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-494 à -479 : La guerre contre la Perse I

© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

La Perse avant -494

Athènes avant -494

La révolte ionienne

Marathon

Salamine

Platée et Mycale

Après Platée et Mycale

La révolte d’Ionie


Les sources perses autant que grecques sont muettes sur l’opinion de Darius Ier sur les affaires grecques. Nous avons vu que dans tous les événements qui se sont déroulés depuis la fin de la campagne contre les Scythes en Europe et le départ de Sardes de Darius Ier, toutes les décisions ont été prises non pas par le Grand Roi mais par les satrapes locaux, Mégabaze probablement satrape de Phrygie hellespontique et Artaphernès satrape de Lydie. Sans doute Darius Ier considère-t-il que ces terres sont lointaines et que leurs populations n’ont aucune influence sur la politique du cœur de l’Empire, leurs soulèvements peuvent donc être réprimés par des simples mesures de police de proximité plutôt que par des mesures militaires prises au plus haut niveau de la hiérarchie impériale. Quand les délégués athéniens envoyés par Clisthène le jeune sont arrivés à Sardes, on se souvient qu’Artaphernès a commencé par leur poser la question : "Qui êtes-vous ? Athènes, c’est quoi ?" ("Les Athéniens firent partir pour Sardes une délégation chargée de solliciter l’alliance des Perses, car ils se rendaient bien compte qu’ils étaient désormais en guerre contre Sparte et Cléomène Ier. Arrivés à Sardes, les députés présentèrent leur demande. Le satrape de Sardes, Artaphernès fils d’Hystaspès, leur demanda qui ils étaient et en quelle région ils habitaient, eux qui voulaient s’allier aux Perses", Hérodote, Histoire V.73) : si un satrape local ignore ce qu’est la Grèce, on déduit que le Grand Roi Darius Ier l’ignore davantage encore. Et même quand Aristagoras se dresse ouvertement contre la domination perse, Darius Ier reste silencieux, ce que pour notre part nous considérons comme le signe de son mépris pour cette zizanie grecque en Ionie dont il estime qu’elle sera mâtée rapidement comme la zizanie grecque en Libye l’a été par Aryandès le gouverneur d’Egypte peu de temps avant.


Le déroulement de la révolte ionienne mérite toute notre attention. Nous avons vu dans notre précédent alinéa qu’Hérodote situe la prise de Milet par les Perses en -494, après la défaite de la flotte grecque au large de l’îlot de Ladè, "cinq ans après le début de la révolte", soit en -499 : si cette date est la bonne, comment expliquer que les Perses aient toléré un tel soulèvement pendant cinq ans avant d’intervenir en -494 ? L’étude croisée d’Hérodote et de Plutarque répond peut-être à la question.


