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-494 à -479 : La guerre contre la Perse I

© Christian Carat Autoédition

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Le temps perdu

Le temps gagné

Parodos

Acte I : Origines

Acte II : Les Doriens

Acte IV : Alexandre

Acte V : Le christianisme

Acte III : Sophocle

La Perse avant -494

Athènes avant -494

La révolte ionienne

Marathon

Salamine

Platée et Mycale

Après Platée et Mycale

Les Grecs ont laissé intacts les deux ponts sur l’Hellespont pour permettre aux Perses de retourner sur le continent asiatique, mais les Perses sont restés en Europe. L’armée terrestre perse encore intacte a passé l’hiver -480/-479 en Thessalie ("L’armée terrestre, ayant séjourné quelques jours dans l’Attique après le combat naval [de Salamine, en septembre -480], se replia avec Xerxès Ier vers la Béotie par le même chemin qu’elle avait suivi à l’aller. Mardonios avait jugé à propos d’accompagner le Grand Roi parce que la saison n’était plus propre aux opérations de guerre, et qu’il estimait plus avantageux de passer l’hiver [-480/-479] en Thessalie et d’attaquer le Péloponnèse au retour du printemps [-479]", Hérodote, Histoire VIII.113), seul Xerxès Ier avec une petite partie des troupes est retourné en Asie, escorté par Artabaze. Nous avons vu que lors du recensement des forces perses à Doriscos juste après leur débarquement sur le continent européen, cet Artabaze était commandant du contingent des Parthes et des Chorasmiens ("Artabaze fils de Pharnacès, qui depuis longtemps s’était fait une grande réputation parmi les Perses, […] accompagna le Grand Roi jusqu’au passage de l’Hellespont avec soixante mille hommes de l’armée que Mardonios avait choisie", Hérodote, Histoire VIII.126). Une récente conjecture fait de ce personnage un membre de l’entourage du Grand Roi. Entre 1933 et 1938 en effet, les archéologues ont mis à jour des milliers de tablettes d’inventaires dans la partie nord-est de la terrasse de Persépolis, auxquelles ils ont donné le nom approprié de "tablettes des fortifications", ou "PF" en abrégé (pour "Persepolis Fortifications" : c’est parmi ces tablettes qu’ont été découverts des sceaux, dont le PFS 93 que nous avons mentionné au tout début du présent paragraphe montrant Cyrus Ier seigneur d’Anshan à cheval), se rapportant à la période du règne de Darius Ier comprise entre -509 et -494. Or, sur un nombre important de ces tablettes, celles qui concernent les années -506 à -497, apparaît le nom de l’administrateur suprême des biens qui y sont inventoriés : "Parnaka fils d’Arshama". Les spécialistes pensent que ce nom de "Parnaka" est la forme originelle vieux-perse du nom hellénisé "Pharnacès", le père d’Artabaze. Ils pensent aussi qu’"Arshama", le père de ce Parnaka/Pharnacès est la forme originelle du nom hellénisé "Arsamès", que porte le grand-père de Darius Ier. Autrement dit, ce Parnaka/Pharnacès, grand administrateur des biens royaux à Persépolis entre -506 et -497 et père d’Artabaze, ne serait autre que le frère d’Hystapès, donc l’oncle de Darius Ier : Artabaze et Xerxès Ier seraient ainsi des cousins proches. Xerxès Ier arrive à destination au terme d’un périple improvisé et sans gloire : comme il a emprunté le même chemin qu’à l’aller qui a été totalement pillé, beaucoup de soldats perses sont morts de faim et de maladie ("Xerxès Ier, laissant Mardonios en Thessalie, se hâta de gagner l’Hellespont. Il arriva en quarante-cinq jours au passage du détroit, n’ayant avec lui qu’une très petite partie de son armée. Partout où passèrent ces troupes, elles enlevèrent les grains, ou à défaut elles se nourrirent de l’herbe des campagnes, de l’écorce et des feuilles des arbres sauvages et cultivés, et ne laissèrent rien tant leur faim fut pressante. La peste et la dysenterie qui survinrent en firent périr beaucoup en route. Xerxès Ier laissa les malades dans toutes les cités qu’il traversa, ordonnant aux magistrats de les nourrir et d’en prendre soin", Hérodote, Histoire VIII.115), arrivé à Eion il n’a pas retrouvé le char sacré d’Ahura-Mazda qu’il avait laissé là lors de son précédent passage ("Avant de marcher contre la Grèce, Xerxès Ier avait laissé en Macédoine le char sacré de Zeus [c’est-à-dire Ahura-Mazda] : il ne le retrouva pas, les Péoniens l’avaient donné aux Thraces, et quand il demanda ce qu’étaient devenues les juments de ce char on lui répondit qu’elles avaient été enlevées dans les pâturages par les peuples de la Thrace supérieure, qui habitaient vers les sources du Strymon", Hérodote, Histoire VIII.115), selon Eschyle il traverse le fleuve Strymon gelé qui craque sous le poids et noie les soldats perses ayant survécu à la famine ("Cette nuit-là un dieu fit naître un hiver précoce, et geler le Strymon sacré sur toute l’étendue de son cours. Alors ceux qui auparavant ne croyaient pas aux dieux lancèrent vœux et prières en adorant la terre et le ciel. Dès que l’armée cessa ses invocations, commença le passage du fleuve de glace. Mais seuls ceux d’entre nous qui le franchirent avant que les rayons du dieu se fussent répandus sur la terre sont aujourd’hui vivants [c’est le messager perse qui s’adresse à Atossa la mère de Xerxès Ier], car le disque lumineux solaire pénétra le cœur du fleuve avec ses rayons éclatants, l’échauffa de sa flamme, et les soldats s’engloutirent les uns sur les autres", Eschyle, Les Perses 495-507), et il arrive enfin en Chersonèse (on ignore si c’est par voie de terre ou par voie de mer, Hérodote rapporte les deux versions et ne dément ni l’une ni l’autre : il semble qu’il ait embarqué à Eion vers l’Hellespont [il subit une nouvelle tempête durant la traversée : "Etant arrivé à Eion sur le fleuve Strymon, après son départ d’Athènes, [Xerxès Ier] ne continua plus sa route par terre : laissant à Hydarnès le soin de conduire son armée sur les bords de l’Hellespont, il monta sur un navire phénicien qui le transporta en Asie. Pendant qu’il voguait, un vent impétueux s’éleva en provenance du Strymon qui, soulevant les flots, rendit la tempête d’autant plus dangereuse que sur le pont se trouvaient beaucoup de Perses qui s’étaient embarqués avec Xerxès Ier et surchargeaient le navire. Le Grand Roi, effrayé, demanda en criant au pilote s’il y avait un espoir de salut. Celui-ci lui répondit : “Seigneur, il n’y en a aucun si on n’allège pas le navire d’une grande partie de ses défenseurs”. Sur cette réponse, Xerxès Ier s’adressa aux Perses : “C’est donc à vous maintenant de montrer l’intérêt que vous portez à votre Grand Roi, car ma vie dépend de vous”. Ayant dit ceci, les Perses après s’être prosternés se jetèrent dans la mer. Le navire étant ainsi allégé, le Grand roi arriva sain et sauf en Asie. On raconte que, aussitôt après qu’il eut débarqué, il donna une couronne d’or au pilote pour avoir sauvé la vie au Grand Roi, mais qu’il lui fit couper la tête pour avoir causé la perte d’un grand nombre de Perses", Hérodote, Histoire VIII.118], en s’arrêtant un temps à Abdère ["Il est certain que lors de son retour [Xerxès Ier] passa par Abdère où il se lia d’amitié avec les Abdéritains, et qu’il leur offrit un cimeterre d’or et une tiare tissue d’or. Ce fut dans cette cité, au rapport des mêmes Abdéritains, que Xerxès Ier détacha sa ceinture pour la première fois depuis son départ d’Athènes, se sentant alors enfin délivré de toute crainte, mais ce point ne me paraît pas croyable", Hérodote, Histoire VIII.120]) pour découvrir que les deux ponts reliant les deux continents ont été détruits par une tempête, ce qui oblige les derniers régiments encore vivants à stationner momentanément sur place, face à Abydos, en attendant de trouver un moyen de franchir le détroit ("Les Perses partirent de la Thrace, et dès qu’ils furent arrivés au détroit ils se pressèrent pour traverser l’Hellespont sur leurs navires et gagner Abydos, les ponts de bateaux ayant été rompus par la tempête. Ils durent séjourner un temps en ces lieux, où, ayant trouvé des vivres en plus grande abondance que durant leur marche, ils mangèrent avec excès, ce qui fit périr une grande partie de ce qui restait de cette armée", Hérodote, Histoire VIII.117).


Xerxès Ier étant en sécurité en Asie, Artabaze avec le peu d’hommes qui lui reste revient vers la Thessalie en longeant la côte. Refusant l’inactivité jusqu’au retour du printemps, il décide de soumettre la Chalcidique, voisine de la Macédoine vassale et de la Thessalie où stationne le gros de l’armée perse. Il se concentre sur la presqu’île de Pallènè dont les habitants se sont révoltés en apprenant la défaite et la retraite du Grand Roi : il assiège Potidée ("Artabaze passa à son retour dans les environs de la presqu'île de Pallènè. Comme Mardonios, qui avait pris ses quartiers d’hiver dans la Thessalie et dans la Macédoine, ne le pressait pas de venir le rejoindre, il crut que, le hasard l’ayant conduit près des Potidéens, il devait les remettre sous le joug des Perses qu’ils avaient secoué : ce peuple s’était en effet ouvertement révolté contre les barbares aussitôt après le départ du Grand Roi et la fuite de l’armée navale des Perses, et leur exemple avait été suivi du reste des habitants de la presqu’île de Pallènè. Il commença par assiéger Potidée", Hérodote, Histoire VIII.126-127). Sans attendre la reddition des Potidéens, il se tourne vers la cité d’Olynthe voisine, qu’il conquiert ("Soupçonnant les Olynthiens de vouloir se révolter contre le Grand Roi, il les assiégea aussi. Leur cité était en ce temps-là occupée par les Bottiéens, qui avaient été chassés du golfe de Thermè par les Macédoniens. Artabaze ayant pris cette cité, en fit égorger les habitants dans un marais où on les conduisit. Il y mit ensuite des habitants de la Chalcidique, et en confia le gouvernement à Critobule de Toroné [cité de la presqu’île de Sithonia voisine]. Ce fut ainsi que les Chalcidiens devinrent les maîtres d’Olynthe", Hérodote, Histoire VIII.127). Il se retourne contre Potidée, qui résiste toujours après trois mois de siège. Finalement, à l’occasion d’un tsunami qui, probablement déclenché par un tremblement de terre tel que la région en connaît régulièrement, attire l’eau de la côte vers le grand large, les troupes perses assiégantes s’avancent imprudemment vers les murailles de Potidée, ignorant que ce retrait de l’eau n’est que temporaire et qu’il prélude à l’arrivée d’une gigantesque vague : quand cette vague apparaît à l’horizon, il est trop tard, les hommes sont engloutis. Artabaze retourne en Thessalie sans victoire ("Il y avait déjà trois mois qu’Artabaze assiégeait Potidée, lorsque se produisit un reflux considérable et qui dura longtemps. Les barbares, voyant que le lieu occupé auparavant par la mer n’était plus qu’une lagune, se mirent en route vers la Pallènè. Ils avaient déjà fait les deux cinquièmes du chemin, et il leur en restait encore trois pour y arriver, quand survint un flux considérable tel que les habitants assurent n’en avoir alors jamais vu en ce pays quoiqu’ils y soient fréquents. Ceux qui ne savaient pas nager périrent dans les eaux, et ceux qui savaient nager furent massacrés par les Potidéens, qui les poursuivirent dans des bateaux. […] Artabaze alla rejoindre Mardonios en Thessalie avec les débris de cette armée", Hérodote, Histoire VIII.129).


Nous arrivons au printemps -479. La flotte grecque se rassemble à Egine, désormais commandée par le roi spartiate eurypontide Leotychidès II, secondé par Xanthippos qui a remplacé Thémistocle à la tête d’escadre athénienne dans les conditions que nous avons décrites à la fin de notre précédent alinéa ("Le retour du printemps et la présence de Mardonios, qui était alors en Thessalie, réveillèrent les Grecs. Leur armée de terre n’était pas encore rassemblée au moment où leur flotte, forte de cent dix navires, partit pour Egine, commandée par Léotychidès II. […] Quant aux Athéniens, ils étaient commandés par Xanthippos fils d’Ariphron", Hérodote, Histoire VIII.131). Elle est demandée par des gens de Chio, qui veulent se débarrasser de leur tyran à la solde de l’occupant perse ("Quand tous les navires furent à Egine, des envoyés ioniens vinrent trouver les Grecs, après s’être rendu à Sparte peu de temps auparavant pour demander aux Spartiates de libérer l’Ionie […] Ces hommes, d’abord au nombre de sept, avait conspiré contre Strattis le tyran de Chio, mais l’un d’eux ayant dénoncé les six autres, ceux-ci avaient été démasqués et s’étaient échappés de Chio, avaient gagné Sparte, puis Egine, pour demander aux Grecs de conduire leur flotte en Ionie", Hérodote, Histoire VIII.132). Mais les coalisés, en particulier les Spartiates qui sont un peuple terrien et qui demeurent préoccupés par la présence de l’envahisseur perse au centre de la Grèce, d’où il peut toujours fondre sur le Péloponnèse, ne sont pas encore prêts à se lancer dans une traversée d’ouest en est de la mer Egée : Léotychidès II avance à reculons jusqu’à l’île de Délos, puis refuse d’aller plus loin ("Mais [les envoyés de Chio] ne parvinrent qu’à grand peine à faire avancer les alliés jusqu’à Délos, car au-delà tout leur faisait peur, ils ne connaissaient pas les lieux, qui leur semblaient fourmiller d’ennemis, et dans leur esprit l’île de Samos était au moins aussi loin d’eux que les Colonnes d’Héraclès [aujourd’hui le détroit de Gibraltar]. C’est ainsi que, si d’un côté les barbares n’osaient plus s’aventurer vers l’ouest, retenus par la peur, de l’autre côté les Grecs n’osaient pas se risquer à l’est de Délos malgré l’insistance des gens de Chio : la peur gardait l’espace qui les séparait", Hérodote, Histoire VIII.132). L’élection de l’archonte éponyme athénien a lieu à ce moment : Xanthippos est élu. Nous avons vu précédemment que depuis -487 les archontes sont tirés au sort, ils ne sont plus l’objet d’un vote nominatif. Il est cependant étrange que Xanthippos soit élu à l’archontat en même temps qu’à la tête de l’escadre athénienne, juste au moment où Thémistocle est mis sur la touche : devons-nous supposer que les Athéniens ont un peu aidé le hasard en trafiquant le vote, pour éviter de mécontenter le troisième personnage influent du moment qui contrairement aux deux autres (Thémistocle et Aristide) n’a encore jusqu’à cette année -479 jamais été archonte ni occupé un haut poste de commandement ? Par ailleurs, si nous sommes sûrs de la date de l’élection, nous ignorons où elle a eu lieu : la ville d’Athènes étant en ruines, les citoyens athéniens ont-ils procédé à l’élection au milieu de ces ruines, ou sur leurs navires en mer ?


Mardonios envoie aux seuls Athéniens une proposition d’alliance, espérant les séparer des autres Grecs, via Alexandre Ier Philhellène le roi de Macédoine ("Mardonios envoya en ambassade à Athènes Alexandre Ier Philhellène de Macédoine, fils d’Amyntas Ier. Il choisit ce roi parce qu’il était lié aux Perses, sa sœur Gygée fille d’Amyntas Ier ayant épousé le Perse Boubarès dont elle eut un fils appelé “Amyntas” en mémoire de son aïeul maternel […], et aussi parce qu’il avait appris que les Athéniens lui avaient décerné les titres de proxène et de bienfaiteur d’Athènes. Il imagina que, par ce moyen, il se concilierait surtout les Athéniens, dont il entendait parler comme d’un peuple nombreux et vaillant, et qu’il savait avoir le plus contribué à la défaite des Perses sur mer. Il calcula que, s’ils se joignaient à lui, il se rendrait aisément maître de la mer, complétant ainsi ses forces terrestres qu’il croyait beaucoup plus fortes que celles des Grecs", Hérodote, Histoire VIII.136). Ce dernier transmet le message de Mardonios aux Athéniens ("Alexandre Ier Philhellène, arrivé à Athènes où Mardonios l’avait député, adressa ce discours au peuple : “Athéniens, Mardonios vous dit par ma bouche : « Le Grand Roi m’a envoyé un message conçu en ces termes : ″Je pardonne aux Athéniens toutes leurs fautes. Exécute donc mes ordres, Mardonios : rends-leur leur pays et qu’ils en choisissent encore un autre à leur gré, qu’ils vivent selon leurs lois et s’ils s’allient à moi, relève tous les temples que je leur ai brûlés″. Ces ordres m’ayant été envoyés, je suis tenu de les exécuter, à moins que de votre côté vous n’y mettiez obstacle. Je vous adresse maintenant la parole en mon nom. D’où vient donc votre folie de vouloir faire la guerre au Grand Roi ? Vous ne le vaincrez jamais, et vous ne pourrez pas toujours lui résister. Les grandes actions de Xerxès Ier et la multitude de ses troupes vous sont connues, vous avez entendu parler de mes forces : quand bien même vous auriez l’avantage sur moi, quand bien même vous remporteriez la victoire, ce dont vous pourriez vous flatter si vous étiez habiles, il nous viendra d’autres armées encore plus fortes. Ne vous exposez pas, en vous égalant au Grand Roi, à être privés de votre patrie et à courir perpétuellement le risque de la vie même. Rentrez donc en grâce avec Xerxès Ier, profitez de l’occasion, jamais il ne s’en présentera où vous puissiez le faire à des conditions plus honorables. Le Grand Roi vous en presse, soyez libres, et contractez avec nous une alliance sincère, sans fraude ni tromperie ». Voilà, Athéniens, ce que Mardonios m’a commandé de vous dire”", Hérodote, Histoire VIII.140), en commettant la maladresse de leur conseiller d’accepter l’alliance proposée par le Perse : son titre de proxène d’Athènes et ses actions précédentes en faveur des Grecs le sauvent de la lapidation, mais les Athéniens lui demandent de quitter les lieux rapidement pour ne pas aggraver leur colère ("Les Athéniens répondirent à Alexandre Ier Philhellène en ces termes : “Il était inutile de grossir avec emphase les forces des Perses, nous savons aussi bien que toi que les nôtres sont inférieures aux leurs. Cependant, brûlant du beau feu de la liberté, nous nous défendrons de tout notre pouvoir. Ne cherche donc pas à nous persuader de faire alliance avec le barbare, jamais tu n’y parviendras. Va donc rapporter à Mardonios la réponse des Athéniens : tant que le soleil suivra la route qui est la sienne, nous ne ferons jamais alliance avec Xerxès Ier. Pleins de confiance en la protection des dieux et des héros dont sans aucun respect il a brûlé les temples et les statues, nous irons à sa rencontre, et le repousserons courageusement. Quant à toi, ne tiens jamais aux Athéniens de semblables discours, et ne viens plus désormais nous exhorter à faire des choses horribles sous prétexte de vouloir nous rendre des services importants, car nous sommes unis avec toi par les liens de l’hospitalité et de l’amitié et nous serions fâchés de te traiter d’une manière qui ne te serait pas agréable”", Hérodote, Histoire VIII.143 ; "Les Athéniens aimaient tellement leur patrie, que peu s’en fallut qu’ils ne lapidassent Alexandre Ier Philhéllène, ambassadeur de Xerxès Ier et précédemment leur ami, parce qu’il exigeait d’eux la terre et l’eau", Lycurgue, Contre Léocrate 71). De leur côté, apprenant l’entrevue entre le roi macédonien et les Athéniens, les Spartiates craignent que ces derniers passent du côté des Perses. Ils envoient des ambassadeurs à Athènes ("Les Spartiates, ayant appris que le roi de Macédoine venait à Athènes pour engager les Athéniens à traiter avec le Grand Roi, se rappelèrent la prédiction des oracles disant qu’ils seraient nécessairement chassés du Péloponnèse avec le reste des Doriens si les Athéniens s’unissaient aux Perses. Craignant donc qu’ils acceptassent cette alliance, ils résolurent de leur envoyer sur-le-champ une députation", Hérodote, Histoire VIII.141), où ceux-ci se font copieusement insulter par les Athéniens, dont Aristide, qui ne supportent pas qu’on ait pu les soupçonner ainsi de vouloir délibérément se rendre esclaves des Perses ("Les Athéniens s’adressèrent aux envoyés de Sparte : “La crainte des Spartiates de nous voir traiter avec le barbare est dans la nature, mais elle aurait dû vous paraître honteuse, à vous qui connaissez la magnanimité des Athéniens. Non, il n’existe pas assez d’or sur terre, ni de pays assez beau ni assez riche, qui puisse nous porter à prendre le parti des Perses pour réduire la Grèce en esclavage. Et quand bien même nous le voudrions, nous en serions détournés par plusieurs grandes raisons. La première, et la plus importante : les statues et les temples de nos dieux brûlés, renversés et ensevelis sous leurs ruines. Ce motif n’est-il pas assez puissant pour nous forcer à nous venger de tout notre pouvoir, plutôt qu’à nous allier à celui qui est l’auteur de ce désastre ? Secundo, le corps hellénique étant d’un même sang, parlant la même langue, ayant les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sacrifices, les mêmes usages, les mêmes mœurs, ne serait-ce pas une chose honteuse aux Athéniens de le trahir ? Apprenez donc, si vous l’avez ignoré jusqu’à présent, apprenez que tant qu’il restera un Athénien au monde, nous ne ferons jamais alliance avec Xerxès Ier”", Hérodote, Histoire VIII.144 ; "Informés que Xerxès Ier avait écrit aux Athéniens pour leur promettre, de la part du Grand Roi, de rétablir leur ville, de leur donner de grandes sommes d’argent et de leur assurer l’empire de la Grèce à condition qu’ils renonçassent à la guerre, les Spartiates en craignirent l’effet : ils envoyèrent des ambassadeurs aux Athéniens pour les prier de faire passer à Sparte leurs femmes et leurs enfants, et de recevoir d’eux tout ce qu’il faudrait pour l’entretien de leurs vieillards, car le peuple qui avait perdu sa ville et son territoire était réduit au plus pressant besoin. Aussitôt qu’ils entendirent les ambassadeurs, les Athéniens, par un décret dont Aristide était l’auteur, leur adressèrent cette réponse admirable : “Nous pardonnons à nos ennemis d’avoir pu croire que tout s’achetait à prix d’argent, eux qui ne connaissent rien de plus précieux. Mais nous en voulons aux Spartiates qui, ne considérant que la disette et la pauvreté actuelles des Athéniens, ne se souviennent plus de leur vertu et de leur magnanimité, et les invitent par l’appât de quelques vivres à combattre pour le salut de la Grèce”. Aristide, ayant inséré cette réponse dans le décret, fit entrer les ambassadeurs dans l’Ekklesia et les chargea de dire aux Spartiates qu’il n’existait pas assez d’or sur la terre ni dans ses entrailles pour inciter les Athéniens à trahir la liberté de la Grèce. Ensuite, s’adressant aux ambassadeurs de Mardonios, il leur dit en leur montrant le soleil : “Tant que cet astre suivra sa route, les Athéniens feront la guerre aux Perses pour venger le dégât de leurs terres, la profanation et l’incendie de leurs temples”. Il fit aussi décréter que les prêtres chargeraient de leurs malédictions quiconque proposerait de faire alliance avec les Perses ou d’abandonner le parti des Grecs", Plutarque, Vie d’Aristide 17).


