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Antigone (-442)

© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

Dans sa Poétique, Aristote considère qu’une tragédie qui montre un personnage incarnant la justice et n’agissant pas, est une mauvaise tragédie, à l’exception de l’Antigone de Sophocle qui montre un tel personnage en Hémon ("Qu’un personnage connaissant une situation se prépare à agir et n’agisse pas, voilà le pire, car cela est horrible sans être tragique, et manque de pathétique. Aussi personne n’use de ce procédé, sauf en des cas peu nombreux, tel par exemple Hémon voulant tuer Créon dans Antigone", Poétique 1453b-1454a). Sans doute Aristote était-il sensible à la situation particulière d’Hémon face à son père Créon, et surtout face à sa fiancée Antigone.


Hémon effectivement nous touche parce qu’il est une victime collatérale de la politique tyrannique de Créon, qui le contraint à choisir entre lui et Antigone. S’il choisit d’obéir à son père il condamne à mort sa fiancée, si au contraire il choisir de défendre sa fiancée il rompt tout lien avec son père et au-delà avec la cité de Thèbes que ce dernier tient en son pouvoir. Pour reprendre les termes d’Aristote, Hémon incarne la justice (son long discours des vers 683 à 723, qui expose l’illégitimité et l’inutilité de la politique de Créon, est fondé et plein de sagesse), et s’il n’agit pas, c’est non pas parce qu’il manque de courage mais parce qu’il est pris dans un dilemme réellement tragique : ou bien il tue son père, ou bien il tue sa fiancée.


Mais Hémon nous touche encore davantage parce que, loin d’être un Roméo adoré par sa Juliette, son amour pour Antigone ne semble pas réciproque. Si Hémon est prêt à se dresser contre son père Créon et ignore le chagrin qu’il cause à sa mère Eurydice pour les beaux yeux d’Antigone ("Si [Antigone] meurt, un autre mourra avec elle", 751), celle-ci en revanche n’est absolument pas prête à oublier son frère Polynice et sa nature de princesse pour les beaux yeux d’Hémon. Sur le chemin de son supplice, Antigone regrette de mourir vierge sans que le nom d’Hémon sorte de sa bouche ("Regardez-moi, citoyens de ma patrie, suivre mon dernier chemin et lever les yeux vers mon dernier soleil. Puis tout sera fini. L’Hadès chez qui vont dormir tous les humains, m’emmène vivante sur les bords de l’Achéron sans que j’ai connu l’hyménée, ni les hymnes chantés devant la chambre nuptiale, l’Achéron sera mon époux", 806-816 ; "Et maintenant il m’arrête, il m’emmène, il me prive de mon fiancé, de mes noces, de ma part d’épouse et de mère, et sans amis, malheureuse, je descends vivante au séjour souterrain des morts", 916-920), autrement dit elle regrette de ne pas avoir connu l’acte de chair beaucoup plus que celui avec qui elle aurait pu connaître cet acte de chair. Ses dernières pensées vont vers Polynice et Jocaste morts, à qui elle s’adresse directement comme si elle était pressée de les revoir ("Je garde espoir que là-bas, ma venue sera chère à mon père, et à toi mère chérie, et à toi frère bien aimé, puisque c’est moi qui ai lavé et paré vos corps, et vous ai offert les libations funéraires. Aujourd’hui, Polynice, pour avoir pris soin de ta dépouille, tu vois mon salaire", 897-903), mais nullement vers Hémon. Et au moment d’être emmurée vivante, elle tente d’apitoyer les vieillards de Thèbes en se présentant comme une héritière royale qu’on bafoue ("Regardez, notables de Thèbes, la dernière de vos princesses, regardez ce qu’elle subit, et par qui, à cause de sa piété !", 940-943), mais nullement comme une amoureuse transie qu’on prive de son chéri. Elle le dit d’ailleurs ouvertement : son attachement à son frère et à ses parents est plus fort chez elle que l’attachement à un mari ("Quel est le principe auquel j’ai obéi ? Si mon mari meurt, je peux en trouver un autre, et je peux avoir d’autres enfants si mon premier meurt aussi ; mais mon père et ma mère étant dans l’Hadès, aucun autre frère ne me naîtra", 908-912). La famille labdacide paraît se définir par les souffrances que ses membres s’infligent à eux-mêmes : en se tuant, Hémon entre symboliquement dans cette famille, comme le révèle l’expression "par sa propre main" à propos d’Œdipe se crevant les yeux ("aÙtÕj aÙtourgù", 52) qu’on retrouve littéralement à propos d’Hémon se perçant le flanc avec une épée après avoir découvert Antigone pendue ("aÙtÕj prÕj aØtoà", 1177 ; on remarque que la même expression se retrouve à propos d’Eurydice ["aÙtÒceir aÙt»n", 1315] qui, en se suicidant à son tour pour retrouver son fils, entre aussi symboliquement dans cette famille labdacide). La réciprocité de son amour ne paraît possible que dans la mort, ou plus précisément dans un hommage autodestructeur aux membres défunts de la famille labdacide.