Intéressons-nous d’abord à Hérodote. Ayant réussi ainsi à abolir la tyrannie dans toutes les cités d’Ionie, Aristagoras selon Hérodote s’embarque vers la Grèce d’Europe à une date inconnue pour essayer de trouver un allié puissant ("La tyrannie disparut ainsi dans toutes les cités [ioniennes]. Après l’avoir supprimée, Aristagoras de Milet invita celles-ci à élire des stratèges. Puis il s’embarqua sur une trière et partit en ambassade à Sparte, car il lui fallait trouver quelque part un allié puissant", Hérodote, Histoire V.38). Il s’adresse dans un premier temps à Cléomène Ier de Sparte, qui le repousse après l’avoir écouté, inquiet par le caractère aventureux de la proposition ("Cléomène Ier demanda au Milésien à combien de journées de marche de la mer se trouvait le Grand Roi. Aristagoras s’était montré habile jusqu’alors et avait adroitement abusé son hôte, mais il commit ici une erreur en disant la vérité, qu’il voulait attirer les Spartiates en Asie, en répondant franchement qu’il fallait compter trois mois de route. Cléomène Ier l’interrompit tout net, sans vouloir entendre le reste des explications qu’il s’apprêtait à lui donner : “Etranger de Milet, lui dit-il, sors de Sparte avant le coucher du soleil. Tes paroles n’ont rien qui puisse plaire au Spartiates, puisque tu veux les entraîner à trois mois de distance de la mer”", Hérodote, Histoire V.50). Il se tourne donc vers la toute jeune démocratie athénienne qui, nous l’avons vu plus haut, vient de rompre ses relations diplomatiques avec la Perse : l’ex-tyran milésien et l’Ekklesia démocratique athénienne constatent rapidement leur intérêt commun, et s’allient, les Athéniens mobilisant vingt navires dont ils confient le commandement à un nommé "Mélanthios" ("Aristagoras de Milet, que le Spartiate Cléomène Ier avait fait expulser de Sparte, arriva dans Athènes, la cité la plus puissante alors après Sparte. Aristagoras […] ne recula devant aucun promesse tant il avait besoin des Athéniens, et il finit par l’emporter. […] Les Athéniens décidèrent d’envoyer vingt navires au secours des Ioniens, sous le commandement de Mélanthios, un citoyen en tous points remarquable", Hérodote, Histoire V.97). La guerre ouverte des Ioniens contre les Perses peut donc commencer. La position d’Artaphernès dans cette affaire est aisée à deviner. Le satrape, nous l’avons dit, a reçu une délégation d’Athéniens envoyés par Clisthène le jeune réclamant son aide pour défendre la jeune démocratie athénienne contre les Spartiates : en échange, ces délégués dont on ne sait pas clairement s’ils agissaient vraiment pour le maintien de leur régime démocratique ou pour renforcer les pouvoirs de Clisthène le jeune et l’aider à devenir le nouveau tyran d’Athènes, lui ont promis la terre et l’eau athéniennes ("[Artaphernès] répondit alors que si les Athéniens donnaient au Grand Roi Darius Ier la terre et l’eau de leur pays, il leur accorderait son alliance, sinon il leur enjoignait de se retirer. Désireux d’obtenir l’alliance perse, les députés prirent sur eux d’accepter ces conditions", Hérodote, Histoire V.73). Or un autre Athénien, Hippias, ancien tyran athénien renversé en -511, lui a également demandé précédemment de l’aider à reconquérir son titre de tyran d’Athènes ("[Hippias] ne négligea rien pour calomnier les Athéniens auprès d’Artaphernès et tout mettre en œuvre pour faire tomber Athènes en son pouvoir et au pouvoir de Darius Ier", Hérodote, Histoire V.96). Artaphernès a donc le choix entre soutenir les délégués d’un régime démocratique au fonctionnement et aux finalités floues, ou soutenir Hippias qui représente un régime tyrannique au fonctionnement et aux finalités parfaitement définies puisque c’est le même régime qui dominait en Ionie voisine avant la révolution démocratique d’Aristagoras. Naturellement, Artaphernès choisit de soutenir Hippias. Cela étant dit, on doit relativiser l’implication des Perses dans les affaires grecques d’Europe en général, et athéniennes en particulier - notamment ce prétendu soutien d’Artaphernès à Hippias -, à cette époque : Athènes est loin, et au fond les Perses d’Anatolie s’en préoccupent beaucoup moins que de l’ordre en Ionie, seul garant que l’argent continuera à tomber annuellement dans leurs caisses. D’ailleurs, même après toutes les batailles menées par la démocratie athénienne jusqu’à celle de l’Eurymédon en -470, les Perses ne témoigneront pas d’hostilité viscérale contre le régime démocratique. Au cours des deux siècles d’existence de leur Empire, les Perses feront et déferont leurs alliances avec les cités grecques non pas en fonction d’un régime politique particulier, mais en fonction de leurs seuls intérêts politiques et financiers : si une cité démocratique leur promet richesse et sécurité ils l’aideront toujours, si en revanche la même cité obéissant toujours au même régime démocratique mais gouvernée par une nouvelle majorité leur promet ruine et guerre ils rompront leur alliance. Là réside sans doute l’explication de la non-intervention des Perses pendant cinq ans contre Aristagoras : peu importe qu’Aristagoras porte le titre de tyran ou le titre de champion de la démocratie, du moment qu’il continue à payer l’impôt et à maintenir l’ordre en Ionie. En renversant les tyrans ioniens, Aristagoras s’est accaparé leurs biens, et c’est avec ces biens qu’il a pu continuer à payer l’impôt annuel pendant cinq ans, ce qui n’a rien changé du point de vue des Perses comme du point de vue de la population ionienne. Mais vers -495, Aristagoras a été forcé de constater que les caisses des anciens tyrans détrônés étaient désormais vides, et de conclure que, pour payer l’impôt annuel aux Perses, il fallait soit augmenter les prélèvements sur la population ionienne, soit se soulever contre les occupants perses. Dans notre alinéa précédent, nous avons bien mis en garde sur le jugement très négatif qu’Hérodote, qui a des comptes à régler avec les tyrans d’Ionie et de Carie, porte sur ces derniers, notamment sur Aristagoras : en nous penchant sur la question fiscale comme nous venons de le faire, nous voyons bien que ce jugement négatif d’Hérodote est sujet à caution, car certes Aristagoras est bien le déclencheur de la révolte ouverte contre les Perses, mais on peut se demander sérieusement s’il avait un autre choix. Continuons notre lecture de l’Histoire d’Hérodote. Selon ce dernier, Aristagoras, autant conscient du caractère dérisoire de son soulèvement face à l’immense Empire perse aux ressources inépuisables que lucide sur la frilosité des Ioniens à s’engager derrière lui contre les Perses, décide de réaliser un coup médiatique dont il sait qu’il ne lui apportera rien militairement, mais qui obligera les Ioniens à prendre parti et qui par son audace les impressionnera et les motivera dans la lutte. Ce coup médiatique est un raid sur Sardes, conduit par un petit commando d’Ioniens sitôt que les vingt navires des Athéniens, rejoints bientôt par cinq navires de la cité eubéenne d’Erétrie, arrivent à Milet ("Lorsque les Athéniens arrivèrent sur leurs vingt navires, avec en plus cinq trières d’Erétrie qui pour sa part ne participait pas pour aider Athènes mais en reconnaissance des services que les Milésiens lui avaient prêtés […], Aristagoras envoya une expédition attaquer Sardes à laquelle lui-même ne participa pas", Hérodote, Histoire V.99). Sur le plan militaire, redisons-le, ce raid apparaît comme un coup de folie : c’est comme si en 1970 le maire d’Helsinki, désireux d’entrainer la petite Finlande tout entière dans un conflit ouvert contre la superpuissante URSS, avait organisé un raid contre Léningrad médiatisé par le plus grand nombre de journalistes. Dans les faits, il s’achève rapidement, comme on pouvait s’y attendre, le commando ne parvenant pas à investir la forteresse où Artaphernès s’est retranché ("Les Ioniens se rendirent avec leur flotte à Ephèse. Ils laissèrent leurs navires à Korèsos [lieu-dit côtier près de la cité d’Ephèse] sur le territoire d’Ephèse et se dirigèrent avec des forces considérables vers l’intérieur du pays, guidés par des Ephésiens. Ils remontèrent le cours du fleuve Caystre [aujourd’hui le fleuve Küçük Menderes] puis, après avoir franchit le mont Tmolos, arrivèrent à Sardes, et s’en emparèrent sans trouver de résistance. Ils prirent la ville entière sauf l’acropole, qu’Artaphernès défendait en personne avec une importante garnison", Hérodote, Histoire V.100), et étant bientôt obligé, après avoir accidentellement provoqué un incendie ("Un soldat mit le feu à une maison, et de maison en maison les flammes gagnèrent bientôt la ville entière. Dans la ville en feu, les Lydiens ainsi que les Perses qui s’y trouvaient, cernés par l’incendie qui dévorait les quartiers extérieurs, se trouvèrent bloqués et vinrent s’entasser sur l’agora et sur les bords du Pactole […] La foule des Lydiens et des Perses acculés au bord de cette rivière et sur l’agora fut contrainte de se défendre. Quand les Ioniens virent qu’une partie des ennemis leur résistait tandis que d’autres s’apprêtaient en force à les attaquer, ils prirent peur et se retirèrent en direction du mont Tmolos et, de là, regagnèrent leurs navires à la faveur de la nuit", Hérodote, Histoire V.101), de courir vers Ephèse pour échapper aux troupes perses lancées à sa poursuite ("Les Perses présents du côté occidental du fleuve Halys [qui sert de frontière entre la satrapie de Lydie et la satrapie de Médie], apprenant l’invasion, se rassemblèrent et vinrent au secours des Lydiens. Les Ioniens n’étaient plus à Sardes quand ils y arrivèrent, ils marchèrent donc sur leurs traces et les rejoignirent à Ephèse. Les Ioniens firent volte-face et leur livrèrent bataille, mais leur défaite fut complète : les Perses les taillèrent en pièces, tuant entre autres Grecs renommés le chef des Erétriens Eualcidès", Hérodote, Histoire V.102). Mais sur le plan politique, c’est un grand succès. La nouvelle de cette expédition contre la capitale de la satrapie de Lydie se répand tout le long des côtes anatoliennes, et les Ioniens à la fois contraints de prendre parti et impressionnés par l’audace de ce raid, s’engagent pleinement dans la révolte, ils sont bientôt suivis par les Byzantins dans le lointain Hellespont au nord ("[Les Ioniens] passèrent avec leur flotte dans l’Hellespont et gagnèrent à leur cause Byzance et toutes les autres cités de la région", Hérodote, Histoire V.103) et jusqu’aux Chypriotes au sud (seuls les habitants d’Amathonte et Gorgos le roi de Salamine de Chypre, qui s’enfuit vers le continent, restent fidèles à la cause perse : "Gorgos, roi de Salamine de Chypre, avait un frère cadet, Onésilos fils de Chersis […]. Depuis longtemps cet Onésilos poussait Gorgos à se révolter contre le Grand Roi : quand il apprit le soulèvement des Ioniens il insista davantage. Comme son frère ne l’écoutait pas, il attendit qu’il fût sorti de Salamine de Chypre, et avec ses partisans lui en ferma les portes. Le roi dépossédé se réfugia chez les Perses. Onésilos prit le pouvoir à Salamine de Chypre et s’efforça d’associer tous les Chypriotes à la rébellion. Ils le suivirent, sauf les gens d’Amathonte qui refusèrent de l’écouter et qu’il vint assiéger", Hérodote, Histoire V.104). Miltiade le tyran athénien de Chersonèse prend aussi parti pour la révolte, en s’emparant de l’île de Lemnos voisine (grâce à une très ancienne promesse faite aux Athéniens par les Pélasges habitant l’île : ces anciens Pélasges ont promis aux Athéniens de se soumettre à eux le jour où un navire athénien abordera en provenance du nord ["Les Athéniens disposèrent dans le prytanée un lit de grande magnificence, devant une tablée chargée de tous les meilleurs mets, et ils enjoignirent aux Pélasges de leur livrer leur pays dans le même état : “Lorsqu’un de vos navires, par vent du nord et en un seul jour, atteindra notre terre, ce jour-là nous vous la livrerons”, répondirent les Pélasges, qui savaient bien que la chose n’était pas possible, car l’Attique est très au sud de Lemnos", Hérodote, Histoire VI.139], or Miltiade étant Athénien et tyran de la Chersonèse qui est au nord de Lemnos, peut débarquer à Lemnos en disant avoir répondu au pari lancé jadis par les Pélasges ; une partie des Lemniens se soumet et quitte l’île, l’autre partie résiste et est vaincue ["La Chersonèse de l’Hellespont étant passée aux mains des Athéniens, Miltiade fils de Cimon [l’ancien] profita des vents étésiens pour se rendre, en un jour, d’Eléonte en Chersonèse à Lemnos : il rappela aux Pélasges l’oracle qu’ils ne s’attendaient pas à voir un jour réalisé, et leur ordonna de quitter l’île. Les gens d’Héphaistia obéirent. Ceux de Myrina refusèrent d’admettre que la Chersonèse fût l’Attique, mais ils furent assiégés jusqu’au jour où ils durent également céder. C’est ainsi qu’avec Miltiade les Athéniens prirent Lemnos", Hérodote, Histoire VI.140 ; "[Miltiade] revint à Lemnos et demanda qu’on lui livrât la cité en vertu de la promesse faite par les Lemniens de se soumettre le jour où un Athénien viendrait de sa terre à Lemnos poussé par l’Aquilon. Or [Miltiade] habitait la Chersonèse. Les Cariens, qui occupaient alors Lemnos, ne s’attendaient guère à cette interprétation. Cependant, se voyant pris moins par leur promesse que par l’heureuse fortune de leurs adversaires, ils n’osèrent pas résister et abandonnèrent l’île", Cornélius Népos, Vies des grands capitaines I.2 ; "Par peur des Perses, les Tyrrhéniens abandonnèrent Lemnos et la livrèrent à Miltiade, en prétendant agir ainsi selon certains oracles", Constantin VII Porphyrogénète, Extraits, Sur les opinions 99]). Or, on se souvient que Lemnos est un territoire perse depuis qu’Otanès fils de Sisamnès y a débarqué juste après la campagne ratée de Darius Ier contre les Scythes en Europe : en s’appropriant Lemnos, Miltiade accomplit un acte ouvertement hostile aux Perses. Les marins athéniens quant à eux, selon Hérodote, ne font que de la figuration : ils restent sur leurs vingt navires dans le port de Milet pendant que le commando ionien saccage Sardes, et rentrent chez eux, de même que les Erétriens qui les accompagnent et qui n’ont pas agi davantage, dès que ce commando ionien est de retour ("Les Athéniens abandonnèrent ensuite la cause des Ioniens et, malgré les messages et les sollicitations d’Aristagoras, leur refusèrent leur appui", Hérodote, Histoire V.103). Telle est la version d’Hérodote. Au terme de cette présentation des faits, le lecteur ne peut avoir qu’une opinion très négative sur les Perses et très positive sur les Athéniens puisque, les seconds n’ayant pas participé au raid contre Sardes et étant retournés chez eux avec leurs vingt navires après une courte et inactive relâche à Milet, les premiers n’ont aucune raison de préparer l’expédition vengeresse qui aboutira au saccage d’Erétrie et à la bataille de Marathon trois ans plus tard. Si on se contente de l’exposé d’Hérodote, l’expédition des Perses contre Erétrie et Athènes en -490 est vraiment une agression gratuite et injuste contre des Erétriens et des Athéniens qui n’ont rien à se reprocher, et qui ont été simplement les victimes des calculs politiciens du fourbe Aristagoras pour se maintenir au pouvoir en Ionie.