Les Spartiates ont craint de voir passer Athènes dans le camp perse, mais ils font tout pour parvenir à ce résultat : quand les Athéniens leur demandent d’avancer leurs troupes jusqu’en Attique pour prévenir une nouvelle invasion d’Athènes par l’armée perse, ils ne bougent pas, ce qui oblige les Athéniens à rembarquer sur leurs navires et à se réfugier à nouveau sur l’île de Salamine ("Tant que [les Athéniens] espérèrent des secours du Péloponnèse, ils restèrent dans l’Attique. Mais la lenteur, la nonchalance des alliés, et l’approche de Mardonios, qu’on disait déjà en Béotie, les déterminèrent à transporter sur Salamine tous leurs effets, et à y passer ensuite eux-mêmes", Hérodote, Histoire IX.6). Mardonios de son côté invoque l’attitude des Athéniens pour justifier une seconde attaque contre la cité d’Athènes, qu’il investit sans mal puisqu’elle est déserte en juin -479 (dix mois après la première invasion par Xerxès Ier en septembre -480 : "A son arrivée dans l’Attique, [Mardonios] n’y trouva pas les Athéniens : la plupart étaient, comme il l’apprit, à Salamine ou sur leurs navires. Il s’empara pour la seconde fois de cette ville déserte, dix mois après que Xerxès Ier l’eut prise pour la première fois", Hérodote, Histoire IX.3). Il envoie un messager pour exiger la soumission sans condition des Athéniens retranchés sur Salamine et sur leurs navires : un Athénien ayant prêté une oreille trop complaisante à cette exigence, est immédiatement lapidé ("Tandis qu’il était à Athènes, [Mardonios] dépêcha vers Salamine l’Hellespontien Mourychidès avec les mêmes propositions qu’Alexandre Ier Philhellène de Macédoine avait déjà portées de sa part aux Athéniens. Il leur adressa cette seconde députation en sachant d’avance qu’ils étaient malintentionnés, mais il croyait qu’en voyant l’Attique subjuguée et réduite sous sa puissance ils relâcheraient leur obstination. Mourychidès, ayant été admis devant la Boulè, s’acquitta de la commission dont Mardonios l’avait chargé. Un bouleute nommé “Lykidas” dit qu’il lui paraissait avantageux de recevoir les propositions de l’envoyé, et d’en faire le rapport au peuple. Il exprima cet avis parce qu’il lui plût ou parce qu’il reçut de l’argent de Mardonios. Aussitôt les Athéniens indignés, tant ceux de la Boulè que ceux du dehors, s’attroupèrent autour de lui et le lapidèrent. On renvoya ensuite l’Hellespontien Mourychidès sans lui faire aucun mal", Hérodote, Histoire IX.4-5). Les Athéniens envoient une nouvelle ambassade pour demander aux Spartiates d’intervenir, alors en pleines fêtes des Hyakinthia (fête laconienne célébrant le retour de la belle saison, associée à la fleur homonyme "hyakinthos/Ø£kinqoj", qui deviendra "jacinthe" en français : "Ils envoyèrent une députation aux Spartiates, d’une part pour se plaindre qu’ils n’avaient pas voulu aller avec eux en Béotie au-devant du barbare, laissant ainsi ce dernier entrer dans l’Attique par leur négligence, et d’autre part pour leur rappeler les promesses de Mardonios au cas où ils voulaient changer de parti et leur dire que, s’ils ne les secouraient pas, ils trouveraient eux-mêmes le moyen de se soustraire aux maux qui les menaçaient. On célébrait alors à Sparte la fête des Hyacinthia, et les Spartiates s’en faisaient un devoir indispensable", Hérodote, Histoire IX.6). Les Spartiates une nouvelle fois font attendre les Athéniens, parce qu’ils ont une autre vision de la situation : ils sont en train de construire dare-dare un mur défensif sur l’isthme de Corinthe pour barrer l’accès du Péloponnèse aux envahisseurs perses, sans en avoir averti les Athéniens, et une majorité d’entre eux estiment que quand ce mur sera terminé l’aide athénienne ne sera plus indispensable ("Les éphores remirent leur réponse au lendemain, le lendemain au jour suivant, et ainsi de suite pendant dix jours, renvoyant les Athéniens d’un jour à l’autre. Pendant ce temps, les Péloponnésiens travaillaient tous avec ardeur à fermer l’isthme d’un mur, et ce mur était près d’être achevé. Pourquoi les Spartiates montrèrent-ils, à l’arrivée à Athènes d’Alexandre Ier Philhellène de Macédoine, tant d’empressement à détourner les Athéniens d’épouser les intérêts des Perses, alors que par la suite ils n’en tinrent aucun compte ? Je n’en puis donner d’autre raison que celle-ci : l’isthme étant fermé ils croyaient n’avoir plus besoin des Athéniens, alors que quand Alexandre Ier Philhellène vint à Athènes le mur n’était pas encore achevé, et les Spartiates effrayés d’une invasion des Perses y travaillaient encore sans relâche", Hérodote, Histoire IX.8). Un certain "Chiléos", originaire de la cité de Tégée, parvient néanmoins à les convaincre de répondre à l’appel des Athéniens, redoutant que ces derniers en apprenant l’édification de ce mur en travers de l’isthme passent du côté des Perses ("Chiléos de Tégée, qui jouissait à Sparte d’un plus grand crédit que tous les autres étrangers, ayant appris de l’un des éphores les ambassades des Athéniens, leur parla en ces termes : “Ephores, tel est l’état des affaires. Si les Athéniens, au lieu de rester unis avec nous, s’allient avec le barbare, une forte muraille a beau s’étendre d’un bout de l’isthme à l’autre, le Perse trouvera toujours des portes pour entrer dans le Péloponnèse. Prêtez donc l’oreille à leurs demandes avant qu’ils prennent une résolution funeste à la Grèce”", Hérodote, Histoire IX.9). Les Spartiates envoient cinq mille hommes vers le nord, secrètement, pour faire croire qu’ils sont partis depuis plusieurs jours et signifier aux Athéniens qu’ils n’ont pas de raison de douter de la loyauté de Sparte. Ce contingent est commandé par Pausanias, qui assure la régence suite à la mort de son père Cléombrote, en attendant la majorité de Pleistarchos, l’héritier légitime au trône agiade ("Les éphores, ayant réfléchi sur ce conseil [de Chiléos de Tégée], firent partir sur-le-champ et de nuit, sans rien communiquer aux députés des cités [alliées, présents dans Sparte], cinq mille Spartiates, accompagnés chacun de sept hilotes, sous la conduite de Pausanias fils de Cléombrote. Le commandement revenait à Pleistarchos, fils de Léonidas Ier, mais comme il était encore enfant son cousin et tuteur Pausanias assurait la régence, Cléombrote fils d’Anaxandride II, le père de Pausanias, étant mort peu de temps après avoir ramené de l’isthme l’armée qui avait construit le mur", Hérodote, Histoire IX.10 ; "Cousin de Pleistarchos le fils de Léonidas Ier, Pausanias exerçait la fonction de régent", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.132). Les éphores informent les ambassadeurs athéniens de l’existence de ce contingent en route vers le nord, les Athéniens surpris et agacés par le temps perdu décident de retourner vers Salamine. Un autre contingent de cinq mille périèques les accompagne ("Les éphores leur dirent sous serment que les troupes de Sparte étaient en marche contre les “xénos” ["xšnoj/étranger", qu’on retrouve dans le français "xénophobie/crainte envers l’étranger"], comme ils appelaient les barbares, et qu’ils les croyaient déjà arrivées à Oresthéion [en Arcadie]. Les députés, n’étant pas instruits de cette manœuvre, leur demandèrent une explication. Quand on la leur eut donnée, ils furent très surpris et partirent en diligence pour les joindre. Cinq mille périèques d’élite pesamment armés les accompagnèrent", Hérodote, Histoire IX.11). Selon les textes officiels athéniens rapportés par Plutarque, les deux adversaires politiques Cimon et Xanthippos - récemment élu archonte éponyme - sont encore côte-à-côte dans cette ambassade, ils sont accompagnés par Myronidès, personnage que les Athéniens semblent avoir considéré comme le plus grand général de son temps mais dont la biographie détaillée n’est pas parvenue jusqu’à nous. Selon le philosophe épicurien Idoménée de Lampsaque, Aristide est à la tête de cette ambassade ("Mardonios entra donc pour la seconde fois dans l’Attique, et les Athéniens passèrent encore à Salamine. Aristide, envoyé à Sparte, se plaignit de la lenteur et de la négligence des Spartiates qui avaient de nouveau livré Athènes aux barbares, il les pressa d’envoyer leurs troupes au secours de ce qui restait de la Grèce. Les éphores, après l’avoir écouté, passèrent le reste de la journée en fêtes et en réjouissances, car ils célébraient alors les fêtes des Hyacinthia. Mais la nuit ils choisirent cinq mille Spartiates, qui prirent chacun sept hilotes, et ils les firent partir sans rien dire aux ambassadeurs athéniens. Quand pour la seconde fois Aristide présenta ses plaintes, les éphores lui dirent en riant qu’il rêvait ou qu’il dormait puisque leur armée était déjà à Orestheion et marchait contre les “xénos”, comme les Spartiates appelaient les barbares. Aristide leur répondit que ce n’était pas le moment de rire et de jouer leurs alliés, au lieu de tromper leurs ennemis. Tel est le récit d’Idoménée. Mais dans le décret, Aristide n’est pas nommé au nombre des ambassadeurs : on n’y voit que Cimon, Xanthippos et Myronidès", Plutarque, Vie d’Aristide 18).


La bataille de Platées


Mardonios, apprenant l’arrivée des Spartiates, décide de se replier vers la Béotie, plus propre aux manœuvres de cavalerie que l’Attique, après avoir brûlé Athènes pour punir les Athéniens de leur refus de se soumettre ("Cette nouvelle [le refus des Athéniens de se rendre] fit perdre à Mardonios l’envie de demeurer plus longtemps en Attique. Il y était resté avant de l’apprendre parce qu’il voulait mesurer la détermination des Athéniens. Il n’avait pas encore ravagé leurs terres, et n’y avait fait aucun dégât, espérant toujours qu’ils s’accommoderaient avec lui. Mais n’ayant pu les y engager, instruit de tous leurs desseins, il se retira avant que Pausanias fût arrivé avec ses troupes à l’isthme. En sortant d’Athènes, il y mit le feu, et fit abattre tout ce qui subsistait encore, murs et édifices, tant sacrés que profanes. Il quitta l’Attique parce qu’elle est inadéquate pour la cavalerie et parce que, en cas de défaite, il ne pourrait se retirer que par des défilés où quelques hommes seulement suffiraient pour l’arrêter. Il résolut donc de retourner à Thèbes, afin de combattre près d’une cité amie, et dans un pays commode pour la cavalerie", Hérodote, Histoire IX.13 ; quatre décennies plus tard, vers -444, Hérodote verra encore les traces de cet incendie : "[Les Athéniens] suspendirent sur l’Acropole les chaînes portées par les captifs [de Chalcis et de Béotie, dans la guerre civile qui a opposé les partisans de la démocratie conduits par Clisthène le jeune et les partisans du maintien de la tyrannie conduits par Isagoras, entre -511 et -508] : on les voit encore aujourd’hui, suspendues aux murs noircis par l’incendie allumé par les Mèdes [en réalité les Perses], en face du temple qui regarde vers l’ouest", Hérodote, Histoire V.77 ; pour l’anecdote, c’est dans cet incendie que sont brûlés la statue et le quadristique 501A du volume I/3 des Inscriptions grecques dont nous avons parlé plus haut, relatif à l’installation des clérouques athéniens à Chalcis), et après avoir fait un détour vers les plaines du côté de Mégare dans l’espoir vain de surprendre les Spartiates déjà sur place avant qu’ils prennent position ("[Mardonios] était déjà en marche, lorsqu’un courrier vint à toutes jambes lui annoncer qu’un autre corps de mille Spartiates allait du côté de Mégare. Aussitôt il délibéra sur les moyens de l’intercepter, comme il le désirait. Il rebroussa chemin avec son armée et la conduisit vers Mégare, faisant prendre les devants à la cavalerie, qui parcourut toute la Mégaride. Cette armée ne pénétra pas plus avant en Europe du côté de l’occident", Hérodote, Histoire IX.14). Il s’installe près de Platées, construit une enceinte fortifiée en hâte ("Ayant tourné vers Scolos, [Mardonios] arriva sur les terres des Thébains et les ravagea, alors qu’ils étaient favorables aux Perses : ce ne fut pas par haine contre eux, mais parce qu’il était dans la nécessité de fortifier son camp, afin d’y trouver un asile en cas où la bataille ne répondrait pas à ses espérances. Le camp des Perses commençait à Erythrée, passait près d’Hysies, et s’étendait jusqu’au territoire de Platées, le long du fleuve Asopos. Le mur qu’il fit élever n’occupait pas toute cette étendue, mais environ dix stades en carré", Hérodote, Histoire IX.15), avec la bénédiction des Thébains, qui lui suggèrent de laisser son armée camper là et de s’occuper à corrompre les Grecs pour les dresser les uns contre les autres ("[Les Thébains] lui signifièrent que ce lieu était le plus commode pour camper, et que s’il y demeurait il se rendrait maître de la Grèce entière sans coup férir, car on vainc difficilement les Grecs par la force tant qu’ils sont unis, même quand on a beaucoup d’hommes, comme lui-même l’avait éprouvé récemment [lors des batailles de -480]. Ils ajoutèrent : “Si tu suis notre conseil, tu déconcerteras sans peine leurs meilleurs projets. Envoie de l’argent à ceux qui ont le plus de crédit dans chaque cité : la division se répandra dans toute la Grèce, et avec le secours de ceux qui prendront ton parti tu subjugueras facilement ceux qui n’épouseront pas tes intérêts”", Hérodote, Histoire IX.2), et qui l’accueillent dans leur cité avec beaucoup d’égards ("Tandis que les Barbares étaient occupés à ce travail [de fortification près de Platées], le Thébian Attaginos fils de Phrynon apprêta un grand festin auquel il invita Mardonios avec cinquante Perses réputés, qui se rendirent à Thèbes où le repas se donna", Hérodote, Histoire IX.15).


Les Spartiates arrivent au mur défensif qu’ils ont construit dans l’isthme de Corinthe. Ils restent un temps pour effectuer des sacrifices, puis ils continuent leur route vers le nord, et rejoignent le gros des Athéniens qui de leur côté ont quitté Salamine, où ils étaient réfugiés, pour débarquer à Eleusis. Spartiates et Athéniens ensemble, avec des contingents d’autres cités grecques également décidées à batailler contre les Perses, partent ensuite vers Erythrée ("Sitôt qu’ils arrivèrent à l’isthme, les Spartiates y assirent leur camp. Sur cette nouvelle, les peuples du Péloponnèse les plus patriotes se mirent en marche, ainsi que ceux qui avaient été témoins du départ des Spartiates, les uns et les autres ne voulant pas que les Spartiates eussent un quelconque avantage sur eux. Les sacrifices étant favorables, ils sortirent tous de l’isthme, et arrivèrent à Eleusis. On renouvela en cet endroit les sacrifices, et comme ils étaient favorables ils continuèrent leur marche, accompagnés des Athéniens qui, étant passés de Salamine sur le continent, les avaient rejoints à Eleusis. Ayant appris, à leur arrivée à Erythrée en Béotie, que les barbares campaient sur les bords du fleuve Asopos, ils tinrent conseil et allèrent se poster vis-à-vis d’eux, au pied du mont Cithéron", Hérodote, Histoire IX.19). Aristide commande le contingent athénien, tandis que Pausanias prend le commandement suprême de toute cette armée panhellénique en marche ("Elu stratège des Athéniens pour la bataille qui devait se donner, [Aristide] prit huit hoplites et se dirigea vers Platées, où il fut rejoint par Pausanias, stratège de toute l’armée des Grecs, qui était à la tête des Spartiates,", Plutarque, Vie d’Aristide 19).


