Perse16
Perse14
index
Perse11
Perse12
Perse13
Perse14
Perse16
Perse17
Perse15a

-494 à -479 : La guerre contre la Perse I

© Christian Carat Autoédition

Télécharger la police grecque

Télécharger Acrobat (pour imprimer)

Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

La Perse avant -494

Athènes avant -494

La révolte ionienne

Marathon

Salamine

Platée et Mycale

Après Platée et Mycale

La bataille de Salamine


Suite à l’échec de la bataille de Marathon, Darius Ier prépare une nouvelle expédition qu’il veut de grande ampleur et qu’il espère définitive. Ces préparatifs durent trois ans, et s’étendent à tout l’Empire ("Quand la nouvelle du combat de Marathon parvint au roi Darius Ier, que le raid des Athéniens contre Sardes avait violemment courroucé, sa colère en fut décuplée, et son désir de se jeter sur la Grèce plus vif encore. Il envoya sur-le-champ des messagers à toutes les cités de son Empire pour en exiger des hommes, en bien plus grand nombre qu’aux levées précédentes, des navires, des chevaux, des vivres et des navires de transport. Ces mesures publiées par toute l’Asie bouleversèrent la vie du pays tout entier pendant trois ans, tandis que partout on recrutait, on équipait les meilleurs soldats pour cette expédition contre la Grèce", Hérodote, Histoire VII.1). Mais le projet est retardé par le soulèvement de l’Egypte en -486, qu’Hérodote mentionne brièvement ("La quatrième année [après la bataille de Marathon], les Egyptiens soumis autrefois par Cambyse II se révoltèrent", Hérodote, Histoire VII.1). Ce soulèvement est-il l’œuvre d’Inaros fils de Psammétique, dont nous parlerons dans notre prochain paragraphe ? Le "Psammétique" père de cet Inaros est-il Psammétique III, dernier pharaon de la XXVIème dynastie qui, battu quatre décennies plus tôt par Cambyse II, n’a pas pu empêcher l’intégration de l’Egypte dans le giron perse ? Si cette hypothèse est bonne, Inaros n’est autre que l’héritier du trône d’Egypte, enfui vers la Libye - dont Amasis le père de Psammétique III était originaire - au moment de la conquête de Cambyse II, attendant les meilleures circonstances pour libérer son pays de la présence perse et redonner le pouvoir à sa dynastie. On devine en tous cas que ce soulèvement est une conséquence directe des impôts en monnaie et en nature que le Grand Roi lève dans tout son Empire en vue de la nouvelle expédition qu’il projette contre la Grèce. Darius Ier est donc obligé de restaurer son autorité en Egypte avant de lancer cette expédition contre la Grèce.


Selon Hérodote, avant de partir, Darius Ier doit régler la question de sa succession au cas où il trouverait la mort au cours de sa campagne militaire égyptienne. Ses deux fils revendiquent la couronne : Artobazanès qu’il a eu avec la fille de Gaubaruva/Gobryas (un des sept putschistes de -522) avant sa prise de pouvoir en -522, et Xerxès qu’il a eu avec Atossa la fille de Cyrus II après sa prise de pouvoir ("Darius Ier avait eu trois fils de sa première femme, fille de Gobryas, et devenu roi il en avait eu quatre d’Atossa la fille de Cyrus II. Artobazanès était l’ainé des enfants du premier lit, Xerxès celui des enfants de la seconde femme", Hérodote, Histoire VII.2), comme nous l’avons vu dans notre premier alinéa. Démarate, ex-roi eurypontide de Sparte, exilé en Perse depuis l’échec de son altercation avec son alter ego le roi agiade Cléomène Ier en -491, et gavé d’attentions par Darius Ier depuis cette date, intervient dans le débat : il propose au Grand Roi d’adopter la coutume spartiate qui veut que le sucesseur d’un roi soit nécessairement né durant le mandat royal de son père et non pas avant, donc de choisir Xerxès plutôt qu’Artobazanès. Darius Ier se range à son avis ("A ce moment, l’ancien roi de Sparte Démarate fils d’Ariston séjournait à Suse, s’étant volontairement exilé de son pays après sa déchéance. Ce personnage entendit parler des fils de Darius Ier et de leur querelle : on raconte qu’il alla trouver Xerxès et lui proposa d’ajouter à ses raisons un nouvel argument : étant né quand Darius Ier régnait et commandait à la Perse, tandis qu’Artobazanès était né d’un simple particulier, il était normal et juste que la dignité suprême lui revint. “A Sparte telle est la règle, précisa Démarate : si le roi a des enfants nés avant son accession au trône et si un fils lui naît après son avènement, le trône revient au dernier-né.” Xerxès usa de l’argument que lui suggéra Démarate, et Darius Ier lui donna raison et le désigna pour lui succéder", Hérodote, Histoire VII.3). Le choix de Xerxès au détriment de son demi-frère Artobazanès est confirmé par l’inscription XPf que les archéologues surnomment commodément "Inscription du harem achéménide" parce qu’elle a été découverte sur l’un des murs d’une pièce de Persépolis dont ils soupçonnent qu’elle était le harem royal ("Le Grand Roi Xerxès Ier dit : Darius Ier avait plusieurs fils. Selon la volonté d’Ahura-Mazda, Darius Ier mon père me fit mathishta [terme vieux-perse désignant le "second" après le roi, autrement dit l’héritier]. Quand mon père quitta le trône, par la volonté d’Ahura-Mazda je devins Grand Roi sur le trône de mon père. Quand je devins Grand Roi, je fis ce qui est bon : je protégeai ce que mon père bâtit, et j’y joignis d’autres constructions. Ce que j’ai bâti, et ce que mon père a bâti, nous l’avons bâti par la grâce d’Ahura-Mazda", Inscription XPf du harem achéménide, lignes 28-43) : cette déclaration de succession de Xerxès lui-même après la mort de son père, parce qu’elle n’a pas d’équivalent dans les textes officiels perses, semble une annonce solennelle destinée à confirmer que Xerxès est bien Grand Roi légitime et qu’il se place dans continuité de son père, elle suggère indirectement que la transmission de la couronne royale ne s’est pas effectuée aussi naturellement que le texte le prétend. Restons un instant sur ce sujet. Une fois de plus, le récit d’Hérodote prête à débat. Primo, ce n’est pas la première fois que Darius Ier part en guerre, or lors de ses précédentes campagnes il n’a jamais éprouvé le besoin de désigner un successeur avant de partir : pourquoi soudain éprouve-t-il le besoin de désigner un successeur avant de partir vers l’Egypte, où les risques d’être tué ne sont pas plus élevés que lors de ses précédentes campagnes, par exemple lors de sa campagne contre les Scythes en Europe où il a frôlé la mort à de nombreuses reprises, subissant les assauts réguliers des Scythes et menacé de trahison par les tyrans grecs sur ses arrières, perdu sur un territoire européen totalement inconnu contrairement au territoire égyptien que les Perses ont bien eu le temps de cartographier depuis sa conquête par Cambyse II ? Deusio, le rôle de Démarate, même s’il est authentique, n’est sans doute pas la raison principale qui a décidé Darius Ier à choisir Xerxès plutôt qu’Artobazanès, comme le reconnaît Hérodote lui-même qui précise que la raison première est l’influence et la primauté d’Atossa, fille de Cyrus II et mère de Xerxès ("Mais à mon avis, Xerxès aurait hérité du pouvoir même sans invoquer l’argument de Démarate, car sa mère Atossa était toute-puissante", Hérodote, Histoire VII.3), face à la mère d’Artobazanès dont on ignore jusqu’au nom et qui n’est que la fille de Gaubaruva/Gobryas un des compagnons d’armes de Darius Ier, noble certes, mais pas roi comme Cyrus II : choisir Artobazanès plutôt que Xerxès signifierait en même temps donner un poids politique considérable à la famille de Gaubaruva/Gobryas et infliger un camouflet à la famille de Cyrus II, élever l’honneur de l’une et abaisser l’honneur de l’autre, ce que Darius Ier ne peut pas se permettre s’il veut pérenniser l’ordre dans l’Empire perse après sa mort. Tertio, des travaux récents extrêmement pointus sur lesquels nous ne nous attarderons pas ici réalisés par des spécialistes des chronologies babyloniennes, dont nous avons déjà vanté dans notre premier alinéa la grande fiabilité, incitent à penser que Darius Ier a préparé très tôt Xerxès à l’exercice du pouvoir au détriment d’Artobazanès (pour la raison que nous venons d’invoquer, celle de péréniser la prédominance de la famille de Cyrus II sur toutes les autres familles perses, dont celle de son compagnon d’armes Gaubaruva/Gobryas, pour maintenir l’ordre dans l’Empire perse après sa mort), dès -496, soit dix ans avant sa mort en -486 : à cette date, en -496, Xerxès a au maximum vingt-six ans (puisqu’il est né après la prise du pouvoir par son père Darius Ier en -522), il est donc suffisamment âgé pour être initié à l’exercice du pouvoir au côté de son père, non pas comme vice-Grand Roi (car Plutarque est formel sur ce point : les Grands Rois règnent toujours seuls, comme il le montre aux paragraphes 26 à 29 de sa Vie d’Artaxerxès II Mnémon, la reconnaissance officielle d’un prince héritier ne signifie en rien un partage du pouvoir, et en dépit de son statut de prestige indéniable le prince héritier n’est pas à l’abri de la défaveur royale, ce qui arrivera justement au fils d’Artaxerxès II qui, pourtant reconnu par son père comme héritier du trône, sera finalement exécuté après avoir été accusé de trahison) mais comme prince héritier. Une telle hypothèse permet de faire coïncider les chronologies babyloniennes précédemment évoquées, incompréhensibles tant qu’on refuse de poser une période de double règne entre Darius Ier et son fils Xerxès (Darius Ier prenant seul les décisions tandis que Xerxès se charge de l’intendance) pendant dix ans avant la mort du premier (donc entre -496 et -486), et les textes grecs entre eux (Hérodote dit que Darius Ier meurt en -486 après 36 ans de règne ["L’année qui suivit […] la révolte de l’Egypte, la mort frappa [Darius Ier] au milieu de ses préparatifs, après un règne de trente-six ans au total", Hérodote, Histoire VII.4], Diodore de Sicile de son côté dit que le règne de Xerxès Ier durera environ vingt ans ["Telle fut la fin de Xerxès Ier, après un règne de plus de vingt ans. Artaxerxès Ier, son successeur, régna quarante ans", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.69], or, nous verrons cela dans notre prochain paragraphe, nous sommes absolument sûrs que Xerxès Ier sera assassiné et remplacé par son fils Artaxerxès vers -476 : la seule façon d’établir une cohérence entre cette date de la mort de Xerxès Ier vers -476 et ce chiffre de vingt ans de règne que lui accorde Diodore de Sicile est de remonter son exercice du pouvoir dix ans avant la mort de son père Darius Ier, comme les chronologies babyloniennes nous y invitent, vers -496). En résumé, la question de la succession de Darius Ier a bien causé une rivalité entre les deux demi-frères Artobazanès et Xerxès, l’inscription XPf du harem achéménide le prouve, mais cette question a été tranchée dès -496, bien avant l’arrivée de Démarate en Perse (en -491), bien avant la mort de Darius Ier (en -486) : en faisant du Spartiate Démarate l’arbitre de cette rivalité entre les deux fils du Grand Roi, Hérodote, une fois de plus, ne vise en fait qu’à trafiquer la vérité historique pour flatter son auditorat spartiate de -444.


Darius Ier meurt en -486 sans avoir eu le temps de lancer ses deux projets de reconquête de l’Egypte et de nouvelle expédition punitive contre les Athéniens ("Darius Ier s’apprêtait à partir en guerre. Mais dans l’année qui suivit […] la révolte de l’Egypte, la mort le frappa au milieu de ses préparatifs, après un règne de trente-six ans au total, sans qu’il ait eu la satisfaction de punir l’Egypte révoltée ni Athènes. A sa mort, le trône revint à son fils Xerxès", Hérodote, Histoire VII.4). Le nouveau Grand Roi Xerxès Ier mâte la révolte égyptienne dès -485 et impose son frère cadet Achéménès comme nouveau satrape ("Xerxès Ier commença, un an après la mort de Darius Ier, par lancer une expédition contre les rebelles égyptiens. Il écrasa la révolte, imposa aux Egyptiens un joug plus sévère encore que du temps de Darius Ier, et nomma satrape du pays son propre frère Achéménès, fils de Darius Ier", Hérodote, Histoire VII.7), puis il reprend le projet grec de son père ("J’ai l’intention de joindre par un pont les deux rives de l’Hellespont et de mener mes armées contre la Grèce en traversant l’Europe, pour châtier les Athéniens du mal qu’ils ont fait aux Perses et à mon père. Vous savez que mon père Darius Ier brûlait de marcher contre ce peuple : la mort ne lui a pas laissé le temps de se venger. C’est donc moi qui, en son nom et pour la Perse tout entière, marcherai jusqu’à temps de prendre et de réduire en cendres Athènes qui nous a la première injustement attaqués, mon père et moi, d’abord quand les Athéniens sont venus jusqu’à Sardes avec le Milésien Aristagoras pour incendier nos bois sacrés et nos temples, ensuite quand Datis et Artaphernès le jeune ont débarqué avec nos forces sur leur sol", Hérodote, Histoire VII.8). Il poursuit les préparatifs d’invasion initiés par Darius Ier, qui dureront encore cinq ans ("A dater de la soumission de l’Egypte, Xerxès Ier mit quatre ans entiers à réunir son armée et les approvisionnements nécessaires. Il se mit en campagne à la fin de la cinquième année, avec des forces immenses. De toutes les expéditions dont nous avons directement connaissance, la sienne fut de loin la plus importante. En comparaison, l’expédition de Darius Ier contre les Scythes [vers -510] est insignifiante [...], ainsi que, dans la tradition, l’expédition des Atrides contre Troie [à la fin de l’ère mycénienne]", Hérodote, Histoire VII.20). Parmi ces préparatifs, certains travaux spectaculaires sont réalisés, comme le canal de l’Athos, creusé à la base de la presqu’île de l’Acté, entre Acanthos et Sanè ("L’Athos est une montagne haute et célèbre, baignée par la mer et habitée, formant une presqu’île reliée au continent par un isthme d’environ douze stades constitué d’une plaine et de faibles élévations de terrain entre le golfe d’Acanthos [au nord] et la presqu’île où se trouve Toroné [c’est-à-dire la presqu’île de Sithonia, au sud]. Sur cet isthme qui forme l’extrémité de l’Athos se trouve la cité grecque de Sanè […]. Le tracé du canal était rectiligne et passait par Sanè", Hérodote, Histoire VII.22-23) : Xerxès Ier veut s’assurer ainsi qu’une nouvelle catastrophe similaire à celle de -492 au large de l’Athos ne se reproduira pas. Boubarès, fils de Mégabaze le probable satrape de Phrygie hellespontique, est l’un des deux maîtres d’œuvre, sans doute en qualité de gouverneur de Macédoine et de commandant de la garnison perse installée à Eion (rappelons que la Macédoine est devenue dans un premier temps un protectorat perse depuis la soumission de son roi Amyntas Ier et le mariage de Gygée la fille d’Amayntas Ier avec Boubarès juste après l’expédition de Darius Ier contre les Scythes en Europe vers -510, puis dans un second temps un territoire perse depuis son invasion et son annexion par Mardonios en -492 : "Pour ne pas reproduire le désastre que la première expédition [celle de Mardonios en -492] avait subi en doublant le mont Athos, Xerxès Ier pendant trois ans engagea des travaux dans cette région. Des navires en provenance d’Eléonte en Chersonèse emmenèrent des contingents de toutes origines pour aller creuser là-bas, sous la contrainte du fouet, un canal, aux côtés des peuples autochtones qui peinèrent avec eux. Les Perses Boubarès fils de Mégabaze et Artachaiès fils d’Artaios dirigèrent les travaux", Hérodote, Histoire VII.22). Des ponts sont également construits sur le fleuve Strymon, au niveau d’Eion où se trouve la garnison perse commandée par Boubarès ("Les hommes chargés de ce travail [le creusement du canal de l’Athos] reçurent également l’ordre de jeter des ponts sur le fleuve Strymon", Hérodote, Histoire VII.24). Des dépôts de vivres sont aménagés en Thrace et en Macédoine, le long de la route que l’armée d’invasion empruntera ("Xerxès Ier fit préparer des dépôts de vivres pour son armée, pour que les hommes et les bêtes de somme acheminés vers la Grèce ne souffrissent pas de faim. Il créa ces dépots après enquête, dans les endroits les plus favorables. De tous les points de l’Asie péniches et barques approtèrent des vivres aux divers emplacements choisis, celui de Leuké Akté ["Leuk» Akt»/Blanche Rive"] en Thrace qui était le plus important, celui de Tyrodiza près de Périnthe, celui de Doriscos, celui d’Eion sur le fleuve Strymon [à Doriscos et à Eion sont installées les deux garnisons perses permanentes d’Europe], et celui de Macédoine", Hérodote, Histoire VII.25). Ce temps de préparatifs est beaucoup trop long pour Mardonios (qui est, rappelons-le, le fils de Gaubaruva/Gobryas l’un des sept putschistes de -522, et en même temps le cousin de Xerxès Ier [puisque sa mère est une sœur de Darius Ier : "Un homme se trouvait au côté [de Xerxès Ier] qui avait sur lui la plus grande influence, son cousin Mardonios fils de Gobryas, fils d’une sœur de Darius Ier", Hérodote, Histoire VII.5], son beau-frère [puisque Mardonios a épousé une des filles de feu Darius Ier : "Ce Mardonios était jeune et venait d’épouser Artozostra, une des filles de Darius Ier", Hérodote, Histoire VI.43] et son oncle par alliance [puisqu’une des sœurs de Mardonios a été marié à Darius Ier qui lui a donné Artobazanès]) : sans doute parce qu’il n’a pas digéré la perte de sa flotte lors de son expédition de -492 et son limogeage par Darius Ier qui a suivi, que nous avons évoqués plus haut, Mardonios en effet rêve de redorer son blason par une revanche, il ne cache pas son ambition de conquérir enfin la Grèce et d’en devenir satrape ("Un homme se trouvait au côté [de Xerxès Ier] qui avait sur lui la plus grande influence, son cousin Mardonios fils de Gobryas, fils d’une sœur de Darius Ier, qui ne cessait de lui tenir ce langage : “Maître, il est inadmissible que les Athéniens, après tout le mal qu’ils ont fait aux Perses, jouissent de l’impunité. Si tu le veux, tu peux achever maintenant l’affaire que tu as sur les bras […]”. A ces conseils de vengeance, il ne manquait pas d’ajouter une autre considération : “L’Europe, disait-il, est un pays splendide, quantité d’arbres fruitiers y poussent, le sol en est très riche, et elle mérite de n’avoir pas d’autre maître que le Grand Roi”. Ces paroles de Mardonios lui étaient dictées par son goût des aventures et son désir d’être un jour le gouverneur de la Grèce", Hérodote, Histoire VII.5-6). Mardonios est épaulé par la famille athénienne des Pisistratides toujours présente au côté de la famille royale perse (nous avons vu que, selon l’historien Justin, Hippias est mort juste après la bataille de Marathon en -490 : nous ignorons le nom de ses héritiers qui continuent de revendiquer la couronne athénienne), ainsi que par la famille grecque régnant sur Larissa en Thessalie ("Des messagers envoyés de Thessalie par les Aleuades [descendants d’Aleuas, fondateur de la dynastie royale de la cité de Larissa] demandaient aussi avec beaucoup d’insistance [à Xerxès Ier] d’intervenir en Grèce. Certains des Pisistratides se trouvaient à Suse et lui tenaient le même discours que les Aleuades avec plus d’ardeur encore", Hérodote, Histoire VII.6). Seul Artaban le frère de Darius Ier, qui a déjà tenté en vain de dissuader Darius Ier de lancer sa piteuse campagne contre les Scythes en Europe naguère, tente de dissuader à son tour son neveu Xerxès Ier de marcher contre les Grecs d’Europe : il évoque le désastre évité de justesse par les Perses lors de cette campagne contre les Scythes, Darius Ier n’ayant été sauvé que par la loyauté intéressée des tyrans grecs qui gardaient le pont sur le Danube ("Si [les Grecs] marchent vers l’Hellespont et détruisent notre pont, voilà le danger, seigneur. Je ne tire pas cette crainte de mes seules réflexions, elle m’est suggérée par le malheur qui faillit nous frapper lorsque ton père, après avoir joint les rives du Bosphore de Thrace, jeta un pont sur le fleuve Istros [aujourd’hui le fleuve Danube] pour aller attaquer les Scythes : ceux-ci tentèrent par tous les moyens de décider les Ioniens, qui avaient la garde de ce pont, à le détruire, et si Histiée le tyran de Milet avait alors écouté ses collègues au lieu de leur résister, l’Empire des Perses aujourd’hui n’existerait plus", Hérodote, Histoire VII.10), et calcule que si les Grecs sont aussi déterminés que les Athéniens à Marathon - qui à eux seuls ont détruit le contingent perse de Datis et d’Artaphernès le jeune - l’invasion de la Grèce est impossible, car pour envahir la Grèce les Perses devront affronter toutes ses cités aussi déterminées qu’Athènes ("On dit que ce peuple est valeureux, et nous avons raison de le croire quand on voit que les Athéniens seuls ont réussi à défaire l’armée si puissante que dirigeaient Datis et Artaphrénès le jeune", Hérodote, Histoire VII.10). Mais Xerxès Ier le renvoie sans ménagement ("Aux paroles d’Artaban, Xerxès Ier furieux répliqua : “Artaban, tu es le frère de mon père, et ceci t’épargnera le juste salaire de tes propos stupides ! […] Que je ne sois plus le fils de Darius Ier, que je n’aie plus pour aïeux Hystaspès, Arsamès, Ariaramnès, Teispès, Cyrus, Cambyse, Teispès et Achéménès, si je ne me venge pas des Athéniens !”", Hérodote, Histoire VII.11). Selon Hérodote, l’ex-roi eurypontide de Sparte Démarate, toujours présent au côté de Xerxès Ier, trahit ce dernier en envoyant un message secret pour avertir ses compatriotes de l’invasion imminente de la Grèce par les Perses ("Quand Xerxès Ier décida d’envahir la Grèce, Démarate, qui était à Suse, connut ses projets et voulut en avertir les Spartiates. Il ne pouvait pas le faire directement car il risquait d’être surpris, il recourut donc à un subterfuge : il prit une tablette double, en gratta la cire, puis écrivit sur le bois même les projets de Xerxès Ier, ensuite il recouvrit de cire son message, ainsi le porteur de cette tablette vierge ne risquerait pas d’ennuis avec les gardiens des routes. La tablette parvint à Sparte et personne n’y comprit rient lorsqu’enfin Gorgo la fille de Cléomène Ier et la femme de Léonidas Ier comprit l’astuce, selon mes renseignements : elle dit à ses concitoyens de gratter la cire en soupçonnant l’existence du message inscrit sur le bois. Ils le firent, déchiffrèrent le message et le communiquèrent à toute la Grèce", Hérodote, Histoire VII.239) : nous restons circonspects devant cette affirmation d’Hérodote, dont nous avons eu plusieurs fois l’occasion de dire que, via son Histoire, il cherche à séduire les Athéniens et les Spartiates dans l’espoir d’en obtenir les faveurs et de devenir célèbre, et qu’à cette fin il n’hésite pas à déformer ou même à réinventer la vérité historique (comme peut-être cet acte patriotique de Démarate qui ne peut que satisfaire la fierté des Spartiates).