Mais Plutarque n’est pas d’accord avec ce récit. Il n’est d’ailleurs pas d’accord en général avec Hérodote. Un épisode de l’Histoire l’agace en particulier, celui que l’historien consacre à la bataille des Thermopyles, paragraphes 201 à 238 du livre VII. Plutarque est un Béotien. Il est né à Chéronée en Béotie, il a grandi à Chéronée, il a aimé à Chéronée, il a vieilli à Chéronée, naturellement il défend ses compatriotes béotiens de Thèbes contre toutes les médisances dont on les accable. Or, dans ce passage consacré à la bataille des Thermopyles, Hérodote affirme que les trois cents célèbres Spartiates commandés par Léonidas Ier ont à leurs côtés un petit contingent ami de Thespiens, ainsi qu’un autre petit contingent de Thébains otages qu’ils obligent à rester près d’eux pour dissuader la cité de Thèbes de passer du côté perse. Plutarque, qui connaît bien le passé de sa province natale béotienne et veut en défendre l’honneur, s’insurge contre cette présentation négative des Thébains : en réalité, dit-il, au moment de l’invasion de la Grèce par les Perses de -480, Thèbes comme toutes les autres cités grecques était divisée entre ceux qui voulaient se soumettre à l’envahisseur et ceux qui voulaient résister, et les Thébains aux côtés des trois cents Spartiates lors de la bataille des Thermopyles étaient justement ceux qui voulaient résister, et non pas des otages (nous reviendrons sur cette controverse entre Hérodote et Plutarque quand nous parlerons de cette invasion de -480). Partant de ce sujet, Plutarque élargit sa réflexion et écrit un livre, Sur la malignité d’Hérodote, dans lequel il s’interroge sur la meilleure façon de raconter l’Histoire, en reprenant dans le détail l’œuvre d’Hérodote pour montrer à quel point la démarche de ce dernier est tendancieuse et aboutit à des approximations, et même dans certains cas à des contrevérités. Hérodote, rappelons-le, est originaire d’Halicarnasse, cité grecque de la province de Carie, voisine de l’Ionie, sur la côte anatolienne. A cause d’agissements dont nous ignorons la nature, qui ont fâché Lygdamis le tyran local (petit-fils de Lygdamis le tyran de Naxos dont nous avons parlé plus haut), Hérodote s’est exilé à une date inconnue : il tirera de cette épreuve un ressentiment général pour tout ce qui a un rapport avec cette région côtière grecque anatolienne, Carie et Ionie incluses, ce qui explique sa présentation très négative d’Aristagoras le tyran de Milet, que nous avons constestée dans notre précédent alinéa. Ambitieux, il cherche un moyen de devenir rapidement célèbre. Or, Hérodote vit au tout début de la paix de Trente Ans, en -446, Athènes et Sparte dominent toute la Grèce. Il décide donc d’écrire un livre dans lequel il s’évertue à flatter ces deux cités via le combat qu’elles ont mené une génération plus tôt contre la Perse. Nous raconterons la reconnaissance qu’en tire Hérodote, qui présente la première mouture de son Histoire à l’occasion des quatre-vingt-quatrièmes Jeux olympiques de -444, dans notre paragraphe sur la paix de Trente Ans. Limitons-nous pour le moment à dire que cette Histoire n’est donc pas impartiale : elle présente les faits du point de vue grec, et plus particulièrement du point de vue athénien et spartiate, parce qu’elle veut mettre en valeur les Athéniens et les Spartiates dont l’auteur réclame les faveurs. Cela signifie que, Plutarque dans son essai Sur la malignité d’Hérodote nous y invite, nous devons toujours être critiques dès lors que nous sommes confrontés à un passage qui a manifestement nécessité un gros travail d’écriture de la part de son auteur, comme justement celui sur la révolte d’Ionie et sur le raid contre Sardes. Hérodote, nous venons de le voir, affirme que les Athéniens et les Erétriens n’ont fait qu’un aller et retour à Milet, sans participer à la moindre opération militaire : contre cette affirmation, Plutarque cite deux auteurs - dont l’un, le logographe Charon de Lampsaque, est contemporain des faits - qui disent bien au contraire que ce sont les Athéniens et les Erétriens qui sont à l’origine de ce raid contre Sardes, et qui ont transformé la révolution de velours ionienne en une guerre brutale et directe contre les Perses ("Quand ensuite Hérodote raconte la prise de Sardes, il affaiblit la responsabilité [des Athéniens] autant qu’il peut, tout en disant que les navires envoyés par Athènes au secours des Ioniens, qui s’étaient révoltés contre le Grand Roi de Perse, furent cause de tous les maux qui arrivèrent par la suite parce qu’ils entreprirent d’affranchir de la servitude des barbares les si belles colonies grecques. Il ne parle qu’en passant des Erétriens, et supprime leur action la plus mémorable dans cette guerre. Toute l’Ionie étant déjà troublée par l’approche de la flotte des Perses, ils allèrent à sa rencontre dans la mer de Pamphylie et la défirent près de Chypre. Puis, retournant sur leurs pas, et laissant leurs navires dans le port d’Ephèse, ils mirent le siège devant Sardes et tinrent Artaphernès dans l’acropole où il s’était réfugié. Ils marchèrent vers Milet pour en rompre le siége, et y réussirent : ayant jeté la terreur parmi les barbares, ils les forcèrent à se retirer. Mais ils virent approcher une armée très supérieure en nombre, alors ils s’éloignèrent. Voilà comment les faits sont racontés par plusieurs historiens, entre autres par Lysanias de Mallos dans son Histoire d’Erétrie. Il eût été convenable, pour compenser la prise et la ruine de leur cité [en -490] ou pour d’autres motifs, de rapporter ce trait de leur courage. Mais au contraire, [Hérodote] dit qu’ils furent vaincus par les barbares et repoussés jusque dans leurs navires, ce qu’on ne trouve pas dans Charon de Lampsaque, qui dit par ailleurs : “Les Athéniens mirent en mer une flotte de vingt navires pour aller secourir des Ioniens, ils marchèrent vers Sardes dont ils se rendirent maîtres à l’exception de l’acropole, et après ces exploits ils s’en retournèrent à Milet”", Plutarque, Sur la malignité d’Hérodote). Pour notre part, nous confessons que ce double témoignage avancé par Plutarque permet d’expliquer plusieurs points sur lesquels Hérodote, on comprend pourquoi, ne s’attarde pas. D’abord, les dates. Nous nous sommes demandés, au début du présent alinéa, pourquoi les Perses ont toléré le soulèvement ionien pendant cinq ans avant d’intervenir en -494. Nous répétons ici la réponse simple que nous avons déjà avancée dans notre analyse de l’Histoire d’Hérodote : parce que le mouvement provoqué par Aristagoras ne les concernait pas, parce que ce n’était qu’une affaire iono-ionienne. Tant que l’impôt au Grand Roi est payé et que l’ordre règne en Ionie, peu importe, pour le satrape local comme pour Darius Ier, qu’Aristagoras porte le titre de tyran et gouverne autoritairement sur ses sujets, ou qu’il porte le titre de démagogue et gouverne en flattant le peuple. Mais à partir du moment où ces Ioniens font appel à des Grecs de l’autre côté de la mer Egée, des Grecs qu’on n’a jamais vus d’une cité inconnue appelée "Athènes", qui attaquent sans raison les Perses, qui saccagent et incendient Sardes la capitale de la satrapie de Lydie, qui séquestrent le satrape Artaphernès dans sa forteresse, cette affaire iono-ionienne devient une affaire internationale entre Perses et Athéniens, avec les Ioniens au milieu : les Perses qui jusqu’alors sont restés neutres, s’engagent désormais pour punir les responsables de l’injuste agression dont ils viennent d’être victimes, et d’abord contre les Ioniens qui ont amenés sur le sol asiatique ces barbares athéniens sans foi ni loi. La motivation d’Hérodote, ensuite. L’historien veut devenir célèbre en flattant les Athéniens. Mais la vérité historique rapporté par les deux auteurs cités par Plutarque n’a rien de flatteur : non seulement les Athéniens ont agressé sans raison les Perses, mais encore cette agression s’est achevée en désastre pour les Ioniens qu’ils prétendaient défendre, ces Athéniens étant incapables de coordonner la flotte ionienne en prévision de la bataille de Ladè, et d’empêcher la prise de Milet par les Perses. Autrement dit, contrairement à ce qu’insinue l’Histoire, l’expédition des Perses contre Erétrie et Athènes en -490 n’est pas une agression injuste de barbares perses contre deux innocentes cités grecques, mais une réponse légitime à l’injuste et barbare agression des Erétriens et des Athéniens contre Sardes trois ans auparavant. Et on peut même louer la modération de Darius Ier en cette circonstance, qui en -490 dirigera ses représailles non pas sur les Grecs dans leur ensemble, mais sur les seuls Erétriens et Athéniens, justifiant ainsi la modération que le tragédien Eschyle lui reconnaîtra dans Les Perses. Hérodote au fond a compris la leçon de la condamnation de Phrynichos, dont la tragédie sur la prise de Milet présentée juste après la révolte d’Ionie a été censurée après avoir provoqué un scandale parmi les spectateurs athéniens ("[Les Athéniens] furent excessivement affligés de la prise de Milet, et ils manifestèrent leur douleur de mille manières. Le théâtre fondit en larmes à la représentation de la tragédie de Phrynichos, dont le sujet était la prise de cette cité. Ils condamnèrent ce poète à une amende de mille drachmes, parce qu’il leur avait rappelé la mémoire de leurs malheurs domestiques. De plus, ils défendirent à qui que ce fût de jouer désormais cette pièce", Hérodote, Histoire VI.21 ; "Callisthène rappelle comment les Athéniens punirent de mille drachmes d’amende le poète tragique Phrynichos, pour avoir fait un drame de la prise de Milet par Darius Ier", Strabon, Géographie, XIV, 1.7) : Hérodote, qui aspire à la célébrité en flattant les Athéniens, ne veut pas risquer de les scandaliser à nouveau en leur rappelant, directement ou indirectement comme Phrynichos dans sa tragédie sur la prise de Milet, qu’ils se sont comportés comme des petites frappes sans morale contre les Perses qui n’ont jamais cherché à les soumettre avant -494, et qu’ils ont montré leur nullité militaire en étant incapables de capturer le satrape Artaphernès à leur portée et d’éviter aux Milésiens un siège fatal.