Mardonios veut empêcher les Grecs de s’installer. Il envoie donc contre eux la cavalerie perse, qu’il confie à un nommé "Masistios" (ce nom ressemble beaucoup à celui du frère de Xerxès Ier qu’Hérodote appelle "Masistès" et que pour notre part nous appelons "Ariaramnès", estimant que ce soi-disant nom de "Masistès" n’est en réalité qu’une hellénisation de l’adjectif vieux-perse "mathishta" signifiant "second", et par extension "successeur, héritier", et désignant la fonction qu’Ariaramnès occupe auprès de son frère le Grand Roi Xerxès Ier : il est possible que ce soi-disant nom de "Masistios" désigne pareillement la fonction de "mathishta" qu’occupe ce personnage auprès de son commandant en chef Mardonios : "Mardonios envoya contre [les Grecs] toute sa cavalerie, commandée par Masistios, homme de grande réputation parmi les Perses. Ce général, que les Grecs surnomment “Makistios” ["Mak…stioj", calembour en grec, par rapprochement du nom "Masistios/Mas…stioj" et de l’adjectif "mèkistos/m»kistoj", qui signifie "très grand"], était monté sur un cheval néséen, dont la bride était d’or et le reste du harnais magnifique. La cavalerie s’étant approchée des Grecs en bon ordre, fondit sur eux et leur fit beaucoup de mal, leur reprochant en même temps de n’être que des femmes", Hérodote, Histoire IX.20). Le contingent de Mégare est submergé, il appelle à l’aide. Pausanias, comme commandant suprême, demande des volontaires pour aller relever les Mégariens : un régiment d’Athéniens sous les ordres d’un nommé "Olympiodoros" se propose ("Les Mégariens se trouvaient par hasard placés dans l’endroit le plus aisé à attaquer, et d’accès facile pour les chevaux. Pressés par la cavalerie, ils envoyèrent un héraut aux stratèges grecs, qui leur parla ainsi : “Les Mégariens vous disent : « Alliés, nous ne pouvons pas soutenir seuls le choc de la cavalerie perse dans le poste où l’on nous a d’abord placés. Quoique bousculés, nous avons jusqu’ici résisté avec fermeté et courage, mais si vous n’envoyez pas des troupes pour nous relever nous quitterons notre poste et nous nous retirerons »”. Le héraut ayant fait ce rapport, Pausanias sonda les Grecs pour trouver des volontaires désireux de défendre ce poste à la place des Mégariens. Tous refusèrent, excepté les trois cents Athéniens d’élite commandés par Olympiodoros fils de Lampon, qui se chargèrent de cette tâche", Hérodote, Histoire IX.21), dont Plutarque rapporte qu’il est soutenu par Aristide ("Mardonios, pour tester les forces des Grecs à l’endroit où il était lui-même le plus fort, envoya sa cavalerie escarmoucher contre eux. Ils étaient campés au pied du mont Cithéron, dans des lieux fortifiés et pierreux. Seuls les Mégariens, au nombre de trois mille, étaient postés dans la plaine. Aussi furent-ils malmenés par cette cavalerie, qui pouvait les approcher et les assaillir de tous côtés. Hors d’état de résister seuls à cette multitude de barbares, ils demandèrent du secours aussitôt à Pausanias. A cette nouvelle, Pausanias, voyant déjà le camp des Mégariens comme couvert sous une grêle de traits et de dards qui les forçait de se resserrer sur un très petit espace, et ne pouvant lui-même aller contre cette cavalerie avec la phalange pesamment armée des Spartiates, voulut piquer d’émulation les capitaines grecs autour de lui et leur inspirer l’ardeur de marcher contre les Perses pour soutenir les Mégariens. Personne n’y paraissant disposé, Aristide, au nom des Athéniens, se chargea de le faire, et sur-le-champ il en donna l’ordre à Olympiodoros, le plus brave de ses chefs qui commandait une compagnie de trois cents fantassins et quelques gens de trait. Ils furent prêts en un moment, et fondirent sur les barbares", Plutarque, Vie d’Aristide 23). La cavalerie perse lance un nouvel assaut : le cheval de Masistios est touché, Masistios tombe à terre et est tué par les hommes d’Olympiodoros ("La cavalerie perse lança son attaque en ordre et par escadrons. Mais Masistios l’ayant devancée, son cheval fut atteint d’un coup de flèche au flanc : il se cabra de douleur, et jeta Masistios par terre. Les Athéniens fondirent immédiatement sur lui, se saisirent du cheval, et tuèrent le cavalier malgré sa résistance. Ils ne le purent dans un premier temps, à cause de la cuirasse d’or en écailles qu’il avait sous son habit de pourpre, et c’était en vain qu’ils lui portaient des coups, mais quelqu’un s’en étant aperçu le frappa à l’œil, et il mourut", Hérodote, Histoire IX.22). Les cavaliers perses continuent un temps leurs assauts sans voir que leur chef est mort : quand ils s’en rendent compte, ils décident de tout faire pour reprendre le corps ("La cavalerie ne fut pas informée tout de suite du malheur arrivé à son général. Comme précédemment elle revenait à la charge et battait en retraite en ignorant ce qui s’était passé, car personne n’avait vu Masistios tomber de cheval et l’avait vu périr. Mais les barbares s’étant arrêtés et voyant que personne ne leur donnait d’ordre, ils en furent sur-le-champ affligés, et ayant appris que leur général n’était plus ils s’exhortèrent mutuellement et poussèrent leurs chevaux à toutes jambes pour enlever le corps de Masistios", Hérodote, Histoire IX.22). Ils lancent un nouvel assaut sans parvenir à reprendre le corps de leur chef mort, Olympiodoros demande l’aide des Grecs, Pausanias répond à sa demande, et finalement les cavaliers perses sont repoussés et renoncent à reprendre le corps de Masistios ("Les Athéniens les voyant accourir tous ensemble, et non plus par escadrons, appelèrent à eux le reste de l’armée. Pendant que l’infanterie venait à leur secours, il y eut un combat très vif pour le corps de Masistios. Tant que les trois cents Athéniens furent seuls, ils eurent un très grand désavantage, et ils abandonnèrent le corps. Mais lorsque le secours fut arrivé, la cavalerie ne put en soutenir le choc, et, loin d’enlever le corps de son général, elle perdit beaucoup de monde. Les cavaliers, s’étant éloignés d’environ deux stades, délibérèrent sur ce qu’ils devaient faire : comme ils n’avaient plus personne pour les commander, ils décidèrent de retourner vers Mardonios", Hérodote, Histoire IX.23 ; "Masistios, général de la cavalerie des Perses, homme d’une force prodigieuse, remarquable par sa taille et sa bonne mine, les voyant venir à lui, tourna bride et piqua droit sur eux. Les Athéniens l’attendirent de pied ferme, et un combat rude et opiniâtre s’engagea, les deux partis voulant juger du succès de cette bataille par l’issue de cette escarmouche. Finalement, le cheval de Masistios ayant été blessé d’une flèche, renversa par terre ce général qui, une fois tombé, ne put se relever, retenu par le poids de ses armes. Les Athéniens coururent aussitôt sur lui, mais ne parvinrent pas à le tuer parce qu’il avait non seulement la poitrine et la tête, mais encore les jambes et les bras couverts de lames d’or, de bronze et de fer. Mais un soldat lui ayant enfoncé le bois de sa pique dans l’œil, que la visière de son casque laissait à découvert, il mourut de cette blessure. Les Perses, abandonnant son corps, prirent la fuite. Les Grecs connurent la grandeur de ce succès non pas par le nombre des morts, car il y en eut peu sur la place, mais par le deuil qu’en firent les barbares : ceux-ci furent si affligés de la mort de Masistios qu’ils se rasèrent la tête, qu’ils coupèrent les crins de leurs chevaux et de leurs mulets, et remplirent tous les environs de cris et de gémissements que leur arrachait la perte de ce général dont le courage et l’autorité ne cédaient qu’à Mardonios", Plutarque, Vie d’Aristide 24).


Les Grecs se déplacent ensuite vers Platées, pour faire face aux Perses ("On décida ensuite d’aller vers Platées, dont le territoire paraissait beaucoup plus propice à un campement que celui d’Erythrée pour plusieurs raisons, entre autres pour l’abondance de ses eaux. On résolut donc de s’y rendre et d’y camper en ordre de bataille, près de la fontaine de Gargaphie. Les Grecs, ayant pris leurs armes, marchèrent en contrebas du mont Cithéron, passèrent près d’Hysies, et se rendirent dans le territoire de Platées. Lorsqu’ils y furent arrivés, ils se rangèrent par ethnies près de la fontaine de Gargaphie et du temple consacré au héros Androcrateos, les uns sur des collines peu élevées, les autres dans la plaine", Hérodote, Histoire IX.25). Arimnestos, stratège des Platéens, qui connaît bien le pays puisque c’est le sien, propose de provoquer la bataille dans un endroit où il sait que la cavalerie perse aura du mal à manœuvrer ("Arimnestos, à peine éveillé, fit appeler les plus vieux et les plus instruits de ses compatriotes et conféra avec eux. Ayant examiné la chose avec attention, on se souvint finalement que près de la cité d’Hysies, au pied du Cithéron, se trouvait un vieux temple à Déméter Eleusinienne et à Korè. Aussitôt il alla quérir Aristide et le mena sur ce lieu : ils le trouvèrent très commode pour y ranger en bataille une armée faible en cavalerie, parce que le pied du Cithéron, qui s’étend jusqu’à ce temple, rend les extrémités de la plaine impraticables aux cavaliers. Là se trouvait aussi le sanctuaire du héros Androcrateos, environné d’arbres épais", Plutarque, Vie d’Aristide 20). La proposition est adoptée. Les Grecs se mettent en position, momentanément embarrassés par la controverse suivante. Dans les batailles de fantassins en ligne, un phénomène se produit toujours : l’hoplite tient son épée de la main droite tandis que son bouclier est accroché sur son bras gauche, les hoplites du flanc droit sont donc l’aile offensive, tandis que ceux du flanc gauche constituent l’aile défensive. Quand la bataille tourne bien on constate toujours que l’aile droite entraîne en avant l’aile gauche dans le dispositif ennemi parce que chaque soldat veut protéger son bras droit découvert par le bouclier de son voisin de droite qui avance, quand la bataille tourne mal on constate au contraire que ceux de l’aile droite ont naturellement tendance à reculer derrière les boucliers de leurs voisins de gauche, provoquant un recul général de la ligne de front, et cette tendance est accentuée par le fait qu’en face les soldats ennemis sont équipés de la même façon et obéissent donc à la même technique de combat, autrement dit le flanc droit ami cherche toujours à déborder le flanc gauche ennemi, et le flanc gauche ami cherche à ne pas se laisser déborder par le flanc droit ennemi ("Un phénomène se reproduit chaque fois qu’une armée marche à l’ennemi : la ligne tend à incliner progressivement vers la droite, de sorte que l’aile droite de chacune des armées qui s’affrontent finit par déborder l’aile gauche de l’adversaire. Ceci est un effet de la peur qui amène chaque homme à s’abriter derrière le bouclier de son voisin de droite afin de se couvrir du côté où il est vulnérable, car c’est derrière un mur de boucliers serrés les uns contre les autres que les soldats se sentent le mieux protégés. Le premier responsable de ce mouvement est l’homme placé à l’extrémité de la ligne à droite : il cherche continuellement à dérober aux coups de l’ennemi son flanc découvert, et les autres poussés par la mêmes crainte en font autant", Thucydide, Guerre du Péloponnèse V.71). Ainsi, les positions les plus confortables et les plus honorables sont celle des deux extrémités, celle-ci parce qu’elle amène la victoire dans une offensive contre la ligne ennemie, celle-là parce qu’elle assure la gloire d’une résistance héroïque ou même d’une défaite courageuse contre les assauts de l’adversaire. A Platées, les Spartiates se réservent l’aile droite offensive ("A l’aile droite se trouvaient dix mille Lacédémoniens, parmi lesquels ont comptait cinq mille Spartiates, soutenus par trente-cinq mille hilotes armés légèrement, chaque Spartiate ayant sept hilotes autour de lui", Hérodote, Histoire IX.28). Mais une querelle éclate pour l’aile gauche, celle qui subira les charges de l’ennemi : les Tégéens et les Athéniens la réclament, refusant d’être cantonnés au centre du dispositif, réduits à n’être que les auxiliaires des offensifs de l’aile droite ou des défenseurs de l’aile gauche ("Quand les troupes voulurent prendre en cet endroit le rang qu’elles devaient occuper, une grande contestation s’éleva entre les Tégéens et les Athéniens, les uns et les autres soutenant qu’ils devaient avoir le commandement de l’une des deux ailes, et rapportant pour appuyer leurs prétentions les belles actions qu’ils avaient faites récemment et dans les siècles les plus reculés", Hérodote, Histoire IX.26). Les Spartiates donnent raison aux Athéniens, en hommage à leur victoire de Marathon dix ans plus tôt ("Toute l’armée des Spartiates s’écria que [les Athéniens] méritaient plus que les Arcadiens de commander une des ailes de l’armée. C’est ainsi que les Athéniens obtinrent ce poste, et l’emportèrent sur les Tégéens", Hérodote, Histoire IX.28). Selon Plutarque, les Athéniens obtiennent satisfaction grâce à une intervention d’Aristide ("Quand on rangea l’armée en bataille, une dispute s’éleva entre Tégéens et Athéniens sur le poste qu’ils occuperaient. Les Tégéens soutenaient que, comme les Spartiates commandaient toujours l’aile droite, ils devaient avoir le commandement de l’aile gauche, et pour justifier leur prétention ils vantèrent les services de leurs ancêtres. Les Athéniens indignés étaient prêts à s’emporter, mais Aristide s’avança au milieu des troupes et dit : “La conjoncture présente ne permet pas de contester aux Tégéens leur noblesse et leurs exploits. Mais nous vous disons à vous, Spartiates, et à tous les autres Grecs, que n’importe quel poste n’ôte ni ne donne le courage : peu importe le rang qui nous sera assigné, nous le défendrons bien et dans l’honneur, afin de ne pas ternir la gloire de nos premiers combats. Nous sommes venus non pas pour disputer contre nos alliés mais pour combattre nos ennemis, non pas pour vanter nos ancêtres mais pour montrer que nous sommes comme eux des gens courageux aux yeux de toute la Grèce. Ce combat permettra de mesurer le degré d’estime que méritent, parmi les Grecs, les cités, les stratèges et les soldats”. Ce discours d’Aristide fit tant d’impression sur les stratèges et sur tous les capitaines présents au conseil, qu’ils penchèrent du côté des Athéniens et leur donnèrent le commandement de l’aile gauche", Plutarque, Vie d’Aristide 21).


Le face-à-face dure huit jours, pendant lesquels les Grecs reçoivent continuellement des renforts. Mardonios lance une petite escarmouche ("L’armée grecque grossissant tous les jours, le Thébain Timégénidès fils d’Herpys conseilla à Mardonios de bloquer les passages du Cithéron, en lui montrant que les Grecs accouraient en foule à l’armée ennemie et qu’ainsi il en enlèverait un grand nombre. Il y avait déjà huit jours qu’ils étaient campés les uns face aux autres lorsqu’il donna ce conseil à Mardonios. Ce général le trouva habile : dès que vint la nuit, il envoya la cavalerie vers les passages du Cithéron qui conduisent à Platées, que les Béotiens appellent “Treis Kephalas” ["Tre‹j Kefal£j/Triple Tête"] et les Athéniens “Dryos Kephalas” ["DruÒj Kefal£j/Tête de Bois"]. Son intervention fut utile, puisqu’elle enleva un convoi de cinq cents bêtes de somme, avec des voitures et leurs conducteurs, qui débouchait dans la plaine et apportait des vivres du Péloponnèse au camp des Grecs. Lorsqu’ils les eurent en leur pouvoir, les Perses massacrèrent impitoyablement les hommes et les bêtes, sans rien épargner, et quand ils furent rassasiés de ce carnage ils chassèrent devant eux le reste et retournèrent au camp vers Mardonios", Hérodote, Histoire IX.38-39), qu’il répète pendant deux jours. Puis le face-à-face immobile reprend ("Après cette action, deux autres jours passèrent sans que l’un des deux adversaires voulût commencer le combat. Les barbares s’avancèrent jusque sur les bords du fleuve Asopos pour tâter les ennemis, mais ni l’une ni l’autre armée ne voulut passer le cours d’eau. La cavalerie de Mardonios ne cessait d’inquiéter et de harceler les Grecs car les Thébains, extrêmement zélés pour les Perses, les incitaient ardemment à guerroyer en s’approchant toujours sans engager d’action. Elle était relevée par les Perses et les Mèdes, qui se distinguèrent beaucoup. Rien d’autre n’arriva pendant dix jours", Hérodote, Histoire IX.40-41). La tension est extrême de part et d’autre. Du côté athénien, on s’impatiente au point que des nobles complotent pour livrer la Grèce à l’ennemi et renverser le régime démocratique dans Athènes : Aristide, qui n’est pourtant pas un défenseur acharné de la démocratie, et qui a même été ostracisée par elle en -484 ou -483, les surprend et étouffe l’affaire pour ne pas déstabiliser la troupe ("Pendant que la Grèce entière était dans l’attente de l’événement et que les Athéniens en particulier se trouvaient dans la situation la plus critique, plusieurs citoyens des familles les plus nobles et les plus riches, que la guerre avait ruinés et qui, ayant perdu la gloire et l’autorité dont ils jouissaient en même temps que la fortune, ne supportaient pas de voir en d’autres mains les honneurs et les dignités, s’assemblèrent secrètement dans une maison de Platées et conspirèrent pour renverser le régime démocratique dans Athènes ou, en cas d’échec, perdre la Grèce entière en la livrant aux barbares. Cette conspiration se tramait au milieu du camp, et la corruption avait déjà réalisé des grands progrès, quand Aristide en fut averti. Effrayé d’abord à cause du contexte, il crut qu’il ne fallait ni négliger ni publier une affaire de cette nature : ignorant jusqu’à quel nombre de personnes la complicité s’étendait, il estima préférable d’attenter momentanément contre la justice plutôt que risquer le salut général. Il ne fit arrêter que huit hommes parmi les coupables, et il commença le procès de seulement d’eux d’entre ces hommes, les plus chargés : Eschine du dème de Lamptre et Agésias du dème d’Acharnes, qu’il laissa s’enfuir du camp pendant l’instruction. Puis il remit les autres en liberté en leur laissant les moyens de se rassurer et de se repentir : en les considérant non-coupables, il leur expliqua que le champ de bataille serait pour eux un tribunal où ils pourraient se justifier et montrer qu’ils n’avaient jamais eu pour leur patrie que des intentions pures", Plutarque, Vie d’Aristide 22).


Mais la situation est encore plus critique du côté perse. Après onze jours de vaines intimidations, Mardonios prend conscience que le temps joue contre lui : ses vivres commencent à manquer, et face à lui les Grecs se renforcent de jour en jour. Une dispute éclate avec Artabaze qui, comme les Thébains, voudrait se replier sur Thèbes en essayant de corrompre les Grecs les plus influents pour diviser le camp ennemi : Mardonios n’est pas d’accord avec ce plan, car il constate que les Perses n’ont plus les moyens de demeurer encore longtemps en Grèce, une bataille au plus tôt reste la seule option pour empêcher les Grecs de devenir définitivement invincibles ("Le onzième jour après l’installation des deux armées à Platées, tandis que les Grecs continuaient à recevoir des renforts considérables et qu’il s’agaçait profondément de l’inaction générale, Mardonios conféra avec Artabaze le fils de Pharnacès, que Xerxès Ier estimait beaucoup parmi les Perses. Celui-ci fut d’avis de lever au plus tôt le camp et de s’approcher des murs de Thèbes, où l’on avait fait porter des vivres pour les troupes et des fourrages pour les chevaux, ce qui permettrait de terminer tranquillement la guerre, pendant qu’on enverrait beaucoup d’or monnayé et non monnayé, avec une grande quantité d’argent et de vases à boire, aux Grecs ayant le plus d’autorité dans les cités, pour qu’ils livrassent leur liberté sans que l’on fût contraints de courir les risques d’une bataille. Les Thébains se rangèrent à cet avis, le croyant le plus prudent. La réaction de Mardonios fut violente et insensé : il déclara ne pas vouloir se replier, son armée étant très supérieure à celle des Grecs, il fallait au contraire livrer bataille sans attendre que les ennemis, dont le nombre augmentait tous les jours, eussent reçu des nouveaux renforts", Hérodote, Histoire IX.41). C’est décidé : la bataille aura lieu le lendemain. Les Perses prennent position au moment où le soleil disparaît à l’horizon. Malheureusement pour eux, durant la nuit ils sont trahis par Alexandre Ier Philhellène, le roi de Macédoine, qui se glisse dans le camp des Athéniens ("Après que Mardonios eut interrogé les officiers de son armée sur les oracles, et qu’il les eut exhortés à faire leur devoir, la nuit tomba sur les sentinelles. Elle était déjà bien avancée, un profond silence régnait dans les deux camps, et les troupes étaient plongées dans le sommeil, lorsque Alexandre Ier Philhellène, fils d’Amyntas Ier, stratège et roi des Macédoniens, se rendit à cheval vers la garde avancée des Athéniens, et demanda à parler à leurs stratèges", Hérodote, Histoire IX.44) et les prévient de l’imminence de l’assaut ("Quand [les stratèges athéniens] furent arrivés, Alexandre Ier Philhellène leur parla en ces termes : “Athéniens, je viens déposer chez vous un secret que je vous prie de ne révéler qu’à Pausanias, de crainte que vous ne me perdiez. Je ne vous le confierais pas sans le vif intérêt que j’ai pour la Grèce entière. Je suis Grec. Mon origine remonte aux temps les plus reculés, et je serais fâché de voir la Grèce devenir esclave. Je vous apprends donc que les victimes [des oracles] ne sont pas favorables à Mardonios et à son armée, sans cela la bataille se serait donnée il y a longtemps. Sans s’embarrasser des sacrifices, il a maintenant pris la résolution de vous attaquer demain à la pointe du jour, car il craint, comme je peux le conjecturer, que votre armée grossisse de plus en plus. Préparez-vous en conséquence. Si cependant Mardonios diffère le combat, restez ici avec constance, car il n’a de vivres que pour peu de jours. Si cette guerre se termine selon vos souhaits, il est juste de songer aussi à remettre en liberté un homme qui, par zèle et par amour pour les Grecs, s’expose à un très grand danger en venant vous avertir des desseins de Mardonios, parce qu’il craint que les barbares tombent sur vous à l’improviste : je suis Alexandre Ier de Macédoine”. Ayant ainsi parlé, il s’en retourna au poste qu’il occupait dans le camp", Hérodote, Histoire IX.45 ; "Mardonios, qui n’avait plus de vivres que pour peu de jours et qui voyait les Grecs se fortifier de plus en plus par les nouvelles troupes qui leur arrivaient, impatient de ces délais, résolut d’y mettre fin et de passer le fleuve Asopos pour surprendre les Grecs, qui ne s’attendraient pas à cette attaque, le lendemain dès le point du jour. Il donna donc le soir les ordres à ses officiers. Mais à minuit, un homme à cheval s’approcha du camp des Grecs, et dit aux sentinelles vouloir parler à l’Athénien Aristide. Ce stratège vint promptement, l’inconnu prit alors la parole : “Je suis Alexandre Ier, roi de Macédoine, qui par amitié pour vous m’expose au plus grand danger. Je viens vous prévenir d’une surprise qui en vous étonnant pourrait vous faire combattre avec moins de courage : Mardonios doit vous attaquer demain, non pas parce qu’il a une bonne espérance ou une confiance bien fondée, mais parce qu’il manque de vivres. Ses devins, par les présages sinistres des victimes, par des oracles menaçants, veulent l’empêcher de combattre, et son armée est dans la frayeur et le découragement. Il est donc forcé de tenter le hasard du combat ou, s’il diffère, de voir périr toute son armée”. Alexandre Ier Philhellène, après avoir donné cet avis à Aristide, le pria de le garder pour lui et d’en faire usage sans le communiquer à personne. Aristide lui répondit qu’il ne pouvait décemment pas le cacher à Pausanias, qui avait le commandement de toute l’armée, mais il lui promit de n’en parler à personne d’autre avant le combat et l’assura que si la Grèce était victorieuse nul n’oublierait cette marque de courage et de bienveillance qu’Alexandre Ier Philhellène venait de leur donner. Après cet entretien, le roi de Macédoine s’en retourna au camp. Aristide, s’étant rendu à la tente de Pausanias, lui communiqua ce qu’il venait d’apprendre. Ils convoquèrent aussitôt tous les officiers et leur ordonnèrent de rassembler leurs troupes et de les préparer à combattre", Plutarque, Vie d’Aristide 25). Le jour exact de la bataille qui s’engage est inconnu, nous savons seulement qu’elle a lieu dans la seconde quinzaine du mois de septembre -479 ("Les Perses ont été battus à Marathon le 6 du mois de boedromion [en -490], le 3 à Platées et à Mycale", Plutarque, Vie de Camille 19 ; "Cette bataille [de Platées] fut donnée le 4 du mois de boedromion selon la manière de compter des Athéniens, le 20 du mois de panemos selon celle des Béotiens, jour auquel se tient encore à présent une assemblée générale de la Grèce, dans la cité de Platées, qui fait un sacrifice à Zeus Eleutherios ["Eleuqšrioj/Libérateur"] pour lui rendre grâces de cette victoire. Au reste, il ne faut pas être surpris de cette inégalité de jours dans les mois grecs, puisque aujourd’hui encore, alors que l’astronomie est portée à un bien plus grand degré d’exactitude, les divers peuples commencent et finissent leurs mois à des jours différents", Plutarque, Vie d’Aristide 33).