De Sardes où il rassemble son immense armée, Xerxès Ier envoie des hérauts réclamer à nouveau à tous les Grecs, exceptés aux Athéniens et aux Spartiates, "la terre et l’eau", comme une ultime sommation ("Depuis Sardes, il envoya des hérauts en Grèce, sauf à Athènes et à Sparte, demander la terre et l’eau et ordonner la préparation des repas du Grand Roi, sûr que les peuples qui avaient repoussé les sommations de Darius Ier auraient enfin peur et lui céderaient", Hérodote, Histoire VII.32). Mais Athéniens et Spartiates sont décidés à résister et, tandis que leurs espions sont chargés d’étudier les mouvements de l’ennemi en Anatolie, envoient en conséquence des diplomates conjoints vers Argos, vers la Crète, vers Corcyre et vers Gélon le tyran de la cité de Syracuse en Sicile, pour leur proposer des alliances et leur demander des renforts ("Instruits de la présence à Sardes de Xerxès Ier et de son armée, [les Athéniens et les Spartiates] résolurent d’expédier en Asie des émissaires pour espionner les faits et gestes du Grand Roi, et d’envoyer des ambassadeurs, les uns pour conclure avec Argos une alliance défensive contre les Perses, les autres en Sicile auprès de Gélon fils de Dinoménès et à Corcyre pour leur demander de secourir la Grèce, d’autres encore en Crète", Hérodote, Histoire VII.145). Les espions envoyés vers les Perses sont démasqués : Xerxès Ier choisit de les laisser libres pour qu’ils voient toute l’étendue de l’armée d’invasion et rendent compte à Athènes de ce qu’ils auront vu, sûr que les Athéniens en entendant ce compte-rendu estimeront nulles leurs chances de résister et se soumettront sans combattre ("[Les espions grecs] parvinrent à Sardes et se renseignèrent sur l’armée du Grand Roi, mais ils se firent prendre. Interrogés et démasqués par les commandants des forces terrestres, on les emmena pour les exécuter. Leur condamnation à mort était déjà prononcée quand Xerxès Ier, lorsqu’il l’apprit, blâma la décision des commandants et chargea quelques-uns de ses gardes de lui amener les prisonniers encore en vie. Les gardes amenèrent ces derniers devant le Grand Roi qui […] ordonna de les conduire partout, de leur montrer son infanterie et sa cavalerie et, lorsqu’ils estimeraient en avoir assez vu, de les laisser partir où ils voudraient sans leur faire de mal. […] De retour en Grèce, ces hommes parleraient de sa puissances à leurs compatriotes qui, pensait-il, n’attendraient même pas la fin de ses préparatifs pour renoncer à leur indépendance nationale, de sorte qu’il ne serait peut-être même pas nécessaire de marcher contre eux", Hérodote, Histoire VII.146-147). La cité d’Argos, dont nous avons indiqué plus haut qu’elle cherche la paix à tout prix après avoir perdu beaucoup de ses citoyens dans une guerre contre les Spartiates conduits par Cléomène Ier, reste neutre : entre la proposition d’alliance de Xerxès Ier et celle belliqueuse d’Athènes, elle choisit celle du Perse ("Xerxès Ier, avant de se lancer contre la Grèce, envoya aux Argiens un héraut qui, arrivé chez eux, leur tint ce discours : “Argiens, le Grand Roi Xerxès Ier vous dit : nous sommes des Perséides, issus de Persée fils de Danaé et d’Andromède fille de Céphée, nous sommes ainsi vos descendants. Par conséquent, nous ne saurions marcher contre nos pères, et vous ne sauriez devenir nos ennemis en secourant d’autres peuples : il est naturel au contraire que vous restiez en paix chez vous car, quand j’obtiendrai le succès que je prévois, personne à mes yeux ne comptera plus que vous”. Ces paroles firent grande impression sur les Argiens, qui dans un premier temps n’offrirent et ne demandèrent rien à personne, et dans un second temps, quand les Grecs recherchèrent leur concours, réclamèrent la moitié du pouvoir en sachant que les Spartiates ne l’accepterait pas et que cela leur donnerait donc un prétexte pour ne pas bouger", Hérodote, Histoire VII.150 ; une rumeur qu’Hérodote rapporte tout en la combattant va même jusqu’à soupçonner les Argiens d’avoir encouragé Xerxès Ier à hâter l’invasion de la Grèce pour dissuader les Spartiates de les combattre à nouveau : "J’ai le devoir de rapporter ce qu’on raconte, mais je ne suis nullement obligé d’y croire, je tiens à cette liberté d’un bout à l’autre de mon œuvre, ainsi quand on raconte que les Argiens ont eux-mêmes invité les Perses à marcher contre la Grèce parce que les Spartiates leur avaient infligé un revers et qu’ils voulaient à n’importe quel prix échapper à leur humiliante situation", Hérodote, Histoire VII.152). Corcyre accepte d’envoyer des navires, mais en réalité moins pour combattre que pour être la première à se précipiter dans les bras du vainqueur quand la bataille aura eu lieu entre Sparto-athéniens et Perses ("Les Corcyréens promirent aide et protection [aux ambassadeurs athéniens et spartiates] et déclarèrent qu’ils ne pouvaient pas voir la Grèce périr en toute indifférence : “Si elle succombe, dirent-ils, nous deviendrons esclaves dès le premier jour, nous devons donc la seconder de toutes nos forces”. Cette réponse était belle, mais au moment d’envoyer des secours ils trahirent d’autres projets : ils armèrent soxante navires, mais à peine après avoir pris la mer ils s’arrêtèrent en-deçà du Péloponnèse, au large de Pylos et du cap Tainare en Laconie, pour guetter l’issue de la lutte, ne comptant pas sur la victoire des Grecs et s’attendant au contraire à voir le Perse écraser la Grèce et la réduire tout entière en son pouvoir. Leur attitude fut calculée pour leur permettre de dire au Perse : “Grand Roi, quand les Grecs nous ont appelés à leur secours dans cette guerre, nous qui sommes forts et qui avons une flotte importante puisque qu’après les Athéniens c’est nous qui avons le plus grand nombre de navires, nous n’avons pas voulu nous dresser contre toi ni te déplaire en quoi que ce fût”", Hérodote, Histoire VII.168). Les Crétois refusent de s’engager, suite à un oracle properse - ce ne sera pas le dernier, comme nous le verrons - de la Pythie de Delphes ("Quand les Grecs envoyés auprès d’eux leur demandèrent de l’aide, les Crétois envoyèrent une ambassade à Delphes demander au dieu [Apollon] s’il leur serait avantageux de secourir la Grèce. La Pythie leur répondit : “Insensés, vous n’avez pas assez versé de larmes quand Minos furieux vous a puni d’avoir servi la vengeance de Ménélas [allusion à la tempête subie par les Grecs au retour de la seconde guerre de Troie, à la fin de l’ère mycénienne, tempête dont la tradition dit qu’elle a été envoyé par le fantôme de Minos pour punir les Grecs de ne pas l’avoir aidé de son vivant à capturer Dédale en fuite vers la Sicile] ? Ces gens [les Grecs] ne vous ont pas aidés à venger la mort de votre roi Minos à Kamikos, tandis que vous les avez aidés à venger une vulgaire femme de Sparte enlevée par un barbare [Hélène, enlevée par le Troyen Pâris, incident à l’origine de la guerre de Troie] !”. Instruits de cette réponse, les Crétois renoncèrent à aider la Grèce", Hérodote, Histoire VII.169). Enfin Gélon le tyran de Syracuse reçoit les ambassadeurs d’Athènes et de Sparte, accepte d’apporter tous les renforts possibles à condition d’être commandant suprême de tous les Grecs ("Je suis prêt à vous secourir avec deux cents trières, vingt mille hoplites, deux mille cavaliers, deux mille archers, deux mille frondeurs, un corps de cavalerie légère de deux mille hommes, et je me charge de ravitailler en blé l’armée grecque tout entière jusqu’à la fin des hostilités, mais à une condition : j’aurai le commandement en chef des troupes, et je dirigerai les opérations contre le barbare", Hérodote, Histoire VII.158 ; "Quand Xerxès Ier passa en Europe, tous les Grecs députèrent vers Gélon pour obtenir son alliance. Mais il répondit qu’il ne leur accorderait son alliance et qu’il ne les approvisionnerait que s’il obtenait le commandement suprême sur terre ou sur mer. Ainsi, d’un côté son désir de gloire et sa prétention au commandement empêchait l’alliance, mais de l’autre côté l’ampleur des ressources syracusaines et la terreur des ennemis poussaient à lui accorder cette distinction", Constantin VII Porphyrogénète, Extraits, Sur les opinions 113) : les ambassadeurs spartiates et athéniens refusent une telle soumission à la cité de Syracuse, qui n’est qu’une colonie récente et de peu de gloire - même si elle possède des grands moyens matériels - par rapport aux anciennes et prestigieuses cités de Sparte et Athènes ("Voilà qui ferait gémir bien haut Agamemnon le descendant de Pélops, s’il apprenait que Gélon et les Syracusains ont enlevé le commandement aux Spartiates ! Non, renonce à cette idée, n’espère pas que nous te cèderons. Si tu veux secourir la Grèce, sache que tu seras sous le commandement des Spartiates ; si tu n’acceptes pas cette idée, garde tes secours", Hérodote, Histoire VII.159 ; "A quoi nous servirait d’être la plus grande puissance maritime de la Grèce si nous, Athéniens, cédions le commandement à des Syracusains alors que nous sommes le peuple le plus ancien de la Grèce, le seul qui n’ait jamais changé de pays, le poète Homère lui-même ajoutant que nous avons envoyé devant Troie le plus habile à ranger l’armée en bon ordre [référence à Iliade II.546-556 qui fait de l’Athénien Ménesthée l’égal de Nestor en stratégie] ?", Hérodote, Histoire VII.161), Gélon leur refuse donc la moindre aide et leur ordonne de quitter les lieux ("Gélon répliqua : “Vous semblez avoir des gens pour commander mais manquer d’hommes pour leur obéir. Puisque vous ne cédez rien et voulez tout garder, débarrassez-moi vite de votre présence, et allez dire à la Grèce que son année n’aura pas de printemps”", Hérodote, Histoire VII.162). Thémistocle fera payer plus tard cette attitude de Gélon en refusant à son frère Héron le droit de participer aux soixante-seizièmes Jeux olympiques de -476. Après ces multiples démarches, le nombre des cités alliées se monte à trente-et-un : leur nom figurera sur un trépied réalisé juste après la bataille de Platées en -479, dont une partie sera emmenée par l’Empereur romain Constantin à Byzance au IVème siècle, où elle est toujours aujourd’hui (sur l’actuelle place du Sultan-Ahmet à Istanbul en Turquie). Cet ensemble panhellénique est sous l’autorité des Spartiates : même si Athènes a vaincu à Marathon dix ans plus tôt, son prestige militaire n’est pas encore à la hauteur de celui de Sparte aux yeux des autres cités grecques, notamment des cités péloponnésiennes que Sparte domine. Son quartier-général prend position à Corinthe, à mi chemin entre Sparte et Athènes. On note que les Eginètes font parti de cette coalition, ayant été vaincus par les Spartiates de Cléomène Ier juste avant la bataille de Marathon, mais n’ayant pas encore réglé leurs comptes avec les Athéniens : pour le bien de cette coalition panhellénique, Athéniens et Eginètes sont sommés par les Spartiates d’oublier momentanément leurs différends ("Les Grecs ayant choisi pour leur patrie la conduite la plus noble se réunirent. Ils échangèrent des avis et des serments, et décidèrent en conseil que leur première tâche était de renoncer aux inimitiés et aux guerres qui les divisaient, dont la principale qui opposait les Athéniens et les Eginètes", Hérodote, Histoire VII.145). Sur le plan militaire, Sparte domine largement les forces terrestres, numériquement sinon moralement, tandis qu’Athènes avec ses cent quarante-sept trières (cent vingt-sept conduites par les Athéniens et vingt conduites par les clérouques de Chalcis, que Thémistocle a fait construire à la hâte depuis l’archontat de Nicodémos en -483/-482 en recourant au stratagème que nous avons mentionné dans notre précédent alinéa) domine largement les forces maritimes ("Voici les Grecs qui composaient l’armée navale. Les Athéniens avancèrent cent vingt-sept navires, dont certains équipages étaient constitués d’hommes de Platées que la vaillance et l’ardeur avait poussé à s’enrôler malgré leur inexpérience des choses de la mer. Les Corinthiens fournirent quarante navires, et les Mégariens vingt. Chalcis équipa également vingt navires, prêtés par les Athéniens [ces équipages chalcéens sont constitués par les clérouques athéniens installés à Chalcis, et par les Chalcéens autochtones qu’ils contrôlent]. Egine en envoya dix-huit, Sicyone dix-sept, Sparte dix, Epidaure huit, Erétrie sept, Trézène cinq, Styra deux, Kéos deux plus deux bateaux à cinquante rames, enfin les Locriens d’Oponte vinrent au secours des alliés avec sept bateaux à cinquante rames", Hérodote, Histoire VIII.1). On note que cette flotte est sous l’autorité d’un commandant spartiate nommé "Eurybiade", bien que les Spartiates n’apportent que dix navires : la raison en est que les coalisés n’ont encore qu’une confiance très limitée dans les capacités militaires athéniennes. Thémistocle, contre la volonté de ses compatriotes, a accepté diplomatiquement de placer les navires athéniens - qui pourtant sont plus nombreux à eux seuls que la totalité des navires amenés par les autres cités - sous les ordres de ce Spartiate pour éviter que la coalition se dissolve d’elle-même ("Le chef suprême de la flotte était Eurybiade fils d’Euryclidès. Les alliés avaient en effet déclaré qu’ils n’accepteraient pas d’obéir aux ordres des Athéniens, et qu’en l’absence des Spartiates à leur tête ils renonceraient à l’expédition projetée. Au commencement, […] on avait parlé de placer la flotte sous l’autorité des Athéniens, mais comme les alliés s’y opposèrent les Athéniens avaient cédé, car l’essentiel pour eux était de sauver la Grèce, et ils étaient conscients que toute querelle pour le commandement conduirait à sa perte", Hérodote, Histoire VIII.2-3 ; "Les Grecs invitèrent Eurybiade et les Spartiates à prendre le commandement alors que les Athéniens, qui surpassaient par le nombre de leurs navires tous les autres mis ensemble, estimèrent indigne d’eux d’en suivre d’autres. Conscient du danger, Thémistocle céda spontanément le commandement à Eurybiade. Il s’efforçait de calmer les Athéniens en leur promettant que s’ils étaient vaillants à la guerre il pousserait par la suite les Grecs à leur obéir", Plutarque, Vie de Thémistocle 7). Mais dans les faits nous verrons que, cet Eurybiade étant un personnage très falot, Thémistocle n’aura aucune peine à le manipuler, et qu’il sera le seul vrai commandant de la flotte grecque. Thémistocle aura d’autant plus de facilité à imposer ses points de vue, qu’il réussit à se faire élire à la tête de toutes les troupes athéniennes à la place d’un certain "Epicydès", consensuel mais totalement transparent : Thémistocle corrompt cet Epicydès pour qu’il retire sa candidature ("Tandis que le Perse descendait sur la Grèce, les Athéniens discutèrent du choix d’un stratège. La plupart d’entre eux, frappés d’effroi devant le péril, s’écartent délibérément de cette fonction. Epicydès fils d’Euphèmidès, chef populaire au discours redoutable mais de tempérament mou et vénal, convoitait la charge et allait vraisemblablement l’emporter lors du vote, mais Thémistocle, redoutant que les affaires se dégradent complètement si le commandement revenait à cet homme, acheta au prix fort l’ambition d’Epicydès", Plutarque, Vie de Thémistocle 6). Dans cette campagne de Xerxès Ier contre la Grèce, c’est la première fois que Thémistocle utilise une partie de sa fortune pour l’intérêt commun athénien, en l’occurrence pour éviter que les troupes athéniennes subissent un désastre militaire à cause d’un amiral nul.


Thémistocle propose aux Athéniens d’abandonner leur cité et d’embarquer sur leur flotte pour provoquer un combat naval dans lequel, espère-t-il, ils ont davantage de probabilité de remporter un succès que sur terre : il se méfie de la loyauté des cités de la coalition, qui peuvent facilement s’échapper ou passer à l’ennemi en cas de bataille terrestre, mais qui pourront plus difficillement agir de même sur mer où les nombreux navires athéniens les encadreront étroitement. Mais sa proposition est rejetée car les Athéniens pensent encore que la volonté de résistance aux Perses est partout en Grèce équivalente à la leur. Les Thessaliens, dont le territoire est en première ligne, appellent à l’aide en menaçant de se soumettre au Grand Roi si personne ne vient à leur secours ("[Les Thessaliens] envoyèrent leurs délégués à l’isthme de Corinthe où se trouvaient réunis les représentants des cités de la Grèce qui avaient pris pour elle le parti le plus noble, et leur dirent : “Peuples de la Grèce, il faut garder le défilé du mont Olympe pour mettre à l’abri de la guerre la Thessalie et la Grèce entière. Nous sommes prêts à le faire avec vous, à condition que vous nous envoyiez des forces considérables, sinon vous devez savoir que nous traiterons avec le Perse : nous sommes aux avant-portes de la Grèce, mais nous ne sommes pas obligés pour autant de périr seuls pour vous sauver. Si vous refusez de nous aider, vous ne pourrez plus rien exiger de nous”", Hérodote, Histoire VII.172). Athéniens et Spartiates décident d’envoyer un contingent vers la Thessalie, les troupes athéniennes étant dirigées par Thémistocle qui se soumet à la volonté de ses compatriotes ("Les Grecs décidèrent d’envoyer par mer en Thessalie des forces terrestres pour garder le défilé. Sitôt rassemblées, leurs troupes s’embarquèrent et franchirent l’Euripe. Parvenues à Alos en Achaïe, elles débarquèrent et se dirigèrent vers la Thessalie. Elles gagnèrent les Tempè, le défilé qui permet de passer de la basse Macédoine en Thessalie par la vallée du Pénée, entre les mont Olympe et Ossa. Les Grecs établirent là leur camp. Ils étaient environ dix mille hoplites et la cavalerie des Thessaliens se joignit à eux. Les Spartiates avait à leur tête Evainétos fils de Carénos […], et les Athéniens Thémistocle fils de Néoclès", Hérodote, Histoire VII.173 ; "A peine Thémistocle fut-il en charge du commandement qu’il s’employa à embarquer les citoyens sur les trières en s’efforçant de les convaincre d’abandonner la ville et d’affronter le barbare sur mer le plus loin possible de la Grèce. Mais beaucoup résistèrent. Alors il conduisit une forte armée aux Tempè, avec les Spartiates, afin de mettre là-bas hors de danger la Thessalie qui, à ce moment, ne paraissait pas encore favorable aux Perses", Plutarque, Vie de Thémistocle 7). Mais ce contingent ne reste pas longtemps sur place car Alexandre Ier Philhellène, roi de Macédoine, prévient les chefs de la coalition que le lieu où ils sont positionnés peut devenir un piège où Xerxès Ier risque de les encercler et les anéantir, et que d’ailleurs les Perses ne sont pas obligés de passer par ce lieu où les coalisés les attendent car une autre route à l’intérieur des terres existe que les envahisseurs pourront emprunter, une route que les coalisés ne pourront pas défendre avec leurs maigres effectifs ("[Les Spartiates et les Athéniens] restèrent là peu de jours, car des messagers vinrent de la part du Macédonien Alexandre Ier Philhellène, fils d’Amyntas Ier, leur conseiller de ne pas rester dans le défilé où l’armée des envahisseurs risquait de les écraser, en leur indiquant le nombre d’hommes et de navires de l’ennemi. Sitôt ce conseil reçu, qui leur parut excellent et les convainquit de la bienveillance du Macédonien à leur égard, ils le suivirent, renforcés par la crainte qu’ils eurent en apprenant l’existence d’un autre chemin permettant d’entrer en Thessalie, situé en haute Macédoine et passant par le pays des Perrhèbes et la cité de Gonnos. C’est justement ce second chemin que prit l’armée de Xerxès Ier", Hérodote, Histoire VII.173). Abandonnés, les Thessaliens mettent alors leur menace à exécution : ils se rangent du côté des Perses ("Voilà comment s’acheva l’expédition [sparto-athénienne] en Thessalie, au moment où le Grand Roi, prêt à passer d’Asie en Europe, se trouvait à Abydos. Les Thessaliens, abandonnés de leurs alliés, se jetèrent alors du côté des Perses sans tergiverser davantage", Hérodote, Histoire VII.174). Thémistocle propose à nouveau son projet maritime aux Athéniens, qui l’écoutent davantage car la défection des Thessaliens leur prouve que la volonté de résistance des Grecs n’est pas homogène partout en Grèce : ce qui vient de se passer avec les Thessaliens alors que les combats ne sont pas encore engagés, risque de se reproduire demain avec d’autres Grecs - peut-être avec les Spartiates, qui choisiront de se replier dans l’isthme de Corinthe pour protéger le Péloponnèse, au-delà d’Athènes, la laissant à découvert - dès que les combats commenceront ("Mais les troupes athéniennes se replièrent sans le moindre engagement. Les Thessaliens se rallièrent alors au Grand Roi, et toute la région jusqu’à la Béotie prit le même parti. Les Athéniens, dès lors, s’intéressèrent davantage au projet maritime de Thémistocle et envoyèrent celui-ci avec des navires vers l’Artémision pour garder le détroit", Plutarque, Vie de Thémistocle 7).


Xerxès Ier n’attend pas le retour de tous les hérauts qu’il a envoyés vers la Grèce. Il jette deux ponts sur l’Hellespont ("Il se préparait à gagner Abydos, pendant qu’on jetait les ponts qui devaient par-dessus l’Hellespont relier l’Asie à l’Europe. La Chersonèse de l’Hellespont présente, entre les cités de Sestos [aujourd’hui Akbas Limani, entre Yalova et d’Eceabat en Turquie] et de Madytos [aujourd’hui Eceabat en Turquie], une pointe rocheuse qui avance dans la mer, en face d’Abydos [aujourd’hui le cap Nagara, près de Çanakkale en Turquie]. […] A partir d’Abydos, deux ponts furent établis en direction de cette pointe, par-dessus les sept stades séparant Abydos de l’autre rive, par les équipes chargés de ce service, le premier par les Phéniciens au moyen de câbles de filasse, le second par les Egyptiens au moyen de câbles de papyrus", Hérodote, Histoire VII.33-34). Hélas pour lui, une tempête se déclare, et détruit aussitôt les deux ponts ("Mais quand les ponts furent jetés sur le détroit, une violente tempête s’éleva, qui les rompit et les balaya", Hérodote, Histoire VII.34), ce qui prouve que le Grand Roi non seulement n’est pas un dieu qui maîtrise les éléments, mais encore qu’il ne garantit pas à ses troupes qu’elles pourront rentrer chez elles en Asie même après avoir remporté la victoire sur les Grecs. Pour calmer les consciences, il ordonne l’exécution des ingénieurs qui ont construit ces deux ponts insuffisamment solides, et demande à ses hommes de fouetter la mer pour la châtier de s’être agitée ("Xerxès Ier indigné ordonna d’infliger à l’Hellespont trois cents coups de fouet, et de jeter dans ses eaux une paire d’entraves. J’ai entendu dire qu’il avait envoyé d’autres gens encore pour marquer l’Hellespont au fer rouge. En tout cas, il enjoignit à ses gens de dire, en frappant de verges l’Hellespont, ces mots pleins de l’orgueil insensé d’un barbare : “Onde amère, notre maître te châtie parce que tu l’as offensé alors qu’il ne t’a jamais fait de tort ! Le Grand Roi Xerxès Ier te franchira, que tu le veuilles ou non, et c’est justice que personne ne t’adresse des louanges car tu n’es qu’un courant d’eau trouble et saumâtre !”. Ainsi fit-il châtier la mer, et couper la tête des ingénieurs qui avaient dirigé les travaux", Hérodote, Histoire VII.35). Deux nouveaux ponts sont construits, l’immense armée peut donc se mettre en marche. Xerxès Ier la suit sur son char, précédé de sa garde personnelle et du char sacré d’Ahura-Mazda sensé veiller sur le bon déroulement de l’expédition ("En tête venaient mille cavaliers choisis entre tous les Perses, puis mille lanciers également choisis entre tous et portant leurs lances la pointe en bas [en signe de respect pour le Grand Roi auquel ils ouvrent la route], puis […] venait le char sacré de Zeus [c’est-à-dire Ahura-Mazda] dont l’accès est interdit à tout mortel, tiré par huits chevaux blancs que tenait par les rênes le cocher marchant à pied, puis venait Xerxès Ier lui-même sur son char traîné par des chevaux néséens", Hérodote, Histoire VII.40). Il est suivi par les Immortels, corps d’élite de dix mille soldats ("Dix mille hommes d’élite formant un corps d’infanterie, suivaient : mille d’entre eux, dont les lances portaient à leur extrémité inférieure une grenade d’or au lieu d’une pointe de fer, encadraient les neuf mille autres qui avaient à leurs lances des grenades d’argent", Hérodote, Histoire VII.41) ainsi nommé parce que les hommes qui le composent sont immédiatement remplacés quand ils meurent, dirigé par Hydarnès le jeune le fils de Vidarna/Hydarnès l’un des sept putschistes de -522 ("Ce corps d’élite perse de dix mille hommes était sous les ordres d’Hydarnès le jeune fils d’Hydarnès. On le surnommait “corps des Immortels” pour la raison suivante : si l’un des hommes venait à manquer, frappé par la mort ou la maladie, on lui choisissait aussitôt un remplaçant, ainsi ils n’étaient jamais plus et jamais moins de dix mille", Hérodote, Histoire VII.83) dont on a supposé plus haut qu’il est satrape d’Ionie. Au moment de franchir le détroit, une dernière fois Artaban met en garde son neveu, remarquant avec raison que la flotte perse rassemblée pour l’invasion est si nombreuse qu’aucun port grec ne pourra l’accueillir tout entière, que par conséquent une partie sera contrainte de demeurer en permanence au large à la merci des tempêtes, et que les troupes à pied sont également si nombreuses que la conquête devra impérativement être rapide car la Grèce ne pourra pas nourrir éternellement une telle masse, autrement dit si l’aventure se prolonge les Grecs n’auront pas besoin de combattre les Perses puisque ceux-ci mourront bêtement de famine ("Artaban dit [à Xerxès Ier] : “Seigneur, nul être apparemment sensé ne saurait contester l’effectif de ton armée et de ta flotte. Mais je t’assure que si tu les augmentes encore, deux dangers te menacent, la terre et la mer. Je dis : la mer, car à ma connaissance aucun port assez grand n’existe pour abriter en cas de tempête cette flotte par toi réunie et garantir ainsi la sécurité de tes navires. D’ailleurs, un seul port ne suffira pas, il t’en faudra plusieurs pour chaque point de côte que tu longeras. […] Je t’ai parlé du premier danger, je passe maintenant au second : la terre, qui est ton ennemie pour la raison suivante. Si rien ne fait obstacle à ta conquête, tu auras en elle une ennemie toujours plus menaçante à mesure que tu avanceras, car le succès ne rassasie jamais les hommes : oui, en supposant que personne ne te résiste, je déclare que, de tes conquêtes chaque jour plus étendues, naîtra la famine”", Hérodote, Histoire VII.49). Xerxès Ier lui répond avec agacement : "Si on réfléchissait toujours aux conséquences avant d’agir, on ne ferait jamais rien !" ("Xerxès Ier lui répondit : “Artaban, tu as certes raison de souligner ces points, mais n’aie donc pas peur de tout, ne pèse donc pas tout avec la même minutie. Si pour chaque affaire, à chaque moment, on pesait tout avec le même soin, on ne ferait jamais rien. Mieux vaut toujours oser et supporter la moitié des malheurs possibles, que ne jamais rien faire à force de tout redouter. […] D’ailleurs, comment l’être humain pourrait-il être sûr de quoi que ce soit ? C’est impossible à mon avis. Les hommes décidés à agir connaissent généralement le succès, qui se refuse aux gens trop circonspects et timides. Vois où en est aujourd’hui la puissance de la Perse : si mes prédécesseurs avaient pensé comme toi ou, sans avoir tes opinions, s’ils avaient eu des conseillers tels que toi, jamais elle ne serait devenue si grande, ils ont accepté les dangers pour l’amener là, car les grandes choses ne se font pas sans grands dangers”", Hérodote, Histoire VII.50) et le renvoie à Suse ("Ayant ainsi parlé, Xerxès Ier renvoya Artaban à Suse", Hérodote, Histoire VII.53). L’événement a lieu sous Calliadès, archonte entre juillet -480 et juin -479 ("[Les barbares] parvinrent en Attique sous l’archontat athénien de Calliadès", Hérodote, Histoire VIII.51).