Du côté perse, ce raid en effet change complètement les choses, sur ce point Hérodote rejoint la vérité historique. A Sardes, le satrape Artaphernès est mis à mal, décrédibilisé, parce qu’il n’a pas anticipé la menace : il est obligé d’exécuter les Perses qui lui adressent des reproches ("[Artaphernès] découvrit le complot et fit périr de nombreux Perses", Hérodote, Histoire VI.4). A Persépolis, Darius Ier, le frère d’Artaphernès, découvre soudain la radicalité de ces Grecs à l’extrémité nord-ouest de son Empire : ne pouvant pas accepter que son autorité soit ainsi tournée en ridicule, il ordonne une répression rapide et générale. Les troupes perses débarquent sur l’île de Chypre, retournent le gros des révoltés, tuent leurs meneurs, Gorgos qui s’était réfugié sur le continent recouvre son titre de tyran de Salamine de Chypre ("Les Perses débarquèrent à Chypre, venant de Cilicie, et marchèrent sur Salamine [de Chypre], tandis que les Phéniciens [peuple vassal des Perses] sur leurs navires longèrent la côte et doublèrent le cap des Kleïdes ["Klh‹dej", littéralement "les Clés", qui contrôle l’accès à l’île par l’est, aujourd’hui la péninsule de Karpas]", Hérodote, Histoire V.108 ; "En pleine bataille, Stésénor, le tyran de Kourion, colonie d’Argos, fit défection avec les forces considérables qui l’accompagnaient. Aussitôt après la défection des Kouriens, les chars de guerre salaminiens firent de même. Cela donna l’avantage aux Perses. L’armée chypriote prit la fuite et subit de lourdes pertes. Là périt entre autres Onésilos fils de Chersis, l’homme qui avait poussé Chypre à la révolte", Hérodote, Histoire V.113 ; "Parce qu’Onésilos [chef des révoltés] les avait assiégés, les gens d’Amathonte [restés fidèles aux Perses] lui coupèrent la tête, l’emportèrent chez eux et la fixèrent au-dessus des portes de la cité", Hérodote, Histoire V.114 ; "Quand les Ioniens qui avaient combattu sur mer au large de Chypre apprirent qu’Onésilos était battu et que toutes les cités étaient investies à l’exception de Salamine de Chypre dont les habitants rappelèrent leur ancien roi Gorgos, ils firent aussitôt voile vers l’Ionie. Soles [au nord-ouest de l’île, près de l’actuelle Morphou à Chypre] fut la cité chypriote qui soutint le plus long siège. En sapant les murailles, les Perses s’en emparèrent après quatre mois d’efforts", Hérodote, Histoire V.115). Artaphernès (en tant que satrape de Lydie) et Otanès fils de Sisamnès (en tant que "stratège des peuples de la côte maritime", c’est-à-dire satrape d’Ionie comme nous l’avons expliqué à plusieurs reprises) dirigent en personne les opérations en Ionie, dont ils soumettent toutes les cités l’une après l’autre ("Artaphernès, le satrape de Sardes, et le stratège Otanès se dirigèrent contre l’Ionie et la partie de l’Eolide qui lui est contigüe. Ils prirent Clazomènes en Ionie et Kymè en Eolide", Hérodote, Histoire V.123), ce qui contraint les navires ioniens à rester au large ou à trouver refuge dans les îles. Le général perse Daurisès (apparenté à Artaphernès par alliance, étant l’époux d’une fille de Darius Ier frère d’Artaphernès, selon Hérodote, Histoire V.116) se charge de reconquérir les côtes de l’Hellespont ("Daurisès marcha contre les cités de l’Hellespont et prit Dardanos, puis Abydos, Perdoté, Lampsaque et Paisos, une cité par jour", Hérodote, Histoire V.117), puis il se précipite vers la Carie qui vient de se soulever ("De Paisos, [Daurisès] se dirigeait vers Parion, lorsqu’un message lui parvint : les Cariens faisaient cause commune avec les Ioniens et se soulevaient à leur tour. Daurisès abandonna donc l’Hellespont et dirigea ses troupes vers la Carie", Hérodote, Histoire V.117) où il trouve la mort avec son contingent dans une embuscade ("Quand ils apprirent que les Perses étaient sur le point d’attaquer leurs cités, les Cariens dressèrent une embuscade sur la route de Pedasa : les Perses y tombèrent pendant la nuit et se firent massacrer avec leurs généraux Daurisès, Amorgès et Sisimacès", Hérodote, Histoire V.121).