Dans la pièce de Sophocle, Antigone et Hémon meurent avant d’avoir connu l’amour physique. Mais dans notre étude du personnage d’Antigone, nous rappelons bien que cette version de l’histoire d’Antigone et Hémon ne s’accorde pas avec une autre version défendue par le Romain Hygin dans sa fable 72, qui affirme que ces deux fiancés ont eu un fils, que certains hellénistes, en rapprochant la fable d’Hygin d’un passage d’Homère, identifient à Maion, auteur d’une embuscade ratée contre Tydée et à qui Tydée finalement laisse la vie sauve ("[Tydée] trouva nombre de Cadméens festoyant dans le palais du puissant Etéocle. Mais bien qu’étranger, Tydée le conducteur de chars demeura sans trembler au milieu de tous ces Cadméens. Il les défia et les vainquit tous facilement, tant Athéna l’aidait. Alors, irrités, les Cadméens piqueurs de chevaux, sur sa route de retour, dressèrent contre lui une embuscade avec cinquante jeunes hommes. Deux chefs les guidaient, Maion le fils d’Hémon, semblable aux Immortels, et le valeureux Polyphonte fils d’Autophone. Tydée leur infligea un destin lamentable : il les tua tous, ne permettant qu’à un seul de retourner chez lui. Ce fut Maion qu’il renvoya ainsi, pour obéir aux présages des dieux", Iliade IV.385-398). Dans ce passage d’Homère, daté du VIIIème siècle av. J.-C., trois siècles avant Sophocle, on constate qu’Hémon n’existe pas par lui-même mais comme "père de" - en l’occurrence, père de Maion, qualifié de "semblable aux Immortels" -, ce qui sous-entend qu’à cette date, comme Créon, il n’était qu’un personnage très secondaire. L’auteur romain Stace, dans sa Thébaïde inspirée par l’ancienne Thébaïde du VIIIème siècle av. J.-C. aujourd’hui perdue, confirme la transparence originelle de ce personnage : assigné par le sort à la défense des portes Homoloïdes ("Les sept issues sont fermées. Créon s’élance des portes Ogygies qui lui sont échues par le sort ; Etéocle, des portes Néïstes ; Hémon occupe les hautes portes Homoloïdes ; Hypsée, les portes Proitidées ; le grand Dryas passe les portes Electres ; les troupes d’Eurymédon ébranlent les portes Hypsistes, et Ménécée de ses nombreux bataillons encombre les portes Dircées", Stace, Thébaïde VIII.352-357), Hémon a certes donné deux ou trois coups d’épée au début de l’assaut des Sept ("Non moins impétueux, Hémon le favori d’Héraclès court ici et là, altéré de sang, il s’élance armé de son épée insatiable dans les flots les plus pressés de combattants, renversant tantôt les belliqueux défenseurs de la superbe Calydon, tantôt les bataillons farouches de Pylène, tantôt les fils de la triste Pleuron. Enfin, las de brandir sa lance, il tombe sur Butès d’Olénie et l’attaque au moment où, tourné vers ses soldats, il s’opposait à leur fuite : c’est un enfant dont le menton est nu, dont le fer n’a jamais touché les cheveux, qui ne prévoyait aucun danger, quand la hache thébaine lancée avec force frappe son casque, sa tête est partagée, et ses cheveux séparés tombent sur ses épaules, la mort le surprend tout à coup et son âme s’échappe de son sein", Stace, Thébaïde VIII.480-491), mais se trouvant soudain face à Tydée il recule et ne croit plus à la victoire ("Hémon l’Isménien aurait renversé encore bien des enfants de l’Inachos car le fils d’Amphitryon [Héraclès] dirige ses traits et soutient ses forces, si Pallas n’eût poussé contre lui le terrible Tydée. Déjà ils sont en présence, protégés par deux divinités rivales. Mais le dieu de Tirynthe adresse le premier à Pallas [Athéna] ces paroles pacifiques : “O ma fidèle sœur, quel hasard au milieu de cette épaisse mêlée nous expose ainsi l’un à l’autre ? […] C’est à toi que je dois la faveur de mon père et mon retour au ciel. Comment reconnaître tant de bienfaits ? Thèbes, si tu veux la détruire, est tout entière à toi, je te l’abandonne et je te prie de me pardonner”. Il dit et se retire. Cet hommage apaise Pallas : son visage qui brillait d’une fureur guerrière reprend sa douceur accoutumée, et devant sa poitrine les serpents ne dressent plus leur tète menaçante. Le Cadméen Hémon sent que la déesse s’est éloignée. Il ne brandit plus ses traits avec la même force, et ne reconnaît plus son bras dans les coups qu’il porte. Ses forces, son courage l’abandonnent de plus en plus, et il n’a pas honte de reculer. A cette vue, Tydée fond sur lui et, balançant un javelot que lui seul peut lancer, il le dirige à l’endroit où l’extrémité du bouclier touche à l’extrémité du casque et laisse voir la gorge. Sa main ne s’était pas égarée, la lance portait la mort, mais Pallas s’y oppose : elle lui permet seulement d’effleurer l’épaule gauche du guerrier, et lui fait grâce en faveur de son frère. Hémon cependant n’ose ni tenir ferme ni s’avancer pour combattre, ni soutenir les regards du sanguinaire Tydée, ses forces sont affaiblies, et la confiance n’est plus dans son cœur", Stace, Thébaïde VIII.497-531).