Une fois sur le continent européen, le Grand Roi rassemble ses troupes autour de Doriscos ("Doriscos est une vaste plaine de la Thrace, en bordure de la mer, traversée par un grand fleuve, l’Hèbre. Une forteresse du Grand Roi s’y élevait, occupée par une garnison perse établie là par Darius Ier du temps de son expédition contre les Scythes. Xerxès Ier jugeant l’endroit convenable pour organiser ses troupes et les dénombrer, il fit procéder à ces opérations", Hérodote, Histoires VII.59). Hérodote rapporte à ce moment de son Histoire la liste des contingents engagés, commandés par des hommes dont certains nous sont familiers, comme Hystaspès le jeune à la tête des Bactriens et des Saces (frère de Xerxès Ier, Hérodote, Histoire VII.64), Sisamnès fils de Vidarna/Hydarnès à la tête des Ariens (Vidarna/Hydarnès est l’un des des sept putschistes de -522 ; ce Sisamnès est donc le frère d’Hydarnès le jeune qui commande le corps d’élite des Immortels et qui est probablement satrape d’Ionie, Hérodote, Histoire VII.66), Phérendatès le fils de Mégabaze à la tête des Sarangéens (peuple non localisé précisément du plateau iranien, Hérodote, Histoire VII.67 ; nous avons expliqué plus haut pourquoi nous pensons que Mégabaze est satrape de Phrygie hellespontique, à ce titre conquérant de la Thrace après la campagne piteuse de Darius Ier contre les Scythes en Europe ; ce Phérendatès est donc le frère de Boubatès qui commande la place perse d’Eion et qui a supervisé le persement du canal de l’Athos, et le frère d’Oibaras qui était gouverneur de Daskyléion lors de la révolte des Ioniens entre -499 et -493), Artaphernès le jeune à la tête des Lydiens et des Mysiens (fils d’Artaphernès le frère de Darius Ier et le satrape de Lydie ; on se souvient qu’Artaphernès le jeune a commandé le contingent perse aux côtés du Mède Datis à Marathon en -490, Hérodote, Histoire VII.74). Mentionnons également d’autres chefs dont le nom apparaît pour la première fois et qui joueront des rôles plus ou moins importants par la suite : Tigrane (d’origine inconnue, probablement arménienne puisqu’il porte le même nom que le célèbre Tigrane II gendre de Mithridate VI à l’ère hellénistique, on sait seulement qu’il appartient à la phratrie des Achéménides, et appartient donc à l’entourage proche de Xerxès Ier, Hérodote, Histoire VII.62) à la tête des Mèdes, Artabaze fils de Pharnacès à la tête des Parthes et des Chorasmiens (Hérodote, Histoire VII.66), Artayctès fils de Chérasmis à la tête des Macrons et des Mossynèques (peuples non précisément localisés au sud-est de la mer Noire, Hérodote, Histoire VII.78), Mardontès fils de Bagaios à la tête des insulaires de la mer érythréenne (c’est-à-dire l’actuel golfe arabo-persique, Hérodote, Histoire VII.80). Pour l’anecdote, on remarque enfin la présence d’un fils d’Artaban (le frère de Darius Ier qui vient d’être renvoyé à Suse pour défaitisme) nommé "Bassacès" à la tête des Bithyniens (Hérodote, Histoire VII.75). La flotte se rassemble pareillement au large, commandée par des chefs dont deux portent encore des noms familiers : le satrape d’Egypte Achéménès fils de Darius Ier (nommé à ce poste par son frère Xerxès Ier après l’écrasement de la révolte égyptienne en -485) à la tête de l’escadre égyptienne, et Mégabaze le jeune (fils de Mégabatès qui a codirigé avec Aristagoras l’expédition contre Naxos vers -500, donc petit-fils du Mégabaze déjà mentionné dont nous avons dit qu’il est certainement satrape de Phrygie hellespontique, Hérodote, Histoire VII.99). Hérodote mentionne aussi la présence d’Artémise, tyranne grecque de la cité d’Halicarnasse et fille de Lygdamis Ier, lui-même probablement apparenté à son homonyme Lygdamis ancien tyran de Naxos, à la tête d’une petite escadre de cinq navires ("J’épouve une grande admiration pour cette femme qui osa partir en guerre contre toute la Grèce après avoir, demeurée veuve avec un fils tout jeune encore, pris le pouvoir, poussée par son énergie et son courage viril à prendre part à l’expédition quand rien ne l’y obligeait. Elle s’appelait Artémise, originaire d’Halicarnasse par son père Lygdamis et de Crète par sa mère. Souveraine d’Halicarnasse, de Kos, de Nisyros et de Kalydna, elle apporta cinq navires à Xerxès Ier", Hérodote, Histoire VII.99). Au terme de sa longue énumération, Hérodote précise au paragraphe 82 du livre VII de son Histoire que tous ces contingents sont sous l’autorité suprême d’un collège de sept membres, constitué de Xerxès Ier qui en assure naturellement la présidence et de six autres personnes dont certains nous sont encore familiers : Mardonios fils de Gaubaruva/Gobryas (qui a commandé le contingent Perse en Thrace et en Macédoine avant de voir ses navires couler dans la tempête au large de l’Athos en -494, et qui rêve de conquérir la Grèce et d’en devenir satrape), un autre fils d’Artaban nommé "Tritantaichmès", un nommé "Smerdoménès" fils d’Otanès (s’agit-il d’Otanès fils de Thukra/Pharnaspès l’un des sept putschistes de -522 ? ou d’Otanès fils de Sisamnès qui a achevé la reconquête de l’Ionie après la campagne de Darius Ier contre les Scythes en Europe vers -510 ?), le frère de Xerxès Ier qu’Hérodote nomme "Masistès" et que pour notre part nous nommons "Ariaramnès" (nous avons expliqué pourquoi dans notre premier alinéa, nous y reviendrons plus en détails dans notre alinéa suivant), Mégabyze le jeune qui est fils de Zopyre (ce Zopyre est cet homme qui s’est automutilé pour aider Darius Ier à reprendre Babylone vers -520, lui-même fils de Bagabuxsha/Mégabyze l’un des sept putschistes de -522), enfin un mystérieux "Gergis fils d’Ariazos". Ce collège de sept personnes dirigé par Xerxès Ier découle-t-il d’une volonté du Grand Roi de reconstituer, dans ce contexte historique de -480, le groupe de sept personnes dirigé par son père Darius Ier responsable du putsch aussi historique de -522 ? Mystère.


Xerxès Ier quitte Doriscos pour longer la côte thrace ("Partant de Doriscos, Xerxès Ier marcha vers la Grèce en contraignant tous les peuples qu’il trouva sur sa route à grossir son armée", Hérodote, Histoire VII.108). Il arrive à Eion ("En route vers le couchant, il dépassa les territoires des peuples qui habitent au-delà du mont Pangée […] pour arriver au fleuve Strymon et à la cité d’Eion alors gouvernée par Bogès", Hérodote, Histoire VII.113). Il longe le bord du fleuve Strymon jusqu’au lieu-dit Neuf-Routes, qui correspond à l’ancienne place de Myrcinos cédée à Histiée de Milet par Darius Ier après l’expédition contre les Scythes en Europe, où Aristagoras a trouvé la mort en -493 et où les Athéniens plus tard fonderont Amphipolis, et traverse le fleuve sur le pont que Boubatès fils de Mégabaze a construit ("Arrivés au lieu-dit Neuf-Routes ["Ennša Odo…"], chez les Edones, les Perses passèrent les ponts qu’ils trouvèrent établis sur le fleuve Strymon", Hérodote, Histoire VII.114). Il laisse là le char sacré d’Ahura-Mazda ("Avant de marcher contre la Grèce, Xerxès Ier avait laissé en Macédoine le char sacré de Zeus [c’est-à-dire Ahura-Mazda]", Hérodote, Histoire VIII.115). Il se dirige ensuite vers la Chalcidique, tandis que la flotte suit l’armée de terre en empruntant le canal de l’Athos, puis en dépassant la presqu’île de Sithonia puis celle de Pallènè ("Conformément aux ordres de Xerxès Ier, les forces navales reprirent leur marche en passant par le canal de l’Athos […]. Doublant le promontoire d’Ampélos, elles passèrent devant les cités grecques de Toroné, Galpsos, Sermylé, Mekyberna et Olynthe dans le pays de Sithonia. Puis la flotte alla droit vers le cap Kanastraion à l’extrémité de la péninsule de Pallènè, prenant des navires et des hommes dans les cités de Potidée, Aphytis, Néapolis, Aigé, Thérambos, Skioné, Mendé et Sanè", Hérodote, Histoire VII.122-123). Il arrive en Macédoine, stoppe à Thermè ("Parvenu à la cité de Thermè, Xerxès Ier y arrêta son armée. Ses troupes campèrent en occupant tout le rivage depuis Thermè et la Mygdonie jusqu’aux fleuves Lydias et Haliakmon qui séparent les régions de Bottie et de Macédonide", Hérodote, Histoire VII.127). On ne connait pas exactement le calendrier de ce déplacement de l’immense armée d’invasion (Hérodote dit seulement qu’il s’étale sur quatre longs mois : "Depuis le moment où les barbares franchirent l’Hellespont, point de départ de leur marche en Europe, après s’y être arrêtés un mois le temps de le traverser, il leur fallut trois autres mois pour parvenir en Attique", Hérodote, Histoire VIII.51), on sait en revanche qu’elle cause la ruine des cités qu’elle traverse, comme Artaban l’avait prévu, car les soldats qui la composent sont avant tout des estomacs qui réclament pitance, et parmi eux Xerxès Ier n’est pas le moins affamé ("Les Grecs qui recevaient les troupes et subvenaient aux repas de Xerxès Ier, écrasés par cette charge, étaient complètement ruinés. Ainsi à Thassos le montant des frais d’hébergement et de nourriture des troupes, assumés par les Thassiens pour le compte de leurs cités du continent, leur fut indiqué par l’honorable citoyen qu’ils avaient chargé de cette tâche, Antipatros fils d’Orgeus : pour le repas du Grand Roi la dépense s’éleva à quatre cents talents d’argent. Dans les autres cités aussi les citoyens chargés des comptes indiquèrent des chiffres analogues. […] A l’arrivée des troupes, une tente était apprêtée, Xerxès Ier y logeait tandis que son armée campait en plein air. A l’heure du repas les hôtes s’échinaient, puis leurs invités passaient la nuit sur place. Le jour suivant ils abattaient la tente qu’ils emportaient avec tout son contenu, et ils reprenaient leur route sans rien laisser derrière eux", Hérodote, Histoire VII.118-119).


Tandis que les Perses avancent ainsi vers le territoire des Thessaliens qui se sont ralliés à eux, Spartiates et Athéniens se sont accordés pour prendre position à l’extrémité nord de l’île d’Eubée, la flotte athénienne au large du cap Artémision, l’infanterie péloponnésienne sur la côte, dans l’étroit défilé des Thermopyles qui contrôle l’entrée en Phocide et au-delà l’entrée en Béotie et en Attique ("Quand l’expédition fut de retour [de Thessalie], les Grecs cherchèrent, à l’aide des renseignements qu’ils tenaient d’Alexandre Ier Philhellène, comment lutter contre les Perses et en quels endroits. L’avis qui prévalut fut de garder le défilé des Thermopyles, plus étroit que celui qui mène en Thessalie et, de plus, unique et plus proche de chez eux. […] On prit donc la décision de garder le défilé pour fermer au barbare la route de la Grèce, tandis que la flotte se tiendrait au cap Artémision sur le territoire d’Hestia [cité de l’île d’Eubée], les deux points étant assez proches pour permettre aux informations de passer rapidement de l’un à l’autre", Hérodote, Histoire VII.175). Cette infanterie péloponnésienne est sous l’autorité du roi spartiate agiade Léonidas Ier, demi-frère de Cléomène Ier mort fou, qui commande un régiment de trois cents Spartiates et d’autres régiments venant de différentes cités péloponnésiennes, dont des Mycéniens, accompagnés par un régiment béotien de Thébains et de Thespiens, un autre de Locriens et un autre de Phocidiens ("Voici les gens postés là pour attendre l’assaut du Perse. Il y avait trois cents hoplites de Sparte, cinq cents de Tégée et cinq cents de Mantinée, cent vingt d’Orchomène en Arcadie, et mille du reste de la région. Corinthe avait envoyé quatre cents hommes, Phlionte deux cents, et Mycènes quatre-vingts. Voilà les forces en provenance du Péloponnèse. De Béotie venaient sept cents Thespiens et quatre cents Thébains. Appelés à la rescousse, les Locriens d’Oponte avaient envoyé toutes leurs forces, et les Phocidiens mille hommes", Hérodote, Histoire VII.202-203 ; "Chaque cité obéissait à son propre stratège, mais l’homme le plus remarqué, le chef chargé du commandement suprême, était un Spartiate, Léonidas Ier fils d’Anaxandride II", Hérodote, Histoire VII.204). Le calendrier n’est pas favorable aux événements : si effectivement les Spartiates ne sont que trois cents aux Thermopyles et que les contingents des autres cités qui les entourent ne sont pas plus nombreux, c’est parce que Sparte est alors en pleine fête de Karneia (la même fête en l’honneur d’Apollon qui, selon Hérodote, a retardé l’arrivée des Spartiates lors de la bataille de Marathon en -490), et surtout parce que la Grèce est tout entière aux soixante-quinzièmes Jeux olympiques d’août -480 ("Léonidas Ier et ses hommes formaient un premier contingent expédié par Sparte pour décider les autres alliés à marcher eux aussi en les voyant, pour les empêcher de passer du côté des Perses sous prétexte que Sparte temporisait. Quand les fêtes de Karneia, qui les retenaient momentanément, seraient achevées, les Spartiates comptaient ne laisser qu’une garnison dans Sparte et courir vers les Thermopyles avec toutes leurs forces. Les autres alliés faisaient de leur côté les mêmes projets, retenus par les Jeux d’Olympie qui tombaient à ce moment-là", Hérodote, Histoire VII.206).


Dès que la flotte perse apparaît au loin, Eurybiade le commandant suprême de la flotte grecque prend peur et veut s’enfuir ("Les Grecs postés au cap Artémision apprirent l’arrivée des barbares par des signaux de feux en provenance de l’île de Skiathos. A cette nouvelle, effrayés, ils levèrent l’ancre", Hérodote, Histoire VII.183 ; "Quand les Grecs postés devant le cap Artémision virent l’immense flotte mouillée aux Aphètes et le pays tout couvert de soldats ennemis, la frayeur les gagna, car les capacités des barbares leur parurent très supérieures à celles qu’ils pensaient, et ils projetèrent de fuir jusqu’au centre de la Grèce", Hérodote, Histoire VIII.4). Naturellement les Eubéens s’inquiètent : craignant que les alliés les laissent seuls face aux Perses, ils demandent à Thémistocle de les convaincre de rester en lui remettant trente talents pour l’aider à négocier ("Les Eubéens prièrent Eurybiade d’attendre un peu, le temps pour eux de mettre en sûreté leurs enfants, leurs familles et leurs gens. Eurybiade n’y consentit pas. Les Eubéens adoptèrent alors une autre tactique : ils s’adressèrent au stratège des Athéniens, Thémistocle, et moyennant trente talents ils obtinrent de lui que la flotte resterait devant l’Eubée pour y livrer bataille", Hérodote, Histoire VIII.4). Un dialogue s’engage alors, au terme duquel Thémistocle réussit, moyennant la cessation de cinq talents à Eurybiade et trois talents à Adimante le commandant de l’escadre corinthienne, à retenir les alliés sur place ("Voici comment Thémistocle machina pour retenir les Grecs. Sur les trente talents, il en céda cinq à Eurybiade, comme si l’argent venait de lui. Quand il l’eut gagné, restait le chef corinthien Adimante fils d’Ocytos, qui seul contre les autres continuait à vouloir quitter la position de l’Artémision : Thémistocle lui adressa des promesses, en s’appuyant sur un serment : “Ne nous abandonne pas, lui dit-il, car je veux t’offrir des présents bien supérieurs à ceux que le Grand Roi des Perses en personne t’enverrait si tu quittais les alliés”, et il fit porter sur le navire d’Adimante trois talents d’argent. Eblouis par ces présents, les deux hommes se rallièrent à lui", Hérodote, Histoire VIII.5 ; selon le philosophe Phainias d’Erèse, Thémistocle doit également négocier avec le commandant du navire sacré athénien qui menace de s’enfuir : "Le plus rude opposant [à Thémistocle] parmi ses concitoyens était Architélès, triérarque du navire sacré, qui s’apprêtait à lever la voile sans payer ses marins. Ceux-ci, que Thémistocle s’appliquait à dresser contre leur capitaine, vinrent tous ensemble au pas de course lui rafler son dîner. Tandis qu’Architélès exprimait son découragement et sa fureur suite à cet incident, Thémistocle lui fit porter dans un panier un repas de pains et de viandes sous lesquels il avait mis un talent d’argent, en l’invitant à dîner immédiatement et à ne plus se préoccuper de ses hommes sous peine de l’accuser devant tout le monde d’avoir accepté de l’argent de l’ennemi. Voilà les faits tels que les raconte Phainias de Lesbos", Plutarque, Vie de Thémistocle 7). Hérodote précise que Thémistocle garde les vingt-trois talents restants ("Thémistocle y trouva son profit : à l’insu de tous il garda le reste de la somme, tandis que ceux qu’il avait achetés pensèrent que l’argent lui était venu d’Athènes", Histoire VIII.5), mais nous verrons bientôt que ces vingt-trois talents ne seront pas superflus pour convaincre d’autres Grecs d’adopter sa tactique maritime. Le même Hérodote continue son récit en disant que la flotte, malgré ce succès des tractations conduites par Thémistocle, se replie vers le détroit de l’Euripe, au large de Chalcis (où sont installés les clérouques athéniens : "[Les Grecs] se replièrent vers Chalcis pour garder l’Euripe, en laissant des guetteurs sur les hauteurs de l’Eubée", Hérodote, Histoire VII.183) : s’agit-il là d’un compromis cédé par Thémistocle aux alliés pour paufiner un plan d’attaque ? Le soir tombant, la flotte perse mouille face au cap Sépias, avancée de la côte thessalienne face au cap Artémision. La nuit passe. Le lendemain matin un vent terrible se déclare, fracassant une partie des navires perses, réalisant la prédiction d’Artaban qui à Abydos avait prévenu son neveu Xerxès Ier que la flotte perse était trop importante pour pouvoir se mettre tout entière à l’abri dans un port et qu’elle était donc à la merci des vents ("Lorsqu’ils arrivèrent sur la côte de la Magnésie, entre le cap Sépias et Casthanée, les navires de la première ligne s’amarrèrent au rivage et les autres restèrent à l’ancre à côté d’eux. Comme la plage n’était pas très étendue, ils mouillèrent sur huit rangs, tournés vers la haute mer. C’est ainsi qu’ils passèrent la nuit. Mais à l’aube, après une nuit calme et sereine, la mer se mit à bouillonner, une terrible tempête se déchaîna, avec de violentes rafales de vent d’est que les autochtones appellent “Hellespontien”. Les marins qui avaient senti le vent fraîchir purent, lorsque leur place au mouillage le leur permit, prévenir la tempête et tirer leurs navires sur le rivage, ce qui les sauva, eux et leurs bâtiments. Mais tous les navires qu’elle surprit sur mer furent jetés, les uns contre les rochers du Pélion qu’on appelle “Ipnoi” ["Ipno…/les Fours"], les autres sur la plage. Certains allèrent s’échouer sur les flancs du cap Sépias, et les vagues en jetèrent d’autres à la côte, vers les cités de Mélibée et de Casthanée. Rien ne put résister à la fureur de l’ouragan", Hérodote, Histoire VII.188). Il est possible que les Grecs ait été informés par les autochtones de l’existence de ce vent local appelé "Hellespontien" en provenance du nord-est, en particulier par les Phocidiens voisins avec lesquels les Athéniens, selon Hérodote, sont en relation ("Tandis que les Grecs prenaient position, les Delphiens tremblants interrogèrent le dieu [Apollon] sur leur sort et celui de la Grèce. L’oracle leur répondit de prier les vents, car ils seraient pour la Grèce des alliés puissants. En possession de cette réponse, les Delphiens informèrent les Grecs qui avaient choisi la liberté, et cette information transmise à des gens qui tremblaient à l’idée d’affronter le barbare leur valut leur éternelle reconnaissance. Ensuite les Delphiens élevèrent aux vents un autel dans l’enclos de Thyia la fille de Céphise, qui a donné son nom à l’endroit, et leur offrirent des sacrifices. Aujourd’hui encore, à cause de cet oracle, les Delphiens offrent aux vents des sacrifices propitiatoires", Hérodote, Histoire VII.178 ; "Pendant l’invasion de la Grèce par Xerxès Ier, la Pythie de Delphes rendit cet oracle : “Habitants de Delphes, sacrifiez aux vents et tout ira mieux pour vous”. Les Delphiens, dociles, érigèrent un autel, offrirent un sacrifice aux vents, et les obtinrent pour auxiliaires. En effet, les vents ayant soufflé violemment dans les parages du cap Sépias, brisèrent le formidable armement de la flotte ennemie", Clément d’Alexandrie, Stromates VI.3). Pausanias mentionne par ailleurs l’intervention d’un nommé "Skyllis" favorable aux Grecs, originaire de la cité de Skioné en Chalcidique, plongeur professionnel, qui avec sa fille Hydna aurait sectionné les amarres des navires perses juste avant la tempête pour augmenter le désastre (et cet acte lui vaudra plus tard d’avoir sa statue à Delphes : "La statue de Skyllis de Skioné, qu’on voit près de celle de Gorgias, est une offrande des Amphictyons. Ce Skyllis avait la réputation de plonger même dans les endroits les plus profonds de la mer. Il y avait exercé Hydna, sa fille. Lorsque l’armée navale de Xerxès Ier fut assaillie par une violente tempête vers le mont Pélion, ils contribuèrent beaucoup aux pertes qu’elle subit en allant par-dessous les eaux arracher les ancres et tout ce qui sert à retenir les navires", Pausanias, Description de la Grèce, X, 19.1-2), ce qui renforcerait cette hypothèse. Mais même si tel est le cas, les Grecs ne pouvaient pas prévoir que le vent soufflerait avec une telle violence (du côté de Chalcis, les marins athéniens ne sont d’ailleurs pas plus rassurés que les marins perses : "Sur les navires qui guettaient l’ennemi à Chalcis en Eubée, dès qu’ils sentirent la tempête approcher ou même avant, les Athéniens sacrifièrent à Borée [personnification du vent du nord] et Orithyie [fille d’Eréchthée l’ancien roi d’Athènes, qui fut emportée par le vent alors qu’elle jouait avec ses camarades sur le bord la rivière Ilissos] et les conjurèrent de les secourir et de perdre les navires des barbares, comme précédemment au mont Athos [en -492]", Hérodote, Histoire VII.189) : convenons donc que dans cette affaire les Grecs, et en particulier Thémistocle, ont eu de la chance. La tempête se calme après quatre jours ("La tempête souffla pendant trois jours. Enfin, elle s’arrêta au quatrième jour par les sacrifices des Mages, les incantations et les hurlements destinés à l’enchaîner, les victimes offertes à Thétis et aux Néréides, ou par elle-même", Hérodote, Histoire VII.191). La flotte grecque reprend position au large du cap Artémision, face à la flotte perse dévastée ("En hâte, les Athéniens revinrent au cap Artémision où ils comptaient ne trouver que peu de navires ennemis. Pour la seconde fois ils prirent position près de ce cap, où aussitôt et depuis ce jour ils honorent Poséidon Soter ["Swt»r/Sauveur"]", Hérodote, Histoire VII.192).