Face à tous ces revirements, Aristagoras comprend que la fin est proche. Il cherche des nouvelles ressources, et un endroit où se réfugier. Il opte pour l’embouchure du fleuve Strymon, à la frontière entre la Thrace et la Macédoine, site que naguère son beau-père Histiée avait réclamé à Darius Ier et obtenu de lui temporairement, par où transite le bois des Balkans nécessaire à la construction des navires, et proche des mines d’or et d’argent de Thassos nécessaires à la solde des soldats ("Il sembla [à Aristagoras] impossible de triompher du Grand Roi. Il tint conseil avec ses partisans pour leur déclarer qu’il fallait prévoir un refuge au cas où ils seraient chassés de Milet. Fallait-il aller en Sardaigne fonder une colonie, ou à Myrcinos en Edonie qu’Histiée avait obtenu de Darius Ier et fortifiée ?", Hérodote, Histoire V.124). Il part donc vers ce site, arrive à destination, mais il meurt dans une obscure altercation avec les Thraces autochtones ("Aristagoras préféra de beaucoup partir pour Myrcinos. Il mit un citoyen renommé, Pythagoras, à la tête de Milet et s’embarqua pour la Thrace avec tous ceux qui voulurent le suivre et s’installa dans la région qu’il avait choisie. Il en sortit pour une expédition dans laquelle il périt avec toute son armée sous les coups des Thraces", Hérodote, Histoire V.126). Pour l’anecdote, le sort de son beau-père Histiée ne sera pas plus heureux. Nous avons raconté à la fin de notre premier alinéa comment celui-ci, peu de temps après avoir obtenu l’embouchure du Strymon, a choisi d’y renoncer pour aller vivre dans le luxe de Persépolis et des autres palais dorés de Darius Ier, cédant son titre de tyran de Milet à son gendre Aristagoras. Ce luxe finit par l’ennuyer. Quand il apprend l’ampleur de la révolte initiée par Aristagoras, il croit pouvoir à nouveau jouer un rôle politique dans son pays : il demande à Darius Ier la permission de rentrer à Milet en se présentant comme le seul homme capable d’apaiser la révolte des Ioniens car Ionien lui-même. Darius Ier le laisse partir ("“Délivrés de ma présence [c’est Histiée qui parle à Darius Ier], les Ioniens ont fait ce qu’ils désiraient de longue date. Si j’avais été là, pas une cité n’aurait bougé. Laisse-moi donc partir au plus vite vers l’Ionie afin d’y rétablir l’ordre et de remettre entre tes mains l’homme à qui j’ai confié Milet, le responsable de ces troubles”. […] Histiée parlait ainsi pour tromper le Grand Roi. Darius Ier le crut et le laissa partir, en lui prescrivant de le rejoindre à Suse dès qu’il aurait rempli ses promesses", Hérodote, Histoire V.106-107). Mais dès qu’Histiée est en Ionie, il le trahit en déclarant son soutien aux révoltés ("Dès la tombée de la nuit [le jour de son retour à Sardes], il s’enfuit vers la mer, désireux de prendre la tête des Ioniens en guerre, trompant l’attente du Grand Roi Darius Ier à qui il avait promis d’offrir la plus grande île du monde, la Sardaigne. Il passa dans l’île de Chio dont les habitants le jetèrent en prison, comme fauteur de troubles envoyé par Darius Ier pour leur nuire. Mais quand on découvrit qu’il était en réalité l’ennemi du Grand Roi on le relâcha", Hérodote, Histoire VI.1). Malheureusement pour lui, les Milésiens le repoussent : ils ont goûté au régime démocratique, et ne veulent plus d’un tyran, Histiée est contraint de s’enfuir ("Histiée se fit conduire à Milet par les gens de Chio. Les Milésiens, enchantés d’être débarrassés d’Aristagoras, n’avaient aucune envie d’un retour à la tyrannie alors qu’ils avaient goûté à la liberté. Ainsi, au cours d’une tentative nocturne pour rentrer de force dans Milet, Histiée fut blessé à la cuisse par un Milésien. Repoussé de sa propre cité, il revint donc à Chio", Hérodote, Histoire VI.5). Après avoir tenté vainement de s’emparer des mines d’argent de Thassos, il est capturé près d’Atarnée par un contingent perse patrouillant dans les environs, et emmené à Sardes, où il est empalé ("Histiée assiégeait Thassos à la tête d’une force importante d’Ioniens et d’Eoliens, quand il apprit que la flotte phénicienne quittait Milet pour attaquer le reste de l’Ionie. A cette nouvelle il leva le siège de Thassos et se hâta de gagner Lesbos avec toute son armée. Mais Lesbos ne put nourrir ses troupes et il passa sur le continent pour y moissonner le blé du pays d’Atarnée et celui de la vallée du Caïque en Mysie. Or le hasard fit qu’un Perse, Harpage, se trouvait dans cette région à la tête d’une armée importante : il attaqua Histée dès qu’il débarqua, le fit prisonnier et massacra la plus grande partie de ses troupes", Hérodote, Histoire VI.28 ; "Artaphernès le satrape de Sardes et Harpage le vainqueur d’Histiée firent empaler ce dernier dès qu’il fut à Sardes, puis ils envoyèrent sa tête embaumée au Grand Roi Darius Ier à Suse", Hérodote, Histoire VI.30).