Selon pseudo-Apollodore, Hémon ne s’est pas suicidé en découvrant morte sa fiancée Antigone, il a été tué par le Sphinx, ce personnage fabuleux qui terrorisait les Thébains avant l’accession d’Œdipe au trône ("Pendant [la régence de Créon, après la mort de Laïos], Thèbes fut frappée d’un grave fléau. La déesse Héra y envoya le Sphinx, fils d’Echidna et de Typhon, qui avait le visage d’une femme, la poitrine, les pattes et la queue d’un lion, et les ailes d’un oiseau. Les Muses lui avaient appris une énigme. Installé sur le mont Phicion, il posait cette énigme aux Thébains : “Quel être est pourvu d’une seule voix, qui a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, et trois jambes ensuite ?”. Les Thébains avaient reçu un oracle affirmant qu’ils seraient délivrés du Sphinx seulement lorsqu’ils auraient résolu cette énigme. Aussi se réunissaient-ils souvent pour en deviner la signification. Mais comme ils n’y parvenaient pas, le Sphinx se saisissait de l’un d’eux et le dévorait. Nombreux furent ceux qui périrent ainsi, parmi lesquels Hémon le fils de Créon", Bibliothèque, III, 5.8) : nous rejetons cette déclaration de pseudo-Apollodore, qui est incompatible avec l’histoire d’Antigone puisqu’elle signifierait qu’Hémon est mort avant l’accession d’Œdipe au trône thébain (et donc avant la naissance d’Antigone !), même si nous n’écartons pas la possibilité que pseudo-Apollodore évoque là un frère aîné homonyme d’Hémon le fiancé d’Antigone, ou qu’il donne le nom d’Hémon à un autre fils de Créon dont le vrai nom a été oublié par la mémoire collective.

  

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