Pendant ce temps, dans le défilé des Thermopyles, l’armée perse qui a traversé la Thessalie entre au contact de la maigre infanterie grecque. Xerxès Ier attend quatre jours, espérant que la simple vue de l’immense armée perse amènera ces quelques troupes grecques à conclure d’elles-mêmes qu’elles n’ont aucune chance de vaincre et à se rendre ou se replier. Mais les Grecs ne bougent pas, estimant avec raison que la topographie du lieu les sert car son étroitesse oblige les Perses à attaquer par petits groupes et non pas en masse, et donc à lutter à effectifs égaux contre eux. Le premier combat, lancé par les Mèdes de Tigrane, tourne vite à l’avantage des Grecs ("Xerxès Ier attendit quatre jours dans l’espoir que les Grecs s’enfuiraient d’un instant à l’autre. Mais le cinquième jour, les Grecs étaient toujours là, et cela lui parut relever d’une insolence et d’une témérité coupables. Il s’en irrita et lança contre eux des Mèdes et des Cissiens, avec ordre de les lui amener vivants. Les Mèdes se jetèrent sur les Grecs : beaucoup tombèrent, remplacés par d’autres qui prirent leur place, qui très malmenés ne rompirent pas pour autant le contact, mais qui ne parvinrent pas à déloger l’adversaire malgré leurs efforts", Hérodote, Histoire VII.210). Les Mèdes sont relevés par le corps perse des Immortels d’Hydarnès le jeune, qui n’obtient pas davantage de succès ("Les Mèdes très maltraités se retirèrent. Les Perses du corps des Immortels, avec Hydarnès le jeune à leur tête, les remplacèrent, pensant vaincre sans peine, mais ils ne furent pas plus heureux que les soldats mèdes quand ils furent à leur tour aux prises avec les Grecs, parce que leurs lances étaient plus courtes que celles des Grecs et parce que le lieu étroit dans lequel ils combattaient les empêchait de profiter de leur supériorité numérique. Les Spartiates firent preuve d’une valeur mémorable et montrèrent leur science achevée de la guerre, devant des hommes qui n’en avaient aucune", Hérodote, Histoire VII.211). Les différents contingents de l’armée d’invasion se succèdent en vain, jusqu’à l’intervention d’un traître (dont le nom n’est pas sûr : Hérodote affirme au paragraphe 213 du livre VII de son Histoire qu’il s’appelle "Ephialtès fils d’Eurydèmos" originaire de Trachinie, mais au paragraphe suivant il rapporte une autre tradition qui désigne comme traître un nommé "Onétès fils de Phanagoras" originaire de Carystos, et encore une autre tradition qui désigne un nommé "Corydallos" originaire d’Anticyre), qui révèle à Xerxès Ier l’existence d’un chemin permettant de prendre les Grecs à revers ("Xerxès Ier se demandait comment sortir de cet embarras, lorsqu’un homme de Mèlis [en Thessalie] nommé “Ephialtès fils d’Eurydèmos” vint le trouver pour lui révéler l’existence d’un sentier passant par la montagne et rejoignant les Thermopyles, dans l’espoir d’une forte récompense", Hérodote, Histoire VII.213). Le Grand Roi s’empresse d’envoyer les Immortels dans ce chemin à la faveur de l’obscurité ("Xerxès Ier apprécia beaucoup l’offre d’Ephialtès et, tout heureux, fit aussitôt partir Hydarnès le jeune et ses hommes, qui se mirent en route vers l’heure où il faut allumer les lampes", Hérodote, Histoire VII.215 ; "Le mont Oeta compte deux sentiers, l’un au-dessus de Trachine qui est très escarpé, l’autre qui passe par le pays des Ainianes et qui est praticable pour une armée. C’est par ce second chemin que le Perse Hydarnès le jeune vint attaquer par derrière les Grecs de Léonidas Ier", Pausanias, Description de la Grèce, X, 22.8). Les Perses se faufilent durant la nuit, et tombent au matin sur le contingent phocidien positionné à l’embouchure du chemin : les Phocidiens sont balayés ("[Les Perses] marchèrent toute la nuit, les contreforts de l’Oeta sur leur droite et les montagnes de Trachine sur leur gauche. Aux premières lueurs du jour, ils arrivèrent au sommet de la montagne, où se trouvaient postés, comme je l’ai dit plus haut, mille hoplites phocidiens qui défendaient leur propre sol en gardant le chemin […]. Les Phocidiens furent avertis de l’arrivée des Perses, pourtant cachés par les chênes qui couvraient la montagne, par le bruissement des feuilles dont le sol était jonché et qui craquaient sous leurs pieds. Les Phocidiens coururent pour prendre leurs armes, et tombèrent face aux barbares qui, de leur côté, croyant ne trouver aucun obstacle dans leur avancée et ne s’attendant pas à trouver des combattants, s’arrêtèrent déconcertés. Hydarnès le jeune, craignant un instant d’avoir affaire à des Spartiates, s’enquit aussitôt auprès d’Ephialtès de l’origine de ces hommes : renseigné sur ce point, il rangea les Perses en bataille et obligea les Phocidiens à lâcher pied sous la grêle de leurs flèches et à se réfugier sur les hauteurs", Hérodote, Histoire VII.217-218). Les Grecs découvrent soudain qu’ils sont encerclés. Les uns décident de s’enfuir, Léonidas Ier et ses trois cents Spartiates décident de rester sur place et de combattre jusqu’à la mort ("Des hauteurs, les sentinelles accoururent prévenir [les Grecs] aux premières lueurs du jour. Alors les Grecs tinrent conseil, et leurs avis différèrent, les uns refusant tout abandon de poste, les autres étant de l’avis opposé. Ils se séparèrent donc, les uns se retirèrent et retournèrent dans leur pays, les autres avec Léonidas Ier se déclarèrent prêts à rester sur place", Hérodote, Histoire VII.219). Il est accompagné par le régiment béotien de Thébains et de Thespiens. Hérodote prétend que Léonidas Ier oblige les Thébains à rester près de lui comme otages, pour dissuader leurs compatriotes restés à Thèbes de se ranger derrière Xerxès Ier ("Seuls les Thespiens et les Thébains restèrent aux côtés des Spartiates, les Thébains contre leur gré car Léonidas Ier les garda par la force en guise d’otages, les Thespiens de leur plein gré", Hérodote, Histoire VII.222), et il ajoute que ces Thébains trahissent en se rendant aux Perses dès que l’occasion se présente ("[Les Thébains] s’écartèrent de Léonidas Ier et des Grecs au moment où ceux-ci se repliaient en hâte sur leur butte, et ils s’approchèrent des barbares en leur tendant les mains et en protestant qu’ils étaient du côté des Perses et qu’ils avaient été parmi les premiers à céder au Grand Roi la terre et l’eau, qu’ils étaient venus par force aux Thermopyles et n’étaient pour rien dans l’échec qu’il avait essuyé. Ces paroles leur valurent la vie sauve", Hérodote, Histoire VII.233), mais selon Diodore de Sicile ces Thébains présents aux Thermopyles sont au contraire des opposants politiques aux hommes qui gouvernent à Thèbes ("A ces troupes vinrent se réunir quatre cents Thébains du parti favorable aux Grecs, car les habitants de Thèbes n’étaient pas d’accord entre eux sur une alliance avec les Perses", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.4), autrement dit ce sont des partisans de la résistance à l’invasion perse, qui n’ont rien à perdre puisqu’ils ne sont plus les bienvenus dans leur propre patrie où les chefs sont déjà occupés à dérouler le tapis rouge pour accueillir Xerxès Ier, et qui ont même tout à gagner à mourir contre les Perses aux côtés des Spartiates car cela montrera au Grand Roi que tous les Thébains ne partagent pas la politique de soumission des responsables politiques thébains, qui en conséquence obtiendront de lui beaucoup moins que ce qu’ils espèrent. Entre ces deux versions, nous l’avons vu plus haut quand nous avons raconté le raid contre Sardes en -494, Plutarque, qui est un Béotien de Chéronée, penche naturellement vers celle de Diodore de Sicile, et dans son livre Sur la malignité d’Hérodote il condamne même Hérodote pour ce passage qui affaiblit l’héroïsme et l’intégrité d’une partie de ses compatriotes : dans un long paragraphe de ce livre, il souligne avec brio à quel point l’affirmation d’Hérodote sur la prétendue traîtrise de ces Thébains n’a pas de sens ("Après avoir dit que Léonidas Ier, voyant que les alliés manquaient de courage et craignaient le danger, leur ordonna de se retirer, [Hérodote] ajoute presque aussitôt qu’il retint les Thébains malgré eux [Hérodote, Histoire VII.222]. Mais n’est-ce pas plus vraisemblable que s’il avait soupçonné les Thébains de favoriser les Perses, il les aurait congédiés même s’ils avaient voulu rester ? Il n’a pas retenu ceux qui manquaient de courage : pourquoi aurait-il retenu parmi ses combattants des gens dont la fidélité lui était suspecte ? Peut-on imaginer qu’un roi de Sparte, un stratège de la Grèce, soit privé de raison au point de retenir comme otages quatre cents hommes armés tandis que lui-même n’en a que trois cents et que les ennemis sont prêts à l’attaquer en tête et en queue ? En supposant même que Léonidas Ier les eût menés à sa suite pour lui servir d’otages dans un premier temps, il est très vraisemblable que dans la dernière extrémité ils se seraient retirés sans s’embarrasser de la défense de Léonidas Ier, ou que Léonidas Ier lui-même eût davantage craint de se voir enveloppé par les Thébains que par les barbares. Par ailleurs, n’est-il pas ridicule de penser que Léonidas Ier, voyant sa mort certaine, puisse ordonner aux autres Grecs de se retirer, et de défendre aux Thébains d’agir de même afin de les conserver aux Grecs ? S’il les considérait comme des otages ou comme des esclaves, il ne devait pas les retenir parmi ceux qui se destinaient à la mort, mais les remettre entre les mains des Grecs qui se retiraient. On dira qu’il avait un autre motif : celui de les faire périr avec lui. Mais Hérodote lui-même va à l’encontre de cette hypothèse en prêtant à Léonidas Ier une autre ambition : “Léonidas Ier, dit-il, réflechissant sur cet oracle, et voulant assurer aux Spartiates toute la gloire de ce combat, renvoya les autres Grecs pour ce seul motif, et non pas parce qu’ils étaient d’un avis différent du sien” [Hérodote, Histoire VII.220]. C’eût été le comble de la folie que de retenir des ennemis pour leur faire partager une gloire dont il privait ses alliés. Au reste, les faits mêmes prouvent que Léonidas Ier, loin de suspecter les Thébains, les regarda toujours comme des alliés fidèles, car il traversa avec son armée la cité de Thèbes, qui lui accorda de passer la nuit dans le temple d’Héraclès, faveur que personne avant lui n’avait obtenue", Plutarque, Sur la malignité d’Hérodote). Les Perses lancent l’assaut final, Léonidas Ier et ses hommes périssent après avoir chèrement défendu leur vie ("Xerxès Ier et les barbares attaquèrent. Les Grecs conduits par Léonidas Ier, en route pour la mort, s’avancèrent beaucoup plus à découvert que lors des précédentes rencontres, durant lesquels ils s’étaient contentés de garder le mur qui leur servait de rempart et de combattre en restant dans le défilé : ce jour-là ils sortirent du passage pour s’engager pleinement dans la mêlée. Les barbares tombèrent en masse, poussés vers l’avant par leurs chefs qui les fouettaient à l’arrière. Beaucoup d’entre eux furent précipités à la mer, d’autres plus nombreux encore se piétinèrent vivants et s’écrasèrent mutuellement, sans se soucier de qui tombait. Les Grecs qui savaient leur mort toute proche par les Perses qui tournaient la montagne, firent appel à toute leur valeur contre les barbares et prodiguèrent leur vie avec fureur. Leurs lances furent bientôt presque toutes brisées, ils continuèrent donc à massacrer les Perses avec leurs épées. Léonidas Ier tomba en héros dans cette action, et d’autres Spartiates illustres avec lui", Hérodote, Histoire VII.223-224), et cet acte alimentera par la suite un nombre incalculable de récits, de peintures, de films, jusqu’à aujourd’hui (qui élèveront jusqu’à la légende les propos vrais ou faux des combattants avant de mourir : "Ce prince [Xerxès Ier] lui ayant mandé de lui envoyer ses armes : “Viens les prendre !”, lui répondit Léonidas Ier", Plutarque, Apophtegmes des Spartiates ; "Lorsque les Perses furent entrés dans la Grèce au nombre de cinq cent mille hommes, les Spartiates envoyèrent Léonidas Ier aux Thermopyles avec trois cents soldats. Ceux-ci prenaient leur repas, lorsque les barbares parurent pour les attaquer. Léonidas Ier leur dit alors : “Ce soir, nous dînons chez Hadès [le gardien des morts]”, et les mena ensuite contre les barbares, qu’ils chargèrent avec vigueur", Plutarque, Parallèles d’histoires grecques et romaines 8 ; "Les Grecs, préférant la gloire au salut dont ils désespéraient, prièrent d’une commune voix leur chef de les mener à l’ennemi avant qu’il eût achevé de les envelopper. Content du zèle de ses soldats, Léonidas Ier leur ordonna de déjeuner en ajoutant qu’ils dîneraient chez Hadès, lui-même se nourrit afin de pouvoir supporter longtemps les fatigues du combat. Dès que les soldats eurent pris des forces et furent tous prêts à combattre, Léonidas Ier leur commanda de pénétrer dans le camp des Perses en renversant les ennemis devant eux et de se porter rapidement jusqu’à la tente du Grand Roi", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.9). Sur le lieu de la bataille une célèbre inscription rappellera plus tard l’héroïsme de ces combattants ("Les morts furent ensevelis à l’endroit même où ils avaient péri, avec les soldats tombés avant le départ des coalisés renvoyés par Léonidas Ier. Sur leur tombe une inscription porte ces mots : “Ici quatre mille hommes Péloponnésiens ont lutté jadis contre trois millions d’hommes”. Cette inscription qui honore tous les morts existe au côté d’une autre épitaphe dédiée spécifiquement aux Spartiates : “Etranger, va dire à Sparte que ceux qui reposent ici sont tombés selon sa loi”", Hérodote, Histoire VII.228 ; "On peut voir aujourd’hui encore la sépulture commune, le polyandrion ["polu£ndrion/tombe commune, où reposent beaucoup/polÚ d’hommes/¢ndrÒj"] de ces héros, avec les stèles commémoratives et la fameuse inscription gravée sur la stèle des Spartiates : “Etranger, va dire à Sparte que ceux qui reposent ici sont tombés selon sa loi”", Strabon, Géographie, IX, 4.16), qui inspirera le poète Simonide de Kéos ("L’action de ces Spartiates étonna les barbares et excita l’émulation parmi les Grecs. Les historiens et les poètes ont raconté leur gloire immortelle. Simonide le poète lyrique leur rend un digne hommage dans l’éloge qu’il leur a consacré : “Qu’il est glorieux, le sort de ceux qui sont morts aux Thermopyles ! Quel beau destin ! Leur tombe est un autel. Au lieu de larmes, ils ont reçu une mémoire immortelle. Leur mort est leur panégyrique. Ni la poussière ni le temps destructeur ne flétrira le drap mortuaire qui recouvre ces braves. L’enceinte sacrée où ils reposent renferme la gloire de la Grèce. Voilà ce qu’atteste Léonidas Ier, roi de Sparte, qui a laissé le plus beau monument de la vertu, une gloire éternelle”", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.11).


La mort de Léonidas Ier aux Thermopyles cause un vide politique du côté spartiate : le roi eurypontide Léotychidès II ne semble pas avoir la confiance de sa noblesse puisqu’il n’exercera pas de commandement avant l’année suivante devant Mycale (c’est toujours Eurybiade, manipulé par Thémistocle, qui dirige la flotte alliée après la mort de Léonidas Ier), et l’héritier agiade, Pleistarchos fils de Léonidas Ier, n’étant qu’un jeune garçon, c’est son tuteur Cléombrote fils d’Anaxandride II (ce Cléombrote est le frère de Cléomène Ier mort fou et de Léonidas Ier qui vient de succomber contre les Perses aux Thermopyles) qui exerce la régence en attendant sa majorité. C’est sans doute parce qu’il constate ce vide politique que Démarate, ex-roi spartiate eurypontide toujours au côté de Xerxès Ier depuis le passage de l’Hellespont par les Perses, propose à ce dernier de lancer une partie de sa flotte directement vers la Laconie, pour y débarquer et conquérir la cité de Sparte avant qu’elle se resaisisse, à l’évidence parce qu’il espère ainsi y recouvrer son ancien titre de roi et jouer à nouveau un rôle dans les affaires grecques ("Démarate dit [à Xerxès Ier] : “Seigneur, puisque tu tiens si fort à mes conseils, il est juste que je t’indique le parti le meilleur. Tu devrais envoyer trois cents navires de ta flotte sur les côtes de la Laconie. Il existe dans ces parages une île nommée “Cythère” dont Chilon le plus sage de nos compatrites a dit que “l’intérêt des Spartiates serait qu’elle fût au fond de la mer plutôt qu’à la surface” car il s’attendait toujours à la voir utilisée justement pour l’opération que je te propose […] : que tes hommes, à partir de cette île, tourmentent les Spartiates, et alors ils ne risqueront pas d’aller au secours du reste de la Grèce quand tes forces terrestres l’attaqueront, car ils craindront pour leur foyers. Ainsi, quand le reste de la Grèce aura passé entre tes mains, la Laconie seule restera, trop faible pour résister. Si tu n’appliques pas mon plan, tous les Péloponnésiens se ligueront contre toi dans l’isthme étroit qui donne accès au Péloponnèse, tu devras donc livrer des nouvelles batailles, beaucoup plus rudes que celles d’hier ; si tu l’appliques en revanche, il n’y aura pas de bataille, et l’isthme et toutes les cités tomberont en ton pouvoir”", Hérodote, Histoire VII.235). Heureusement pour les Spartiates, Xerxès Ier refuse d’appliquer le plan de Démarate (qui aurait peut-être changé le cours de la guerre aussi fortement que si, au moment de la bataille de Dunkerque fin mai 1940, Hitler avait ordonné à la flotte allemande de se diriger vers l’embouchure de la Tamise pour y débarquer des troupes et prendre le contrôle de Londres, au lieu d’ordonner à ces mêmes troupes de stopper leur avance et de se diriger ensuite vers la Somme et le sud de la France en laissant la flotte allemande à quai) car son frère Achéménès (satrape d’Egypte et à ce titre commandant de l’escadre égyptienne) lui fait remarquer avec raison que la flotte perse a été grandement affaiblie par la tempête au cap Artémision et que la diviser en lançant ainsi une partie vers la Laconie signifie prendre le risque de l’affaiblir davantage face à la flotte athénienne qui de son côté est intacte et unie ("Achéménès, présent à l’entretien, craignait de voir Xerxès Ier adopter ce projet. Il lui dit : “Seigneur, je te vois prêter l’oreille aux propos d’un homme qui est jaloux de tes succès et peut-être même qui veut trahir ta cause […]. Dans notre position, si tu ôtes trois cents navires à ta flotte, qui en a déjà perdu quatre cents dans la tempête, pour les envoyer sur les côtes du Péloponnèse, tes adversaires deviendront aussi forts que toi, tandis que si elle reste rassemblée notre flotte sera invincible face à la leur au point qu’ils ne tenteront pas de résister”", Hérodote, Histoire VII.236). A cause de cette carence temporaire d’autorité spartiate, Thémistocle paraît soudain le seul chef crédible à la tête des coalisés, même si peu de Grecs, et même peu de ses compatriotes athéniens, partagent son projet d’abandon d’Athènes et de combat maritime. Sentant que beaucoup de Grecs hésitent à rester dans la coalition panhellénique et sont tentés de passer du côté perse, Thémistocle impose un serment solennel qui engage clairement chacune des cités grecques et les met face à ses responsabilités : avec nous ou contre nous ("Contre les peuples passés du côté de l’ennemi, c’est-à-dire les Thessaliens, les Dolopes, les Enianes, les Perrhèbes, les Locriens, les Magnètes, les Maliens, les Achéens de Phthiotide, les Thébains et les autres Béotiens à l’exception de ceux de Thespies et de Platées, les Grecs décidés à résister au barbare prononcèrent un serment dont voici les termes : “Tous les peuples grecs qui se sont livrés au Perse sans y avoir été contraints devront, quand la Grèce aura triomphé, le dixième de tous leurs biens au dieu [Apollon] de Delphes”", Hérodote, Histoire VII.132)


Xerxès Ier, qui a pourtant refusé d’envoyer une partie de sa flotte vers la Laconie comme lui a proposé Démarate, décide malgré tout de diviser sa flotte pour tenter un encerclement de l’adversaire : tandis qu’une partie de ses navires resteront face au cap Artémision pour s’assurer que les Grecs ne bougent pas, une escadre de deux cents navires contournera l’île d’Eubée par le sud pour remonter vers le détroit de l’Euripe et les prendre à revers ("Sur l’ensemble de la flotte, [les Perses] choisirent deux cents navires qu’ils firent passer au-delà de l’île de Skiathos, pour contourner ensuite l’île d’Eubée sans que l’ennemi les aperçut, passer davant le cap Capharée, doubler le cap Géreste et entrer dans l’Euripe, dans le but de prendre les Grecs à revers et leur fermer toute retraite, tandis qu’eux-mêmes les attaqueraient de front et leur donneraient la chasse", Hérodote, Histoire VIII.7). Ce choix est très risqué, et il nous semble incompréhensible, car les Perses connaissent la grande longueur de l’île d’Eubée (Démarate est là pour la leur rappeler, et eux-mêmes ont pu la constater lorsqu’ils y ont débarqué en -490), et ils ont découvert à leur dépend l’existence de l’Hellespontien, ce vent du nord-est qui a fracassé une partie de leur flotte, et qui menace à nouveau de fracasser ces deux cents navires contre les côtes de l’Eubée : Xerxès Ier en prenant cette décision espère-t-il reproduire sur mer la manœuvre qui vient de lui apporter sur terre la victoire aux Thermopyles ? Mystère. Malheureusement pour lui, Skyllis le nageur de Skioné précédemment cité révèle son projet aux Grecs ("[Les Perses] avaient dans leur camp Skyllis de Skioné, le meilleur plongeur de son temps […]. Cet homme projetait depuis longtemps de passer du côté des Grecs, sans en avoir encore trouvé l’occasion. Je ne sais pas comment il s’arrangea pour y parvenir, et je me demande si le récit qu’on rapporte est bien exact : il aurait, dit-on, plongé dans la mer au niveau des Aphètes et n’aurait émergé qu’en touchant le cap Artémision, après avoir parcouru sous l’eau environ quatre-vingt stades. On lui prête beaucoup d’exploits qui semblent purement imaginaires à côté d’autres qui sont réels : pour ma part, je pense que c’est en barque qu’il gagna l’Artémision. Sitôt arrivé, il renseigna les chefs des Grecs sur l’étendue du désastre de la flotte perse, et sur les navires en route pour contourner l’Eubée", Hérodote, Histoire VIII.8). Ceux-ci, toujours commandés par le Spartiate Eurybiade influencé par Thémistocle, prennent le parti d’attaquer la flotte perse restée sur place dès l’après-midi, pour la prendre de court ("Ils lancèrent une offensive vers la fin de l’après-midi, en s’avançant en mer pour tâter la valeur des barbares au combat et dans les manœuvres", Hérodote, Histoire VIII.9). L’effet espéré se produit : les Perses, qui n’avaient pas envisagé l’éventualité d’une offensive grecque, sont obligés d’improviser une défense ("Quand les soldats de Xerxès Ier et leurs chefs virent approcher [les Grecs] avec si peu de navires, ils les crurent complètement fous. Ils s’avancèrent en mer à leur tour, en espérant naturellement les capturer sans peine puisque leurs navires étaient plus nombreux et plus rapides que ceux de leur adversaire", Hérodote, Histoire VIII.10). La journée s’achève sans résultat, chacun retourne à son poste de départ ("Le combat naval se prolongea sans résultat décisif, jusqu’au moment où la nuit l’arrêta. Les Grecs ramenèrent leurs navires au cap Artémision, et les barbares regagnèrent les Aphètes au sortir de cette bataille dont le résultat fut très différent de ce qu’ils attendaient", Hérodote, Histoire VIII.11). Et voilà que le vent reprend : l’Hellespontien bouscule à nouveau les navires perses, se mue en tempête ("Quand la nuit fut venue, bien que ce fût le milieu de l’été, la pluie se mit à tomber en torrents, jusqu’au matin, avec de violents coups de tonnerre du côté du mont Pélion. Les cadavres et les épaves, entraînés vers les Aphètes, allèrent s’entasser devant les proues des navires et bloquer leurs rames", Hérodote, Histoire VIII.12). L’escadre de deux cents navires que Xerxès Ier a négligemment envoyée vers le sud de l’Eubée pour prendre les Grecs à revers, est fracassée, disloquée, anéantie ("La nuit fut bien plus terrible encore pour les équipages devant coutourner l’Eubée, qui survint alors qu’ils étaient en mer. Elle se termina pour eux en désastre. La tempête et la pluie les surprirent en cours de route, à la hauteur des Koila ["Ko‹la/les Cavités", vallées encaissées des côtes sud-ouest de l’île d’Eubée, non précisément localisées] : le vent les emporta sans qu’ils sussent où ils allaient et les jeta sur les récifs", Hérodote, Histoire VIII.13). Le matin, apprenant la fin de cette escadre, les Grecs jubilent, ils se précipitent à nouveau au combat pour déstabiliser un peu plus les Perses, ils réussisent à couler les navires ciliciens présents aux côtés des navires perses, puis reviennent le soir sur leur position au large du cap Artémision ("L’annonce de la disparition dans la tempête de tous les navires barbares qui tournaient l’Eubée ranima leur courage : à la même heure que la veille, la flotte grecque prit la mer et se jeta sur des navires de Cilicie, qu’elle détruisit. Puis, la nuit tombant, elle regagna l’Artémision", Hérodote, Histoire VIII.14).


Cette situation qui tourne en ridicule la prétendue supériorité perse, devient insupportable pour l’envahisseur, qui décide une offensive générale le lendemain ("Le troisième jour, les chefs des barbares s’indignèrent d’être ainsi malmenés par si peu de navires. Redoutant la colère de Xerxès Ier, ils ne laissèrent plus aux Grecs l’initiative des opérations : ils se préparèrent à l’action et, vers le milieu du jour, ils déployèrent leur flotte", Hérodote, Histoire VIII.15). Une nouvelle bataille s’engage, mais comme les précédentes elle s’achève à la fin de la journée sans résultat décisif, car paradoxalement les navires perses sont trop nombreux par rapport aux navires grecs, et dans les attaques ils se gênent mutuellement et se cognent entre eux ("Les barbares déployèrent leurs navires en croissant et tentèrent de refermer leurs lignes et d’encercler la flotte grecque. A ce moment les Grecs firent avancer leurs navires, et la bataille s’engagea. Ce jour-là, les adversaires se battirent à égalité ou presque : la flotte de Xerxès Ier était gênée par sa propre importance, par le nombre immense de ses navires qui s’embarrassaient mutuellement et s’entre-choquaient. Elle résista cependant et ne plia pas sous le choc, car les Perses jugeaient inadmissible de prendre la fuite devant si peu d’ennemis. Les Grecs subirent de lourdes pertes en navires et en hommes, mais celles des barabares furent encore bien plus lourdes. Le combat se poursuivit ainsi, puis les adversaires se retirèrent sur leurs positions", Hérodote, Histoire VIII.16) : Thémistocle à cette occasion constate que le nombre peut devenir une faiblesse, il s’en souviendra bientôt dans l’étroit détroit de Salamine. Pour l’anecdote, un Athénien se distingue dans cette dernière bataille : Clinias, père d’Alcibiade qui restera dans les mémoires comme le promotteur de la désastreuse expédition contre la Sicile en -415 ("Du côté des Grecs, les Athéniens se distinguèrent ce jour-là, en particulier Clinias fils d’Alcibiade [l’Ancien], engagé dans la guerre à ses frais sur un navire qui lui appartenait, à la tête d’un équipage de deux cents hommes", Hérodote, Histoire VIII.17). Le tragédien Eschyle, vétéran de la bataille de Marathon, y participe également selon Pausanias ("Le poète Eschyle, se voyant près de sa fin, ne voulut rappeler dans son épitaphe, ni les poésies lui ayant acquis tant de réputation, ni les combats de l’Artémision et de Salamine où il s’était distingué. Il se contenta d’y inscrire son nom, celui de sa patrie, et d’ajouter qu’il avait pour témoins de sa valeur le bois sacré de Marathon et les Perses qui y débarquèrent", Pausanias, Description de la Grèce, I, 14.5).


