d’Artabaze le chef des dignitaires, ainsi que son fils Ilionès. On arrêta aussi la femme et le fils de Pharnabaze l’amiral de la flotte, les trois filles de Mentor, la femme [c’est-à-dire Barsine] et le fils de Memnon le célèbre stratège. Presque toutes les grandes familles furent touchées par ce désastre. On captura aussi des Spartiates et des Athéniens qui s’étaient ralliés aux Perses : parmi les Athéniens, les plus célèbres par leur naissance ou leur notoriété étaient Aristogiton, Dropidès et Iphicrate, les Spartiates Pasippos et Oniomastoridès ainsi que Onomantès et Callicratidès étaient aussi des personnages de premier plan dans leur cité. Le butin s’éleva en tout à deux mille six cents talents en pièces d’argent, plus des objets en argent estimés à cinq cents talents. On dénombra trente mille prisonniers et sept mille bêtes de somme", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 13.12-16), qu’Alexandre en fin politicien traite avec égard, pour dissuader les Athéniens de se révolter, et pour introduire la zizanie à Sparte dont le roi Agis III a juré la perte d’Alexandre ("Alexandre amena devant lui les envoyés que la Grèce avait députés vers Darius III avant la bataille, qui étaient désormais prisonniers. Il y avait là Euthyclès de Sparte, les Thébains Thessaliscos fils d’Ismènios et Dionysodoros le vainqueur des Jeux olympiques, l’Athénien Iphicrate fils d’Iphicrate. Il renvoya les deux Thébains par commisération pour les malheurs de leur cité, considérant que l’excès de la vengeance des Macédoniens qui la détruisirent [en -335] excusait leur démarche auprès de Darius III : il rendit hommage à la naissance de Thessaliscos qui était l’un des plus illustres citoyens de Thèbes, et il loua Dionysodoros pour sa victoire aux Jeux olympiques. Il témoigna de son amour pour les Athéniens à travers Iphicrate, il célébra la gloire de son père et le retint auprès de lui avec tous les honneurs tant qu’il vécut, après sa mort il porta à Athènes ses cendres qu’on rendit à sa famille. Euthyclès étant Spartiate et ses compatriotes étant en guerre ouverte contre Alexandre, lui-même n’ayant aucun titre de gloire, il fut retenu prisonnier sans pour autant porter les fers, quand le succès acheva de couronner les entreprises d’Alexandre il fut finalement remis en liberté", Arrien, Anabase d’Alexandre, II, 15.2-5). On trouve aussi une Macédonienne nommée "Antigone" qui deviendra bientôt la maîtresse de Philotas le fils de Parménion, qu’elle poussera au putsch, comme nous le verrons dans notre prochain paragraphe ("Parmi les captifs pris à Damas se trouvait une jeune femme de Pella nommée ‟Antigone”. Elle avait été prise une première fois par Autophradatès quand celui-ci avait débarqué sur l’île de Samothrace [allusion à un débarquement impromptu sur l’île de Samothrace effectué par Pharnabaze et Autophradatès lors de leur expédition pour reconquérir l’île de Ténédos ? ou à une autre expédition antérieure conduite par le seul Autophradatès dont nous n’aurions pas gardé le souvenir ?]. Elle était très belle, et dès que Philotas l’eut connue elle le posséda sans partage : ce cœur de fer s’amollit, l’ivresse amoureuse lui enleva le libre usage de sa raison", Plutarque, Sur la fortune d’Alexandre II.7 ; "Quand après la défaite de Darius III en Cilicie on s’empara de toutes les richesses qui étaient à Damas, on trouva parmi les prisonniers qu’on amena dans le camp une jeune femme de Pydna nommée ‟Antigone”, remarquable par sa beauté. Philotas la reçut en butin, et parce qu’il était jeune et amoureux il se permit devant elle des propos ambitieux et des fanfaronnades de soldat quand il était ivre", Plutarque, Vie d’Alexandre 48). On trouve enfin tous les domestiques de Darius III dont Parménion dresse la liste dans une célèbre lettre qu’il envoie à Alexandre ("Les Grands Rois aussi s’intéressèrent aux musiciennes, comme le prouve la lettre que Parménion adressa à Alexandre après la prise de Damas et la capture des domestiques de Darius III, dressant l’inventaire du butin : “J’ai trouvé trois cent vingt-neuf concubines du Grand Roi, toutes musiciennes, quarante-six tresseurs de couronnes, deux cent soixante-dix-sept cuisiniers, vingt-neuf potiers, treize laitiers, dix-sept échansons, soixante-dix filtreurs de vins et quatorze parfumeurs”", Athénée de Naucratis, Deipnosophistes XIII.87). L’anonyme satrape de Damas quant à lui ne survivra pas longtemps à sa traîtrise : il sera assassiné peu de temps après par un de ses compatriotes ("Mais les dieux d’ordinaire si lents à se venger punirent sans tarder celui qui avait livré un tel trésor : un de ses complices, qui à mon avis respectait encore le Grand Roi malgré sa déchéance, tua le traître et apporta sa tête à Darius III", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, III, 13.17). Notons enfin qu’avant de continuer son épopée, bien conscient de la position stratégique du lieu où il vient de remporter une victoire décisive, Alexandre fortifie les défenses de Myriandros et y laisse une importante garnison militaire : il fonde ainsi la première des Alexandries, Alexandrie-sous-Issos ("Alexandre…a kat£ Isson" : c’est sous cette forme qu’on la trouve chez Claude Ptolémée, Géographie, V, 15.2, ainsi qu’au paragraphe 152 du Stadiasmus Maris Magni), dont la prononciation se déformera au cours des siècles pour donner le nom moderne d’"Iskenderun".

  

Le débarquement

Bataille du Granique

Les côtes

L’Anatolie centrale

La Cilicie

Bataille d’Issos

La campagne d’Anatolie

(printemps -334 à automne -333)

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