Le jour venu, les Grecs se laissent surprendre par une attaque de la cavalerie perse contre leur principale source d’eau potable ("[Mardonios] envoya contre les Grecs sa cavalerie qui, très habile à lancer le javelot et à tirer de l’arc, les incommoda d’autant plus que, ne se laissant pas approcher, il était impossible de la combattre de près. Elle s’avança jusqu’à la fontaine de Gargaphie, qui fournissait de l’eau à toute l’armée grecque, la troubla et la boucha", Hérodote, Histoire IX.49). Désormais privés de cette source et encerclés par la cavalerie perse donc sans possibilité d’être ravitaillés, les Grecs se demandent comment réagir ("Comme les Grecs manquaient d’eau et que la cavalerie ennemie les incommodait beaucoup, les stratèges se rendirent à l’aile droite pour délibérer avec Pausanias sur ce sujet et sur d’autres, car en plus de leur triste situation d’autres choses les inquiétaient encore davantage : ils manquaient de vivres, et leurs serviteurs qu’ils avaient envoyés chercher des provisions dans le Péloponnèse ne pouvaient pas retourner au camp puisque que la cavalerie leur en fermait désormais le passage", Hérodote, Histoire IX.50). Ils décident de se replier sur l’île fluviale d’Oeroé ("Les stratèges furent d’avis d’aller dans l’île vis-à-vis de Platées, à dix stades du fleuve Asopos et de la fontaine de Gargaphie près de laquelle ils campaient alors, une sorte d’île dans le continent : la rivière descend du mont Cithéron dans la plaine, se partage en deux bras éloignés l’un de l’autre d’environ trois stades, et réunit ensuite ses eaux dans un même lit pour former cette île qui se nomme “Oeroé”", Hérodote, Histoire IX.51). Mais le soir venu, quand la cavalerie perse se replie enfin vers ses positions de départ, une grande partie des troupes des petites cités grecques s’enfuient vers Platées, se réfugient autour du sanctuaire d’Héra, laissant seuls les Spartiates, les Athéniens et le contingent des Tégéens ("Toute cette journée les attaques de la cavalerie continuèrent. Celle-ci se retira à la fin du jour. Quand l’heure nocturne à laquelle on avait convenu de partir fut venue, la plupart des Grecs levèrent le camp et se mirent en marche, mais sans intention d’aller à l’endroit où l’on avait décidé qu’on se rendrait : dès qu’ils se furent mis en mouvement, ils se sauvèrent du côté de Platées afin d’échapper à la cavalerie ennemie. L’ayant évitée, ils arrivèrent au temple d’Héra devant cette cité, à vingt stades de la fontaine de Gargaphie, et y posèrent leur camp", Hérodote, Histoire IX.52 ; "Le soir, les Grecs ayant tenu conseil résolurent de porter plus loin leur camp, dans un endroit où l’eau était accessible, car les sources autour de leur camp avaient été gâtées et corrompues par la cavalerie des barbares. La nuit venue, les capitaines firent mettre en marche leurs compagnies pour aller occuper le camp qu’on avait désigné, mais les troupes ne suivirent pas, et il fut impossible de les tenir rassemblées : à peine sortis des retranchements, la plupart se mirent à courir vers la cité de Platées et se répandirent d’un côté et de l’autre, dressant leurs tentes au hasard. Partout ce fut désordre et confusion. Les Spartiates restèrent seuls derrière", Plutarque, Vie d’Aristide 27) : ceux-ci se replient donc à leur tour, en marchant parallèlement, les Spartiates et les Tégéens sur les hauteurs, les Athéniens dans la plaine ("[Pausanias] donna le signal du départ et mena ses troupes par les hauteurs. Les Tégéates le suivirent aussi. Les Athéniens marchèrent en ordre de bataille par une route différente des Spartiates : ceux-ci par crainte de la cavalerie avancèrent par les hauteurs en direction du bas du Cithéron, tandis que les Athéniens avancèrent par la plaine", Hérodote, Histoire IX.56). Au matin, Mardonios découvre les positions abandonnées de l’adversaire, ce qui le conforte dans la supériorité de l’armée perse et dans l’idée que les Grecs sont des lâches. Il commande aussitôt de suivre les Grecs pour les anéantir dans leur fuite ("Quand Mardonios apprit que les Grecs s’étaient retirés pendant la nuit et vit leur camp désert, il manda Thorax de Larissa avec ses frères Eurypilos et Thrasydéios [héritiers de la dynastie royale grecque de Larissa en Thessalie, qui comme la famille athénienne des Pisistratides sont du côté des Perses depuis le début de la guerre], et leur parla ainsi : “Fils d’Aleuas, que direz-vous encore en voyant ce camp abandonné ? Vous qui êtes voisins des Spartiates, qui souteniez qu’ils ne fuyaient jamais du combat et qu’ils étaient les plus braves de tous les hommes, vous les avez vus pourtant changer de poste d’abord, et maintenant nous constatons tous qu’ils ont pris la fuite la nuit dernière. Quand il leur a fallu combattre contre des hommes vraiment braves, ils ont montré qu’au fond ils ne sont que des lâches, et qu’ils ne se distinguent pas parmi les autres Grecs qui sont aussi lâches qu’eux. Comme vous n’aviez pas encore éprouvé la valeur des Perses, et que vous accordiez du courage aux Spartiates, je vous pardonne les éloges que vous leur donniez. En revanche j’ai été beaucoup plus surpris qu’Artabaze redoutât les Spartiates, et qu’il proposât lâchement de lever le camp et de s’enfermer dans la cité de Thèbes pour y soutenir un siége : j’aurai soin plus tard d’informer le Grand Roi de ce conseil. Mais nous en reparlerons une autre fois. Pour le moment nous devons empêcher les Grecs de nous échapper. Poursuivons-les jusqu’à ce que nous les ayons atteints, et punissons-les ensuite de tout le mal qu’ils nous ont fait”", Hérodote, Histoire IX.58). Il repère rapidement les Spartiates et les Tégéens ("[Mardonios] fit passer l’Asopos aux Perses et les mena contre les Grecs, en courant sur leurs traces, comme si ceux-ci prenaient véritablement la fuite. Il ne s’occupait que des Spartiates et des Tégéens, parce que les hauteurs l’empêchaient d’apercevoir les Athéniens qui avaient pris par la plaine", Hérodote, Histoire IX.59), et envoie aussitôt la cavalerie contre eux. Pausanias appelle à l’aide les Athéniens dans la plaine ("Pausanias, attaqué par la cavalerie ennemie, dépêcha un cavalier aux Athéniens. “Athéniens, leur dit-il, dans un combat de cette importance dont dépend la liberté ou la servitude de la Grèce, nous comme vous avons été trahis par nos alliés, qui se sont enfuis la nuit dernière. Nous avons néanmoins résolu de nous défendre avec vigueur et de nous secourir mutuellement. Si la cavalerie vous eût attaqués les premiers, il eût été de notre devoir de marcher à votre secours avec les Tégéens qui sont restés avec nous fidèles à la patrie. Mais puisque c’est contre nous qu’elle se dirige tout entière, il est juste que vous veniez nous défendre. S’il vous est impossible de nous secourir, du moins faites-nous le plaisir de nous envoyer des archers. L’ardeur que vous avez montrée dans cette guerre, et à laquelle nous nous empressons de rendre hommage, nous fait espérer que vous écouterez favorablement notre demande”", Hérodote, Histoire IX.60), mais ceux-ci ne peuvent pas répondre car ils sont également attaqués par les Thébains ("Les Athéniens se mirent en mouvement pour aller au secours [des Spartiates] et les défendre avec vigueur. Ils étaient déjà en marche, lorsqu’ils furent attaqués par les Grecs de l’armée du Grand Roi qui leur étaient opposés. Cette attaque, qui les affligea beaucoup, les empêcha de secourir les Spartiates", Hérodote, Histoire IX.61 ; "Les Athéniens restaient immobiles et attendaient toujours les Spartiates, quand tout à coup un grand bruit de bataille se fit entendre. Un officier envoyé par Pausanias leur apprit ce qui se passait. Ils partirent aussitôt au secours des Spartiates. Ils traversèrent la plaine pour aller du côté où le bruit les attirait, lorsque les Grecs qui étaient du côté des Perses vinrent à leur rencontre. Sitôt qu’il les aperçut, Aristide s’avança au-devant de ces troupes pour leur crier, au nom des dieux de la Grèce, de s’abstenir de combattre, et de ne pas s’opposer au secours qu’ils allaient porter à ceux des Grecs qui exposaient leur vie pour le salut de leur patrie. Mais quand il vit que, loin de prêter attention à ses remontrances, ils se disposaient à l’attaquer, il ne songea plus à aller au secours des Spartiates, et chargea seul ces Grecs qui étaient environ cinquante mille. Ceux-ci fléchirent pour la plupart dès qu’ils virent les barbares en fuite, et ne songèrent plus qu’à la retraite. Le principal effort eut lieu contre les Thébains, dont les principaux et les plus puissants avaient embrassé les intérêts des Perses et s’étaient servis de leur ascendant sur la multitude pour l’entraîner dans ce parti contre son gré", Plutarque, Vie d’Aristide 30-31 : on remarque dans ce passage que le Béotien Plutarque, qui s’évertue à défendre la mémoire de ses compatriotes thébains comme nous l’avons vu quand nous avons raconté la bataille des Thermopyles, ne peut pas cacher que lors de cette bataille de Platées les Thébains sont majoritairement derrière leurs chefs du côté des Perses, contre les Athéniens et les Spartiates qui défendent l’indépendance de la Grèce). Les archers perses lancent leurs traits, qui déciment les Spartiates improvisant une défense ("Les Perses, s’étant fait un rempart de leurs boucliers, leur lancèrent une quantité si prodigieuse de flèches, que les Spartiates en furent accablés. Les sacrifices continuant à ne pas être favorables, Pausanias tourna ses regards vers le temple d’Héra près de Platées, il implora la déesse et la supplia de ne pas permettre que les siens fussent frustrés de leurs espérances", Hérodote, Histoire IX.61 ; "Le jour parut. Mardonios, à qui les Grecs n’avaient pu cacher leurs mouvements, mit son armée en bataille et s’avança contre les Spartiates au milieu des cris et des hurlements de ses barbares, qui croyaient moins aller à un combat qu’à la dépouille des fuyards, et peu s’en fallut que cela n’arrivât. Pausanias, voyant approcher les ennemis, fit arrêter la marche et ordonna que chacun prît son poste, mais, soit à cause de l’altercation avec Amompharétos [capitaine spartiate partisan de l’assaut à outrance, avec lequel Pausanias vient de s’embrouiller] soit à cause de la soudaineté de l’attaque, cet ordre ne passa pas parmi les Grecs, de sorte qu’ils ne purent se placer ni assez promptement ni tous ensemble mais par pelotons séparés, alors que le combat était presque engagé. Pausanias, qui faisait des sacrifices sans pouvoir obtenir des victimes favorables, ordonna aux Spartiates de poser leurs boucliers, de se tenir tranquilles et d’avoir les yeux fixés sur lui, sans se défendre contre les barbares. Pendant qu’il continuait ses sacrifices, la cavalerie ennemie approchait toujours, commençant à lancer des traits qui blessèrent quelques Spartiates dont Callicratès, le plus beau des Grecs, l’homme le plus grand et le mieux fait de l’armée : percé d’une flèche et prêt à expirer, celui-ci dit qu’il n’était pas fâché de mourir puisqu’il était parti de sa maison avec la résolution de donner sa vie pour le salut de la Grèce, mais qu’il regrettait de périr sans avoir pu frapper un seul coup", Plutarque, Vie d’Aristide 28). Enfin, épaulés par les Tégéens, les Spartiates se ressaisissent, se lancent à l’assaut des Perses, qui sont mal préparés pour répondre au savoir-faire militaire individuel et collectif de leur adversaire : alors que les Spartiates attaquent en bloc, les Perses attaquent séparément, et alors que les Spartiates frappent à distance avec leurs longues lances les Perses se font trouer la peau en tentant de les atteindre avec leurs armes à lame courte ("Les Tégéens, se levant les premiers, marchèrent contre les barbares. [Pausanias] eut à peine achevé sa prière que, les sacrifices devenant enfin favorables, les Spartiates marchèrent à leur tour contre les Perses. Ces derniers, quittant leurs arcs, soutinrent le choc. Le combat commença près du rempart de boucliers. Lorsqu’il eut été renversé, l’action devint vive, et dura longtemps près du temple de Déméter, jusqu’au moment où les barbares en chassèrent les Grecs, saisissant leurs lances et les brisant avec leurs mains. Lors de cette journée, les Perses ne cédèrent aux Grecs ni en force ni en audace. Mais étant armés à la légère, et n’ayant pas par ailleurs le savoir-faire de leurs ennemis, ils se jetaient un à un, ou dix ensemble, ou tantôt plus tantôt moins, sur les Spartiates, qui les taillaient en pièces", Hérodote, Histoire IX.62 ; "Les victimes étant favorables et les devins promettant la victoire, Pausanias ordonna aussitôt à toutes les troupes de charger l’ennemi. La phalange spartiate, rassemblée en un seul corps, ressemblait à une bête féroce qui se hérisse pour s’exciter au combat. Les barbares jugèrent alors qu’ils allaient combattre contre des hommes qui se défendraient jusqu’à la mort. Se couvrant de leurs boucliers, ils lancèrent des flèches contre les Spartiates qui, de leur côté, se tenant joints ensemble et leurs boucliers serrés, avancèrent et tombèrent sur les ennemis, leur arrachèrent leurs boucliers, les frappèrent à grands coups de piques sur le visage et dans l’estomac. Ils en renversèrent un grand nombre, qui opposait à leurs efforts une vigoureuse résistance : dans leurs mains nues, ils prenaient les piques des Spartiates et les brisaient, avant de se relever en tirant promptement leurs haches et leurs cimeterres pour combattre avec fureur, arrachant les boucliers des ennemis et les saisissant au corps, se défendant avec le plus grand courage", Plutarque, Vie d’Aristide 30). Mardonios combat en personne à la tête de la troupe d’élite des Mille : il est tué par un Spartiate nommé "Aeimnestos/Aeimn»stoj" selon Hérodote ou "Arimnestos/Ar…mnhstoj" selon Plutarque ("Mardonios fut tué par Aeimnestos, citoyen distingué de Sparte", Hérodote, Histoire IX.64 ; "Les Spartiates furent les premiers qui repoussèrent les Perses. Mardonios périt de la main d’un Spartiate nommé "Arimnestos", qui lui brisa la tête d’un coup de pierre", Plutarque, Vie d’Aristide 31). Les Perses survivants s’enfuient vers leur position de départ, la forteresse construite par Mardonios durant l’hiver, laissant la victoire aux Spartiates ("Les Perses pressaient vivement les Grecs du côté où Mardonios, monté sur un cheval blanc, combattait en personne à la tête des Mille. Tant qu’il vécut, ils soutinrent l’attaque des Spartiates, et en se défendant vaillamment ils en tuèrent un grand nombre. Mais après sa mort, lorsque ce corps au milieu duquel il combattait, le plus fort de l’armée, fut renversé, les autres tournèrent le dos et abandonnèrent la victoire aux Spartiates", Hérodote, Histoire IX.63). Ces derniers les y poursuivent et les assiègent. De leur côté, les Athéniens réussisent à repousser les Thébains qui se replient finalement vers leur cité en abandonnant les Perses ("Les Béotiens combattirent longtemps contre les Athéniens, contrairement à tous les autres Grecs partisans du Grand Roi, qui se conduisirent lâchement. Ceux des Thébains qui étaient favorables aux Perses ne fuirent pas et se battirent avec tant d’ardeur que trois cents des principaux et des plus braves d’entre eux tombèrent sous les coups des Athéniens. Mais, tournant le dos à leur tour, ils s’enfuirent vers Thèbes, sans prendre la même route que les Perses et que cette multitude de soi-disant alliés qui, loin d’avoir fait aucune action éclatante, avait pris la fuite sans même avoir combattu", Hérodote, Histoire IX.77), puis ils rejoignent les Spartiates dans le siège de la forteresse perse, qu’ils aident à conquérir ("Dès que les Perses et toute la multitude des barbares furent réfugiés dans leurs retranchements, ils se hâtèrent de monter sur les tours avant l’arrivée des Spartiates et de fortifier la muraille le mieux qu’ils purent. Les Spartiates s’en étant approchés, l’attaque de la muraille fut très vive, la défense des Perses le fut autant, tirant avantage du fait qu’avant l’arrivée des Athéniens les Spartiates ignoraient l’art d’attaquer les places. Les Athéniens, s’étant joints aux assiégeants, attaquèrent rudement et longuement, avant que leur valeur et leur constance les rendissent finalement maîtres de la muraille. Celle-ci étant abattue en partie, les Grecs se jetèrent en foule dans le camp. Les Tégéens, entrés les premiers, pillèrent la tente de Mardonios, entre autres choses la mangeoire en bronze de ses chevaux, remarquable par sa beauté, qu’ils déposèrent dans leur temple consacré à Athéna Aléa ["Alša/Protectrice"], et portèrent le reste du butin au même endroit que les Grecs. La muraille renversée, les barbares se débandèrent, et pas un ne se rappela son ancienne valeur. Dans cet état de stupeur où se trouve une multitude d’hommes effrayés de se voir enfermés dans un petit espace, ils se laissèrent tuer avec si peu de résistance que, sur trois cent mille hommes qu’ils étaient, à peine trois mille en réchappèrent", Hérodote, Histoire IX.70 ; "Les Spartiates, ayant mis les Perses en fuite, les poursuivirent jusqu’au lieu qu’ils avaient entouré d’une cloison de bois. Peu de temps après, les Athéniens enfoncèrent les troupes thébaines et les obligèrent à prendre la fuite en laissant sur le champ de bataille trois cents des plus distingués d’entre leurs concitoyens. Tandis qu’ils étaient à leur poursuite, un messager vint leur apprendre que les barbares s’étaient enfermés dans leur enceinte de bois, où les Spartiates les assiégeaient. Alors laissant les Thébains se sauver, ils allèrent aider les Spartiates qui, peu expérimentés dans la conduite des sièges, attaquaient très mollement cette enceinte. A peine arrivés, ils la forcèrent et y firent un horrible carnage", Plutarque, Vie d’Aristide 32). Voyant la bataille prendre un mauvais tour, Artabaze quant à lui a ordonné aux survivants sous ses ordres de rebrousser chemin vers l’Asie dès les premiers revers ("Artabaze fils de Pharnacès, qui dès le début avait essayé de dissuader le Grand Roi de laisser Mardonios en Grèce, vit que toutes les raisons qu’il alléguait pour retenir ce général de donner bataille ne servaient à rien. Il prit donc les mesures suivantes, étant en désaccord avec lui. Il commandait un corps considérable de troupes, qui montait à quarante mille hommes. Quand vint le moment de la bataille, sachant parfaitement quelle serait l’issue du combat, il marcha en avant en leur ordonnant de le suivre tous en un seul et même corps partout où il les conduirait, dès qu’ils le verraient doubler le pas. Ces ordres donnés, il fit d’abord semblant de les mener à l’ennemi, mais lorsqu’il fut un peu en avant, constatant que les Perses étaient en déroute, il n’observa plus le même ordre dans sa marche, et s’enfuit de toutes ses forces non pas vers la forteresse de bois [bâtie par Mardonios durant l’hiver -480/-479] ou vers la cité de Thèbes, mais vers la Phocide, dans l’intention d’arriver le plus tôt possible à l’Hellespont", Hérodote, Histoire IX.66) : il réussit à traverser la Thessalie et la Macédoine en faisant croire aux autorités locales que Mardonios le suit ("[Les Thessaliens] ignoraient ce qui était arrivé à Platées, ils demandèrent [à Artabaze] des nouvelles du reste de l’armée. Artabaze savait qu’en disant la vérité il courait le risque de périr avec toutes ses troupes, convaincu que tous ceux qui apprendraient ce qui s’était passé l’attaqueraient aussitôt. Cette réflexion l’avait déjà détourné de communiquer aux Phocidiens ce qu’il savait. Il dit aux Thessaliens : “Je me hâte d’arriver au plus tôt en Thrace, comme vous voyez, où l’on m’a envoyé du camp avec ces troupes pour une affaire importante. Mardonios lui-même nous suit de près avec son armée, et ne se fera pas longtemps attendre. Ayez soin de bien le recevoir, et de lui rendre de bons offices, pour ne pas avoir à vous en repentir par la suite”. Ayant ainsi parlé, il traversa en diligence la Thessalie et la Macédoine avec ses troupes", Hérodote, Histoire IX.89), puis il fonce vers Hellespont qu’il franchit avec les hommes qui lui restent après une fuite éperdue ("[Artabaze] traversa en diligence la Thessalie et la Macédoine avec ses troupes, alla droit en Thrace comme un homme très pressé, et coupant ensuite par le milieu des terres il arriva à Byzance, après avoir perdu dans sa marche un grand nombre de soldats, qui furent taillés en pièces par les Thraces ou qui moururent de faim et de fatigue. De Byzance il traversa l’Hellespont, et retourna ainsi en Asie", Hérodote, Histoire IX.89).