Les Grecs n’ont pas été battus, et leur flotte même affaiblie reste opérationnelle. Mais les Perses se ressaisissent, et la nouvelle de l’anéantissement des Spartiates aux Thermopyles leur arrive, alors ils décident prudemment de se replier vers le sud ("L’Athénien Abronichos fils de Lysiclès se tenait prêt à partir sur un navire à trente rames pour annoncer aux Grecs de l’Artémision tout accident survenant aux forces terrestres conduites par Léonidas Ier, ce qu’il fit quand celles-ci furent écrasées. Sitôt informés, les Grecs s’en allèrent sans tarder davantage, dans leur ordre de mouillage, les Corinthiens en première ligne et les Athéniens fermant la marche", Hérodote, Histoire VIII.21). Thémistocle, devinant que les envahisseurs débarqueront sur l’île d’Eubée pour se ravitailler avant de reprendre leur avance, ordonne de tout détruire avant de partir ("Thémistocle ordonna [aux Grecs] d’abattre autant de bêtes qu’ils le voudraient sur les troupeaux des Eubéens, car à défaut de les prendre il fallait en priver du moins l’ennemi", Hérodote, Histoire VIII.19), et il fait graver un message à proximité de toutes les sources et fontaines destiné aux Grecs d’Ionie enrôlés de force dans l’armée perse, pour les inciter à se rebeller contre le Grand Roi ("Thémistocle passa par tous les points d’eau potable, où il fit graver sur la pierre des inscriptions à destination des Ioniens, qui les lurent le lendemain quand ils arrivèrent au cap Artémision. Les inscriptions portaient ces mots : “Ioniens, vous allez contre la justice en attaquant vos pères [on se souvient effectivement que les Grecs d’Ionie sont originellement des Mycéniens qui, fuyant les Doriens au début de l’ère des Ages obscurs, se sont réfugiés à Athènes, avant de partir vers la terre qui par la suite a été baptisée "Ionie"], en apportant l’esclavage à la Grèce. Rangez-vous de notre côté. Si cela vous est imporssible, tenez-vous dans l’inaction, ne vous approchez plus de nous, et demandez aux Cariens d’en faire autant. Si vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre, si la contrainte est si pesante que vous n’avez pas possibilité de vous échapper, renoncez volontairement à votre bravoure quand nous nous heurterons, souvenez-vous que vous êtes issus de nous, et premiers responsables de la haine qui nous oppose au barbare [allusion à la révolte de l’Ionie fomentée par Aristagoras le tyran de Milet vers -499, qui constitue l’origine immédiate du conflit entre Perses et Athéniens]”. Par ces mots gravés, Thémistocle visa, me semble-t-il, un double dessein : ou bien les Ioniens passeraient de son côté en taisant ces messages au Grand Roi, ou bien ils les lui rapporteraient, se rendant ainsi suspects de déloyauté et s’attirant les calomnies des autres contingents, de sorte qu’on les tiendrait à l’écart par la suite", Hérodote, Histoire VIII.22). Des informateurs annoncent à Xerxès Ier que les Grecs ont quitté la position qu’ils occupaient au large du cap Artémision. Le Grand Roi doute dans un premier temps, puis avance doucement ses navires, avant de constater qu’effectivement les Grecs sont partis ("Un homme d’Hestia vint en barque annoncer aux barbares que les Grecs avaient abandonné l’Artémision. Ils n’en crurent rien d’abord et le tinrent prisonnier tandis qu’ils envoyèrent des navires légers observer les lieux. Ces navires firent leur rapport, la flotte entière se rassembla alors et partit pour l’Artémision dès que le soleil parut", Hérodote, Histoire VIII.23). Il laisse éclater sa joie : il organise une grande mise en scène pour fêter sa victoire terrestre coûteuse contre les trois cents Spartiates de Léonidas Ier, et l’éloignement de la flotte grecque après une série d’initiatives maritimes aussi coûteuses. Mais cette mise en scène se retourne contre lui car elle est puérile dans sa forme et déplacée dans son fond, les soldats perses étant parfaitement conscients que les médiocres résultats obtenus aux Thermopyles et à l’Artémision ne garantissent pas la bonne issue de l’expédition ("Des hommes que [Xerxès Ier] avait perdus aux Thermopyles, vingt mille au moins, il en garda mille environ et fit creuser des fosses pour ensevelir le reste, des fosses qui furent ensuite comblées et recouvertes de feuilles pour que les soldats de l’armée navale ne les vissent pas. […] Descendus à terre, les hommes [de la flotte] se promenèrent au milieu des cadavres et les examinèrent, croyant que ceux-ci qui gisaient à leurs pieds étaient des Spartiates et des Thespiens tandis que ceux-là étaient leurs adversaires. Mais ils comprirent finalement ce que Xerxès Ier avait fait avec ses propres morts, notamment à cause du procédé risible qu’il avait employé d’aligner d’un côté mille cadavres sur le terrain et de l’autre côté d’entasser quatre mille corps au même endroit", Hérodote, Histoire VIII.25). Des messagers arcadiens achèvent de miner l’enthousiame des Perses, et en particulier l’enthousiasme de Tritantaichmès le fils d’Artaban, un des six commandants en chef qui entourent le Grand Roi, en leur révélant que si les Grecs étaient si peu nombreux aux Thermopyles, c’est parce qu’ils étaient plus occupés par la conquête d’honneurs aux soixante-quinzièmes Jeux olympiques qui avaient lieu alors, que par l’invasion perse ("Des Arcadiens déserteurs, dénués de toutes ressources et désireux de gagner leur vie, vinrent trouver Xerxès Ier. Les Perses les menèrent devant le Grand Roi, et leur demandèrent à quoi s’occupaient les Grecs […]. Les Arcadiens répondirent que les Grecs s’occupaient des Jeux d’Olympie, et assistaient aux concours gymiques et aux courses de chars. On leur demanda quel était l’enjeu de ces luttes : ils répondirent que le vainqueur gagnait une couronne d’olivier. Alors Tritantaichmès fils d’Artaban ne put contenir sa pensée : en entendant dire que les Grecs se disputait pour une couronne et non pas pour de l’argent, il s’exclama : “Ah, Mardonios, contre quels gens nous fais-tu marcher, qui luttent non pas pour la richesse mais pour la valeur !”, et le Grand Roi le traîta de lâche", Hérodote, Histoire VIII.26).


A Athènes, Thémistocle a proposé une amnistie générale ("Le plus grand de tous les mérites [de Thémistocle] est d’avoir mis un terme aux guerres entre Grecs et d’avoir réconcilié les cités entre elles en les convainquant de reporter à plus tard leurs différends, en raison de la guerre", Plutarque, Vie de Thémistocle 6 ; "Sous l’archontat d’Hypsichidès [de juillet -481 à juin -480], les Athéniens rappelèrent tous ceux qui avaient été frappés d’ostracisme à cause de l’expédition de Xerxès Ier", Aristote, Constitution d’Athènes 22). Pour accélérer les choses, il effraie malignement ses partisans en leur assurant qu’Aristide serait prêt à se ranger du côté des Perses ; Aristide de son côté n’hésite pas à agir de façon à crédibiliser cette menace pour revenir plus rapidement à Athènes ("Constatant que ses concitoyens regrettaient Aristide, renversé par le parti de Thémistocle et ostracisé avant la guerre, et qu’ils craignaient que sous l’emprise de la colère celui-ci se rallie au barbare et ruine la position de la Grèce, Thémistocle proposa un décret autorisant ceux qui s’étaient momentanément exilés à revenir, à agir et à parler au mieux des intérêts de la Grèce, de concert avec les autres citoyens", Plutarque, Vie de Thémistocle 11). Finalement les deux hommes, avec une grande intelligence politique, réussissent à rassembler en un seul bloc leurs partisans respectifs : Aristide est amnistié et appelle les Athéniens à résister aux Perses au côté de Thémistocle ("Aristide et Thémistocle, animés d’une haine extrême, vivaient dans une division qui paraissait sans remède. Mais quand le Grand Roi des Perses fut passé dans la Grèce ils sortirent tous deux de la ville, et s’étant donné la main droite l’un à l’autre en ayant entrelacé leurs doigts ils s’écrièrent : “Mettons bas ici notre haine réciproque jusqu’à ce que nous ayons vaincu les Perses”. Ensuite, séparant les mains et les élevant comme pour précipiter quelque chose dans une fosse, qu’ils comblèrent, ils reprirent le chemin de la ville, et ils firent la guerre ensemble. Ce fut cette concorde des chefs qui fut la principale cause de la victoire que la Grèce remporta contre les barbares", Polyen, Stratagèmes I.31). Plutarque précise que cette amnistie devient effective au moment où Xerxès Ier s’engage sur le territoire thessalien ("Trois ans après, lorsque Xerxès Ier traversait la Thessalie et la Béotie pour entrer dans l’Attique, les Athéniens révoquèrent la loi d’exil portée contre Aristide, et firent un décret qui rappelait tous les bannis : ils craignaient surtout qu’Aristide, se joignant à leurs ennemis, corrompît un grand nombre de citoyens et les fît passer dans le parti des barbares", Plutarque, Vie d’Aristide 13).


La flotte perse reprend sa route vers le sud pour gagner l’Attique ("Les soldats de la flotte perse passèrent de Trachine à Hestia pour contempler le théâtre de la défaite spartiate. Ils s’arrêtèrent là trois jours, puis en trois autres jours gagnèrent Phalère en passant par l’Euripe", Hérodote, Histoire VIII.66). L’armée terrestre quant à elle entre en Doride ("Quittant la région de Trachine, l’armée envahit la Doride, une étroite langue de terre qui s’étend sur une largeur d’environ trente stades entre la Mèlide et la Phocide, qui s’appelait autrefois “Dryopide” et qui est le berceau des Doriens du Péloponnèse. La Doride ne fut pas ravagée par les barbares à leur passage car les habitants se rallièrent aux Perses", Hérodote, Histoire VIII.31), puis en Phocide désertée par ses habitants ("Après la Doride, ils entrèrent en Phocide, mais ne s’emparèrent pas des Phocidiens dont certains s’étaient retirés au sommet du Parnasse […], tandis que la plupart avaient demandé asile aux Locriens ozoles dans la cité d’Amphissa qui est au-dessus de la plaine de Crissa. Les barbares passèrent par toutes les régions de la Phocide car les Thessaliens [voisins et ennemis traditionnels des Phocidiens] y veillèrent. Sur leur passage ils brûlèrent et rasèrent tout, et ils livrèrent aux flammes les cités et les sanctuaires", Hérodote, Histoire VIII.32). Hérodote mentionne le départ vers le temple de Delphes d’un petit contingent perse dont il ne précise pas les intentions. Ce contingent a-t-il reçu l’ordre de Xerxès Ier de piller le temple ? ou simplement de le garder en attendant la fin de la guerre, en prévision du transport de ses trésors vers la Perse quand les dernières résistances grecques seront mâtées ? On peut aller jusqu’à se demander si ces hommes en route pour Delphes n’agissent pas de leur propre chef, car Hérodote indique bien que Xerxès Ier connaît les trésors de Delphes mais il ne dit pas que l’initiative de cette bifurcation vers Delphes relève de son intention ("Le second groupe marcha avec des guides vers le temple de Delphes en laissant le Parnasse à sa droite. […] Leur projet, en se détachant de l’armée pour prendre cette route, était d’aller piller le temple de Delphes et d’en présenter les trésors à Xerxès Ier, car le Grand Roi, dit-on, connaissait tous les objets qui se trouvaient dans ce temple, qui sont plus remarquables encore que ceux qu’il avait laissés dans sa propre demeure et dont beaucoup de gens lui parlaient toujours, il était particulièrement bien renseigné sur les offrandes qu’y avait envoyées Crésus fils d’Alyatte", Hérodote, Histoire VIII.35), et par ailleurs les oracles de la Pythie, qui est révérée par tous les Grecs, étant favorables aux Perses (comme celui adressé aux Athéniens, sur lequel nous reviendrons brièvement plus loin, qui leur dit que les Perses sont invincibles et que la seule manière de leur résister est d’encaisser les coups derrière une "muraille de bois" en attendant que l’envahisseur parte de lui-même) le Grand Roi n’a aucun intérêt à la dresser contre lui à cause d’un vulgaire larcin. Les Delphiens en tous cas sont paniqués et s’enfuient ("Les Delphiens firent passer les enfants et les femmes sur l’autre rive du golfe, en Achaïe, la majorité des hommes montèrent au sommet du Parnasse et déposèrent leurs biens dans les grottes de Korykos, les autres se retirèrent à Amphissa en Locride. Ainsi tous les Delphiens abandonnèrent leur cité, à l’exception de soixante d’entre eux et du prophète ["prof»thj", le prêtre chargé de collecter et d’interpréter les oracles de la Pythie]", Hérodote, Histoire VIII.36). Finalement l’entreprise échoue, selon Hérodote grâce à des événements miraculeux : un éclair provoquant un éboulement de terrain qui emporte les troupes d’invasion (Hérodote, Histoire VIII.37), l’intervention de deux guerriers d’une taille surhumaine qui talonnent et chassent les survivants (Hérodote, Histoire VIII.38). Que faut-il voir derrière ces prétendus miracles ? Certains membres de l’expédition ont-ils cédé à la convoitise, provoquant la colère des Delphiens qui, retrouvant leur courage, les auraient réduits à l’impuissance en les attaquant du haut du mont Parnasse où ils étaient majoritairement réfugiés ? C’est possible. Pendant que ce petit contingent est anéanti du côté de Delphes, le gros de l’armée perse se dirige vers Athènes, après avoir saccagé Thespies et Platées dont les soldats ont combattu aux Thermopyles avec Léonidas Ier ("Xerxès Ier et son armée traversèrent la Béotie, brûlèrent la cité de Thespies abandonnée par ses habitants qui s’étaient réfugiés dans le Péloponnèse, et celle de Platées dans les mêmes conditions. Ils arrivèrent en vue d’Athènes et dévastèrent toute la région", Hérodote, Histoire VIII.50). On note que si Xerxès Ier a traversé la Béotie sans ralentir, c’est parce que Alexandre Ier Philhellène le roi de Macédoine l’a assuré de l’inutilité de s’y attarder sous prétexte que les Béotiens sont entièrement dévoués à la cause perse : Xerxès Ier l’a cru, et l’a chargé d’occuper les cités béotiennes avec des troupes macédoniennes ("Des Macédoniens envoyés par Alexandre Ier Philhellène s’étaient répartis dans les cités béotiennes pour en assurer la protection, en garantissant à Xerxès Ier le dévouement des Béotiens à sa cause", Hérodote, Histoire VIII.34). A l’exception des Thespiens et des Platéens, les Béotiens grâce à l’intervention d’Alexandre Ier Philhellène sont donc temporairement épargnés de la présence et du pillage perse.


Thémistocle a stoppé la flotte grecque au large d’Athènes, entre l’emplacement du futur port du Pirée et l’île de Salamine ("La flotte grecque qui avait quitté le cap Artémision vint, à la demande des Athéniens, mouiller à Salamine", Hérodote, Histoire VIII.40). Cette flotte s’accroît de navires en provenance d’autres cités grecques dont Hérodote donne la longue liste aux paragraphes 43 à 47 du livre VIII de son Histoire, toujours sous commandement suprême du Spartiate Eurybiade manipulé par Thémistocle ("Les navires rassemblés à Salamine étaient bien plus nombreux qu’ils ne l’étaient au combat de l’Artémision, et venaient d’un plus grand nombre de cités. Le chef suprême était, de même qu’à l’Artémision, le Spartiate Eurybiade fils d’Euryclidès, qui n’appartenait pas à la famille royale. Les navires les plus nombreux et les meilleurs étaient de loin ceux des Athéniens", Hérodote, Histoire VIII.42).


Un débat s’engage à Athènes sur la tactique à adopter, suite aux informations en provenance de Béotie et de l’isthme de Corinthe : l’armée terrestre de Xerxès Ier est à la frontière de l’Attique, n’ayant pas été interrompue dans sa marche par les troupes péloponnésiennes conduites par Sparte qui ont reculé jusqu’aux portes du Péloponnèse pour s’y retrancher en laissant Athènes à la merci de l’envahisseur, et sa flotte est au large de Phalère ("Les circonstances poussèrent les Athéniens à tenir conseil : pensant que toutes les forces péloponnésiennes étaient installées solidement en Béotie, prêtes à recevoir le barbare, ils furent effectivement trompés dans leur attente en constatant que ce n’était pas le cas, et en apprenant que les mêmes Péloponnésiens s’occupaient à fermer l’isthme par un mur, soucieux par-dessus tout de sauver le Péloponnèse quitte à abandonner tout le reste", Hérodote, Histoire VIII.40). Les Athéniens sont contraints d’abandonner leur ville s’ils ne veulent pas être massacrés par les Perses qui apparaîtront bientôt à l’horizon. Pour achever de décider les récalcitrants, Thémistocle corrompt - avec les moyens financiers dont il dispose, dont les vingt-trois talents donnés par les Eubéens - les prêtres d’Athéna pour qu’ils incitent les Athéniens à renoncer à défendre leurs maisons et à s’embarquer sur leurs navires. Les Athéniens se laissent impressionner par les oracles et les signes interprétés par les prêtres corrompus par Thémistocle ("Les Athéniens disent qu’un grand serpent gardien de leur Acropole vit dans le temple [d’Erechtéion], ils sont tellement sûrs de son existence qu’ils lui apportent chaque mois une offrande rituelle consistant en un gâteau de miel. Or ce gâteau, qui d’ordinaire disparaissait toujours, ne fut pas touché. La prêtresse signala le fait. Les Athéniens en conclurent que la déesse [Athéna] avait quitté leur Acropole, ils s’empressèrent de quitter la cité à leur tour", Hérodote, Histoire VIII.41 ; "Thémistocle, ne parvenant pas à attirer à lui le peuple avec des raisonnements humains, essaya de lui opposer signes divins et oracles, comme une machine de théâtre : il présenta comme un signe le fait que le serpent semblait à ce moment n’être plus visible dans l’enclos sacré, les prêtres découvrirent intactes les offrandes qui lui sont quotidiennement déposées et proclamèrent que la déesse avait abandonné la cité en montrant au peuple le chemin de la mer, comme Thémistocle le leur avait demandé", Plutarque, Vie de Thémistocle 10). Thémistocle sait aussi habilement utiliser les oracles de la Pythie, qui inclinent pourtant du côté perse, pour imposer son projet ("La Pythie fit une seconde prédiction [aux Athéniens venus à Delphes la consulter, juste avant la guerre], que voici : “Non, Pallas [c’est-à-dire la déesse Athéna, et au-delà la cité d’Athènes qui est sa protégée] ne peut pas fléchir Zeus l’Olympien malgré ses nombreuses prières et ses sages conseils. Mais je peux te donner un conseil pareil à l’acier invincible : quand l’ennemi tiendra tout ce qu’enferment les frontières de Cécrops et les antres du Cithéron divin [c’est-à-dire l’Attique et la Béotie], Zeus à la voix immense invite la Tritonienne [c’est-à-dire Athéna, née près du lac Tritonis, aujourd’hui le chott el-Jerid en Tunisie] à se protéger avec ses enfants derrière une muraille de bois unique et inexpugnable. N’attends pas les cavaliers, n’attends pas les hordes en provenance du continent, ne te repose pas : tourne le dos et fuis. Un jour viendra où tu feras face”", Hérodote, Histoire VII.144 ; Thémistocle réussit à convaincre ses compatriotes que la "muraille de bois" évoquée par la Pythie dans cet oracle désigne la flotte de trières qu’il a fait construire depuis l’archontat de Nicodémos en -483/-482, et que les Athéniens doivent donc évacuer la cité pour se réfugier momentanément sur ces trières : "Un homme existait alors qui venait d’accéder au premier rang dans Athènes, nommé “Thémistocle fils de Néoclès”. Ce Thémistocle […] conseilla à ses concitoyens de se préparer à combattre sur leurs navires, qu’il identifiait à la “muraille de bois” de l’oracle. Les Athéniens adoptèrent son interprétation, qu’ils jugèrent plus préférable à celle des chresmologues [déchiffreurs d’oracles professionnels], car ceux-ci leur déconseillaient non seulement de ne pas livrer bataille sur mer, mais encore de ne pas tenter la moindre résistance et d’abandonner Athénes pour aller s’installer ailleurs", Hérodote, Histoire VII.143 ; "Les Athéniens cherchaient le sens d’un oracle qui disait : “Zeus qui voit de tous côtés donne une muraille de bois à Athéna”. La plupart des Athéniens pensaient que cela signifiait qu’il fallait fortifier l’Acropole. Mais Thémistocle soutint que le sens de l’oracle était qu’il fallait confier aux navires le salut de la cité, et que c’était là la “muraille de bois” que Zeus devait donner à la cité d’Athéna. On le crut, on arma les navires, on s’en servit à combattre les ennemis, et l’on emporta la victoire", Polyen, Stratagèmes, I, 30.1). Thémistocle peut ainsi appliquer le décret qui organise l’abandon de la ville : les hommes vont sur les navires, tandis que les femmes et enfants se réfugient à Trézène ("Ils firent proclamer par le héraut que tout citoyen devait mettre en sûreté ses enfants, sa famille et ses gens comme il le pourrait. Les Athéniens firent alors partir leurs famille majoritairement vers Trézène, et aussi vers Egine et Salamine", Hérodote, Histoire VIII.41 ; "[Thémistocle] rédigea un décret stipulant que la cité étant confiée à Athéna sa protectrice, tous les hommes en âge de service devaient embarquer sur les trières, et que chacun devait sauver comme il le pouvait enfants, femmes et esclaves. Le décret ratifié, l’immense majorité des Athéniens firent transporter enfants et femmes à Trézène, où les gens les accueillirent très généreusement, s’engageant par décret à les nourrir aux frais de l’Etat en donnant à chacun deux oboles, à laisser les enfants prendre des fruits partout et à payer pour eux le salaire des professeurs. C’est Nicagoras qui rédigea ce décret", Plutarque, Vie de Thémistocle 10). Aristote dit que l’Aréopage se charge de rémunérer ces hommes qui embarquent ("Après la guerre contre la Perse, l’Aréopage recouvra une influence et gouverna sur la cité, sans s’appuyer sur aucune décision régulière mais simplement grâce à son rôle lors de la bataille de Salamine. En effet, au moment où les stratèges désespéraient de la situation et incitaient chacun à se sauver lui-même, l’Aréopage s’était procuré suffisamment d’argent pour donner huit drachmes à chaque homme et pour inciter le peuple à monter sur les navires. C’est pour cette raison que les Athéniens par la suite s’inclinèrent devant son autorité", Aristote, Constitution d’Athènes 23), mais Kleidèmos, historien du VIème siècle av. J.-C., auteur d’une chronique sur l’Attique conservée à l’état fragmentaire, révèle que l’Aréopage aussi est influencé par Thémistocle (qui a dissimulé le casque en forme de Gorgone ornant la tête de la statue d’Athéna, et a simulé la découverte d’un trésor en pièces sonnantes, en réalité amassées par ses soins, pour faire croire que la déesse Athéna elle-même a offert son casque et l’a transformé en argent pour aider les Athéniens à vaincre : "Comme le trésor public était déficient à Athènes, c’est l’Aréopage qui, selon Aristote, fournit huit drachmes à chacun des engagés, contribuant ainsi très largement à emplir les trières. Mais selon Kleidèmos, c’est encore un stratagème de Thémistocle qui obtint ce résultat : alors que les Athéniens descendaient au Pirée, raconte cet auteur, la tête de la Gorgone disparut de la statue de la déesse [Athéna], Thémistocle feignit de la chercher en explorant partout, puis de découvrir une forte somme d’argent dans un bagage, qu’il mit sous les yeux du peuple et qui permit de ravitailler ceux qui embarquaient sur les navires, Plutarque, Vie de Thémistocle 10), ce qui est plausible puisque Thémistocle a été archonte en -493 et que les anciens archontes sont systématiquement intégrés à l’Aréopage après leur archontat selon Aristote (nous renvoyons ici au dernier alinéa de notre paragraphe introductif), autrement dit que Thémistocle a encore probablement corrompu ses collègues à l’Aréopage. Outre Aristide, Thémistocle obtient d’autres appuis d’importance. D’abord celui du fils de son ancien adversaire Miltiade : Cimon ("Thémistocle proposa aux Athéniens de quitter la ville, d’abandonner le pays, de s’embarquer pour se rendre devant Salamine et y combattre sur mer. Dans la consternation générale que causa un conseil si hardi, Cimon fut le premier qui, suivi de plusieurs de ses camarades, monta d’un air gai le long du Céramique vers l’Acropole, portant dans sa main un mors de bride qu’il allait consacrer à Athéna, voulant insinuer par là à ses concitoyens que, dans la conjoncture présente, Athènes n’avait plus besoin de cavaliers mais de marins. Après avoir fait son offrande, il prit un des boucliers qui étaient suspendus aux parois du temple, fit sa prière à la déesse, descendit ensuite au rivage, et le premier donna à ses concitoyens l’exemple de la confiance", Plutarque, Vie de Cimon 5). Ensuite celui de Xanthippos (qui se retrouve ainsi au côté de Cimon, le fils de Miltiade qu’il a ostracisé en -489 !), dont on ignore le degré d’engagement lors de la bataille de Salamine, mais dont on est sûr qu’il ne passe pas du côté perse puisque la tradition rapporte que son chien le suit fidèlement sur l’île de Salamine ("On doit mentionner le chien de Xanthippos le père de Périclès, qui, ne supportant pas de rester seul loin de son maître, se jeta à la mer, nagea le long de la trière et vint échouer à Salamine où, épuisé, il mourut aussitôt. On dit que le tombeau de ce chien a donné son nom au lieu-dit “Kynossèma” ["KunÒssÁma/Tombeau du chien"], que l’on montre encore aujourd’hui", Plutarque, Vie de Thémistocle 10 ; "Quand le peuple quitta la ville [d’Athènes] pour se retirer à Salamine, le vieux chien de Xanthippos suivit à la nage la trière de son maître et expira en arrivant. Xanthippos le fit enterrer sur le promontoire qu’on appelle encore aujourd’hui “Kynossèma”", Plutarque, Vie de Caton l’Ancien 5). Notons que cet événement est un traumatisme pour les Athéniens, qui dans leur très longue Histoire n’ont jamais abandonné leur ville, même à la fin de l’époque mycénienne quand elle a été pareillement menacée par les agissements des Doriens après leur mainmise sur le Péloponnèse.