Les révoltés ont donc perdu leur principal meneur Aristagoras, ils ont perdu leurs ports d’Ionie, ils n’ont plus de ressources matérielles et financières - les Athéniens restent chez eux -, ils n’ont plus qu’à peine trois cent cinquante navires, qu’ils positionnent devant l’îlot de Ladè, face à Milet (cet îlot n’existe plus aujourd’hui, les alluvions du fleuve Méandre ayant comblé la baie de Milet au cours des siècles), pour essayer d’en interdire l’accès ("Les Ioniens résolurent d’armer tous les navires jusqu’au dernier et de réunir la flotte devant Ladé, un îlot en face de Milet, et de combattre sur mer pour sauver Milet", Hérodote, Histoire VI.7) aux six cents navires que les Perses dirigent contre eux ("Les Milésiens occupaient l’aile orientale avec quatre-vingts navires. Ensuite venaient les gens de Priène avec douze navires, puis ceux de Myous avec trois navires, puis ceux de Téos avec dix-sept navires, puis ceux de Chio avec cent navires. Venaient ensuite les Erythréens et les Phocéens, les premiers avec huit navires, les seconds avec trois navires. Les Lesbiens venaient ensuite avec soixante-dix navires. Enfin les Samiens occupaient l’aile occidentale avec soixante navires. Au total, leurs forces comprenaient trois cent cinquante-trois trières. La flotte des Perses quant à elle comptait six cents navires", Hérodote, Histoire VI.7-8). Les Perses jugent avec raison que Milet est le moteur de la révolte, et que si elle est vaincue toutes les autres cités désormais privées d’espoir se soumettront d’elles-mêmes ("Les Milésiens s’attendaient à être attaqués par une flotte et des forces terrestres nombreuses, car les généraux perses avaient réuni leurs troupes en un seul corps et marchaient contre Milet, considérant que les autres cités étaient des cibles moins stratégiques", Hérodote, Histoire VI.6). Les anciens tyrans ioniens renversés par Aristagoras, depuis les camps perses où ils ont trouvé refuge, harranguent leurs anciens sujets en leur promettant la grâce s’ils reviennent dans le droit chemin ("Lorsque la flotte perse arriva devant Milet, et que toute l’armée de terre fut arrivée, les généraux perses en apprenant le grand nombre de navires ioniens craignirent de n’être pas assez forts pour les vaincre et, faute d’avoir la supériorité sur mer, de ne pas pouvoir prendre Milet et de s’attirer la colère de Darius Ier. Ces réflexions les amenèrent à convoquer les tyrans d’Ionie qu’Aristagoras de Milet avait chassés et qui, réfugiés chez les Perses, se trouvaient alors dans l’armée prête à attaquer Milet. Quand ils les eurent réunis, ils leur dirent : “Ioniens, voici le moment de montrer votre dévouement à la cause du Grand Roi. Chacun de vous doit essayer de détacher ses concitoyens de la coalition. Promettez-leur qu’ils ne seront pas punis de leur révolte, qu’on ne brûlera aucun de leurs édifices, ni temple ni maison, enfin que leur condition de vie ne sera pas aggravée. Mais s’ils refusent de vous écouter et veulent absolument un combat, menacez-les de tous les malheurs qui ne manqueront pas de fondre sur eux, dites-leur qu’ils seront vaincus, réduits en esclavage, que leur fils seront châtrés, leurs filles déportées en Bactriane, leurs terres données à d’autres peuples”", Hérodote, Histoire VI.9). La défaite est d’autant plus prévisible que la désunion apparaît au grand jour entre les soi-disant alliés. D’abord, certains d’entre eux, constatant que la situation précaire présente ne vaut guère mieux que celle de naguère quand ils étaient sujets des tyrans et contraints de payer l’impôt au Grand Roi, incitent à la reddition. Ensuite, aucune coordination n’est possible, chacun refusant de mettre entre parenthèses ses intérêts et ses succeptibilités particuliers pour penser au salut commun : quand le stratège phocéen Dionysos veut imposer un entrainement intensif à tous en prévision du combat final, les soldats non-phocéens refusent de lui obéir ("Pendant sept jours ils écoutèrent [Dionysos le stratège de Phocée] et firent ce qu’il voulait. Le jour suivant, ces hommes qui n’avaient pas l’habitude de peiner ainsi, accablés par la fatigue et le soleil, commencèrent à murmurer : “Quel dieu avons-nous donc offensé, se dirent-ils entre eux, pour souffrir tant de maux ? Il fallait être stupides, avoir perdu le sens, pour nous mettre sous les ordres d’un Phocéen, d’un hâbleur qui ne fournit que trois navires ! […] Mieux vaut subir n’importe quoi plutôt que ces maux, mieux vaut même connaître l’esclavage qu’on nous promet, quel qu’il puisse être, plutôt qu’endurer davantage celui qui nous accable aujourd’hui ! Allons, refusons désormais de lui obéir !”. Voilà ce qu’ils dirent, et personne dès lors ne voulut plus obéir", Hérodote, Histoire VI.12). Le combat s’engage : il tourne rapidement au désastre pour les Ioniens, moins à cause d’une supériorité militaire de l’adversaire qu’à cause de cette mésentente qui les amène à se trahir les uns les autres, et à ce manque total de préparation dans les manœuvres ("Quand les navires des Perses s’avancèrent contre eux, les Ioniens s’éloignèrent à leur tour de la côte et disposèrent leurs navires en ligne. Les deux flottes s’étant approchées, la mêlée commença. A partir de ce moment, je ne puis assurer quels furent ceux des Ioniens qui dans ce combat se déshonorèrent par leur lâcheté ou qui se signalèrent par leur valeur, car ils s’accablent mutuellement de reproches. On dit que les Samiens, comme convenu avec Aiacès [tyran de Samos banni par la révolution démocratique de sa cité, fils de Syloson dont nous avons parlé dans notre précédent alinéa], hissèrent leurs voiles, quittèrent leurs rangs et cinglèrent vers Samos, excepté onze de leurs navires dont les capitaines, refusant d’obéir à leurs chefs, restèrent et se battirent. Le peuple samien ordonna qu’en mémoire de cette action on élèverait une stèle sur la place principale où seraient gravés leurs noms avec ceux de leurs ancêtres, comme un témoignage de leur valeur. Les Lesbiens, voyant les Samiens prendre la fuite, s’enfuirent aussi, et leur exemple fut suivit par un grand nombre d’Ioniens", Hérodote, Histoire VI.14). Les Perses peuvent alors concentrer toutes leurs forces contre Milet, qu’ils assiègent par terre et par mer, et qui cède finalement. L’événement, nous l’avons dit plusieurs fois, a lieu en -494 ("Après la défaite de la flotte ionienne, les Perses assiégèrent Milet par terre et par mer. Ils minèrent les remparts, employèrent toutes sortes de machines de guerre, et finalement la prirent d’assaut, cinq ans après la révolte d’Aristagoras", Hérodote, Histoire VI.18). Les meneurs de la révolte sont massacrés, les autres sont déportés vers la péninsule arabique ("La plupart des hommes furent massacrés par les Perses, les femmes et les enfants furent réduits en esclavage, le sanctuaire de Didyme fut pillé et brûlé […]. On emmena à Suse les prisonniers laissés vivants. Darius Ier les installa sur les bords de la mer Erythrée, à Ampè qui est à l’embouchure du Tigre, et ne leur fit pas d’autre mal", Hérodote, Histoire VI.19-20 ; par "mer Erythrée", les auteurs grecs antiques désignent indifféremment l’océan Indien, ou la mer Rouge ou le golfe Arabo-persique qu’ils considèrent avec raison comme des baies encaissées de l’océan Indien, cela nous empêche de situer exactement le site d’"Ampè/Amph" qu’Hérodote place "à l’embouchure du Tigre", autrement dit dans le golfe Arabo-persique ; ce site d’"Ampè" en grec est peut-être à rapprocher d’"Ampelome" en latin, que Pline l’Ancien à l’alinéa 16 paragraphe 32 livre VI de son Histoire naturelle qualifie incidemment de "colonie des Milésiens" et mentionne dans une longue liste indistincte de cités arabiques entre à l’ouest Pétra [site archéologique sur l’actuelle commune de Wadi Musa dans le sud-ouest de la Jordanie, à une vingtaine de kilomètres de la frontière israélienne], à l’est Charax [site archéologique de Jabal Khayabar-Naysen à une vingtaine de kilomètres au sud-est d’Al-Qurnah et à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Bassorah en Irak], et au sud l’Arabie Heureuse [Yémen]).