La victoire est écrasante pour les Grecs, qui viennent de ruiner l’armée terrestre perse près de Platées après avoir ruiné l’armée navale perse l’année précédente devant l’île de Salamine. Quelle est la raison de cette victoire ? Une partie de la réponse se trouve, comme nous l’avons brièvement expliqué en citant Hérodote et Plutarque, dans l’armement des envahisseurs, l’autre partie se trouve dans la topographie du lieu de la bataille. Commençons par la seconde raison, la topographie. La grande force de l’armée perse est sa cavalerie. Nous avons vu qu’en -490 Datis et Artaphernès le jeune ont débarqué dans la plaine de Marathon justement parce qu’elle paraissait idéale pour les manœuvres de leur cavalerie, et qu’ils ont perdu la bataille de Marathon justement parce que les Athéniens conduits par Miltiade ne leur ont pas laissé le temps de la déployer. Cette cavalerie perse, très mobile, est entraînée pour attaquer par escadrons (ce que Masistios tente à Platées, qui lui coûtera la vie : "La cavalerie perse lança son attaque en ordre et par escadrons. Mais Masistios l’ayant devancée, son cheval fut atteint d’un coup de flèche au flanc : il se cabra de douleur, et jeta Masistios par terre", Hérodote, Histoire IX.22), pour lancer des flèches contre l’ennemi en se tenant à distance (ce que Mardonios tente aussi lors de la bataille finale, sans grand succès : "[Mardonios] envoya contre les Grecs sa cavalerie qui, très habile à lancer le javelot et à tirer de l’arc, les incommoda d’autant plus que, ne se laissant pas approcher, il était impossible de la combattre de près", Hérodote, Histoire IX.49), et pour se replier aussitôt après avoir vidé les carquois. C’est une tactique qui ressemble davantage à un harcelement organisé et ponctuel qu’à un assaut massif et brutal dans le cœur de l’adversaire, comme le seront par exemple les charges du maréchal Murat lors des batailles impériales de Napoléon Ier au début du XIXème siècle. Cette tactique de harcèlement est un héritage de la tactique de guérilla employée par Cyrus II contre son maître Astyage au siècle précédent, que nous avons racontée dans notre premier alinéa. C’est aussi une adaptation de la technique militaire élastique des Scythes qui a causé beaucoup de souffrances à Darius Ier lors de son expédition en Europe vers -510 ("[Les Scythes] décidèrent de se jeter sur les Perses chaque fois qu’ils s’occuperaient de leur ravitaillement : ils guettaient le moment où les hommes de Darius Ier s’occupaient de leur nourriture pour appliquer leur nouvelle tactique, la cavalerie scythe mettait en déroute celle des Perses, qui se repliaient en désordre sur leur infanterie, celle-ci venait à leur secours, mais les Scythes tournaient bride dès qu’ils avaient culbuté la cavalerie car ils craignaient l’infanterie perse", Hérodote, Histoire IV.129), et qui causera encore beaucoup de souffrances à Alexandre le Grand au siècle suivant lors de son expédition en Sogdiane ("[Alexandre] détacha contre les Scythes un corps de chevaux alliés et quatre escadrons de sarissophores [hommes équipés d’une sarisse, longue lance de plusieurs mètres]. L’ennemi bien plus nombreux soutint leur choc, les entourant avec sa cavalerie pour les accabler de traits, avant de se replier en bon ordre", Arrien, Anabase d’Alexandre, IV, 4.6), Hérodote note d’ailleurs que des Scythes saces alliés des Perses sont présents avec leurs chevaux à la bataille de Platées ("Les combattants qui se signalèrent par leur valeur furent, du côté des barbares, les fantassins perses, les cavaliers saces, et Mardonios en personne", Hérodote, Histoire IX.71) et participent donc à ces opérations de harcelement. Et les chevaux de cette armée perse sont les meilleurs chevaux du monde connu : en -480, pour occuper ses soldats juste avant la bataille des Thermopyles, Xerxès Ier a organisé un concours qui a largement montré la supériorité de ses chevaux sur ceux de ses alliés grecs de Thessalie, qui ont pourtant la réputation d’être les meilleurs chevaux de Grèce avec ceux d’Arcadie, et d’être montés par les meilleurs cavaliers de Grèce (qu’on apparente pour cette raison aux centaures, êtres mi-hommes mi-chevaux : "En Thessalie, [Xerxès Ier] organisa des courses de chevaux pour juger de sa cavalerie et de celle des Thessaliens dont on lui disait qu’elle était la meilleure en Grèce : les chevaux grecs en cette occasion se laissèrent nettement distancer", Hérodote, Histoire VII.196). Malheureusement pour les Perses, cette écrasante supériorité qualitative et manœuvrière hippique n’est d’aucune utilité à Platées, parce que sous l’influence du stratège platéen Arimnestos les Grecs ont disposé leur infanterie dans un réduit où les chevaux ne peuvent pas s’aventurer ("Arimnestos, à peine éveillé, fit appeler les plus vieux et les plus instruits de ses compatriotes et conféra avec eux. Ayant examiné la chose avec attention, on se souvint finalement que près de la cité d’Hysies, au pied du Cithéron, se trouvait un vieux temple à Déméter Eleusinienne et à Korè. Aussitôt il alla quérir Aristide et le mena sur ce lieu : ils le trouvèrent très commode pour y ranger en bataille une armée faible en cavalerie, parce que le pied du Cithéron, qui s’étend jusqu’à ce temple, rend les extrémités de la plaine impraticables aux cavaliers. Là se trouvait aussi le sanctuaire du héros Androcrateos, environné d’arbres épais", Plutarque, Vie d’Aristide 20), comme le prouve tragiquement l’escarmouche ratée de Masistios, et parce qu’au seul moment où il peut encore emporter la victoire Mardonios choisit sottement de concentrer ses attaques sur les Spartiates qui se replient sur les hauteurs du mont Cithéron, autrement dit vers un relief totalement inadéquat pour des charges de cavalerie, plutôt que contre les Athéniens qui se replient dans la plaine ("[Les Grecs avaient à leur droite une colline élevée [le mont Cithéron] et à leur gauche le fleuve Asopos. C’est entre ces deux points qu’ils placèrent leur camp, fortifié par la nature même du lieu. Le choix de ce retranchement dans un défilé contribua beaucoup à la victoire des Grecs car, la ligne des Perses ne pouvant se déployer, les milliers de barbares demeurèrent paralysés dans leurs mouvements. Pausanias et Aristide, rassurés par cette position naturelle, disposèrent leurs troupes en conséquence et s’avancèrent contre les ennemis", Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XI.30). Nous avons comparé la bataille de Marathon à celle de Jemmapes en 1792 : il serait aussi pertinent de comparer la bataille de Platées à celle de Crécy entre Anglais et Français le 26 août 1346, avec d’un côté la petite armée anglaise parfaitement positionnée dans le goulot étroit qui relie Crécy à Wadicourt, et de l’autre côté la cavalerie française dont le nombre ne sert à rien puisqu’elle ne peut pas manœuvrer dans ce goulot étroit, et qui est finalement décimée, ou encore à la bataille d’Azincourt du 25 octobre 1415 qui recommence celle de Crécy entre fantassins anglais et cavaliers français dans l’étroite clairière séparant les bois d’Azincourt et de Tramecourt. Il est intéressant de noter que ce scénario de Platées sur terre est le même que celui de Salamine sur mer l’année précédente : c’est le trop grand nombre des Perses qui a causé leur défaite, face à des Grecs stationnés dans un détroit du golfe Saronique (à Salamine) puis dans une anfractuosité pentue du mont Cithéron (à Platées) transformant ce surnombre en désavantage. Pour l’anecdote, ce même scénario se reproduira à Issos en -333, quand Alexandre le Grand choisira délibérément de combattre avec son infanterie sur une plage étroite pour empêcher Darius III de déployer son immense cavalerie. L’armement des Perses, ensuite. Hérodote et Plutarque, qui ne sont pourtant pas suspects de sympathie à l’égard de l’envahisseur, et qui racontent la guerre du point de vue grec, reconnaissent que le courage des Perses à Platées a été réel. Mais nous avons vu que ce courage ne sert à rien face aux Grecs, et en particulier face aux Spartiates, puisque ceux-ci peuvent frapper à distance avec leurs longues lances alors que les fantassins perses sont obligés de risquer leur peau pour pouvoir les atteindre avec leurs armes à lame courte (au point qu’ils sont contraints d’attraper ces lances spartiates avec leurs mains pour essayer de les écarter ou de les casser : "[Les Perses] saisissaient les lances [des Spartiates] et les brisaient avec leurs mains. Lors de cette journée, les Perses ne cédèrent aux Grecs ni en force ni en audace. Mais étant armés à la légère, et n’ayant pas par ailleurs le savoir-faire de leurs ennemis, ils se jetaient un à un, ou dix ensemble, ou tantôt plus tantôt moins, sur les Spartiates, qui les taillaient en pièces", Hérodote, Histoire IX.62 ; "Dans leurs mains nues, [les Perses] prenaient les piques des Spartiates et les brisaient, avant de se relever en tirant promptement leurs haches et leurs cimeterres pour combattre avec fureur, arrachant les boucliers des ennemis et les saisissant au corps, se défendant avec le plus grand courage", Plutarque, Vie d’Aristide 30). Pire : l’uniforme perse est sans doute parfait pour la parade, mais il est totalement inadapté pour le combat rapproché : tandis que le Grec peut se déplacer facilement en courant à grandes enjambées, le fantassin perse est handicapé par sa longue robe ("Les Perses avaient deux désavantages : leur vêtement long et embarrassant, et leurs armes légères qui les défavorisaient grandement contre leurs adversaires pesamment armés", Hérodote, Histoire IX.63), et le cavalier perse - tels encore les cavaliers français à Crécy et Azincourt - est totalement emprisonné, alourdi et figé dans son armure (ce qui signifie qu’un cavalier perse tombé à terre est un cavalier mort, comme Masistios : "La cavalerie perse lança son attaque en ordre et par escadrons. Mais Masistios l’ayant devancée, son cheval fut atteint d’un coup de flèche au flanc : il se cabra de douleur, et jeta Masistios par terre. Les Athéniens fondirent immédiatement sur lui, se saisirent du cheval, et tuèrent le cavalier malgré sa résistance. Ils ne le purent dans un premier temps, à cause de la cuirasse d’or en écailles qu’il avait sous son habit de pourpre, et c’était en vain qu’ils lui portaient des coups, mais quelqu’un s’en étant aperçu le frappa à l’œil, et il mourut", Hérodote, Histoire IX.22 ; "Le cheval de Masistios ayant été blessé d’une flèche, renversa par terre ce général qui, une fois tombé, ne put se relever, retenu par le poids de ses armes. Les Athéniens coururent aussitôt sur lui, mais ne parvinrent pas à le tuer parce qu’il avait non seulement la poitrine et la tête, mais encore les jambes et les bras couverts de lames d’or, de bronze et de fer. Mais un soldat lui ayant enfoncé le bois de sa pique dans l’œil, que la visière de son casque laissait à découvert, il mourut de cette blessure", Plutarque, Vie d’Aristide 24).


Les morts sont encore chauds. Mais cela ne retient pas les Grecs de reprendre leurs divisions internes d’avant la guerre, ce qui augure mal de la nouvelle ère qui commence. Chacun réclame pour lui-même les bénéfices de la victoire. Aristide réussit momentanément à convaincre Spartiates et Athéniens de renoncer aux honneurs au profit des Platéens, dont la cité vient de servir de décor à la bataille ("Après cette victoire, les Athéniens ne voulurent pas céder aux Spartiates le prix de la valeur, ni souffrir qu’ils dressassent un trophée. Ces deux peuples étaient sur le point de résoudre la querelle par les armes et d’être eux-mêmes les auteurs de leur ruine, quand Aristide, par la force de ses raisons et de ses remontrances, réussit à retenir les stratèges athéniens, surtout Léocratès et Myronidès, et ne les pousser à remettre aux Grecs le jugement de cette affaire. Les Grecs s’étant donc assemblés pour la décider, Théogiton de Mégare dit qu’il fallait donner à une autre cité que Sparte et Athènes le prix de la valeur si on ne voulait pas exciter une guerre civile. Cléocrite de Corinthe s’étant levé ensuite, on crut qu’il allait demander cet honneur pour les Corinthiens, dont la cité était la première en dignité après Sparte et Athènes. Mais il loua les Platéens dans un discours qui causa autant de plaisir que d’admiration, et conclua que, pour faire cesser cette dispute et apaiser la jalousie des autres concurrents, il fallait leur adjuger ce prix. Aristide appuya le premier cet avis au nom des Athéniens, et ensuite Pausanias pour les Spartiates. Ce différend ainsi terminé, on prit sur le butin, avant tout partage, quatre-vingts talents pour les Platéens, qui en bâtirent un temple à Athéna : ils y placèrent une statue de la déesse et ornèrent cet édifice de superbes tableaux, qui conservent encore aujourd’hui toute leur fraîcheur", Plutarque,, Vie d’Aristide 34). Pausanias de son côté interdit le partage du butin : les Athéniens, pour ne pas paraître comme des rapaces aux yeux des autres Grecs, acceptent cette décision et y renoncent à leur tour. Résultat ce sont les Eginètes, ennemis traditionnels des Athéniens, qui raflent tout et deviennent immensément riches ("Pausanias fit publier une défense de toucher au butin et ordonna aux hilotes de l’apporter dans un lieu unique. Ils se répandirent dans le camp, trouvèrent des tentes tissues d’or et d’argent, des lits dorés, des lits argentés, des cratères, des coupes, et autres vases à boire qui étaient d’or, et, sur des voitures, des chaudières d’or et d’argent dans des sacs. Ils enlevèrent aux morts leurs bracelets, leurs colliers et leurs cimeterres qui étaient d’or, les débarrassèrent de leurs habits de diverses couleurs. Les hilotes volèrent beaucoup d’effets qu’ils vendirent aux Eginètes, et ne montrèrent que ce qu’ils ne purent cacher. Telle fut la source des grandes richesses des Eginètes, qui achetèrent l’or des hilotes au prix du cuivre", Hérodote, Histoire IX.80) : cette richesse leur permettra de construire une flotte importante rivale de celle d’Athènes dans le golfe Saronique, qu’Athènes détruira finalement lors de la première guerre du Péloponnèse comme nous le verrons dans notre paragraphe consacré à ce sujet. Doit-on conclure que Pausanias a laissé délibérément les Eginètes (qui sont toujours contrôlés par les troupes spartiates depuis l’invasion de leur île par Cléomène Ier) s’enrichir ainsi pour affaiblir la puissance des Athéniens ? Le même Pausanias commence à manifester un penchant pour le luxe en détournant une partie de ce butin à son profit ("Personne ne précise ce qui fut donné à ceux qui se distinguèrent à la journée de Platées. Je crois cependant qu’on les récompensa, à l’instar de Pausanias qui reçut le dixième de tout, femmes, chevaux, talents, chameaux, et semblablement de toutes les autres richesses", Hérodote, Histoire IX.81) et en réclamant être servi comme Mardonios, à la manière perse, prétextant vouloir comparer le train de vie perse au train de vie spartiate ("On dit que Xerxès Ier, en s’enfuyant de Grèce, avait laissé à Mardonios ses meubles, sa vaisselle d’or et d’argent, ses tapis de diverses couleurs, et que Pausanias en voyant toutes ces richesses ordonna aux boulangers et aux cuisiniers de Mardonios de lui préparer un repas comme pour leur maître. Cet ordre exécuté, Pausanias vit des lits d’or et d’argent richement couverts, des tables d’or et d’argent, et l’appareil d’un festin splendide. Surpris d’une si grande magnificence, il ordonna à ses serviteurs de lui préparer une table à la manière spartiate. Comme la différence entre ces deux repas était prodigieuse, Pausanias ne put s’empêcher de rire. Il envoya chercher les stratèges grecs, et quand ils arrivèrent il leur dit en leur montrant les deux tables : “Grecs, je vous ai mandés pour vous rendre témoins de la folie du commandant des Perses qui, ayant cette bonne table-là, est venu pour nous enlever cette misérable table-ci”", Hérodote, Histoire IX.82) : ce penchant conduira à sa perte peu de temps après, comme nous le verrons dans notre prochain paragraphe. Le reliquat du butin est consacré au dieu Apollon de Delphes : les matériaux servent à fabriquer un trépied monumental que nous avons déjà brièvement mentionné, constitué d’un vase en or reposant sur une colonne de bronze faite de trois serpents enroulés haute d’environ six mètres ("Lorsqu’on eut porté toutes ces richesses dans un même lieu, on en préleva la dixième partie pour les dieux. On en fit faire au dieu de Delphes le trépied d’or, soutenu par un serpent d’airain à trois têtes, qu’on voit près de l’autel", Hérodote, Histoire IX.81), sur laquelle Pausanias grave son seul nom, comme s’il était le seul vainqueur de la bataille qui vient de s’achever. Les Athéniens ne sont évidemment pas d’accord, et demandent officiellement, par la voix des Platéens, que les Spartiates retirent cette mention de Pausanias pour inscrire à la place le nom des trente-et-une cités ayant participé à la guerre : les Spartiates s’inclinent finalement ("Sur le trépied que les Grecs avaient consacré à Delphes comme prémice du butin pris aux Perses, [Pausanias] avait décidé de faire inscrire le distique suivant : “Chef suprême des Grecs, vainqueur des armées perses, Pausanias a fait cette offrance à Phoibos ["Fo‹boj/le Brillant", surnom du dieu Apollon, qui donnera "Phébus" en latin]”. Cette inscription fut immédiatement effacée par les Spartiates, qui gravèrent à sa place la liste des cités ayant consacré cette offrande après leur victoire commune sur les barbares", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.132 ; "Les Grecs qui avaient pris part à la bataille de Platées et au combat naval de Salamine avaient réalisé en commun un trépied, qu’ils avaient déposé dans le temple de Delphes en l’honneur d'Apollon comme prémice du butin pris aux barbares. Pausanias, enflé de l’avantage obtenu sur nous [les Athéniens], y fit graver ces vers : “Chef suprême des Grecs, vainqueur des armées perses, Pausanias a fait cette offrance à Phoibos”, comme si ce fait d’armes et cette offrande eussent appartenu à lui seul et non à tous les alliés ensemble. Les Grecs furent indignés. Les Platéens, agissant au nom des alliés, intentèrent devant les Amphictyons une action qui monta jusqu’à mille talents aux Spartiates, et les forcèrent à effacer le distique pour inscrire les noms des cités qui avaient pris part à l’œuvre commune", Démosthène, Contre Néaira 97-98 ; pour l’anecdote, le vase en or sera fondu par les Phocidiens à une date inconnue [peut-être lors de la guerre soi-disant sacrée qui servira à Philippe II à partir de -356 à asseoir son pouvoir sur toute la Grèce : "Les Grecs, après la bataille de Platées, dédièrent en commun un trépied d’or soutenu par un serpent de bronze. Toute les parties de bronze sont conservées jusqu’à présent, l’or en revanche a été pris par les stratèges phocidiens", Pausanias, Description de la Grèce, X, 13.9], la partie restante en bronze sera emmenée par l’Empereur romain Constantin à Byzance au IVème siècle, où elle est toujours aujourd’hui, la base du trépied étant visible sur l’actuelle place du Sultan-Ahmet dans Istanbul, aménagée sur l’ancien hippodrome de Constantinople, tandis qu’une tête de serpent décorant ce trépied découverte en 1848 est exposée au Musée archéologique d’Istanbul en Turquie). Cette liste de trente-et-un noms servira bientôt de base aux négociations entre Grecs, comme nous le verrons encore dans notre prochain paragraphe. Les Thébains quant à eux sont punis de leur engagement aux côtés des Perses : Spartiates et Athéniens se dirigent vers Thèbes, qu’ils assiègent, réclamant la livraison des collaborateurs ("Dès que les Grecs à Platées eurent rendu les derniers devoirs aux morts, ils résolurent après mûre délibération de marcher contre Thèbes et d’en sommer les habitants de leur livrer ceux d’entre eux qui avaient pris parti pour les Perses, notamment les chefs Timégénidès et Attaginos, et de leur signifier qu’en cas de refus le siège durerait jusqu’à temps que la place fût détruite. Cette résolution prise, ils arrivèrent devant la cité le onzième jour après la bataille, et en formèrent le siège. Ils sommèrent aussitôt les Thébains de leur livrer ceux que je viens d’évoquer, et, suite à leur refus, ravagèrent leurs terres et commencèrent à abattre les murailles", Hérodote, Histoire IX.86), qui finissent par se rendre et, dans des conditions que nous ignorons (à la suite d’un procès des alliés à Corinthe ? ou par la seule volonté de Pausanias qui agit déjà en tyran ?), sont exécutés ("Comme les ravages ne cessaient pas, le vingtième jour Timégénidès dit aux Thébains : “Thébains, puisque les Grecs ont résolu de ne pas lever le siège de cette place tant qu’ils ne l’auront pas détruite ou que vous ne nous aurez pas remis entre leurs mains, nous choisissons que la Béotie ne soit pas, pour l’amour de nous, plus longtemps accablée de maux. Si la demande de nos personnes est un prétexte pour exiger de l’argent, il faut leur en donner du trésor public, puisque nous ne sommes pas les seuls à voir pris parti pour les Perses et que nous l’avons fait conjointement avec le peuple. Mais s’ils n’assiégent Thèbes que pour nous avoir en leur puissance, nous nous présenterons devant eux pour y plaider notre cause”. Ce discours ayant paru juste et à propos, les Thébains envoyèrent sur-le-champ un héraut dire à Pausanias qu’ils acceptaient de lui livrer ceux qu’il demandait. Cette convention faite, Attaginos prit la fuite, mais ses enfants furent absous et renvoyés par Pausanias devant qui ils furent amenés, celui-ci estimant qu’à cet âge ils ne pouvaient avoir eu aucune part au crime de ceux qui avaient épousé les intérêts des Perses. Quant aux autres que les Thébains remirent au stratège spartiate, ils croyaient pouvoir plaider leur cause, et se persuadaient qu’avec de l’argent ils réussiraient à se justifier. Pausanias, s’en étant douté, congédia toute l’armée des alliés aussitôt qu’il eut ces traîtres en sa puissance, et les emmena à Corinthe, où il les fit punir du dernier supplice", Hérodote, Histoire IX.87-88). Enfin, du côté athénien, Platées est la fille d’Aristide comme Salamine est la fille de Thémistocle. Aristide a joué un grand rôle en poussant les Athéniens à accepter l’autorité du Spartiate Pausanias, comme Thémistocle l’année précédente a joué un grand rôle en poussant les Athéniens à accepter l’autorité du Spartiate Eurybiade. Aristide a soutenu l’engagement de l’Athénien Olympiodoros lors du premier combat, il a retenu les Athéniens auprès des Spartiates la nuit où tous les autres Grecs se sont enfuis, il a brillamment combattu contre les Thébains avant de se précipiter pour venir en aide aux Spartiates, il a apporté aux Spartiates la poliorcétique athénienne pour anéantir les derniers Perses retranchés dans leur enceinte fortifiée, et pour finir il renonce au butin (comme il a renoncé au butin de Marathon en -490, au moment où Miltiade était en route vers Phalère) contrairement à Pausanias qui s’en approprie le dixième pour son usage personnel : Thémistocle qui est resté à l’écart durant toute cette affaire, suite à sa mésentente avec les Athéniens durant l’hiver, a désormais un adversaire politique à sa mesure, qui finira par le supplanter seulement quatre ans plus tard en -476.