Xerxès Ier entre dans Athènes. Il ne trouve personne, excepté un petit groupe d’Athéniens qui ont refusé de quitter l’Acropole ("[Les barbares] s’emparèrent de la cité qui était déserte, et n’y trouvèrent qu’un petit groupe d’Athéniens réfugiés dans le temple [d’Athéna] : c’étaient des intendants du temple et quelques pauvres gens qui s’étaient barricadés sur l’Acropole avec des planches et des poutres et tentèrent de résister à l’assaillant", Hérodote, Histoire VIII.51). Ce petit groupe résiste un temps, n’écoutant pas les appels à la reddition que leur lancent les Pisistratides présents aux côtés des troupes perses assiégeantes ("Les Perses prirent position sur la butte que les Athéniens appellent “Aréopage” située en face de l’Acropole, et pour assiéger le temple ils employèrent cette méthode : ils entouraient leurs flèches d’étoupe et les lançaient enflammées contre la barricade. Mais les assiégés tinrent bon, quoique leur situation fût désespérée […]. Ils n’écoutèrent pas les Pisistratides qui leur proposèrent de négocier un accord, et s’ingénièrent à résister par d’autres moyens, notamment en faisant rouler des blocs de pierre sur les barbares quand ils approchaient des portes", Hérodote, Histoire VIII.52). Enfin les Perses donnent l’assaut après avoir réussi à escalader le rocher qui borde la porte de l’Acropole ("Sur le devant de l’Acropole, en arrière des portes et de la rampe d’accès, en un point non surveillé et par où jamais un homme, pensait-on, ne pourrait monter, quelques soldats escaladèrent le rocher du côté du sanctuaire d’Aglaure fille de Cécrops, malgré les difficultés du terrain. Lorsque les Athéniens les virent sur l’Acropole, les uns se jetèrent du haut du rempart et se tuèrent, les autres se réfugièrent à l’intérieur du temple. Les Perses, entrés dans l’Acropole, s’occupèrent d’abord des portes de la citadelle et, après les avoir ouvertes aux leurs, ils massacrèrent les suppliants jusqu’au dernier", Hérodote, Histoire VIII.53). Xerxès Ier s’empresse d’envoyer un messager vers l’Asie pour annoncer à Artaban que l’expédition a atteint son but malgré ses craintes ("Maître d’Athènes tout entière, Xerxès Ier envoya un homme à cheval informer Artaban, à Suse, de son présent triomphe", Hérodote, Histoire VIII.54) : il ignore que son aventure européenne n’est pas terminée, et qu’elle finira bientôt en désastre. Le Grand Roi laisse ses hommes piller et incendier la ville ("[Les Perses] pillèrent le temple [d’Athéna] et incendièrent tout ce qui était sur l’Acropole", Hérodote, Histoire VIII.53). Il s’approprie la bibliothèque fondée jadis par Pisistrate ("Le tyran Pisistrate fut le premier, dit-on, qui fonda à Athènes une bibliothèque publique, après avoir réuni un assez grand nombre d’ouvrages littéraires et scientifiques. Par la suite, les Athéniens mirent tous leurs soins à augmenter cette bibliothèque. Mais Xerxès Ier, après s’être emparé d’Athènes et avoir réduit en cendres toute la ville à l’exception de l’Acropole, fit enlever tous les livres, qui furent par son ordre transportés en Perse", Aulu-Gèle, Nuits attiques VI.17). Il s’empare aussi de la statue des tyranoctones Harmodios et Aristogiton (dont nous avons raconté l’histoire à la fin de notre paragraphe introductif), qui restera en Perse jusqu’à Alexandre le Grand à la fin du siècle suivant (cette statue sera renvoyée à Athènes par Alexandre le Grand vers -324 selon Arrien ["Alexandre arriva [à Suse] le vingtième jour de marche. Il s’empara des trésors. L’argent seul montait à cinquante mille talents. Parmi les meubles de prix, on trouva plusieurs objets que Xerxès Ier avait enlevés à la Grèce, entre autres la statue de bronze d’Harmodios et Aristogiton ; Alexandre la renvoya aux Athéniens, on la voit encore aujourd’hui dans le Céramique, du côté où l’on monte vers la ville, vis-à-vis du Métroon ["Mhtrîon", temple dédié "à la Mère", c’est-à-dire la déesse Cybèle], près de l’autel des Eudanemiens qui s’élève dans le portique connu de tous les initiés aux Mystères d’Eleusis", Arrien, Anabase d’Alexandre, III, 16.7-8 ; "A son entrée dans Babylone [en -324, après son retour d’Inde], [Alexandre] reçut des députations grecques. On ignore leur motivation. Je pense qu’elles se bornaient à lui décerner des couronnes et des félicitations publiques sur son heureux retour de l’Inde. Il les renvoya comblées d’honneurs et d’égards, leur fit rendre les statues des dieux et des héros dérobées par Xerxès Ier et transportées à Pasargades, à Suse, à Babylone ou dans les autres cités de l’Asie. Ce fut ainsi qu’Athènes recouvra la statue de bronze d’Harmodios et d’Aristogiton, et celle d’Artémis Kelkeas ["Kelkšaj", signification inconnue]", Arrien, Anabase d’Alexandre, VII, 19.1-2], ou par Séleucos Ier au tournant des IVème et IIIème siècles av. J.-C. selon Valère Maxime ["Quand Xerxès Ier se fut rendu maître de la ville [d’Athènes, en -480], il fit transporter cette statue dans ses Etats. Longtemps après, Séleucos Ier la fit reporter à sa première place", Valère Maxime, Actes et paroles mémorables II.10, Exemples étrangers 1], ou par Antiochos Ier au IIIème siècle av. J.-C. selon Pausanias ["Xerxès Ier, ayant pris Athènes que ses habitants avaient abandonnée, emporta cette statue avec le reste du butin, mais Antiochos Ier la renvoya par la suite aux Athéniens", Pausanias, Description de la Grèce, I, 8.5]), et de l’Hydrophore, petite statuette qui sera installée à Sardes et que Thémistocle lors de son exil après -476 tentera de faire restituer à Athènes. Le Grand Roi justifie ce saccage d’Athènes comme une réponse légitime au saccage de Sardes par les Athéniens en -494 ("Le temple de Cybèle, déesse du pays, disparut dans l’incendie [de Sardes en -494] : les Perses se servirent plus tard de ce prétexte pour brûler à leur tour les temples de la Grèce", Hérodote, Histoire V.102).


Dans les deux camps, la chute d’Athènes suscite des interrogations.


Dans le camp grec, d’abord. Eurybiade demande à chacun de donner son avis : la majorité veut reculer jusqu’à l’isthme de Corinthe, puisque l’Attique tout entier semble désormais à la merci des Perses, et que leur prochaine étape sera forcément de s’emparer de l’isthme de Corinthe, passage obligé pour toute armée de terre désireuse d’entrer dans le Péloponnèse, qui se présente comme un goulot aussi facilement défendable que les Thermopyles (les partisans de ce projet estiment que si les Spartiates ont perdu aux Thermopyles, c’est parce qu’ils n’étaient que trois cents, si les Grecs rassemblent toutes leurs forces terrestres et maritimes à l’isthme de Corinthe en revanche ils ne pourront que gagner parce que son étroitesse empêchera les Perses de profiter de leur nombre : "Eurybiade autorisa chacun à dire en quel endroit il lui semblait opportun d’engager le combat naval, dans les régions qui leur appartenaient encore, Athènes désormais abandonnée étant exclue du nombre. Les opinions exprimées furent majoritairement d’accord pour que la flotte gagnât l’isthme et livrât bataille devant le Péloponnèse", Hérodote, Histoire VIII.49). La vision soudaine de la flotte perse surgissant à l’horizon du côté de Phalère confortent la position de cette majorité, dont certains des chefs sont déjà prêts à partir ("Les Grecs à Salamine furent si consternés par la nouvelle du sort de l’Acropole athénienne, que certains de leurs chefs n’attendirent même pas la conclusion des débats et se jetèrent dans leurs navires dont ils firent hisser les voiles pour fuir aussitôt, tandis que d’autres insistèrent à nouveau pour livrer bataille dans les eaux de l’isthme", Hérodote, Histoire VIII.56 ; "Quand la flotte ennemie, se portant vers Phalère en Attique, eut dissimulé les rivages alentour, quand on vit le Grand Roi en personne descendu au bord de mer avec sa puissante infanterie rassemblée en rangs serrés, les discours de Thémistocle s’effacèrent du souvenir des Grecs. Derechef les Péloponnésiens lorgnèrent du côté de l’isthme, écartant avec fureur tout autre suggestion : ils décidèrent de se replier la nuit suivante et donnèrent consigne aux pilotes de se préparer à lever l’ancre", Plutarque, Vie de Thémistocle 12). Selon Hérodote, Mnésiphilos de Phréarre, le vieux maître de Thémistocle, profite d’un instant de pause dans la discussion entre alliés pour encourager son ancien élève à convaincre les Grecs de se battre sans attendre davantage, car s’ils continuent à reculer ils ne seront bientôt plus unis et seront donc facilement vaincus ("Quand Thémistocle revint sur son navire, l’Athénien Mnésiphilos lui demanda les nouvelles. Informé par lui qu’on avait résolu de replier les navires vers l’isthme et de combattre devant le Péloponnèse, il lui dit : “Si les Grecs retirent leurs navires de Salamine, tu n’auras plus à lutter sur mer pour quelque patrie que ce soit, car chacun retournera dans sa cité et ni Eurybiade ni personne ne pourra les arrêter pour empêcher l’émiettement total de la flotte. Ce sera la perte de la Grèce, faute d’avoir su bien décider. Va donc essayer, si c’est possible, de changer leur décision, va voir si tu peux convaincre Eurybiade de changer d’avis et de ne pas bouger d’ici”", Hérodote, Histoire VIII.57). La discussion reprend, très tendue. Thémistocle commence par s’approprier la parole en oubliant qu’elle revient d’abord au commandant suprême Eurybiade : Adimanthe le chef de l’escadre corinthienne le coupe immédiatement, et Thémistocle lui répond sur le même ton ("Sitôt les chefs réunis, Thémistocle, sans attendre qu’Eurybiade leur eût indiqué le motif de leur convocation, se lança dans un long discours, en homme impatient de leur faire adopter son avis. Mais le Corinthien Adimante fils d’Ocytos interrompit son exposé : “Thémistocle, dit-il, dans les concours on frappe de baguettes ceux qui devance le départ !”. “Oui, répondit l’autre en guise d’excuse, mais on ne couronne pas ceux qui restent en arrière !”", Hérodote, Histoire VIII.59 ; selon Plutarque, ce n’est pas Adimante qui coupe Thémistocle, mais Eurybiade lui-même ; "Eurybiade lui dit : “Thémistocle, dans les concours, on frappe de baguettes ceux qui devancent le départ !”. “Oui, répondit-il, mais on ne couronne pas ceux qui restent en arrière !” Comme l’autre levait son bâton pour l’en frapper, Thémistocle dit : “Frappe, mais écoute”. Surpris de sa douceur, Eurybiade l’invita à parler, et Thémistocle le ramena ainsi au sujet", Plutarque, Vie de Thémistocle 11). Thémistocle reprend en avançant ses arguments, montrant aux alliés que même si sur terre ils peuvent éventuellement retarder l’avance perse comme Léonidas Ier aux Thermopyles, sur mer en revanche les Perses pourront se déployer et les vaincre rapidement, alors que s’ils combattent dans l’étroit détroit de Salamine, les Perses du fait de leur trop grand nombre seront obligés de combattre en se bousculant les uns contre les autres, comme encore aux Thermopyles, mais surtout comme au cap Artémision, ce qui réduira considérablement leur efficacité ("[Thémistocle] déclara : “Tu sauveras la Grèce aujourd’hui si tu livres bataille ici même suivant mon conseil, et si tu refuses d’écouter ceux-ci qui veulent replier la flotte vers l’isthme. Ecoute, et confronte nos avis. Si tu engages la bataille près de l’isthme, elle aura lieu en pleine mer, grave désavantage pour nos navires qui sont plus lourds et moins nombreux que ceux de l’ennemi, et tu perdras Salamine, Mégare et Egine même si nous vainquons ailleurs, les forces terrestres adverses avanceront en accord avec sa flotte et tu mettras ainsi toute la Grèce en danger. Si au contraire tu adoptes mon plan, comme nous livrerons bataille dans un espace restreint en opposant peu de navires à une flotte nombreuse, nous l’emporterons nettement en vertu de ce qui arrive d’habitude à la guerre : combattre à l’étroit nous sert, combattre au large sert nos ennemis. Salamine leur échappera, où nous avons mis à l’abri nos enfants et nos femmes. Ajoute enfin cette considération qui vous touche plus que tout : tu protégeras autant le Péloponnèse en livrant bataille ici qu’en allant combattre devant l’isthme, et tu ne dirigeras pas de façon irraisonné l’ennemi vers le Péloponnèse. Si tout se passe comme je le prévois et si nos navires l’emportent, les barbares n’iront pas vous attaquer à l’isthme et ils ne dépasseront pas l’Attique”", Hérodote, Histoire VIII.60). Le Corinthien Adimante intervient de nouveau, reprochant à Thémistocle de n’avoir pas voulu défendre sa propre cité Athènes et d’avoir ainsi accéléré l’avance des Perses, et par conséquent lui déniant le droit de donner des leçons à ceux qui veulent, contrairement à lui, se rapprocher de leur cité pour la défendre. Thémistocle en guise de réponse se contente de lui montrer l’escadre athénienne en ordre de bataille, pour lui signifier : "Nous n’avons vraiment pas la même définition du mot “patrie” : oui, les maisons athéniennes brûlent actuellement, mais les Athéniens eux sont toujours vivants, et ils portent en eux l’âme d’Athènes, et tant qu’ils vivront Athènes vivra. Si nous avons sacrifié nos maisons, ce n’est pas par lâcheté ni pour faciliter l’avance de l’ennemi, comme tu nous en accuses, c’est pour préserver notre flotte qui est votre seul espoir de vaincre les Perses sur mer : si nous étions restés dans nos maisons pour essayer d’empêcher les Perses de les investir et de les piller, nous aurions été vaincus très vite, tués ou réduits en esclavage, notre flotte aurait été capturée, et aujourd’hui nous ne serions pas à vos côtés pour vous aider à sauver le Péloponnèse. C’est pour vous, les Péloponnésiens, entre autres pour vous les Corinthiens, que nous avons sacrifié nos maisons, pour vous assister dans la défense des vôtres, parce que le mot “patrie” pour nous est synonyme de “Grèce tout entière”, tandis que pour toi, Adimante, le mot “patrie” ne s’étend pas plus loin que ta petite cité de Corinthe, tu ne veux pas défendre tous les Grecs comme nous, tu veux simplement défendre ton petit quartier, ta petite maison, tes petits meubles, et le service à vaisselle de ta grand-mère" ("Le Corinthien Adimante intervint encore, avec rage, sommant Thémistocle de se taire puisqu’il n’avait plus de patrie, interdisant à Eurybiade de mettre aux voix l’avis d’un homme sans feu ni lieu : “Si Thémistocle veut exprimer son opinion, qu’il nous dise d’abord la cité qu’il représente !”. Il l’injuria ainsi parce qu’Athènes venait d’être prise et était aux mains des barbares. Thémistocle cette fois lui répondit en termes sévères pour lui comme pour les Corinthiens, et montra clairement que les Athéniens garderaient une cité et un territoire plus importants que les leurs aussi longtemps qu’ils disposeraient de deux cents navires avec leurs équipages, car aucun peuple de Grèce ne tiendrait devant eux s’ils l’attaquaient", Hérodote, Histoire VIII.61). La réponse de Thémistocle est aussi une façon tacite de menacer les Péloponnésiens d’un changement de diplomatie de la part des Athéniens : les navires que ces derniers alignent contre les Perses, peuvent aisément se retourner contre les Péloponnésiens si ceux-ci refusent de les entendre. Eurybiade, bien conscient de cette menace, choisit de se rallier au plan de Thémistocle et de se préparer à combattre sur place ("Le discours de Thémistocle fit réfléchir Eurybiade, et surtout, à mon avis, la crainte qu’il eut de voir les Athéniens les abandonner s’il persistait dans un repli de la flotte sur l’isthme, car sans les Athéniens les alliés n’étaient plus en état de résister aux Perses. Il prit donc le parti de rester à Salamine et d’y livrer bataille", Hérodote, Histoire VIII.63 ; "Quelqu’un dit : “Un homme sans cité est mal placé pour apprendre à des gens qui en ont une à abandonner et à trahir la leur !”. Thémistocle rétorqua : “Oui, nous avons abandonné nos maisons et nos remparts, jugeant qu’il était indigne de nous laisser asservir au nom d’objets inanimés. Mais notre cité est encore la plus grande des cités grecques, et nos deux cents trières sont présentement toutes prêtes à vous porter secours pour autant que vous veuillez être sauvés grâce à elles. En revanche, si vous partez en nous trahissant une deuxième fois, tout Grec apprendra immédiatement que les Athéniens possèdent encore une cité libre et un territoire aussi grand que celui qu’ils ont perdu”. A ces mots de Thémistocle, Eurybiade se mit à réfléchir et à craindre que les Athéniens se retirent en les abandonnant", Plutarque, Vie de Thémistocle 11). Mais il ne donne aucun ordre.


Dans le camp perse, ensuite. A Phalère, Xerxès Ier ordonne à tous les chefs de son armée de donner leur avis sur la suite des opérations ("Xerxès Ier se rendit en personne auprès de sa flotte, désireux de prendre contact avec ses équipages et s’enquérir de leurs dispositions", Hérodote, Histoire VIII.67). Ceux-ci manifestent leur volonté de continuer à marcher contre les Grecs pour les anéantir totalement et définitivement ("Mardonios parcourut leurs rangs et les interrogea tous, en commençant par le Sidonien : tous furent du même avis et demandèrent qu’on livrât bataille sur mer", Hérodote, Histoire VIII.68). Seule Artémise, la tyranne d’Halicarnasse, rappelle au Grand Roi que non seulement les marins perses n’ont pas brillé au cap Artémision et qu’un nouveau combat naval risque fort de tourner à l’avantage des Grecs, mais surtout que le but de l’expédition était de punir les Athéniens de leur participation à la révolte ionienne en -494 : puisque Athènes est désormais en flammes, le but de l’expédition a été atteint, l’armée perse peut donc retourner en Perse la tête haute ("Mais Artémise lui adressa cette réponse : “[…] Maître, il est juste que je te donne ma véritable opinion, la meilleure que j’aie en tête pour servir tes intérêts. La voici donc : épargne tes navires, ne combats pas sur mer, car leurs marins sont plus forts que les tiens sur la mer, tout autant que les hommes l’emportent sur les femmes. D’ailleurs pourquoi vouloir à tout prix courir ce risque ? Ne possèdes-tu pas Athènes, qui était l’objet de ton expédition, et tout le reste de la Grèce ?”", Hérodote, Histoire VIII.68). Artémise enchaîne en disant que, si malgré tout Xerxès Ier veut absolument continuer à marcher contre les Grecs, il doit impérativement suivre le plan proposé par Démarate au lendemain de la victoire des Thermopyles, c’est-à-dire éviter un combat frontal avec les Grecs et foncer vers le Péloponnèse, car ainsi les Grecs restés en arrière, qui sont en grande partie des Péloponnésiens, seront naturellement tentés de se rendre pour porter secours à leurs proches envahis par les Perses ("Si, au lieu de te lancer en hâte dans un combat naval, tu gardes tes navires ici près de la côte à l’écart de l’ennemi pendant que ton armée avancera dans le Péloponnèse, tu obtientras sans peine, maître, ce que tu veux : les Grecs ne pourront pas tenir longtemps devant toi, tu les disperseras et ils s’enfuiront tous chez eux, car d’après mes informations ils n’ont pas d’approvisionnements dans cette presqu’île, et si tu diriges tes troupes vers le Péloponnèse il est inconcevable que les soldats originaires de ce pays n’en soient pas émus et n’en perdent pas toute envie de lutter sur mer devant Athènes. Si au contraire tu te lances immédiatement dans un combat naval, je crains pour tes forces terrestres les conséquences du malheur qui pourrait arriver à ta flotte", Hérodote, Histoire VIII.68). Mais Xerxès Ier, dont la bêtise paraît en la circonstance la meilleure alliée des Grecs, ne l’écoute pas, en témoignant une nouvelle fois de sa mégalomanie (après l’épisode du fouettage de l’Hellespont au moment du débarquement sur le continent européen) : il conclut que sa seule présence suffira pour galvaniser ses troupes et emporter la victoire définitive ("Xerxès Ier apprécia beaucoup l’avis d’Artémise dont il avait déjà reconnu la valeur et qu’il loua plus encore en cette occasion, mais il ordonna cependant de suivre l’avis de la majorité, estimant que sa flotte avait manqué d’ardeur sur la côte de l’Eubée parce qu’il n’était pas là, et garantissant s’être arrangé cette fois-ci pour assister au combat", Hérodote, Histoire VIII.69).