Les autres cités ioniennes sont remises dans le rang au cours des mois suivants, jusqu’au printemps de l’année -493. Les Perses se tournent d’abord vers la Carie ("Sitôt Milet tombée, les Perses s’emparèrent aussi de la Carie, dont les cités se soumirent les unes de gré les autres de force", Hérodote, Histoire VI.25), dont ils reconquièrent une partie par la force, et pacifient l’autre partie - celle où leur général Daurisès a trouvé la mort - par un donnant-donnant avec la population : "Vous déposez les armes, et en échange on vous donne une partie du territoire que nous venons de prendre aux Milésiens" ("Du territoire de Milet, les Perses gardèrent pour eux la cité et la plaine, et donnèrent les hauteurs aux Cariens de Pedasa", Hérodote, Histoire VI.20). Ils entreprennent ensuite de rétablir leur autorité sur les îles ("L’armée navale perse passa l’hiver [-494/-493] près de Milet. L’année suivante [en -493], elle reprit la mer et conquit sans peine les îles proches du continent, Chio, Lesbos et Ténédos. Lorsqu’ils s’emparaient d’une île, les barbares en prenaient la population au filet. Voici comment la chose se passe. Les hommes se prennent par la main pour former une chaîne déployée de la rive nord à la rive sud de l’île, puis ils avancent en rabattant devant eux les habitants du pays. Ils conquirent aussi les cités ioniennes du continent, Hérodote, Histoire VI.31). La flotte phénicienne au service des Perses se dirige vers l’Hellespont pour soumettre les cités côtières, tant européennes (notamment celles de la Chersonèse) qu’asiatiques, de concert avec Oibaras le gouverneur de la cité de Daskyléion (Oibaras, rappelons-le au passage, est l’un des fils de Mégabaze qui a conquis la Thrace après la campagne piteuse de Darius Ier contre les Scythes en Europe : "En quittant l’Ionie, la flotte perse s’empara de toute la rive gauche de l’Hellespont quand on entre dans le détroit […]. Les Byzantins et les Chalcédoniens face à eux abandonnèrent leur patrie sans attendre l’arrivée des navires phéniciens : ils s’en allèrent vers le Pont-Euxin [aujourd’hui la mer Noire], où ils s’établirent dans la cité de Mesembria [aujourd’hui Nesebar en Bulgarie]. Les Phéniciens […] allèrent attaquer Proconnèse et Artacé, qu’ils brûlèrent, puis ils retournèrent en Chersonèse pour y anéantir les cités qu’ils n’avaient pas touchées à leur premier débarquement. Seule la cité de Cyzique ne fut pas inquiétée, car avant l’arrivée des Phéniciens dans leurs eaux les Cyziquéens s’étaient soumis au Grand Roi en signant un accord avec Oibaras fils de Mégabaze le gouverneur de Daskyléion. Sinon toutes les cités de Chersonèse à l’exception de Cardia tombèrent aux mains des Perses", Hérodote, Histoire VI.33). Ils tentent de capturer Miltiade, le très influent tyran athénien de Chersonèse, mais celui-ci réussit à s’échapper vers l’île d’Imbros puis vers Athènes ("Apprenant l’arrivée des Phéniciens à Ténédos, Miltiade entassa sur cinq trières tous les biens qu’il put et s’embarqua pour Athènes. Partant de Cardia, il passa par le golfe Mélas [aujourd’hui le golfe Saros]. Il longeait la côte de la Chersonèse, quand les navires phéniciens le surprirent. Il leur échappa et se réfugia à Imbros avec quatre de ses trières, les Phéniciens poursuivant et réussissant à capturer la cinquième. […] Puis quittant Imbros, Miltiade parvint à Athènes", Hérodote, Histoire VI.41). Selon la tradition, les Phocéens s’exilent définitivement, ils partent rejoindre leurs compatriotes qui ont choisi de s’installer en Méditerranée occidentale au moment de la première invasion de Phocée par les Perses conduits par Harpage, à l’époque de Cyrus II (nous renvoyons ici à notre premier alinéa), leur Histoire se confondra désormais avec celle de leur grande colonie de Massalia (aujourd’hui Marseille en France). Les Samiens de leur côté partent s’installer à Zanclè en Sicile (aujourd’hui Messine) parce qu’ils ne supportent pas le retour du régime tyrannique et ne veulent plus obéir à Aiacès (fils de Syloson le précédent tyran de la cité, dont nous avons parlé dans notre précédent alinéa) le tyran fantoche que les Perses remettent en place après la bataille de Ladè ("Après le combat naval qui décida du sort de Milet, les Phéniciens sur l’ordre des Perses rétablirent à Samos Aiacès fils de Syloson, un homme de grand mérite à leur yeux parce qu’il leur avait rendu d’importants services. Seuls de tous les révoltés, les Samiens durent à leur défection de leurs navires pendant la bataille de garder leur cité et leurs temples intacts", Hérodote, Histoire VI.25 ; "A Samos, les possédants n’approuvèrent pas la politique de leurs dirigeants avec les Perses. Ils en délibérèrent aussitôt après la bataille navale [de Ladè en -494], et ils décidèrent de partir avant l’arrivée du tyran Aiacès et d’aller au loin fonder une colonie au lieu de rester chez eux esclaves des Perses et d’Aiacès. Or les gens de Zanclè en Sicile envoyaient justement à cette époque des ambassadeurs pour inviter les Ioniens à venir avec eux à Kalè Actè ["Kal» Akt»/Belle Rive"], un lieu de Sicile face à la Tyrrhénie, où ils voulaient fonder une cité ionienne. Les Samiens furent les seuls Ioniens à répondre à leur appel, avec les Milésiens qui avaient échappé aux Perses", Hérodote, Histoire VI.22 ; "Les premiers colons [de Zanclè] durent céder la place à des Samiens ainsi qu’à d’autres Ioniens qui, fuyant les Perses, vinrent aborder en Sicile", Thucydide, Guerre du Péloponnèse VI.4).