La bataille de Mycale


Pendant que se déroulaient ces manœuvres en Béotie autour de Platées, Léotychidès II a reçu, après les gens de Chio, des gens de Samos, qui lui ont demandé d’intervenir ("Tandis que la flotte grecque était à Délos, sous les ordres de Léotychidès II de Sparte, les Samiens y députèrent Lampon fils de Thrasyclès, Athénagoras fils d’Archestratidès, et Hégésistratos fils d’Aristagoras, à l’insu de leur tyran Théomestor fils d’Androdamas et des Perses, qui avaient donné à ce dernier la tyrannie de Samos. S’étant adressé aux stratèges, Hégésistratos avança beaucoup de raisons pour leur signifier qu’ils n’auraient qu’à se montrer pour provoquer le soulèvement de l’Ionie, que les barbares ne les attendraient pas et que, s’ils le faisaient, ils ne pourraient jamais trouver une plus riche proie. Invoquant ensuite les dieux qui leur étaient communs, il les exhorta à les délivrer de la servitude, eux qui étaient aussi des Grecs, et à les venger des barbares. Il leur représenta la facilité de cette entreprise, leur dit que les navires des Perses voguaient mal et qu’ils n’étaient pas si adaptés au combat que les leurs, et que s’ils les soupçonnaient de vouloir les jeter frauduleusement dans un péril ils consentaient à monter sur leurs navires pour leur servir d’otages", Hérodote, Histoire IX.90). Face à l’insistance et aux arguments avancés par les Samiens, Léotychidès II accepte enfin de tenter l’aventure : il ordonne de lever l’ancre et s’engage en mer Egée. Il atteint l’île de Samos ("La flotte partit de Délos et cingla vers Samos. Quand ils furent arrivés aux Kalames ["K£lamoi", littéralement "les Roseaux", lieu-dit non identifié sur la côte de l’île de Samos], ils jetèrent l’ancre près du temple d’Héra, et se préparèrent pour un combat naval", Hérodote, Histoire IX.96). Les navires perses qui n’ont pas coulé à la bataille de Salamine sont stationnés à proximité, ils ont passé tout l’hiver -480/-479 en cet endroit depuis leur retour, leurs capitaines refusant de s’avancer encore en mer Egée car ils jugent avec raison que cette mer est désormais sous contrôle grec et qu’ils s’assurent une nouvelle défaite s’ils affrontent une nouvelle fois la flotte grecque, ils se rassurent en pensant que les Grecs ne pousseront pas l’audace jusqu’à les attaquer dans leurs retranchements en Ionie ("Les restes de l’armée navale de Xerxès Ier étant arrivés en Asie après s’être sauvés de Salamine et avoir transporté le Grand Roi et ses troupes de la Chersonèse à Abydos, alla passer l’hiver [-480/-479] à Kymé. Cette flotte se rassembla ensuite, dès le commencement du printemps [-479], à Samos, où quelques-uns de ses navires avaient aussi passé l’hiver. La plupart des hommes à bord étaient des Perses et des Mèdes. Elle avait pour stratèges Mardontès fils de Bagéos et Artayntès fils d’Artachée, qui s’était associé son neveu Ithamitrès et partageait avec lui le commandement. Comme les Perses avaient subi un échec considérable à la bataille de Salamine, ils ne s’aventurèrent plus vers l’occident, et personne ne les y contraignit. Ils leur restaient trois cents navires, dont ceux des Ioniens, avec lesquels ils se tinrent à Samos pour garder l’Ionie et l’empêcher de se révolter. Bien loin de s’attendre à voir les Grecs venir en Ionie, ils croyaient qu’ils se contenteraient de surveiller leur propre pays, et cette conjecture leur paraissait fondée par le fait qu’après la bataille de Salamine les Grecs s’étaient retirés au lieu de les poursuivre dans leur fuite. Les Perses étaient intimement conscients d’avoir été complètement battus sur mer mais ils espéraient que sur terre Mardonios obtiendrait des très grands succès avec ses troupes. Tandis qu’ils étaient à Samos, et qu’ils délibéraient entre eux sur les moyens de nuire à leurs ennemis, ils étaient attentifs aux mouvements de Mardonios, afin de voir quelle en serait l’issue", Hérodote, Histoire VIII.130). Surprise terrible : ces Perses inquiets apprennent soudain que les Grecs ont eu assez de courage pour traverser la mer Egée et se présenter à eux alors que le sort des armes sur le continent européen n’est pas encore réglé entre Mardonios et Pausanias. Conscients que leur flotte n’est plus que l’ombre d’elle-même et qu’elle sera définitivement battue si elle accepte un nouveau combat naval, les amiraux Artayntès et Ithamitrès (le second est le neveu du premier, selon Hérodote, Histoire VIII.130) choisissent de renvoyer chez elle l’escadre phénicienne qui lui est alliée, et de faire débarquer les marins perses à proximité des troupes perses terrestres cantonnée au cap Mycale, sur le continent juste en face de île de Samos, commandées par Tigrane (qui était le chef des Mèdes au moment du débarquement de Xerxès Ier l’année précédente, et à ce titre premier assaillant malheureux de Léonidas Ier aux Thermopyles, comme nous l’avons vu plus haut) et par Mardontès (qui était à la tête des insulaires de la mer érythréenne, aujourd’hui le golfe arabo-persique, au moment du même débarquement l’année précédente comme nous l’avons vu également plus haut : "Les Perses, ayant appris que la flotte des Grecs venait à eux, hissèrent aussitôt la voile pour s’approcher du rivage et permirent aux Phéniciens de se retirer, ayant résolu en conseil de ne pas livrer bataille sur mer parce qu’ils ne s’estimaient plus égaux en force aux Grecs. Ils naviguèrent donc vers le continent, afin de se mettre sous la protection des troupes de terre qui campaient à Mycale, laissées en cet endroit par ordre de Xerxès Ier pour garder l’Ionie. Elles s’élevaient à soixante mille hommes, et étaient commandées par Tigrane, l’homme le plus beau et le plus grand parmi les Perses. Les amiraux de la flotte barbare avaient résolu de tirer leurs navires sur le rivage pour les mettre sous la protection de l’armée de terre, et de faire autour un rempart pour les défendre autant que pour s’en faire un lieu de retraite", Hérodote, Histoire IX.96). Cette décision embarrasse un temps les Grecs, qui hésitent entre prendre le chemin du retour, se diriger vers l’Hellespont pour couper la retraite des troupes de  Mardonios, ou faire encore preuve d’audace en allant à la rencontre des Perses maintenant installés au cap Mycale. Léotychidès II opte finalement pour la troisième solution, sans doute poussé par la délégation samienne venue le chercher à Délos qui lui expose l’effet désastreux qu’aurait pour sa réputation un repli vers Délos, et conscient qu’avant de se diriger vers l’Hellespont il faut d’abord réduire ce contingent perse à Mycale qui menacerait ses arrières ("Les Grecs ayant appris que les barbares s’étaient retirés sur le continent, en furent affligés car ils les croyaient hors de portée. S’interrogeant sur le parti à prendre, ils hésitèrent entre se replier ou aller vers l’Hellespont. Ils résolurent finalement de ne faire ni l’un ni l’autre, mais de cingler vers le continent. S’étant préparés à un combat naval, et ayant disposé les échelles et autres choses nécessaires pour une descente, ils naviguèrent vers Mycale", Hérodote, Histoire IX.98).


Les deux adversaires sont face-à-face. Avant le combat, Léotychidès II emploie la tactique utilisée par Thémistocle l’année précédente lors du départ de la flotte grecque de l’Artémision : il adresse un message aux Ioniens en langue grecque, donc incompréhensible aux Perses, pour les inciter à déserter l’armée perse et à rejoindre le camp grec, ou du moins pour les rendre suspects de traîtrise aux yeux des Perses s’ils refusent de rejoindre le camp grec ("Arrivés près du camp, [les Grecs] virent que les navires ennemis, au lieu de venir à leur rencontre, étaient tous sur le rivage environnés d’un mur, avec une nombreuse armée de terre rangée sur le bord de la mer. Alors Léotychidès II s’avança, il s’approcha du rivage le plus près possible, et s’adressa aux Ioniens par un héraut en leur disant : “Ioniens, que ceux d’entre vous qui m’entendent prêtent une oreille attentive à mes paroles, que les Perses ne comprendront pas. Quand nous serons au contact, que chacun de vous se souvienne primo du mot « liberté », secundo de notre mot d’ordre : « Héra [le texte d’Hérodote parvenu jusqu’à nous comporte ici le nom "Hébé/Hbh", déesse de la jeunesse, fille de Zeus et d’Héra : nous remplaçons ce nom "Hébé", qui ne s’explique pas dans le contexte et que nous pensons être une simple erreur de copiste, par le nom "Héra/Hra" qui est la grande déesse de Samos et qui possède un temple juste en face du lieu où la bataille de Mycale va débuter] ! ». Que celui qui m’entend transmette ce que je dis à ceux qui ne peuvent m’entendre”", Hérodote, Histoire IX.98). Et comme à l’Artémision, la tactique fonctionne : les Perses se mettent à douter de la loyauté des Ioniens qui ont entendu ce message de Léotychidès II, ils décident de les écarter, affaiblissant d’autant leurs propres forces ("Instruits des exhortations que [Léotychidès II] avaient adressées aux Ioniens, les Perses désarmèrent d’abord les Samiens, qu’ils soupçonnaient d’intelligence avec les Grecs. Ce soupçon était renforcé par le fait que quand les navires des barbares avaient amené des prisonniers athéniens, ceux que les soldats de Xerxès Ier avaient capturés et cantonnés dans l’Attique, les Samiens les avaient tous rachetés et renvoyés chez eux en leur donnant le nécessaire pour assurer leur voyage, c’est-à-dire remis en liberté cinq cents personnes qui étaient les ennemis du Grand Roi. Ensuite, les Perses ordonnèrent aux Milésiens de garder les chemins qui conduisaient au sommet du mont Mycale, sous prétexte qu’ils connaissaient parfaitement le pays, mais en réalité pour les éloigner du camp", Hérodote, Histoire IX.99). Les Grecs débarquent pour aller au devant de l’ennemi. Selon Hérodote, la nouvelle de la défaite de Mardonios à Platées se répand alors dans les rangs grecs ("Lorsque les Grecs se furent mis en ordre de bataille, ils allèrent contre l’ennemi. Tandis qu’ils s’avançaient, un caducée parut sur le rivage, et un bruit courut dans toute l’armée que les Grecs avaient emporté en Béotie la victoire sur Mardonios", Hérodote, Histoire IX.100). En réalité, Polyen révèle que cette soi-disant nouvelle n’est qu’une rumeur propagée à dessein par Léotychidès II, pour donner confiance et courage à ses troupes autant que pour miner les velléités de résistance des Perses ("L’armée navale des Grecs était devant Mycale, et la multitude des barbares l’épouvantait. Les Ioniens favorisaient les Perses, mais par crainte plutôt que par inclination. Léotychidès II trouva moyen de changer la disposition des Ioniens par la nouvelle qu’il imagina, et qu’il fit répandre, que les Grecs avaient vaincu les Perses à Platées. Alors les Ioniens prirent courage, et se joignirent au reste des Grecs. La fortune entérina la nouvelle forgée par Léotychidès II en apportant aux troupes grecques à Platées la victoire sur les barbares", Polyen, Stratagèmes, I, 31.3), et Hérodote lui-même semble confirmer indirectement cette déclaration de Polyen en précisant que l’annonce de cette victoire des Grecs à Platées décuple l’ardeur des Grecs à Mycale, les seconds ne voulant pas se montrer inférieurs aux premiers ("Avant que la nouvelle de la victoire de Platées se fût répandue, les Grecs qui étaient à Mycale, moins inquiets pour eux-mêmes que pour la Grèce, craignaient qu’elle échouât contre Mardonios. Mais dès que cette nouvelle vint à leur connaissance, ils marchèrent au combat avec encore plus d’ardeur", Hérodote, Histoire IX.101). On ne peut donc pas affirmer si la bataille de Mycale a lieu avant, pendant ou après la bataille de Platées (même si Hérodote assure qu’une enquête postérieure a établi formellement la contemporanéité des deux batailles ["Le combat de Platées se déroula le matin, et celui de Mycale l’après-midi. Peu de temps après, on sut avec certitude que les deux actions s’étaient passées le même jour et le même mois", Hérodote, Histoire IX.101] : cette enquête reste sujette à caution, étant donné le peu de fiabilité du calendrier grec que nous avons eu l’occasion de dénoncer à plusieurs reprises dans le présent paragraphe), disons simplement que les dates des deux batailles sont suffisamment proches pour que l’annonce du dénouement de l’une paraisse crédible aux Grecs et aux Perses présents à l’autre (au milieu du mois de septembre -480, le 3 boedromion selon le paragraphe 19 précité de la Vie de Camille de Plutarque, ou le 4 du même mois selon le paragraphe 33 précité de la Vie d’Aristide du même auteur). Les Athéniens dirigés par Xanthippos, les Corinthiens, les Sicyoniens et les Trézéniens prennent position sur la plage et la plaine, tandis que les Spartiates s’engagent vers les hauteurs pour envelopper les Perses. Les chefs perses, calculant qu’ils ont intérêt à agir avant que l’ennemi soit organisé, attaquent les Athéniens et les autres Grecs sur la plage ("Les Athéniens, qui constituaient avec les unités rangées à leurs côtés la moitié de l’armée environ, passèrent par le rivage en terrain uni. Les Spartiates avec les troupes qui les suivaient passèrent par un ravin et par les hauteurs. Pendant que ces derniers les tournaient, les barbares entamèrent le combat contre l’autre aile de l’armée grecque", Hérodote, Histoire IX.102). Mais ces derniers résistent et les repoussent, Tigrane et Mardontès sont tués à l’occasion ("Tant que subsista le rempart de boucliers, les Perses se défendirent et ne montrèrent pas moins de courage que les Grecs. Mais lorsque les Athéniens, avec les troupes de leur suite, s’exhortant mutuellement à ne pas laisser aux Spartiates la gloire de cette journée, eurent redoublé d’efforts, la bataille tourna : le rempart de boucliers renversé, ils se précipitèrent en foule sur les Perses. Ceux-ci soutinrent le choc et se défendirent longtemps, mais ils s’enfuirent finalement dans leurs retranchements. Les Athéniens, les Corinthiens, les Sicyoniens et les Trézéniens, qui composaient cette aile, les suivirent et y entrèrent en masse avec eux. La muraille emportée, les barbares ne pensèrent plus à se défendre et prirent tous la fuite, excepté les Perses. Quoiqu’en petit nombre, ils combattirent contre les Grecs, qui se jetaient perpétuellement dans leurs retranchements. Les deux commandants de la flotte, Artayntès et Ithamitrès, s’enfuirent, mais Mardontès et Tigrane, qui commandaient l’armée de terre, périrent les armes à la main", Hérodote, Histoire IX.102 ; "Mardondès fils de Bagaios fut l’un des généraux engagés dans la bataille de Mycale et fut tué dans l’action", Hérodote, Histoire VII.80). Les Spartiates, ayant achevé leur manœuvre d’enveloppement, attaquent à leur tour, et pressent les Perses au point de faire leur jonction avec les Athéniens et les autres Grecs ("Les Perses combattaient encore. Les Spartiates, étant arrivés avec les Grecs qui les accompagnaient, les passèrent au fil de l’épée. Beaucoup de Grecs périrent aussi en cet endroit, entre autres quelques Sicyoniens avec leur stratège Périleos", Hérodote, Histoire IX.103). Le coup de grâce est donné par les Ioniens qui, mis à l’écart avant la bataille, voyant que les choses tournent favorablement pour les Grecs, courent derrière les Perses en fuite pour les massacrer ("Les Samiens qui étaient dans le camp des Perses et qu’on avait désarmés, dès qu’ils virent la victoire pencher du côté des Grecs, les secondèrent de toutes leurs forces. Le reste des Ioniens se révolta à l’exemple des Samiens, et attaqua les barbares. Les Perses avaient ordonné prudemment aux Milésiens de garder les chemins qui conduisaient aux sommets du mont Mycale afin que, s’il leur arrivait un malheur semblable à celui qu’ils éprouvèrent finalement, ils pussent avec ces guides s’y retirer en sécurité, autant que pour les éloigner de leur armée et les empêcher ainsi de fomenter une quelconque entreprise contre elle : les Milésiens firent tout le contraire de ce qu’on leur avait ordonné, car ils conduisirent les fuyards par des chemins qui menaient aux ennemis, et ils s’acharnèrent même davantage encore que les autres à les tuer", Hérodote, Histoire IX.103-104). La défaite est totale pour les Perses, qui perdent ainsi le contrôle terrestre et maritime de l’Ionie qu’ils avaient reconquise en -493 après la révolte d’Aristagoras. Les navires perses sont brulés, le butin récolté dans le camp perse est partagé, les Grecs se regroupent à Samos ("Les Grecs ayant tué la plupart des ennemis, dans le combat ou dans la fuite, et ayant porté sur le rivage tout le butin qui comportait beaucoup d’argent, ils brûlèrent les navires et les retranchements des barbares. Quand ils eurent tout réduit en cendres, ils remirent à la voile vers Samos", Hérodote, Histoire IX.106). Hérodote affirme que du côté perse, Ariaramnès/Masistès, le frère de Xerxès Ier et l’un des sept membres du conseil supérieur de la guerre que nous avons mentionné au début de notre alinéa précédent, est présent à la bataille de Mycale et s’enfuit avec les Perses survivants, dont Artayntès l’un des deux amiraux, qu’il accable de reproches arrivé à Sardes au point qu’Artayntès veut le tuer mais en est empêché par un Grec d’Halicarnasse ("Le petit nombre de barbares qui s’étaient sauvés de la déroute et retirés sur le sommet du mont Mycale, se rendirent à Sardes. Masistès, fils de Darius Ier, qui avait assisté à la défaite des Perses, fit en route de vifs reproches au commandant Artayntès : entre autres injures, il lui dit qu’en s’acquittant comme il avait fait des fonctions de stratège il s’était montré plus lâche qu’une femme, et qu’il méritait toutes sortes de châtiments à cause du tort qu’il avait fait à la maison royale. Or, chez les Perses, dire à un homme qu’il est plus lâche qu’une femme, est le plus grand outrage qu’on puisse lui faire. Indigné de tant de reproches, Artayntès tira son cimeterre pour le tuer. Mais Xénagoras, fils de Praxilas d’Halicarnasse, qui était derrière lui, s’étant aperçu qu’il fondait sur Masistès, le saisit par le milieu du corps et le souleva avant de le jeter contre terre", Hérodote, Histoire IX.107).