La flotte perse s’avance de Phalère à Salamine, pour se positionner face à la flotte grecque ("Les Perses conduisirent leurs navires devant Salamine, et les mirent en position à loisir", Hérodote, Histoire VIII.70). Du côté grec, le débat n’a toujours pas avancé : Thémistocle insiste pour lancer la bataille dès maintenant, les Péloponnésiens au contraire veulent se replier vers l’isthme, et au milieu Eurybiade n’a jamais été aussi transparent ("De leur côté, en apprenant le projet [des Perses de combattre à Salamine], les Grecs tremblèrent, davantage pour le Péloponnèse que pour leur propre salut [cette précision indique, si elle est vraie, qu’à ce moment les Péloponnésiens ne sont absolument sûrs que la flotte grecque peut vaincre contre la flotte perse, leur volonté de se replier vers le Péloponnèse ne signifie pas autre chose que : "Mourir pour mourir, plutôt mourir chez nous avec nos proches, qu’à Salamine avec nos ennemis grecs d’hier"]. Ils s’étaient contentés jusqu’alors de murmurer en tête-à-tête contre l’imprudente stratégie d’Eurybiade, mais l’opposition éclata finalement au grand jour : une nouvelle réunion eut lieu, et on reprit longuement les mêmes thèmes, les uns voulant se replier sur le Péloponnèse et tout risquer pour le défendre plutôt que s’attarder à combattre devant un pays déjà vaincu, les Athéniens, les Eginètes et les Mégariens au contraire voulant livrer bataille sur place [il est cocasse de constater qu’en cette circonstance, par un aléa de l’Histoire, Athéniens, Eginètes et Mégariens, ces trois ennemis du golfe Saronique, sont exceptionnellement d’accord entre eux…]", Hérodote, Histoire VIII.74). Thémistocle décide alors de précipiter les choses : puisque les Péloponnésiens ne veulent pas avancer contre les Perses et menacent à tout moment de quitter les lieux, il va pousser les Perses à avancer contre les Péloponnésiens pour les obliger à combattre. Il envoie un homme appelé "Sikinnos", d’origine obscure, prévenir l’ennemi que la flotte grecque est à sa portée car les Grecs sont sur le point de quitter les lieux, et que s’il les attaque il remportera une grande victoire. Les chefs perses s’empressent d’avancer leur navires pour commencer la bataille ("Voyant triompher l’avis des Péloponnésiens, Thémistocle quitta discrètement la salle du conseil et, une fois au dehors, fit partir dans une barque vers le camp des Perses un homme porteur d’un message particulier. Cet homme, qui s’appelait “Sikinnos” et qui était un serviteur de Thémistocle et le pédagogue de ses fils […], gagna en barque le camp des barbares et tint à leurs chefs ce langage : “Le chef des Athéniens m’envoie vers vous à l’insu des autres Grecs car il est dévoué au Grand Roi et souhaite votre succès plutôt que le leur, pour vous dire que les Grecs sont terrifiés et ont décidé de prendre la fuite. Il ne tient donc qu’à vous d’accomplir dès maintenant un exploit sensationnel en coupant leur retraite. Ils ne s’entendent pas, ils ne vous résisteront plus, et vous verrez la bataille s’engager en mer entre vos partisans et vos ennemis”. L’homme leur transmit ces renseignements et il s’éclipsa. Les barbares prirent ce message pour authentique : ils firent débarquer sur l’îlot de Psyttalie, entre Salamine et le continent, un fort contingent de Perses, puis au milieu de la nuit ils déployèrent en demi-cercle leur aile ouest en direction de Salamine, firent avancer leurs navires postés autour de Kéos [il ne peut pas s’agir de l’île de Kéos, située à plus de soixante kilomètres de Salamine : s’agit-il d’un surnom de l’îlot d’Atalante, voisin de celui de Psyttalie ?] et du promontaire de Kynosoura ["KunÒsoura/Queue de chien"] et fermèrent la passe jusqu’à Munichie", Hérodote, Histoire VIII.75-76). Selon Plutarque et Polyen, ce Sikinnos porteur du message aux Perses est un ancien prisonnier perse (de la bataille de Marathon ?), un eunuque converti à la culture grecque ("Supportant mal que les Grecs méprisent l’avantage de leur position dans le détroit [de Salamine] pour aller se disloquer cité par cité, Thémistocle médita et trama l’affaire de Sikinnos. Perse de naissance et prisonnier de guerre, ce Sikinnos avait des sympathies pour Thémistocle et il était devenu le précepteur de ses enfants. Thémistocle envoya secrètement cet homme vers Xerxès Ier en lui enjoignant de dire ceci : “Désireux de servir les intérêts du Grand Roi, le stratège des Athéniens Thémistocle est le premier à lui annoncer que les Grecs essaient de s’échapper. Il le prie instamment de ne pas les laisser fuir, et de profiter qu’ils sont désorganisés et sans infanterie pour les attaquer et anéantir leurs forces navales”. Xerxès Ier crut que ce discours était dicté par la sympathie, il s’en réjouit et ordonna aussitôt aux commandants de sa flotte de faire tranquillement le plein des équipages et de gagner le large avec deux cents trières pour encercler le détroit et ceinturer les îles de sorte qu’aucun ennemi s’en échappât. Ce qui fut fait", Plutarque, Vie de Thémistocle 12 ; "Thémistocle tenait Salamine bloquée par mer. Les Grecs étaient d’avis de se retirer, mais Thémistocle voulait que le combat eût lieu là où la mer est très resserrée. Comme on ne se rendait pas à ses raisons, il fit partir de nuit et secrètement l’eunuque Sikinnos, précepteur de ses deux fils, vers le Grand Roi des Perses pour lui dire comme en confidence que les Grecs se disposaient à s’enfuir et que l’occasion était favorable pour attaquer leur flotte. Le Grand Roi le crut, et attaqua à la légère les Grecs dans le détroit. La disposition du lieu contraignit les Grecs à tenir leurs navires serrés les uns près des autres, et la sagesse de leur stratège leur procura la victoire malgré eux", Polyen, Stratagèmes, I, 30.2). Le stratagème employé par Thémistocle, qui simule la faiblesse à l’ennemi pour mieux l’avancer où il le veut, évoque celui employé par Napoléon Ier face au stupide prince Dolgorouki juste avant la bataille d’Austerlitz en 1805 (on se souvient que lors de la conversation entre les deux hommes le 30 novembre 1805, Napoléon Ier s’est délibérément avancé en contrebas pour permettre à son interlocuteur de voir les armées françaises quitter le plateau de Pratzen, et inciter ainsi les Autrichiens et les Russes à occuper ce plateau pour mieux les encercler deux jours plus tard), il est très possible qu’il soit historique. Mais il n’est pas déterminant, car avant que ce Sikinnos se présente aux chefs perses, Xerxès Ier avait déjà donné des ordres pour attaquer, et les navires perses se préparaient déjà au combat. Arrive alors Aristide, en provenance de l’île d’Egine. Qu’est allé faire Aristide à l’île d’Egine ? Mystère. Pour gagner Salamine, Aristide a dû se faufiler durant la nuit entre les navires perses qui prennent position. Il informe son adversaire politique Thémistocle de ces mouvements de la flotte perse, qui empêche désormais les Grecs de fuir : Thémistocle l’informe du message qu’il a envoyé à Xerxès Ier via Sikinnos ("[Les Grecs] siégeaient toujours, quand Aristide fils de Lysimachos arriva d’Egine. […] Il vint à la porte de la salle du conseil et appela Thémistocle, qui n’était pas son ami mais son pire ennemi, désireux d’oublier leurs dissentiments face au péril qui les menaçait pour conférer avec lui, ayant appris que les Grecs du Péloponnèse voulaient de toute urgence replier la flotte vers l’isthme. Quand Thémistocle fut devant lui, Aristide lui dit : “Nous sommes rivaux, mais en la circonstance et surtout aujourd’hui nous devons orienter notre lutte vers le service de la patrie. Or, même si les Péloponnésiens continuent de discourir longuement sur le départ de la flotte, cela ne changera rien à la situation que j’ai vue de mes yeux et dont je t’informe : qu’ils le veuillent ou non, les Corinthiens et Eurybiade sont à présent bien incapables de partir d’ici car nous sommes entourés par les ennemis. Retourne donc vers eux et apporte-leur cette nouvelle”. Thémistocle lui répondit : “Ton conseil est excellent, et tu nous apportes une bonne nouvelle, car ce que tu as vu de tes yeux et ce qui t’ammène ici est exactement ce que je désirais : sache que c’est à cause de moi que les Perses font ce qu’ils font, car puisque les Grecs ne consentaient pas à engager la bataille il fallait bien les y forcer”", Hérodote, Histoire VIII.79-80). Aristide approuve le plan de Thémistocle, qui lui demande d’informer les alliés que désormais ils n’ont plus d’autre choix que combattre ("Puisque tu es venu nous apporter cette bonne nouvelle [c’est Thémistocle qui s’adresse à Aristide], annonce-la toi-même : si elle vient de moi on pensera que je l’invente, et je ne les convaincrai pas, ils ne croiront pas à cette manœuvre des barbares. Va toi-même les trouver, explique-leur la situation. Quand tu auras parlé, s’ils te croient tant mieux, mais s’ils restent incrédules le résultat sera le même, car ils ne pourront plus prendre la fuite puisque nous sommes vraiment cernés de tous les côtés comme tu l’annonces", Hérodote, Histoire VIII.80 ; "[Thémistocle] communiqua à Aristide la ruse qu’il avait employée pour tromper le barbare, puis il lui demanda d’aller persuader Eurybiade, qui avait plus de confiance en Aristide qu’en Thémistocle, et de lui faire entendre qu’il n’y avait plus d’autre salut pour eux que combattre sur mer", Plutarque, Vie d’Aristide 14). Les Péloponnésiens en écoutant Aristide continuent de douter ("Dans le conseil que tinrent les stratèges, Cléocrite de Corinthe dit à Thémistocle qu’Aristide n’approuvait pas sa décision [de combattre à Salamine] puisque étant présent à la délibération il gardait le silence. Aristide répondit : “Je ne me serais pas tu si l’avis de Thémistocle ne m’avait paru le meilleur, mon silence n’est pas l’effet de mon affection pour lui mais la marque de mon consentement”", Plutarque, Vie d’Aristide 14), mais arrive alors un transfuge qui confirme la véracité de l’information d’Aristide : les Grecs sont encerclés par les Perses, ils sont obligés de combattre ("[Les Péloponnésiens] ne croyaient toujours rien, lorsque survint une trière transfuge montée par des hommes de Tènos [île des Cyclades, au sud-ouest de la mer Egée] sous les ordres de Panaitios fils de Sosiménès qui leur apporta la vérité tout entière", Hérodote, Histoire VIII.82 ; "Aristide fils de Lysimachos fut le premier à remarquer [le mouvement des navires perses]. Il se rendit à la tente de Thémistocle, dont il n’était pas pas l’ami puisque, comme je l’ai dit, il avait été ostracisé précisément à cause de lui. Thémistocle vint au-devant de lui, et Aristide l’informa de leur encerclement. Conscient de la hauteur morale de cet homme et admirant en l’occurrence sa présente démarche, Thémistocle lui expliqua le coup monté avec Sikinnos et le conjura de l’aider à reprendre en mains les Grecs, qui avaient davantage confiance en Aristide, et à leur insuffler le courage de se battre sur mer dans le détroit. Aristide félicita Thémistocle et alla trouver les autres stratèges et triérarques pour les inciter au combat. Ceux-ci demeurèrent méfiants, jusqu’au moment où apparut une trière transfuge de Ténédos [île du nord-est de la mer Egée, près de la côte asiatique, aujourd’hui l’île de Bozcaada en Turquie : Hérodote et Plutarque ne sont pas d’accord entre eux sur l’origine de ces transfuges, ou leurs copistes ont-il commis une coquille ?] que commandait Panaitios annonçant l’encerclement. Contraints par la nécessité, les Grecs s’élancèrent alors avec ardeur au-devant du danger", Plutarque, Vie de Thémistocle 12).


Nous sommes le matin du vingtième jour du mois de boedromion sous l’archontat de Calliadès, c’est-à-dire début septembre -480 ("C’est à la pleine lune de boedromion que les Athéniens commandés par Chabrias remportèrent la victoire navale de Naxos [en -376, contre Sparte], c’est le 20 du même mois, comme je l’ai dit dans mon traité Sur les jours [œuvre perdue], qu’ils gagnèrent la bataille de Salamine", Plutarque, Vie de Camille 19). Xerxès Ier s’est installé sur un promontoire, comme il l’a promis, pour que ses marins redoublent de courage en l’apercevant au loin ("Ce jour-là [les Perses] furent bien plus braves qu’ils ne l’avaient été devant l’Eubée, tous rivalisèrent d’ardeur car ils redoutaient Xerxès Ier, et chacun se croyait spécialement observé par le Grand Roi", Hérodote, Histoire VIII.86 ; "Quand Xerxès Ier, depuis le pied de la colline qu’on appelle “Aigaleos” ["A„g£lewj"] en face de Salamine où il était installé, constatait un exploit accompli par l’un des siens [au cours de la bataille], il demandait le nom de son auteur, et ses secrétaires consignaient le nom du capitaine du navire, le nom de son père et sa cité", Hérodote, Histoire VIII.90 ; Plutarque rapporte que les historiens ne sont pas d’accord entre eux sur le nom de ce promontoire : "Au lever du jour, Xerxès Ier s’installa sur une éminence pour surveiller sa flotte et sa position tactique. Selon Phanodèmos elle était au-dessus du temple d’Héraclès, là où l’île est séparée de l’Attique par une passe étroite, selon Akestodoros au contraire elle était à la frontière de la Mégaride, au-dessus des Kerata ["Kšrata/les Cornes", chaîne de montagnes servant de frontière entre l’Attique et la Mégaride]. Le Grand Roi, installé sur un siège d’or, fit venir quantité de scribes dont la tâche était de consigner le déroulement de la bataille", Plutarque, Vie de Thémistocle 13). Les navires perses avancent vers les navires grecs, croyant les surprendre : mais alors, selon Eschyle, un péan s’élève du côté grec, chant en l’honneur d’Apollon préludant aux batailles ("La nuit se passe, sans que la flotte grecque tente une sortie furtive. Mais quand le jour aux blancs coursiers épand sa clarté sur la terre, une clameur sonore s’élève du côté des Grecs comme un hymne, dont l’écho des rochers de l’île répète l’éclat. La terreur alors saisit tous les barbares déçus dans leur attente, car ce n’est pas pour fuir que les Grecs entonnent ce péan solennel, mais pour marcher au combat, pleins d’une valeureuse assurance, et les appels de la trompette embrasent toute leur ligne. Aussitôt les rames bruyantes, tombant ensemble, frappent l’eau profonde en cadence, et tous apparaissent en pleine vue", Eschyle, Les Perses 384-398). La tradition veut qu’Ameinias, frère du tragédien Eschyle, porte le premier coup en embrochant son navire dans un navire ennemi ("Un Athénien, Ameinias de Pallènè, avança et se jeta sur un navire ennemi. Comme il restait accroché à son adversaire et qu’ils ne pouvaient ni l’un ni l’autre se libérer, les autres navires grecs vinrent à leur rescousse et la mêlée s’engagea. Voilà selon les Athéniens comment la bataille commença", Hérodote, Histoire VIII.84). S’ensuit une grande confusion du côté perse, qui profite aux Grecs, comme prévu par Thémistocle : les Perses, qui n’ont manifestement pas retenu la leçon du cap Artémision, attaquent tous ensemble en croyant que leur nombre provoquera la différence contre leur adversaires, qui ont moins de navires (les longs décomptes d’Hérodote que nous avons mentionnés permettent d’estimer qu’ayant quitté les côtes asiatiques avec environ mille deux cents navires, les Perses ont perdu environ deux cents navires lors de la tempête au large de l’Artémision, puis encore deux cents navires fracassés sur les Koila au sud-est de l’île d’Eubée, puis encore deux cents navires lors de la bataille de l’Artémision, de sorte qu’à Salamine ils combattent à deux contre un), mais c’est précisément leur nombre qui pose problème, car le détroit de Salamine n’est pas assez large pour une telle quantité de navires, qui finissent par s’entrechoquer tandis que les Grecs, comme les tireurs à la fête foraine face aux pipes qui défilent, les coulent l’un après l’autre ("Les Grecs combattaient alignés et en bon ordre, tandis que les barbares avaient rompu leurs lignes et ne calculaient aucun de leurs mouvements : il leur arriva donc ce qui devait leur arriver", Hérodote, Histoire VIII.86 ; "C’est au moment où céda leur première ligne que la flotte des barbares subit ses plus lourdes pertes, car les combattants de la deuxième ligne, qui tâchaient de passer en avant pour se signaler à leur tour aux yeux du Grand Roi, se heurtèrent aux navires des leurs qui voulaient fuir", Hérodote, Histoire VIII.89 ; la situation des Perses s’agrave encore quand le vent de mer se lève en direction du détroit : "Thémistocle se garda de jeter ses trières proues en avant contre celles des barbares en devançant l’heure habituelle à laquelle le fort vent de mer dirige la houle à travers les détroits. Cette houle ne gêna pas les navires grecs, peu profonds et assez bas, tandis qu’en s’abattant sur les navires barbares aux poupes relevées, aux hauts ponts et lourds à la manœuvre, ce vent les fit virer et les présenter de flanc aux Grecs, qui les attaquèrent promptement", Plutarque, Vie de Thémistocle 14 ; et les pertes humaines sont lourdes du côté des Perses, car ceux-ci étant des continentaux ne savent pas nager contrairement aux Grecs : "Il y eut aussi des victimes dans les rangs des Grecs, mais en petit nombre, car eux savaient nager, et les hommes dont les navires étaient coulés, du moins ceux qui ne succombaient pas dans le corps à corps, pouvaient gagner Salamine à la nage. Au contraire les barbares périrent noyés pour la plupart car ils ne savaient pas nager", Hérodote, Histoire VIII.89). Dans cette bataille, certains s’illustrent. Ameinias, le frère d’Eschyle qui a porté le premier coup, tente de capturer Artémise la tyranne d’Halicarnasse, qui lui échappe de justesse ("Au moment où les forces du Grand Roi se trouvèrent en pleine confusion, le navire d’Artémise fut pris en chasse par un navire d’Athènes. Elle ne pouvait pas lui échapper, car des navires alliés lui barraient le passage, et le sien se trouvait exposé le premier aux coups de l’ennemi. La décision qu’elle prit alors la servit à merveille : pourchassée par ce navire d’Athènes, elle se jeta sur un allié, un navire de Kalynda [cité de Carie, voisine d’Halicarnasse] qui portait le roi du pays en personne, Damasithymos. Artémise et lui s’étaient-ils querellés lorsqu’ils étaient encore dans l’Hellespont ? Je ne sais pas, et j’ignore si son geste fut prémédité ou si le hasard seul mit devant elle le navire des Kalyndiens. En tous cas, elle se jeta sur lui et le coula, et en tira deux avantages, car le commandant de la trière d’Athènes crut, en la voyant attaquer un navire des barbares, que son navire appartenait à la flotte des Grecs ou bien qu’il venait combattre à leur côté, et il l’abandonna pour un autre adversaire", Hérodote, Histoire VIII.87 ; "Au cours de la bataille [de Salamine] on distingua surtout, entre tous les Grecs, les Eginètes et les Athéniens, et parmi ceux-ci, Polycritos d’Egine, et les Athéniens Eumène d’Anagyronte et Ameinias de Pallènè, l’homme qui poursuivit le navire d’Artémise", Hérodote, Histoire VIII.93). Selon Plutarque, le même Ameinias jette à la mer un nommé "Ariaménès" frère de Xerxès Ier ("C’est contre [Ameinias] que se porta Ariaménès l’amiral de Xerxès Ier, avec un grand navire d’où il lança flèches et javelots comme d’un rempart. Cet Ariaménès était un homme de valeur, et de loin le plus fort et le plus juste des frères du Grand Roi. Mais Ameinias de Décélie et Soclès de Pallènè le repérèrent et, naviguant ensemble, l’affrontèrent proue contre proue. Les navires se heurtèrent et s’accrochèrent par leurs éperons de bronze. Ariaménès voulut monter à l’abordage dans la trière des Grecs, mais ceux-ci tinrent bon, le frappèrent de leurs lances et le précipitèrent à la mer", Plutarque, Vie de Thémistocle 14) : nous verrons à la fin du présent alinéa pourquoi nous pensons que derrière ce nom mystérieux d’"Ariaménès/Ariamšnhj" Plutarque raconte en fait la mort d’"Artobazanès/Artobaz£nhj", le demi-frère de Xerxès Ier évincé du pouvoir en -496. Aristide de son côté se positionne sur l’îlot de Psyttalie, proche du lieu de bataille, où les ennemis viennent s’échouer, qu’il massacre ou capture ("Avec un certain nombre des hoplites athéniens postés sur le rivage de Salamine, [Aristide] débarqua sur l’îlot de Psyttalie, et ils massacrèrent jusqu’au dernier les Perses qui s’y étaient établis", Hérodote, Histoire VIII.95 ; "Pendant que les capitaines grecs délibéraient ensemble, Aristide, voyant que l’îlot de Psyttalie situé dans le détroit en face de Salamine était plein de troupes ennemies, embarqua promptement sur des esquifs les plus ardents et les plus aguerris des fantassins, et étant descendu à Psyttalie il chargea brusquement les barbares et les tailla tous en pièces, à l’exception des plus considérables qu’il fit prisonniers. […] Aristide plaça autour de cet îlot les meilleurs soldats avec ordre de recevoir ceux qui y seraient poussés par la violence des vagues, afin de sauver les alliés et de ne pas laisser échapper un seul ennemi. Ce fut près de Psyttalie que se firent les chocs les plus violents des navires et les plus grands efforts des combattants. Aussi les vainqueurs choisirent-ils cette îlot pour y dresser leur trophée", Plutarque, Vie d’Aristide 15). Cimon, le fils de Miltiade, qui a soutenu le projet maritime de Thémistocle et incité les Athéniens à quitter leur cité pour s’embarquer sur leurs navires, se distingue également, bien qu’on ignore dans quelle mesure : on sait seulement que c’est son héroïsme à Salamine qui lui permettra quelques années plus tard de jouer un rôle de premier plan dans la politique athénienne ("Les preuves signalées que [Cimon] donna de sa valeur à la bataille de Salamine lui acquirent l’estime et l’affection de ses concitoyens qui, s’attachant à lui en grand nombre, l’accompagnaient partout et l’exhortaient à devenir, par ses sentiments et par ses actions, le digne héritier de la gloire que son père s’était acquise à Marathon", Plutarque, Vie de Cimon 6). Un scholiaste anonyme, pour commenter le vers 429-430 des Perses d’Eschyle ("Quant à la grande quantité de nos pertes [c’est le messager perse qui parle à Atossa, mère de Xerxès Ier], dix jours me seraient nécessaires pour en dresser le nombre, je ne saurais l’établir") cite le tragédien et chroniqueur Ion de Chio, contemporain de Sophocle, qui affirme qu’Eschyle a lui aussi participé à la bataille. Tel est aussi l’avis de l’auteur anonyme de la Vie d’Eschyle ("On dit qu’[Eschyle] avait le caractère bien trempé et, de l’avis général, qu’il prit part à la bataille de Marathon avec son frère Kynaigeiros ainsi qu’à la bataille navale de Salamine", Vie d’Eschyle 4), et de Pausanias ("Le poète Eschyle, se voyant près de sa fin, ne voulut rappeler dans son épitaphe, ni les poésies lui ayant acquis tant de réputation, ni les combats de l’Artémision et de Salamine où il s’était distingué. Il se contenta d’y inscrire son nom, celui de sa patrie, et d’ajouter qu’il avait pour témoins de sa valeur le bois sacré de Marathon et les Perses qui y débarquèrent", Pausanias, Description de la Grèce, I, 14.6). Pendant ce temps, Xerxès Ier depuis son promontoire voit que la bataille tourne court, il arrache ses vêtements selon Eschyle ("Xerxès Ier pousse une longue plainte devant ce gouffre de douleurs. Installé en un lieu d’où il observait toute l’armée, un tertre élevé près du rivage marin, il déchire ses vêtements, lance un sanglot aigu, puis soudain donne un ordre à son armée de terre et se précipite dans une fuite éperdue", Eschyle, Les Perses 466-468).


Les Perses ont perdu. Xerxès Ier hésite entre risquer une nouvelle bataille en espérant qu’elle sera plus heureuse que celle qui vient de s’achever, ou retourner en Perse. Mardonios, qui a poussé le Grand Roi dans cette aventure et qui rêve toujours de devenir satrape de Grèce, défend la première option ("Mardonios, qui voyait Xerxès Ier accablé par sa défaite sur la mer et soupçonnait son intention de fuir et d’abandonner Athènes, réfléchit qu’il risquait d’être châtié pour l’avoir décidé à marcher contre la Grèce, et qu’il était dans son intérêt de courir de nouveaux dangers, soit pour enfin soumettre la Grèce, soit pour trouver lui-même une fin glorieuse après avoir exprimé de grandioses espérances", Hérodote, Histoire VIII.100) : conscient qu’il doit impérativement se racheter aux yeux du Grand Roi, il propose à ce dernier de regagner le continent asiatique pendant que lui marchera contre les Grecs avec les troupes perses qu’il voudra bien lui laisser ("Il tint au Grand Roi ce discours : “Maître, ne te désole pas et ne considère pas comme un malheur l’affaire qui vient d’avoir lieu. Quelques planches ne peuvent pas décider définitivement de notre sort : celui-ci dépend des hommes et des chevaux. […] Si tu décides de ne pas rester en Grèce, regagne tes Etats avec le gros de tes forces, et moi je m’engage à te livrer la Grèce esclave avec trois cent mille hommes que tu me laisseras prélever sur ton armée”", Hérodote, Histoire VIII.100). Artémise défend la seconde option : elle répète à Xerxès Ier que le but de son expédition, la punition d’Athènes, est atteint, et que les Perses n’ont plus aucune raison de rester en Grèce ("[Artémise] répondit à Xerxès Ier : “[…] La situation étant ce qu’elle est, il me semble que tu dois t’en retourner et laisser ici Mardonios faire ce qu’il dit avec les hommes qu’il veut. D’un côté s’il obtient les soumissions qu’il espère et si son projet réussit, l’honneur t’en reviendra, maître, car ce sont tes esclaves qui auront accompli l’ouvrage. De l’autre côté, si les événements ne répondent pas à son attente, ce ne sera pas une catastrophe puisque tu seras sain et sauf, et la fortune de ta maison avec toi, et les Grecs auront donc encore beaucoup d’autres combats à livrer pour leur salut. S’il arrive malheur à Mardonios, c’est sans importance, même pour les Grecs qui l’auront anéanti, car ils n’auront vaincu qu’un esclave. Toi, tu as fait ce que tu voulais faire dans ton expédition, tu laisseras en partant Athènes réduite en cendres”", Hérodote, Histoire VIII.102). Ces deux propositions satisfont Xerxès Ier, qui craignait pour sa personne et cherchait un moyen de rentrer en Perse honorablement acceptable ("Lorsque Xerxès Ier eut mesuré sa défaite, il craignit qu’un Ionien [cette méfiance du Grand Roi envers les Ioniens découle-t-elle d’une suspicion naturelle à leur encontre héritée de la révolte ionienne des années -499 à -493, ou des messages laissés par Thémistocle près des sources de l’île d’Eubée à l’attention des Ioniens, après les combats de l’Artémision ?] ne proposât aux Grecs, à moins que l’idée ne leur en vînt spontanément, de faire voile vers l’Hellespont pour y couper ses ponts de bateaux. Il eut peur d’être enfermé en Europe et d’y trouver sa perte, et il se résolut à fuir", Hérodote, Histoire VIII.97) : après avoir un temps préparé une fuite honteuse en la cachant derrière des manœuvres militaires ("Dans l’intention de cacher ses projets [de fuite] aux Grecs comme à ses propres troupes, [Xerxès Ier] entreprit de relier Salamine au continent par une jetée, et fit amarrer ensemble des chalands phéniciens qui serviraient de pont et de barrage. En même temps, il fit procéder à des préparatifs semblant annoncer une seconde bataille navale. Devant son attitude, nul ne se doutait qu’il eût la ferme intention de rester sur place et de continuer la lutte", Hérodote, Histoire VIII.97), il annonce officiellement à ses troupes son intention de quitter la Grèce comme l’y incite Artémise, en laissant un petit contingent comme l’y incite Mardonios. Profitant de la nuit, la flotte perse survivante quitte Salamine, puis Phalère et reprend la route de l’Hellespont pour assurer la garde des deux ponts qui enjambent le détroit et préparer le passage du Grand Roi ("Xerxès Ier appela Mardonios et lui ordonna de prendre dans son armée les soldats qu’il voulait, et de tâcher de mettre ses actes à la hauteur de ses promesses. […] Pendant la nuit, sur l’ordre du Grand Roi, les commandants des navires ramenèrent leurs bâtiments de Phalère dans l’Hellespont, chacun voguant le plus vite possible qu’il le pouvait, pour garder les ponts de bateaux et assurer le passage du Grand Roi", Hérodote, Histoire VIII.107).