L’ordre rétabli, au cours de l’année -493, les Perses se montrent magnanimes. Diodore de Sicile, dans un livre perdu de sa Bibliothèque historique dont Constantin VII Porphyrogénète a conservé heureusement un extrait, rapporte que le logographe Hécatée de Milet, qui ne s’est pas compromis avec les chefs de la rébellion et qui a même tenté d’empêcher la guerre ouverte entre Ioniens et Perses ("Aristagoras, voyant que tout concourait à favoriser son projet [de rébellion contre les Perses], le communiqua à ceux de son parti […] et en délibéra avec eux. Tous l’exhortèrent unanimement à secouer le joug, sauf Hécatée qui tâcha d’abord de l’en détourner en lui représentant la puissance de Darius Ier et en lui dénombrant tous les peuples soumis à son Empire. Comme il ne put le persuader, il lui conseilla dans un second temps de se rendre maître de la mer, en ajoutant que c’était le seul moyen pour réussir dans son entreprise, car les forces de Milet étaient peu considérables tandis qu’on pouvait espérer contrôler l’empire de la mer, à condition d’enlever du temple des Branchides les richesses que Crésus le roi de Lydie y avait offertes et de les utiliser à cette fin, ce qui éviterait en même temps que les Perses ne les pillent, des richesses qui étaient considérables comme je l’ai montré dans le livre I de mon Histoire. Mais l’avis d’Hécatée ne fut pas suivi", Hérodote, Histoire V.36), est envoyé par ses compatriotes vers Artaphernès pour lui demander grâce : Artaphernès répond favorablement à la demande d’Hécatée et des Ioniens ("Envoyé en ambassade par les Ioniens, Hécatée de Milet demanda à Artaphernès pour quelle raison il se méfiait d’eux. Celui-ci dit redouter qu’ils gardassent rancune des châtiments subis après leur défaite. Hécatée répondit : “Si les châtiments engendrent donc la rancune, un bon traitement au contraire poussera les cités à être bienveillantes envers les Perses”. Artaphernès approuva ce propos : il rendit leur autonomie aux cités et imposa un tribut selon les ressources de chacune d’elles", Constantin VII Porphyrogénète, Extraits, Sur les opinions 109). Habilement, le satrape de Lydie (qui semble à ce moment décider seul du sort des Ioniens : faut-il en conclure qu’Otanès fils de Sisamnès, le "stratège des peuples de la côte maritime"/satrape d’Ionie, est écarté à cette date pour n’avoir pas su réprimer la révolte ionienne ?) redécoupe les propriétés côtières, autrement dit il diminue les biens des possédants ioniens qui ont été les principaux meneurs de la révolte aux côtés de leur pair Aristagoras, et il fait supporter à ces possédants tout le poids des réparations de guerre et du tribut annuel : cela prouve une nouvelle fois la clairvoyance et la modération des Perses, qui ont parfaitement compris que les meneurs de la révolte d’Ionie, comme précédemment ceux de la révolution démocratique athénienne, et comme beaucoup plus tard ceux des Révolutions américaine et française, ne sont pas les gens du peuple ionien mais les nantis, ceux que nous appelons aujourd’hui "bourgeois", qui ont voulu par ce moyen préserver leurs biens qu’ils estimaient menacés, en utilisant le peuple contre le peuple, et ce sont précisément ces nantis, et non les gens du peuple ionien, qu’Artaphernès vise par ses nouvelles mesures. Hérodote précise que ce nouveau découpage cadastral et fiscal existera toujours au milieu du Vème siècle av. J.-C., au moment de la rédaction de son Histoire ("Cette année-là [en -493] les Perses ne poussèrent pas plus loin les hostilités contre les Ioniens, qui au contraire leur durent certaines mesures très utiles, prises dans la même année. Le satrape de Sardes Artaphernès fit venir les représentants de toutes les cités et contraignit les Ioniens à s’entendre pour renoncer à s’attaquer et se piller mutuellement, et régler désormais leurs différends par le droit. Il leur imposa cet accord, puis il fit mesurer leurs terres en parasanges, qui équivaut en Perse à trente stades, et, le mesurage terminé, fixa en conséquence le tribut des cités. Ceux-ci n’ont pas été modifiés et demeurent, aujourd’hui encore, tels qu’Artaphernès les a établis", Hérodote, Histoire VI.32) : cela signifie que l’équilibre social qu’il instaure sera reconnu par les Grecs quand ceux-ci après la bataille de Mycale libéreront l’Ionie de la présence perse, et en particulier par Aristide qui l’intégrera sans le modifier en -478 dans son calcul du montant et de la répartition du phoros (nous reviendrons longuement sur la création de ce phoros dans notre paragraphe suivant). Darius Ier, de son côté, maintenant que la révolte d’Ionie est mâtée, se tourne vers cette cité européenne d’Athènes dont il ignorait jusqu’alors l’existence, qui a ruiné une de ses capitales satrapiques ("Le Grand Roi Darius Ier fut informé que Sardes avait été prise et brûlée par les Athéniens et les Ioniens [...]. A cette nouvelle, dit-on, le Grand Roi, sans tenir compte des Ioniens dont il était certain de mâter la révolte, demanda qui étaient ces Athéniens. Quand il le sut, il demanda son arc, le prit en main, le tendit, décocha une flèche vers le ciel et s’écria, en envoyant sa flèche dans les airs : “O Zeus [c’est-à-dire Ahura-Mazda], puissé-je me venger des Athéniens !”. Puis il ordonna à l’un de ses serviteurs de lui répéter trois fois à chaque repas ces mots : “Maître, souviens-toi des Athéniens !”", Hérodote, Histoires V.105 ; cet extrait de l’historien Dinon de Colophon cité par Athénée de Naucratis se rapporte sans doute au même sujet : "Les figues sèches de l’Attique étaient très appréciées. Voici ce que dit Dinon dans Persika : “Sur la table du Grand Roi, on dépose habituellement devant lui toutes les délicatesses que produisent les pays sur lesquels il exerce sa domination, les premiers fruits de chacun. Le Grand Roi fondateur de l’Empire s’interdisait de consommer tout aliment solide ou liquide en provenance de l’étranger, et cet usage est devenue une loi positive dans ses territoires. Un jour, un eunuque lui servit des figues sèches en dessert, le Grand Roi demanda de quel pays elles venaient : dès qu’il sut qu’elles venaient d’Athènes, il ordonna à ses subalternes d’aller en acheter « jusqu’au jour où il pourrait en manger sans les payer ». On raconte que l’eunuque agit ainsi pour lui rappeler qu’il devait déclarer la guerre aux Athéniens”", Athénée de Naucratis, Déipnosophistes XIV.18 ; on note que le passage d’Hérodote dit clairement que les Athéniens ont participé au raid contre Sardes, contrairement à tous les autres extraits que nous avons commentés précédemment dans lesquels le même Hérodote dit au contraire que ce raid a été l’œuvre exclusive des Ioniens, une incohérence qui confirme l’embarras de l’auteur pour raconter les agissements peu glorieux des Athéniens lors de cette révolte d’Ionie, comme l’explique Plutarque dans Sur la malignité d’Hérodote : désireux de flatter le public athénien pour obtenir ses faveurs, l’historien hésite entre embellir ces agissements, les passer sous silence, ou les attribuer aux Ioniens qu’il n’aime pas…). Il masse ses troupes en prévision d’une expédition punitive.

  

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