Une discussion s’engage alors entre les Spartiates et le reste des Grecs, les Spartiates proposant aux Ioniens maintenant libérés d’abandonner l’Ionie pour venir s’installer sur le continent européen, dans les cités des Grecs collabos. L’argument avancé, parfaitement justifié, est que l’Ionie est loin et que les Grecs ne peuvent pas en permanence garantir un soutien militaire aux Ioniens en cas de retour des Perses. Mais le vrai argument est que, comme nous l’avons dit plus haut, l’après-guerre est commencée : les Spartiates sont bien conscients de l’écrasante domination maritime athénienne, bien conscients que si cette flotte athénienne s’allie avec celles aussi puissantes de Samos, de Chio et de Lesbos, ces quatre flottes réunies domineront complètement la mer Egée et renforceront le poids politique d’Athènes déjà considérable sur toute la Grèce, mieux vaut donc que les marins de Samos, de Chio et de Lesbos se transforment en terriens en s’installant sur les plaines des collabos de Béotie ou de Thessalie car ainsi ils seront plus facilement sous le contrôle des troupes de Sparte. Evidemment, la proposition est rejetée par les intéressés ioniens, et surtout par l’Athénien Xanthippos. Les Spartiates, Léotychidès II à leur tête, s’inclinent ("De retour à Samos, les Grecs discutèrent d’une évacuation totale des populations de l’Ionie, et de l’endroit où les installer en terre grecque leur appartenant, en laissant l’Ionie aux mains des barbares, car il leur paraissait impossible de protéger et de défendre continuellement les Ioniens, et ils voyaient bien que s’ils cessaient de le faire les Perses puniraient ces peuples d’avoir changé de parti. Les dirigeants péloponnésiens opinèrent qu’il fallait chasser les peuples qui avaient embrassé le parti des Perses et donner leurs cités maritimes aux Ioniens. Les Athéniens ne furent nullement d’avis de transporter les Ioniens hors de leur pays, et soutinrent que les Péloponnésiens n’avaient pas à délibérer sur leurs colonies. Les Péloponnésiens, les voyant s’opposer vigoureusement à leur projet, cédèrent. Ainsi les Grecs reçurent dans leur alliance les gens de Samos, de Chios et de Lesbos, et les autres insulaires qui les avaient aidés dans cette expédition, après qu’on leur eut fait promettre par serment qu’ils demeureraient fidèles à cette alliance et que jamais ils ne la violeraient", Hérodote, Histoire IX.106). Pour l’anecdote, les Cariens voisins de l’Ionie, qui lors de la bataille de Mycale semblent être restés du côté des Perses, deviendront l’objet d’une condamnation séculaire : selon Vitruve, les Cariens seront punis de leur conduite en étant désormais systématiquement représentés par leurs femmes portant les vêtements du jour de leur défaite et supportant le poids de tous les temples grecs à la place des colonnes traditionnelles, ce sont ces statues de Cariens efféminés et fonctionnalisés qu’on désigne aujourd’hui encore sous le qualificatif de "cariatides" ("Souvent les architectes emploient dans leurs ouvrages une foule d’ornements dont ils doivent expliquer l’origine à ceux qui les interrogent. Ainsi, au lieu de colonnes, on pose des statues de marbre représentant des femmes vêtues de robes traînantes qu’on appelle “cariatides”, supportant modillons et corniches. Voici l’explication qu’on donne de cet arrangement. Les cités péloponnésiennes de Carie se liguèrent autrefois avec les Perses pour faire la guerre contre la Grèce. Les Grecs, ayant glorieusement mis fin à cette guerre par la victoire, voulurent marcher immédiatement contre les Cariens. Le territoire fut pris, les hommes passés au fil de l’épée, les cités furent détruites. Les femmes furent traînées en servitude, et on ne leur permit plus de quitter leurs longues robes et les attributs de leur condition, afin qu’elles restent à jamais prisonnières du sort qu’elles subirent au moment du triomphe, et qu’elles portent à jamais le sceau infamant de la servitude et souffrent la peine qu’avait méritée leur cité. Aussi les architectes du temps imaginèrent-ils de les représenter dans les édifices publics placées sous le poids d’un fardeau, pour apprendre à la postérité de quelle punition avait été frappée la faute des Cariens", Vitruve, De l’architecture, I, 1.5). La flotte grecque ayant désormais sécurisé ses arrières, peut s’engager vers l’Hellespont ("Les Grecs firent voile vers l’Hellespont pour rompre les ponts, croyant les trouver encore entiers", Hérodote, Histoire IX.106).


Arrivés sur place, une tempête empêche les Grecs de prendre pied sur la péninsule de Chersonèse, ils débarquent donc sur le continent asiatique, à Abydos (aujourd’hui Nağara, près de Çanakkale en Turquie). Léotychidès II est d’avis de rebrousser chemin, ce qu’il fait. Xanthippos reste avec les Athéniens, qu’il réussit à faire débarquer sur la presqu’île de Chersonèse et dirige vers Sestos (aujourd’hui Akbas Limani, entre Yalova et d’Eceabat en Turquie, juste en face d’Abydos/Nağara), qu’il assiège ("Les vents contraires obligèrent [les Grecs] à s’arrêter d’abord aux environs du cap Lecton [aujourd’hui Babakale en Turquie, face à l’île de Lesbos]. De là ils allèrent à Abydos, et trouvèrent rompus les ponts qu’ils croyaient encore entiers, et qui étaient le principal objet de leur voyage. Léotychidès II et les Péloponnésiens furent d’avis de retourner en Grèce. Mais les Athéniens résolurent avec leur stratège Xanthippos de rester en cet endroit et d’attaquer la Chersonèse. Les Péloponnésiens partirent. Quant aux Athéniens, ils passèrent d’Abydos dans la Chersonèse, et tinrent le siège de Sestos", Hérodote, Histoire IX.114 ; "Quand les Perses défaits sur terre et sur mer par les Grecs se furent retirés d’Europe et que ceux d’entre eux qui s’étaient réfugiés à Mycale eurent été écrasés, le roi des Spartiates Léotychidès II qui commandait les forces grecques à Mycale rentra dans son pays avec les alliés péloponnésiens. Mais les Athéniens, avec les alliés d’Ionie et de l’Hellespont qui avaient déjà secoué la tutelle du Perse, continuèrent la campagne et mirent le siège devant Sestos, place tenue par les Perses", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.89). Artayctès (qui était à la tête des Macrons et des Mossynèques, peuples non localisés précisément au sud-est de la mer Noire, au moment de l’invasion de Xerxès Ier en -480, selon Hérodote, Histoire VII.78) est le gouverneur de cette cité ("Le Perse Artayctès, homme cruel et impie, gouvernait cette province sous les ordres de Xerxès Ier", Hérodote, Histoire IX.116). Mal préparé ("Comme [Artayctès] ne s’attendait pas à voir venir les Grecs, il ne s’était pas préparé à soutenir un siège. L’attaque des Athéniens le prit à l’improviste", Hérodote, Histoire IX.116), il réussit cependant à tenir face aux assauts des troupes athéniennes, au point que celles-ci perdent patience et expriment leur désir de retourner à Athènes, mais Xanthippos refuse de les écouter ("L’automne [-479] vint pendant qu’on était occupé au siège. Les Athéniens, affligés d’être loin de leur patrie et de ne pas réussir à prendre cette place, prièrent leurs stratèges de les ramener à Athènes. Ceux-ci, bien décidés à faire aboutir leur entreprise, leur répondirent qu’ils ne le feraient pas tant que la cité ne serait pas en leur pouvoir ou que le peuple ne les rappelât", Hérodote, Histoire IX.117). Artayctès tente finalement de s’enfuir. Les habitants de Sestos s’en aperçoivent, ils ouvrent leurs portent aux Athéniens qui s’engagent à sa poursuite ("Les assiégés furent réduits à un tel excès de misère, qu’ils firent bouillir les courroies qui soutenaient leurs lits pour les manger. Puis, n’ayant plus de courroies, les Perses conduits par Artayctès et Oiobaze descendirent au début de la nuit derrière la cité, à un endroit que les ennemis n’occupaient pas, et se sauvèrent. Quand le jour parut, les Chersonésiens signalèrent aux assiégeants, par les signaux qu’ils firent du haut des tours, la fuite des Perses, et leur ouvrirent les portes. La plupart des Athéniens les poursuivirent, les autres s’emparèrent de la cité", Hérodote, Histoire IX.118 ; "Les Athéniens restèrent [à Sestos] tout l’hiver et s’emparèrent finalement de la cité, que les barbares avaient évacuée", Thucydide, Guerre du Péloponnèse I.89). Capturé, il est ramené à Sestos ("Artayctès et les siens, qui s’étaient sauvés les derniers, furent rejoints un peu après Aigos-Potamos ["A„goj PotamÒj", littéralement le "fleuve/potamÒj de la chèvre/a‡x", aujourd’hui le petit fleuve Munipbey qui se jette dans la mer de Marmara entre Sütlüce et Gelibolu en Turquie : par une ironie de l’Histoire, ce site où Xanthippos capture le dernier général perse encore présent sur le continent européen, acte qu’on peut en conséquence considérer comme l’aboutissement victorieux des entreprises athéniennes contre la Perse et comme le début de la domination d’Athènes sur toute la Grèce, ce site ne représente rien pour un Athénien de l’an -479, il ne représente pas davantage pour un Athénien des années -444 quand Hérodote le mentionne dans ce passage de son Histoire, c’est pourtant sur ce site précis qu’en -405, après la mort d’Hérodote, les Athéniens connaîtront la plus grande défaite de leur Histoire face à la flotte du Spartiate Lysandre, qui sonnera le glas de l’hégémonie athénienne et fera plus généralement de ce nom "Aigos-Potamos" jusqu’à aujourd’hui le synonyme de l’effondrement du régime démocratique athénien, comme nous le verrons dans notre paragraphe sur la troisième guerre du Péloponnèse],  les uns furent tués après s’être longtemps défendus, les autres furent capturés et chargés de chaînes, dont Artayctès et son fils, et les Grecs les ramenèrent à Sestos", Hérodote, Histoire IX.119), où il est crucifié face au continent asiatique, en guise de message à Xerxès Ier et à ses successeurs : "Vous avez tenté d’envahir l’Europe, voici comment cela s’est terminé, et comment cela se terminera encore si vous retentez l’aventure" ("La Chersonèse de l’Hellespont présente, entre les cités de Sestos et de Madytos [aujourd’hui Eceabat en Turquie], une pointe rocheuse qui avance dans la mer, en face d’Abydos. C’est en cet endroit que les Athéniens, sous les ordres de Xanthippos fils d’Ariston, clouèrent vivant à un poteau Artayctès le gouverneur perse de Sestos après l’avoir capturé, pour le punir d’avoir introduit des femmes dans le sanctuaire de Protésilas [héros local] à Eléonte [en Chersonèse] et d’y avoir commis des sacrilèges", Hérodote, Histoire VII.33 ; "On crucifia [Artayctès] sur le rivage où Xerxès Ier avait fait construire le pont, certains disent que ce fut sur la colline au-dessus de la cité de Madytos. Son fils fut lapidé sous ses yeux", Hérodote, Histoire IX.120). Les Athéniens rentrent ensuite à Athènes en apportant comme des trophées les restes des deux ponts ayant servi à Xerxès Ier à traverser l’Hellespont l’année précédente ("Après cette expédition les Athéniens retournèrent en Grèce avec un riche butin, et consacrèrent dans les temples les agrès des navires qui avaient servi à fabriquer les ponts", Hérodote, Histoire IX.121).