Au matin, les Grecs constatent que si les troupes terrestres ennemies occupent toujours la côte athénienne, la flotte perse en revanche a disparu. Chacun comprend que l’ennemi est en fuite. Deux camps s’opposent : d’un côté Thémistocle propose de foncer vers l’Hellespont, route de retour obligée pour les troupes terrestres perses, pour couper leur retraite et les anéantir plus facilement ("Au lever du jour, les Grecs, qui voyaient les forces terrestres des barbares demeurer sur leurs positions, crurent que la flotte était toujours à Phalère, et se préparaient à repousser une attaque de sa part. Quand ils apprirent son départ, ils résolurent de la poursuivre. Ils voguèrent jusqu’à Andros, mais n’apercevant pas la flotte de Xerxès Ier ils délibérèrent. Thémistocle émit l’opinion qu’il fallait passer par les îles et, sans cesser de poursuivre l’ennemi, se diriger droit sur l’Hellespont pour détruire les ponts de bateaux", Hérodote, Histoire VIII.108), de l’autre côté Eurybiade propose de suivre l’ennemi de loin en s’assurant qu’il prend bien la direction de l’Asie, mais sans lui couper le passage de l’Hellespont car, sachant sa retraite coupé, il se battra alors avec l’énergie du désespoir ("Eurybiade soutint l’avis contraire en assurant que détruire les ponts attirerait sur la Grèce le pire des malheurs : enfermé par force en Europe, n’ayant aucun moyen de regagner l’Asie et voyant son armée mourir de faim, le Perse tâcherait d’éviter l’inaction pour améliorer sa situation, et face à cet esprit entreprenant et à cette ténacité toute l’Europe risquerait de passer de son côté, cité après cité et peuple après peuple, les uns vaincus et les autres de gré pour éviter la défaite […]. Eurybiade pensait qu’après sa défaite sur mer le Perse ne s’attarderait pas en Europe, il fallait donc le laisser fuir jusqu’au moment où, dans sa retraite, il se retrouverait sur son propre territoire", Hérodote, Histoire VIII.108). Pour une fois, la proposition d’Eurybiade est intelligente, et Thémistocle s’y plie, et recourt même à un nouveau stratagème pour aider les Perses à rentrer plus vite chez eux : il envoie un messager vers Xerxès Ier pour lui suggérer que la flotte grecque est en route vers l’Hellespont, et qu’il doit donc se hâter de repasser sur le continent asiatique s’il ne veut pas être retenu en Europe ("Thémistocle fit partir une barque avec des hommes auxquels il se fiait pour taire, même sous la torture, le message qu’il leur avait donné pour le Grand Roi, son serviteur Sikinnos était encore parmi eux. A leur arrivée sur la côte attique, les autres restèrent dans la barque, et Sikinnos alla trouver Xerxès Ier et lui dit : “Je viens de la part de Thémistocle fils de Néoclès, chef des Athéniens, le plus vaillant et le plus sage des alliés, pour te dire que lui, l’Athénien Thémistocle, parce qu’il veut te rendre service, a retenu les Grecs qui voulaient poursuivre ta flotte et détruire tes ponts de bateaux jetés sur l’Hellespont. Pars donc en toute tranquillité maintenant”", Hérodote, Histoire VIII.110 ; "Les Grecs, après la victoire de Salamine, proposèrent de rompre le pont de bateaux que Xerxès Ier avait fait sur l’Hellespont afin qu’il ne pût s’enfuir. Thémistocle s’opposa à cette résolution, et dit : “Le Grand Roi, privé de ce moyen de retraite, combattra de nouveau, or le désespoir permet souvent obtenir des succès que le courage n’a pas donnés”. Puis il fit passer secrètement du côté du Grand Roi un autre eunuque nommé “Arsacès” pour l’informer que s’il ne prenait au plus tôt le parti de la retraite les Grecs ne manqueraient pas de rompre le pont. Le Grand Roi craignit que cela arrivât : il se hâta de devancer les Grecs, passa le pont, et prit la fuite. Ce fut ainsi que Thémistocle trouva moyen de conserver aux Grecs, sans risque, tout l’avantage de leur victoire", Polyen, Stratagèmes, I, 30.3 ; "Thémistocle dépêcha l’un des eunuques royaux nommé “Arnacès”, qu’il avait repéré parmi les prisonniers de guerre, en lui enjoignant d’expliquer au Grand Roi que les Grecs avaient décidé d’envoyer leur flotte maîtresse des mers vers l’Hellespont pour détruire le pont de bateaux, et que l’intérêt du Grand Roi était donc de suivre le conseil de Thémistocle de regagner ses propres eaux et de repasser en Asie tant que celui-ci retarderait les alliés à le poursuivre. En entendant cela, le barbare assailli de craintes organisa rapidement sa retraite", Plutarque, Vie de Thémistocle 16 ; selon Plutarque, Aristide approuve encore le stratagème de son adversaire politique Thémistocle : "Pour mettre Aristide à l’épreuve, Thémistocle feignit de demander qu’on fit voile vers l’Hellespont et qu’on détruisît le pont “pour capturer l’Asie en Europe”. Mais Aristide s’interposa et dit : “Nous venons de vaincre un barbare qui se prélassait. Mais si nous verrouillons en Grèce et arrêtons de force par la peur un homme à la tête d’une pareille puissance, il ne restera plus assis sous un dais d’or à contempler tranquillement le combat : face au danger il osera tout, il sera en personne présent partout pour redresser les négligences et prendre des meilleures décisions. Nous ne devons donc pas, Thémistocle, détruire le pont existant, mais au contraire en aménager un autre et rejeter au plus vite cet homme-là hors d’Europe”. “Très bien, répondit Thémistocle, si telle est la solution qui vous semble la plus profitable, c’est le moment d’examiner tous ensemble les moyens de lui faire au plus vite quitter la Grèce”", Plutarque, Vie de Thémistocle 16 ; "Après la bataille, Thémistocle, pour sonder Aristide, lui dit qu’après leur grande victoire il importait aux Grecs de “capturer l’Asie dans l’Europe” en faisant voile tout de suite vers l’Hellespont pour rompre le pont que Xerxès Ier y avait construit. A cette proposition, Aristide poussa un grand cri, et dit à Thémistocle qu’il fallait rejeter au loin un pareil projet, qu’on devait au contraire chercher tous les moyens possibles de chasser au plus tôt le Perse hors de la Grèce de peur que, s’y voyant enfermé sans aucun espoir de retraite et jouissant encore d’une puissante armée, la nécessité le portât à se défendre avec l’énergie du désespoir. Alors Thémistocle envoya une seconde fois à Xerxès Ier un homme de confiance, un eunuque nommé “Arbacès” parmi les prisonniers, chargé de lui dire en secret que “les Grecs voulaient à toutes forces aller rompre le pont de bateaux qu’il avait laissé sur l’Hellespont mais que Thémistocle, qui s’intéressait à la sûreté du Grand Roi, s’efforçait de les en détourner”. Xerxès Ier, que ce message emplit de frayeur, se hâta de ragagner l’Hellespont avec toute sa flotte, en laissant Mardonios en Grèce avec l’armée terrestre composée de ses meilleures troupes, et forte de trois cent mille hommes", Plutarque, Vie d’Aristide 16 ; dans le même temps, Thémistocle tempère l’ardeur des Athéniens qui brûlent d’envie de donner le coup de grâce aux Perses : "[Thémistocle] s’adressa aux Athéniens, qui s’indignaient plus que les autres de voir les barbares leur échapper et brûlaient d’aller dans l’Hellespont, décidés à partir seuls si les autres s’y refusaient : “J’ai vu souvent moi-même, et je l’ai entendu rapporter bien plus souvent encore : réduits au désespoir, les vaincus reprennent la lutte et rachètent leur lâcheté précédente. Puisque nous avons eu la chance inespérée de nous délivrer, nous et la Grèce, de cette nuée d’ennemis, ne poursuivons pas une armée en fuite. […] Que chacun rebâtisse sa maison, s’applique à ses semailles, débarrassé maintenant du barbare. Et quand viendra le printemps [-479], nous reprendrons la mer et partirons pour l’Hellespont et l’Ionie”", Hérodote, Histoire VIII.109).


Il est hautement intéressant d’apprendre par Hérodote que, pour occuper ces Athéniens que l’on frustre en leur ordonnant de ne pas poursuivre les Perses en fuite, mais aussi et surtout pour préparer l’hégémonie maritime qu’il veut donner à Athènes après la guerre, Thémistocle envoie la flotte athénienne vers Andros, qu’il soumet en prétextant que les Andriens n’ont pas pris ouvertement parti contre l’envahisseur perse ("Les Grecs, ayant renoncé à poursuivre plus longtemps la flotte barbare et à gagner l’Hellespont pour couper la route de l’Asie, investirent la cité d’Andros et voulurent la raser, en prétextant que les Andriens furent les premiers des insulaires à refuser à Thémistocle l’argent qu’il leur demandait", Hérodote, Histoire VIII.111). Andros devient ainsi un territoire sous contrôle athénien, même si la cité ne sera finalement pas prise ("Les Grecs, incapables de prendre Andros, se tournèrent contre Carystos", Hérodote, Histoire VIII.121). Le même scénario se reproduit contre la cité de Carystos en Eubée (qui a pourtant été ravagée par les Perses en -490), et contre l’île de Paros ("[Thémistocle] annonça aux insulaires qu’il lancerait sur eux l’armée des Grecs s’ils repoussaient ses demandes, et il les menaça d’assiéger et de détruire leurs cités. Il recueillit par ce moyen des sommes importantes chez les Carystiens et les Pariens qui, en entendant dire qu’Andros était assiégée pour avoir pris le parti des Perses et que Thémistocle était le plus renommé des chefs grecs, eurent peur et lui envoyèrent cet argent", Hérodote, Histoire VIII.112). Cette soumission de Paros a assurément une résonance particulière pour Thémistocle, car il réussit là où Miltiade, son ancien adversaire politique qu’il admirait en le détestant, a échoué en -489. Il est possible que Thémistocle ait profité de ces opérations impérialistes pour augmenter sa fortune personnelle, mais sa motivation profonde est de faire d’Athènes la première puissance de Grèce, et tous ses successeurs athéniens lui rendront hommage pour cela, même ses opposants politiques, comme Cimon qui, guidé par Aristide, continuera cette dynamique en cautionnant la colonisation d’Eion dès -477, puis de Skyros, puis de Naxos en -476, jusqu’à l’historien Thucydide apparenté à Cimon et à Miltiade qui à la fin du Vème siècle av. J.-C. dans sa Guerre du Péloponnèse ne remettra jamais en cause son rôle essentiel dans l’essor de la puissance athénienne.


Sparte est également consciente que l’après-guerre a déjà commencé. Les Spartiates, qui ont peur d’Athènes, et surtout de Thémistocle, décident durant l’hiver -480/-479 d’abaisser les Athéniens en les divisant : ils adressent à la cité d’Egine, adversaire d’Athènes avant-guerre, le prix de la vaillance, et ils gavent d’honneur Ameinias (le frère d’Eschyle) et Thémistocle pour rendre jaloux leurs compatriotes athéniens. Ils invitent Thémistocle à Sparte avec tous les honneurs, démarche exceptionnelle à l’égard d’un étranger, et plus encore d’un Athénien démocrate et bâtard ("Les Athéniens, fiers de la victoire de Salamine à laquelle ils avaient le plus contribué, disputaient ouvertement aux Spartiates l’empire sur mer. C’est pourquoi les Spartiates, pressentant l’avenir, cherchèrent à humilier les Athéniens. Lors de la remise du prix de la valeur, ils influencèrent les décideurs pour qu’ils distinguent Egine parmi les cités, et l’Athénien Ameinias, frère ["¢delfÒj"] d’Eschyle, parmi les combattants les plus braves. Le triérarque Ameinias avait porté le premier coup d’éperon contre le navire amiral des Perses, c’est lui qui avait tué le navarque et fait couler à fond son navire. Les Athéniens furent blessés par ce jugement inique. Les Spartiates, craignant que Thémistocle indigné méditât une vengeance funeste contre eux et contre toute la Grèce, lui offrirent des présents dont la valeur était double de celle du prix qu’on avait décerné aux autres", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.27 ; "Les Spartiates reçurent [Thémistocle] magnifiquement et de la manière la plus honorable. Ils donnèrent à Eurybiade une couronne d’olivier pour prix de la valeur, mais ils réservèrent à Thémistocle celui du savoir ["sof…a/savoir, science" au sens d’"habileté, connaissance pratique, ruse"], et le couronnèrent aussi d’olivier. Outre cela, ils lui offrirent le plus beau char de Sparte, et après lui avoir adressé de grandes louanges ils l’escortèrent pour son départ, jusqu’à Tégée, par trois cents Spartiates d’élite qu’on appelle “Hippéens” ["Ippe†j/Cavaliers"]. De tous les hommes que nous connaissons, c’est le seul personnage à qui les Spartiates aient jamais accordé cette escorte", Hérodote, Histoire VIII.124 ; "Les Spartiates firent venir à Sparte Eurybiade et lui accordèrent le prix de la vaillance, tandis qu’ils réservèrent à Thémistocle celui du savoir ["sof…a"], consistant en une couronne d’olivier. Ils firent présent à Thémistocle du meilleur des chars de la cité, et un cortège de trois cents jeunes gens l’escorta jusqu’à la frontière", Plutarque, Vie de Thémistocle 17). Les Spartiates sont aidés par la vanité de Thémistocle, qui estime que les Grecs en général et ses compatriotes athéniens en particulier ne l’ont pas suffisamment remercié pour toutes ses actions qui ont permis la victoire de Salamine : quand les Spartiates lui annoncent leur envie de lui organiser un triomphe, il se précipite dans leurs bras ("Les Grecs firent voile vers l’isthme pour attribuer le prix de la valeur à celui d’entre eux qui s’était le plus distingué dans cette guerre. Lorsqu’ils y furent arrivés, les stratèges déposèrent leurs suffrages auprès de l’autel de Poséidon, pour désigner ceux qu’ils estimaient dignes du premier et du second prix. Chacun pensant s’être plus distingué que les autres se donna la première voix, tandis que le second prix fut adjugé d’un commun accord à Thémistocle. Les stratèges n’eurent en conséquence qu’un unique suffrage chacun, alors que Thémistocle eut les voix de tous pour le second prix. Quoique l’envie eût ainsi empêché les Grecs de porter un jugement et que chacun en retournant dans sa patrie eût laissé la chose indécise, Thémistocle n’en fut pas moins célébré et n’en passa pas moins dans toute la Grèce pour le plus sage ["sofÒj/habileté, connaissance pratique", d’où par extension "science, bon sens, prudence, science, sagesse" : les mots "sof…a" et "sofÒj" sont apparentés] des Grecs. Mais jugeant que ceux avec qui il avait combattu à Salamine ne lui avaient pas rendu les honneurs qu’il méritait par sa victoire, il se rendit à Sparte aussitôt après le départ des alliés pour y recevoir les marques de distinction qui lui étaient dues", Hérodote, Histoire VIII.123-124). Les Athéniens semblent partager les louanges à Ameinias, mais ils ne ne supportent pas de voir Thémistocle parader comme s’il était le seul responsable de la victoire (et qui finit par se considérer comme un demi-dieu dont la personne est devenue plus précieuse que tout l’or du monde : "Observant les morts échoués au bord de la mer [juste après la bataille navale de Salamine], il en vit qui portaient des bracelets d’or et des anneaux : continuant son chemin, il les montra à un ami qui le suivait en lui disant : “Prends pour toi, car toi tu n’es pas Thémistocle”", Plutarque, Vie de Thémistocle 18) : ils le destitueront de son commandement à la tête de la flotte athénienne et le remplaceront par Xanthippos au printemps -479 ("Dès que Thémistocle eut accepté ces présents [de Sparte], le peuple athénien lui ôta le commandement de l’armée et le donna à Xanthippos fils d’Ariphron", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.27), Aristide quant à lui héritera du commandement des forces terrestres athéniennes et conduira leurs opérations contre les troupes perses restées sur le continent européen dans l’année -479. Thémistocle est ainsi mis sur la touche. Mais il n’est pas mort politiquement, au contraire on peut dire qu’il est en avance sur ses rivaux politiques, parce qu’il a déjà compris que l’adversaire prioritaire de la démocratie athénienne n’est plus la Perse mais Sparte, dont l’autorité politique est renforcée par sa défaite héroïque aux Thermopyles et sa participation à la victoire de Salamine. Thémistocle attend le moment favorable pour lancer enfin son programme de déplacement de l’astu désormais réduite en cendres vers la paralie, c’est-à-dire la construction d’une nouvelle astu maritime capable de protéger les Athéniens de toute nouvelle agression spartiate comme avant guerre, qui servira de forteresse inexpugnable de départ pour une conquête générale et systématique de la mer Egée et au-delà.


La bataille de Salamine est importante dans l’Histoire du monde pour deux raisons. La première raison est avancée par Hérodote. Dans un passage de son Histoire, celui-ci se livre à une uchronie pertinente : il essaie d’imaginer comment aurait tourné la guerre si les Athéniens étaient passés du côté perse, ou s’ils étaient simplement restés neutres. Sa conclusion, que nous partageons, est catégorique : si les Athéniens n’avaient pas décidé de résister et de mettre leur flotte au service de la Grèce, les Spartiates auraient été vaincus, car la flotte perse maîtrisait les mers. Pour dire les choses différemment, même si les Spartiates avaient vaincu sur terre contre les Perses, ce qui n’est déjà pas une hypothèse certaine, ils auraient de toute façon dû se soumettre au terme de l’embargo que n’auraient pas manqué de leur infliger les Perses. On peut donc dire avec Hérodote qu’Athènes a vraiment sauvé la Grèce, car sans sa flotte la Grèce serait devenue perse, et aujourd’hui nous parlerions peut-être des langues européennes pétries d’étymons perses et non pas grecs ("Si devant le danger qui menaçait les Athéniens terrifiés avaient abandonné leur patrie ou si, au lieu de l’abandonner, ils étaient restés chez eux et s’étaient soumis à Xerxès Ier, personne sur mer n’aurait essayé de l’arrêter, et dans ce cas voici ce qui serait arrivé sur le continent : même en supposant que les Péloponnésiens se fussent abrités derrière de nombreuses lignes fortifiées barrant l’isthme, les Spartiates auraient de toute façon fini abandonnés par leurs alliés dont les cités attaquées par la flotte des barbares seraient tombées l’une après l’autre, et demeurant seuls ils auraient péri en dépit de leurs exploits en hommes courageux. Tel eût été leur sort. Ou bien, avant d’en arriver là, en voyant le reste de la Grèce pactiser avec les Perses, ils auraient traité à leur tour avec Xerxès Ier. Ainsi, la Grèce serait de toute façon passée aux mains des Perses, car je cherche en vain l’utilité qu’auraient eue les fortifications barrant l’isthme si le Grand Roi avait été maître de la mer. On peut donc dire des Athéniens qu’ils furent vraiment les sauveurs de la Grèce", Hérodote, Histoire VII.139). Après la bataille de Salamine, la mer Egée est définitivement sous contrôle de la flotte athénienne : les débris de la flotte perse, qui est désormais réduite à trois cents navires selon Hérodote, c’est-à-dire au même nombre que les navires grecs, se replie vers l’Ionie et ne veut plus s’avancer vers l’ouest pour tenter une nouvelle confrontation ("Les restes de l’armée navale de Xerxès Ier étant arrivés en Asie après s’être sauvés de Salamine et avoir transporté le Grand Roi et ses troupes de la Chersonèse à Abydos, alla passer l’hiver [-480/-479] à Kymé. Cette flotte se rassembla ensuite, dès le commencement du printemps [-479], à Samos, où quelques-uns de ses navires avaient aussi passé l’hiver. La plupart des hommes à bord étaient des Perses et des Mèdes. Elle avait pour stratèges Mardontès fils de Bagéos et Artayntès fils d’Artachée, qui s’était associé son neveu Ithamitrès et partageait avec lui le commandement. Comme les Perses avaient subi un échec considérable à la bataille de Salamine, ils ne s’aventurèrent plus vers l’occident, et personne ne les y contraignit. Ils leur restaient trois cents navires, dont ceux des Ioniens, avec lesquels ils se tinrent à Samos pour garder l’Ionie et l’empêcher de se révolter", Hérodote, Histoire VIII.130). La bataille de Mycale en -479, que nous raconterons dans notre prochain alinéa, lui donnera le coup de grâce. La seconde raison qui donne à la bataille de Salamine une grande importance, est qu’elle offre au régime démocratique son indiscutable première grande victoire historique, beaucoup plus que celle de Marathon, une victoire à laquelle les Spartiates ont participé malgré eux en acceptant de combattre aux côtés des Athéniens. La bataille de Marathon n’a été qu’une bataille entre deux armées, celle perse commandée par Datis et Artaphernès le jeune, face à celle athénienne commandée par Miltiade : la bataille de Salamine quant à elle apparaît moins comme une bataille entre deux armées qu’entre deux systèmes qui y ont risqué leur existence même, celui monarchique de Xerxès Ier (un homme seul commandant à l’ensemble de ses troupes) représentant un immense territoire s’étendant sur trois continents, face à celui d’une super-Ekklesia démocratique grecque qui ne doit sa force qu’à l’interdépendance de ses membres, représentant des peuples dispersés et aux opinions diverses sur un territoire minuscule à l’extrême sud du continent européen. Sur le plan militaire, on ne peut rien dire d’autre sur la bataille de Salamine que ce que l’on a déjà dit sur la bataille de Marathon : certes, les Grecs ont gagné et les Perses ont perdu, mais il faut beaucoup relativiser cette victoire grecque et cette défaite perse sur le terrain. Du côté grec, la victoire a coûté cher, les Thermopyles et l’Artémision sont certes des défaites glorieuses mais des défaites d’abord, la ville d’Athènes est totalement anéantie, et surtout la moitié nord de la Grèce est économiquement ruinée car elle a dû nourrir l’occupant (ceci explique en partie pourquoi ces territoires du nord de la Grèce, notamment Byzance et Eion, seront facilement conquis par les Athéniens juste après la guerre : parce qu’ils n’auront pas les moyens économiques de résister à cette conquête). Du côté perse, la bataille a été nettement perdue, les morts y ont été nombreux, mais cela ne remet nullement en question l’existence de l’Empire perse, qui continuera à exister pendant encore un siècle et demi jusqu’à Alexandre le Grand. Sur le plan politique en revanche, c’est un désastre du côté perse, car c’est la preuve définitive que le Grand Roi n’est pas un dieu, et au-delà que le régime monarchique n’est pas tout-puissant face au régime démocratique. Artémise en a bien conscience quand elle dit à Xerxès Ier que la bataille qui vient de s’achever a été perdue moins par les Perses que par le régime monarchique que Xerxès Ier incarne, et que la défaite a été suffisante pour ne pas risquer l’anéantissement complet de ce régime dans une nouvelle bataille, et que Xerxès Ier doit donc rentrer en Perse pour sauver ce qui peut l’être encore ("[Artémise] répondit à Xerxès Ier : “[…] La situation étant ce qu’elle est, il me semble que tu dois t’en retourner et laisser ici Mardonios faire ce qu’il dit avec les hommes qu’il veut. D’un côté s’il obtient les soumissions qu’il espère et si son projet réussit, l’honneur t’en reviendra, maître, car ce sont tes esclaves qui auront accompli l’ouvrage. De l’autre côté, si les événements ne répondent pas à son attente, ce ne sera pas une catastrophe puisque tu seras sain et sauf, et la fortune de ta maison avec toi, et les Grecs auront donc encore beaucoup d’autres combats à livrer pour leur salut. S’il arrive malheur à Mardonios, c’est sans importance, même pour les Grecs qui l’auront anéanti, car ils n’auront vaincu qu’un esclave. Toi, tu as fait ce que tu voulais faire dans ton expédition, tu laisseras en partant Athènes réduite en cendres”", Hérodote, Histoire VIII.102). Du côté grec, on est tout aussi conscient de cela au moment précis où, Athènes étant prise par Xerxès Ier, les alliés débattent de l’opportunité de combattre à Salamine plutôt que dans l’isthme de Corinthe : Eurybiade, qui n’est pourtant pas très intelligent, l’est suffisamment pour comprendre que la force des Grecs est leur union, et que sans leur union les Grecs connaîtront en plus grand ce que les trois cents Spartiates de Léonidas Ier ont connu aux Thermopyles pendant que les autres Grecs étaient aux Jeux olympiques, c’est-à-dire un combat glorieux et héroique certes, mais qui se soldera finalement par une défaite. De même quand le Corinthien Adimante reproche à Thémistocle de n’avoir pas voulu défendre Athènes et donc de ne pas être un patriote, Thémistocle lui montre la flotte athénienne en disant que les Athéniens ont choisi de sacrifier leur ville pour pouvoir équiper leur navires, et que ces navires sont l’ultime espoir de défense pour Corinthe : Adimante ne répond rien parce qu’il n’a rien à répondre, les Athéniens qui ont sacrifié leur bien personnel (leur ville) pour préserver le bien collectif (la flotte qu’ils mettent à disposition de tous les Grecs) sont réellement le seul espoir de Corinthe. Et a contrario, les Athéniens qui ont sacrifié leur cité, ont besoin des autres cités, car tout simplement ils n’ont plus aucun endroit où aller, plus aucun lieu de refuge, et leur seul espoir de remettre un jour les pieds sur leur terre natale reste que les alliés ne les abandonnent pas et combattent à leur côté. On peut ainsi retourner l’uchronie d’Hérodote précédemment mentionnée en disant que sans les Spartiates aux Thermopyles, et même sans les Spartiates à Salamine dirigé par l’incompétent Eurybiade auquel Thémistocle a cédé le commandement, les Athéniens n’auraient jamais connu la victoire. Et à l’intérieur du camp athénien, seule la combinaison de l’intelligence stratégique de Thémistocle avec la grandeur morale d’Aristide, et avec le ralliement de Xanthippos et de Cimon le fils de Miltiade mettant momentanément entre parenthèses leur haine viscérale, a permis la victoire. Salamine légitime, crédibilise le régime démocratique qui jusqu’alors n’apparaissait à tous que comme un aléatoire régime de transition, comme un pis-aller en attendant un retour au régime tyrannique, au point qu’aujourd’hui encore cette bataille est systématiquement citée par les opposants à la monarchie (quelle que soit sa forme) comme une preuve que le régime démocratique est un régime plus utile, plus puissant, plus durable, plus glorieux que la monarchie, car il peut renverser la monarchie. C’est pour ces deux raisons, l’émergence d’Athènes comme nouvelle puissance grecque et l’émergence du régime démocratique comme alternative crédible au régime monarchique (celui des basileus/basileÚj autant que celui des tyrans/tÚrannoj), que les historiens considèrent commodément la victoire de Salamine en -480 comme l’événement qui clôt l’ère archaïque commencée en -776 avec la création des Jeux olympiques et la fondation de la colonie de Pithécusses, et qui ouvre l’ère classique dominée par l’essor, puis l’apogée, puis la crise (après la mort de Périclès), puis l’effondrement (en -404), puis la difficile survie (jusqu’à Démosthène) de la démocratie athénienne.

  

Imprimer