La Perse n’est pas anéantie. Eschyle exagère en disant que "l’Asie entière est vidée de sa substance" (Eschyle, Les Perses 548-549), qu’"un peuple entier a péri au combat" (Eschyle, Les Perses 729), et que seule une "poignée de survivants" (Eschyle, Les Perses 510) reste pour témoigner que "longtemps sur la terre d’Asie on n’obéira plus à la loi des Perses, on ne paiera plus le tribut sous le joug seigneurial, on ne tombera plus à genoux pour recevoir des commandements" et que "la force du Grand Roi n’est plus" (Eschyle, Les Perses 584-590). Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, l’Empire perse durera encore pendant un siècle et demi, jusqu’à la défaite de Darius III face à Alexandre le Grand en -331 à la bataille de Gaugamèles. Il n’empêche que cette succession de défaites est un désastre pour l’image de Xerxès Ier, et au-delà pour la fonction de Grand Roi qu’il occupe. Même si Xerxès Ier essaie de se présenter partout comme un vainqueur, notamment en exposant toutes les richesses qu’il a pillées en Grèce lors de son éphémère passage en -480 (l’Hydrophore à Sardes, la statue d’Harmodios et Aristogiton à Suse, que nous avons déjà mentionnées, et aussi la statue d’Artémis de Brauron, et celle d’Apollon de Milet qui restera à Ecbatane ["Xerxès Ier, fils de Darius Ier, Grand Roi des Perses, en plus de ce qu’il enleva à la ville d’Athènes, emporta de Brauron [lieu de culte à Artémis en Attique] la statue d’Artémis Brauronia, et sous prétexte que les Milésiens s’étaient mal conduits après le combat naval contre les Athéniens en Grèce il prit l’Apollon de bronze des Branchides, que Séleucos Ier leur renvoya plus tard", Pausanias, Description de la Grèce, VIII, 46.3] jusqu’à l’époque hellénistique ["Séleucos Ier est selon moi un des rois qui s’est le plus distingué par son amour pour la justice, et sa piété envers les dieux. Il renvoya en effet aux Milésiens la statue en bronze d’Apollon Branchide ["descendants ou amis de Branchos", ami d’Apollon] que Xerxès Ier avait emportée à Ecbatane", Pausanias, Description de la Grèce, I, 16.3] ; précisons que les Branchides, prêtres en charge du sanctuaire d’Apollon à Didyme près de Milet, sont compromis dans ce pillage, puisque c’est pour leur éviter les représailles des Grecs libérés que Xerxès Ier leur propose de les emmener avec lui en orient, et qu’il leur cèdera des terres à la frontière de la Sogdiane où Alexandre le Grand, cent cinquante ans plus tard, en été -329, retrouvera leurs descendants : "L’armée [d’Alexandre] arriva dans une petite cité dont les habitants descendaient des Branchides. Leurs ancêtres ayant profané le temple de Didyme pour s’attirer les faveurs de Xerxès Ier, celui-ci leur avait ordonné, à son retour de Grèce, de quitter Milet et de s’installer à cet endroit", Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, VII, 5.28) et en faisant construire un somptueux palais-forteresse à Kelainai en plein milieu de l’Anatolie ("Il y a [dans la cité de Kelainai en Haute-Phrygie en -403] un palais entouré d’un grand parc plein de bêtes sauvages, où [le prince Cyrus] chassait à cheval quand il voulait s’exercer. A travers ce parc coule le Méandre, dont les sources se trouvent dans le palais même, il serpente ensuite à travers la cité de Kelainai. Il existe aussi à Kelainai une autre bâtisse fortifié du Grand Roi, édifiée sur les sources mêmes du Marsyas, qui traverse aussi la cité dans un lit de vingt-cinq pieds de largeur avant de se jeter dans le Méandre. C’est là, dit-on, qu’Apollon, vainqueur de Marsyas qui était entré en concurrence de talent avec lui, l’écorcha vif et suspendit sa peau dans l’antre d’où sortent les sources. Voilà pourquoi le fleuve s’appelle “Marsyas”. On raconte que c’est Xerxès Ier, à son retour de Grèce, après sa défaite et sa fuite du combat, qui fit bâtir ce palais et cette citadelle de Kelainai", Xénophon, Anabase de Cyrus, I, 2.7-9), sa crédibilité est ruinée ("Xerxès Ier, Grand Roi de Perse, naguère terreur du monde, perdit par ses revers en Grèce le respect de ses propres sujets", Justin, Histoire III.1) : désormais dans l’Empire perse, chacun sait que le Grand Roi est non pas un dieu (son fouettage de l’Hellespont après la tempête du début de la campagne n’a eu aucune conséquence sur le sort final des armées perses, pas davantage que sa présence au bord du rivage lors de la bataille de Salamine) mais un homme, et même dans le cas de Xerxès Ier un piètre tacticien, un piètre meneur de troupes, un piètre soldat. Jusqu’à la difficile intronisation d’Artaxerxès Ier que nous raconterons longuement dans notre prochain paragraphe, qui restaurera définitivement l’intelligente diplomatie du flatter-et-diviser-pour-mieux-régner de son grand-père Darius Ier, la Perse n’est plus une menace pour les Grecs. A posteriori, Xerxès Ier apparaît comme un nouveau Cambyse II, comme un fils qui a voulu égaler son père (c’est ce que lui-même avoue au moment de s’engager contre la Grèce : "Du jour où je suis monté sur ce trône, j’ai songé à ne pas être inférieur aux Grands Rois qui m’y ont précédé, à étendre comme eux la puissance des Perses", Hérodote, Histoire VII.8) sans en avoir les moyens. Dès -472 dans sa tragédie Les Perses, Eschyle montrera le décalage entre ce père "bienfaisant, invincible, égal aux dieux" (Eschyle, Les Perses 855-856) et ce fils naïf (qui se laisse prendre à la ruse de Sikinnos envoyé par Thémistocle pour l’inciter à avancer vers le détroit de Salamine où sont retranchés les navires grecs : "Un Grec de l’armée athénienne est venu dire à ton fils Xerxès Ier que, sitôt tombées les ténèbres de la nuit, les Grecs n’attendraient pas davantage et se précipiteraient sur les bancs de leurs navires pour chercher leur salut, chacun de son côté, dans une fuite furtive. A peine l’a-t-il entendu que, sans soupçonner là une ruse de Grec ni la jalousie des dieux, Xerxès Ier à tous ses chefs d’escadre déclare ceci : “Quand le soleil aura pris possession de l’éther sacré, nous disposerons le gros de nos navires sur trois rangs pour garder les issues et les passes grondantes, tandis que d’autres bloqueront l’île d’Ajax [l’île de Salamine] en l’enveloppant”", Eschyle, Les Perses 355-368), couard (qui s’enfuit aussitôt après avoir assisté à la défaite de sa flotte : "Xerxès Ier pousse une longue plainte devant ce gouffre de douleurs. Installé en un lieu d’où il observait toute l’armée, un tertre élevé près du rivage marin, il déchire ses vêtements, lance un sanglot aigu, puis soudain donne un ordre à son armée de terre et se précipite dans une fuite éperdue", Eschyle, Les Perses 466-468) et dénué de raison (qui a été jusqu’à vouloir dompter la nature : "“Il a jeté ses engins comme un joug sur le détroit d’Hellé [fille d’Athamas, qui a donné son nom à l’"Hellespont", aujourd’hui le détroit des Dardanelles], pour se faire un passage [c’est Atossa, mère de Xerxès Ier, qui parle au fantôme de Darius Ier]” “Il a été jusqu’à fermer le grand Bosphore ?” “Un démon ["da…mwn", terme désignant toutes sortes d’entités immatérielles inférieurs aux dieux, comme les âmes des morts ou les génies] sans doute a touché son esprit” “Terrible démon, pour l’avoir à ce point privé de bon sens ["frone‹n kalîj", de "fronšw/penser, raisonner, juger", d’où dérive l’adjectif "frÒnimoj/sage" au sens de "sensé, prudent, avisé", et "kalîj/bien, convenable"]", Eschyle, Les Perses 722-725). Le philosophe Platon reprendra plus tard cette opposition entre le père et le fils, en supposant que le caractère prétentieux du fils découle de son éducation doré, et en concluant qu’à cause de Xerxès Ier "les Grands Rois de Perse après lui n’ont plus rien de “Grand” excepté leur nom" ("[Darius Ier] fit des lois auxquelles il s’assujettit, introduisant ainsi une sorte d’égalité. Il légalisa la distribution que Cyrus II avait promise aux Perses, il établit entre eux l’union et la facilité du commerce, et s’attacha les cœurs des Perses par ses présents et ses bienfaits. Aussi le secondèrent-ils de bonne grâce dans toutes les guerres qu’il entreprit, et se rendit-il maître d’autant d’Etats que Cyrus II en avait laissés à sa mort. Après Darius Ier vint Xerxès Ier, élevé comme Cambyse II dans la mollesse et en roi. O Darius Ier ! c’est justice qu’on te reproche de n’avoir pas tenu compte de la faute de Cyrus II, en donnant à ton fils la même éducation que Cyrus II avait donnée au sien. C’est pour cette raison, parce qu’il a été élevé comme Cambyse II, que Xerxès Ier a eu un sort à peu près égal. Depuis tout ce temps la Perse n’a plus enfanté aucun Grand Roi, sinon par le nom. Je prétends que ceci n’est pas un effet du hasard, mais de la vie molle et voluptueuse que mènent d’ordinaire les enfants des rois et de ceux qui ont d’immenses richesses. Jamais enfant, ni homme mûr, ni vieillard sorti d’une pareille école, n’a été vertueux", Platon, Les lois 695c-696a). Terminant son Histoire par l’action de Xanthippos aux côtés de Leotychidès II à Mycale puis sa victoire solitaire à Sestos, Hérodote évoque brièvement un conflit entre Xerxès Ier et l’un de ses frères, le mystérieux Masistès qu’à plusieurs reprises nous avons rebaptisé "Ariaramnès". Penchons-nous, pour conclure le présent alinéa, sur ce passage. Hérodote place son récit entre celui de la bataille de Mycale et celui du siège de Sestos, en affirmant que l’événement qu’il relate a lieu "quand Xerxès Ier est à Sardes" (Hérodote, Histoire IX.108), ce qui nous permet de le dater précisément à l’automne -479. Masistès selon Hérodote est hyparque en Bactriane ("Les Bactriens, dont [Masistès] était l’hyparque, l’aimaient beaucoup", Hérodote, Histoire IX.113), probablement une autre façon de dire qu’il est satrape de Bactriane. L’origine officielle de la brouille entre les deux frères est une croustillante et romanesque histoire de fesses telle qu’Hérodote les affectionne (nous renvoyons ici, par exemple, à celle aussi croustillante et romanesque de Phaidymé chargée par son papa Utana/Otanès de se glisser dans le lit du Mage qui usurpe la couronne royale pour mieux le démasquer en -522, que nous avons rapidement évoquée dans notre premier alinéa) : Xerxès Ier, tombé amoureux de la femme de son frère Masistès, a marié un de ses fils à la fille de cette femme pour tenter de la séduire à travers cette fille, avant de tomber également amoureux de cette fille qui s’appelle "Artaynté" ("Xerxès Ier résolut de marier son jeune fils Darius à la fille de Masistès et de cette femme, croyant par cette alliance gagner plus aisément les bonnes grâces de cette dernière. Les ayant mariés selon le rituel traditionnel, il partit pour Suse. Quand il y fut arrivé, il fit venir dans son palais la jeune épouse de Darius : sa passion changea alors d’objet, il cessa alors d’aimer la femme de Masistès et devint épris d’Artaynté, femme de Darius et fille de son frère", Hérodote, Histoire IX.108). Passons sur les détails. Retenons seulement que l’épouse de Xerxès Ier, on s’en doute, n’est pas contente, et qu’elle machine un plan pour se débarrasser de la femme de Masistès dès qu’elle commence à soupçonner l’infidélité de son mari : elle lui réserve un supplice cruel, la mutilation des seins, du nez, des oreilles, des lèvres et de la langue ("Amestris [femme de Xerxès Ier] manda les gardes du Grand Roi et fit mutiler la femme de Masistès : sur son ordre, on lui coupa les seins qu’on jeta aux chiens, et après lui avoir fait aussi couper le nez, les oreilles, les lèvres et la langue, elle la renvoya chez elle ainsi mutilée", Hérodote, Histoire IX.112). Masistès, on s’en doute aussi, n’est pas content à son tour de découvrir sa femme ainsi mutilée : comprenant soudain les sentiments de son frère Xerxès Ier pour celle-ci et pour sa fille Artaynté, il décide de rentrer en Bactriane avec cette dernière et le reste de sa famille, et d’y soulever des troupes pour renverser le Grand Roi. Malheureusement pour lui, victime de sa popularité, l’annonce de son retour en Bactriane est médiatisé, Xerxès Ier connaît ainsi son itinéraire, il envoie des troupes à sa poursuite, qui le rattrapent et le tuent avant qu’il n’arrive à destination ("Voyant sa femme traitée avec tant d’indignité, [Masistès] délibéra sur-le-champ avec ses enfants, et partit aussitôt avec eux et quelques autres personnes vers la Bactriane, dans l’intention de soulever cette province et de faire au Grand Roi tout le mal possible. Je suis persuadé qu’il y aurait réussi, si son arrivée en Bactriane et chez les Saces [tribu scythe] n’avait pas été annoncée par les Bactriens, dont il était l’hyparque, qui l’aimaient beaucoup : Xerxès Ier, informé de ses desseins, envoya contre lui un corps d’armée qui le massacra en chemin avec ses enfants et les troupes qui l’accompagnaient", Hérodote, Histoire IX.113). Il est intéressant de mettre en parallèle ce récit d’Hérodote avec le récit d’un autre conflit fraternel rapporté par Plutarque dans son essai Sur l’amitié fraternelle. Dans cet autre récit, Xerxès Ier s’oppose à un autre de ses frères nommé "Ariaménès/Ariamšnhj", né comme Artobazanès d’un mariage de Darius Ier avec une femme inconnue avant son accession au trône de Perse en -522, donc avant Xerxès Ier, qui revendique la couronne perse en vertu du droit d’aînesse ("Ariaménès vint en Médie non pas dans des dispositions hostiles mais tranquillement comme à un débat judiciaire, alors que Xerxès Ier présent sur les lieux s’était approprié l’exercice du pouvoir royal", Plutarque, Sur l’amitié fraternelle). Xerxès Ier conteste la revendication de cet Ariaménès de la même façon qu’il conteste celle d’Artobazanès dans le récit d’Hérodote, en rappelant que sa mère n’est pas une femme quelconque mais Atossa la fille de Cyrus II, et que sa naissance date d’après l’investiture de Darius Ier à la tête de la Perse contrairement à celles d’Artobazanès et d’Ariaménès qui remontent à l’époque où Darius n’était qu’un simple particulier ("Les uns voulaient que la couronne fût décernée à Ariaménès qui était l’aîné de la famille, les autres à Xerxès Ier parce que sa mère Atossa était fille de Cyrus II et qu’il était né après que Darius Ier eût ceint le diadème", Plutarque, Sur l’amitié fraternelle). Pour calmer le ressentiment d’Ariaménès, Xerxès Ier lui propose néanmoins le titre de second auprès de lui, "mathishta" en vieux-perse ("Dès que son frère fut arrivé, [Xerxès Ier] ôta son diadème, abaissa la tiare que les monarques perses portent droite [privilège accordé par Darius Ier à sa descendance et à celle de ses six complices du putsch de -522, qui ont porté la tiare de cette façon pour se reconnaître au moment de ce putsch, comme nous l’avons dit dans notre premier alinéa], et alla à la rencontre d’Ariaménès pour l’embrasser. Ensuite il lui envoya des présents, et chargea les porteurs de lui dire : “Voici les hommages que t’offre présentement ton frère Xerxès Ier. Si le choix des Perses le confirme Grand Roi, il te donnera le second rang après lui”", Plutarque, Sur l’amitié fraternelle). On se souvient que ce titre de "mathishta/second, successeur" est le titre que Xerxès Ier a lui-même obtenu de son père Darius Ier en -496, et qu’il rappelle dans l’inscription dite "du harem achéménide" découverte par les archéologues sur l’un des murs du harem royal de Persépolis ("Le Grand Roi Xerxès Ier dit : Darius Ier avait plusieurs fils. Selon la volonté d’Ahura-Mazda, Darius Ier mon père me fit mathishta [terme vieux-perse désignant le "second" après le roi, autrement dit l’héritier]. Quand mon père quitta le trône, par la volonté d’Ahura-Mazda je devins Grand Roi sur le trône de mon père. Quand je devins Grand Roi, je fis ce qui est bon : je protégeai ce que mon père bâtit, et j’y joignis d’autres constructions. Ce que j’ai bâti, et ce que mon père a bâti, nous l’avons bâti par la grâce d’Ahura-Mazda", Inscription XPf du harem achéménide, lignes 28-43) : la promesse du don de ce titre à Ariaménès signifie que Xerxès Ier, qui veut garder la couronne, reconnaît néanmoins qu’Ariaménès a toute la légitimité pour prétendre à occuper sa place, qu’il est donc un puissant rival aux yeux de la haute hiérarchie perse. Les nobles perses choisissent Artaban, frère de Darius Ier, donc oncle de Xerxès Ier et d’Ariaménès, comme arbitre, cela ne plaît pas à Xerxès Ier. Finalement, Atossa réussit à faire fléchir son fils, le débat peut commencer ("Quand le jour décisif fut venu, les Perses d’un commun accord nommèrent juge de ce différend Artaban le frère de Darius Ier. Xerxès Ier refusa de l’accepter pour arbitre parce qu’il voulait la totalité des suffrages, mais sa mère le blâma : “Mon fils, lui dit-elle, pourquoi récuses-tu Artaban, qui est votre oncle et que l’on reconnaît pour le plus vertueux des Perses ? Pourquoi redouter ainsi un jugement qui assurera un beau rôle même au second, puisqu’il sera appelé « frère du Grand Roi de Perse » ?”. Xerxès Ier se laissa donc persuader", Plutarque, Sur l’amitié fraternelle). Artaban se prononce finalement en faveur de Xerxès Ier. Ariaménès accepte ce verdict, et se soumet loyalement à son frère, qu’il servira jusqu’à sa mort en tant que "mathishta/second" : Plutarque précise que ce débat a lieu avant -480 puisqu’il dit qu’Ariaménès trouvera la mort précisément lors de la bataille de Salamine cette année-là ("Les débats s’engagèrent, et Artaban déclara que la couronne devait revenir à Xerxès Ier. Ariaménès s’élança aussitôt pour se prosterner aux pieds de son frère, il lui prit ensuite la main droite et le fit asseoir sur le trône royal. A partir de ce moment il fut le plus grand après lui dans l’Empire, et il ne cessa d’être dévoué au monarque, au point qu’il se couvrit de gloire dans le combat naval livré près de Salamine où il succomba pour l’honneur de son frère", Plutarque, Sur l’amitié fraternelle ; nous avons vu plus haut que c’est peut-être le même Ariaménès que Plutarque désigne au paragraphe 14 de sa Vie de Thémistocle comme victime des assauts d’Ameinias le frère du tragédien Eschyle lors de la bataille de Salamine). Devons-nous en conclure qu’"Ariaménès/Ariamšnhj" chez Plutarque et "Artobazanès/Artobaz£nhj" chez Hérodote sont deux noms désignant une même personne ? Pour notre part, nous pensons que le mystérieux "Ariaménès" chez Plutarque est un personnage composite, qui renvoie à deux querelles de succession bien distinctes, la première vers -496 conduite par Artobazanès que nous avons racontée au début du précédent alinéa, la seconde en -479 conduite par celui qu’Hérodote nomme "Masistès", que Plutarque a mélangées involontairement ou volontairement pour illustrer le bien-fondé des thèses de son essai sur l’amitié fraternelle. Hérodote en effet ne dit pas ce que devient Artobazanès après la prise du pouvoir de son frère Xerxès : c’est peut-être son histoire que Plutarque raconte quand il parle dans Sur l’amitié fraternelle d’un frère du Grand Roi qui reçut le titre de mathishta/second et lui demeura fidèle jusqu’à sa mort à Salamine. En revanche, quand Plutarque insiste sur le fait que ce frère est porté dans sa prétention royale par une partie de la noblesse perse, on a plutôt l’impression qu’il parle de ce "Masistès" évoqué par Hérodote à la fin de son Histoire et de la situation en Perse après les batailles de Platées et Mycale en -479 : on peut facilement deviner que la noblesse perse digère mal les impôts que Xerxès Ier lui a réclamés (des impôts aussi lourds que ceux levés par Cambyse II naguère pour sa campagne contre l’Egypte ["Le Grand Roi [Xerxès Ier] mit sur pied son armée, en effectuant des levées dans tous les pays du continent", Hérodote, Histoire VII.19]), qui n’ont servi à rien sinon à subir échecs sur échecs en Grèce (contrairement à Cambyse II naguère en Egypte), et qu’elle juge que le renversement du Grand Roi et son remplacement par un autre membre légitime de la famille de Darius Ier est un préalable à la sortie de la crise, Artaban qui dès le début a exprimé ses craintes sur l’invasion de la Grèce devenant à l’occasion un porte-parole naturel des opposants à Xerxès Ier après ces échecs. Dans un autre de ses livres, Apophtegmes des rois et stratèges célèbres, petite anthologie de citations de personnages illustres bien connue de tous les apprentis hellénistes, Plutarque rapporte la même histoire, en précisant que le mystérieux Ariaménès "arrive de Bactriane" pour réclamer la couronne à son frère ("Ariaménès, qui disputait la couronne à son frère Xerxès Ier le fils de Darius Ier, vint de la Bactriane pour faire valoir ses prétentions. Xerxès Ier lui envoya des présents et chargea ceux qui devaient les lui offrir de lui dire : “Voici les hommages que t’offre présentement ton frère Xerxès Ier. Si le choix des Perses le confirme Grand Roi, il te donnera le second rang après lui”. Xerxès Ier ayant été proclamé Grand Roi, Ariménès fut le premier à fléchir le genou devant son frère, et à lui ceindre le diadème. Xerxès Ier lui donna le premier rang après lui en Perse", Plutarque, Apophtegmes des rois et des stratèges célèbres) : faut-il déduire qu’il exerce la fonction de satrape de Bactriane, comme Masistès chez Hérodote ? Au paragraphe 82 livre VII de son Histoire, nous avons vu qu’Hérodote révèle l’existence d’un conseil supérieur de six membres autour du Grand Roi en -480, et que Masistès est l’un de ces six membres : dans le même paragraphe, l’historien nous apprend que Masistès est "fils de Darius Ier et d’Atossa", qu’il a donc le même père et la même mère que Xerxès Ier et qu’il est donc aussi légitime que lui à la couronne royale, sans doute est-il né juste après Xerxès Ier, et qu’il est donc le mashishta/second naturel aux yeux de la noblesse perse dans l’ordre de succession au trône, au point même de devoir peut-être son nom à cette position naturelle puisque "Masistès/Mas…sthj" (nous avons plusieurs fois avancé cette hypothèse) semble une simple hellénisation de l’adjectif vieux-perse "mashishta/second". Or, au moment de la bataille de Salamine, Hérodote indique la présence d’un nommé "Ariaramnès/Ariar£mnhj" qualifié d’"ami des Ioniens" au côté du Grand Roi, qui considère la flotte phénicienne responsable de la défaite ("Xerxès Ier se tourna contre les Phéniciens, en homme furieux de sa défaite et désireux de trouver des responsables : il leur fit couper la tête en disant que désormais ces lâches ne calomniraient plus des gens plus braves qu’eux. Depuis le pied de la colline qu’on appelle “Aigaleos” en face de Salamine où il était installé, quand il constatait un exploit accompli par l’un des siens il demandait le nom de son auteur, et ses secrétaires consignaient le nom du capitaine du navire, le nom de son père et sa cité. Un ami des Ioniens présent au côté du Grand Roi, le Perse Ariaramnès, contribua lui aussi au malheur des Phéniciens", Hérodote, Histoire VIII.90). Nous avons vu par ailleurs que Masistès est présent à la bataille de Mycale, qu’il assiste à la défaite des troupes perses, puis qu’il se réfugie à Sardes avec Artayntès l’un des chefs perses vaincus qu’il accable de reproches (et qui en retour projette de le tuer, et échoue de peu : "Le petit nombre de barbares qui s’étaient sauvés de la déroute et retirés sur le sommet du mont Mycale, se rendirent à Sardes. Masistès, fils de Darius Ier, qui avait assisté à la défaite des Perses, fit en route de vifs reproches au commandant Artayntès : entre autres injures, il lui dit qu’en s’acquittant comme il avait fait des fonctions de stratège il s’était montré plus lâche qu’une femme, et qu’il méritait toutes sortes de châtiments à cause du tort qu’il avait fait à la maison royale. Or, chez les Perses, dire à un homme qu’il est plus lâche qu’une femme, est le plus grand outrage qu’on puisse lui faire. Indigné de tant de reproches, Artayntès tira son cimeterre pour le tuer. Mais Xénagoras, fils de Praxilas d’Halicarnasse, qui était derrière lui, s’étant aperçu qu’il fondait sur Masistès, le saisit par le milieu du corps et le souleva avant de le jeter contre terre", Hérodote, Histoire IX.107). Ces deux passages nous permettent de supposer qu’"Ariaramnès" et "Masistès" ne sont qu’une unique personne : le mashishta/second Ariaramnès, membre du conseil supérieur de la guerre, favorable aux tyrans ioniens qui collaborent avec l’occupant perse et qui déteste les Phéniciens pour une raison qu’on ignore, jette sur les seconds la responsabilité de la défaite de Salamine en -480, et soutient les premiers à Mycale en -479 (après avoir écarté les Phéniciens en qui il n’a pas confiance : "Les Perses, ayant appris que la flotte des Grecs venait à eux [à Mycale], hissèrent aussitôt la voile pour s’approcher du rivage et permirent aux Phéniciens de se retirer", Hérodote, Histoire IX.96). En résumé on peut admettre qu’Artobazanès, que Xerxès Ier a reconnu comme son mashishta/successeur, meurt en -480 à la bataille de Salamine (c’est sa mort que Plutarque raconte au paragraphe 14 précité de sa Vie de Thémistocle, en le désignant par erreur sous le nom d’"Ariaménès"), faisant ainsi d’Ariaramnès, autre frère de Xerxès Ier, le nouveau mashishta/successeur ("masistès" en grec : c’est lui que Plutarque évoque dans le passage précité de son Apophtegmes des rois et stratèges célèbres, en le désignant également par erreur sous le nom d’"Ariaménès") aux yeux de la noblesse perse, le candidat idéal pour remplacer Xerxès Ier. En nommant ce nouveau mashishta Ariaramnès à un poste en Bactriane, Xerxès Ier ne cherche qu’à l’éloigner pour essayer de réduire son influence. L’histoire de fesses racontée par Hérodote nous semble un prétexte : derrière la rivalité amoureuse, c’est bien la rivalité politique qui oppose les deux frères, et l’exécution du mashishta/masistès Ariaramnès par le Grand Roi sur une route de Bactriane est une tentative de ruiner les espoirs de la noblesse de renverser ce Grand Roi en place. Et dans cette affaire, le rôle d’Artaban n’est pas clair. Si notre hypothèse est bonne, Artaban aurait soutenu Xerxès contre Artobazanès durant les dernières années de règne de Darius Ier, pour un bénéfice nul puisque quand il tente de dissuader Xerxès Ier intronisé en -486 d’engager la campagne militaire contre la Grèce, celui-ci le repousse avec mépris et le met à l’écart. Ladite campagne se terminant de façon désastreuse pour les Perses, et Artobazanès trouvant la mort à Salamine, on peut facilement imaginer qu’Artaban change alors d’attitude par rapport à son ancien protégé : en -479, Artaban se rapproche d’Ariaramnès le nouveau mathishta dans le but de préparer la succession de Xerxès Ier dont il prévoit qu’il ne pourra plus se maintenir très longtemps au pouvoir, peut-être même qu’il accentue son affaiblissement en fomentant des manœuvres en ce sens avec ce nouveau mathishta (dans le même temps que Xerxès Ier, à cause de sa défaite en Grèce, ne peut pas se séparer d’Artaban qui aux yeux des Perses apparaît a posteriori comme la voix de Cassandre sage et compétente sans laquelle l’Empire perse ne peut espérer un retour à l’ordre). Une telle hypothèse s’accorde en tous cas très bien avec le fait que seulement trois ans plus tard, en -476, comme nous le verrons dans notre prochain paragraphe, Artaban sera le cerveau de l’assassinat de Xerxès Ier, selon tous les auteurs antiques.

  

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